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Les dispositions contestées et l’origine de la QPC A

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Commentaire

Décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014 Mme Jalila K.

(Perte de la nationalité française par acquisition d’une nationalité étrangère – Égalité entre les sexes)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 octobre 2013 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1226 du même jour), d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), posée par Mme Jalila K. et relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de « l’article 87 de l’ordonnance no 45-2441 du 19 octobre 1945 et l’article 9 de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 issu de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954 ».

La QPC portait en réalité sur l’article 87 du code de la nationalité, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de l’ordonnance du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française, et sur l’article 9 de cette même ordonnance, dans sa rédaction résultant de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954.

Dans sa décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « du sexe masculin » figurant à l’article 9 de l’ordonnance du 19 octobre 1945. Tout en précisant que cette déclaration d’inconstitutionnalité était immédiatement applicable, y compris dans les affaires en cours, il a limité la portée rétroactive de cette déclaration d’inconstitutionnalité.

En outre, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution le surplus de l’article 9 de l’ordonnance du 19 octobre 1945 ainsi que l’article 87 du code de la nationalité dans la version qui lui avait été renvoyée.

I. – Les dispositions contestées et l’origine de la QPC A. – Historique des dispositions contestées

La perte de la nationalité est le passage de la qualité de Français à celle de non Français. « C’est un changement non rétroactif de nationalité comme l’est, en sens inverse, l’acquisition de la nationalité »1.

1 Paul Lagarde, La nationalité française, Dalloz 2011, § 40.02.

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1.°– La perte de la nationalité à raison de l’acquisition d’une autre nationalité

– Le code Napoléon énumérait, à l’article 17, les causes de perte de la qualité de Français. La première d’entre elles était « la naturalisation acquise en pays étranger ». En 1804, la notion de « naturalisation » désignait tout changement volontaire de nationalité, même lorsqu’il ne résulte pas d’un processus de

« naturalisation » au sens strict. La loi sur la nationalité du 26 juin 1889 a retenu une rédaction plus exacte en désignant le Français qui « acquiert, sur sa demande, la nationalité étrangère ».

L’ordonnance n° 45-2241 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française a procédé à une refonte du droit de la nationalité en le retirant du code civil (avant qu’il n’y soit réintroduit en 1993). L’article 87 du code de la nationalité résultant de l’article 1er de cette ordonnance a repris le principe énoncé au 1° de l’article 17 en disposant : « Perd la nationalité française le Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ». C’est dans cette rédaction que cet article était déféré au Conseil constitutionnel dans le cadre de la présente QPC. Ce cas de perte de plein droit de la nationalité française traduit à la fois une sanction à l’égard de ceux qui se placent sous l’allégeance étrangère2 et un droit à l’expatriation. Il a également pour objet d’éviter les doubles nationalités.

– Les préoccupations de la défense nationale et la crise des effectifs après la défaite de 1870 ont conduit le législateur, par la loi du 26 juin 1889, à rendre moins systématique la perte de la nationalité française en cas d’acquisition d’une nationalité étrangère. Cette loi, contemporaine de la généralisation de la conscription3, a en effet donné à l’article 17 du code civil une nouvelle rédaction comprenant un deuxième alinéa aux termes duquel : « s’il est encore soumis aux obligations du service militaire pour l’armée d’active, la naturalisation à l’étranger ne fera perdre la nationalité de Français que si elle a été autorisée par le gouvernement français ». Il s’agissait d’éviter que l’expatriation ne constitue une manière d’échapper à la conscription.

Le délai pendant lequel la perte de nationalité est soumise à une autorisation du Gouvernement et son mode de calcul ont varié : il dépendait des règles militaires jusqu’à la loi du 10 août 1927 sur la nationalité qui l’a fixé à 10 ans. Le décret du 9 mars 1940 relatif à la perte de nationalité française par naturalisation à l’étranger imposa une autorisation du Gouvernement pour tous les hommes de moins de cinquante ans.

2 Le décret du 26 août 1811 punissait de la confiscation des biens et de la perte des droits civils le Français qui se faisait naturaliser à l’étranger sans autorisation.

3 La loi Freycinet du 15 juillet 1890 sur le recrutement de l’armée instituant le service militaire obligatoire a généralisé un service militaire obligatoire et universel.

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L’ordonnance du 19 octobre 1945 a fixé, à l’article 88 du code de la nationalité, un délai de 15 ans. Toutefois, ces dispositions ne sont entrées en vigueur que le 1er juin 1951 et ont été remplacées en 1954 par des dispositions partiellement rétroactives.

En effet, pendant une période de cinq années à compter de la date de cessation légale des hostilités 4, l’article 9 de l’ordonnance du 19 octobre 1945 se substituait à l’article 88 du code de la nationalité française et maintenait en vigueur le délai du décret du 9 mars 1940 (l’âge de cinquante ans).

Dès avant l’expiration de cette période transitoire, le Gouvernement avait déposé un projet de loi visant à rétablir et à pérenniser le dispositif transitoire de l’article 9. Ce projet de loi n’avait pu être adopté sous la législature en cours et un nouveau projet, accompagné d’un dispositif transitoire partiellement rétroactif, avait été adopté avec la loi n° 54-395 du 9 avril 1954.

