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Quelles perspectives pour la responsabilité de protéger?

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, CONDORELLI, Luigi

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, CONDORELLI, Luigi. Quelles perspectives pour la responsabilité de protéger? In: A. Auer, A. Flückiger et M. Hottelier (Dir.). Les droits de l'homme et la constitution : études en l'honneur du Professeur Giorgio Malinverni . Zurich : Schulthess, 2007. p. 329-337

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:8313

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Quelles perspectives pour la responsabilité de protéger ?

Laurence Boisson de Chazournes

Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève

Luigi Condorelli

Professeur à l’Université de Florence Professeur honoraire de l’Université de Genève

Parmi les intérêts que notre collègue et cher ami Giorgio Malinverni a davan- tage cultivés avec un dévouement, une passion et une constance exemplaires, tant par la réflexion scientifique que par l’action, il y a indiscutablement les droits de l’homme et les organisations internationales. Pour lui témoigner notre admiration et notre gratitude, il nous a paru singulièrement appro- prié de participer à cet ouvrage en son honneur en présentant quelques re- marques sur un thème qui se place au croisement de ces deux chapitres du droit international contemporain qui lui sont si chers, à savoir le thème de la

« responsabilité de protéger ».

Le Sommet mondial des Nations Unies réuni en septembre 2005 à New York a fait une place de choix à la « responsabilité de protéger » dans son Document final, en soulignant les divers visages de cette notion. Les Etats ont l’obligation de «protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité», mais «il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens paci- fiques appropriés»1. Les Etats membres des Nations Unies se sont ainsi décla- rés «prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité»2.

1 Document final du Sommet mondial de 2005, Doc.ONU A/60/L.1, 20 septembre 2005.

2 Ibidem.

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La proclamation solennelle du principe de la responsabilité de protéger a été précédée par des négociations intenses et prolongées. Cela ne doit cepen- dant pas faire oublier que la notion en question – connue aussi sous le cou- vert d’autres noms, comme ceux d’« obligation de respecter et faire respecter » ou de « devoir d’ingérence » – est loin d’être nouvelle : ses composantes juri- diques s’étaient déjà largement consolidées à partir de 1945 au travers du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme3.

Le Document final du Sommet mondial ne consacre donc pas d’innova- tion véritable, tout au moins pour ce qui est de la « responsabilité de proté- ger » (mais à vrai dire – que cela soit noté en passant – dans d’autres domaines non plus…) : il se borne à assembler une série d’acquis juridiques dans un cadre unitaire, au moyen duquel, d’une part, on rappelle à chaque Etat les obligations dont il doit s’acquitter dans sa propre sphère de compétence, en matière de prévention, de protection et de répression contre des crimes de génocide, des crimes de guerre, des pratiques de nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité ; il est d’autre part souligné que tous les autres Etats, le Conseil de sécurité, voire les diverses organisations internationales compétentes, ont leur part de « responsabilité de protéger » et sont appelés à ce titre à agir conformément à la Charte des Nations Unies et au droit inter- national pour faire cesser ces violations, en faisant usage de toute la panoplie des moyens disponibles.

La responsabilité collective des Etats membres de la communauté in- ternationale (ainsi que des diverses institutions au travers desquelles ils coopèrent) en matière de protection de tous les êtres humains contre les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire est donc confirmée. La communauté internationale reconnaît qu’une véritable obligation d’agir pèse sur elle lorsqu’un Etat ne protège pas sa population. Plus aucun Etat ne peut s’abriter derrière le bouclier de sa sou- veraineté pour commettre, voire laisser perpétrer de graves violations des droits des personnes placées sous sa juridiction. Et aucun Etat ne peut rester indifférent et inactif face à de tels crimes, où qu’ils soient perpétrés : les prin- cipes de droit international relatifs aux droits de l’homme et au jus in bello l’interdisent. Le fait de commettre ou laisser commettre des atteintes graves des droits de l’homme est une violation d’obligations erga omnes; il s’ensuit que ces «omnes», à savoir tous les Etats4 ainsi que toutes les organisations

3 Sur cet aspect, voir L. Boisson de Chazournes et L. Condorelli, « De la ‹ responsabilité de pro- téger ›, ou d’une nouvelle parure pour une notion déjà bien établie », Revue générale de droit international public, 2006, pp. 11-18. En revanche, sur l’essor diplomatique récent de l’intitulé

« responsabilité de protéger », voir Rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats, « La responsabilité de protéger », Décembre 2001.

