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La suggestion de pistes narratives : comment évoquer une histoire, un souvenir, un instant en art vidéo

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Academic year: 2021

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La suggestion de pistes narratives

Comment évoquer une histoire, un souvenir, un instant en

art vidéo

Mémoire

Camille Nadeau

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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La suggestion de pistes narratives

Comment évoquer une histoire, un souvenir, un instant en

art vidéo

Mémoire

Camille Nadeau

Sous la direction de :

Julie Faubert

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RÉSUMÉ

L’essentiel de ce texte se veut une réflexion sur la manière de raconter une histoire ou, plutôt, de l’évoquer : un questionnement qui fonde ma pratique de l’image photographique et vidéographique. Afin de mener à bien cette réflexion, plusieurs aspects de mon questionnement par rapport à l’image seront abordés : la notion de véracité historique, l’image photographique, l’image d’archives, la complexité, un « univers de possibles », ainsi que l’analyse de ma méthodologie de travail. Cet approfondissement théorique sera développé de connivence avec ma pratique visuelle qui, dans le cadre de ma maîtrise en arts visuels, s’est principalement déployée sous la forme de l’installation vidéographique.

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ABSTRACT

This text is essentially a reflection on how to tell a story, or rather, how to evoke it: a questioning that inhabits my photographic and video practice. To carry out this reflection, several aspects of this inquiry in relation to the image will be discussed, the notions of historical truth, the photographic image, the archive image, complexity, “a universe of possibilities” and also, an analysis of my methodology. This theoretical inquisition will be developed in collusion with my visual practice that has been deployed, during my master’s degree, mainly in the form of video installations.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé...iii

Abstract...iv

Table des matières...v

Liste des figures...vi

Remerciements...vii

Introduction...1

La complexité dans la représentation...2

Le problème de la représentation historique véridique...3

L’image photographique et l’image d’archives...8

Un univers de possibles...11 Stratagèmes et explorations...15 Je cherche...15 J’archive...17 Je crée...18 L’association et la superposition...19 Le hasard...24

Entre le mouvement et le fixe...26

La durée et le rythme...28

Le son...30

Je diffuse...31

Exposition à la Chambre blanche...33

Conclusion...35

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LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Camille Nadeau. Duplicité (détail). 2010...2

Figure 2 : Camille Nadeau. Les Guerres Mondiales (détail). 2012...6

Figure 3 : Camille Nadeau. There We Were. 2013...7

Figure 4 : Camille Nadeau. The Other Day (détails). 2013...12

Figure 5 : Camille Nadeau. Jumping Boy. 2013...20

Figure 6 : Camille Nadeau. Greenspond. 2014...22

Figure 7 : Camille Nadeau. Three Rivers. 2014...23

Figure 8 : Camille Nadeau. There We Were. 2013...25

Figure 9 : Camille Nadeau. Breeze. 2013...27

Figure 10 : Camille Nadeau. Now and Then. 2013...29

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REMERCIEMENTS

Je remercie premièrement Julie Faubert, ma directrice de maîtrise, qui m’a incitée en premier lieu à réaliser cette maîtrise et qui m’a guidée tout au long de mon cheminement.

Je remercie Véronik Desrochers pour son inestimable aide durant toute la rédaction ainsi que tout le long de mes études. Par sa connaissance de la langue française, elle a permis la finalisation de ce mémoire.

Je remercie également François Vallée et toute l'équipe de la Chambre Blanche de m'avoir permis d'exposer dans leur espace.

Merci à mon amoureux, Louis-David Létourneau Gagnon, pour son aide lors du montage de mon exposition, ses mille et une connaissances techniques et de son éternel sang-froid.

Finalement, je remercie mes grands-parents qui m’ont permis, grâce à leurs archives photographiques et vidéographiques incroyables, d’explorer les questionnements soulevés dans ce mémoire. Un merci particulier à ma grand-mère paternelle qui, par la rédaction de sa biographie, a été mon inspiration première tout au long de ma maîtrise.

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INTRODUCTION

« This is a personal story to which there are some bits added and some bits taken away. »1

C’est avec cette phrase que ma grand-mère entame sa biographie. Peu après le décès de mon grand-père, ma oma2 décide de raconter son histoire. Très vive d’esprit, orgueilleuse et

fière, ce qu’elle choisit de partager fait aussi partie de son histoire. Oma se définit non seulement par ce qu’elle dit, mais aussi par ce qu’elle omet. Selon moi, une histoire n’a nul besoin de se résumer à des faits pour être vraie. Ce qu’elle partage dans sa biographie,

Margot’s Story, c’est son histoire à elle. Ce qu’elle met par écrit, ou passe sous silence, reste

la vérité. Sa vérité. Son histoire. À son image. J’admire sa sincérité lorsqu’elle avoue qu’elle déforme ses propos. La lecture qui s’en suit invite à nous questionner, à imaginer. À douter.

Je ne vais pas raconter ici l’histoire de ma grand-mère, ni celles de tous ces personnages que je croise dans mes archives familiales, matériel essentiel à ma pratique artistique. Je vais plutôt emprunter la philosophie d’écriture que ma grand-mère a utilisée : une histoire personnelle, dans laquelle il y a des morceaux ajoutés et des morceaux enlevés. Ce que je propose à travers ce texte est une réflexion sur la manière dont on peut raconter une histoire... sans raconter. Une manière de montrer. Une manière d’imaginer. Une manière de proposer. Pour moi, une manière de créer.

Ce texte se déploiera donc en quatre parties. J’aborderai premièrement la notion de complexité dans la représentation historique et dans celle de la représentation de l’image photographique. Par la suite, j’expliquerai pourquoi cette complexité m’incite à proposer des pistes de narration, ce que je préfère nommer des « possibles ». Finalement, les stratagèmes et les explorations qui génèrent mes œuvres vidéographiques seront ensuite discutés.

1 Extrait de la biographie de ma grand-mère : Margot’s Story 2 Oma : grand-mère en allemand.

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LA COMPLEXITÉ DANS LA REPRÉSENTATION

Trois bûches semblables sont posées côte à côte. Chacune a reçu une modification quasi chirurgicale : une bande verticale d’environ deux pouces de large laisse entrevoir ce qu’il y a sous l’écorce. Il s’agit d’un « possible ». Une proposition que l’on ne peut entièrement qualifier de fictive. À moins de disséquer tous les arbres de ce monde, on ne peut pointer du doigt ni affirmer que c’est une supercherie. Des plumes, de la fourrure et du cuir, ce sont les matériaux insérés sous l’écorce de cette œuvre. Dans ce cas-ci, la fourberie saute aux yeux et l’ambiguïté est plus ou moins présente, mais le désir de créer une alternative constitue le cœur de ce projet. Aujourd’hui, je réalise que cette œuvre a été un tournant dans ma pratique; elle a amorcé une réflexion sur la représentation, une manière de raconter.

FFigure 1 : Camille Nadeau. Duplicité (détail). 2010. Bois, fourrure, plumes, cuir. 30 x 60 x 10 cm.

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La complexité dans la représentation, qu’elle soit visuelle, sonore ou écrite, me fascine. Au lieu de nous répondre directement, elle nous propose, des alternatives, des possibles. Il s’agit donc de créer une certaine ouverture à la complexité. Je considère la complexité et la confusion comme étant un élément positif de ma pratique. Sans pour autant rechercher le non-sens, je ne cherche pas non plus à simplifier afin de rendre quelque chose «compréhensible». Promouvoir la richesse de sens.