C’est cette rédaction de l’article 9 qui était contestée par la présente QPC. Ses deux premiers alinéas disposent : « Jusqu’à une date qui sera fixée par décret, l’acquisition d’une nationalité étrangère par un Français du sexe masculin ne lui fait perdre la nationalité française qu’avec l’autorisation du Gouvernement français. – Cette autorisation est de droit lorsque le demandeur a acquis une nationalité étrangère après l’âge de cinquante ans ». Le dispositif originel de l’article 9 de l’ordonnance de 1945 a donc été repris à une nuance près : non seulement le Gouvernement peut s’opposer à la perte de nationalité pour les hommes de moins de cinquante ans, mais, désormais, tous les hommes qui acquièrent une nationalité étrangère ne perdent la qualité de Français que sur leur demande. Il n’y a donc plus de perte de la nationalité de plein droit pour un Français de sexe masculin qui acquiert une autre nationalité.

Les travaux parlementaires de la loi du 9 avril 1954 soulignent en effet que deux objectifs étaient poursuivis par cette modification. Il s’agissait, d’une part, selon les termes de l’exposé des motifs du projet de loi initial, d’instaurer une mesure transitoire dans « l’intérêt de la défense et de la reconstruction nationale » et, d’autre part, en reprenant une revendication du Conseil supérieur des Français de l’étranger, de garantir le rayonnement économique et culturel de la France en évitant que les Français de l’étranger ne soient contraints de perdre la nationalité française en raison de lois étrangères qui leur imposent de prendre la nationalité du pays où ils résident. L’avis de M. Ernest Pezet pour la commission des affaires étrangères du Conseil de la République mentionne cette « autre raison » : « l’accélération du recul des effectifs de nos colonies françaises dans un grand nombre de pays, par suite de pressions directes ou indirectes, légales

4 La loi n° 46-991 du 10 mai 1946 a fixé la date légale de cessation des hostilités au 1er juin 1946 pour l’exécution des lois, décrets et contrats.

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ou réglementaires qui, s’exerçant sur les étrangers, les contraignent parfois en droit, plus souvent en fait, à prendre la nationalité du pays de résidence. Faute de quoi, ils éprouveraient de très graves difficultés pour continuer d’y travailler ; faute de quoi même, en certains cas, ils seraient pratiquement contraints de renoncer à y séjourner, perdant ainsi le fruit de leur labeur et compromettant la sécurité de leur avenir personnel et familial ».

Le décret mettant fin à la période « transitoire » prévu par l’article 9 de l’ordonnance n’est jamais intervenu et cet article n’a cessé de s’appliquer qu’avec l’entrée en vigueur de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 complétant et modifiant le code de la nationalité française et relative à certaines dispositions concernant la nationalité française.

Cette dernière loi a, d’une part, fait disparaître les hypothèses dans lesquelles la perte de la nationalité française à raison de l’acquisition d’une autre nationalité revêt un caractère automatique et, d’autre part, supprimé toute distinction entre les hommes et les femmes au regard des règles de perte de la nationalité.

L’article 87 du code de la nationalité réformé en 1973 a été abrogé par l’article 50 de la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité et re-codifié à l’article 23 du code civil. Il dispose désormais que

« toute personne majeure de nationalité française, résidant habituellement à l’étranger, qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ne perd la nationalité française que si elle le déclare expressément ».

Une distinction entre les hommes et les femmes dans le droit de la nationalité demeure virtuellement dans le code civil : l’article 23-2 du code civil dispose que les Français de moins de trente-cinq ans ne peuvent souscrire la déclaration qui conduit à la perte de la nationalité française que « s’ils sont en règle avec les obligations du livre II du code du service national ». Toutefois, les dispositions du livre II du code du service national sont « suspendues » depuis la loi n° 97- 1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national.

Sur le plan statistique, les travaux parlementaires de la loi du 9 janvier 1973 fournissent les chiffres du nombre de décrets de perte de la nationalité française pris en application tant de l’article 9 de l’ordonnance du 19 octobre 1945 (sans que soit distingué l’âge du requérant) que de l’article 91 (applicable au mineur de nationalité étrangère demandant à perdre la qualité de Français) :

Année 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 Pertes de

nationalité

358 438 419 454 444 568 411 790 711 834 959 926

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2. – Le droit applicable à une Française qui épouse un étranger

L’appréciation de la portée des dispositions contestées nécessite un rappel du droit applicable à une Française qui épouse un étranger.

L’article 19 du code Napoléon disposait qu’une « femme française qui épousera un étranger, suivra la condition de son mari ». L’article 12 imposait la même règle à l’étrangère qui épouse un Français. L’unité de la nationalité du ménage était assurée par la subordination du statut de la femme à celui de son mari.

La loi du 26 juin 1889 a précisé, à l’article 19 du code civil, que la femme française qui épouse un étranger « suit la condition de son mari » « à moins que son mariage ne lui confère pas la nationalité de son mari, auquel cas elle reste Française ». Le code Napoléon avait en effet négligé le fait qu’on peut épouser un apatride et que certaines lois n’accordent pas la nationalité à raison du mariage : il fabriquait donc des apatrides.

La loi du 10 août 1927 a abandonné le principe de l’unité de la nationalité dans le ménage pour renforcer l’indépendance des époux. Cette indépendance s’appliquait surtout à l’étrangère qui épousait un Français. Pour la Française qui épouse un étranger, cette indépendance est plus limitée (certains cas d’acquisition automatique de la nationalité subsistaient).

Le décret-loi du 12 novembre 1938 relatif à la situation et à la police des étrangers a supprimé les cas de changement automatique de la nationalité de la femme mariée et prévu que ce changement ne peut plus résulter que de la volonté de l’intéressée.

L’ordonnance de 1945 a repris l’état du droit résultant du décret-loi de 1938.

