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Réflexions stratégiques

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Academic year: 2022

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(1)RDN. Réflexions stratégiques. « La complexité appelle la stratégie. Il n’y a que la stratégie pour s’avancer dans l’incertain et l’aléatoire » Edgar Morin. Revue Défense Nationale - février 2018.

(2) U n é o -C IB LA G E. MÈRE PRÉ VOY ANC E MILITAIRE. votre niveau de vie 1 es lourds de votre métier pour maintenir 3 niveaux de garantie adaptés aux risqu et celui de votre famille : on : capital jusqu’à 1 600 000 €. anente absolue suite à un accident en missi • Spécial mission. En cas d’invalidité perm al jusqu’à 750 000 €. anente absolue suite à un accident : capit • Tout accident. En cas d’invalidité perm capital jusqu’à 32 000 €. : de décès suite à une maladie ou un accident • Toutes causes. Pour vos proches en cas es. vous accompagner ainsi que vos proch Des services d’assistance intégrés pour. Nous protégeons tout ce que vous êtes. SŒUR. RÉFÉRENCÉE MINISTÈRE DES ARMÉES. Pour nous contacter : 0970 809 000 (appel non surtaxé) - groupe-uneo.fr. PÈRE. (1) Dans les conditions et limites du Règlement mutualiste Unéo-Ciblage. Unéo, mutuelle soumise aux dispositions du livre II du Code de la mutualité, inscrite au répertoire SIRENE sous le numéro 503 380 081 et dont le siège social est situé 48 rue Barbès 92544 Montrouge Cedex – Crédit photo : ©Olivier Roller - L A S U I T E & CO. FILS.

(3) Éditorial. L. a trêve olympique a déjà eu un effet positif en faisant baisser, du moins temporairement la tension entre les deux Corée. À défaut d’une dénucléarisation très peu probable de la Corée du Nord, les flocons de neige et les flonflons auront permis une reprise nécessaire et utile du dialogue. Cette pause stratégique ne doit cependant pas faire illusion, alors que le rapport de force est redevenu le régulateur des relations internationales. D’où la nécessité de poursuivre les analyses sur les enjeux de défense lancés cet automne par les travaux ayant abouti à la Revue stratégique et qui se concrétiseront dans la Loi de programmation militaire présentée ce mois-ci qui va effectivement définir, dans la durée, les ambitions réelles pour notre pays. Il y a bien sûr des choix à faire, en particulier pour que l’Europe de la défense ne soit plus seulement un vœu pieux. Cela passe par une véritable réflexion sur un environnement de défense toujours plus complexe et incertain. Il en est ainsi de l’Asie, où la Chine a renoué avec la puissance impériale en développant en priorité ses capacités navales, au risque d’entrer en confrontation non seulement avec les États-Unis mais également avec ses voisins dont le Japon. Et ce n’est pas un hasard si Londres, qui va bientôt retrouver un groupe aéronaval digne de ce nom, a déclaré que l’un de ses deux nouveaux porte-avions irait croiser au-delà de l’océan Indien, vers cet océan Pacifique, désormais au centre de gravité de l’économie mondiale. Cette ambition britannique renoue d’ailleurs avec la tradition navale de Londres, au détriment de la force terrestre, mise à mal depuis le retour d’Irak, sans parler du Brexit.. Ces incertitudes stratégiques sont également sensibles en Afrique subsaharienne où la montée en puissance de la force du G5 Sahel doit contribuer à stabiliser la région, à commencer par le Mali dont la fragilité reste patente malgré les efforts notoires engagés notamment par la France. La faiblesse endogène de l’État reste de facto une source de conflictualité difficile à combler. C’est aussi la nécessité et la démonstration que la France doit disposer d’un modèle d’armée complet capable de dialoguer avec un chef tribal rebelle tout en garantissant la dissuasion nucléaire et en exploitant toutes les ressources de l’innovation, en particulier autour de l’Intelligence artificielle et des nouvelles capacités des systèmes autonomes. Rusticité et haute technologie sont de fait indispensables pour couvrir l’éventail actuel et futur des conflits potentiels. Certes, la réponse militaire face à une crise n’est pas suffisante pour la résoudre, mais elle est indispensable car le soft power longtemps revendiqué par l’Union européenne n’est crédible que s’il s’appuie sur un hard power apte à traiter en même temps une cyberattaque sophistiquée et un engagement de forces au-delà de nos frontières. Cette ambition dont on s’aperçoit qu’elle est davantage prise en compte par nos partenaires, a toujours été au cœur de notre défense. C’est la feuille de route qui est maintenant à mettre en œuvre pour nos armées. C’est la garantie pour nos concitoyens que la paix sera défendue non par le renoncement mais par la volonté. Jérôme Pellistrandi Rédacteur en chef.

(4) Sommaire FÉVRIER 2018. 5. Préambule - Military Balance : un environnement de défense complexe pour les États occidentaux JAMES HACKETT La nouvelle édition du Military Balance montre un environnement de plus en plus complexe pour les États occidentaux. Tout d’abord, la Chine poursuit avec obstination la modernisation de sa défense, tandis que la Russie, malgré des faiblesses, accroît ses capacités. De plus, il faut souligner la fin du leadership occidental dans les nouvelles technologies.. Réflexions stratégiques. 13. À l’heure de la compétition et de l’innovation, quelques leçons de la « Jeune École » THIBAULT LAVERNHE En 1914, la Marine nationale – marquée par les choix techniques et doctrinaux de la Jeune École – n’est plus à la hauteur des besoins stratégiques, contrairement à la Royal Navy forte de ses cuirassés du type Dreadnought et à la marine du Reich allemand. Aujourd’hui encore, les leçons de l’échec de la Jeune École restent pertinentes d’autant plus que la maîtrise des mers est redevenue un facteur de puissance.. 23. Le château fort et l’empire de la mer THIBAULT LAMIDEL La stratégie de défense de la France a plus souvent privilégié le château fort, c’est-à-dire l’approche continentale, au détriment de l’empire de la mer qui exige une autre vision plus orientée vers la maîtrise des espaces maritimes. Or, les évolutions géopolitiques actuelles renforcent le besoin de contrôle des flux, en particulier sur les océans, et donc la nécessité d’un effort naval accru.. 29. Quelle perception de la menace terroriste ? MYRIAM CHAOUCH La Revue stratégique publiée cet automne a poursuivi le processus de définition de la menace terroriste en précisant sa nature et en insistant sur sa réalité. Il s’agit bien du terrorisme islamiste qui, malgré les revers récents de Daech, ne cesse de s’étendre, en particulier en Afrique subsaharienne. La désignation sans équivoque de cet ennemi conditionne notre stratégie.. 35. La Revue stratégique : en attendant les choix OLIVIER PETROS La Revue stratégique a été un exercice de style bien conduit avec une efficacité reconnue. Cependant, de nombreuses questions restent sans réelles réponses, hormis l’expression d’intentions politiques. Les véritables ambitions ne seront vraiment définies qu’avec les budgets effectifs de la future Loi de programmation militaire, à condition qu’elle soit respectée dans sa durée.. 41. Redécouvrir Ailleret, « l’artisan de la force de dissuasion » XAVIER LIFFRAN Il y a cinquante ans, le général Ailleret disparaissait dans un accident d’avion. Chef d’état-major des armées, il a été un des pères de la force de dissuasion. Il a directement contribué à définir la doctrine de cette force, en pleine montée en puissance avec le soutien politique du général de Gaulle. Relire les travaux d’Ailleret est donc aujourd’hui plus que jamais pertinent..