LE PROBLÈME DE LA REPRÉSENTATION HISTORIQUE VÉRIDIQUE

La découverte d’un héritage photographique familial m’a amenée à réfléchir sur les manières de rendre compte du temps. Le temps qui passe, qui laisse des traces. Des traces disparates. Le passé reste intangible et sera constamment source d’embrouillement. Entre ce dont on se souvient, ce qu’on sait et ce qu’on nous a dit, le passé demeure inévitablement confus. Ce problème de véracité historique est pour moi un problème magnifique. J’accepte et contemple cette distance, cette inévitable incompréhension du passé. Cet état est, pour moi, source d’inspiration. Je désire témoigner du rapport que j’entretiens avec ces archives tout en conservant cet embrouillement. Une représentation linéaire et traditionnelle du temps me paraît réductrice puisqu’elle ne contient point les histoires personnelles, ni les histoires parallèles, les histoires d’un instant et les histoires oubliées. Une représentation non linéaire du temps est infiniment plus riche. Riche de couches, riche de regards, riche de gestes, riche de sens.

Qu’il s’agisse de l’anthropologie, de l’histoire, du cinéma documentaire ou même de la philosophie, nombreuses sont les disciplines ayant posé un regard critique sur le caractère intrinsèquement incomplet de nos manières de rendre compte de ce qui a déjà eu lieu. Le

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passé est, pour moi, tout comme la notion de vérité, un point de vue à la fois personnel, culturel et social, une conception ne pouvant faire l’objet d’un discours unique, d’un discours absolument véridique. Cette impossibilité, loin d’être un fardeau ou une contrainte, est une porte ouverte à des hypothèses, à ce que j’appelle des possibles. L’art devient pour moi un lieu de questionnements et de liberté face à ces récits toujours inachevés et à nos vérités historiques incertaines.

Comment sait-on qu’un événement a eu lieu? Selon certains, les archives, les livres et les encyclopédies témoignent du passé, racontent la Grande Histoire. Mais en réalité, les archives et les livres proposent une ou des versions qui sont loin d’être complètes ni même objectives. Plusieurs philosophes et historiens ont réfléchi à cette notion de validité de l’histoire écrite. Entre autres, Walter Benjamin s’est exprimé ainsi : « Qui est-ce, en fin de compte, à qui devront s’identifier les maîtres de l’historisme? La réponse sera, inéluctablement : le vainqueur. »3 J’en suis venue à me demander : qu’arrive-t-il si nous faisons abstraction de preuves matérielles, nous fiant seulement à notre mémoire?

Découlant de ce questionnement, j'ai réalisé plusieurs projets principalement sous forme de livres en papier calque. Ces derniers constituent des stratégies pour témoigner visuellement de la pensée d’un groupe de personnes à propos d'un certain sujet. Il s’agit donc de créer une pièce qui questionne l’idée de documentation en tentant de représenter la mémoire ou les connaissances de ces individus. L’existence potentielle d’une mémoire collective est l’enjeu de ces documents. Ainsi ai-je créé Les Guerres mondiales et Pierre Laporte, deux projets au sein desquels l’écriture est présentée de façon à ce qu’on comprenne partiellement ce dont il est question, sans pouvoir lire le récit en entier. Entre le compréhensible et l’incompréhensible.

Ces livres sont le résultat d’une série d’entrevues avec plusieurs personnes portant, dans le cas de Pierre Laporte, sur l’enlèvement et l’assassinat du ministre libéral québécois, et portant sur les conflits majeurs que furent les Première et Seconde Guerres mondiales dans

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le cas des Guerres mondiales. Questionnant les individus à propos d’événements ou de personnages historiques, je me suis interrogée sur nos connaissances collectives en tant que membres d’une même société. Une exploration sur ce que l’on retient, ce qui marque l’imaginaire. J’ai donc compilé les données pour ensuite les superposer à l’aide de papiers calques, afin de percevoir les phrases, les fragments qui se répétaient d’un témoignage à l’autre. Le résultat final se veut une interprétation de nos connaissances par l’utilisation de l’opacité et de la transparence pour représenter des éléments que l’on se remémore ou que l’on oublie : l’Histoire racontée autrement.

Jochen Gerz, un artiste allemand ayant réalisé plusieurs œuvres d’art public, s’interroge également à propos de la mémoire et de la représentation en interagissant avec le public pour la réalisation de ses œuvres. En 2004, il a fait un sondage au Royaume-Uni demandant de nommer d’anciens pays ennemis des Anglais. Ainsi les huit nations les plus fréquemment nommées ont-elles été gravées sur des plaques de verre de cette façon : « À nos amis allemands, à nos amis japonais, à nos amis français, […]. » The Futur Monument4

se veut une œuvre de réconciliation, de paix et de changement. Au total, 6000 personnes ont participé à ce projet. Cette œuvre m’intéresse particulièrement puisqu’elle propose une version, un résultat qui a été obtenu par l’accumulation de données. Organiser des éléments, les comptabiliser et en faire une œuvre est un procédé qui me passionne. À plus petite échelle, bien sûr, les projets Pierre Laporte et Les Guerres mondiales tentent aussi de témoigner, de rendre compte de faits historiques, sans pourtant prétendre à l’exactitude ni à la vérité.

4 Gerz studio, The Future Monument, [En ligne], <http://www.gerz.fr/html/main.html?

res_ident=5a9df42460494a34beea361e835953d8&art_ident=6ff1f316130b1c4dc2269006cef67db6>, (page

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Figure 2 : Camille Nadeau. Les Guerres Mondiales (détail). 2012. Livret en papier-calque, 21 x 15 cm, 208 p.

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Poursuivant ce questionnement autour de l’incomplet, voire de l’impossible, représentation d’un moment passé, ma série vidéo There We Were contient dans chaque vidéo deux clichés distincts pris au même endroit, mais avec un court laps de temps écoulé entre eux. En les métamorphosant l’un dans l’autre, je génère une hypothèse sur ce qui aurait pu se produire entre ces deux images, ces deux instants. Ces vidéos révèlent, subtilement, les secondes écoulées entre les deux moments : l’apparition d’une personne, une chaise déplacée, un mouvement de tête. Une certaine poésie et une liberté se dégagent du fait de ne pas savoir ce qui s’est passé pendant ces moments, ainsi qu’une fascination à en découvrir les indices. À défaut de ne pas savoir entièrement, je propose, insinue et invente des possibles. Je confère également une dimension temporelle à un cliché photographique qui autrement serait resté fixe et silencieux.

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L’IMAGE PHOTOGRAPHIQUE ET L’IMAGE D’ARCHIVES

Une image vaut, dit-on, mille mots. Toutefois, même en étant très fidèle à la réalité, l’image photographique n’est jamais objective, paradoxe de la photographie auquel Roland Barthes s’est attardé dans « Le message photographique »5. Ainsi, théoriquement, l’image dénotée, c’est-à-dire l’image qui ne représente rien d’autre que l’image en tant que telle, ne proposerait-elle d’autre message que l’assimilation : l’image dénotée telle la photographie, serait l’analogon parfait du réel. Même si l’image subit une réduction proportionnelle au réel, elle ne se trouverait point modifiée. Il n’y aurait aucune étape entre regarder une photographie et la comprendre; nous n’aurions pas besoin de connaître un système quelconque de traduction pour l’assimiler. Barthes mentionne qu’en principe, le message photographique, du moins pour la photographie de presse considérée comme « objective », ne devrait afficher aucun style. Puisqu’il est l’analogon du réel, son message premier ne permettrait pas à un second message de se développer. Elle ne pourrait transmettre un message, une connotation, autre que la représentation du réel. L’auteur nous explique que cette déduction serait en fait un mythe, le message photographique serait toujours, à sa façon, connoté. De plus, cet aspect connoté se dévoilerait à la fois dans la production ainsi que dans la lecture de l’image. À la production, puisqu’il s’agit d’un cliché « […] travaillé, choisi, composé, construit, traité selon des normes »6 ainsi qu’à la réception, puisque l’image est lue par une société qui en discerne tout un langage de codes et de signes. Bref, l’image photographique n’est pas seulement une représentation du réel, elle est aussi porteuse de sens, sujette à changement selon les manipulations et la lecture qu’on en fait.