L’article 94 du code de la nationalité dispose : « la femme française qui épouse un étranger conserve la nationalité française, à moins qu’elle ne déclare expressément avant la célébration du mariage, dans les conditions et dans les formes prévues aux articles 101 et suivants [i.e. par déclaration devant le juge de paix], qu’elle répudie cette nationalité ». Par conséquent, une femme française qui se marie avec un étranger et qui acquiert pour cette raison la nationalité étrangère ne perd la nationalité française que si elle en formule le vœu.

Un ouvrage de 1973 précise le régime applicable. Il faut que « l’acquisition de la nationalité étrangère soit un effet direct du mariage. Il n’est pas nécessaire toutefois qu’elle se produise automatiquement, de plein droit. La loi étrangère peut exiger l’accomplissement de certaines formalités, telles qu’une manifestation de volonté de la femme, expresse ou tacite.

« En revanche, si le mariage permet seulement à la femme de bénéficier ensuite d’une naturalisation facilitée en lui offrant la possibilité d’obtenir sur sa demande, et postérieurement au mariage, la nationalité de son mari, comme

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c’est le cas en droit anglais ou américain notamment, la déclaration de répudiation de l’article 94 du code de la nationalité sera irrecevable. La femme (…) perdra la nationalité française à la date de l’acquisition de la nationalité étrangère, conformément à l’article 87 du code de la nationalité. »5

La jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de cassation a retenu une interprétation restrictive du champ d’application de l’article 94. Elle juge qu’une femme qui, après son mariage, formule en application de la loi nationale une déclaration d’acquisition de la nationalité de son mari doit être regardée comme une personne qui « acquiert volontairement une nationalité étrangère » au sens de l’article 87, et non une personne qui « acquiert ou peut acquérir la nationalité du mari » au sens de l’article 94. Ainsi, l’arrêt du 27 février 2013, juge « qu’ayant constaté que Mme Ilona Y..., qui s’était mariée avec un Tunisien en 1951 sans renoncer à la nationalité française, avait, avant la naissance de sa fille, volontairement acquis la nationalité tunisienne, exerçant alors la faculté ainsi ouverte à la femme étrangère à l’issue d’un délai de deux ans de résidence du ménage en Tunisie, la cour d’appel en a exactement déduit qu’en application de l’article 87 du code de la nationalité française, elle avait perdu le même jour la nationalité française qu’elle n’avait donc pu transmettre à sa fille »6.

S’agissant de la mise en œuvre pratique des dispositions de l’article 94 lors de la délivrance des certificats de nationalité française ou des contestations, la circulaire du Garde des Sceaux du 5 mai 1995 précise : « L’existence d’une déclaration souscrite en vertu de l’article 94 ancien du code de la nationalité française peut être vérifiée sur les listes publiées par le ministère chargé des naturalisations lorsque le mariage entre une Française et un étranger a été célébré entre le 19 octobre 1945 et le 31 décembre 1969 »7.

Depuis 1973, les effets du mariage sur la nationalité des époux sont les mêmes pour les hommes et pour les femmes. L’article 23-5 du code civil, qui reprend depuis 1993 les dispositions de l’article 94 du code de la nationalité modifiées en 1973, prévoit, en cas de mariage avec un étranger, la faculté pour le conjoint français de répudier la nationalité française à la condition, notamment, qu’il ait acquis la nationalité étrangère de son conjoint.

B. – Portée des dispositions contestées

Les dispositions de l’article 9 de l’ordonnance du 19 octobre 1945 dans sa rédaction résultant de la loi du 9 avril 1954 ont produit leurs effets pour la période allant du 1er juin 1951 (compte tenu de la rétroactivité) au 11 janvier 1973. Elles instaurent une double distinction.

5 B. Dutoit, La nationalité de la femme mariée, Volume 1 : Europe, Librairie Droz, Genève, 1973, pp. 102-103.

6 Cour de cassation, première chambre civile, 27 février 2013, n° 11-25952.

7 Circulaire n° 95-8/D3 du 5 mai 1995, relative à la délivrance des certificats de nationalité française, NOR : JUS C 95 20374 C.

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– D’une part, pour les hommes de moins de cinquante ans, le Gouvernement peut s’opposer à la perte de la nationalité française alors que, pour les hommes plus âgés, l’autorisation ne peut être refusée. Cette distinction, qui trouve sa source dans les liens entre les règles de la nationalité et celles du service militaire, n’est pas critiquée par la présente QPC.

– D’autre part, seuls les hommes, qu’ils soient ou non délivrés de leurs obligations militaires, sont soumis à la règle selon laquelle l’acquisition d’une nationalité étrangère n’emporte la perte de la qualité de Français qu’avec l’autorisation du Gouvernement. Les hommes ont donc la faculté, lorsqu’ils acquièrent une autre nationalité, de demander ou non de conserver la nationalité française. Une telle faculté n’est pas ouverte aux femmes qui perdent la nationalité française de plein droit dès l’acquisition de la nationalité étrangère.

Toutefois, dans la mesure où l’article 94 prévoit qu’en cas d’acquisition de la nationalité étrangère à raison du mariage, la femme ne perd la nationalité française que si elle le demande, les dispositions de l’article 9 instituent une différence non pas entre les hommes et les femmes mais entre les hommes et les femmes qui acquièrent une nationalité étrangère pour une autre cause que leur mariage avec un étranger.

