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Le temps magique, suite

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Academic year: 2022

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COURS DU 16 MARS (amphi 7C)

(beaucoup d’extraits pour profiter de la projection sur grand écran- titres surlignés en jaune)

Le temps magique, suite

La de la relation humaine avec le temps est une question philosophique qui irrigue en particulier la question du récit cinématographique.

Bergson, L’évolution créatrice:

Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée, j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde. Ce petit fait est gros d’enseignements. Car le temps que j’ai à attendre n’est plus ce temps mathématique qui s’appliquerait aussi bien le long de l’histoire entière du monde matériel, lors même qu’elle serait étalée tout d’un coup dans l’espace. Il coïncide avec mon impatience, c’est-à-dire avec une certaine portion de ma durée à moi, qui n’est pas allongeable ni rétrécissable à volonté. Ce n’est plus du pensé, c’est du vécu. Ce n’est plus une relation, c’est de l’absolu. Qu’est-ce à dire, sinon que le verre d’eau, le sucre, et le processus de dissolution du sucre dans l’eau sont sans doute des abstractions, et que le Tout dans lequel ils ont été découpés par mes sens et mon entendement progresse peut- être à la manière d’une conscience ?

« Si je veux me préparer un verre d'eau sucrée, j'ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde ». Expression pure de l’impuissance de l’homme sur le temps. Bonheur suprême : dominer le temps, revenir dans le passé, se projeter dans l’avenir, sauter par- dessus les moments ennuyeux. C’est un des objectifs du film de fiction bien sûr, et tout particulièrement du cinéma hollywoodien classique, dont l’une des propriétés stylistiques et narratives est la façon dont il manie l’ellipse et et toutes les figures qui s’y rattachent.

Pour bien comprendre l’ellipse, il faut fait quelques rappels sur le temps au cinéma : voir la fiche « Le temps au cinéma » sur Moodle.

La figure sur laquelle nous nous arrêtons ici, la montage sequence, est une dentelle d’images défilant rapidement et suggérant l’écoulement du temps. Cette figure représente un aspect très important du temps filmique : son accélération, et le fait qu’on vive des durées plus importantes au cinéma que dans la vie (voir le texte d’Etienne Souriau). Figure rhétorique courante en littérature, elle n’a été vraiment formalisée que par le récit hollywoodien, parce qu’elle correspond mieux que tout à l’utopie hollywoodienne : le temps est maîtrisé, l’ennui est impossible.

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La « Castle fever »

La Grande farandole (The Story of Irene and Vernon Castle, H.C. Potter, 1939) est le dernier des neuf films que Fred Astaire et Ginger Rogers tournèrent ensemble à la R.K.O. et contient un résumé long de sept minutes qui évoque le succès du couple de danseurs. D’une longueur, d’une densité et d’une opulence unique, constituant le morceau de bravoure du film, cette séquence est tout à fait exceptionnelle, même si le film n’est pas censé être le meilleur de la série.

On est ici aux marges de la création, dans une de ces zones du film où on a l’impression qu’il n’y plus particulièrement de cinéaste aux commandes. Ce qui compte, c’est le montage et le travail de studio, mais aussi parce qu’on laissait faire un spécialiste de la recherche visuelle qui se moquait du biopic et de Fred Astaire !

La montage sequence est un usage ancien dans le film hollywoodien depuis le muet, car elle est très visuele et rythmique : le sens n’a plus besoin du dialogue.

Avantage : accélération et symbolisme permettent une économie : tout ce qu’on voit à l’écran signifie, dans des procédures simples, des éléments qui sans cela seraient très abstraits : le succès, la joie, mais aussi le chagrin, la pensée, l’univers intérieur

Voir le chemin vers le suicide dans

What Price Hollywood (Cukor, 1932)

Nouveau visionnement sur grand écran de la « Castle Fever »

La séquence cherche à suggérer à la fois l’accélération du temps et du succès. Un récit avançant à un rythme normal ne pourrait pas prendre en charge à la fois le sens concret (passage du temps) et le sens symbolique (rayonnement toujours plus grand). C’est cela qui est intéressant : le problème n’est plus seulement temporel, il est rhétorique > il faut à tout prix convaincre en quelques minutes le spectateur de l’extraordinaire popularité des Castle, et pour cela l’idée du succès, traduite visuellement et rythmiquement, doit l’emporter sur le temps.