Par conséquent, la multiplication des manipulations que j'effectue vient inévitablement changer la façon dont nous percevons ces photographies. En les juxtaposant à d’autres images et en les retirant de leur contexte d’origine, je connote une image qui déjà n’était pas objective, parce qu’elle avait été cadrée et choisie. Effectivement, plusieurs photographies ne se rendent pas dans les albums de familles, puisqu’elles ne sont pas

5 Roland Barthes, « Le message photographique », Communications, Paris, Persée, 1961, p.127-138

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considérées comme étant « bonnes ». Certains trient méticuleusement leurs clichés, décidant lesquels méritent de traverser le temps, d’être conservés, d’être chéris. Jusqu’à un certain point, nous sommes responsables des images qui perdurent pour raconter notre histoire.

L’image affecte aussi notre façon de nous remémorer nos souvenirs. Jennifer Blessing décrit le phénomène ainsi : « […] photography has altered or as some theorists argue, completely reconfigured our sense of personal memory. From birth to death, all aspects of our lives are reconstituted as images alongside our own experience of them. »7 Notre mémoire est donc façonnée, voire déformée, par des images de notre passé et celui des autres. Même en regardant des photos d’inconnus, nous imaginons les événements, nous y accordons des souvenirs, souvent influencés par les nôtres, des situations que nous reconnaissons, des anniversaires, des voyages, etc.

L’artiste français, Christian Boltanski, se sert souvent de cette confusion identitaire ressentie face à des photographies d’archives. Présentant souvent des photographies et des objets qu’il associe à sa propre enfance alors que ce n’est pas le cas, il utilise des images qui pourraient appartenir à tous. Dans Les Modèles : Cinq relations entre texte et image, il présente des photographies d’enfants, tous situés dans le même parc et les présentent comme étant tous Christian Boltanski. L’artiste ira jusqu’à dire dans La vie possible de

Christian Boltanskique « tout enfant est Christian Boltanski »8 , démontrant ainsi le pouvoir

d’une photographie, et la facilité avec laquelle on peut lui donner une référence fictive. Chacun de nous se crée une sorte de mythologie et une sorte de vie rêvée en quelque sorte, une vie qui est emblématique. Dans mon travail, surtout au début, j’ai beaucoup parlé de mes souvenirs d’enfance, et en même temps, étrangement, je n’ai rien dit de toute mon enfance qui était tout de même très bizarre. J’ai choisi de parler d’une enfance qui était très normale et presque interchangeable.9

7 Jennifer Blessing a été la commissaire de l’exposition Haunted qui eut lieu du 26 mars au 26 septembre

2010, au Guggenheim de New York. La citation a été transcrite à partir d’un texte explicatif écrit sur un mur de l’exposition.

8 Catherine Grenier, La vie possible de Christian Boltanski, Paris, Seuil, 2007, p. 122

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De plus, l’image du passé est mystérieuse puisqu’elle est décontextualisée, fragmentée. Prenons, par exemple, une image joyeuse, simple : même si elle ne provient pas de notre propre passé, de nos propres souvenirs, une aura de nostalgie semble s’en dégager. Tel un souvenir personnel qu’on aurait oublié. Nous sommes si souvent confrontés à de vieilles images, que ce soit par Internet, dans les manuels d’histoire, ou encore au cinéma, que nous les avons en quelque sorte associées à notre propre passé. Comme si notre mémoire était plus vaste que l’étendue de notre existence. Les premières paroles du court-métrage Toute

la mémoire du monde d’Alain Resnais sont : « Parce que leur mémoire est courte, les

hommes accumulent d’innombrables prothèses ».10 Ainsi pouvons-nous parler d’événements comme si nous avions été vraiment présents, car nous détenons des archives, des images, qui nous font imaginer. Ces dernières évoquent souvent notre propre temporalité humaine sur un plan affectif. Il m’apparaît donc intéressant de mieux saisir l’origine évocatrice de ces fragments que j’associe personnellement à la temporalité inhérente à toute chose.

(suite) Schuch Productions, 2009. 4:30

10 Alain Resnais, Toute la mémoire du monde. France, Pierre Braunberger (du groupe des xxx), 1956.

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UN UNIVERS DE POSSIBLES

Monsieur Bilodeau n’est plus dans la section funéraire, mais fait l’objet d’une enquête criminelle. Sa femme n’est plus l’agente immobilière qu’elle était, mais témoigne de cette tragédie en page 3. Le dépanneur Gem n’existe plus. Gem est maintenant le nom d’un nouveau groupe musical qui fait sensation. Les bananes ne coûtent plus 99 ¢ la livre, mais font maintenant partie d’une enquête pour retrouver la source d’un nouveau virus qui fait rage aux États-Unis. Rien de moins.

Ces affirmations loufoques sont le résultat de mes bricolages d’enfants. Sur des feuilles blanches, je refaisais la une des journaux. Mes collages, quoique légèrement dramatiques, ne racontaient pas des histoires, mais en proposaient. En découpant et en associant des extraits de journaux, je ne m’imaginais pas concrètement ces situations, je m’intéressais plutôt à créer de la fourberie. Je ne m’en tenais qu’aux titres qui donnaient l’impression d’un récit quelconque. Je ne me suis jamais attardée à écrire les récits que je proposais.

Aujourd’hui, je propose toujours des récits. The Other Day est une série photographique dans laquelle je présente plusieurs diptyques mettant en relation des images d’archives et des photographies récentes. Chaque duo est composé d’une photographie issue de mes archives familiales (1950-1970) ainsi qu’une autre issue d’une banque d’images que j’ai moi-même prises. Tous les clichés ont été pris dans des contextes différents, mais en les associant en paire, je leur donne un sens nouveau, sans que leur sens premier soit abandonné pour autant. Cette association d’images, qui crée des nouveaux «possibles» complexifiant des images, devient substantielle dans mon travail.

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Figure 4 : Camille Nadeau. The Other Day (détails). 2013. Montage photographique, 10 x 150 cm.

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Alors que notre esprit tente de comprendre ce qui est présenté, des questions et des hypothèses prennent forme. C’est ce que j’appelle « les possibles ». Une stratégie qui implique le créateur et le spectateur dans un processus interrogatif créatif. Ce moment de questionnement, où l’on tente de trouver un sens, me fascine. Lorsque plusieurs possibilités sont admissibles. Ce moment où nos savoirs ne sont pas à la hauteur, ce moment où une ou plusieurs nouvelles réalités s’offrent à nous.