Le professeur Paul Lagarde commente dans le même sens cette règle : « le résultat inattendu de cette condition [d’autorisation par le Gouvernement] a été que, désormais, les hommes avaient toute liberté de conserver leur nationalité tout en acquérant volontairement une nationalité étrangère, et sans que cette conservation de leur nationalité puisse s’expliquer par des raisons d’ordre militaire. Les femmes, au contraire, se voyaient privées de cette faveur et restaient seules soumises à la vieille règle figurant dans l’article 87 de l’ancien code de la nationalité »8.

Cette distinction entre les hommes et les femmes avait été mise en cause dès les débats parlementaires. Le 30 mars 1954 au Conseil de la République, M. Louis Namy avait dénoncé comme un faux alibi l’objectif affiché d’assurer le rayonnement culturel de la France : « s’il en était autrement, il n’y aurait aucune raison de limiter ce projet aux Français de sexe masculin. On sait qu’à l’étranger des femmes françaises font aussi rayonner la culture ou l’influence morale et économique de notre pays au même titre que les hommes ».

Le 19 octobre 1964, M. Maurice Schumann avait déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi « tendant à conserver aux femmes françaises la nationalité française dans les mêmes conditions que prescrit pour les hommes, la loi n° 54-395 du 9 avril 1954 ». Elle a été écartée en 1966 par la commission des Lois au motif qu’elle favorisait davantage la double nationalité.

8 P. Lagarde, Répertoire de droit international, Nationalité, Dalloz, juin 2012, § 344.

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C. – Origine de la QPC

La requérante, née en 1933 au Maroc, est titulaire d’un certificat de nationalité française qui lui a été délivré en 2001 par le greffier en chef du tribunal d’instance de Vanves sur le fondement du 1° de l’article 17 du code de la nationalité au motif qu’elle est née d’un Français (son père ayant été naturalisé en 1928) et qu’elle n’a pas répudié la nationalité française dans les conditions de l’article 94 du code de la nationalité à l’occasion de son mariage avec un ressortissant marocain.

Toutefois, en mars 2011, le procureur de la République de Paris a engagé une action négatoire contestant sa qualité de Française au motif qu’elle avait acquis volontairement la nationalité marocaine en 1959, plus de deux ans après son mariage, et que l’article 94 n’était pas applicable en l’espèce.

L’action du parquet est engagée sur le fondement de l’article 87 du code de la nationalité et la requérante a posé une QPC dénonçant, d’une part, cet article 87 et, d’autre part, l’article 9 de l’ordonnance de 1945 dans sa rédaction résultant de la loi de 1954.

Le choix de critiquer cet article 9, qui n’est pas applicable à la cause, s’explique par le grief invoqué par la requérante. Celle-ci met en effet en cause la différence de traitement entre les hommes et les femmes qui résulte de la combinaison de ces deux dispositions. Elle soutient que le principe d’égalité est méconnu.

Une QPC en tout point identique avait déjà été transmise en avril 2012 à la Cour de cassation. Elle était toutefois posée par une ressortissante tunisienne ayant acquis la nationalité de son mari par déclaration formée en 1962 et la Cour avait refusé de la renvoyer au Conseil constitutionnel au motif que les dispositions contestées n’étaient pas applicables au litige : « la solution du litige ainsi défini commande de faire application des seules dispositions de la Convention franco- tunisienne du 3 juin 1955, entrée en vigueur le 31 août 1955 »9.

D. – Conventions internationales

– En droit international, il convient de mentionner la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1979 et ouverte à la signature à New-York le 1er mars 1980. Le 1. de l’article 9 dispose :

« Les États parties accordent aux femmes des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne l’acquisition, le changement et la conservation de la nationalité. Ils garantissent en particulier que ni le mariage avec un étranger, ni le changement de nationalité du mari pendant le mariage ne change

9 Cour de cassation, première chambre civile, 5 juillet 2012, n° 12-40031, arrêt n° 973.

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automatiquement la nationalité de la femme, ni ne la rend apatride, ni ne l’oblige à prendre la nationalité de son mari. »

La France a ratifié cette convention10. Elle n’a fait ni déclaration ni réserve sur cet article 9.

– Par ailleurs, la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités, signée à Strasbourg le 6 mai 1963, prévoyait que l’acquisition de la nationalité d’un État partie par suite de déclaration expresse de volonté entraînait la perte de plein droit de la nationalité. Toutefois, la France avait ratifié cette convention en 196811 tout en ayant formulé une réserve aux termes de laquelle la déclaration souscrite par la femme en vue d’acquérir la nationalité du mari « au moment et par l’effet du mariage » ne constitue pas une option au sens de l’article 1er de la convention.

En tout état de cause, cette convention a été dénoncée par la France en 200912.

II. – Examen de la constitutionnalité des dispositions déférées

La requérante dénonçait uniquement le fait que la perte de la nationalité française liée à l’acquisition volontaire de la nationalité étrangère s’opérait de plein droit pour les femmes alors que, pour les hommes, elle ne se faisait qu’à la leur demande. N’étaient contestés ni la règle selon laquelle l’acquisition d’une nationalité étrangère fait en principe perdre la nationalité française ni le régime d’opposition à la perte de la nationalité applicable aux hommes en âge d’être soumis au service national.

A. – Jurisprudence du Conseil constitutionnel

Le troisième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaine, des droits égaux à ceux de l’homme ». Toutefois, la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d’égalité entre les sexes n’a quasiment jamais été rattachée à cette exigence constitutionnelle.

10 Décret n° 84-193 du 12 mars 1984 portant publication de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ouverte à la signature à New-York le 1er mars 1980 (JO du 20 mars 1984, p. 874).