4 Voir l’art. 48 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, adopté en 2001 par la Commission du droit international (disponible à l’adresse http ://untreaty.

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internationales compétentes, sont non seulement habilités à agir pour proté- ger les victimes de ces exactions, mais ils en ont le devoir. La notion de res- ponsabilité de protéger implique donc qu’il revient en premier lieu à chaque Etat d’assurer le respect des droits de l’homme à l’avantage de l’ensemble des individus soumis à son pouvoir souverain, alors que l’éventuelle défaillance de celui-ci met en branle l’obligation de la communauté internationale tout entière d’agir pour protéger les victimes.

Le Document final du Sommet mondial se borne en substance – il convient d’insister – à proclamer des notions qui sont loin d’être innova- trices. Une telle proclamation, faite de manière aussi solennelle, n’est certes pas inutile, puisqu’elle met en évidence l’ampleur du consensus acquis quant aux devoirs collectifs relatifs à la protection des victimes des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit humanitaire. Il va de soi ce- pendant que ce dont il y a surtout besoin à l’heure actuelle est d’aller au- delà des généralités en se souciant de la mise en œuvre effective des valeurs proclamées. Or, il est attristant de devoir constater combien le Document fi- nal apparaît singulièrement réticent pour ce qui est de cet aspect pourtant essentiel.

Certes, le fait de ne rien prévoir de nouveau quant aux moyens de mise en œuvre de la responsabilité de protéger implique en soi qu’il est fait renvoi à l’utilisation des méthodes que la pratique internationale connaît déjà. Autre- ment dit, il doit avant tout être fait recours aux moyens de nature pacifique, à caractère diplomatique, humanitaire ou encore économique. La panoplie de moyens pacifiques est large, ceux-ci pouvant trouver leur place dans des cadres bilatéraux, multilatéraux ainsi qu’institutionnels5. Le cas échéant, des mesures coercitives à caractère armé adoptées en application du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies pourront être exercées. La pratique a consacré

un.org/ilc/texts/9_6.htm). Cet article, intitulé « Invocation de la responsabilité par un Etat autre qu’un Etat lésé », se lit comme suit :

«1. Conformément au paragraphe 2, tout Etat autre qu’un Etat lésé est en droit d’invoquer la res- ponsabilité d’un autre Etat, si :

a) L’obligation violée est due à un groupe d’Etats dont il fait partie, et si l’obligation est établie aux fins de la protection d’un intérêt collectif du groupe ; ou

b) L’obligation violée est due à la communauté internationale dans son ensemble.

2. Tout Etat en droit d’invoquer la responsabilité en vertu du paragraphe 1 peut exiger de l’Etat responsable :

a) La cessation du fait internationalement illicite et des assurances et garanties de non-répétition, conformément à l’article 30 ; et

b) L’exécution de l’obligation de réparation conformément aux articles précédents, dans l’intérêt de l’Etat lésé ou des bénéficiaires de l’obligation violée.

[…] .»

5 L. Boisson de Chazournes, « The Collective Responsibility of States to Ensure Respect for Hu- manitarian Principles » in A. Bloed et al. (éd.), Monitoring Human Rights in Europe, La Haye, Kluwer Academic Publishers, 1993, pp. 247-260.