(5) Approches régionales. 51. Mali, une guerre sans fin ?. 56. Les grandes priorités des puissances arctiques. SERGE MICHAILOF La situation sécuritaire au Mali n’est guère encourageante malgré les efforts fournis par nos forces. Les actions multinationales ne sont pas efficaces, voire inutiles, face aux carences du régime incapable de se réformer. Cependant, baisser les bras laisserait le champ libre à une déstabilisation chaotique pour la région et l’Europe.. THIERRY GARCIN L’Arctique reste une zone riche d’enjeux stratégiques et économiques. Après une période de surenchère, elle continue à attirer et à provoquer des approches souvent en rivalité mais aussi des coopérations en particulier dans le domaine scientifique. La région restera un espace où les rapports de force seront de mise.. Approches historiques. 63. Dupuy de Lôme entre Lorient et Toulon (2/2). 73. La Russie dans la guerre (1914-1917). GÉRARD LE BOUËDEC Dupuy de Lôme n’a pas été qu’un grand ingénieur maritime. Il fut aussi un homme politique actif sous le Second Empire et s’est également investi au service de l’industrie privée, en favorisant les transferts des technologies innovantes mises au point pour la marine de guerre. Son héritage reste considérable et son parcours professionnel d’une grande modernité.. CLAUDE FRANC L’Empire de Russie entre en guerre à l’été 1914, apparaissant comme l’allié le plus puissant de l’Entente, ne serait-ce que par la masse de soldats mobilisés. Or, les faiblesses structurelles de l’armée seront fatales jusqu’à provoquer la chute du tsarisme et la mise en place du régime bolchevique qui sut profiter de la crise de 1917.. 65 Repères - Opinions 79. Programme Carrier Vessel Future : le plus dur a-t-il été fait ? THIBAULT LAVERNHE La mise à l’eau en décembre 2017 du deuxième porte-avions HMS Prince of Wales est l’occasion de faire un point de situation sur le programme Carrier Vessel Future. Celui-ci a connu beaucoup d’aléas. Désormais, la Royal Navy retrouve une capacité majeure mais qui va exiger encore de nombreux efforts, à commencer, par l’élaboration d’une doctrine d’emploi.. 85. L’extraordinaire essor de la puissance navale chinoise HUGUES EUDELINE La puissance navale chinoise connaît un essor sans équivalent pour toutes ses composantes. Plus que jamais, la dimension maritime fait l’objet d’une attention particulière de Pékin avec des projets qui doivent s’inscrire dans la durée, permettant d’envisager à terme une présence mondiale qui s’imposera aux autres.. 95. De l’Osumi à l’Izumo : une méthodique remontée en puissance aéronavale japonaise THIBAULT LAMIDEL La marine japonaise poursuit une remontée en puissance en développant de grands bâtiments de type porteaéronefs. Face à la Chine, dont les ambitions sont clairement affichées avec la constitution d’une flotte de porte-avions, Tokyo pourrait aller plus loin surtout si son choix se porte sur l’acquisition d’avions F-35..

(6) 100. Les systèmes d’armes autonomes : le point des concertations à Genève ALICE GUITTON Les systèmes d’armes létaux autonomes (SALA), ou plus simplement les « Robots tueurs », constituent un véritable défi, tant les progrès sur l’intelligence artificielle accélèrent le développement de tels armements. Les concertations à Genève sont importantes pour essayer de définir les enjeux des SALA et promouvoir l’application du droit international sur de tels engins.. 106. À propos d’intelligence artificielle. (2/2). EMMANUEL DESCLÈVES L’intelligence artificielle s’appuie sur l’utilisation d’algorithmes utilisant exclusivement le « 0 » et le « 1 » pour gérer et exploiter le Big Data. Mais codage n’est pas langage, du moins humain. Au-delà de ce qui est calculable ou analysable, il doit rester ce qui marque l’Homme, le libre arbitre, le rêve et l’irrationnel.. 113. « Nouvelle guerre froide », ou difficultés de redéfinir les relations avec la Russie ? (1/2) SOPHIE MOMZIKOFF L’expression « guerre froide » est de retour pour décrire les relations à nouveau difficiles entre l’Occident et la Russie héritière de la défunte URSS. S’il y a certaines similitudes dans les crispations actuelles, il est cependant nécessaire de revenir sur ce qu’a été en réalité la « guerre froide », notamment dans l’affrontement idéologique.. 117. Parmi les livres : à propos de l’Allemagne EUGÈNE BERG L’Allemagne est au cœur de l’actualité politique européenne avec la constitution laborieuse d’une nouvelle coalition. D’où l’intérêt d’une meilleure compréhension de notre voisin d’outre-Rhin avec quelques ouvrages récents, apportant un éclairage historiographique sur cette Allemagne enviée pour ses succès économiques mais peu attirante par son style de vie.. Chronique. 121. Histoire militaire - Le Traité de Brest-Litowsk : ses clauses et ses conséquences CLAUDE FRANC. Recensions. 125. Ivan Krastev : Le Destin de l’Europe - Une sensation de déjà vu Thierry de Montbrial : Vivre le temps des troubles Myriam Benraad : L’État Islamique pris aux mots Juliette Morillot et Dorian Malovic : La Corée du Nord en 100 questions Père Placide Deseille : De l’Orient à l’Occident - Orthodoxie et catholicisme. Programme de la RDN en ligne, p. 136.

(7) PRÉAMBULE. Military Balance : un environnement de défense complexe pour les États occidentaux * James Hackett Editor of The Military Balance, Senior Fellow for Defence and Military Analysis, International Institute for Strategic Studies (IISS).. U. n environnement sécuritaire complexe et fragmenté continue de poser un défi aux décideurs dans le domaine de la défense, caractérisé par une incertitude croissante dans les relations interétatiques et la prolifération de capacités militaires avancées. Les attaques perpétrées en 2017 ont souligné la menace de la part de terroristes transnationaux, absorbant l’attention des forces de sécurité et du personnel militaire à travers le monde. La persistance de conflits et de l’insécurité dans certaines zones de l’Afrique ont signifié la poursuite nécessaire des déploiements de forces de combat par des puissances africaines et extérieures. Au Moyen-Orient, la guerre contre Daech, la guerre civile en Syrie, le conflit destructeur au Yémen et les activités déstabilisatrices de l’Iran ont dominé l’environnement de sécurité régional. En Europe, un conflit de basse intensité a perduré dans l’Est de l’Ukraine, la Russie renforçant sa posture militaire au-delà de la frontière et ses capacités militaires préoccupant les États européens membres de l’Otan. En Asie, la Corée du Nord a testé son premier missile balistique intercontinental. Les provocations de Pyongyang sont certainement une menace immédiate, mais une inquiétude s’est de plus en plus répandue au regard des programmes et activités militaires de la Chine. En 2017, Pékin a introduit des systèmes militaires encore plus avancés, et a déployé ses forces armées encore plus loin.. Chine. Il n’y a pas eu, en 2017, de relâchement dans la cadence de la modernisation militaire chinoise. Les progrès de la Chine dans l’aéronautique de défense restent remarquables. En effet, elle semble sur les rails pour déployer avant 2020 ses premières unités de combat équipées de l’avion de combat furtif Chengdu « J-20 ». Dans ce cas, les États-Unis pourraient perdre leur monopole sur les avions de combats furtifs opérationnels. La Chine continue également de développer un éventail de projets pour des munitions guidées. L’IISS estime désormais que le dernier venu dans la. Revue Défense Nationale n° 807 - février 2018. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. * Cet article traduit par Lucie Béraud-Sudreau, Research Fellow for Defence Economics and Procurement, IISS, présente les principales conclusions du Military Balance 2018 (date de parution : 14 février).. 5.