11 Décret n° 68-459 du 21 mai 1968 portant publication de la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités du 6 mai 1963.

12 Décret n° 2009-362 du 31 mars 2009 portant publication de la dénonciation du chapitre Ier de la convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités, signée à Strasbourg le 6 mai 1963, et du deuxième protocole portant modification à la convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités, signé à Strasbourg le 2 février 1993.

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1. - Deux décisions abordant de manière périphérique l’égalité entre les sexes méritent d’abord d’être rappelées :

– dans sa décision n° 97-388 DC du 20 mars 1997 sur la loi créant les plans d’épargne retraite, le Conseil constitutionnel a écarté un grief d’incompétence négative au motif que « le principe constitutionnel d’égalité entre les sexes s’impose au pouvoir réglementaire, sans qu’il soit besoin pour le législateur d’en rappeler l’existence » (cons 13) ;

– dans sa décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 sur la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Conseil constitutionnel était saisi d’un grief d’inintelligibilité de la loi visant les dispositions de l’article 6-1 du code civil qui prévoient que le mariage et la filiation emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe, sans supprimer les références qui, dans ces textes, désignent les « père » et « mère » ou « le mari et la femme ». Le Conseil a écarté ce grief en prenant acte de ce « qu’à l’exception des dispositions du titre VII du livre Ier du code civil [i.e. la filiation biologique], les règles de droit civil, notamment celles relatives à l’autorité parentale, au mariage, aux régimes matrimoniaux et aux successions, ne prévoient pas de différence entre l’homme et la femme s’agissant des relations du mariage, des conséquences qui en résultent et des conséquences relatives à l’établissement d’un lien de filiation » (cons. 43).

2.- Avant la présente QPC, le Conseil constitutionnel n’avait jamais été saisi de griefs dénonçant l’infériorité de droits reconnus aux femmes. En revanche, il a examiné à de nombreuses reprises des dispositions tendant à favoriser la représentation des femmes dans diverses instances ou, plus précisément, à interdire une surreprésentation d’un seul sexe en leur sein.

C’est en se fondant sur l’article 3 de la Constitution (égalité des citoyens devant le suffrage) et sur l’article 6 de la Déclaration de 1789 (égalité devant la loi) que, se saisissant d’office, le Conseil constitutionnel a censuré dans sa décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982 l’institution d’une règle prohibant la présence de plus de 75 % de personnes de même sexe sur une liste de candidats aux élections municipales. Le Conseil a jugé que les principes constitutionnels évoqués « s’opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles » et, par conséquent, prohibent « une distinction entre candidats en raison de leur sexe »13.

Le Conseil constitutionnel ayant confirmé cette jurisprudence le 14 janvier 1999, en censurant une disposition qui instaurait « la parité » des candidats

13 Décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, cons. 5 à 8.

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d’une même liste14, le constituant a complété l’article 1er de la Constitution par une phrase aux termes de laquelle « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives »15.

Le Conseil constitutionnel a retenu une interprétation stricte de la dérogation ainsi apportée au principe d’égalité en jugeant qu’elle ne s’appliquait qu’aux élections et mandats politiques. Il a ainsi, en 2001, refusé l’application de règles favorisant la parité pour l’élection des membres du Conseil supérieur de la magistrature16 et pour la composition de jurys17. En 2006, il a fait de même pour la composition des organes dirigeants ou consultatifs des personnes morales de droit public ou privé18. Cette dernière décision présente la particularité, par rapport aux précédentes, d’être rendue non seulement sur le fondement des articles 1er et 6 de la Déclaration de 1789 et des articles 1er et 3 de la Constitution, mais également sur le fondement du troisième alinéa du Préambule de 1946. C’est la seule occurrence d’un contrôle sur le fondement de cet alinéa dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Le constituant est de nouveau intervenu en 2008 pour élargir l’habilitation donnée au législateur d’adopter des mesures en faveur de la parité. La dernière phrase de l’article 1er de la Constitution dispose désormais que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales »19.

Depuis, le Conseil constitutionnel a examiné notamment des dispositions qui imposaient une représentation paritaire des hommes et des femmes au sein du Haut conseil des finances publiques 20 et les a déclarées conformes à la Constitution.

Par ailleurs, le Conseil d’État interprète le second alinéa de l’article 1er de la Constitution comme instituant une réserve de compétence du législateur pour adopter les règles destinées à favoriser la parité, « tant dans les matières définies notamment par l’article 34 de la Constitution que dans celles relevant du pouvoir réglementaire en application de l’article 37 »21.

14 Décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999, Loi relative au mode d’élection des conseillers régionaux et des conseillers à l’Assemblée de Corse et au fonctionnement des Conseils régionaux, cons. 12.

15 Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes.

16 Décision n° 2001-445 DC du 19 juin 2001, Loi organique relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature, cons. 57 et 58.

17 Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 113 à 115.

18 Décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006, Loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, cons. 15.

19 Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

20 Décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012, Loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, cons. 43.

21 CE, Ass. 7 mai 2013, Fédération CFTC de l’agriculture, n° 362280.

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3. - Outre cette jurisprudence sur les mesures assimilables à une forme de

« discrimination positive » en faveur des femmes, la décision n° 2003-483 DC du 14 août 2003 sur la loi portant réforme des retraites présente une singularité.

