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La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie: ses intertextes, ses idéologèmes et son public

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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ses intertextes, ses idéologèmes et son public

Que faut-il entendre par Hippie dans ce contexte ?

§1 La mobilité constituait et constitue aujourd’hui encore un topique central de la mythisation des 68ards tant dans les médias – p. ex. à l’occasion de leur quarantenaire en 2008 – que dans les structures du mouvement même, qui visait une mobilisation de la société en France. Ce mouvement issu des milieux d’étudiants1, d’élèves et d’apprentis atteignit par la suite les milieux ouvriers et aboutit à une grève générale à l’échelon national. Le besoin de changements se traduisit non seulement dans les revendications et actions politiques des 68ards, mais également dans leur imaginaire collectif. Le désir d’une mobilité sociale et individuelle se manifesta entre autres dans l’idée du voyage qui se transforma progressivement en topique central dans le discours du mouvement. Tant les manifestes politiques du mouvement de mai 68 que les témoignages littéraires de hippies en voyage parlaient d’un chemin vers l’avant (vers une meilleure société) et d’un chemin vers l’arrière (retour à la nature) ainsi que d’un cheminement amenant au for intérieur spirituel, donc le chemin menant au soi. 2

§2 Pour une partie des 68ards, la connaissance d’autres cultures et de styles de vie alternatifs constituait donc une condition préliminaire indispensable à l’amélioration et à la dynamisation d’une société sclérosée sur le plan moral. Entre 1962 et 1976, l’envie de faire cette expérience poussa des milliers d’adolescents à prendre la route3. Le voyage leur permettait de partir à la découverte de modèles de sociétés et de religions différents des modèles et religions occidentaux qu’ils considéraient à la fois comme (petits)-bourgeois et exploiteurs. Le besoin d’un élargissement de l’horizon qui se traduisit à la fin des années 60 dans les voyages sur le célèbre ‘Hippie-Trail’ ne se trouve pas uniquement en relation avec l’échelle des valeurs individualistes du mouvement de mai 684 mais aussi avec sa mobilité intérieure. Ces aspirations for- maient la base des structures de la culture hippie importée des US5 et qui avait conquis la France et l’Europe depuis San Francisco et l’université de Berkeley à partir de la deuxième moitié des années 606. Le phénomène des hippies peut donc être considéré comme une subculture juvénile au sein du contre-mouvement politique des 68ards, un mouvement où des idées politiques et des modèles alternatifs de la vie en société (les ‘communes’) et de l’organisation des loisirs (des voyages se voulant ‘anti- bourgeois’) s’engrenaient avec des éléments à la mode7. Dans ce contexte, Laurent Chollet souligne le fait suivant à propos de l’étymologie du terme ‘hippie’ :

“Hip se traduit par informé ou branché”, explique l’écrivain Hunter S.

Thompson. Hip signifie également hanche, et certains y voient la véritable étymologie […]. Il y eut en effet, au temps glorieux du bop, une mode – autre défi à l’ordre établi – des blue jeans ultraserrés, qui moulaient les fesses et, disait-on, étranglaient les hanches. Le hippie est héritier du beatnik – et du hipster. “Être hip, c’est être ‘désaffilié’ [sic]. Le hipster est aussi un pacifiste, le plus souvent objecteur de conscience, voire anarchiste. Être hip, c’est être anti- commercial, anti-intellectuel, anti-culturel”, écrit E. Burdick du Reporter en 1958.8

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§3 En général, les hippies partageaient les idéaux politiques des 68ards. Les reléguer au statut d’une ‘fraction de divertissement’ au sein du mouvement de mai 68 serait tout aussi faux que de prétendre qu’il s’agissait d’un groupement homogène9.

§4 C’est précisément l’hétérogénéité de la culture des jeunes hippies qui ne tarda pas à susciter une critique émanant du mouvement lui-même et dirigée en premier lieu contre les médias qui s’étaient approprié les symboles de la culture hippie en créant le label ‘Hippie’ et le cliché d’une certaine apparence physique10. L’enterrement symbolique du concept hippie qui eut lieu à la fin des années 60 à Haight Ashbury, San Francisco, épicentre du mouvement, n’était donc pas dû au hasard : il s’agissait d’enterrer par la même occasion les tentatives de la presse et de l’industrie de la mode pour s’emparer du mouvement11.

Le genre du récit de voyage hippie

§5 La critique de la commercialisation du style hippie par les industries de la mode et les médias témoigne déjà du dégré d’auto-réflexivité d’un mouvement juvénile comme celui des hippies par rapport à ses manifestations physiques et discursives. Cela confirme ce que Benedict Anderson avance dans son étude sur les communautés imaginaires12 : de telles communautés – il prend l’exemple de la nation – se constituent par le biais de leur auto-représentation collective et de l’identification du lectorat avec ces descriptions, véhiculées avant tout par les médias populaires comme la presse. Certains genres romanesques font également partie de ce type de médias populaires, p. ex. le récit de voyage. Mon étude, basée sur le roman La route - mon voyage de hippy de Luc Vidal, publié en français en 197413, porte sur un genre que j’aimerais appeler récit de voyage hippie. Ce genre doit avant tout être considéré sous l’angle du besoin de mobilité et du goût de la découverte du mouvement des 68ards.

Sur fond de l’image de soi anti-bourgeoise du mouvement hippie, cet article se concentre sur le jeune public cible, tel qu’il apparaît dans le discours narratif du genre, et sur ses valeurs politiques et sociales. En choisissant le récit de voyage comme un genre aux tendances escapistes et pour cette raison populaire surtout chez une génération de jeunes déçus par le conservatisme de leurs parents, notre auteur veut atteindre un public juvénile dont il partage les frustrations.