En quelque sorte, il s’agit d’utiliser la discordance comme affirmation. À ce sujet, dans son texte La parole plurielle, Maurice Blanchot écrit :

La parole de la dialectique n’exclut pas, mais cherche à inclure le moment de la discontinuité : elle va d’un terme à son opposé, par exemple de l’Être au Néant; or qu’y a-t-il entre les deux opposés? Un néant plus essentiel que le Néant même, le vide de l’entre-deux, un intervalle qui toujours se creuse et en se creusant se gonfle, le rien comme œuvre et mouvement.11

Au lieu de qualifier quelque chose de vrai ou de faux, je recherche l'entre-deux, l'ambiguïté. Je soupçonne que mon désir de créer cette l’ambiguïté est lié au fait que j’affectionne le mystère, cet exercice, même futile, de chercher un sens. Celui qui nous porte à réfléchir. Comment en sommes-nous venus à cela? Comment est-ce possible? J’ai rapidement admis que je ne comprendrais pas tout. Néanmoins, il y a une certaine liberté dans l’incompréhensible. Je peux en penser ce que je veux, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Entre deux définitions ou deux identifiables, une foule de possibilités existent. Quelque chose d’incertain et d’inexplicable est libre de toute catégorisation. La complexité s’oppose à l’aliénation. J’extrais de mes archives quelque chose d’indiscernable, je le transforme, je lui attribue une forme, un cadre, de nouveaux sens, et finalement, je le diffuse, tout aussi incompréhensible. Je respecte l’aura de mystère qu’une image dégage, je l’utilise, la mets en valeur, lui accorde une nouvelle vie, tout aussi évasive.

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Je ne désire pas recréer des histoires ni apposer une nouvelle narration à des images. Pour moi, il est davantage question de proposer des pistes, des effets de narrativité. Je construis rarement une vidéo avec un début, un milieu et une conclusion. J’essaie de me distancer de la recette cinématographique classique d’une narration linéaire. Je favorise des œuvres pouvant être lues en commençant par n’importe quel moment ou image. C’est la raison pour laquelle plusieurs de mes vidéos peuvent être jouées en boucle sans interruption. Souvent, le spectateur réalise seulement après la deuxième ou la troisième lecture que ce sont les mêmes images, la même vidéo, qui défilent à nouveau devant lui. Il se laisse porter par le flot d’images, et entraîner dans cette narration ouverte.

Pour moi, l’art n’est pas une façon de communiquer un message clair au spectateur. Je me sentirais éternellement incomprise si tel était le cas. La multitude d’interprétations possibles qu’une image ou qu’un mot peut évoquer est un facteur qui participe à cette

incompréhensibilité. Si notre langage était dépourvu de toute ambiguïté, il serait

nécessairement réducteur. Il s’agit donc, pour moi, de raconter autrement. En toute liberté. En explorant les images et le temps comme sources de confusion et de complexité, je superpose et embrouille les codes.

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STRATAGÈMES ET EXPLORATIONS

Je cherche. J’archive. Je crée. Je diffuse.

JE CHERCHE

Des albums de famille.

Des enregistrements vidéo maison. Des journaux. Des biographies. Des négatifs. Des moments. Des situations. Des gestes. Des regards.

Je cherche des images.

Parfois, ces images ont été capturées par quelqu’un il y a longtemps. Parfois récemment. J’utilise souvent de vieux enregistrements super 8 datant des années 60 à 80. J’affectionne particulièrement ces images. Elles sont très naïves. Ce sont des souvenirs familiaux filmés en amateur, la super 8 ayant été une des premières caméras accessibles à la classe moyenne. La caméra bouge beaucoup, se promène d’un sujet à l’autre rapidement, donnant des images souvent théâtrales. Les personnages de ces vidéos ne sont pas acteurs, mais ils exagèrent leurs expressions. Ils ne sont pas naturels devant une caméra ni accoutumés à sa présence. On ressent énormément l’intuition de la personne qui filme. La vidéo passe rapidement et chaotiquement du sapin de Noël, aux cadeaux, à un enfant, aux chats qui jouent avec les papiers traînant sur le sol. Ainsi la caméra capte-t-elle énormément d’images et de situations en peu de temps. De plus, puisqu’il n’y a pas de bande sonore associée aux enregistrements, un mystère plane déjà sur ces images. Habitués à une

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association son/image, des informations semblent nous manquer. On se demande pourquoi une certaine personne rit, de quoi elle parle, pourquoi elle est surprise.

Même s’il s’agit d’archives familiales, je ne les traite pas comme telles. Le hasard a fait en sorte que je possède actuellement un héritage visuel incroyable. Mon grand-père paternel était un amateur de photographie et de super 8, et j’ai numérisé l’entièreté de ses archives. Ce côté de la famille étant d’origine anglaise et allemande, les images de cette banque proviennent de l’Angleterre, de l’Allemagne (de l’Est et de l’Ouest), mais aussi de voyages en France et même au Canada. Il en est de même pour mon arrière-mère et ma mère maternelles venant des provinces maritimes. J’ai même des images venant du grand-père de mon conjoint qui possédait un cinéma à Shawinigan, ajoutant ainsi des images québécoises, des paysages d’hiver à ma banque. Mais en fin de compte, lorsque j’utilise ces images, je reconnais peu de personnes. Il pourrait s’agir des souvenirs d’une autre famille et je les traiterais similairement, c’est-à-dire avec fascination pour les images elles-mêmes et non pour le lien qui les relie à ma propre histoire.

À force de passer des heures à visionner des archives filmiques et photographiques, j’ai développé une certaine sensibilité que je transpose maintenant dans un regard critique posé sur ce qui est autour de moi, en temps réel. Ainsi, je capture parfois ce qui m’entoure avec ma propre caméra. Grâce à l’acquisition récente d’un iPhone, je me suis mise à explorer les possibilités que me propose l'aspect photographique de cet appareil. La facilité de capture représente un atout considérable. La simplicité d’usage fait en sorte que la capture d’images est rapide. Tout comme celles que je trouve, je ne réfléchis pas à leur finalité. Je filme ou photographie l’instant présent, car j’y suis sensible, à ce moment précis. Qu’importe l’origine d’une image, elle n’est jamais destinée à une œuvre précise lors de sa capture.

La qualité technique de l’image, c’est-à-dire la résolution, la stabilité, la balance des blancs, etc., n’est pas un élément qui a beaucoup d’importance dans ma pratique. Puisque je travaille souvent avec des images d’archives ayant une pauvre résolution graphique, j’ai

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une sensibilité pour l’esthétique d’une image présentant du grain ou d’autres caractéristiques associées à une basse résolution. Ces caractéristiques plastiques de l’image participent aussi aux lectures possibles, aux interprétations que le spectateur peut faire.

J’ARCHIVE

Lorsque j’effectue de la recherche d’images, je ne trie pas, je garde tout. Conséquemment, des banques d’images se créent dans mon ordinateur et mon cellulaire. Certaines images peuvent rester latentes des années avant que je ne les redécouvre. Le temps écoulé entre le moment où je trouve ces images et le moment où je les utilise, amplifie le fait que je suis souvent déconnectée de leur source originale, c’est-à-dire familiale.

Ces banques d’images me permettent d’expérimenter. Lorsque vient le moment de créer une œuvre, je cherche des éléments dans ces bibliothèques pour ensuite les associer, les superposer, etc. À n’importe quel moment, je peux m’installer à mon ordinateur, sans idée précise, et expérimenter. Cette méthodologie de travail me permet une grande autonomie en création. Effectivement, je n’ai pas besoin d’attendre l’inspiration.

