z7me ANNÉE NOUVELLE SÉRIE
CULTUREL INTERNATIONAL
REVUE PÉDAGOGIQUE DE L'INSTITUT COOPÉRATIF DE L'ECOLE MODERNE (PARAIT 3 FOIS PAR MOIS)
Dans ce numéro
~
J.
LAGOUTTE : Prélude au prin- temps.Réponse à notre grande enquête : La période 'la plus favorable à l'éducation.
C. FREINET: Le point de départ et les fondements d'une culture.
E. FREINET: La leçon de Cé:z:anne.
C. FREINET: Le cinéma, outil de travail de l'Ecole Moderne.
M. BERTRAND : Le Congrès in- ternational de filmologie.
M. LECHEVALLIER: La télévision à l'Ecole Moderne.
DUFOUR et GUËRIN : Les tech- niques sonores.
E. FREINET: B.C.G. et propa- gande.
DELBASTY : Pour une méthode naturelle de musique.
Livres et revues
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Dans le prochain numéro : rapport des Commissions de l'ICEM
t EDITIONS DE L'ECOLE
MODERNE FRANÇAISE
LES DITS DE .MATHIEU
Les chemins de vérité
Les délicieuses fins de mars de notre enfance, quand les chatons cotonnaient aux branches rouges des osiers, et que primevères et violettes naissaient dans la terre humide que la neige venait de quitter !
Et quel bruit nous faisions, nous, nos brebis et nos chiens, quand nous menions gambader à travers les prés neufs nos bêtes ivres de soleil et de liberté!
Un bon berger, croyions-nou5, se mesure à l'éclat de ses cris, aux aboiements des chiens et à la décision avec laquelle il impose un ordre et une dicsipline dont il est le grand ordonnateur. Nous prenions, il est vrai, un malin plaisir à faire sentir cette autorité ; une sorte de jalousie inconsciente nous poussait à contrarier l'appétit naturel de nos agneaux ...
Ah ! tu voudrais manger des pousses tendres ... tiens, un coup de badine, ça t'apprendra à t'émanciper !
Je faisais exception pourtant pour ma chère Mourette et ses deux che- vreaux à pendants d'oreilles, que j'aimais et qui me le rendaient bien. Eux, je n'avais pas à les commander ; ils me suivaient ou dansaient leur joie de vivre en une délicieuse farandole. Et si le chien les avait touchés, avec quelle émotion je les aurais défendus ! Avec quelle attention je baissais pour eux les frêles tiges qu'ils grignotaient et je cueillais dans les buissons les jeunes pousses qu'ils · venaient manger dans ma main !
r étais fier lorsqu'ils étaient rassasiés et je me vantais de n'avoir jamais eu à élever la voix, attentifs qu'ils restaient à' mes gestes et à mes soucis.
Deux attitudes ! Deux pédagogies !
Mais l'Ecole se ri. t de l'humble expérience des bergers! Elle a ses imposants chemins séculaires que des écrivains, des savants, des adminis- trateurs éminents ont dit être des chemins de vérité : Pas de foiblesse affective ! Maintenez la loi! Habituez vos élèves à obéir, même et surtout si l'ordre donné contrarie leurs tendances et leurs désirs. C'est ainsi qu'on forme - avec, si nécessaire, les badines et les chiens - les personnalités fortes et les âmes bien trempées.
Et si c'étaient des chemins d'illusion et d'erreur? Si quelque vieux.
berger nous prouvait, par son expérience décisive, que nous nous épuisons en vain dans une lutte inégale contre la nature et contre la vie ; si nous nous persuadions un jour de · l'orgueilleuse vani. té de cette autorité formelle - matérielle, intellectuelle et morale - que donne la mariœuvre !habile et impitoyable du fouet ! Si nous réapprenions à caresser, aimer et servir les petits enfants à boucle blonde, les tenir un instant par la main dans les passages difficiles, abaisser pour eux les brindilles qu'ils ne peuvent attein- dre; nous réjouir de les voir rassasiés le soir d'une nourriture librement cueillie aux sources généreuses que nous aurions fait jaillir ; si nous savions répondre aux appels inquiets des élèves en difficulté et nous apaiser nous- mêmes au spectacle des gambades satisfaites d'êtres qui montent vers les sommets de culture par des voies qui ne sont pas forcément des calvaires mais qui sont toujours des chemins de vie !
Si nous savions aider nos enfants à devenir des hommes !
qJ>~<éludre au qJ> ~in ire m 1J1 J-
Si notre amour fleurit avant l'aube,
s'il éclate avant
les premiers bourgeons, toute nuit n'est que faiblesse auprès du cheminement victorieux des étoiles.
Une rosée matinale quête notre bouche et le bleu de l'hiver attardé en nos yeux
guette la défaillance qui nous livrera et la grâce nouvelle qui nous délivrera.
Tout nous a quitté.
Nos amis sont partis pour l'heure d'équinoxe.
Liés à notre ciel d'aveugle splendeur, nous demeurons,
ravis et déchirés,
le cœur jonché d'hivernales jonquilles dont les flammes précoces
ont déjà confondu les tardives gelées.
JOSETTE LAGOUTTE.
I•" mars 1955.
Si tu veux unir les hommes Forme les à bâtir ensemble Et tu les changeras en frères.
St EXUPÉRY.
2
Le groupe j.E.A.N., au sein duquel nous comptons depuis longtemps des adhérents désireux_ de passer au cr.ible de leur critique coUective quelques-uns des grands problèmes cui'turels de l'heu- re, ·a rediscuté, à la sui.te de la récente mise au point, de la question que nous avons posée : quelle est dans la vie de l'homme !la période la plus favorable à l'éducation ?
Nous publions ci-dessous l'opinion de M. Marc Rohrbach.
j'aimerais qu'on serre le problème d'un peu plus près. H y a des moments dans la journée où, dans la famille aussi bien qu'à l'Ecole, on touche mieux l'en- fant, selon des voies que nous sentons plus particulièrement favorables.
La même observat.ion peut évidem- ment être faite pour ce qui concerne la . vie de l'individu. li y a forcément des
moments plus favorables que d'autres.
Il faudrait que nous soyons en mesure de les déterminer de fa~on pour ainsi dire scientifique et expérimentale. Bien d'erreurs nous seraient évitées.
Nous tâcherons d'approfondir la ques- tion dans l~s prochail'!s numéros.
C. F.
·- .. . "
L'EDUCATEUR
Si
i'EDUCATlON n'a pas d'autre but ·que celui de former l'enfant
ànotre image et de veiller à ce que celui-ci nous ressemble ·assez pour pouvoir nous remplacer, alors
iln'y a pas d'autre période favorable à l'éducation que celle de /,'enfance. Mai·s c'est une éducation de monar- que et nous ne sommes plus à cette époque-là!