§6 Nous allons donc d’une part examiner la question de la constitution d’une communauté imaginaire comme celle des hippies avec son échelle de valeurs, ses préférences, ses refus et surtout sa conception du voyage. D’autre part, l’analyse se concentrera sur les contradictions idéologiques dans la narrative du récit de voyage hippie qu’on rencontre surtout dans ses intertextes, conscients ou non. C’est surtout la tension entre les prétentions anti-bourgeoises et anticapitalistes du mouvement hippie et la perspective individuelle du récit qui me servira de point de départ, tension qui se situe à trois niveaux :

o au niveau de l’économie d’argent et de temps : collision entre les prétentions anticapitalistes du mouvement d’une part et la recherche individuelle du profit d’autre part.

o au niveau topologique : refus des idéaux de l’éducation bourgeoise mais recours répété dans le récit à des topiques centraux d’un canon littéraire provenant de l’éducation bourgeoise (la littérature des orientalistes du XIXe siècle ainsi que Rousseau, Pétrarque et les mythes de l’Antiquité).

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o au niveau de la fusion du stéréotype culturel et du gender : les stéréotypes culturels sont surtout abordés par le biais de la perception et de la présentation des femmes orientales dans les cultures occidentales. Ce fait se trouve en contradiction avec le gestus émancipateur du mouvement des 68ards et l’abandon des structures patriarcales et misogynes qu’il envisageait.

§7 Comme le confirmera la suite de notre analyse, parmi toutes ces tensions, c’est le refus des valeurs de la génération parentale qui constitue pour l’auteur le principal levier pour capter l’attention de son public hippie, dont il dit faire partie.

Refus de l’économie de temps

§8 Le narrateur Luc du récit de Vidal motive son départ vers l’Orient par le malaise croissant qu’il éprouve dans son milieu natal, c’est-à-dire par cette frustration dont il suppose qu’elle hante aussi d’autres jeunes de sa génération:

Je n’étais pas malheureux, mais pas heureux non plus. Il me semblait que la vie confortable qui était déjà la mienne – la vie en tous points semblable à celle des adultes que je côtoyais – me rétrécissait. Que si je ne sortais pas tout de suite de ce qui insidieusement devenait une prison, jamais plus je n’aurais recouvré ma liberté. […] Simplement je savais que je devais partir.(LR 9)

[…] Bref, j’avais présumé de mes forces et une existence monotone, cernée par les horizons de mon enfance, m’accablait. […] La route de nouveau. Était-ce une fuite, un constat d’échec ? (LR 13)

§9 Bien qu’il ne s’adresse pas directement au lecteur, il est évident que Vidal reprend ici les frustrations centrales de sa génération de jeunes, et plus particulièrement leurs motifs pour un voyage prévu ou déjà entamé vers des pays lointains. Il considère la vie bourgeoise de ses parents avec tout son confort comme une contrainte à laquelle il faut se soustraire en partant pour l’étranger. Ainsi, le hippie en voyage se perçoit à la fois comme un voyageur anti-bourgeois et comme faisant partie d’une culture de jeunesse subversive qui désire non seulement fuir le foyer paternel, mais aussi renier son système de valeurs. Nul doute que le passage cité a emporté l’adhésion de la plupart des lecteurs ; Laurent Chollet ne définit-il pas comme suit le motif central pour le départ de beaucoup de hippies vers d’autres pays: “Rejetant la ‘société de consommation’, une partie de la jeunesse pense (re)trouver quelques vérités perdues en Asie”14.

§10 Il est intéressant de noter à ce sujet que le mouvement hippie – à l’opposé de la culture prolétarienne des rockers – est précisément issu de cette classe moyenne dont il refuse les valeurs15.Par conséquent, les hippies sont en quelque sorte des ‘bourgeois déserteurs’ qui cherchent à prendre leurs distances par rapport au style de vie de leurs parents, conservateurs au niveau politique et désireux de sécurité sur le plan économique. Le récit de voyage de Vidal illustre cette attitude au moment où il se place explicitement dans le contexte de la culture hippie au début de son ‘voyage en Orient’. C’est avec une ironie certaine que le narrateur évoque les catégories sociales de jeunes (beatniks, hippies, freaks)16. Par la suite Luc préférera se dire “vagabond” :

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Je me suis retrouvé dans la peau de ce qu’on appelait alors un beatnik, puis je suis devenu un hippy, puis un freak, car régulièrement il nous fallait changer de nom dès que la société avait récupéré à son profit certaines valeurs ou certaines modes que nous représentions. J’étais donc un beatnik, le classique vagabond libre et désœuvré. Je parcourais l’Europe, de la Méditerranée au Cap du Nord, de l’Irlande à la Turquie. De coucher de soleil en coucher de soleil je vivais hors du temps, dans l’illusion de me posséder et de posséder le monde. La route était ma liberté.(LR 10)

§11 Toujours sans s’adresser directement au lecteur, le texte présente l’image collective de soi d’une génération qui cherche à se démarquer du reste de la société par le biais de l’appellation. L’auto-désignation “vagabond”, qui a ses racines dans le mouvement beat, est combinée ici au topique romantique du coucher de soleil en tant que miroir de l’âme mélancolique du poète : le narrateur se place donc loin au-dessus du quotidien bourgeois et ses normes17. Par le biais de ce rapprochement intertextuel de la littérature romantique, le texte de Vidal sape en même temps le gestus anti-culturel du mouvement hippie mentionné par Chollet (v. supra). La vision de l’existence comme une odyssée rocambolesque - le “vagabond” étant “une personne qui se déplace sans cesse, qui erre de par le monde”, donc un “aventurier”18 – établit un rapport intertextuel avec le mythe d’Ulysse. Paradoxalement c’est précisément ce rapport avec le canon pédagogique bourgeois-humaniste qui caractérise l’image de soi du hippie voyageur comme ‘renégat moderne’19.