(8) gamme de missiles chinois en expansion – le missile Air-Air très longue portée PL-15 – pourrait entrer en service dès 2018. Cette arme semble être équipée d’un radar à antenne active, indiquant que la Chine aurait rejoint les rares nations capables d’intégrer cette capacité sur un missile Air-Air. Ces éléments contribuent à l’objectif de l’armée de l’air chinoise d’être en mesure de défier tout adversaire dans le domaine aérien. Au cours des trois dernières décennies, la capacité à opérer de manière incontestée dans ce domaine était un avantage-clé des États-Unis et de leurs alliés. Cela ne peut plus être garanti. La Chine poursuit des ambitions semblables en mer. Le lancement du premier destroyer Type-055 laisse envisager que la marine chinoise comble une lacune dans le développement de ses capacités de haute-mer. Plus largement, l’ensemble des systèmes militaires de plus en plus avancés de l’Armée populaire de Chine (APL) souligne l’extension de ses capacités de déni d’accès et d’interdiction de zone, en complément de sa force de projection croissante. Toutefois, l’utilisation de ces capacités à leur plein potentiel requiert de la Chine qu’elle fasse des progrès semblables en matière d’entraînements, de doctrine et de tactique. La Chine réalise bien des progrès dans ces domaines et a investi pour mettre en place un entraînement plus réaliste, mais les experts doutent encore des résultats de ces investissements. Les progrès de la Chine en R&D de défense signifient qu’elle est déjà devenue le premier facteur d’influence extérieur sur les développements de défense aux États-Unis. Non seulement l’industrie de défense chinoise a maintenu son implacable tempo de développement, mais elle a également continué de développer des technologies avancées, y compris dans le champ des supercalculateurs et des communications quantiques. Les développements en matière d’armement et de technologie de défense de la Chine doivent lui permettre de progresser dans sa trajectoire de « rattrapage » vis-à-vis de l’Occident, vers une place d’innovateur de défense au niveau mondial. Dans certains domaines, la Chine a déjà atteint ce but. La volonté chinoise d’exporter des équipements militaires, y compris des missiles avancés et des drones armés, et son succès croissant à l’exportation, implique que les décideurs occidentaux vont devoir prendre en compte des menaces plus complexes et un environnement plus contesté dans leurs déploiements futurs. Russie. 6. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. La Russie demeure l’enjeu de sécurité principal pour les États à l’Est et au Nord de l’Europe. Moscou a continué à déployer dans la région militaire Ouest des équipements militaires avancés, y compris des systèmes de défense antiaérienne S-400 et des missiles balistiques Iskander de 500 km de portée. Bien que les forces armées russes continuent à introduire de nouveaux équipements, le renouvellement générationnel annoncé des matériels militaires se déroule plus lentement qu’initialement prévu. La Russie traverse des difficultés financières et industrielles et va probablement ralentir ou retarder les livraisons de certains systèmes dans son.

(9) PRÉAMBULE. programme d’armement 2018-2027. Des systèmes comme l’avion de combat Su-57 et le char T-14 vont effectivement entrer en service, mais leur nombre sera probablement inférieur à ce qui était envisagé au départ. Ce problème est encore plus prononcé pour la marine russe, mais Moscou cherche à compenser les conséquences de l’inefficacité de sa construction de grands navires de surface en dotant d’armes de précision des classes de navires plus petits et variés. Défense européenne. Un aspect de la réponse à ces développements a été une plus grande coopération entre l’UE et l’Otan en matière de menaces dites « hybrides ». Les activités russes ont aussi incité les États européens à améliorer leurs arsenaux. L’artillerie fondée sur les systèmes lance-roquettes de la Russie, son aviation de combat et ses systèmes de missiles guidés, attirent le regard sur la défense antiaérienne et antimissile en Europe, notamment à l’Est et au Nord. Certains États s’intéressent au système Patriot et à d’autres types de missiles sol-air, augmentent leurs flottes de véhicules blindés, reconstruisent une capacité de combat aérien à voilure fixe, et développent une capacité de frappe aérienne à distance. Enfin, il semble que certains États européens cherchent à reconstruire une capacité conventionnelle crédible. Améliorer la qualité des systèmes militaires est une des réponses, tout comme l’est la mobilité, afin que les capacités militaires puissent être rapidement déployées. Des réflexions sérieuses sont désormais engagées sur comment améliorer la mobilité au plan bureaucratique. À la fin de l’année 2017, des discussions ont permis d’examiner la facilitation du mouvement des matériels militaires à travers l’Europe. Ces initiatives ont été dynamisées par des pressions américaines plus fortes sur les États européens, afin qu’ils agissent plus pour leur propre défense. De nombreux débats au début de l’année 2017 ont porté sur une possible réduction de l’engagement américain en Europe, mais cette année a vu plutôt un redoublement des efforts américains pour la défense européenne. Le financement de l’European Deterrence Initiative a augmenté, et les États-Unis déploient – et cherchent à vendre – plus d’équipements en Europe. Ainsi, en juillet 2018, lorsque le président Donald Trump se rendra à Bruxelles pour le Sommet de l’Otan, les États-Unis, ayant accru leur propre effort, veilleront à des indices montrant que les dirigeants européens augmentent leurs dépenses de défense. Les chiffres de l’IISS montrent que la tendance haussière observée en Europe depuis 2014-2015 s’est poursuivie ; la croissance des dépenses de défense, en termes réels, a atteint 3,6 % en 2017. Cela a pu pour partie résulter de la stimulation qu’exercent les Américains, mais pour la plupart ces augmentations proviennent des changements dans la perception de la menace au sein des États européens.. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. Ces inquiétudes ont poussé certains en Europe à se demander dans quelle mesure ils pouvaient compter sur une assistance extérieure, mais plus concrètement elles ont paru causer une certaine volonté de tirer plus de bénéfices de la coopération. 7.

