R EVUE DE STATISTIQUE APPLIQUÉE
P. F ERIGNAC
Des surprises d’un échantillonnage
Revue de statistique appliquée, tome 9, n
o4 (1961), p. 97-100
<
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DES SURPRISES D’UN ÉCHANTILLONNAGE
P. FERIGNAC
Statisticien
I -
TOLERANCES.
Le chrome
métallique
pur est utilisé enalliage
dans ungrand
nombrede fabrications
métallurgiques spéciales
telles que résistancesélectriques, thermocouples,
outils de coupe, aubes deturbines,
... Il est livré enfûts,
de 200
kg environ,
concassé en morceauxpassant
à travers un crible dont la maille est de 25 mm. Un fût contient donc desparcelles
de toutes dimen- sionsdepuis
les finesjusqu’aux grains
de 25 mm.Le chrome est un métal cher
qui
doit satisfaire à desspécifications
strictes en vue de l’élaboration
d’alliages
de hautequalité
surlesquels
onest très
exigeant.
Enparticulier,
un consommateur de chrome demande àson fournisseur un métal dont la teneur moyenne en azote soit inférieure à
0,
1%.
Il y a lieu de remarquer que larépartition
de l’azote dans la massen’est pas en cause.
D’ailleurs,
bien que cetterépartition
ne soit pas uni- forme dans lelingot, qui pèse
environ 1tonne,
lemélange
des morceaux au cours des concassages et describlages
successifs tend àhomogénéiser
leproduit.
II -
CONTROLE.
Le fournisseur et son client se mettent d’accord sur une méthode d’ana-
lyse
commune afin d’éviter les écartssystématiques imputables
auprocédé
de
dosage.
Avant designer
le cahier descharges,
l’usineproductrice
dechrome,
soucieuse de tenir sesengagements,
contrôle l’azote dans sa pro- duction courante..Le chrome-métal sort des fours sous forme de
lingots cylindriques
d’environ lm de
diamètre, 0, 3
m de hauteur etpesant
à peuprès
1 tonne.Le métal est ensuite concassé dans un
broyeur
à machoires et un ouvriersoigneux prélève,
auhasard,
des échantillons sur des couléesprovenant
deplusieurs fours.
Il constitueainsi,
pourchaque coulée,
uneprise
d’essai d’environ 200 gqui
estenvoyée
au laboratoire. La matièrepremière
étantbien
mélangée
au cours desopérations
debroyage,
leprélèvement
étantréparti
au hasard dans la masse, on suppose que l’échantillon estreprésen-
tatif de la livraison.
Les teneurs en azote observées se situent toutes entre
0,
02%
et0,
06% .
Dans ces
conditions,
laproduction
étant conforme aux normes du cahier descharges (N 0,
10%),
la fourniture estacceptée.
98
III - LE PROBLEME. oIII. 1 - Dès les
premières livraisons,
des contestations s’élèvent : Les lots enlitige,
contrôlés àl’usine,
contiennent0, 04 %
d’azote alorsque le client trouve
0,
12%.
A la suite de ces
réclamations,
le contrôleur de l’usineproductrice
pensa que les
divergences pouvaient provenir
d’unmélange
insatisfaisant de la matièrepremière
au concassage : des concentrations élevées dans certainesrégions
dulingot pouvaient
êtreresponsables
des gros écarts observés sys-tématiquement
entre lesanalyses
à l’usine et chez le client.Pour vérifier cette
hypothèse,
le moded’échantillonnage
est modifié.Le
lingot
est cassé à la masse(opération facile,
le chromeprésentant
denombreux
plans
declivage), les
morceaux sont laissés à terre sans lesmélanger,
onprélève
50kg
de chromerépartis
aucentre,
sur lesbords,
en haut et en bas du
lingot.
Sur cepremier échantillon,
concassé enfrag-
ments inférieurs à 10 mm et
mélangé soigneusement,
on fait uneprise
d’essai d’environ 200 gqui
estanalysée
au laboratoire. aLe résultat est décevant : alors
qu’à
l’usine les teneurs en azote sont de l’ordre de0, 03 %,
le client trouve dans les échantillonsqu’il prélève
sur les mêmes livraisons des teneurs variant de
0, 08 %
à0, 12 %.
Le
problème
est ainsiposé : quel
est le facteur contrôlablesusceptible d’expliquer
les écartssystématiques
entre les résultats des deux laboratoires ?III. 2 -
Expérience.
Sans idée très
précise
sur la cause desdivergences observées,
onprocède
à desanalyses
sur des morceaux delingot répartis
selon leur gros-seur.
On constitue l’échantillon de la manière suivante : un lot de chrome est
concassé,
les morceaux sont classés en 3catégories,
gros morceaux, noisettes et fines. Sur chacune des troisclasses,
onprélève
un échantillon parquartage.
Cette méthodequi exige
une manutentionimportante
est fré-quemment
utilisée pourl’échantillonnage
des minerais : on étale la matièrepremière,
on lamélange soigneusement
à lapelle
et l’on enprélève
unquart ;
les mêmesopérations
sont conduites sur cette fraction etpoursuivies jusqu’à
laprise
finalequi
estenvoyée
aulaboratoire.