§12 Pour que l’errance soit le moyen de renoncer au temps linéaire et téléologique du capitalisme et de renier la maxime capitaliste stipulant que le temps c’est de l’argent, le voyage doit fonctionner comme une fin en soi et un happening20. Et le mode de déplacement caractéristique du voyage-happening est l’auto-stop, mode qui exige des dépenses de temps incalculables à l’avance. En philosophant sur le charme méditatif de l’auto-stop aux antipodes de la recherche de profit de la bourgeoisie, un autre récit de voyage hippie – La terre n’est qu’un seul pays d’André Brugiroux (1975) – prétend que cette façon de se déplacer apporte un autre type de profit personnel :

[…] j’avais découvert deux principes qui régissent l’auto-stop : le point stratégique et savoir attendre. Attendre et attendre encore, des heures et même des jours, s’il le faut. Question de temps. Le temps. […] Je suis comme un pêcheur à la ligne. […] Mes pensées, claires et heureuses, se faufilent : réfléchir, méditer. La notion du profit personnel me paraît évidente. Hélas, ce genre de profit ne semble intéresser personne de nos jours. Pouvoir réfléchir, rêver, ne penser à rien, c’est mon luxe.21

§13 Au contraire du voyage bourgeois qui – dans son évolution historique, et depuis le XVIIIe siècle déjà22 – nécessitait des préparatifs sur le plan logistique et une planifica- tion adéquate quant au choix des bagages à emporter et des moyens de transport à emprunter (diligence et train), le concept du voyage hippie était basé sur la vision d’un départ au pied levé. Le narrateur de La route considère donc son départ de Strasbourg en train comme inapproprié, même si c’est le seul moyen de gagner sa course contre la montre (LR 15) :

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Je dois rejoindre Gil et Richard à Téhéran […]. Je n’ai donc qu’une semaine pour franchir tous ces kilomètres. […] C’est pour cela que, renonçant à l’auto-stop, mon traditionnel moyen de transport, je pars en train, comme un bourgeois.

§14 La thématisation du moyen de transport fait apparaître un topique central du mouvement de voyage hippie : la majorité des hippies en voyage donnaient la préférence au voyage à pied – qui leur permettait de “s’identifier avec les groupes sous-privilégiés”23 puisque c’était le mode de déplacement des classes inférieures –, mais surtout à l’auto-stop. Et l’on optait volontiers pour la 2CV24, légendaire de nos jours, ou encore pour le bus VW T1, devenu le symbole iconographique de la culture hippie. Au cours de son voyage, Luc rencontrera des compagnons conduisant précisément ces moyens de transport et parcourra au moins une partie du trajet

‘comme il se doit’ dans une 2CV ou à bord d’un bus VW (LR 30 sv.). Certes, le fait que l’auteur recoure précisément à ces types de véhicules comme symboles centraux de la communauté hippie constitue un stratagème pour faciliter l’identification des jeunes lecteurs qu’il vise.

Refus de l’économie d’argent

§15 Par le choix du titre La route – mon journal de hippy, le texte de Vidal s’inscrit dans la tradition du genre du journal, garant d’authenticité. Par ailleurs, le titre de son récit de voyage hippie établit un rapport intertextuel avec une œuvre centrale de la littérature beat, et qui fut déterminante pour le début de l’époque du voyage hippie : On the Road (1957) de Jack Kerouac, un portrait du style de vie d’un bohémien25. Sous l’angle du thème comme du style, Vidal renoue avec l’ouvrage qui fut célèbre auprès de la génération beat et hippie. Son récit aussi est caractérisé par la description d’un mode de vie peu conventionnel dans un style de narration plutôt conventionnel et linéaire remontant au réalisme. Tout comme dans le roman de Kerouac, la route – lieu de transition géographique de son action – symbolise en même temps un passage du parcours initiatique dans la tradition du concept de voyage éducatif du Siècles des Lumières. Les deux récits racontent l’initiation par des expériences limites comme la consommation de stupéfiants, la menace d’une mort imminente et le contact avec des cultures étrangères.

§16 Comme la plupart des jeunes de sa génération qui se rendaient en Orient, le narrateur de La route emprunte le célèbre Hippie Trail qui mène, via Katmandou, d’Istanbul à Goa - la grande destination finale de beaucoup de hippies. Cette route fut utilisée pour la première fois au début des années 60 par des jeunes de l’hémisphère occidentale qui étaient à la recherche de la vérité26. Autour de 1968, lors de l’apogée du mouvement hippie, elle devint le théâtre d’une migration massive ; rien que les Français en route vers l’Inde étaient au nombre de 250 000 en 197327. Pour ce qui est du tracé, la piste suit les routes connues de l’histoire et donc précodées au niveau du discours. La route par voie de terre menant à l’Asie peut ainsi être considérée comme le palimpseste de différentes vagues de départs (voyages et conquêtes). Celle des départs hippie y représente seulement une des vagues les plus récentes28. Cette route, qui empruntait le tracé la route de la soie et des chemins caravaniers à travers le désert, avait été importante du point de vue économique et militaire. Elle portait les traces des grands conquéreurs, tels Alexandre le Grand, Mahomet ou Marco Polo.