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a examiné une différence de traitement instituée entre les hommes et les femmes en matière d’attribution des droits à retraite (majoration de durée d’assurance dont bénéficient les femmes affiliées au régime général ayant élevé au moins un enfant au cours de ses huit premières années). Le Conseil a d’abord jugé que « l’attribution d’avantages sociaux liés à l’éducation des enfants ne saurait dépendre, en principe, du sexe des parents ». Il a toutefois estimé « qu’il appartenait au législateur de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu’à présent été l’objet ; qu’en particulier, elles ont interrompu leur activité professionnelle bien davantage que les hommes afin d’assurer l’éducation de leurs enfants ; qu’ainsi, en 2001, leur durée moyenne d’assurance était inférieure de onze années à celle des hommes ; que les pensions des femmes demeurent en moyenne inférieures de plus du tiers à celles des hommes ; qu’en raison de l’intérêt général qui s’attache à la prise en compte de cette situation et à la prévention des conséquences qu’aurait la suppression des dispositions de l’article L. 351-4 du code de la sécurité sociale sur le niveau des pensions servies aux assurées dans les années à venir, le législateur pouvait maintenir, en les aménageant, des dispositions destinées à compenser des inégalités normalement appelées à disparaître »22.

Cette décision constitue l’unique cas dans lequel le Conseil constitutionnel a admis, par dérogation à sa jurisprudence initiée en 1982, qu’une situation de fait révélant une inégalité au désavantage des femmes pouvait justifier un avantage de droit ,à titre temporaire, destiné à le compenser.

Antérieurement aux modifications de la Constitution précitées et à la décision de 2003 sur les retraites, le Conseil constitutionnel jugeait qu’une distinction selon le sexe ne doit pas être analysée comme une différence de traitement qui doit satisfaire aux critères constitutionnels du principe d’égalité mais comme une discrimination interdite par la Constitution. Le sexe se rangeait parmi les discriminations que la Constitution prohibe absolument : origine, race, religion, croyance et sexe constituaient les cinq discriminations interdites.

La décision de 2003 a apporté une nuance à la rigueur de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de distinction selon le sexe et, postérieurement à cette décision, le Conseil constitutionnel n’avait pas eu l’occasion de préciser sa portée dans d’autres décisions.

22 Décision n° 2003-483 DC du 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites, cons. 24 et 25.

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Dans le même temps, la disposition déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2003 a été déclarée contraire à la Convention européenne des droits de l’homme par la Cour de cassation, qui a jugé « qu’il n’existe aucun motif de faire une discrimination entre une femme qui n’a pas interrompu sa carrière pour élever ses enfants et un homme qui apporte la preuve qu’il a élevé seul un enfant »23. En outre, s’agissant d’une disposition du régime de retraite de la SNCF qui prévoit la possibilité pour les agents féminins ayant eu trois enfants ou plus de bénéficier, sous certaines conditions, d’une pension à jouissance immédiate, le Conseil d’État a jugé

« qu’aucune autre disposition ne prévoit l’octroi d’avantages analogues sous les mêmes conditions aux agents masculins qui ont assuré l’éducation de leurs enfants ; qu’ainsi, les dispositions litigieuses introduisent une discrimination entre agents féminins et agents masculins qui n’est justifiée par aucune différence de situation relativement à l’octroi des avantages en cause et qui, par suite, est incompatible avec les stipulations précitées de l’article 141 du traité instituant la Communauté européenne, dont le quatrième paragraphe ne peut être interprété comme autorisant le maintien d’une telle discrimination »24. Le juge administratif admet toutefois que des différences de traitement puissent être fondées sur une différence objective de situation. La cour administrative d’appel de Paris considère ainsi qu’il existe une différence objective de situation, en ce qui concerne la taille, entre les hommes et les femmes, de nature à justifier que soit exigée des candidates au concours d’accès à l’emploi de gardien de la paix une taille minimum inférieure à celle exigée des candidats25. 4. - Doit enfin être rappelée la jurisprudence tant du Conseil constitutionnel que du Conseil d’État en matière de port de la burqa.

Dans sa décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010 sur la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, le Conseil constitutionnel a pris en considération, parmi les objectifs poursuivis par le législateur, le fait qu’en interdisant ces pratiques de dissimulation, le législateur « a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité » (cons. 4).

Par un raisonnement qui s’en rapproche, le Conseil d’État a jugé qu’une femme ayant adopté une pratique radicale de sa religion (sous entendu, impliquant le port de la burqa) ne pouvait être regardée comme répondant au critère d’assimilation lui permettant d’acquérir la nationalité française. Dans cette

23 Cour de cassation, deuxième chambre civile, 21 décembre 2006, n° 04-30586.

24 Conseil d’État, 9ème section jugeant seule, 16 avril 2008, n° 299706.

25 CAA Paris, 11 mars 2005, n° 00PA03321, Ministre de l’intérieur c. Lopez-Dorado.

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décision, le Conseil d’État a rangé le principe d’égalité des sexes au nombre des

« valeurs essentielles de la communauté française »26. B. – Application au cas d’espèce

– Dans sa décision du 9 janvier 2014 commentée, le Conseil constitutionnel a placé son contrôle sous la double référence à l’article 6 de la Déclaration de 1789 et au troisième alinéa du Préambule de 1946. Ce choix signifie que le contrôle de la conformité à la Constitution des différences de traitement instituées entre les hommes et les femmes ne correspond ni au contrôle habituel en matière de respect du principe d’égalité, opéré sur le seul fondement de l’article 6 de la Déclaration de 1789, ni à l’interdiction des discriminations, laquelle prohiberait absolument toute règle traitant différemment les femmes et les hommes. Le Conseil a ainsi soumis à un contrôle renforcé les différences instituées par le législateur entre les hommes et les femmes. Ce contrôle implique non seulement que la différence de traitement instaurée par le législateur doit être fondée sur une différence de situation ou doit poursuivre un but d’intérêt général, l’une ou l’autre devant être en lien direct avec l’objet de la loi, mais également que cette différence ne doit pas être injustifiée au regard des exigences de l’article 6 de la Déclaration de 1789 et du troisième alinéa du Préambule de 1946.