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cette possibilité depuis les années 1990, les violations massives et à large échelle des droits de l’homme et du droit humanitaire étant constitutives de menaces contre la paix et la sécurité internationales au sens du Chapitre VII de la Charte. Il s’ensuit logiquement qu’elles déclenchent ce que l’article 24 appelle la « responsabilité principale » (ou « primordiale », d’après son texte espagnol) du Conseil de sécurité, qui doit alors s’acquitter de ses « devoirs » (toujours d’après le langage de l’article en question) pour maintenir et rétablir la paix, en faisant donc cesser ce qui la met en péril6.

Si les principes sont posés, et même acquis, encore faudrait-il que les mé- canismes de mise en œuvre fonctionnent de manière efficace, et sur une base régulière et impartiale, toutes les fois que les évènements l’exigent, et ce sur la base d’une réglementation appropriée. C’est malheureusement loin d’être le cas pour l’heure : une telle réglementation fait cruellement défaut. De réels progrès sur ce plan sont donc indispensables pour éviter la répétition d’ef- froyables tragédies, comme celles du Rwanda ou de Srebrenica. Les impéra- tifs juridiques principaux sont énoncés, les instruments d’action inventoriés, mais les faiblesses tiennent à leur application effective. Le Document final du Sommet mondial de 2005 s’est à cet égard limité à laisser la porte ouverte à d’éventuels progrès à venir. Il appelle ainsi l’Assemblée générale à «pour- suivre l’examen du devoir de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et des conséquences qu’il implique, en ayant à l’esprit les principes de la Charte des Nations Unies et du droit international»7. Il est bien entendu impossible de prévoir quels se- ront les résultats de ce processus de négociation. Certains des critères sur lesquels celui-ci devra se baser peuvent cependant être identifiés d’ores et déjà, grâce aux indications provenant de divers organes des Nations Unies quant aux principes devant présider à la mise en œuvre de la responsabilité de protéger.

Les yeux se tournent en premier lieu vers le Conseil de sécurité. La ques- tion est celle de savoir quel impact la responsabilité de protéger peut avoir à son égard ainsi qu’à l’égard de ses membres. Les travaux de la Commis- sion du droit international (CDI) sur la responsabilité internationale des organisations internationales progressent et apportent des éclairages en ce domaine. La responsabilité de protéger implique l’affirmation de « devoirs » pesant, d’abord sur chaque Etat de protéger sa propre population, ensuite

6 Voir L. Condorelli et L. Boisson de Chazournes, « Quelques remarques à propos de l’obliga- tion des Etats de ‹ respecter et faire respecter › le droit humanitaire ‹ en toutes circonstances › », inEtudes et essais sur le droit humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge, Genève / La Haye, CICR /Martinus Nijhoff Publishers, 1984, pp. 17-35. Voir aussi L. Boisson de Chazournes et L. Condorelli, « Common Article 1 to the Geneva Conventions Revisited : Protecting Collective Values », International Review of the Red-Cross, 2000, No. 837, pp. 67-87.

7 Document final du Sommet mondial de 2005, op. cit.

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sur toute la communauté internationale, et elle se traduit en des devoirs de l’ONU dont l’« action collective » incombe au «Conseil de sécurité, confor- mément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas […] lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations»8. Il s’ensuit alors que l’inac- tion comme l’action inadéquate du Conseil de sécurité face au génocide, à des crimes de guerre, au nettoyage ethnique et aux crimes contre l’huma- nité devrait être analysée comme un fait internationalement illicite enga- geant la responsabilité internationale de l’organisation. Les articles 39 et 810 du projet de la CDI sont explicites sur le fait que l’omission d’une organi- sation internationale, lorsqu’il y a devoir d’agir, peut être qualifiée de fait internationalement illicite.