Mais si l'éducation vise
àfair e de l'enfant un hD'lnme, libre autant
· que possible, capable de jouer un rôle dans la société humaine, il ne
suffit plus qu'elle soi)t instruction et dressage aux périodes les P'lus sensibles. En somme l'éducation
d'.e/ .'enfant doit le rendu capable d'éducation de lui-même et d'action sur son milieu lorsqu'il en aura atteint l'dge.
Le
mil~eudans lequel l' homme est capa ble d'intervention grandiit sans cesse. Du berceaw à l'école et de l'université aux fonctions sociales, l'homme ne cesse-!
d!evoir grandi. r son 1·oyaume. Et comme il ne P'eut pas grandir avec lui dans la même mesure,
ilse sp.éciaHse, ne s'édu- quiant lui-mêm e· que sur les pooints jugés essentiels. La sénilité le guette, mais à partir de quel manient? Pour qui
1cesse . d,e s'éduquer à vingt ans, elle est ·déjà venue. Pour qwi pense êti·e capable de qnelque chose à quatre-vingt's ans, elle n'est que ph/J'Siquem.ent prpche.
Entendons-nous. n y fauit foute la mesure nécessaire, mais si notre sexe est défini au troisième mois après notre conception,
iln'est pas 1wrrnal de dire qu'alors les jeux sont définitivement faits . Ils ne le sont que pour le sexe, et tout le reste est encore à faire. Même observation pour les premiers- mois après la naissance, pour le contact avec la société. Il n'y a pas lieu de· revenir en arrière· et qui aura manqué une période sensible ne la reproduira pas ultérieurement à volonté. Le champ du présent d.emeure p1oiw·tant, quel qu'aiit été le passé et c'est lui qui est efficace . Inutile · d'e donner à vingt ans l'éducation à laquell e seul un e?ifant est sensible. M: ais
à;vingt ans, l'éducation prop1·e de cet dge reste possible quel qu'ait été le passé. Le facteur social intervient sans au. curie doute eti. la société ac.tueUe est. incroyablement' meurtriè· re pour la personne. Mais faut-il l'innocenter e.n disant que l'éducation n'est plus possible?
S'ily . a dans l'homme un tenace espioir social, c'est qu'il y a en même temps l'espoir d'u.ne libération - libérati,on en vue d'.'une éduca(ioru possible -
e~non le dé§..espoir de jeux faits
.mrlesquels le meilleur et le pire n'ont plu.> de prise.
Etfinalement s'il y a espofr de changer la société, ce n'est. pas au moyen d'individ:us figés dJans l'édtucation qu'iils auront reç· ue à quatre ans ou avant, c'est au rrioyen de personnes qui n'ont pas perdu l' espoir et quii luttent pour elles et pour tous, sachant bien qu'à chaque instant de leur lutt e, l'éducation n'est pas un vain mot.
. .... ...
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)t 1
L'EDUCATEUR 3
Les I l TECHNIQUES FREINET I l
plus qu'une
elles apportent le point
sont méthode scolaire
de départ et les ' fondements
d'une
CULTURE
A la veille de notre Congrès, qui nous donne chaque année l'occasion d'une reconsidération de tous nos efforts, nous voudrions, dans cet « Educateur Culturel >1,
essayer de situer notre mouvement dans le complexe des recherches psychologi- ques, pédagogiques, phi>losophiques, scientifiques et humaines du monde contem- porain.
Nous. ne
nousfaisons pas d'illusions sur les
diffi- cultés de cette tâche : notre position de primairesqui ont la p1
'étention de s'attaquer à . des formesusuelles de culture
donttls sentent, dont
ilssavent les vices et
lesinsuffisances nous fait subir
lesfeux
croisés de tous Ceux qui,' par divers biais,sont parvenus à se hisser sur un piédestal dont
ils défen-dent
lesabords par tous les moyens, si illogiques et si antiscientifiques soient-ils.
Tout iau plus nous jette-t-on parfois un regard
condescendant, mais on nous laisse et on nous lais-sera longtemps encore au bout de la table, même si on y sert un jour
lesmets que nous aurons
lon-guement et avec amour, préparés. et mis au
point.Il
nous faudrait
montrer patte blanche, à l'entréede tous
lesoffices et de toutes les revues. Et comme nous avons
lesmains calleuses et patinées
depra- ticiens qui manient non seulement plumes et crayons mais aussi marteau, pinces, bois, fils et
plâtres,la bèche et la brouette, et le balai, on nous repow;se obstinément vers
latechnique ou vers le rêve comme si. l'observation et le travail méthodiques et scien·
tifiques étaient le privilège de ceux qui
ont leursofficielles
lettresde créance.
·Cette méconnaissance systématique, l'impossibilité où nous nous trouvons de collaborer avec
lesédu-
cateurs du second degré qui en France du moins,resten
tobstinément sourds
ànos appels et réticents
ùnos
invitations, lesdéformations dont on afflige nos travaux chaque fois qu'on croit devoir les citer, nous font une obligation de repenser sans cesse nos techniques, leurs fondements et leurs conséquences, pour nous assurer que nous avons pourtant raison de continuer dans une voie où nous avons
faitdéjà
tant de progrès et où nous voyons éducateurs etparents s
'engager peu à peu ..C'est
àla résonance
sur
lavie
et le comportement des contemporainsqu
'on mesurele succès de toutes nouveautés. Les philosophes justifient toujours après coup les expéc 1·iences réussies, même et surtout s
'ilsles ont
long-temps combattues au nom de principes faux dont
ilnous appartenait
demontrer, par la
pratique,, les er reurs théoriques.
Le t
exte libre, ·l'imprimerie à!'Ecole, le journal
scol·aire, les
fichiers, lespoèmes, les peintures
d'en~fants, les albums et
lesconférences, tout cela n'était que fantaisie
spectaculairetant que quelques dizai- nes seulement d'éducateurs en faisaient
l'essai.Il
yen a quinze
àvingt mille 'aujourd'hui, on com- mence
àdresser l'oreille avec bien des
réserves.Quand
lamajorité du personnel «actif" se sera
lancéavec succès dans les nouvelles voies
etque nul n
'osera plus se réclamer des anciennes métho-des, alors on
analysera le phénomène, avec hélas!hien souvent
lesmesures et les normes dépassées.
O
emoment appruche
.Il fut un temps au début
· du siècle,
où les
instituteursétaient fiers
de leurs. cahiers de classe richement calligraphiés, des cahiers
de devoirs mensuels religieusement anotés à
l'encreroug·e et
de ladiscipline jamais en déf1aut
des .bataiÜons scolaires.
Ilsavaient
leurs raisons, hau-tement honorables Seule
lavie qui a
marché faitque l'Ecole. que nous 1appelons
traditionnelle,n'a
· plus à mett~e en valeur aucune réalisation efficiente.