(10) européenne de défense. Par exemple, en 2017, les États-membres de l’UE ont enfin avancé vers la coopération structurée permanente et la Commission européenne a mis en place un fonds européen de défense. Ces deux développements ont le pouvoir de créer des gains financiers en réduisant les doublons dans les dépenses militaires. Défis pour l’Occident. Des systèmes d’armes de plus en plus rapides, précis et perfectionnés sont développés par des États non occidentaux, en particulier la Chine et la Russie, et des technologies à usage militaire sont de plus en plus accessibles à d’autres, à un coût relativement bas. En même temps, l’intégration de développements technologiques au sein des organisations de défense va offrir des capacités de transformation pour les forces armées en Occident et au-delà. Par exemple, la vitesse et la portée de certains systèmes radars dépassent déjà les capacités cognitives d’un être humain. Un usage croissant sera probablement fait de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique, tandis que les États cherchent à développer la prise de décision automatisée afin d’augmenter les capacités humaines, d’améliorer les capacités des systèmes d’armes, et de gagner une longueur d’avance, y compris par l’usage de leviers économiques et politiques, et d’outils cyber d’information et d’influence. Cependant, alors que ces technologies vont offrir un potentiel transformateur, des continuités vont persister. Les forces militaires vont dépendre tout autant d’un personnel performant, de l’entraînement, de la doctrine, du soutien logistique, que de l’intégration de nouvelles technologies. La continuité dans les conflits va persister également, certainement pour ce qui est de la nature des conflits, qui reste marquée entre autres par l’incertitude et les facteurs politiques. D’autres aspects de l’environnement militaire et sécuritaire contemporain, comme les tensions autour des armes nucléaires, paraîtraient les mêmes que pour les décideurs d’autrefois. Néanmoins, l’intégration de nouvelles capacités technologiques annonce tout de même un degré de changement. L’usage de nouvelles capacités de traitement pour améliorer les systèmes d’armes va réduire les temps de réponse, et pourra introduire plus d’automatisation dans la défense, afin de réduire les avantages de la prise d’initiative d’un adversaire. Cela augmente le risque d’erreurs de jugement et peut amener d’autres nations à rechercher elles-mêmes pareille technologie.. 8. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. Au même moment, l’intégration de technologies nouvelles et émergentes nous amène à considérer quelles capacités sont vraiment pertinentes à la fois aujourd’hui et demain. En effet, on peut se demander si les États occidentaux doivent élargir leur conception des outils qu’un État peut employer pour obtenir un effet stratégique. Bien sûr, la puissance militaire n’a jamais été le seul instrument.

(11) PRÉAMBULE. à la disposition des États. Les leviers économiques et légaux, les opérations de subversion et d’influence, l’activité diplomatique, la puissance financière et commerciale, tous ont leur place. À l’Ouest, cependant, ces instruments ont été à un degré plus ou moins fort systématiquement déconnectés les uns des autres – et peut-être même involontairement dans l’après guerre froide. Ce qui n’a pas été le cas partout. Les allégations persistantes quant à l’ingérence russe dans les processus électoraux occidentaux rappellent que Moscou voit la modernisation de ses forces armées seulement comme un des aspects des moyens qu’elle peut employer pour atteindre ses objectifs stratégiques. Le domaine cyber devrait maintenant être perçu comme un aspect essentiel des moyens de contrainte de certains États, leur donnant la possibilité de mener secrètement des campagnes numériques. Cela peut être un complément de la puissance militaire conventionnelle, ou utilisé à sa place, afin de parvenir à des objectifs économiques, politiques et sécuritaires traditionnels. Les forces armées occidentales sont aujourd’hui plus petites et avec dans l’ensemble moins de plateformes et de personnel qu’elles n’en possédaient à la fin de la guerre froide. Elles font maintenant face à une réalité selon laquelle la prolifération d’armements avancés, combinée à la disponibilité accrue de technologies à usage de défense pouvant compliquer leurs options militaires, signifie qu’elles peuvent faire face à des menaces de premier ordre, dans plus d’endroits qu’elles ne l’auraient anticipé. En réponse à ces menaces et au défi posé par des adversaires à leur hauteur, les États occidentaux peuvent se tourner vers des technologies de « bonds en avant » afin de maintenir un avantage, comme ils l’ont fait par le passé. Cela va nécessiter une plus grande agilité, et une plus grande acceptation de risques de développement par les gouvernements et l’industrie de défense. Mais dans ce domaine, le succès n’est absolument pas garanti comme il a pu l’être avant. La démocratisation croissante de la technologie va rendre cela de plus en plus difficile, tout comme le fait que l’Occident n’ait plus le monopole de l’innovation en matière de technologies de défense et du leadership dans la production, ni les moyens financiers pour se le permettre. Un intérêt renouvelé par certains acteurs sur des outils non-militaires signifie que les gouvernements doivent prendre en compte des risques sécuritaires plus étendus. En Europe par exemple, l’inquiétude sur l’étendue des capacités russes a amené certains États à réexaminer leur vulnérabilité industrielle, politique sociale et économique, l’utilité des opérations d’influence et des guerres de l’information, ainsi que l’opportunité de réinvestir dans d’autres domaines plus traditionnels de la puissance militaire.. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. Mis bout à bout, ces développements devraient accorder une prime à une diplomatie plus judicieuse et mesurée, à une organisation des forces armées plus. 9.

(12) 10. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. intelligente, une meilleure innovation et production des moyens de défense, une plus grande prise de conscience de la valeur militaire et sécuritaire des nouvelles technologies, un accent renouvelé sur les mesures de confiance et de sécurité afin d’améliorer la transparence et réduire les risques. De plus, dans une période où les liens forgés durant la guerre froide sont soumis à une pression continue, les développements actuels impliquent que les États devraient se concentrer sur les gains que les alliances et autres relations multilatérales leur apportent. w.

(13) Réflexions stratégiques « La complexité appelle la stratégie. Il n’y a que la stratégie pour s’avancer dans l’incertain et l’aléatoire » Edgar Morin. Revue Défense Nationale - Février 2018. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. RDN.

(14) R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S.

(15) RÉFLEXIONS STRATÉGIQUES. À l’heure de la compétition et de l’innovation, quelques leçons de la « Jeune École » Thibault Lavernhe Capitaine de frégate. Membre du comité de rédaction de la RDN.. I. l y a bientôt un siècle s’achevait le premier conflit mondial, qui vit la Marine française se transformer au cours de quatre années de labeur tenace dans l’ombre de l’immensité maritime. Or, en examinant les conditions d’entrée en guerre de la Flotte de 1914, les historiens considèrent unanimement, à juste titre, que celle-ci n’était pas prête. Parmi les raisons de cette impréparation, les conséquences des théories de la Jeune École occupent une place de choix, aux côtés de l’incapacité récurrente de la IIIe République naissante à assurer une continuité dans l’effort naval. Matrice capacitaire et intellectuelle de la marine de la fin du XIXe siècle, ce courant de pensée « matérialiste » né dans les années 1880 porte en effet une part de responsabilité dans le retard de la France dans la course aux armements navals avant 1914. Largement commentée, parfois jusqu’à la caricature, cette errance de l’histoire navale française pourrait sembler un sujet éculé. La messe serait dite : nos anciens se sont fourvoyés, la page est tournée. Pour autant, un siècle plus tard, n’a-t-on plus rien à tirer de cet épisode ? Il semble au contraire qu’une brève immersion dans cette page d’histoire navale n’est pas inutile, pour deux raisons. D’une part, car le contexte international et technologique d’aujourd’hui est à de nombreux égards similaire à celui du tournant du XIXe siècle, en particulier dans le domaine naval. D’autre part, car nos anciens n’étaient pas moins lucides que nous : notre temps n’est pas immunisé contre les dérives d’hier. Aussi, sans prétendre rendre compte de toute la complexité d’une époque particulièrement dense sur le plan des idées, où les responsabilités s’entremêlent, nous nous attachons ici, après avoir brossé un synthétique état des lieux des errements de la Jeune École, à proposer quelques leçons pour le présent.. Les erreurs de la Jeune École. Comme toute école, la Jeune École a un fondateur, des continuateurs zélés et des disciples mal avisés ou opportunistes, entre lesquels une distinction est nécessaire. Sa période d’influence (1882-1905) (1) est par ailleurs suffisamment. Revue Défense Nationale n° 807 - février 2018. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (1) En 1882, l’amiral Aube publie son ouvrage La Guerre maritime et les ports militaires de la France, qui pose les fondements des idées stratégiques et tactiques de la Jeune École. En 1905, Camille Pelletan achève son mandat comme dernier ministre de la Marine à avoir mis en application les théories de la Jeune École, non sans leur avoir fait subir au préalable une sévère dérive dogmatique.. 13.