L’impossibilité de décider et de mener une action collective efficace pour s’acquitter d’un devoir, si elle découle du (mal)fonctionnement des méca- nismes internes d’une organisation internationale, n’est pas une circons- tance justificative : les organisations internationales, tout comme les Etats, ne peuvent invoquer leurs règles internes comme justification de l’inexécu- tion de leurs obligations internationales11. Ainsi, l’absence de majorité par- lementaire dans un Etat n’enlève pas l’illicéité découlant de la non adoption d’une loi nationale qui serait nécessaire pour que ledit Etat s’acquitte de ses

8 Ibidem.

9 Le texte de l’article 3, tel qu’adopté provisoirement par la Commission du droit international lors de sa 55e session (Doc. ONU A/58/10, 2003, pp. 19-20), se lit comme suit :

«Article 3 – Principes généraux

1. Tout fait internationalement illicite d’une organisation internationale engage sa responsabilité internationale.

2. Il y a fait internationalement illicite d’une organisation internationale lorsqu’un comportement consistant en une action ou une omission :

a) Est attribuable à l’organisation internationale en vertu du droit international ; et

b) Constitue une violation d’une obligation internationale de cette organisation internationale .»

10 Le texte de l’article 8, tel qu’adopté provisoirement par la Commission du droit international lors de sa 57e session (Doc. ONU A/60/10, 2005, p. 81), se lit comme suit :

«Article 8 – Existence de la violation d’une obligation internationale

1. Il y a violation d’une obligation internationale par une organisation internationale lorsqu’un fait de ladite organisation n’est pas conforme à ce qui est requis d’elle en vertu de cette obligation, quelle que soir l’origine ou la nature de celle-ci.

2. Le paragraphe précédent s’applique également, en principe, à la violation d’une obligation énoncée par une règle de l’organisation.»

11 A ce propos l’article 27 de la Convention de Vienne de 1986 sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales, intitulé « Droit interne des Etats, règles des organisations internationales et respect des traités » affirme :

«1. Un Etat partie à un traité ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justi- fiant la non-exécution du traité.

2. Une organisation internationale partie à un traité ne peut invoquer les règles de l’organisation comme justifiant la non-exécution du traité.

[…]. »

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obligations internationales ; de la même façon le blocage (par exemple par un véto) empêchant l’adoption d’une décision du Conseil de sécurité qui serait indispensable pour lancer une « action collective » nécessaire pour prévenir ou stopper un génocide laisserait entière la responsabilité internationale de l’Organisation pour violation du devoir de protéger.

Dans ce cas, cependant, on devrait envisager que la responsabilité de l’or- ganisation internationale pour violation de sa responsabilité de protéger s’ac- compagne de la mise en cause de la responsabilité internationale pesant sur le ou les Etats empêchant l’action de l’organisation : par un tel comportement ces Etats auraient violé leur propre obligation au titre de la responsabilité de protéger.

Le groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le change- ment, mis en place en 2003, avait déjà établi dans son rapport le lien entre la responsabilité de protéger et la responsabilité du Conseil de sécurité. En ter- mes diplomatiques le Rapport du groupe de personnalités de haut niveau12, et dans une moindre mesure celui du Secrétaire général qui le suivit13, vou- laient donner à la responsabilité de protéger un caractère opératoire. Dans ce contexte, une acception armée de l’exercice de ladite responsabilité avait été mise en avant. Le groupe de hautes personnalités s’était toutefois limité à appeler le Conseil de sécurité à envisager et autoriser une action armée au cas où cela serait nécessaire pour mettre fin à une crise humanitaire. Il proposait des critères juridiques d’action, notamment celui d’une décision du dernier recours, et était allé jusqu’à suggérer, afin de faire obstacle au risque de paralysie du Conseil, de mettre au défi les membres permanents, lorsqu’ils auraient à assumer leur responsabilité de protéger, de s’abstenir d’user de leur droit de veto.

La Cour internationale de Justice dans son Avis consultatif du 9 juillet 2004 sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans les territoires palestiniens a tenu des propos fort évocateurs sur les obligations découlant de l’obligation de faire respecter le droit international humanitaire en toutes circonstances, découlant de l’Article 1er commun aux quatre Conventions de Genève de 1949. Il est à rappeler que cette obligation est l’une des manifesta- tions juridiques de la responsabilité de protéger, même s’il est vrai que cette

12 Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, op. cit., paragraphes 199 à 209.UN Doc. A/59/565, du 2 décembre 2004.