Le bulletin
d’analyse
donne les résultats suivants :Ces chiffres montrent que la teneur en azote e.st liée à la grosseur des morceaux, elle croft avec la finesse de la matière
première.
o La fra-gilité
du chrome cro3t avec sa teneur encomposés azotés,
d’oùl’explication
des résultats : les
fragments
lesplus
menus sont lesplus fragiles
etpré-
sentent donc la teneur la
plus
élevée en azote. oAfin de
préciser
cepremier
résultat on apoursuivi l’expérience
surles fines seules
qu’on
aconcassées, puis
tamisées et divisées en 4classes, d’après
la grosseur desgrains.
La finesse des tamis est mesurée par leRevue de Statistique Appliquée. 1961 - Vol. IX - N’ 4
nombre de mailles au pouce
linéaire,
elle varie donc dans le même sensque la mesure
indiquée.
o Sur les fines de même grosseur onopère
par quar-tages
de manière àprélever
un échantillon aussireprésentatif
quepossible .
Les résultats
d’analyse
sontindiqués
ci-dessus :Ces résultats confirment ceux
qui
ontdéjà
été obtenus en classantgrossièrement
les morceaux en gros, noisettes et fines. Ils mettent en évi- dence la liaison entrefragilité
et teneur en azote et la nécessité d’éliminerce facteur dans la constitution d’un échantillon
représentatif
de la teneurmoyenne en azote des
lingots.
Enconséquence,
laprise
pouranalyse
devraêtre
répartie
selon la grosseur desgrains,
leur distribution suivant d’aussiprès
quepossible
la distribution réelle dans le fût de métal concassé.Les
propriétés
mises en lumièreexpliquent
les contestations entre le fournisseur et son client : lepremier prélevait
uneproportion importante
de
grains
assez gros, les moinsfragiles
et donc de faible teneur enazote,
alors que le secondopérait
sur uneproportion trop
élevée de finesqui
pro- venaient desparties
lesplus fragiles
dulingot
et donc de haute teneur enazote. Ces modes
d’échantillonnage expliquent
les différences relevées dans lesanalyses
mais sont sansgrande
valeur pour l’estimation de la teneur moyenne enazote ;
chacune des estimations est entâchée d’erreursystéma- tique
du fait que toutes les classes de grosseur degrains n’y
interviennent pas avec unepondération
àl’image
de leurimportance
relative. mIII.3 - Nouvelles
consignes d’échantillonnage.
La méthode du
quartage
esttrop
onéreuse pour leproducteur
car elleest
appliquée
àchaque lingot.
On apréféré
une solutionplus mécanique qui
consiste à faire passer le chrome concassé dans une série de diviseurs à
riffles. Chaque appareil permet
avec un minimum de manutentions de diviser le lot de métal concassé en deux fractions à peuprès identiques quant
à leur’poids
et à leur constitution.Après
passage dans une séried’appareils
on adonc une bonne
représentation proportionnelle
de toutes les grosseurs dulingot
concassé.IV -
CONCLUSIONS.
Le
producteur
et sonclient, ayant
convenu d’une méthode d’échantillon- nage commune, leursanalyses
furent concordantes et ne soulevèrentplus
les contestations
pénibles
du début des livraisons. Cetterégularisation
desrelations est certainement très heureuse pour l’un et
l’autre.
L’exemple développé
illustre bien les difficultésqu’on
rencontre fré-quemment
dansl’échantillonnage
d’une marchandise en vrac.Lorsque
la carac-rétistique
dont on veut contrôler le niveau moyen est liée à unepropriété physique
de la matièrepremière,
il faut éliminer les variations dues à cettepropriété
parl’adaptation
d’une méthode deprélèvement appropriée.
Celan’est pas
toujours
facile. Dansl’exemple
que nousdécrivons,
la liaison entrela
fragilité
et la teneur en azote n’était passoupçonnée
au début des livrai-sons et il a fallu que les contestations
apparaissent
pour que ce facteur soit mis en évidence et finalement éliminé.100
Il
s’agissait
ici du contrôle de la teneur moyenne en azote deslingots.
Lorsque,
pour certains usages,l’homogénéité
de la masse estimportante,
il faut concevoir le contrôle à l’aide d’échantillons rationnels
aptes
à per- mettre dejuger
larépartition
de lacaractéristique
dans lelingot.
Dans
chaque
casparticulier,
enregard
du butpoursuivi,
une étudepréalable
minutieuse doit êtreentreprise :
elle est nécessaire pour une sainedéfinition de la
qualité
utile. oNous
ajouterons
que l’étude surl’échantillonnage
du chromequi
a misen évidence l’influence des
composés
azotés du chrome a conduit l’aciérie à mettre enplace
une méthode d’élaboration sousvide,
la teneur en azotepeut
être alors extrêmement faible. On obtient ainsi des
produits
dont la teneur moyenne en azote varie de0,005 %
à0, 015 %.
Les contestations initiales se sont donc traduites finalement par une
méthode
d’échantillonnage
valable et par desprogrès
notables dans la fabri-cation. Si elles ont
posé
unproblème,
sa solution fut doublement heureuse .Revue de Statistique Appliquée. 1961 - Vol. IX - N’ 4