(16) longue pour que l’on ne puisse faire abstraction des évolutions de contexte, au risque de verser dans la caricature. Pour autant, certaines idées forces la caractérisent, réparties entre intuitions géniales et graves erreurs aux lourdes conséquences. C’est à ces erreurs que nous allons nous intéresser. Père de l’école, l’amiral Aube (1826-1890) développe une pensée critique à une époque de grande émulation technique dans le domaine naval, dans un contexte où la France est isolée entre une Triplice fraîchement signée (1882) et une Grande-Bretagne encore hostile. L’Italie arme alors fortement sur mer, et la flotte allemande est encore embryonnaire. Fondant son analyse sur le caractère changeant des outils de la puissance navale, Aube estime que les enseignements des grandes batailles navales du passé sont rendus caducs par de nouvelles armes – en particulier la torpille et la mine – agissant comme des égalisateurs de puissance (2). Suggérant d’en tirer parti, il propose que la France utilise sa marine selon deux axes : d’une part, une guerre des côtes à base de torpilleurs pour s’affranchir du risque de blocus rapproché, et, d’autre part, une guerre de course à base de croiseurs dans une approche du faible au fort. S’il n’exclut pas totalement une guerre d’escadre, celle-ci est vue comme secondaire, dans une approche du fort au faible face à l’Italie ou localement en Méditerranée occidentale face à la Royal Navy (3). Or, dans le sillage de cette approche en apparence bien charpentée, se trouvent plusieurs failles majeures. La première erreur est celle de l’application du principe de division du travail, alors en vogue, à la tactique navale (4). En vertu de cette idée centrale, la Jeune École prône une spécialisation outrancière des bâtiments. Le cuirassé, concentré de puissance, est relégué au second plan. La « poussière navale » faite de bâtiments mono-tâche – torpilleurs, bateaux éperons, canonnières ou sous-marins – est ainsi considérée plus efficace en vertu de son conformisme à ce seul principe industriel. Son application va très loin : à titre d’exemple, en complément des célèbres séries de petits torpilleurs de 35 m qui fleurissent dans les arsenaux français, citons la tentative de mise au point d’un bateau-canon armé d’une unique pièce de 138,6 mm, qui fut finalement un cuisant échec faute de stabilité. La deuxième erreur est celle de la dispersion des forces, en application d’une conception très terrienne de l’époque à la défense du littoral (5), la France redécouvrant alors Vauban avec le système du général Séré de Rivières. La Jeune École suggère en effet un étalement des forces navales selon un cordon sanitaire côtier fait de sémaphores et de torpilleurs, à l’opposé de toute concentration dans. 14. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (2) Hervé Coutau-Bégarie : Traité de stratégie, 7e édition ; Paris, Économica, 2011, p. 675. (3) Jean de Preneuf : « Un vrai-faux déclin (1870-1914) », in Philippe Vial (dir.), L’histoire d’une révolution, la Marine depuis 1870 ; Centre d’études supérieures de la Marine (Études Marine), n° 4, 2013, p. 22. (4) Rémi Monaque : Une histoire de la marine de guerre française ; Perrin, 2016, p. 328-332. (5) Ibidem, p. 329..

(17) RÉFLEXIONS STRATÉGIQUES. un port principal. En 1891, 211 torpilleurs jalonnent ainsi le littoral français (6). Ce faisant, la marine perd une grande partie de sa capacité à concentrer ses efforts. Cette impérieuse nécessité se rappellera à la flotte française durant la Grande Guerre avec les exigences de la guerre sous-marine : outre les besoins liés aux escortes de convois à l’arrivée et au départ des ports principaux, la lutte contre les sous-marins nécessite de pouvoir mobiliser rapidement une masse de manœuvre dans les secteurs exposés (7). La troisième erreur est la réduction de la vocation stratégique de la marine, qui se trouve limitée à la guerre périphérique, c’est-à-dire limitée à la défense ou à l’attaque des côtes et à la guerre de course. L’idée de maîtrise de l’espace maritime par la guerre d’escadre est abandonnée, la marine étant ainsi amputée d’une grande partie de son poids stratégique. Certes, la Jeune École estime que grâce à un réseau mondial de bases situées aux points clés du commerce britannique, il est possible de dénier à Londres le libre usage de la mer. Mais en affaiblissant sa « masse critique » cuirassée, la marine devient incapable de peser dans l’espace maritime, et par la suite perd de son utilité. Cet « effet de seuil » dans la puissance navale est durement ressenti lors de la crise de Fachoda en 1898, lorsque la France doit reculer sur terre face à la mobilisation massive de la Royal Navy sur mer (8). « Ils ont des soldats. Nous n’avons que des arguments » dira Delcassé, alors ministre des Affaires étrangères. La quatrième erreur est celle de l’absence assumée de profondeur historique, doublée d’une focalisation excessive sur le fait technique, duquel toute norme doit découler. « On déterminera le procédé en fonction de l’engin, en ne faisant intervenir que les données matérielles de l’époque où l’on se trouve » résume l’amiral Darrieus (9). C’est l’erreur classique d’une approche trop exclusivement matérialiste. Or, en dépit des ruptures matérielles qui affectent incontestablement les procédés, certains principes stratégiques, eux, restent immuables (10). Relevons ici que ce matérialisme est en partie déconnecté du cadre légal de l’époque, l’amiral Aube prônant une guerre de course sans loi et sans restrictions. Mais, sur le long terme, cette menace d’une guerre terroriste contribue en réalité à provoquer la relance d’une course aux armements fatale à la marine française (11). Mais la faille la plus marquante est celle de l’illusion, qui conduit les partisans de la Jeune École à se déconnecter du réel. Ainsi, Aube lui-même, malgré son professionnalisme, en vint à négliger l’impact de l’état de la mer sur l’efficacité des. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (6) Certains théoriciens estiment même qu’un total de 496 torpilleurs est nécessaire ! Étienne Taillemite : « L’opinion française et la Jeune École », in Actes du colloque « Marine et technique au XIXe siècle », Service historique de la Marine, 1988, p. 489. (7) François Schwerer : La Marine française pendant la guerre 14-18 – Quand on a fait que son devoir ; Éditions Temporis, 2017, p. 293-294. (8) Louis Nicolas et André Reussner : La puissance navale dans l’histoire de 1815 à 1914 ; Éditions maritimes et d’outremer, 1963, p. 228. (9) Schwerer, op. cit., p. 30. (10) Coutau-Bégarie, op. cit., p. 689. (11) Preneuf, op. cit., p. 29.. 15.