Cette notion de banque de données a aussi été utilisée par deux artistes vidéo, Christian Marclay et Eve Sussman, dont j’évoquerai le travail en profondeur un peu plus loin dans ce texte.12 Pour plusieurs œuvres, Marclay a fouillé dans les archives cinématographiques du 20e siècle et en a extrait des moments clefs qui lui plaisaient. Notamment dans The Clock, où il a choisi des moments où l’heure était visuellement montrée à l’écran. Pour sa part, Sussman, dans Whiteonwhite:algorithimicnoir, a filmé et créé elle-même une banque de données de scènes cinématographiques, pour ensuite les faire diffuser par un algorithme pour une durée infinie. Quoique le résultat de ces deux œuvres soit très différent, Marclay proposant une œuvre parfois farfelue et absurde mais qui impressionne par son vaste contenu de références, contrairement à Sussman montrant un univers plus sombre et

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mystérieux qui semble ne jamais se terminer, l’utilisation de la banque de données donne lieu, dans les deux cas, à des œuvres aux associations complexes. De ce fait, les œuvres de ces deux artistes présentent des images qui originalement n’ont pas été conçues pour se côtoyer. Ils ont créé une énorme banque d’images pour ensuite les retravailler, les agencer, les repositionner. L’œuvre propose des juxtapositions. Le spectateur fabrique un sens. Il s’agit d’un stratagème que j’affectionne tout particulièrement.

JE CRÉE

Je commence la création d'une oeuvre en sélectionnant des images dans ma banque de données. C’est souvent l’étape la plus longue. Choisir un moment. Être sensible à la poésie et au potentiel d’un instant, à l’évocation furtive d’un événement, d’un souvenir oublié. Être fascinée par le fait que cette scène ait déjà eu lieu. Que ce passé ait été un présent. L’honneur de pouvoir en observer une trace, un fragment. Un peu comme l’« instant décisif » de Cartier-Bresson, il s’agit de choisir un instant, une image, une composition. Être sensible. À ce propos, en 1957, Bresson a confié au Washington Post :

There is a creative fraction of a second when you are taking a picture. Your eye must see a composition or an expression that life itself offers you, and you must know with intuition when to click the camera. […] That is the moment the photographer is creative.13

Un peu comme un photographe, je regarde défiler des images. Ma sensibilité et mon intuition m’amènent à faire un choix. Je sélectionne un instant passé et le transforme. Contrairement à l’image fixe de Bresson, des images fixes ou en mouvement qui ont déjà été captées par un tiers me convainquent d’en faire une œuvre.

Les raisons pour lesquelles je choisis une image plutôt qu’une autre sont très variées. Dans tous les cas, il s’agit d’un instant, d’un cliché, d’une situation qui est ouverte, qui semble pouvoir être encore plus complexe qu’elle ne l’est déjà. Un moment qui me permettra d’en

13 Cité par le Washigton Post : Adam Bernstein, «The Acknowledged Master of the Moment», Washington

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faire une œuvre en soi, détenant assez d’éléments qui suscitent mon questionnement. Un regard étrange, une forme indéfinie, un instant absurde, un instant surpris, un instant flou, un instant figé, un instant qui passe, un instant qui n’existe plus…

Le montage de ces sélections se fait rapidement. Peu de temps est mis dans l’assemblage et la mise en relation des images. Habituellement, je conçois l’œuvre en une séance de travail, ce qui lui donne un aspect brut. En effet, les images se succèdent sans transition. Souvent, les couleurs et la luminosité ne sont pas retravaillées, créant des discordances visuelles, donnant un effet stroboscopique. Le tout est le résultat de ma sensibilité et de mon intuition au montage. Il s’agit de complexifier un moment, d’en ouvrir le sens, de le rendre intrigant.

Une fois choisi, j’explore avec ces images l’association, la superposition, le hasard, la relation entre le mouvement et le fixe, la durée, le rythme et le son.

L’association et la superposition

La confusion est pour moi un stratagème essentiel dans la création de mes vidéos. C’est ma manière de rendre une œuvre ouverte, de proposer des sens multiples. Je convoite la confusion énigmatique, celle qui génère un questionnement, une confusion qui devient, en quelque sorte, positive. L’association et la superposition d’images, de mots et de sons sont des manipulations que j’emploie souvent à cet effet. J’associe des éléments, souvent de façon intuitive et très peu calculée, pour en observer l’effet. C’est le moment que je préfère dans mon processus. La contemplation des liens qui se créent. Je choisis des moments que je trouve intéressants et j’explore. J’essaie des combinaisons.

Des images regroupées tissent inévitablement des liens entre elles. Des liens qui n’existaient pas avant cette manœuvre d’assemblage. Ainsi une nouvelle situation est créée. Souvent, ces rapports produisent une ambiguïté et une complexité qui remettent en question le culte de vérité qui caractérise l’image photographique. Il s’agit d’une réflexion sur la nature connotée de l’image photographique et sur les espaces poétiques ouverts par cette

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démarche. C’est un automatisme de vouloir associer des images de façon logique, créant des récits mentaux complètement fictifs, produisant une forme de paréidolie14 narrative où l'on essaie de faire du sens avec du non-sens. La durée d’une image influence aussi la perception que nous en avons. Par exemple, une certaine confusion et une aura de mystère peuvent être produites par des images qui se succèdent rapidement. Notre œil est en mesure de percevoir une image qui ne dure qu’une fraction de seconde, mais n’a pas le temps de l’analyser. Jumping Boy est une vidéo dans laquelle des images n’ayant aucun lien entre elles se succèdent parmi une série d’images représentant un garçon qui saute et qui tombe lentement. Dès lors, les questions se succèdent. Quel est donc le lien entre cette femme à la fenêtre, cette femme se retournant dans la rue et ce petit garçon?

J'effectue ces associations d’images autant dans le cadre d’une série photographique qu'au sein d’une vidéo. Dans cette dernière, pour créer et forcer des liens entre elles, les images peuvent être fixes ou en mouvement.

Un lien avec l’œuvre The Clock de Christian Marclay serait ici pertinent. Cette œuvre vidéo de 24 heures où il présente des extraits de films dans lesquels on aperçoit une montre, une horloge ou un cadran. L’association des images est délibérée, mais jusqu’à un certain point

14 « Illusions dans des évocations d’images » (Henri Piéron, Paréidolie (psychologie : fiche terminologique

de l’Office québécois de la langue française)

FFigure 5 : Camille Nadeau. Jumping Boy. 2013. 3 arrêts sur image, vidéo, 1min. 7sec.

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seulement. L’artiste a intentionnellement choisi ces images d’après un critère très précis : l’heure doit toujours être visible. Mais au départ, n’ayant aucune idée des extraits de films qu’il allait trouver, il ne pouvait s’attendre au lien que certaines images allaient avoir entre elles. Il y a beaucoup de coïncidences et de hasards, même dans cette méthodologie rigoureuse.

De façon similaire, une association d’images est présentée dans Whiteonwhite:

algorithimicnoir d’Eve Sussman. Dans cette œuvre, un montage fait sur place est exécuté

par un programme algorithmique qui détermine, à l’aide de mots-clés et autres métadonnées le quoi, le quand et la durée d’une séquence donnée. Par conséquent, le film peut être joué à l’infini : il n’a pas de début, de milieu ou de fin. Chaque scène a été conçue de façon à ce qu’elle puisse facilement se joindre à n’importe quelle autre. Elles sont ouvertes, mystérieuses, permettant une multitude de situations et d’enchaînements. Tout comme Marclay, Sussman ne pouvait donc pas tout prévoir : il lui était impossible de répertorier l’ensemble des agencements possibles entre les séquences faisant partie de la banque de données.

