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L’addiction au jeu, des jeux d’argent aux jeux vidéo

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Academic year: 2022

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Appel à textes pour le numéro 14

L’addiction au jeu, des jeux d’argent aux jeux vidéo

Pathologie du jeu ou construction sociale ?

Dossier thématique sous la coordination d’Aymeric Brody et Joël Billieux

Ce projet de dossier thématique fait suite à la publication en 2015 du troisième numéro de la revue Sciences du jeu portant sur la pratique des jeux d’argent. Dans le cadre de ce numéro, nous proposions de sortir du prisme de l’addiction – omniprésent dans la littérature scientifique sur les jeux d’argent – pour aborder cette pratique sous l’angle de la question du jeu, telle qu’elle fut définie par Jacques Henriot (1989). Loin de l’image stéréotypée et souvent négative que véhicule la pratique des jeux d’argent, c’est finalement la « passion ordinaire » (Bromberger, 1998) des joueur·se·s pour ces jeux qui était à l’honneur.

Si nous avions sans doute raison d’insister sur le caractère ordinaire de cette pratique, au regard de l’immense majorité des joueur·se·s pour qui les jeux d’argent sont des loisirs comme les autres, force est de reconnaître que nous sommes loin d’avoir fait le tour des questions que ces jeux soulèvent, au premier rang desquelles la question de l’addiction qui focalise en général l’attention des observateurs – en particulier celle des chercheur·e·s – et structure largement de nos jours notre représentation sociale des jeux d’argent. L’objectif de ce nouveau dossier thématique est précisément de renverser l’angle d’analyse pour aborder cette fois-ci la pratique de ces jeux sous le prisme de l’addiction, cette relation de dépendance au jeu que Freud (2011) décrit comme une « passion pathologique ».

Depuis Freud, l’addiction aux jeux d’argent a été reconnue comme une pathologie à part entière jusqu’à apparaître en 1980 dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) de l’Association américaine de psychiatrie (APA). Le « jeu pathologique » (pathological gambling) y est alors défini comme cette « impossibilité de résister aux impulsions à jouer et à un comportement de jeu qui compromet, gêne ou désorganise les objectifs personnels, familiaux ou professionnels. » (APA, 1983, p. 315) Aujourd’hui, le DSM classe ce « trouble lié à l’usage des jeux d’argent » (gambling disorder) parmi les « troubles addictifs » aux côtés des « troubles liés à la consommation de substances psychoactives » comme l’alcool ou la drogue (APA, 2013), ce qui témoigne de la reconnaissance progressive de cette catégorie nosologique parmi les addictions dites comportementales (Varescon, 2009).

Suivant un processus similaire, la dépendance aux jeux vidéo – notamment sur internet – fait à son tour l’objet d’une reconnaissance scientifique et institutionnelle en tant que trouble addictif, malgré un certain « chaos conceptuel » (Deleuze, Maurage, De Timary & Billieux, 2016) et des discussions encore très vives quant à l’existence d’une telle pathologie. Si le DSM hésite encore à intégrer le « trouble de l’usage du jeu (vidéo) sur internet » (internet gaming disorder) parmi les

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« troubles addictifs » – le reléguant pour l’instant en annexe du manuel –, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a pour sa part introduit le « trouble du jeu vidéo » (gaming disorder) dans sa nouvelle Classification internationale des maladies (CIM-11). Quoi qu’on pense de cette classification, il convient de prendre acte de ce processus de « pathologisation » du jeu qui ne concerne plus seulement l’addiction aux jeux d’argent (Castellani, 2000 ; Martignoni, 2011) mais aussi aux jeux vidéo, aux jeux en ligne, ou encore aux jeux de société, aux jeux de rôle et à toutes pratiques ludiques dont on peut penser qu’elles suscitent une certaine forme de dépendance. On peut alors se poser la question suivante : l’addiction au jeu relève-t-elle d’une pathologie du jeu, au sens où il s’agirait d’une maladie spécifique à la pratique même du jeu – quel que soit le jeu concerné –, ou d’une construction sociale visant précisément à définir la dépendance au jeu comme une maladie spécifique ? Autrement dit, doit-on prendre au sérieux cette pathologie de l’addiction au jeu ou la déconstruire ?