(18) petits bâtiments (12) : la poussière navale devait mener ses combats en eaux calmes ! De la même manière, le croiseur, fer de lance de la guerre de course, ne devait sa supériorité qu’à sa vitesse, avantage pouvant être annulé par la moindre avarie (13). Autre exemple : la foi exagérée dans les effets de la torpille, déclarée efficace alors qu’elle mettra des décennies avant d’être fiable (14). Présent dès l’origine, cet aveuglement virera ensuite au dogmatisme par porosité avec les milieux intellectuels et politiques (15), qui amplifient et déforment les thèses de la Jeune École. L’amiral Aube met ses idées en pratique lors de son passage à la tête du ministère de la Marine de 1886 à 1887. Malgré certaines avancées techniques objectivement bonnes (lancement des premiers sous-marins), le résultat de son action est décevant (16). L’historien Jenkins parle ainsi d’un « véritable chaos » (17). Mais, plus grave, sous l’effet cumulé des excès de ses successeurs, le résultat désastreux de 1914 se dessine progressivement (18) : la France rate la révolution du Dreadnought (19), ses ports côtiers sont encombrés par des petits bâtiments peu efficaces et chers à entretenir, l’étalement dans le temps des programmes de bâtiments de ligne s’avère ruineux, l’ordre de bataille disparate de la flotte est celui d’une « marine d’échantillons »… et, plus grave, la marine est divisée. Certes, « à l’heure des excès, la Jeune École est déjà morte » (20), et le résultat de 1914 est avant tout imputable à l’incohérence de la politique navale menée jusqu’en 1910. Reste que les erreurs de la Jeune École pèsent lourd dans le désordre intellectuel qui préside au déclassement de la marine française. À l’opposé, la Royal Navy est renforcée dans son statut de première marine mondiale (21), tandis que l’Allemagne a constitué en deux décennies une flotte impressionnante (22). À un siècle d’intervalle, des contextes proches. Comparaison n’est pas raison, mais à bien y regarder, de nombreux traits rapprochent le XXIe siècle naissant de la Belle Époque de l’amiral Aube et de ses épigones.. 16. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (12) Monaque, op. cit., p.331. (13) Taillemite, op. cit., p. 485. (14) Ibidem, p. 483. (15) Deux figures émergent en particulier : le journaliste Gabriel Charmes, héraut de la « Croisade pour la liberté des mers et l’égalité des nations dans leur utilisation » et le ministre Camille Pelletan, chantre du torpilleur « démocrate » face au cuirassé « réactionnaire » ; Monaque, op. cit., p. 333-334. (16) Monaque, op. cit., p. 332. (17) H. E. Jenkins : Histoire de la marine française ; Albin Michel, 2002, p. 364. (18) Philippe Masson : La puissance maritime et navale au XXe siècle ; Perrin, 2002, p. 62. (19) Cuirassé britannique de 18 000 tonnes lancé en 1906 qui concentre deux ruptures majeures : une artillerie monocalibre de 305 mm (All Big Gun) et une propulsion par turbines à ailettes qui permet d’atteindre 21 nœuds. Son avènement déclasse brutalement l’ensemble des cuirassés de l’époque. (20) Philippe Ausseur : « La Jeune École », in Actes du colloque « Marine et technique au XIXe siècle », Service historique de la Marine, 1988, p. 469. (21) Nicolas et Reussner, op. cit., p. 237-239. (22) Masson, op. cit., p. 56-57..

(19) RÉFLEXIONS STRATÉGIQUES. En premier lieu, le contexte international est à la compétition sur fond de révisionnisme de l’équilibre en place. Comme à la veille de la Grande Guerre, cette compétition est tout à la fois économique, technique et géographique. Au tournant du XIXe siècle, les puissances européennes rivalisent dans l’impérialisme, tandis que les États-Unis chassent définitivement les Espagnols de leur pré carré en 1898. De son côté, l’Allemagne s’impose comme la puissance économique majeure du continent et conteste l’ordre établi autour de la Pax Britannica. Aujourd’hui, après deux décennies d’illusion sur une possible convergence autour du modèle libéral occidental, c’est une dynamique de divergence (23) qui est à l’œuvre : la coopération économique ne masque plus la rivalité croissante entre les États. Les puissances « révisionnistes », notamment chinoises et russes, contestent ouvertement l’ordre établi en cherchant à se tailler des sphères d’influence incontestées. La figure emblématique des « pays neufs » d’hier est aujourd’hui remplacée par celle des « pays émergents ». Enfin, à ces deux époques, l’Asie est un foyer d’instabilité notoire. Deuxièmement, en 1914 comme aujourd’hui, le fait naval est un symptôme particulièrement visible de cette compétition. À la fin du XIXe siècle, dans l’esprit des politiques du monde entier, la flotte de guerre est l’étalon de la puissance militaire : c’est le temps du « navalisme » (24). Sous l’effet de la diffusion des idées de la Jeune École puis des thèses de l’école historique de Mahan et des progrès de la construction navale, l’opinion publique s’entiche de questions navales. La compétition impériale donne une grande résonance à la question du rang des flottes entre elles. La cible de la Royal Navy est alors le Two Power Standard (25), tandis que l’Allemagne développe sous l’impulsion de l’amiral Tirpitz un ambitieux programme destiné à dissuader la Grande-Bretagne. En 2018, ce navalisme perdure sous une forme moderne : l’investissement dans le « naval de défense » est une manifestation directe de la volonté de puissance d’une majorité de pays, soit qu’il s’agisse de conserver ou d’acquérir un rang, soit qu’il s’agisse d’adopter une posture dissuasive ou de se doter d’une capacité expéditionnaire aéronavale. Les mises en chantiers de porte-avions et de sous-marins en témoignent (26). Cuirassés d’un côté, porteavions et sous-marins de l’autre : l’émulation navale et la crainte latente du déclassement s’expriment avec la même intensité à un siècle d’intervalle. En outre, le milieu naval est dans les deux cas marqué par une forte compétition technique, sous le sceau de l’innovation. La période qui court de 1870 à 1914 est ainsi particulièrement dense en inventions dans le domaine naval (27). Les. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (23) Thomas Wright : All Measures Short of War – The Contest for the 21st Century and the Future of American Power ; Yale University Press, 2017. (24) Nicolas et Reussner, op. cit., p. 226. (25) Concept forgé en 1889 en vertu duquel « l’Angleterre doit avoir une flotte au moins égale à celles de deux plus grandes puissances réunies ». (26) En quarante-huit mois, la Chine a mis en service l’équivalent de l’ensemble de la flotte française. Certains experts considèrent qu’en 2030 les investissements dans la construction navale militaire des pays de la zone Asie-Pacifique devraient atteindre 170 milliards de dollars, dépassant ainsi pour la première fois les crédits navals de l’ensemble des pays européens. (27) Pascal Griset : 400 ans d’innovation navale ; Nouveau monde éditions, 2017, chapitre VI.. 17.