Dans le cas de mes vidéos où plusieurs images venant de sources variées se côtoient,15 je contrôle la succession d’images, contrairement à Sussman. Je choisis quelle image succédera à l’autre, mais souvent, je le fais rapidement, sans trop y penser, car je sais que les images que j’ai sélectionnées au départ sont de nature ouverte, porteuses de sens multiple. Intentionnellement, j’essaie de ne pas trop diriger le discours que ces images peuvent développer entre elles. Je laisse place au hasard, aux possibles.

Comme mentionné plus haut, dans la série vidéo The Other Day, j’ai graduellement juxtaposé deux images fixes qui ont été capturées l’une après l’autre dans un court laps de temps. Quelques secondes ou quelques minutes, on ne le saura jamais. Je tisse entre elles des liens sémiotiques informels de sorte qu’il en émerge non pas un récit, mais plutôt un

15 En opposition à certaines de mes vidéos où une ou deux images ou des séquences seulement ont été

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certain effet de narrativité. Conséquemment, nous avons l’impression qu’un instant du passé défile, lentement, à nouveau devant nos yeux. En fait, il s’agit d’un instant fictif ou, du moins, du fantôme fragmenté d’un moment qui a déjà eu lieu, ma proposition d’un temps qui n’a pas été capturé, mais qui se situe entre deux clichés. La forme humaine est particulièrement intéressante à manipuler de cette façon. Il se crée des êtres étranges aux regards multiples.

Dans Greenspond, en superposant des images imprimées sur acétate photographiées approximativement au même endroit, mais pas exactement du même point de vue, un jeu de concordances peut être exploité. Ainsi le spectateur peut-il manipuler des images, tenter de faire concorder des éléments à défaut d’autres. Créant ainsi des images déphasées et embrouillées. Une inadéquation.

Figure 6 : Camille Nadeau. Greenspond. 2014. Montage photographique sur papier acétate, 30 x 30 cm.

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Normalement, j’implique le spectateur dans une réflexion, un questionnement sur les choix de concordances d’images que j'ai créées et que je lui présente. Dans ce cas-ci, il prend un peu ma place. Il juxtapose lui-même les images que je lui propose.

Pour la vidéo Three Rivers, j’ai superposé deux séquences vidéo que j'ai moi-même capturées. Le résultat donne une ambiance étrange où l’on aperçoit un paquebot aux mouvements incertains dans le ciel nuageux d’une ville. Il se crée ainsi des images complexes où différents objets et formes s’entremêlent et s’hybrident. Un certain effet de confusion est réalisé par le fait que la superposition semble pouvoir correspondre, par moments, à la réalité. L’œuvre se retrouve en suspens entre le réel et le surréel.

Non seulement cette recherche de confusion peut être atteinte par des images, mais aussi par le langage écrit ou oral. J’ai commencé à explorer cette piste dans la confection des

Figure 7 : Camille Nadeau. Three Rivers. 2014. Vidéo, 1min. 18sec.

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livres en papier calque, Les Guerres mondiales et Pierre Laporte, évoqués un peu plus tôt. J’ai ensuite présenté ces mêmes images de mots embrouillés dans une vidéo. La vidéo est accompagnée cette fois d’une trame sonore où l’on m’entend chuchoter. Je récite des fragments de la biographie de ma grand-mère. Ma voix, diffusée en quadriphonie, se chevauche et s’entrecoupe. On discerne des mots, mais l’ensemble est confus. Entre le compréhensible et l’incompréhensible. Reconnaître la langue et certains mots, mais ne pas en comprendre le sens. Brouiller ou superposer les codes. Saisir des fragments.

Le hasard

Accepter que des événements soient hors de mon contrôle et en reconnaître le potentiel et la poésie fonde l’essentiel de ma démarche artistique.

Arp believed that through chance, the artist could summon providential guidance to his aid. In this exercise he saw an act of self-negation for the artist, and an opportunity to access the subconscious as a source of inspiration. By eliminating the will, or direct intervention, of the artist in the making of the work, Arp sought to elevate chance to a philosophical principle. According to Arp, the most successful artist was attentive to these external influences since ‘chance in the art of our time, is nothing accidental but a gift of the muses’.16

Malgré l’écart entre la pratique d’Arp et la mienne, cette citation évoque bien mon attrait pour l’incontrôlé. Non seulement accepter, mais chérir les conséquences du hasard. Toujours dans ma série photographique There We Were, les deux clichés d’origine ont été choisis, mais le processus esthétique de la métamorphose reste, lui, imprévisible. Un visage qui apparaît dans un collet de manteau, une cuisse de femme se matérialisant sous la main d’un homme ou le déplacement d’une chaise sont tous des événements qui n’ont pas été prévus. Une quantité illimitée d’images peut ainsi être générée hors de mon contrôle. C’est ce qui les rend, à mon avis, si poétiques. À ce propos, Eve Sussman en parle dans une interview où elle explique ses recherches : « I'm looking for chance-generated poetic

16 Lily Dìaz, « By chance, randomness and indeterminacy methods in art and design », Journal of Visual Art

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juxtapositions. »17. Des rencontres visuelles inattendues. Il y a un certain plaisir à effectuer ce processus : choisir deux images, laisser un ordinateur les juxtaposer, et ensuite observer le résultat.

FFigure 8 : Camille Nadeau. There We Were. 2013. 2 de 5 dans une série du même nom, vidéo, 1min. 8sec.

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Provoquer et contempler le hasard est très captivant. En quelque sorte, je cherche à m’étonner, je suis autant spectatrice qu’artiste. Je suis témoin de hasards qui m’émeuvent, qui me poussent à les partager avec d’autres.

Infinite complexity is randomness, and randomness is certainly not a human creation. Randomness is not a vehicle for communication between two human beings. It is up to the artist to discover what the acceptable limits are, and hence avoid being too simple or too complex. These limits are obviously difficult to define and are variable.18

Il s’agit donc pour moi de créer du hasard et de la confusion à un juste niveau. Juste assez pour créer de l’intrigue, mais pas trop, pour ne pas laisser le spectateur sans indices, sans sens et sans intérêt. Je cherche à créer une « juste complexité ».

Entre le mouvement et le fixe

En transformant l’image photographique ou vidéo, j’explore parfois la frontière nébuleuse entre ces deux médiums. À cheval entre deux pratiques, de ces oeuvres émergent des ambiances troubles où une image originalement fixe est convertie en image légèrement en mouvement. Oscillement est une série vidéo que je continue d’approfondir et qui va en ce sens. La légère palpitation d’un brin de foin dans Breeze19 ou l’oscillation d’un avion dans

Airplane deviennent l’insinuation d’un mouvement, le fragment d’un instant passé.

L’insertion du mouvement est si subtile qu’on ne le remarque pas au premier regard, mais lorsqu’on le remarque, le décalage créé fait que l’on se demande si l’œuvre présentée est une photographie ou une vidéo. Un sentiment d’étrangeté s’instaure dû à la confusion de la nature de l’image. L’ambiguïté entre l’image fixe et le mouvement rappelle ce que Freud appelait « l’inquiétante étrangeté » : quelque chose de familier, dans ce cas-ci, le caractère fixe de la photographie, qui soudainement surprend, détonne, se transforme légèrement.

Le contraire est aussi exploité : créer une vidéo avec des mouvements très lents ou très subtils, pour qu’elle devienne presque fixe. Le mouvement, même s’il est continu, n’est

18 Alain Hénaut et Michel Mendès, «Art, Therefore Entropy», Leonardo, vol. 23, n° 3, (1994), p.220 19 En haut, à droite de la figure 9.