Elle cache prudemment ses productions qui, dans aucune compétition
nesupporteraient
lacomparai- son avec quelques-uns
~eschefs-d'œuvre
quenous
exposons.
·Nos lettres de créance
ànous sont dans
laréso- nance croissante de nos réalisations.
Puisqu'ellessubissent partout, et victorieusement, l'épreuve de
·
la pratique,
c'estsans doute - certainement -
que lesprincipes en sont
justes, lesprocessus exacts et adaptés aux
besoinset nécessités,
les théories sur. lesquelles
.elles s'appuient éprouvées
même si ellessont. en contradiction avec
lesopinions officielles.
D'ailleurs
lavie nous donne chaque
jour!'aison.
Les
opinions et les. expériences téméraires
d'il ya quelques années deviennent aujourd'hui vérités con- firmées par
.Jes découverteset
lesécrits
descher- cheurs et des savants. Nos techniques s'inscrivent de plus en plus, et parfâitemimt pourrions-nou' s
dire,dans le processus progressiste de l'expérience et
dela science humaines.
.C'est ce fait majeur què nous étudierons .en pro- fondeur, à notre Congrès d'abord, et, ensuite
dans le N° àvenir· de
l'Educateur C.uiturei.Nous nous contenterons aujourd'hui de signaler
lespoints essentiels de cette
intégration.1°
Lanocivité des discipUnes imposées du
dehors, et qui se heurtent parfois dangereusement avecles tendances et les besoins profonds des
individus,a
été révélée par toute l'école psychanalytique,
donts'inspire de plus en plus
lia thérapeutique contem- poraine.
L'.Ecole traditionnelle attendra-t-elle, pour changer ses méthodes, que
lespsycpiàtres viennent lui inter- dire des pratiques
quiattentent
.àl'équilibre, à
lasanté morale et physique
desii:Ldividus ?
Nous avons
pris"les devants et nous pouvons
apporter des milliers de preuves attestant que laformatfon de
nosenfants est
. plus rationnelle etplus efficiente
quedans
l'ancienneécole.
·S'il n'y avait
l'erreurmonstrueuse des
examensles parents seraient
d'ailleursdès maintenant
denotre avis, tellement sont
impérieuses lesexigences de la vie_ ·
2°
La primauté du travail,ce paradoxe
que nous 1avons défendu dans notre livre l'Edtucation
duTra-
vail,va
montrersous peu, elle aussi, ses authenti-
ques vertus. ·
. · · ·L'Ecole
était pervertie de jeux ;
les pédagoguesavaient fondé
leursthèses et
leursécrits sur l'émi-
nente valeur formative du jeu et noua nous souve-
4 L'EDUCA TEUa
nôns encore · -avec ,quelle véhémence protestaient à Montpellier les maternelles quand j'affirmais que ce n'est pas le jeu mais le travail qui est naturel à l'homme., et que l'enfant ne joue que lorsqu'il ne peut pas travailler.
Nous . avons forgé nos outils, .. mis au point nos
techniques de travail et dans ce domaine aussi nos paradoxes deviennent réalité.
Nous • avons la satisfaction de voir aujourd'hui nos techniques et nos outils employés Cj.ans un cer- tain nombre d'hôpitaux psychiatriques pour la mise au point d'une science nouvelle qui a pris un nom savant: l'ergothérapie, le traitement par le travail fonctionnel et productif. Des expériences
semblables~ont été menées avec le même succès dans des éta- blissements étrangers. Le branle est ·donné. Notre Education du travail triomp;b.era. ·
3°
L'affectivité dans i'enseignement et l'éducation.
Nous avons été les premiers
àfonder systématique- ment, techniquement,
pourr~ons-nousdire, nos tra- vaux scolaires sur la vie • affective et sensible des enfants. Nous avons, par un acte révolutionnaire dont on commence
àmesurer les conséquences, tourné le dos
àdes pratiques qui s'honoraient de la froideur scàlastique dont Alain avait v• anté Jes vertus de formation stoïque. Nous avons révélé les vrnies bases affectives de l'attention et de la volonté
qu'~n
essayait en vain de. dédancher du dehors par les leçons,
leslectures ou la morale; nous avons magnifié cette affectivité comme une petite flamme que nous avons nourrie et vivifiée jusqu'à la rendre aùjourd'hui envahissante et parfois souveraine .
La floraison de nos journaux scolaires, le texte libre qui remplace peu
àpeu, dans toutes les c1as"
ses, la rédaction imposée ; la gamme si · dive· rse des productions artistiques dont s'enorgueillissent no-s Congrès, les yeux qui brillent, les mains qui créent, les esprits qui · cherchent, tout ce bouillonnement nouveau dont !'Ecole se défendait naguère, militent en faveur d'une conception nouvelle qui trouve une heureuse résonance dans les découvertes de la science.
Et le plus gros appoint nous vient justement du pays du matérialisme historique et de la création scientifique dans tous les domaines:
!'U.R.S.S.a mis en valeur, ces dernières 1;tnnées, les enseigne- ments de Pavlov dont l'accouchement sans douleur est comme le symbole. Désormais, on sait, et on prouve par la pratique, que -Ia vie est une, et que les voies de son ascension ne suivent pas obligatoi- rement les lignes faussement
scient~fiquesque les Facultés de tous les pays avaient scolastiquement tracées.
«Le moral influe sur le physique " · recon- naît-on aujourd'hui officiellement.
Nous avons donc parfaitement raison d'attendre de . notre appel fondamental
àl'affectivité et
àla vie les progrès essentiels qui conditionnent une édu- cation valable.
L'idée a été lancée . Elle est aujourd'hui prouvée scientifiquement. Nos conceptions psychologiques, telles qu'elles ont été exposées dans mon livre Essai de Psychologie sensible appiiquée fi i'EcltUcation cor- respond.ent souvent
à100 % aux enseignements du Pavlovisme. Et cette concordance, qui n'est pas fore tuite, nous • apporte une preuve de plus de la sûreté de nos bases, gage de nos succès présents .et
àvenir.
C'est en fonction de la part croissante que l'affec- tif. prend dans la vie, dans la science et dans la philosophie nouvelles aue nous justifierons au Con- grès le rôle éminent de l'Art et de la poésie dans 1'a vie de nos classes et dans le complexe de notre
éducation. ·
4°
La Discipline coopérative dw Travail : Dès le début de nos techniques aussi nous avons placé
tout notre ·'effort so:us le signe d'une discipline qui visait à la formation individuelle et sociale, plus
· qu'au silence et à l'obéissance nécessités par l "au- torité souveraine du maître.