(20) évolutions se succèdent à un rythme soutenu et les unités sont très rapidement démodées. Les bâtiments de ligne cristallisent l’affrontement du canon et de la cuirasse, les progrès de l’un répondant à ceux de l’autre. Les progrès de la propulsion navale s’accélèrent. De nouvelles armes (torpilles) et de nouvelles plates-formes (sous-marins et aéronefs) font leur apparition. L’heure est à la recherche de la nouvelle frontière. Or, un contexte semblable se retrouve aujourd’hui. La révolution numérique, qui a entraîné la compression du temps et la dilatation de l’espace, a provoqué une rupture du même ordre que l’apparition de la propulsion à vapeur (28). L’heure est de nouveau à la recherche de la rupture (29), mais cette fois dans les domaines du numérique et de l’intelligence artificielle, à la nuance qu’en Europe l’innovation y est désormais principalement tirée par le monde civil. De nouvelles armes – lasers, canons électromagnétiques, obus guidés – côtoient de nouveaux vecteurs – drones aériens, sous-marins ou de surface. La dialectique de la cuirasse et du canon est toujours présente avec l’émergence des armes hypervéloces qui visent à créer la surprise et à surpasser les défenses adverses. Et cette dialectique se prolonge dans celle de la supériorité informationnelle et de la furtivité. Enfin, scientifiques et opérationnels se côtoient avec le même souci du développement en « cycle court », comme cela était déjà le cas à l’époque de la Jeune École (30). En dernière analyse, il est intéressant de relever qu’aux deux périodes, la question de l’arbitrage entre les dépenses sociales et les dépenses militaires (31) se pose. Après avoir remboursé en 1875 les indemnités de guerre à l’Allemagne, la jeune IIIe République est en effet confrontée à cette problématique sous l’effet conjugué du développement de l’opinion publique de mieux en mieux informée par la presse et du rôle du parlement dont le contrôle sur les dépenses militaires s’accroît. Les républicains accèdent au pouvoir en 1877, et la politique navale entre alors virtuellement en concurrence avec la mise en place d’un État social. En 2018, dans un environnement certes bien différent, on retrouve ce besoin de faire des choix. Or, la naissance des idées de la Jeune École n’est pas étrangère à ce contexte de contrainte budgétaire (32) avec la tentation de petites unités moins chères. Les conditions d’une nouvelle fermentation des idées de la Jeune École se retrouvent donc aujourd’hui : il n’est ainsi pas absurde de tenter de transposer à notre temps certains enseignements d’hier. Quelques leçons intellectuelles, techniques et politiques pour notre siècle. La défaite de la Jeune École est d’abord intellectuelle.. 18. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (28) Coutau-Bégarie, op. cit., p. 687. (29) Ruptures, Centre d’études supérieures de la Marine (Études Marine), n° 12, 2017. (30) Schwerer, op. cit., p. 31. (31) Preneuf, op. cit., p. 21. (32) Schwerer, op. cit., p. 28..

(21) RÉFLEXIONS STRATÉGIQUES. Au premier chef, c’est l’absence de recul qui frappe. Sous l’effet de l’emballement technique de son temps, la Jeune École pêche par manque de discernement. Certes, Aube fonde son école de pensée sur des bases doctrinales a priori solides (33), mais au moment de leur mise en pratique, fins et moyens se confondent derrière la primauté du fait matériel : « Les bâtiments n’étaient plus conçus et mis en chantier pour servir une stratégie […] mais pour répondre aux idées du moment. » (34) Or, le fait matériel étant, hier comme aujourd’hui, central en stratégie maritime (35), il convient de garder en tête les dangers de ce penchant naturel pour la fascination technique : en 2018, les tentations ne manquent pas ! Ce manque de discernement s’illustre également par la mauvaise interprétation des faits, autre travers marquant de la Jeune École. En amont, on trouve l’interprétation abusive des enseignements de la guerre de Sécession (18611865) (36) et de la guerre russo-turque (1878) (37). Les batailles du Yalou (1894), de Santiago de Cuba (1898) ou encore de Tsushima (1905), qui suggèrent nettement que le canon emporte la décision, ne sont quant à elles pas ou mal comprises. Hier, le pouvoir égalisateur de la torpille semblait suffisamment net pour faire du torpilleur la pièce maîtresse de la bataille navale. Aujourd’hui, que nous inspire le « pouvoir égalisateur de l’octet » ? Hier, l’action conjuguée de petites unités semblait irrésistible. Aujourd’hui, que nous inspirent les images de pasdarans iraniens fondant sur une maquette de porte-avions américain ? À l’heure de l’affrontement dans le champ des perceptions, le risque de tirer des conclusions hâtives n’a pas diminué. Or, hier comme aujourd’hui, la rareté des affrontements navals fait que la « matière conflictuelle » sur laquelle fonder une analyse reste relativement maigre. La correcte interprétation des faits – le fameux « retour d’expérience » – reste donc essentielle : « il faut voir ce que l’on voit » disait Péguy. Ensuite, c’est l’hémiplégie stratégique de la Jeune École qui interpelle : en faisant pencher à l’excès la vocation de la marine vers la guérilla maritime, la bipolarité propre à la stratégie navale (38) – entre guerre de course et guerre d’escadre – est gommée. La guerre d’escadre est ainsi déclarée improbable. Sans doute cette sentence avait-elle un aspect prophétique, mais il était pour le moins téméraire d’adopter une posture aussi déterministe, comme le montreront les travaux de synthèse de Castex dans l’entre-deux-guerres. Avec le recul du temps, une telle posture peut faire sourire. Qui nierait aujourd’hui la vocation globale d’une marine océanique ? Peu de monde sans doute. Mais au sortir d’une période post-guerre froide surdéterminée par l’action de la mer vers la terre et dans un contexte de porosité entre les concepts de. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (33) C’est d’ailleurs en ce sens que cette École se veut « jeune » : le fait nouveau est celui d’un système rationnellement pensé et logiquement bâti ; Ausseur, op. cit., p. 461. (34) Schwerer, op. cit., p. 42. (35) Coutau-Bégarie, op. cit., p. 687. (36) Interprétation abusive de l’action du croiseur confédéré Alabama dans la guerre de course ; Taillemite, op. cit., p. 485. (37) Appréciation exagérée de l’effet des torpilleurs russes contre les navires turcs à Sinope ; Idibem, p. 482. (38) Coutau-Bégarie, op. cit., p. 709.. 19.

(22) défense et de sécurité, les injonctions contemporaines permanentes pour « penser global » ne nous immunisent pas contre ce type de dérive réductionniste. Autre trait marquant : la tendance excessive au simplisme, en particulier dans le domaine financier. Au début du siècle déjà, les comparaisons de coût entre matériels sont expéditives (39) : cent torpilleurs pour un cuirassé, sur la base d’une simple division ! Aujourd’hui, les calculs de ce type fourmillent lorsqu’il s’agit de fustiger d’importants programmes jugés trop coûteux (Rafale, porte-avions…). Les comparaisons hâtives à l’aune du « prix de la tonne » ou du ratio « effets cinétiques produits sur prix de la plate-forme » sont légions. Or, à l’heure des bilans, contrairement à l’intention initiale, la marine laissée par la Jeune École a coûté fort cher, pour une efficacité très discutable. Comme le souligne Étienne Taillemite : « 765 millions-or furent dépensés entre 1880 et 1909 pour la construction de bâtiments peu opérationnels, voire inutilisables […]. Jamais […] la France n’avait dépensé autant d’argent pour sa marine avec des résultats aussi déplorables » (40). En dernier lieu, la dérive intellectuelle la plus grave, nous l’avons vu, est celle du dogmatisme. Au-delà de l’application aux forceps de certains principes (division du travail, dispersion littorale), c’est en vertu de ce dogmatisme que les thèses mahanistes sont balayées d’un revers de main, et que, malgré son avance technique évidente, la Grande-Bretagne reste vue comme un colosse aux pieds d’argile. « Les faits ne pénètrent jamais le domaine de nos croyances » disait Proust. En 2018, à l’heure de l’économie de la connaissance, avons-nous encore des croyances ? Dans l’ordre de la technique, plusieurs enseignements émergent. Le premier est celui du déclassement : sur mer, tout retard technique se paye durement et se rattrape difficilement. Depuis Napoléon III, la France avait su entretenir une longueur d’avance sur la Grande-Bretagne dans le domaine des techniques navales, comme par exemple pour la qualité de l’acier, le chargement des canons par la culasse, le tube rayé ou encore la poudre lente. La Jeune École elle-même contribue à cette dynamique lorsque l’amiral Aube fait lancer par Gustave Zédé le « bateau sous-marin », le futur Gymnote. Mais cette avance fond comme neige au soleil dès lors que le double tournant du Dreadnought et du croiseur de bataille est manqué. En 1914, force est de constater que les choix techniques opérés – dont la Jeune École ne porte pas l’entière responsabilité – relèguent la marine française loin derrière les grandes puissances navales. En comparaison, la marine allemande obtient pour un budget supérieur de seulement 20 % « des résultats infiniment supérieurs » (41). Comment ? En profitant de l’effet « table rase » du Dreadnought pour s’approprier les avancées britanniques à travers un grand plan de construction rigoureux et pragmatique, guidé par le souci de pouvoir suffisamment. 20. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (39) Monaque, op. cit., p. 335. (40) Taillemite, op. cit., p. 490 et Schwerer, op. cit., p. 34. (41) Monaque, op. cit., p. 356..