Évidemment, la réponse à cette question ne saurait être simple et définitive. Quand bien même il conviendrait de considérer l’addiction au jeu comme une catégorie socialement construite, doit- on pour autant faire abstraction des réalités sociales et des souffrances psychiques qui s’expriment parfois à travers le langage de l’addiction ? Certes, les joueur·se·s qui souffrent d’addiction ou de dépendance (quel que soit d’ailleurs le terme utilisé pour qualifier cette souffrance) paraissent ultra-minoritaires au regard de la masse des joueur·se·s qui font de la pratique du jeu une passion ordinaire1, mais comment nier leur existence ? Comment faire fi de leur expérience ? Au contraire, nous proposons de considérer ces joueur·se·s et leur expérience du jeu – aussi « extra-ordinaire » soit-elle – comme ayant beaucoup à nous apprendre sur le jeu lui-même. Telle est l’idée-force de ce numéro thématique : aborder l’addiction au jeu du point de vue des joueur·se·s comme une modalité de l’expérience du jeu.

Pour ce faire, nous souhaitons solliciter des contributions issues de différentes disciplines, comme nous y invite les sciences du jeu : « La chose ainsi nommée relève à la fois d’une analyse historique, sociologique, ethnologique et d’une étude s’inspirant (tout en prenant ses distances à leur égard) des méthodes de la psychologie » (Henriot, 1989, p. 158). Nous insistons ici tout particulièrement sur la nécessité d’intégrer des approches psychopathologiques et/ou neuropsychologiques, étant donnée la place centrale qu’elles occupent dans le champ des gambling studies. Mais nous souhaitons non moins promouvoir d’autres approches disciplinaires se rattachant au cadre général des études anthropologiques (sociologie, ethnologie, histoire, philosophie, sciences de l’information et de la communication, lettres…) afin d’envisager cette question de l’addiction au jeu sous des angles différents et complémentaires.

Plusieurs entrées thématiques, non exclusives d’autres approches possibles, sont proposées aux auteur·e·s :

Le processus de pathologisation du jeu : des approches socio-historiques pourraient ici venir éclairer la façon dont la thématique de l’addiction au jeu est apparue comme un « jeu de langage » permettant de décrire sous un angle psychopathologique une réalité qui a longtemps été et qui est encore envisagée comme un problème d’ordre moral. Le

1 Concernant la pratique des jeux d’argent, la prévalence du « jeu pathologique » serait par exemple de 0,4% en France (INPES, 2010) comme en Belgique (VAD, 2017).

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développement de l’industrie et de la pratique du jeu pourrait permettre de contextualiser ce processus de pathologisation qui s’accompagne, dans le cas des jeux d’argent, d’une forme de responsabilisation tant des opérateurs de jeux (Mangel & Trespeuch, 2009) que des joueur·se·s (Marionneau, 2016).

Les paradigmes de l’addiction au jeu : de façon réflexive et/ou critique, il s’agirait ici de dégager les différents paradigmes scientifiques qui concourent à la définition, à la compréhension et/ou au traitement de l’addiction au jeu. Les travaux s’inscrivant dans cet axe pourraient par exemple resituer les différents courants de la psychopathologie du jeu en fonction des modèles explicatifs qu’ils proposent ou distinguer les approches qui reposent sur l’idée d’une rupture entre le « jeu normal » et le « jeu pathologique » et celles qui s’appuient sur l’idée d’un continuum, « entre tenants de la "maladie", et tenants d’un "style de vie" » (Valleur & Bucher, 2006 : 90).