C'était
ily a trente ans. Depuis le monde a évo- lué, les démocraties se sont affirmées· , les organi- sations syndicales Q.éfendent ouvertement les droits des trav• ailleurs et . un peu partout la coopération s'apprête à changer la structure même des rela-
tions sociales. · ·
Là coopération scolaire telle que nous la pTati- quons, la part nouvelle que nous faisons au travail fonctionnel instructif qui est . en train de transfor- mer en profondeur notre pédagogie, notre respect de la dignité et de la vie de l'enfant, toutes ces nouveautés sont tout simplement actuelles puis- qu'elles replacent l'Ecole dans le grand circuit soci• al.
C'est !'Ecole traditionnelle qui maintenant, par autorité et par tradition, une · structure foncière- ment anormale, en · réaction sur les conditions ac- tuelles du milieu, et qui donc est appelée à dispa- raître . à bref délai.
Nous hâterons cette disparition non point par l'apport dangereux de recettes disciplinaires mais par
.lapreuve que nous faisons qu'une harmonie nouvelle naît peu à peu là où !'Ecole sait faire appel aux forces profondes de vie,
àl'intérêt essen- tiel des individus, là où elle libère des forces nou- velles qui. sont les grands mobiles contemporains des sociétés en permanente g·estation.
L'Ecole traditionnelle se défençl, et avec encore assez de succès, dans le domaine des . acquisitions formelles et mécaniques. que jaugent et .que sanction · nent les examens. L'enfant y apprend parfois plus vite
àlire que par nos méthodes naturelles, mais
ilest comme le bicycliste qui aurait appris à pédale-r une mécanique sur cales et qui est ébloui et :désem- paré q:uand le vélo roule sur la route. L'enfan. t lit, mais
11ne comprend point ce qu'il lit, les deux fonctions - de lecture et de compréhension - ayant été monstrueusemimt dissociées.
L'enfant
yapprend
àcompter et
àrésoudre les problèmes de l'Ecole, mais reste impuissant devant les vrais problèmes que pose 1'a vie, parce que la forme du calcul scolaire et l'application normale qu'en fait la société n'ont pas été raccordés en
une dynamique structure. ·
L'enfant y apprend à faire des réd-actions, mais il ne sait
àaucun moment exprimer ses pensées, ses sentiments et ses :besoins parce que rédaction et grammaire d'une part, expression vivante et moti- vée d'autre part, ont été de même dissociés au cou:ts d'une prntique qui prépare les classements et les succès aux examens peut-être, mais qui n'aide point les individus à affronter avec audace et allant les problèmes majeurs d.e la vie.
C'est cette dJ.ssociation que nous faisons disp1a- raître ; nous intégrons !'Ecole dans Je processus de vie sociale. Nous avons et · aurons longtemps en- core contre nous tous les formalismes et tbutes les bureaucraties. Nous avons pour nous ' les exigences croissantes d'une vie plus que jamais dynamique, qui n'a que faire des outils en carton et des ersatz de parchemin d'une pédagogie morte. ·
Cet aspect culturel et humain est la griande nou- veauté d'une pédagogie moderne qui vise non
àformer des scribes ou · des perroquets, mais à pré- parer en l'enfant l'"P.omme qui demain saura cons- truire la société de liberté et de fraternité de
nos rêves. · ·
C. FREINET.
L'EDUCATEUR
Après qu'ils eurent accroché
leursœuvres sous
lesarceaux majestueux
del'Hôtel de Ville et que la
.salle
moyenâgeusechanta comme
unlivre d'heu- res fleuri, les enfants s'égayèrent, petits faunes ivres, dans
lesrocailles qui enserrent la ville d'Aix.
Très tard, le soir, ils se retrouvèrent
recuei..lliset patients au long du petit sentier qui montait vers Sainte-Victoire.
Ilsattendaient avec sérénité que surgisse entre
lesoliviers,
lamjnce silhouette .cré- pusculaire, faisant bloc avec· le chevalet et la boite de couleurs : un vrai raccommodeur de porcelaine, si solitaire et si secret qu'tls en eurent
lecœur serré.
~ Dans
quel état
ils
'est encore mis aujourd'hui ! Poursûr,
ila
rôdécomme un farfadet autour dè chaque paysage
!Sans boire et sans manger.
- Et, ce qu'il no.us rapporte fait boule au fond de
.sa gorge si contractée
qu'i~ne saura jamais plus nous le
. dire.- C'est toujours qu'il est comme ça : ça grogne au fond
de lui.C'est
passa 'faute :
ilcroit que
tout
est compl;iqué.
· ·-
Maisquand on l'aura m
ené là - pas dans lagrande salle, il comprendra.
- Qu'est~ce
qu'il comprendra?
-
Toutce
qu'ilnous a
donné ! Prenons-lui sim-plement la main pour qu'il sache
desuite que nous l'aimons beaucoup .
.Ils allaient, serrés autour de Cézanne,
tasséset compacts en
unegrappe
dont lesgrains quelquefois gHssaient dans
lesornières, rejetés par
lechev1alet et
la boîteque
le«vieux" n'avait pas voulu aban-
donner.
·-
Ç'aurait été plus commode
delui donner
lamain!
-
Sûr,
mais si tucrois que c'est facile de suivre les gvands
hommes l- Tu
comprends, sa boîte et son chevalet, pour
lui,c'est plus qu'une canne :
ils
'appuie dessus de toutson poids et
. si on les !ui enlevait deforce, sûrement il tomperait.
·DE
cf i Le lenip<J- é la il aboli
·_ Et
qui pourrait
le relever?
- Personne maintenant serait assez fort. Depuis
letemps qu
'il est s1ml dans le soleil, dans le vent;dans
la nuit,il n
esait plus s'il a des amis sur la terre.
- Ses amis, c'est !es couleurs : il
lespose sur sa pa.!ette et, avec elles, il raconte
toutesles. choses qu:il voit.
_.:._
Comme nous.
- Il
dit : «Une pomme est bleue» et c'est pour ça qu'on
lecroit fou:
-
Alors, quand il verra les nôtres, il sera
toutà fait rassuré.
Les
enfants parlaient à mi-voix· , mais Cézanne n'entendait pas. Il av.ançait, visage au vent, perdu dans ses tumultes. Ses
idéesse
heurtaientsous son front avec la violence
d'un·èhoc de cailloux· lancés par ùne fr onde.
Toutétait
soudainet explosif comme dans
unvolcan. ,Des éclats jaillissaient au- dessus des âmes sereines et
l'homme titubait,· acculé àses
dernières limitesde résiStance et de lucidité.
Le crépuscule tjui descendait, ampl;ifiait encore son
tourment ; les images vives qui aV'aient palpitéau fond de ses prunelles. au
longde. cette rude
jour-née, se chevauchaient, s'agglutinaient en montages compacts et lourds
quifaisaient grincer . ses nerfs à fleur
depeau : bleu, rouge, jaune, vert, violet
ettant de bleus; et tant de rouges, et tant
dejaunes,
et tant de verts superposés,·
confondus; puis brus-
quement s'envolant de
l'oubliettepour danser îa sarabande sur son cerveau
tendu'jusqu'à
·1a ·dou- leur obsessionnelle.