– Le Conseil constitutionnel n’a pas suivi l’argumentation du Gouvernement tendant à démontrer que les deux distinctions précitées seraient inséparables et que les dispositions critiquées trouveraient leur justification dans les objectifs de la défense nationale. La distinction critiquée n’est en effet pas celle qui conduit à ce que, en cas d’acquisition d’une nationalité étrangère, soient traités différemment, d’une part, les hommes de moins de cinquante ans, qui peuvent se voir opposer un refus du Gouvernement à leur perte de nationalité et, d’autre part, les femmes et les hommes de cinquante ans et plus qui ne peuvent être maintenus dans la qualité de Français contre leur gré. La distinction en cause avait trait à la différence entre les hommes, qui peuvent décider de conserver la nationalité française nonobstant l’acquisition volontaire d’une autre nationalité, et les femmes qui ne peuvent le faire (hors le cas de l’acquisition de la nationalité de leur mari).

Par suite, les arguments tirés des nécessités du service militaire ne pouvaient conduire à écarter les griefs de la requérante.

Comme l’observait le professeur Henri Battifol en 1975 : « l’intention avouée des auteurs de la loi [de 1954] a été de permettre aux Français acquérant volontairement une nationalité étrangère de conserver la nationalité française en s’abstenant de solliciter l’autorisation prescrite… Mais le système portait

26 Conseil d’État, 27 juin 2008, n° 286798.

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encore la trace de son origine en ce qu’il ne considérait que les Français de sexe masculin. Il est vite apparu que des femmes pouvaient également prétendre exercer à l’étranger des fonctions importantes qu’il y avait intérêt à leur laisser assumer sans pour autant leur dénier la qualité de Française »27.

Les travaux préparatoires de la loi de janvier 1973 traduisent d’ailleurs la volonté de mettre fin à une différence injustifiée entre les hommes et les femmes. M. Jean Geoffroy, rapporteur de la commission des Lois du Sénat, expliquait que la loi « permet (…) aux Françaises, qui n’étaient pas protégées, alors qu’elles vont l’être à partir de maintenant, comme les citoyens de sexe masculin, de recouvrer leur nationalité. (…) Il résulte [de l’article 88 du code de la nationalité] une disparité assez importante avec la situation des femmes qui ne sont pas astreintes au service militaire et qui sont assimilées aux réformés définitifs (...) Nous avons considéré nécessaire de réparer cette injustice »28.

Comme le relevait M. Jean Foyer, dans son rapport à l’Assemblée nationale :

« l’obligation particulière imposée aux hommes a changé curieusement de signification dans la psychologie des Français établis à l’étranger. Elle est regardée par certains d’entre eux comme une grande faveur, ou du moins une protection, qui permet aux hommes – mais non aux femmes – de cumuler la nationalité française avec une nationalité étrangère »29. Ce changement de perception s’est renforcé, a fortiori, dans un contexte de pression migratoire du sud vers le nord.

Le professeur Paul Lagarde souligne que la disposition apparaît particulièrement injustifiable lorsqu’un couple de Français établis à l’étranger a acquis la nationalité étrangère et revient en France : le mari a conservé la nationalité française mais non son épouse qui est considérée comme étrangère tant qu’elle n’a pas obtenu la réintégration dans la nationalité française30. Ainsi, une disposition dont l’origine réside dans l’unité du statut du ménage par application d’un principe de prédominance du mari peut produire des effets contraires et, en définitive, absurdes.

– Le Gouvernement faisait en outre valoir dans ses observations que la loi du 9 janvier 1973 a prévu un cas de réintégration dans la nationalité française, par simple déclaration, des femmes qui avaient perdu la nationalité, soit par leur mariage avec un étranger, soit par une mesure individuelle d’acquisition de la

27 H. Batiffol, « Evolution du droit de la perte de la nationalité française », in Aspects nouveaux de la pensée juridique, recueil d’études en hommages à Marc Ancel, t I, Paris, Edition A. Pedone, 1975, p.249.

28 Sénat, séance du 19 juin 1971p ; 1102.

29 M. Jean Foyer, Rapport n° 2545 au nom de la commission des lois, titre IV, chapitre Ier. Assemblée nationale, IVème législature ; M. Pierre Mazeaud, nommé rapporteur en remplacement de M. Foyer nommé membre du Gouvernement, reprend l’argument en séance le 11 octobre 1972.

30 P. Lagarde, op. cit., § 41.01.

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nationalité étrangère. Cette règle figure désormais, de façon plus large, à l’article 24-2 du code civil.

Le Conseil ne pouvait davantage retenir cet argument dans la mesure où, la réintégration, d’une part, n’est pas de droit (elle est conditionnée aux maintiens de liens avec la France et le Gouvernement peut s’y opposer pour indignité) et, d’autre part, ne produit d’effet collectif que pour les enfants mineurs au moment de la réintégration.