Le caractère presque abstrait de ce montage rappelle le « montage roi » des Soviétiques, qui était très apprécié à Hollywood, notamment par Frank Capra qui utilisait souvent des montage sequences dans ses films.

Bibliographie : voir le chapitre « Capra et Eisenstein » dans Paul WARREN, Le Secret du star system américain. Une stratégie du regard. Montréal : L’Hexagone, 1989, 204 p.

Il faut pour cela construire une espèce de puzzle composés de matériaux très différents, répartis selon une structure stricte :

• des numéros de danse : le « Cake Walk », le « Tango », le « Fox-Trot », la « Polka », la

« Maxixe », raccourcis par rapport au temps de leur durée normale, mais qui permettent un répit dans le rythme

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• une grande abondance d’objets due au succès du merchandising autour des Castle : disques, chapeaux, confiseries, crème de beauté, chaussures de danse, empilements de boîtes de cigares

• une multitude de personnages soumis à l’influence de la mode lancée par les Castle ; les robes portées par Irene Castle, la coiffure courte et bouclée (« Castle Bob ») qu’elle impose à toutes les femmes d’Amérique, les manchettes de journaux qui suggèrent ce qu’on appellerait aujourd’hui l’impact médiatique grandissant des Castle

• de courtes scènes de comédie et de gag, et notamment l’apparition récurrente d’un couple de dignes vieillards qui cèdent progressivement à l’extraordinaire popularité des Castle

• des noms de lieux en surimpression, suggérant la variété des lieux où dansent les Castle ; la symbolique géographique du passage atteindra son plus haut point avec le plan final, une grandiose vue aérienne d’une immense carte des Etats-Unis tout entiers saisis par la fièvre de la danse.

• enfin un remarquable arsenal d’effets optiques : surimpressions abondantes, volets, caches formant un puzzle de notes de musique, rapide balayages latéraux qui ne passent pas d’un espace à une autre mais d’une idée, d’un symbole à une autre. Tous ces effets liés au montage évoquent des films expérimentaux comme L’homme à la caméra de Dziga Vertov.

On peut percevoir la séquence sur un plan purement plastique mais aussi en faire une autre lecture : voir le commentaire de l’étudiante Jade BONNET sur Moodle.

Extrait :

« Un nouvel élément matériel de leur réussite est montré à l’écran : le livre Modern Dancing, tenu par une main bien réelle qui apporte un effet de fluidité aux transitions de ce genre, qui vont se répéter jusqu’à la fin de la séquence de montage. L’apparition du livre est suivie de celle d’un disque qui tourne, comme s’il était joué en ce moment même, un disque portant évidemment leurs deux noms. On assiste à l’accélération du rythme des fondus enchaînés, et donc de la temporalité : plus le temps passe, plus les Castle sont acclamés, et cette reconnaissance sort de la piste de danse pour se retrouver dans la rue, c’est-à-dire en dehors du lieu de spectacle, soit dans leur propre réalité, leur quotidien – ils sont montrés photographiés alors qu’ils sortent d’une voiture pour, sans doute, rentrer chez eux.

C’est à partir de là que se situe la transition vers une nouvelle étape dans leur parcours : d’artistes ils deviennent célébrités. Cette transition se transmet surtout par le personnage d’Irene, qui devient clairement une icône de la mode à partir du moment où la tenue dans laquelle elle se fait photographiée se retrouve, après une transition assez kitsch de page qui se tourne, dessinée à l’identique dans un magazine (de mode féminine peut-être), où figure une version papier de la pose qu’elle prend devant la porte de sa maison supposée. Symboliquement, elle défraie la chronique – ce qui sera montré ensuite par une succession de plans d’insert représentant des journaux, preuve encore du succès du jeune couple – puisqu’une autre page se tourne sur une exacte copie de ces vêtements, portés d’abord par une acheteuse fortunée (au vu de la boutique dans laquelle elle se trouve) puis par une ribambelle de femmes de tout âge et de toute classe.