Ras dù sol,
l'innocencesentalt passer
latempête, respectueuse
decette ivresse de. solitude, de ce
'dé-lire arc-en-ciel s'enroulant dans
les tourbillonsd'un mistral forcené,
.butant aux rocailles, aux pins 'para- sols et, là-bas, à
laville d'Aix déjà proc)J.e
..A mesure qu'ils avançaient, ,les enfants se rassé- rénaient et quand ils eurent poussé
falourde pdrle,
.
'
L'EDUCATEUR
libéré la. lumière
coloréequi
vibraitcomme
w1 · essaim,ils attendirent, haletants.
Cézanne reçut le coup de plein
champ :il
sur-sauta,
comme étourdi ; sabarbiche se projeta en avant, son nez rouge lançait des feux et
sespau- pières
larmoyantes clignotaient d'éblouissement. Enombre chinoise son profil dansait sur un pan de mur, dans un relief à l• a fois
tragiqueet guigno- lesque,
commeune marionnette prophétique. Peu
àpeu, elle
envahitla voûte, s'immobilisa
àla
cimaise.Le livre d'enluminure 'maintenant flam- boyait d'une clarté
.de gloire: une
àune
·les pag·es
setournaient et,
àchaque image,
toutdevenait sen- sible et doux, comme une main d'enfant passée sur un front orageux. Le
tourmentde l'homme s'allé- geait, se dissolvait én volutes claires, autour des œuvres enfantines, plus fertile qu'un plancton aban- donné
aucreux des vagues de
l'espérance.·Suspendue à
toute cette vaste fresque déroulée,
une conscience nouvelle, toute de
sensibilitéet d
'in-nocence s'éveillait, s'imposait comme ilne · révéla- tion et faisait rouler des perles sur les joues creuses du vieillard. Tout se passait comme
àl'église quand
il.était enfant de chœur :
ilvoyait comme une sainte image
le Bon Dieu etses
•archanges sortant
toutsimplets
desrondeurs d'un nuage blanc. Et
sansremuer les lèvres, le Maître et les enfants se parlaient et se comprenaient.
- Et pourquoi donc, disait Cézanne, étais-je tou- jours
tenducomme une
corde.qui va casser? Je n'ai jamais donné un coup de pinceau quj échappe
àmon contrôle. Je n'a.i jamais regardé un opjet
sansqu'il me
pose des problèmes.Je n'ai jamais raisonné que pour me prouver que j'avais tort ..
.A}} ! me suis-je épuisé en
inquiétudeset en
.batail- lesvaines pour arrocher
aumonde une miette de mystère dont les autres riaient ! Eux, là, sur les murs, est-ce qu'ils ont peur de piétiner les bég-0- nias? Est-ce qu
'ils ont des hésitations de pinceaux,des scrupules de couleurs, des soucis de tons voi, sins, de modulations de plans et autres casse- têtes sur l'existence propre de
l'objet?- Laisse faire, grand-père, laisse l'objet doans la vie des hommes, ils én ont
tantbesoin pour tra- vailler avec leurs mains, gagner la vie si dure, et quelquefois se disputer
etse battre entre eux.
Qu'avons-nous besoin d'objets puisque nous avons les images qui sont plus belles et qui durent plus ? C'est bien à cause de ça que tu as fait les pommes
bleues? ·
- C'est vrai, les pommes bleues. J'avais pien fait
d'aller àAuvers sur-Oise pour
comprendreque la nature est comme une femme aim. ée
;à
toutins-
. tant elle change de visage et plus elle est chan-geante
et. plus elle est aimée.- Si tu venais aux .Costes-Gozon, tu verrais des pommes vio.lettes et du
gazonrose comme une joue d'enfant. C'est dommage que tu n'aies pas vu la petite chapelle d'Estourmel, toute mauve comme un crocus d'automne. ;Et les arbres de Saint"Benoit, tu les as jamais aperçus? Quand nous les regardons, c'est comme une musique. On peut aussi mettre
la musique en images.
-
Oui, ça vous est égal,
àvous autres, que Dela- croix et Courbet soient venus avant )Manet et que Monet et Picasso jonglent avec des pastilles de cou- leurs
...Car ces pastilles,
toutde même, où est-ce qu'ils vont les pêcher ?
- Oh l tu sais pas? C'est en regardant
lesoleil
àtravers les cils fermés. Il vient de petites larmes
etça fait l'arc-en-ciel. Dans l'oarc-en-ciel
il y a tou-tes
les couleurs. Tu peux pas enfaire d'autres
plas be1les.
· ,Oui, c'es t vrai,
mespornmes
bleues! Elles
étaientdanc l
'arc-en-ciel qui dorait Sainte-Victoireun jour d'automne et
degr· and vent.
J
'ai bien fait de faire mes pommes bleues.-
Pour sûr,
parcequ'après,
Matisseles a cue. il-
lies.-
Mais, voilà, il
y a encore lescubes.
Ilssont
durscomme l'acier.
-
Oh ! après
toi, « Us »en ont
fait unede
saloadede
cubes!-
Et sans jamais les comprendre. l\foi, les cubes, ils me
rentraientpar les
yeux . .Je les sentais durcir
enmoi : leurs arêtes vives me tailladaient l'âme. > •
J
'ai beaucoupsouffert
àcause des cubes. Je voyais sur les faces le jeu des plans et des lumières, tout s'unissait, s'arrondissait, mais
c'étaitle cercle qui se mettait
à roulercomme une boule folle ...
- Oh.! faut
pas te tourmenter pour si peu,grand, père
JSi tu savais comme Picasso s'est
misà l'aise avec tes cubes: un véritiaple jongleur
!Ça
tombe commeça
tombe !Et
oust !enlevé
!En voilà pour
2m2
...- Oui, mes enfants, mais il y a «
la masse ,,
:cette
chose dure et solide qui tient sa place dans l'airet dont l•a lumière fait le tour et qu'elle ca- resse
àtoute heure du jour comme une mere son poupon. C'est dans
.la masse que j'ai découvert lescubes et les boules; mais pour
lesmarier
ensemble,mon Dieu, que
detourments l
-
Oh ! c'est
facile àcomprendre : au
cirque j'ai vuun
clo'wnqui jonglait avec des cubes. Quand
ça ·allait vite, les cubesdevenajent boules, plus vite
encore les cerclesdisparaissaient, et il n'y avait plus qu'une
trainéede
soleil entreles mains de l'homme. C'est là que c'était le plus beau.
-
C'est comme
les dessüis des petits de Naizinou de MT•alincourt. Tu
. vois-là-ba s, dans
cecoin,
c'est commeune pr·airie en fleurs, ça
chante,ça
crie,ça hurle :
_c'est la lumière
entre lesmains du jongleUI'.