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§17 Luc, le narrateur, est conscient de cette dimension historique lorsqu’il évoque les

“hordes tartares” lors du passage du col de Khyber. Il s’agit des contrées où ces hordes se déplaçaient au Moyen Âge en sens inverse de la campagne d’Alexandre le Grand dans l’Antiquité29. Les antécédents historiques du Hippie Trail en tant que route de guerre et de commerce vont à l’encontre de la vision des ‘flower children’, qui rêvaient d’errer par des routes vierges, voire innocentes, à la découverte d’un monde virginal. Le chevauchement palimpsestique des traces de voyageurs visant des fins lucratives ou belliqueuses était loin de cadrer avec les idéaux apparemment antimatérialistes des voyageurs hippies.

§18 Ce chevauchement révèle une contradiction flagrante au sein de la culture de voyage hippie elle-même : tout en disant non au système capitaliste, ils l’exportaient vers les villages les plus éloignés de l’Asie centrale. Ce paradoxe illustre en même temps le fait que tout voyage dépend inévitablement de certaines conditions matérielles, et cette dépendance s’applique également, voire tout particulièrement aux hippies, dont la plupart voyageaient avec des fonds modestes.

§19 Ainsi, malgré tous ses ressentiments anticapitalistes du début, le narrateur finira par céder à la tentation de réaliser des profits matériels. Au tout début du voyage et plus tard après un entretien avec un voyageur bulgare, Luc se plaint de la “trahison du Marxisme-Léninisme” commise par les États communistes (LR 17). En Afghanistan, il résiste encore à l’impulsion d’acheter des manteaux de berger à un prix avantageux en vue de les revendre plus cher en Europe, conscient qu’il est qu’une telle action

“[qu’il] reproche aux néo-colonialistes” serait incompatible avec l’éthique hippie (LR 48). Cette éthique économique apparemment rigoureuse du narrateur flanchera toutefois tant au niveau de l’action qu’au niveau du discours narratif : sur le territoire iranien Luc et ses compagnons achètent “quelques colliers, (au bazar) […] [qui], même si on n’arrive pas à les revendre en Inde, […] doivent avoir quelque valeur en France…” (LR 36). Lors de son entrée en Turquie aussi, Luc – en sa qualité de marginal – fait preuve d’une certaine conscience mercantile quand il appelle la possibilité de changer des dollars au taux officiel “un signe infaillible de bonne santé économique” (LR 27) ; une déclaration qui par ailleurs traduit un certain soulagement.

§20 L’ambivalence entre la consternation que lui cause la misère rencontrée dans les pays qu’il visite et la peur de se faire escroquer constitue ainsi le fil conducteur à travers tout le roman. A la vue des mendiants de Lahore, le narrateur se sent coupable et se rend temporairement à la raison :

Et moi, tout fier de ma liberté, qu’est-ce que je fous ici, à profiter des sous que mon pays sait si précautionneusement extorquer à ce tiers-monde qui surgit devant moi, brusquement, avec sa misère? (LR 56)

§21 Par contre, le zèle commercial des montagnards népalais qui demandent de l’argent après avoir présenté une danse folklorique suscite la mauvaise humeur du voyageur hippie :

Nous sommes un peu interloqués par cette façon d’essayer de nous soutirer de l’argent. C’est vrai que nous représentons des peuples riches, immensément riches par rapport à eux, et ils s’imaginent que nous trois avons de l’argent à jeter par les fenêtres. (LR 86)

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§22 La popularité de certains guides touristiques tels Asia on the Cheap (1973) et le célèbre Guide du routard30, où la description de la route de l’Asie est publiée pour la première fois au début des années 70, montre combien cette conscience des coûts – qui transparaît dans le discours narratif – est représentative de la contradiction entre l’idéologie et la pratique de voyage du mouvement hippie. La tension entre l’engouement de la culture hippie pour le tiers-monde – inspiré par des motivations antimatérialistes31– et l’exploitation des prix avantageux pour la nourriture et l’hébergement – incompatible avec ces motivations (le récit de Vidal y fait allusion à maintes reprises, surtout en ce qui concerne la nourriture) – illustre les contradictions économiques et discursives entachant la culture de voyage hippie et l’image de soi de ce mouvement32.

Le récit de voyage hippie sur les traces d’intertextes de l’éducation bour- geoise : l’orientalisme, le Siècle des Lumières et la mystique chrétienne

§23 Les références historiques sont plutôt rares dans le roman La route, où elles se limitent à la mention de l’importance historique du col de Khyber ou du passé colonial de Goa. En revanche le récit foisonne d’expériences témoignant tantôt d’un présent perçu comme particulièrement authentique, tantôt d’une émancipation de la temporalité linéaire des sociétés industrielles occidentales. Voilà une autre illustration de la conception du temps anticapitaliste de la culture hippie, conception qui s’annonce dès les premiers chapitres par des descriptions de paysages surtout ; ainsi dans le passage “De coucher de soleil en coucher de soleil je vivais hors du temps” déjà cité (LR 10). Cette émancipation du temps compté et précieux de la bourgeoisie est dictée par la recherche d’originalité et d’authenticité dans un décor perçu comme étrange et exotique autant que par l’espoir de découvrir la spiritualité et le ‘vrai’ soi. Et cette aspiration, les hippies la partageaient avant tout avec les orientalistes du XIXe siècle.