Voir L. Boisson de Chazournes, « Rien ne change, tout bouge, ou le dilemme des Nations Unies.

Propos sur le Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement », Revue générale de droit international public, 2005, vol. 109, no1, pp. 147-161.

13 Rapport du Secrétaire général, « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et res- pect des droits de l’homme pour tous », Doc. A/59/2005, 24 mars 2005, paragraphe 126 et para- graphes 134 à 135.

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dernière a des contours plus larges et ne présuppose pas l’existence d’un conflit international ou interne.

Dans son avis, la Cour a mis en pleine lumière toutes les implications de l’obligation solidaire pesant, en matière de droit international humani- taire, sur l’ensemble de la communauté internationale et sur tous les Etats : il ne s’agit pas seulement de ne pas reconnaître les situations illégales, mais il faut aussi que chacun agisse positivement pour les faire cesser, en utili- sant dans ce but tous les moyens disponibles et juridiquement admissibles.

La Cour a également traduit l’obligation pesant sur « tous les Etats » en une obligation de l’Organisation des Nations Unies, et spécialement de l’Assem- blée générale et du Conseil de sécurité : ceux-ci «… doivent, en tenant dûment compte de cet avis consultatif, examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite…»14. C’est là une manière éclatante de consacrer la valeur générale du principe (complémentaire par rapport à celui de l’Article 1er commun) proclamé à l’Article 89 du Premier Protocole de 1977 additionnel aux Conventions de Genève de 1949, d’après le- quel «Dans les cas de violations graves des Conventions et du présent Protocole, les Hautes Parties contractantes s’engagent à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies et conformément à la Charte des Nations Unies».

Par l’Avis consultatif de 2004, la Cour a ainsi avalisé le bien-fondé de l’opinion doctrinale d’après laquelle l’ONU est appelée par le droit inter- national humanitaire en vigueur à coopérer à la mise en œuvre de ses pres- criptions, les violations graves de celles-ci déclenchant non seulement l’obli- gation de tous les Etats de « faire respecter », mais aussi la responsabilité de protéger qui repose sur l’Organisation en tant que telle. L’ONU n’est certes pas liée formellement par les Conventions de Genève ou par les instruments proscrivant le génocide et les autres crimes de droit international, dont elle n’est pas partie, mais est assurément liée par les « principes intransgres- sibles du droit international »15 au nombre desquels il faut ranger sans aucun

14 Cour internationale de Justice, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Terri- toire palestinien occupé, Avis consultatif du 9 juillet 2004, Recueil 2004, paragraphe 160.

15 Expression que la Cour reprend, au paragraphe 157 de l’Avis de 2004, du paragraphe 79 de son Avis consultatif de 1996 sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (« C’est sans doute parce qu’un grand nombre de règles du droit humanitaire applicable dans les conflits armés sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour des

« considérations élémentaires d’humanité », selon l’expression utilisée par la Cour dans son ar- rêt du 9 avril 1949 rendu en l’affaire du Détroit de Corfou (Recueil 1949, p. 22), que la Conven- tion IV de La Haye et les conventions de Genève ont bénéficié d’une large adhésion des Etats.

Ces règles fondamentales s’imposent d’ailleurs à tous les Etats, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des principes intrans- gressibles du droit international coutumier »), Avis consultatif du 8 juillet 1996, Recueil 1996, p. 257.

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doute ceux interdisant les crimes internationaux dont les populations civiles doivent être protégées16.