Cézanne renversa la
tête,cligna des paupières et, vrai comme je vous le dis, on vit
lemiracle s'ac- complir : sous sa barbe
sale,un sourire d'innocence fleurissait
.D'un revers de main, il essuyait ses lar- mes et sa barbiche poivre et sel
laissaittomber des gouttes de rosée d'âme sur son
vestonconstellé de taches jetées par les pinceaux.
Pour finir, il éclata de rire
et sa voix était mouil- .léede bonheur
.- Les drôles, ils
dessinentencore plus mal que moi !
Çachancelle, ça titube,
çacNule de tous
côtés etpourtant,
çatient debout ! Et ça chante si bellement!
Détendu, sans appréhension, s• ans remords, le cher homme sortait de sa p
rison secrète pour s'abandon-ner
àce monde inouï de la rencontre et de la pré-
sence aimée.A
.cause
de ce~petits, passionnés comme lui de belles couleurs et d
'images, il savaitmaintenant qu
'ilétait, lui Cézanne, un vrai, un pur
créateur d'actes.Les
enfantsavec recueillement avaient ouvert la boîte du grand )Maitre, poisseuse et chavirée comme
son cœur éternellement convulsé. Sur la palette vol-canique, ils cherchaient .les secrets de cette immense joie dispensée en
r•ayonsde gloire par chaque doigt des saintes mains.
_Une
aube d'espérance selevait
surla
villed'Aix.
Elise FREINET.
L'EDUCATEUR 7
JL J~ C J[ N J~ 1\\1[ Al
outil
Un. grand Congrès de Filmologie
a~.aitété organisé,
àParis, en fil}
févrie1·. J'avais personnel'lement envoyé le rapport qu'on trouvera ·ci.- dessous . et qui circonscrivait l'urgence des problèmes concernant le 1"' d' egré que· nous aurions voui:u, voir
d'i~cu.t.e1·dans la section corres- pondant
àce point spécial du programme ,
de lcatJ-ail
Nous nous doutions bien que notre voix serait bien souvent noyée sous les mpports et les discussions de personnalUés " aut?risées " qui, d· isèutant d'un p . oint dJe vue tout théorique, peuvent tou.1ours prouver ce qui nous apparait,
ànous
p~aticiens!comme une erreur .. Ce n'est pas la preniière fois qu'apparait ce divor. ce entre
ceu~qui parlent
Mensans rien réaliser et ceux qui réalisent
àgranâ peine, dans leur 11i:1lieu, mais bien souvent sans parler.
de l~ ©eole C)llodecne
Mais n' en dép· lais e
àqu1elques-uns des fonctionnaires pour qui les 1n·océdés audios-visuels sont actuellement leur intouchable cheval die batai1 lle, nous continuerons
àdire ce qu. e nous savons, ce que nous constatons : que l'éducation sera définitivement atteinte dans ses fon- _ d'em.ents le jour où l'expérience et l'action
àmême la vie auront fait place
àl'information et
àl'observation qui n e sont que des ersatz de culture s'ils n'ont pas, pour les motiv· er et les soutenir, la formation profond' e et vivante que nous préconisons. · ·
La question est si grave qu'elle nécessite une sérieuse discussiàn
ànot1·e _ Cong1·ès. · · · ·
Dans l'impossibilité où j'étais de me rendre
àParis, j'avais demandé
ànotre ami Bertrand de rne représenter. Vous trouvere. z plus loin le compte rendu qu'il nous a ad1·essé et qui complète le gros . recueib
dierapports que nous avons reçu .
Avant de dire comment nous
concevons les pro-.
blèmes du cinéma scolaire au degré primaire, nous préciserons ici quelques points de fait :
1° Le cinéma a prouvé d'une façon évidente qu
'ilest, ou du moins pourrait être, un outil d'instruction et d'éducation de toute première valeur.
2°
Mais il
.n
'est qu'un ou.til, q_ui peut être _bien ou ma l employé. On ne dira
Jamaistrop combien cer- taines
catégories de films sont néfastes pour l·aformation et
lecomportement des enfants.
Il nous faudra étudier comment employer le cinéma pour en tirer le maximum au point de vue
culturel.3° Le cinéma mal employé a surtout comme vice le fait
d'habituer lesenfants à un déroulement accé- léré d
'images qui ne sont que des ersatz de vie, etde négliger
lesformes fondamentales de la cons- tr
uction de l'homme.4° Le cinéma scolaire n'existe pas encore. Nous n
'en avons pas même l'embryon, quelques milliers
' d'écoles possèdent des appareils 35 ou 16 miro sonores
quisont utilisés autant pour
les séancesscolaire's que pour les manifestations post-scolaires.
Le nombre de ces appareils ne
dépassepas quel- ques milliers. Il
ya donc plus . de
100.000écoles qui, en 1954, ne p-0ssèdent pas encore
lecinéma.
Il nous faudra étudier comment combler techni- quement ce retard.
5°
Il n'existe pour ainsi dire aucun film pédago-
gique ; la cause en est sans doute que le film sco- ,Jaire n' est pas rentable, que, en tous cas,
ilne rapporte pas. Alors le cinéma scolaire s
'.accommodetant bien que mal de tous
les laisserspour compte du cinéma adulte.
.L
àaussi
ilnous faudra proposer des
remèdes.Voilà
leproblème posé.
Essayons d
'en rechercher la solutioR1° L'OUTIL ELEMENT ESSENTIEL DU
TRAVAIL PEDAGOGIQUE.On
•a cru pendant longtemps, · et on croit encore, que l'éducation échappe aux
loisde tous progrès sociaux, et qu'on peut obtenir des résultats supé- rieurs par l' application,
ladém-0nstration,
lever- biage et la salive. C'est tout le prestige
de la,, leçon
»qui est en cause
.La SALIVE est
l'outil essentiel de la pédagogie traditionnelle.L' Ecole a des outils, mais d'un genre tout à
faitspécial, ce sont les manuels pour la mémorisation des leçons et
l'exécution des.devoirs.
·Nous avons dit
l'insuffisancede ces outils. Nous avons montré par
l·a pratiquel'importance d'outils modernes: l' imprimerie, le limographe, le disque, la
_radio, l'e magnétop)1one.
L
'introductiondu cinéma
àl'Ecole est une néces- sité urgente. Mais cette introduction suppose la réalisation pratique
:d'un projecteur simple
,bon mar
ché,facile à manœuvrer, indérégl, able,
de
films appropriés au travail scolaire nou- veau.
2° LE PROJECTEUR.
Si nous voulons le cinéma comme outil de travail scolaire, il nous faut absolument un projecteur, ct' une manœuvre sj_ simple que
lesenfants eux- mêmes puissent
-s~encharger.