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alors perçu qu’après un certain temps. On réalise soudain que l’image que l’on regardait s’est légèrement transformée. Tel est le cas pour les clichés se métamorphosant l'une dans l'autre dans ma série vidéo There We Were20.

Dans les deux cas, l’attention nécessaire pour découvrir le détail en mouvement est intéressante. Il faut jouer au détective, chercher et tenter d’expliquer l’étrangeté. Cette soudaine réalisation fait sourire le spectateur. C’est un jeu tout simple, renfermant une certaine poésie, qui vient ouvrir l’image. Une fois la prise de conscience faite, l’œuvre est vue différemment, non plus comme à l’origine. Une lecture différente s’en suit. Une lecture où le détail, le mouvement, l’apparition s’insèrent dans un univers qui leur est propre.

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La durée et le rythme

La lente transformation d'une image ou l’arrêt complet d'une séquence en mouvement peuvent, entre autres, engendrer une ambiance captivante. « The hypnotic arrest of the image induces an emotional capacity that absorbs and dissolves the autonomous perspective of the subject into a temporality outside of their control »21 : ce sont les mots utilisés par Maria Walsh pour décrire cette sensation.

Gilles Deleuze, dans Cinéma 2 : L’image-temps, décrit ce passage possible entre l’image-mouvement et l’image-temps. Il explique que l’image-l’image-mouvement ne nécessite pas de réflexion de la part du spectateur qui anticipe une suite logique à celle-ci. Par exemple, lors d’un dialogue entre deux personnages où les plans se succèdent d’un visage à l’autre de façon logique au fur et à mesure qu’ils se répondent. Les paroles définissent donc la durée de chaque plan. Ce qui n'est pas le cas de l’image-temps qui est plutôt une image n’ayant ni début ni fin logiques. Par exemple, lorsqu’un personnage regarde au loin d’un air pensif, le temps écoulé n’est pas une conséquence de ce qui se produit. Deleuze illustre cette notion comme une action qui flotte dans une situation, plutôt que d’arriver à une conclusion ou un renforcement.22 C'est donc ainsi que nos connexions sensorielles peuvent être relâchées, absorbées par une image, simplement pour ce qu’elle est.

La plupart des moments que j’extrais de mes archives n’ont pas de début ni de fin logiques, c’est-à-dire que la durée qu'elles détiennent, ou que je leur attribut, n’est pas influencée par l’action qui se déroule. Lorsque j’étire un moment, une séquence vidéo de dix secondes peut devenir, sans ajout d’images, une vidéo de quatre minutes. Je ne fais que transformer sa temporalité, sa forme, etc. Cela devient donc, une image-temps. Cet effet est utilisé dans ma vidéo Now and Then où, pendant la majorité de la vidéo, deux enfants se baignent au loin dans un lac. L’image dure beaucoup plus longtemps que nécessaire pour faire comprendre au spectateur l’action qui prend place. Les deux personnages ne se dirigent

21 Maria Walsh, « You’ve got me under your spell : the entranced spectator », Screen/Space, The projected

image in contemporary art, Manchester, University Press, 2011, p.114

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dans aucune direction ni ne semblent donner du sens à leur mouvement. Ils ne font que bouger, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Vers la fin de la vidéo, l’un des deux enfants entreprend de se diriger vers la caméra, ce qui déséquilibre l’image-temps. L’image a maintenant une certaine narrativité, une intention, jusqu’au moment où le personnage atteint la caméra, alors la vidéo prend fin, terminant la séquence qui est image-mouvement. Ce passage de l’un à l’autre, comme Deleuze l’explique aussi, engendre des situations déstabilisantes.

Présentant un tout différent rythme, mes plus récentes vidéos explorent davantage ce que j’appelle l’effet stroboscopique. Comme dans Swimming in a Fish Bowl, qui, un peu comme Jumping Boy, montre une suite d’images qui n’ont aucun lien entres elles à travers une autre suite d’images qui, elles, sont liées parce qu’il s’agit d’une action continue. Dans

Swimming in a Fish Bowl, des images d’un chat près d’un aquarium sont entrecoupées

d’images diverses telles qu’un garçon au volant d’une voiture et des personnages qui se baignent. Ces vidéos sont généralement de courte durée, et puisqu’elles ne présentent aucune, ou peu, de linéarité ou de narrativité, elles sont jouées en boucle.

Figure 10 : Camille Nadeau. Now and Then. 2013. 3 arrêts sur image, vidéo, 4min. 9sec.

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Figure 11 : Camille Nadeau. Swimming in a Fish Bowl. 2015. 3 arrêts sur image, vidéo à jouer en boucle, 34sec.

Le son

Malgré le fait que je travaille très peu le son, je l'utilise parfois pour complexifier ou densifier mon œuvre et former un tout « harmonieux ». Dans Now and Then, la trame sonore est une suite de sons de basses fréquences et de notes au piano, sans mélodie. Cela contribue à créer une atmosphère dramatique incitant le spectateur à porter attention à chacun des gestes du personnage, dans l’attente d’un événement marquant. Je crée donc une tension supplémentaire entre le sens qui pourrait se dégager de l’image seule et celui qui naît de la rencontre entre l’image et le son.

Le rythme sonore peut aussi être une stratégie utilisée pour créer une ambiance envoûtante. À ce propos, Maya Deren explique: « Sustained rhythmic regularity and the fact that the source of it is outside the individual rather than within, means that consciousness is unnecessary as it were in the maintenance of this concentration. 23 Cette théorie sur le rythme sonore peut aussi s’appliquer au rythme d'une succession images ou l'effet lumineux de celle-ci.

Toutefois, la plupart de mes vidéos n’ont pas de bande sonore. Puisque j’utilise souvent des

super 8 qui n’ont pas de son, j’aime m’en tenir à cette caractéristique et à l’ouverture que le

silence de ces images propose.

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JE DIFFUSE

Je favorise la projection pour la diffusion de mes vidéos. Une des propriétés de la projection est sa grande flexibilité. Effectivement, tout dépendant des spécificités du projecteur employé, il est possible de projeter sur à peu près n’importe quelle surface et dans toutes sortes de contextes, ce qui me permet d’ajouter une couche de complexité à la lecture de mes propositions vidéographique, de lier leur contenu à un certain lieu.

Chaque vidéo nécessite son exploration de mise en espace. Parfois, une vidéo exige un mur complet, du plafond jusqu’au sol. Tantôt, elle est mieux présentée de façon plus discrète. Certaines caractéristiques propres à chaque vidéo influencent cette exploration. La présence de personnages influence souvent ce choix puisqu’une relation se développe entre le corps du spectateur et le corps de celui qui est représenté. Par ailleurs, une vidéo peu contrastée, désaturée, fonctionne moins bien à très grande échelle où le projecteur perd de sa netteté. À l’opposé, une image contrastée fonctionne plus souvent à grande échelle. Après plusieurs explorations à ce sujet, même si certaines règles semblent récurrentes, chaque vidéo est unique et réclame sa propre exploration. Il en va de même dans le cas d’une série, où certaines relations se créent inévitablement entre les vidéos, ce qui influence leur mise en espace.

Plusieurs de mes vidéos sont circulaires. Le cercle nie en quelque sorte l’idée classique de l’écran et du cinéma. La projection circulaire peut se superposer à un mur rectangulaire sans donner l’impression de se dédoubler c’est-à-dire d’intégrer un rectangle sur un rectangle. Il s’agit d’un format qui se prête facilement à une grande variété de surfaces. La composition de l’image s’en trouve aussi plus serrée, plus intime, rappelant notre propre vision, notre œil.