§24 En effet, tant les destinations géographiques des orientalistes du XIXe siècle – les îles de la Méditerranée, le Maghreb, la Turquie, le Proche-Orient – que les motifs à l’ori- gine du départ lui-même – à savoir le mouvement escapiste face à une société étouffant chaque jour davantage sous l’industrialisation, la rationalisation et une morale sexuelle rigoureuse – présentent des parallèles avec les destinations et raisons qui devaient motiver le départ des hippies un siècle plus tard33. Tout comme eux, les hippies refusent la société de consommation et se lancent dans une quête aventureuse de la sagesse originelle et mythique d’un Orient perçu comme homogène au niveau de la culture. De même que les orientalistes du XIXe siècle – jeunes couples et voyageurs solitaires pour la plupart –, les hippies partaient à la recherche de lieux où paraissait avoir été aboli le diktat de l’organisation rationnelle du temps, caractéristique respectivement des débuts de l’industrialisation ou de la société industrielle capitaliste du XXe siècle. Et dans le discours narratif des récits de voyage des orientalistes du XIXe siècle comme dans le récit de Vidal, ces lieux sont décrits comme paradisiaques, des contrées particulièrement désolées et originales qui déploient leur charme avant tout pendant la nuit ou aux moments de transition entre jour et nuit. En recourant aux mêmes motifs littéraires que les orientalistes du XIXe – ce qu’on verra dans la suite de notre analyse –, Vidal fait allusion à une littérature que non seulement il sait faire partie du canon littéraire, mais dont il peut aussi supposer que les jeunes de sa génération l’ont lue en raison de sa teneur escapiste.

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Le paysage comme expérience de la transcendance ou le retour des motifs orientalistes

§25 Bien qu’après son départ de Téhéran le narrateur de La route, visiblement désillusionné, se plaigne que l’ ‘occidentalisation’ croissante34 fasse rapidement perdre leur aspect ‘pittoresque’ aux villes de l’Orient, par la suite lui et ses compagnons percevront de plus en plus les paysages parcourus comme le paradis originel et innocent. Ils conçoivent la patrie et l’étranger dans la dichotomie entre ‘le bas monde’ et ‘l’autre monde’. L’espace urbain représente la réalité du ‘bas monde’, tandis que la nature à l’état sauvage incarne la réalité de ‘l’autre monde’. Le passage au continent asiatique est donc mis en scène comme l’entrée dans une autre dimension du temps, un topique figurant déjà dans les récits de voyage vers l’Orient du XIXe siècle, qui ne cessent de tracer des parallèles entre l’Orient et le Moyen Âge en Europe35.

§26 Citons Laurent Chollet au sujet de la notion de la frontière de l’Asie représentant un

‘seuil’ menant à un autre monde. Dans son essai sur la culture de voyage hippie et plus particulièrement sur la route du Népal, il pose que surtout “Le voyage en Inde est à considérer comme une rupture avec l’Occident, comme un voyage initiatique”36. Chez Luc aussi, l’émerveillement à la vue des paysages asiatiques atteint son point culminant au Népal. Ce qui frappe dans ce contexte est sa fascination pour les couchers de soleil qui revient maintes fois (LR 96, 100, 135 sv.). Cette fascination point déjà à Herat:

Le temps est très beau aujourd’hui. Le soleil a disparu derrières les collines. Le paradis des couleurs qu’il engendre enflamme le ciel tandis que nous arrivons à Herat, dont les deux grandes tours se découpent sur le ciel rouge comme deux gigantesques gardes de la ville. (LR 38)

§27 La mise en relief particulière des silhouettes sombres des tours musulmanes sur le fond rougeâtre du ciel illustre la fascination du narrateur à la vue du paysage urbain étranger et rappelle la description de la physionomie nocturne de Constantinople qu’on lit chez Pierre Loti :

[…] un bras de mer étend son vide tranquille entre ces quartiers assourdissants que je viens de traverser et une autre grande ville, d’aspect fantastique, qui apparaît au-delà sur le fond étoilé de la nuit, en silhouette toute noire dentelée de minarets et de dômes.37

§28 Les deux passages comparés illustrent clairement les convergences du roman La route de Vidal en tant que récit de voyage hippie : les couleurs somptueuses de l’Orient constituaient déjà un topique central de l’orientalisme littéraire du XIXe siècle. On lit ces descriptions littéraires de paysages aux couleurs somptueuses dans Le voyage en Orient de Flaubert, comme dans les récits de voyage de Lamartine, de Loti, de Nerval et de la Comtesse de Gasparin38.

§29 L’émerveillement du narrateur du roman La route devant le paysage asiatique culmine finalement lors de l’ascension à pied (!) d’un massif himalayen aux alentours du lieu de pèlerinage bouddhiste de Gosaigung. Déjà dans la vallée, Luc fait l’expérience de la promesse d’un paysage solennellement paradisiaque, perçu comme réel mais décrit en termes superlatifs ; un paysage qui s’élève au-delà du ‘bas monde’

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profane des routes non stabilisées du Népal. Comme il se doit pour un voyage hippie, Luc et ses compagnons parcourent ces routes en cahotant à bord d’un bus VW :

Et, au-delà des crêtes boisées qui limitent le nord de la vallée, bien plus haut et bien plus loin, par-dessus les brumes, surgissent majestueusement les pics étincelants du Toit du monde qui surveillent calmement du haut de leurs huit mille mètres ce panorama grandiose, éblouissant de beauté. Dans le vieux bus brimbalant, je reste béatement le nez collé à la fenêtre devant le plus formidable amalgame de pics, vallées, forêts, montagnes, champs et neiges que j’aie jamais vu. […] Ce n’est qu’à la nuit tombante que nous pénétrons enfin dans la vallée de Katmandu, capitale de ce paradis terrestre. (LR 70 sv.)

§30 La sensation qu’il est possible de vivre sur terre l’expérience de l’autre monde, grâce à l’état sauvage et à la virginité du paysage parcouru, s’empare des compagnons du narrateur aussi. La surprenante ‘virginité’ du Népal les ravit et forme un rude contraste avec l’artificialité des paysages urbains de l’Europe occidentale.