Il nous faut réaliser dans
ledomaine du cinéma
ce que nous avons pu faire aujourd'huï pour
l'im-primerie. N
'importe quel enfant peut manœuvrer lapresse Freinet, et la manœuvrer avec efficience.
Lamême presse peut servir pend.ant
dix-0u quinze ans.
Nous avons à lutter dans ce domaine comme nous
8· L'EDUCATEUR avons lutté pour J'imprimerie.
~esp;rofessionnels
ont toujours jugé nos presses trop rudimentaires, et ils étaient
persuad~squ'on ne po\].vait rien en tirer de :valabJe. Nous avons prou:vé le contraire.
Si des techniciens ou même des amateurs se met, taient à la ,Qesogne, i!s .. devraient
pouvoi~·réaliser l'outil idéal d"Ont · nous avons besoin.
3°
UN PROJE.C.TEUR POUR .CHAQUE _CLASSE.Tout comme nous avons une presse à imprimer dans chaque classe, il nous faut
up.project(lur dans chaque classe, on
ll!lpeut pas avoir de cinéma scolairn si cette condition élémentajre n'est pas
remplie. ·
En effet, nous n'envisageons pas seulement l'orga- nisation de grandes séances de cinéma, imitées des séances de cinéma pour adultes, avec des fiJms à grand spectacle qui durent une ou deux heures, mais ' qui n'entrent que très exceptionnellement dans le cadre de nos besoins et de nos intérêts scolaires.
Il faut que le film soit à notre · dispositi.o:ri comme l'est. le üv;re,
qu'Hsoit prêt
ànous apporter sous une forme vivante les éléments d'information et de culture d'ont nous avons besoin, qu'j,l nous pe;rmette d'exploiter les
int~rêtsnés de
~avie de l'enfant dans son milie'Q.. Ce n 'est qu'à cette condition qu'il sera vraiment l'outil
scola~reque nous attendons.
Le projecteur s. colaire simple !)t pratique devra être bon marché. Nous pourrions en situer le prix actuellement aux environs de 30.000 francs. ·
Qu'on ne se récrie pas. Nous disons que :la chose est possible. _C'est par. ce que le problème n'a jamais été posé sous cette forme pratique que nul n'en a cher. ch. é la solution.
4° DES FILJr[S.
Un projecteur sans film val•a,Qle, c'est comme une presse sans caractères, corrnne ·un livre écrit en caractères étrangers.
Le cinéma scolaire suppose des films répondant aux pesoins actuels de notre pédagogie . . C'est là une vérité d'une év).dence enfantine.
Il faudrait naturellement connaitre et faire con- naître nos besoins . . Ce serait relativement facile. Il nous faudrait:
- des films documentaires, apportant une ré- ponse vivante aux questions di.verses que se posent les enfants. Notre collectJ.on BIBLIO- THEQUE D.E TRAVAIL peut donner une idée
·de ces besoins ; ·
- des films de travail, montrant comment se construisent 'des o,Qjets, cdmment s 'effectuent
-des constructions ou des expériences ;
- des films scientifiques ;
- des films géographiques ; - des films historiques ;
- des . films montrant la vie des enfants et de
leurs parents dans les divers pays, etc ...
Les films que nous pourrions appeler récréatifs, pourraient continuer
à fa~rel'objet de séances
col~lectives en .35 m/m ou 16 m/m parlant (les films d'enseignement pourraient être muets. Ils auvaient avantage
àêtre en couleurs). ·
5° Les films participeraient aux échanges comme
!es journaux scolaires. Ils seraient dans ce domaine d'un intérêt inégalable.
6° Une organisation de production, de location et de vente prévue dans le cadre régional ou local.
Nous connaissons l'objection : Prévision utopique parce que beaucoup trop chère .
Cela dépend de l'intérêt qu'y porteront parents et éducateurs. Si ceux-ci le ·veulent bien, le rêve
deviendva réalité . ·. .
Lorsque,
ily a 70 ans, les classes primaires n'avaient pour outil de travail que quelques «ma- nuscrits» (pas même un par élève), on aurait crié de même
àl'utopie si on aviait pu prédire pour le milieu du siècle un gros sac de livres pour chaque écolier.
· La même évolution doit nous conduire
à!'- Utilisa- tion pédagogique efficiente du cinéma scolaire.
Nous précisons cependant en terminant que le cinéma ne peut pas et ne doit pas .devenir comme le seul moyen d'enseignement ; les livres enseignent les mots, le cinéma impose des images qui ne sont jamais qu'un ersatz de vie. .
Nous n'oublierons pas qu'une bonne éducation suppose d'abord expression et création personnelles dans une atmosphère de recherches permanentes et d'expériences. L'Education primaire doit être assise d'abord dans le milieu et dans la vie du milieu que nous continuerons
àplacer au centre de notre effort éducatif. Le cinéma apportera, tout comme le fichier ou la Bibliothèque de travail, mais sous une forme éminemment prenante, les matériaux, les informa, tions et les techniques qui contribueront
àél,a:rgir notre horizon, et porteront à l'écP,elle du monde une culture ·dont nous n'aurons pas négligé les inéluc-
tables fondements. ·
Nous souhaiterions que le Congrès prenne nette- ment position sur ces problèmes techniqùes du cinéma au premier degré, et qu'il attire l'attention des intéressés sur la nécessité · où nous sommes de rattraper un retard flagrant, et de réaliser pour l' a Société de 1955 !'Ecole ;Moderne de 1955.
C. FREINET .
... .- ... .
· coNCRÈS INTERNATIONAL DE FILMOLOGIE Paris 19-23 février 1955
Un grand Congrès internati11nal de filmologie, organisé par l'Institut de filmologie de l'Université de Paris et groupa.nt plus de 14 Nations (France, Angleterre, U.S,A., Australie, Italie, Belgique, Suisse, Brésil, Tchécoslo-9'a- quie, Pologne, etc ... ) s'est réuni du 19 au 23 février, à la Sorbonne, à Paris.
De J>.autes personnalités universitaires, et de nombreux savants avaient répuniliu aux invitations. Et Freinet avait présenté, à la demande des organisateurs, Ùn rapport c11neema.nt : « Le· cinéma outil de travail à l'Ecole · Mo- deme 11..
Neuf .groupes se sont réunis, d'abord sé!)arément, du-
rant deux jours, puis des séances de synthèses eurent lieu durant deux jours encore, enfin les séances de clôture tentèrent de résumer la somme immense de connaissances qui furent développées durant ces . mrnées de travail
Il est impossible de rendre compte en entier ici de tous les travaux ni· même d'en énumérer les titres,· tant furent nombreu5es et diverses les études entreprises p·ar les 400 participants. Une énorme publica.tfon verra le joui· bientôt et J.es camarades intéressés pourront alors en prendre connaissance dans le détail et nous demander toute documentation complémentaire.
