• Aucun résultat trouvé

Du Dr House en nous

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Du Dr House en nous"

Copied!
1
0
0

Texte intégral

(1)

Elles dérangent, avec leur ahurissant succès, ces séries télévisées où les médecins s’amu- sent à être eux-mêmes et se comportent de manière plutôt dénuée d’éthique. On se de- mande jusqu’où elles seront capables d’in- fluencer la vision des gens. On se demande surtout pourquoi elles leur plaisent tant.

Eh bien, première réponse : parce que les scénarios sont bons. S’y produit de la géniale légende médicale. Nul n’a jamais vu les hôpi- taux qu’ils décrivent : les patients y jouissent d’une immense attention, les médecins ont le temps de discuter de tout et de rien, les ma- chines fonctionnent, les bureaux sont luxueux.

Pas d’administrateur (sauf une superbe direc- trice, dans l’hôpital du Dr House), pas d’assu- reurs, aucun éthicien à l’horizon : juste une mé- decine romantiquement restée à l’état sauvage.

Ces séries se situent dans une réalité aug- mentée et décalée. En fait, elles se moquent du premier étage de la réalité : c’est le double fond des choses qui les intéressent.

Si bien qu’il est un peu ridicule de mener l’étude qu’a récemment publiée le Journal of Medical Ethics,1 consistant à analyser de ma- nière systématique le contenu bioéthique d’une saison de Grey’s Anatomy et du Dr House. Elle conclut que «ces programmes sont tissés de déviations éthiques et d’écarts aux normes pro- fessionnelles». Pour ceux qui ne connaissent pas ces séries télévisées, Grey’s Anatomy décrit la vie intra et extrahospitalière de cinq internes en chirurgie, leurs interactions (très humaines) et leurs multiples difficultés (ou performances) professionnelles ; House gravite autour du per- sonnage du Dr Gregory House, caractériel sur- doué, misanthrope séduisant, et surtout incom- parable chasseur de diagnostics difficiles.

Quel type de mauvaise conduite éthique y trouve-t-on ? Des problèmes de consentement : discussions biaisées et trop rapides, refus du médecin de répondre aux questions, absence complète d’informations concernant les ris ques d’une intervention, voire, surtout de la part de House, mensonge pour obtenir le consente- ment… Et d’autres déviations : mise en danger non nécessaire des patients, traitement imposé à un patient malgré son refus clairement mani- festé.

Mais le quotidien de la déviance, c’est du côté du professionnalisme qu’il se montre, paraît-il.

Les manques de respect sont légion : entre mé de cins, entre eux et les infirmières, entre soignants et patients. Les plus courants sont d’ordre sexuel : commentaires inappropriés, pro- positions indécentes, relations avec des patients.

Tous les médecins de ces séries, une fois ou l’autre, trichent, exagèrent, dérapent, cèdent à

un penchant, font un coup tordu. Le seul qui se détache du lot, c’est le Dr House : il ne dé- rape pas de temps en temps, il est une figure ontologiquement cynique et désabusée.

Pourtant, tous ces médecins vivent aussi autre chose : leur passion. Et l’intérêt de ces séries vient de ce que le spectateur se rend compte qu’il est impossible de couper leur vie en petits morceaux. Ils soignent, vivent avec la souf- france et la mort des autres, et en même temps essaient dans cet étrange (et artificiel) monde hospitalier de sauver leur propre peau, c’est-à-dire leur sens mo ral, leur raison de vivre. Ce qui suppose de satisfaire leurs be- soins quotidiens à eux, en termes d’amitié, d’amour, de compensation de toutes sortes.

Ils jouent une petite musique relationnelle com- me chaque médecin en joue une. Du moins encore maintenant, puisque le pire qui pour- rait arriver, ce n’est pas un amoindrissement de l’éthique, ou une augmentation des petits problèmes litigieux, mais la disparition de l’hu- main, la mise aux normes via des trajets de soins, des DRG et des guidelines omnipré- sents, s’insinuant jusque dans les com por te- ments. Du genre : pas de consentement, pas de soins. Attitude aussi éthiquement juste qu’in- humaine par son automatisme. Car les mé- decins ne sont pas des machines. L’important n’est pas la mise aux normes evidence-based des attitudes soignantes et des sentiments.

C’est la lutte contre l’indifférence.

L’indifférence est bien plus répandue, plus dangereuse et plus sournoise que les man- quements éthiques. C’est pour cela que ces séries médicales doivent être sauvées de la condamnation éthique. Elles construisent une trame, un méta-niveau, où l’essentiel se voit à l’œil nu : la passion – ou non – pour l’autre.