Cette imbrication des responsabilités de protéger, en premier lieu de chaque Etat dans sa sphère de compétence, mais aussi des autres Etats et des diverses organisations internationales compétentes, se retrouve dans d’autres contextes. Ainsi la Ministre des affaires étrangères de la Suisse, Ma- dame Calmy-Rey, avait précisé lors de l’ouverture de la première session du Conseil des droits de l’homme en juin 2006, à propos de la nouvelle procé- dure de l’examen périodique universel :

«Si je mets l’accent sur l’examen périodique universel, c’est que ce mécanisme me semble particulièrement représentatif du nouvel esprit que nous souhaitons donner au Conseil : renforcement du dialogue, des capacités, de l’objectivité, de la prévention et accent sur la responsabilisation des acteurs, tout en remplissant les trois mandats de base que sont la promotion, la protection et la prévention. En ce qui concerne le devoir de protection, la Suisse veillera à ce que le Conseil soit en mesure de traiter en tout temps de situations particulièrement graves de violation des droits humains, notamment lorsque des pays ne sont pas en mesure de faire face à leurs obligations de protéger les populations vivant sur leur territoire.»17

Les sessions extraordinaires du Conseil des droits de l’homme pour- raient également constituer des moyens pertinents de mise en œuvre de la responsabilité de protéger. Ainsi dénonçant la situation de violations des droits de l’homme au Darfour et invoquant à cet effet la responsabilité de protéger, le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, peu avant la tenue le 12 décembre 2006 de la quatrième session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme consacrée à la situation au Darfour, a rappelé « que l’ONU s’est réservée la possibilité d’intervenir lorsqu’un pays manque à son devoir de protéger ses populations menacées de génocide ou de crimes contre l’humanité »18. Encore faudra-t-il que chaque Etat ainsi que toute la commu- nauté internationale assument réellement leur responsabilité de protéger en

16 On n’oubliera pas de noter que l’obligation de respecter et faire respecter a été l’objet de réi- térations récentes, ce qui en souligne toute l’actualité. Ainsi dans le cadre conventionnel, le Protocole additionnel III du 8 décembre 2005 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à l’adoption d’un signe distinctif additionnel, rappelle ce principe en son article 1. La CIJ, dans son arrêt du 19 décembre 2005 relatif aux Activités menées sur le territoire du Congo (République du Congo c. Ouganda), a rappelé à l’Ouganda en tant que puissance occupante, son obligation de respecter et faire respecter les droits de l’homme et le droit international humanitaire (para- graphe 345). Voir également l’opinion séparée du Juge Simma jointe à cette décision qui rappelle dans des termes très précis les contours juridiques de l’obligation pour un Etat de faire respecter le droit international humanitaire par un autre Etat (paragraphes 33-34). Le texte de l’arrêt et de l’opinion du Juge Simma sont disponibles à l’adresse www.icj-cij.org/cijwww/cdocket/cco/

ccoframe.htm.

17 Le discours de MmeCalmy-Rey est disponible sur le site du Ministère des affaires étrangères de la Suisse, à l’adresse www.calmy-rey.admin.ch/f/multimedia/speeches.aspx.

18 « Conseil des droits de l’homme : une session extraordinaire pour le Darfour », AFP, 10 décembre 2006, www.unog.ch.

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agissant efficacement et de manière impartiale dans toute situation de géno- cide, de crimes de guerre ou de crime contre l’humanité et qu’ils permettent aux Nations Unies de remplir le rôle qui est sien pour lutter contre de telles violations du droit international.

Pour que les avancées souhaitées du droit international dans cette direc- tion se réalisent, il est indispensable à notre sens que la responsabilité de pro- téger cesse d’être perçue comme une obligation revêtant essentiellement le caractère de norme primaire prescrivant un comportement décrit en termes très généraux. Cette contribution a tenté de mettre en exergue les principes devant présider à la mise en œuvre de la responsabilité de protéger dont la pratique de certains organes des Nations Unies a révélé certains contours. En outre, un ensemble approprié de règles secondaires en matière de responsa- bilité internationale pour fait internationalement illicite doit venir compléter le régime juridique de la responsabilité de protéger et mettre en évidence quels sont les conséquences juridiques – et notamment les coûts – découlant de la violation de l’obligation de protéger pour chacun et pour tous ceux sur qui elle pèse.

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