– En l’absence de justification de la différence de traitement instituée par les dispositions contestées entre les hommes et les femmes, le Conseil constitutionnel a jugé que cette différence méconnaissait les exigences qui résultent conjointement de l’article 6 de la Déclaration de 1789 et du troisième alinéa du Préambule de 1946 et qu’elle devait être déclarée contraire à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a donc déclaré contraires à la Constitution les mots

« du sexe masculin », figurant aux premier et troisième alinéas de l’article 9 de l’ordonnance de 1945 (cons. 8). Il a déclaré conformes à la Constitution le surplus de l’article 9 ainsi que l’article 87 du code de la nationalité française qui n’étaient pas contestés pour d’autres motifs et que le Conseil n’a estimé contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit (cons. 9).

C. – Portée de la déclaration d’inconstitutionnalité

Dans la mesure où les dispositions contestées ont été remplacées depuis 1973, la censure prononcée par le Conseil constitutionnel n’a qu’une portée rétroactive.

Il était toutefois nécessaire d’en définir et d’en circonscrire précisément la portée et les effets dans le temps.

– La censure pure et simple des mots « du sexe masculin », figurant aux premier et troisième alinéas de l’article 9 de l’ordonnance de 1945, aurait eu pour effet de créer une nouvelle différence de traitement entre les hommes et les femmes.

Étendre aux femmes l’application de l’article 9 aurait eu pour conséquence, d’une part, de ne pas remettre en cause la liberté reconnue aux hommes entre 1954 et 1973 de conserver la nationalité française lors de l’acquisition d’une nationalité étrangère et, d’autre part, de soumettre rétroactivement les femmes à une règle qui leur aurait interdit la perte de la nationalité française en tout état de cause (elles n’ont, de fait, pas eu la possibilité d’exercer la faculté, qui leur aurait été rétroactivement – mais fictivement – reconnue, de ne pas demander la perte de la nationalité française).

Cette différence de traitement aurait peut-être été moins dommageable que celle que la censure aurait supprimée (il est moins grave d’être contraint de conserver la nationalité française que d’être contraint de la perdre). Toutefois, l’interdiction de perdre la nationalité française peut entraîner la perte de certains

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droits dans une législation étrangère qui prohibe la double nationalité. En tout état de cause, la nouvelle différence de traitement entre hommes et femmes n’aurait pas été plus justifiée que la précédente.

Le Conseil constitutionnel a donc décidé de limiter l’effet général de la déclaration d’inconstitutionnalité et de lui conférer un effet relatif en précisant qu’elle « peut être invoquée ». Le Conseil constitutionnel a déjà limité de cette façon à plusieurs reprises la portée de déclarations d’inconstitutionnalité31.

– Restait la question des effets dans le temps. La nationalité présente la particularité d’être imprescriptible et transmissible (droit du sang).

Ne pas limiter dans le temps les effets rétroactifs de la censure eût permis non seulement à des femmes de remettre en cause la perte de nationalité qu’elles ont subie lors de l’acquisition d’une nationalité étrangère (hypothèse dans laquelle se trouve la requérante), mais aussi à des personnes, quel que soit leur sexe, de contester, à leur bénéfice, la perte de nationalité que l’une de leurs ascendantes en ligne directe a subie entre 1951 et 1973.

En outre, il n’est pas exclu que les motifs de la censure prononcée dans le cadre de la présente QPC soient transposables à d’autres dispositions anciennes qui traitaient différemment les femmes et les hommes, notamment en faisant dépendre la nationalité de la femme de celle de son mari. Une censure non limitée dans le temps de ce type de législation serait de nature à remettre en cause des situations très anciennes, en permettant à des personnes de revendiquer la nationalité française alors qu’elles n’ont jamais été françaises, le lien avec la nationalité française s’étant rompu une ou plusieurs générations auparavant.

À l’inverse, une application de la censure limitée aux seules personnes auxquelles la disposition législative censurée était directement applicable, sans y attacher aucun effet pour leurs descendants, alors même que l’ascendante aurait entendu se prévaloir des effets de cette censure, aurait été excessivement restrictif.

Ces éléments ont conduit le Conseil constitutionnel, d’une part, à juger que la déclaration d’inconstitutionnalité des mots « du sexe masculin » figurant aux premier et troisième alinéas de l’article 9 de l’ordonnance du 19 octobre 1945, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 avril 1954 est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu’aux affaires non jugées définitivement à la date de la publication de sa décision et, d’autre part, à limiter le droit d’invoquer cette

31 Décisions n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010, Compagnie agricole de la Crau (Imposition due par une société agricole), cons. 9, n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010, Société Esso SAF (Cession gratuite de terrain), cons. 5, n° 2011-160 QPC du 9 septembre 2011, M. Hovanes A. (Communication du réquisitoire définitif aux parties), cons. 6 et n° 2011-181 QPC du 13 octobre 2011, M. Antoine C. (Objection de conscience et calcul de l’ancienneté dans la fonction publique), cons. 6.

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inconstitutionnalité aux femmes qui ont perdu la nationalité française par l’application des dispositions de l’article 87 du code de la nationalité, entre le 1er juin 1951 et l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1973, sans préjudice de l’éventuel effet collectif, pour les enfants de ces femmes qui ont recouvré la nationalité française par l’effet de cette déclaration d’inconstitutionnalité. Ainsi, les descendants de ces femmes peuvent également se prévaloir des décisions reconnaissant, compte tenu de cette inconstitutionnalité, que ces femmes ont conservé la nationalité française

Afin de dissiper tout doute quant à l’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a enfin précisé son considérant de principe sans en changer le sens et a jugé que cette déclaration « est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu’aux affaires non jugées définitivement à la date de publication de la décision » (cons. 12).

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