Même un personnage aussi peu éthique, au premier abord, que House, émet des messa- ges intéressants. D’abord il croit en une vérité scientifique. Il exagère même, donnant ainsi une fausse idée de la médecine. Son attitude fait penser que la pratique médicale se résume à une démarche à la Sherlock Holmes, où le but final, quasi mystique, consiste à trouver une vérité cachée (souvent, d’ailleurs, par le fait de stratégies plus ou moins conscientes des pa- tients eux-mêmes). House ne travaille donc pas dans le psychosocial : il est obsédé par sa recherche du bon diagnostic. Mais en même temps, il est handicapé, boîte, souffre d’une douleur chronique qui l’a rendu dépendant aux analgésiques. L’intéressant de cette série – tout le reste n’est que l’écrin servant à le mettre en valeur – vient de cette souffrance : c’est elle qui

lui permet de s’approcher des troubles étran ges que cachent les malades, et donc de décou- vrir leur réalité, invisible aux yeux des autres médecins. Il serait réducteur de dire que Hou se ne cherche que la réalité clinique. En même temps, chaque fois, il dévoile, sans le vouloir (il joue au misanthrope, ne l’oublions pas), la vé- rité intime des patients. Avec le bénéfice que sur cette vérité peut se nouer une alliance thé- rapeutique. Le diagnostic, chez House, s’accom- pagne presque toujours d’une humanisation de l’individu, qu’il soit à l’origine simplement re- plié sur sa maladie ou marginal, hors normes, asocial.

Ce que cherchent les gens en regardant des fictions médicales, c’est cette vérité sur les hu- mains, et d’abord sa façon de se révéler chez les soignants. Au-delà de la vie des apparen- ces, s’affrontent les besoins et les désirs. Et les désirs sont très étranges : il y a, pour suivre Freud (et tant pis pour Michel Onfray), une pul- sion de vie et une pulsion de mort, il y a l’atti- rance sexuelle, et tout cela reste inconscient, mais très agissant. Etre médecin ne protège de rien. Pas davantage que n’importe quel mi- lieu, l’hôpital n’est une tranquille communauté fraternelle. C’est surtout un lieu où les enjeux exacerbent les passions. Pour qui cherche à comprendre le sujet humain, pas de meilleur théâtre que l’arrière-boutique de l’hôpital.

Creusons encore : quelle est la phéromone my- thologique de ces séries médicales, capable d’attirer les spectateurs comme des mouches ? C’est le sacré qui surgit de la rencontre entre la nouvelle technologie et la vieille souffrance humaine, et dans lequel se meuvent les demi- dieux que sont les médecins. C’est la sexualité ou la méchanceté qui leur sert de contre-émo- tion capable d’exorciser leurs angoisses. C’est le mélange des patients appareillés, des tuyaux, respirateurs, des machines d’opération ou de réanimation et des médecins tendus, transpi- rants, (tout en pensant à la conquête amou- reuse en cours), bref, luttant comme des per- sonnages de tragédie grecque. C’est, pour ces médecins, la tentative de tous les instants de ne pas se faire happer par la souffrance et la mort : leurs mille stratégies pour éviter de som- brer dans le burn out ou le non-sens. Vu de l’extérieur, quel spectacle !

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

992 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 12 mai 2010

Du Dr House en nous

1 Czarny M, Faden R, Sugarman J. Bioethics and profes- sionalism in popular television medical dramas. J Med Ethics 2010;36:203-6.

48.indd 1 10.05.10 12:37

Références

Documents relatifs

En 2018, la pendaison, la mort par balles et la décapitation ont été les méthodes utilisées « légalement » pour la pratique de la peine de mort dans les Pays à majorité

Les divers organes des atomes - Les électrons déterminent le comportement social des atomes - Les électrons sont des "grains" d'électricité - Le nombre huit, les da-

iLes enseignants qui souhaitent participer aux actions proposées doivent s'inscrire par internet, via le lien sur le portail métier, avant le vendredi 12 octobre

Cette infographie représente l’âge moyen que certains animaux peuvent atteindre, se basant sur des rapports de zoos et des estimations de biologistes?. Les données ont été acquises

– lorsque la polarisation de l'analyseur A est horizontale, aucune lumière ne passe, il y a extinction totale (figure 3 c), aucun photon ne traverse l'analyseur, tous sont bloqués ;

Cela permettrait de mettre les entreprises dans un contexte où la recherche en technologies vertes devient plus profitable que la recherche en technologies polluantes

L’accès aux archives de la revue « Journal de la société statistique de Paris » ( http://publications-sfds.math.cnrs.fr/index.php/J-SFdS ) implique l’accord avec les

En effet, si un tel convive a un chapeau noir, il voit n −1 (pair) chapeaux noirs et b (impair) cha- peaux blancs, donc il déclare avoir un chapeau noir.. Les 12 derniers convives