Gil se penche à mon oreille pour me souffler émerveillé: “J’ai l’impression d’avoir rejoint un pays imaginaire, un paradis terrestre, où hommes et bêtes vivent en paix.” (LR 94)

§31 Dans ce passage, la conception du Népal comme paradis ne manque pas de rappeler la vision de la nature à l’état sauvage que Rousseau disait garantir la paix entre l’homme et la nature. Cet intertexte du récit – bien qu’inconscient – renvoie à un topique central : la reprise de certaines idées du Siècle des Lumières indique combien le discours hippie est enraciné dans l’éducation bourgeoise européenne. En reliant l’idée centrale de la philosophie de Rousseau – pour retrouver l’harmonie (entretemps perdue) entre les hommes et les animaux, il faut remonter aux origines idéalisées de l’humanité – au motif de l’ascension d’une montagne qui remonte à Pétrarque (mais est présent chez Rousseau aussi), le récit de voyage hippie de Vidal affiche en même temps son enracinement dans l’univers de la mystique chrétienne.

Tout comme chez Pétrarque, la découverte du Dieu créateur est conçue comme une expérience purifiante de la nature et s’accomplit par un voyage à pied.

Parcourir l’Himalaya sur les traces de Pétrarque

§32 Même si le L.S.D. était une substance psychédélique fort populaire dans les milieux hippies, ce n’est pas l’ivresse due à la drogue qui, dans l’épisode central parlant de l’initiation spirituelle, procure à Luc la transcendance recherchée. Il s’agit plutôt d’une expérience limite dans l’espace. Comme on vient de le poser au début, il en résulte la perception d’un espace solennel, originel et naturel d’un autre monde, en opposition avec l’espace vécu jusqu’à présent – cet espace matériel, profane et volatil du bas monde. Seule une autre expérience limite – une situation où se présente un danger de mort aigu – permet d’accéder à l’espace métaphysique. Il faut à cet effet descendre de voiture et continuer la route à pied. Les riches voyageurs bourgeois du XIXe siècle avaient l’impression de pouvoir rompre avec le diktat du progrès de l’industrialisation quand ils se résolvaient à se déplacer à pied.Depuis le Siècle des Lumières déjà, le voyage à pied – entrepris volontairement (!) - signifie un retour aux

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origines, dans le giron de la nature39. Selon Rousseau, la possibilité de ce retour s’offre surtout dans les régions ‘sauvages’ et crevassées des massifs montagneux:

Faire route à pied par un beau tems [sic] dans un beau pays sans être pressé […]. Au reste on sait déjà ce que j’entends par un beau pays. Jamais pays de plaine, quelque beau qu’il fût, ne parut tel à mes yeux. Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et à descendre, des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur.40

§33 Aux yeux du péripatéticien Rousseau, ce retour aux origines facilitait le processus de réflexion et de la contemplation intérieure, de la recherche du soi41. Mise en relation avec le topique de la randonnée en montagne, l’auto-contemplation de Rousseau constitue en même temps une réflexion amenant à Dieu. Or, une lettre de Pétrarque évoque déjà une expérience semblable pendant son ascension du Mont-Ventoux :

“l’expérience physique de l’ascension d’une montagne déclenche une réflexion orientée vers la vision chrétienne de l’ascension des âmes”42, réflexion qui a ses racines dans un intertexte de saint Augustin.

§34 D’un point de vue historico-littéraire, et contrairement à l’orientation vers le présent du mouvement hippie, dans le roman de Vidal l’épisode décrivant une découverte de Dieu dans les montagnes du Népal jette un pont entre la littérature du voyage en Orient du XIXe siècle et Rousseau, Pétrarque et saint Augustin au niveau de ses intertextes. De la même façon que dans l’œuvre de Pétrarque, c’est la vue d’un paysage qui initie le passage à l’espace métaphysique42.Cette perception est pour sa part reliée au topique orientaliste du coucher de soleil. Par ailleurs, tant chez Pétrarque que chez Rousseau, c’est le décor montagneux qui donne à l’expérience sensorielle toute son intensité et la charge d’une signification symbolique. Ainsi, l’Occident et avec lui le ‘bas monde’ de la réalité – au point de vue spirituel comme au point de vue topographique – s’effacent aussi dans le roman La route lorsque le soleil se couche derrière les montagnes. Au niveau de la description visuelle, la nuit qui tombe dissimule, voire efface symboliquement le ‘bas monde’ :

Le soleil tombe derrière les monts de l’Occident qui nous indiquent la direction de l’Europe où il ne se couchera que dans cinq heures. […] J’ai l’impression d’avoir rejoint les limites du monde réel, en tout cas de m’être détaché complètement du monde des hommes et de leurs luttes mesquines, tout là-bas, en bas. Ce paradis suspendu entre ciel et terre me rapproche des dimensions incommensurables du Divin qu’il me semble presque toucher du doigt. Le soleil a disparu. (LR 96 sv.)

§35 Tant Vidal que Pétrarque considèrent l’abandon du ‘bas monde’ – métaphore pour décrire l’univers occidental – comme la condition indispensable à la possibilité de faire l’expérience du divin. Au niveau de l’espace intermédiaire entre le ciel et la terre décrit dans le passage cité, Luc se trouve encore dans l’interstice métaphysique que constitue le moment où le bas monde européen du passé cède la place à l’autre monde asiatique du présent.