Les représentations de l’addiction au jeu : nous savons combien certaines figures littéraires – en particulier celle de Dostoïevski – ont influencé l’histoire des idées scientifiques comme notre représentation sociale de l’addiction au jeu. Comme l’a bien montré Natalia Leclerc (2015), le joueur d’argent est un personnage récurrent dans la littérature, souvent dépeint sous les traits de l’aliénation, de la solitude et de la vanité. Sans doute pourrions-nous observer ce même personnage romanesque au théâtre, au cinéma ou encore à la télévision. Plus largement, c’est la place du « joueur pathologique » dans notre imaginaire collectif et nos représentations du jeu qui mériterait d’être analysée dans ce troisième axe du dossier.

Les pratiques de l’addiction au jeu : quelle que soit l’approche disciplinaire privilégiée, l’intérêt serait enfin porté aux pratiques du jeu, aux usages et aux comportements des joueur·se·s considéré∙e·s comme problématiques. Différents aspects du problème pourraient être abordés, comme la question de perte de contrôle qui est généralement considérée comme un facteur décisif dans le développement de l’addiction au jeu, sans être pour autant l’unique mécanisme psychologique en jeu (Billieux & Van der Linden, 2010).

D’où la nécessité d’envisager le problème dans une perspective multifactorielle et dynamique qui inclut notamment des facteurs psychologiques, situationnels et sociodémographiques dans la mesure où ils participent au développement et au maintien des comportements d’addiction. La question de la socialisation au jeu pourrait également être prise en compte pour comprendre la trajectoire de ces joueur·e·s, que ce soit dans une perspective psychologique ou sociologique (Brody & D’Agati, 2018). Enfin, la question du diagnostic clinique ou de l’étiquetage des joueur·e·s pourrait aussi bien faire l’objet d’une réflexion théorique que d’une analyse empirique.

Organisation scientifique

La réponse à cet appel se fait en deux temps.

Dans un premier temps, les auteur∙e·s désirant répondre à cet appel peuvent envoyer aux responsables du dossier une proposition n’excédant pas 5000 signes avant le 1er avril 2019. Les responsables du dossier leur répondront quant à l’adéquation de celle-ci au projet.

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Dans un deuxième temps, qu’ils∙elles aient ou non soumis une proposition préalable, les auteur∙e·s envoient leur article aux responsables du dossier ainsi que les éléments demandés en fichier joint au format RTF ou DOC (le nom du fichier est le nom de l’auteur).

Ce fichier est composé des éléments suivants :

 le titre de l’article et le nom des auteur·e·s avec leur rattachement institutionnel ;

 un résumé de 1000 signes, espaces compris, en français et en anglais ;

 une liste de mots-clefs (5 à 8) en français et en anglais ;

 l’article, d’une longueur de 25 000 à 50 000 signes, espaces compris, devra respecter les consignes aux auteurs : https://journals.openedition.org/sdj/344. Une autre version de l’article, entièrement anonyme (références, nom de l’auteur, etc.), devra également être jointe pour évaluation ;

 une courte biographie des auteur·e·s.

Ces documents sont envoyés par courrier électronique à Aymeric Brody (aymericbrody@yahoo.fr) et Joël Billieux (joel.billieux@uni.lu), le 30 septembre 2019 au plus tard.

Calendrier

 1er avril 2019 : date limite pour soumettre une proposition (phase facultative)

 30 septembre 2019 : date limite de réception des articles

 15 décembre 2019 : avis aux auteurs des articles après expertise en double aveugle

 15 février 2020 : date limite de remise de la 2e version des articles

Bibliographie

APA (1983) 1980, DSM-III : Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, traduction by Pierre Pichot, Paris : Masson.

APA (2013), DSM-V: Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Washington DC, American Psychiatric Association.

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https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2010-1-page-45.htm.

BRODY A. & D’AGATI (2018). Apprendre à jouer à un jeu d’argent : comparaison entre les processus de socialisation des joueurs de poker en France et des parieurs sportifs en Italie.

Colloque Pratiques sociales et apprentissages, EXPERICE, Université Paris 8, Saint-Denis, 8-9 juin : https://hal-univ-paris13.archives-ouvertes.fr/hal-01692172/document.

BRODY A. (2015). Pour une approche du gambling en termes de jeu, Sciences du jeu, n°3 : http://sdj.revues.org/465.

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Références

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