Comme je l’ai mentionné plus haut, certaines de mes vidéos présentent un effet stroboscopique, conséquence d’une grande variété d’images se succédant rapidement. La

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pièce dans laquelle les œuvres sont projetées influence l'ambiance globale, puisque les murs reflètent la lumière, créant un univers clos, quelque peu étourdissant par moment. Les proportions et la couleur de la pièce auront donc un impact sur la création d’un environnement visuel. La couleur des murs peut aussi être utilisée. Par exemple, plusieurs de mes œuvres ont déjà été projetées sur des murs très sombres. Cette noirceur ajoute une présence particulière aux images vidéo, donnant l'impression d'être absorbé par le mur et non seulement être projeté sur celui-ci.

Lorsque vient le moment de diffuser ces projections, j’aborde un lieu d’exposition de manière semblable au montage vidéo. Au lieu d’utiliser une seule vidéo comme point de départ, j’utilise l’espace. L’endroit devient donc pour moi un espace de narration possible. Je ne tiens pas à juxtaposer des œuvres, mais bien à créer des liens entre les vidéos présentées, afin de créer un tout qui, comme mes vidéos individuelles, donne une impression de narrativité. Je souhaite créer une certaine complexité, non seulement au sein d’une œuvre, mais au cœur de plusieurs projections.

Comme mon montage vidéo qui se fait rapidement, l’occupation d’un lieu se fait de la même façon. Je passe quelques jours à essayer des combinaisons de vidéos sur place, pour finalement créer un univers qui n’avait pas, ou très peu, été imaginé au départ. En effet, le résultat final n’est pas prévu avant de commencer l’exposition. Toutefois, je n’arrive pas non plus les mains vides. Précédant une exposition, je crée des vidéos et des série vidéos. Cela peut être effectué à partir de vidéos nouvelles ou déjà faites. Je peux m’inspirer d’une thématique, par exemple, je pourrais utiliser seulement des images filmées en campagne ou des images heureuses ou plutôt tristes. Je peux aussi créer une série vidéo dans laquelle des images identiques se retrouvent dans plus d’une série, créant une recherche de correspondance, une intrigue où le spectateur a une impression de déjà-vu. Bref, les possibilités sont nombreuses. L’essentiel est que j’élabore des options et des possibilités, et que je crée des œuvres pouvant être présentées en série ou seules. Je vise l’abondance de petites vidéos afin que, sur place, dans un espace, j’aie en banque une grande variété de possibilités d’ambiance et d’effet de narration. Donc, au lieu de jongler avec des images

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comme lors de mon montage, je jongle cette fois avec des vidéos, en les juxtaposant, les superposant, etc.

Exposition à la Chambre blanche

Du 13 au 17 janvier aura lieu mon exposition de fin de maîtrise au centre d’artistes la Chambre blanche. Préalablement, du 8 au 13 janvier, je vais occuper les lieux afin d’effectuer le montage de cette exposition. Ce laps de temps me permettra de faire des tests de projection. À l’aide de ma banque d’images, je choisirai quelles œuvres présenter, à quels endroits et de quelles tailles elles seront. Intuitivement, je vais créer des liens entre mes vidéos afin d’élaborer une ambiance dans la salle, englobant toutes les œuvres. Présentement, un peu moins de deux mois avant l’exposition, je ne sais pas exactement quelles vidéos seront présentées, ni même si elles sont toutes déjà créées. Je ne désire pas m’engager vers une idée ou un résultat. Le fait que je ne sache pas exactement en quoi consistera cette exposition m’interpelle et m’intrigue en quelque sorte. Le montage de cette exposition sera une étape de création au même titre que le montage même des vidéos.

Afin de me permettre cette liberté et cette nonchalance envers le résultat final, je me dois d’avoir préparé une grande quantité de vidéos. Ces temps-ci, je suis particulièrement attirée par la courte vidéo jouée en boucle. Je conçois ces dernières comme des images qui seront mises en relation avec d’autres. Effectivement, ce genre d’œuvres devient moins autonome et a davantage besoin d’être supporté par d’autres pour créer des effets de narration dans une salle. De plus, mes dernières vidéos n’ont pas un ton de nostalgie et d’absence, caractéristiques récurrentes dans mes œuvres l’an dernier. Effectivement, j’explore davantage l’idée de la nostalgie heureuse, de la célébration de la vie qui a été. Mon exposition en sera probablement teintée.

Toutefois, je sais que sur place, dans la salle d’exposition, tout cela pourrait changer; une autre ambiance, d’autres pistes, d’autres possibles que je n’avais pas prévus pourraient se dégager. Cela ne m'inquiète pas du tout, je laisse mes images ouvertes, elles sont libres

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d’aller dans une direction ou dans une autre. Seule mon intuition au montage final de l’exposition décidera ce que je veux vraiment faire.

Pour conclure, l’exposition sera le résultat du style avec lequel j’ai développé mes vidéos dernièrement ainsi que de la rencontre d’images qui ne se sont peut-être jamais côtoyées préalablement. Dans le cadre de cette exposition, je prévois projeter entre quatre et six projections dont l’emplacement, les dimensions et les différents rythmes d’apparition, viendront ponctuer l’espace et créer un lieu narratif singulier.

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CONCLUSION

Étonnamment – je dis étonnamment, car étant anglophone, la langue française écrite (ni anglaise d’ailleurs) n’a jamais été mon point fort ni quelque chose que j’apprécie particulièrement – la rédaction de ce texte a été plaisante. Je dois aussi avouer que la réalisation de ce mémoire m’a permis de découvrir plusieurs choses.

Premièrement, je sais désormais que l’essentiel de ce que je fais, comme le titre l’indique, est de raconter des histoires. Conséquemment, l’écriture de ce texte est devenue une manière de raconter l’histoire de mes histoires. Raconter, certes de manière moins romancée et davantage théorique, pourquoi mes histoires sont ainsi : ouvertes de sens.

Ensuite, la rédaction de ces pages m’a fait découvrir à quel point travailler les images d’archives est devenu une passion. Non seulement je les trouve belles et émouvantes, mais je les vois autrement maintenant. À force de les côtoyer dans mes projets et d’en parler à travers ce texte, je vois au-delà du simple fait que ce sont de vieilles images. J’entrevois que l’on change moins qu’on pense d’une génération à une autre. Les habits, les maisons et les paysages évoluent, mais les éclats de rire, les postures, les mouvements, les rassemblements familiaux restent. Nous sommes toujours un peu gênés et maladroits lorsqu’un appareil filme nos mouvements. Devant l’objectif, nous voulons montrer l’unité d’une famille, les bons moments, les rires, nous sommes conscients que ces images deviendront nos futurs souvenirs. Nous voulons que le meilleur reste. Du moins, c’est ce que témoignent les nombreuses heures de super 8 amateur que j’ai passées à visionner au cours des dernières années. Bref, dorénavant, je vois et apprécie non seulement l’esthétisme de ces images, mais la grande humanité et la naïveté qui s’en dégagent. Je serai éternellement reconnaissante de ce magnifique héritage légué par cette génération.

Finalement, la rédaction de cet écrit m’a permis de synthétiser mon travail et de pouvoir en parler avec plus d’aisance. Malgré mon attirance pour l’embrouillement, j’espère avoir

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réussi de manière limpide à partager ma passion de travailler la vidéo par l’image d’archives.

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