§36 A la différence de l’expérience de Pétrarque, loin d’être directement liée à la perception du paysage, l’orientation vers Dieu naît d’une autre impulsion : lorsque Luc et ses compagnons se sont égarés dans l’Himalaya et que l’aventure menace de

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devenir dangereuse à cause du manque d’eau et de nourriture, le narrateur envisage la prière comme dernier recours. En fin de compte, le geste introspectif de la prière déclenche un processus rationnel qui lui révèle la vanité de son errance, hypothéquée par sa faible capacité d’endurance et son égoïsme.

Et ainsi, désespéré, le cœur plein de larmes, tout en marchant péniblement, je me tourne peu à peu vers dieu. Il doit bien rigoler. Je mène une vie disparate, je vagabonde égoïstement sans jamais accepter de souffrir un peu pour vivre, et maintenant que je suis dans la merde jusqu’au cou, je lui demande de m’aider.

[…] Donc, le-bon-dieu-père-qui-est-dans-les-cieux […] je te le demande: sors- nous de ce bousier. (LR 109)

§37 La mort menaçant, l’expérience d’une présence ‘divine’ encore vague à la vue du coucher de soleil aboutit alors à une orientation vers le personnage concret d’un Dieu créateur. La paix qui s’empare de Luc le lendemain – paix atypique selon lui, “cette paix qui m’a pénétré, […] quelque chose en dehors de moi” (LR 114) – constitue désormais pour lui la preuve de l’existence de Dieu. Sa conviction s’affermit davantage plus loin sur la route, lorsqu’il interprète le temple hindou “Changen- Mary” comme une indication divine de la Vierge et donc comme une révélation (ibid.). Dans ce contexte, la symbolique de sa propre culture chrétienne et occidentale supplante la symbolique étrangère de l’hindouisme et exclut toute autre interprétation du nom provenant de la culture étrangère. Le discours narratif authentifie ainsi la propre expérience du salut et l’intègre dans le paysage déjà perçu comme authentique. Cette appropriation discursive de la culture étrangère contraste fortement avec l’ouverture d’esprit spirituelle que la culture hippie préconisait comme postulat central du mouvement. Elle permet pourtant au narrateur de sublimer son expérience physique limite menaçante dans un acte chrétien connu.

§38 Plutôt que la fascination du mouvement hippie pour les religions d’Extrême-Orient qu’avait déclenchée surtout le voyage en Inde des Beatles43,c’est sa propre religion chrétienne qui, en fin de compte, permet à Luc de renoncer au quotidien apparemment vain de la société occidentale industrialisée : le narrateur trouve refuge chez la communauté chrétienne de Loppiano (LR 209).

§39 La sérénité des moines bouddhistes qu’il avait rencontrés au début de son séjour au Népal avait fasciné le narrateur, l’incitant dans un premier temps à trouver le bouddhisme beaucoup plus attrayant que la religion chrétienne. Avant tout en raison d’une différence de mentalité: contrairement à la culture occidentale, la culture orientale affiche une attitude plus ‘positive’ vis-à-vis de la vie. La Comtesse de Gasparin, orientaliste du XIXe siècle, avait elle aussi noté ce fait en observant des musulmans à Constantinople :

[…] le Turc […], il marche vite, il parle vite, il est affairé comme nous;

seulement, ni tumultes ni querelles. Le musulman ne se fâche pas, il ne vocifère point […]; pas une de ces notes aiguës et choquantes par où nos foules se réjouissent ne vient déchirer les oreilles. Où trouver un autre peuple civilisé qui se sèvre des bourrades et s’abstienne des imprécations?44

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§40 Luc fait des observations analogues au sujet des moines népalais :

[…] un petit groupe des hippies se passent la pipe autour d’un moine qui semble leur enseigner quelque pratique mystique et mystérieuse. Une très grande paix règne en cet endroit. Je me sens bien, calme, heureux. Deux couples de pèlerins surgissent au sommet des escaliers. Aussitôt, ils s’inclinent devant la première niche où un bouddha les accueille. […] Tout ceci se passe dans une ambiance joyeuse qui contraste énormément avec les têtes d’enterrement des pénitents, là-bas en Occident.(LR 76)

Le stéréotype culturel et la gendérisation : le tchador

§41 Selon les études sur la littérature du voyage en Orient du XIXe siècle (Stemmler entre autres), des auteurs comme Pierre Loti, Alphonse de Lamartine, Gustave Flaubert et Gérard de Nerval concevaient l’Orient comme à la fois archaïque, barbare, érotique et dissimulé de manière mystique. La présentation de l’Orient dans la littérature oscillait entre deux extrêmes : le voile et le dévoilement45.Le tchador constituait le motif central sur le plan de ces topiques. L’intérêt suscité par le tchador – qui, selon les auteurs-voyageurs du XIXe siècle, indiquait apparemment la position sociale des femmes dans les régions visitées – est également un motif du récit de voyage hippie de Vidal. Comme chez ses illustres prédécesseurs, l’intérêt qu’il témoigne pour le tchador est inspiré tantôt par le stéréotype négatif de la misogynie des cultures orientales, tantôt par le stéréotype positif de la beauté particulière des femmes asiatiques que les voyageurs européens sont curieux d’entrevoir derrière l’écran protecteur du tchador.