On s’éloigne clairement du monde de la danse pour entrer dans une ère de glorification industrialisée des stars, dont on ne copie plus seulement les mouvements et la danse mais le style vestimentaire et bientôt, la manière de se coiffer. Irene est devenue, plus qu’une danseuse, un modèle, un exemple à suivre.

Plus que leur danse, c’est leur personnalité, leur image publique qui compte et qui influence le comportement de leurs fans. Progressivement, le couple devient un produit de consommation. Cette métamorphose est illustrée cinématographiquement par un cercle tourbillonnant qu’on pourrait confondre avec un disque vinyle mais qui se transforme en boite à chapeau, posée sur l’étale d’un chapelier qui vend des répliques de celui porté par Irene dans la vie de tous les jours, fabriqué à la chaîne et remplacé immédiatement après la vente du dernier modèle, ce qui montre la dépersonnalisation de l’individu au profit de la généralisation de ses spécificités, qui deviennent une mode que représente des produits interchangeables.On s’éloigne encore du monde du spectacle lorsque se

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matérialise un nouvel objet dérivé : un coffret de bonbons à l’effigie du couple. On comprend que celui-ci est devenu une véritable marque, un produit de consommation qui existe à présent hors du monde de la danse

Cette lecture en forme de critique sociale, même si elle peut surprendre au premier abord, est légitime car elle est liée à des formes qui sont elles-mêmes rebelles, à savoir rapproche le cinéma expérimental. A ce propos il faut évoquer Slavko Vorkapich Immigré serbe à Hollywood, cinéaste expérimental qui a travaillé aussi pour le cinéma de studio. Il a porté la

« montage sequence » à un tel point de perfection qu’il lui a donné son nom : dans l’argot des studios on disait « un Vorkapich » pour désigner de telles séquences (voir l’excellente notice Wikipedia en anglais)

Vorkapich n’a pas réalisé la « Castle Fever » mais la séquence obéit à tous ses principes. Au sein des studios, il exerçait son talent avant gardiste. Ce qui nous montre qu’à Hollywood dans les années 1920 à 1940, il y avait la possibilité de faire se côtoyer des formes de recherche plastique, rythmique, visuel et sonores, nullement subordonnées à l’intrigue ou aux acteurs.

Nous allons voir un des films expérimentaux les plus connus des années 1920, The Life and Death of 9413: a Hollywood Extra, réalisé par Robert Florey et Slavko Vorkapich (disponible sur Moodle et Youtube).

Bien sûr, ce film au graphisme très audacieux, qui traite de façon stylisée la déchéance d’un figurant à Hollywood, ne fait pas partie du corpus dit « classique », mais il existe en marge. Un des éléments qui rend classique le cinéma classique, c’est justement cette proximité entre l’audace de l’expérience et un certain conformisme du récit et du spectacle destiné au grand public.

L’extrême condensation temporelle de la séquence de montage et ses effets optiques paraissent démodés par la suite, parce que les films qui l’utilisent héritent encore de la rhétorique visuelle du muet. Il est parfois réutilisé dans le cinéma contemporain à titre d’hommage, ou pour suggérer des effets d’accumulation, de répétition et d’accélération, mais c’est devenu un poncif narratif.

Dans les années 1950, un usage intéressant : des séquences de montage ont déployé le caractère spectaculaire du montage, le côtoiement d’images luxueuses contribuant à la dimension « pop art » du cinéma.. Voir dans Funny Face (S. Donen, 1957) la parade des costumes de Givenchy.

Dernier extrait projeté, hors du sujet mais toujours dans Funny Face : le numéro Think Pink, fait pour éblouir le public par l’explosion de la couleur. Le Technicolor a déployé la valeur de la couleur comme saturation du regard, sidération, admiration, y compris contre l’accusation de

« mauvais goût »

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