>•
L'EDUCATEUR 9
Nous avo_ns surtout suivi les ti·avaux du grnupe IV, où, sous la direction de Monsieur Lefranc, Directeur des Services cinématographiques du Ministère de l'Education Nationale, nous pouvions surtout étudier tous les pro- blèmes se rapportant aux films pour l'enseignement et aux rapports du cinéma avec la pédagogie : et Qui aurait pu ·imaginer combien de problèmes les savants ont pu soulever avant de réaliser le film pour l'enseignement ?
L'ordre du jour comportait :
- Structure filmique et rendement pédagogique.
- Compréhension du schéma animé par l'enfant.
- Le complexe audio-visuel : pr&blèmes 110sés riar le film sonore.
Seule, la présence de Freinet aurait pu faire admettre peut-être, les idées émises par lui au sein de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne : car le congrès fut loin d'admettre les conclusions auxquelles nos expériences ont pu nous conduire.
La grosse majorité des participants soutint, au contraire, que le cinéma est destiné à apporter à l'enseignement (traditionnel) une puissante motivation pour toutes les matières d'enseignement et refusa au film le rôle d'outil simple apportant dans nos classes modernes les docu- ments indispensables à une culture nouvelle.
Nous n'oublierons pas qu'une bonne éducation suppose d'abord expressicm et création personnelles dans une atmosphère de recherches permanentes et d'expériences. ,, Un participant sentit la nécessité de poser différem- ment le problème en rappelant :
"Le but de !'Enseignement sera toujours le même-: il consiste à transmettre par le moyen de la parole des
·conna-issances passant de l'esprit du Maître dans celui
de l'élève. »
Il n'est question, oons l'esprit des Universitaires, que de soumettre le cinéma au domaine de la salive et au régime des leçons ex-cathédra : le bon film devra exposer, puis deuxièmement explique1· et troisièmement résumer et rabâcher des principes à retenir. Le ,problème est alors de savoir si le Maître doit intervenir avant ou après la projection.
Quand nous avons dû intervenir .. pour informer les savants que les instituteurs ne croyaient pas avoir besoin de films pour l'enseignement de la morale - surtout comme ceux présentés au Festival de Venise du film pour enfants - mais bien plutôt des films documen- taires spécialement conçus pour les enfants et qui répon- dent aux questions posées par les enfants.
et quand nous avons dit qu'à la parole nous préférerions la couleur, nous fûmes alors parmi une minorité en opposition avec l'ensemble du Congrès.
L'Ecole traditionnelle voit certes dans le film la base essentielle de son enseignement,
Pourtant aucune étude p-ratique ne fut abordée : elles n'étaient pas à l'ordre du jour : ni l'étude de la produc- ticm et de la dist1ibution des films,
m
celle du projec- teur, alors que nous posons toujours le même slogan :« Un projecteur par classe ». Pas d'argent : est la seule réponse.
La discussion s'éga-ra souvent, car chaque savant ap- porte son opinion et son intuition et rarement ses expé- riences. Comment des expériences poui-raient-elles être conduites puisque le vrai cinéma pour !'Enseignement n'existe pas encore ?
Cependant n'oublions pas que toutes ces confronta- tions sont très utiles : la filmologie est une science tonte neuve qui ne possède pas encore de cadre solide ponr se maintenir. dans la vraie voie. Et nous ne pouvons pas oublier tous les efforts louables développés par l'Institut de filmologie die l'Université de Paris. C'·est en effet cet organisme qui organisa l'an passé, en collaboration avec le Centre International de !"Enfance, le Concours Inter- national -du film récréatif pour Enfants où notre film
« Six petits enfants allaient chercher des· figues l> put obtenir le Premier Prix de sa catégorie, après nne sélec- tion minutieuse et scientifique devant un public enfantin.
Ce film, jusque là décrié pa.r un public - souvent constitué uniquement d'adultes - qui n'a.vait pas compris les problèmes spéciaux que posaient le film destiné aux enfants, a pu ainsi justement atteindre à ce qu'on pou_
vait attendre de lui et prendre le départ pour une car- rière qu'on semblait vouloir lui refuser d'emblée au départ.
Nous sommes ainsi une des seules productions ayant à ce jour tenté l'expérience du réel film pour enfants.
Nous présenterons par ailleurs un rapport détaillé et reprenant les points ·inscrits à l'ordre du jour de ce Congrès et destîné plus spécialement aux membres de la Commission. Cinéma de l'l.C.E.M. et sans doute qu'à la lueur des enseignements puisés dans ces assises nous pourrons plus sûrement faire démarrer les productions que nous attendons dans ce domaine :
les films fixes en couleurs,
et peut-être les bandes animées qui seront les véri- tables premiers pas du cinéma pour l'Enseignement adapté à nos classes modernes.
Michel-Ed- BERTRAND.
111111111111111111111111111111i1111 il l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l l 1111111111111111111111111111111111111111111i1111~!i1111111111111111i1111111111111i11i11i11111111111111111
LA TÉLÉVISION ... A
Après trois années d'expériences dans nos classes et alors que la Télévision intéresse un nombre crois sant d'écoles, il nous a paru opportun de dégager les données essentielles qui pourraient servir de base aux travaux de la Commission du Oongrès d'Aix.
Nous avons pu nous rendre compte que la Télé- vision allait devenir le plus puissant des moyens d'éducation populaire, tant pa1 son prix de revient relativement bas et sa commodité d'emploi, que par le fait qu'elle peut toucher instantanément un public considérable.
:Mais ce qui fait l'originalité dè la Télévision, ce qui lui permet d'être la plus puissante des techni- ques d'éduoation populaire, c'est qu'elle peut utiliser simultanément ou successivement toutes les autres techniques audiocvisuelles (cinéma, radio, disque, magnétophone, vue fixe). On ne peut d'ailleurs nier l'attrait qu'elle exerce, tant auprès des enfants que des adultes.
Mais si la Télévision peut utiliser toutes les
L'ÉCOLE MODERNE
...
-autres techniques audio-visuelles, elle peut rarement les remplacer complètement. La Télévision n'est pas à 1-a disposition de l'éducateur. Elle s'impose et s'impose à heure fixe. Ce n'est que dans la mesure où elle fait entrer la Vie dans la classe, comme la font entrer le texte libre, l'enquête et les échanges interscolaires que la TélévisiOii a sa place dans l'Ecole Moderne
Son utilisation dans nos c'.asses est cornplexe et pose un triple problème :
- Le contenu des émissions.
~ Le m.ontage des émissions. - L'exploitation de ces émissions.
©®©
On comprendra combien le choix du contenu de l'émission est important puisqu'il doit former l'os- sature d'un complexe d'intérêt que nous aurons à exploiter.
Ce contenu, nous pensons le trouver dans les trois sources suivantes, d'ailleurs interdépendantes :