(23) Le second enseignement est celui de la maîtrise de l’innovation : la Jeune École fut celle de l’innovation débridée. « Ce fut le triomphe des chercheurs qui l’emportèrent sur les stratèges. Chaque idée reçut alors un commencement de mise en application que, faute de crédits, on ne pouvait généraliser » (44). Les « cycles courts » que beaucoup appellent de leurs vœux ne datent donc pas d’hier. À un siècle de distance, on retrouve les principes de l’esprit start-up et autres « hackathon ». Certes, le numérique autorise aujourd’hui une forme de « droit à l’erreur » sans grandes conséquences matérielles. Mais l’innovation, quelle qu’elle soit, doit avant tout répondre à un besoin. Et surtout s’ancrer dans le réel : négliger l’impact de l’état de mer sur les performances paraît insensé, et pourtant l’amiral Aube luimême s’y laissa prendre. Ce travers doit nous inciter à la vigilance. À l’heure où certains analystes vantent le concept de swarming (45), quel impact de l’environnement sur un « essaim de drones » ou un glider (46), et demain sur un nano-robot ? Et quelle bande passante nécessaire pour les moyens de communication associés ?. RÉFLEXIONS STRATÉGIQUES. surclasser localement la flotte britannique pour produire un effet dissuasif (42). Aujourd’hui, sommes-nous surclassés ou en voie de surclassement ? Toutes proportions gardées (43), la question mérite d’être posée à l’heure où des puissances émergentes constituent des groupes aéronavals de premier plan.. Enfin, au-delà de la seule Jeune École, la marine de la Belle Époque nous offre en dernière analyse plusieurs enseignements d’ordre politique. Premièrement, le poids dans une alliance est proportionnel au poids des moyens qu’on y apporte. Leçon éternelle, que la Jeune École illustre à sa façon. Cela commence en creux dès la crise de Fachoda qui consacre le fossé entre les marines française et britannique (47), faisant dire à Delcassé que « la France n’a pas la marine de sa diplomatie ». Une fois l’Entente cordiale scellée, le même Delcassé, devenu ministre de la Marine en 1911, réalise qu’il est impossible d’envisager une coopération équilibrée entre Paris et Londres sans mener une politique navale ambitieuse… ce qu’il s’emploiera à faire, d’une manière toutefois adaptée à la puissance réelle du pays, en recentrant l’effort sur la Méditerranée (48). Au XXIe siècle, la question de la crédibilité au sein d’une alliance n’a pas pris une ride, en particulier sur le plan naval. Le seuil de crédibilité d’hier était le nombre de cuirassés modernes. Quel est-il aujourd’hui ? Car si l’avance technologique est incontestablement un facteur de supériorité, elle ne suffit pas à remplacer un « socle » capacitaire. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (42) Nicolas et Reussner, op. cit., p. 234-235. (43) En 1870, la France a un PIB légèrement supérieur à l’Allemagne, avant d’être dépassée en 1914 par les États-Unis et l’Allemagne. Aujourd’hui, la France ne joue évidemment plus dans la même catégorie que les États-Unis, la Chine ou encore le Japon. (44) Schwerer, op. cit., p. 31. (45) Littéralement « attaque en essaim ». Sur ce sujet, voir par exemple Paul Scharre : « Unleash the swarm: the future of warfare », War on the Rocks, mars 2015 (https://warontherocks.com/). (46) Planeur sous-marin. (47) Monaque, op. cit., p. 354. (48) Preneuf, op. cit., p. 33-35.. 21.

(24) solide, condition sine qua non pour gagner la confiance de ses alliés ou imposer le respect à ses rivaux. Deuxièmement, l’épisode de la Jeune École nous instruit sur les rapports entre monde politique et monde militaire, de deux manières. D’une part, chacun doit rester dans son rôle : si l’exemple caricatural d’un Camille Pelletan rangeant cuirassés et torpilleurs dans deux camps politiques opposés – les torpilleurs démocrates et les cuirassés réactionnaires – peut amuser, il n’en demeure pas moins que le monde politique trouva alors dans un débat technique un relais des clivages idéologiques du moment. Adossé à l’opportunisme de certains élus locaux qui voyaient d’un bon œil le maillage littoral prôné par la Jeune École, le moralisme cocardier trouvait son compte dans la lutte du faible au fort (49). De manière symétrique, on retrouve la même dérive aux États-Unis à cette époque, cette fois sous les traits d’un mahanisme dévoyé (50). Les officiers de marine ne furent d’ailleurs pas les derniers à s’aventurer sur ce terrain glissant ! D’autre part, la Belle Époque nous apprend qu’une marine désunie manque singulièrement de crédibilité face aux décideurs politiques : les débats entre tenants de la Jeune École et tenants de l’école historique sont rudes, et, en l’absence d’autorité capable de trancher (51), l’incohérence qui s’en dégage pénalise la marine dès qu’il s’agit de faire voter les crédits navals (52). Les passions d’hier ne sont certes plus celles d’aujourd’hui, mais, un siècle plus tard, nul doute que l’union dans les positions fait toujours la force à l’heure de la prise de décision politique.  Pour conclure, commençons par rendre justice au père de la Jeune École : marin au grand courage physique, officier brillant et indépendant d’esprit, l’amiral Aube fut un visionnaire (53). Et la Vieille École n’est pas exempte de travers, loin s’en faut. Mais si Aube n’a pas anticipé toutes les conséquences de ses idées, reste que les erreurs de la Jeune École peuvent utilement alimenter notre réflexion. Dans un contexte international de compétition mondiale sur fond de navalisation, doublé de contraintes budgétaires sur le plan national, une nouvelle Jeune École serait malvenue. Nos anciens n’étaient pas moins lucides, et notre siècle n’est pas à l’abri de l’aveuglement. Notre propos n’est évidemment pas ici de sonner le tocsin : fort heureusement, la plupart des errances dont nous avons parlé sont belles et bien révolues ! Mais, à l’aube de la prochaine loi de programmation militaire marquée par un effort financier significatif en faveur de la défense et par une légitime incitation à l’innovation (54), l’histoire de la Jeune École peut encore nous inspirer. w. 22. R PA EP R RO TA D G U E C IN TIO TE N R E D T IT S. (49) Monaque, op. cit., p. 333. (50) Aiguillonné par Roosevelt, le Sénat ne vote alors quasiment que des All Big Gun Ships, avant de changer de cap sous Wilson. (51) Schwerer, op. cit., p. 37. (52) Preneuf, op. cit., p. 28. (53) Monaque, op. cit., p. 327. (54) Florence Parly : « La Revue stratégique : une analyse lucide au service d’une vision ambitieuse », Revue Defense Nationale, décembre 2017, p. 17..

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