§42 En parcourant la Turquie en train, le narrateur note que l’aspect des gens du pays est

“folklorique et amusant” (LR 20). Son regard inconsciemment eurocentriste et méprisant jauge les traditions vestimentaires à l’aune de sa propre culture. Ceci également va à l’encontre de l’éthique hippie prônant l’ouverture d’esprit sur le plan culturel, d’autant qu’il sait que les femmes turques sont tenues de respecter et supporter cette tenue vestimentaire, qui leur est plus ou moins imposée. Il est autant intrigué par les voiles des femmes qu’il est fasciné par l’attrait de leurs extrémités visibles. Fidèle à son regard occidental, le narrateur insiste sur le fait qu’il s’agit d’une mode peu attrayante, car les multiples couches de vêtements rendent les femmes

“boulottes” :

[…] les femmes portent – ou supportent – un amas d’habits, synthèse de la tradition et du modernisme : toujours un pantalon, soit le collant noir, soit le bouffant gracieux et coloré ; puis, par-dessus, une robe qui tombe à mi-mollet ; plusieurs jaquettes de laine fine, les unes par-dessus les autres ; un foulard autour du cou, un autre sur les cheveux, et parfois encore un sur le visage. Tous ces vêtements leur donnent l’air assez boulotte [sic], mais quand je remarque les chevilles et les poignets fins et délicats, je révise mon jugement et le garde en suspens, au bénéfice du doute. (LR 20)

Le doute que le narrateur émet au sujet de l’attrait des femmes décrites indique en même temps son attitude sceptique vis-à-vis de la coutume turque du voile.

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§43 Le narrateur raconte également un épisode lors duquel il offre du chocolat à un jeune couple turc et s’attire le mécontentement du mari en adressant la parole directement à l’épouse (LR 21). Il reproduit ainsi le stéréotype orientaliste par excellence: la femme orientale jalousement surveillée par son mari, stéréotype que l’on trouve également chez les auteurs du XIXe siècle comme Loti et Nerval sous forme des motifs du harem et du tchador.

§44 Pour Luc aussi, le tchador est le signe distinctif d’une identité perçue comme essentielle de l’Orient, identité religieuse avant tout. Sur la base de ce cliché, il conclut que les femmes non voilées qu’il rencontre ne pouvaient être des femmes musulmanes (LR 33). Aux yeux du hippie en voyage, le tchador et la soumission supposée de la femme orientale au système islamique présumé misogyne-patriarcal deviennent donc l’association métonymique46 d’une identité culturelle censée être commune à tous les pays d’un Orient que les orientalistes supposent homogène sur le plan culturel et religieux. Au cours de son voyage en Afghanistan, le narrateur se croit ainsi obligé d’attirer l’attention sur le fait que les hommes avaient adopté les vêtements européens – ce qui dénoterait une attitude apparemment progressiste –, mais il souligne en même temps leur attitude conservatrice quant aux vêtements des femmes :

Des femmes, par contre, on ne voit qu’un grand morceau de tissu plissé (…) qui les recouvre intégralement avec à peine quelques trous en grillage devant les yeux pour leur permettre d’y voir. (LR 35)

§45 L’on sent poindre la frustration voyeuriste du narrateur qui se sait regardé par une femme, sans qu’il puisse la dévisager lui-même. Cette même frustration caractérise les récits de voyage orientalistes du XIXe siècle47. La dichotomie entre l’Orient et l’Occident au sujet du voile ou de son absence étant fortement ancrée dans la pensée du narrateur, Luc est d’autant plus perplexe lorsque sur le campus universitaire de Kaboul il ne croise pas de femmes voilées, ce qui ne manque pas d’ébranler sa vision binaire des normes culturelles (LR 47).

Bilan : Le récit de voyage hippie et son public – un récit circulaire?

§46 Luc entreprend la recherche d’un univers inconnu, ce qui à la fin du voyage aboutira à la découverte de soi et à une valorisation culturelle et religieuse personnelle. Par ailleurs, c’est précisément un séjour dans l’Himalaya qui déclenche cette redécouverte de sa propre personnalité par le biais de la foi chrétienne. Voilà bien deux indices de la structure cyclique récurrente dans le genre du récit de voyage, comme Ottmar Ette l’avait déjà observé. A l’avis d’Ette, bien qu’il recherche une expérience d’altérité, le voyageur se trouve souvent ramené “à soi-même et à ses élans intimes” et, partant, à sa propre culture lorsqu’il se trouve confronté “aux espaces déserts où s’accomplit/se réalise l’expérience de la nature”48.

§47 Simultanément s’opère un double déplacement, initié surtout par l’expérience de Dieu faite dans l’Himalaya. Il est dû tant à la remise en question de sa propre errance comme forme d’existence vaine qu’à l’abandon de cette dernière à la fin du récit de voyage. Abandon qui constitue en même temps un ‘retour’. Le récit suit donc une fois de plus une structure cyclique. Après avoir tenté en vain de s’acclimater au milieu bourgeois de sa famille strasbourgeoise, Luc part se réfugier dans une communauté

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chrétienne implantée à Loppiano, un bourg italien. Il abandonne donc la société bourgeoise pour y replonger peu après : la communauté catholique de Loppiano présente les bases morales et religieuses de la société française en même temps que la structure égalitaire d’une commune régie par la culture hippie. La boucle est donc (doublement) bouclée. Le cercle constitue ainsi une structure narrative et symbolique centrale : une route étant censée réaliser une connexion linéaire entre deux ou plusieurs points, cette structure cyclique ajoute une autre dimension au titre du livre.

§48 Le public cible du roman La route était probablement composé de jeunes sympathi- sants ayant envie de voyager et qui, comme Luc, s’identifiaient avec la communauté des hippies. Le texte même ne permet pas de vérifier dans quelle mesure ces jeunes ont eu conscience des apories illustrées dans cet article et des violations discursives tant de l’idéologie d’un voyage hippie que du postulat d’une ouverture d’esprit impartiale vis-à-vis de toutes les cultures. Comme le texte de Vidal recourt à des stéréotypes culturels et à des intertextes répandus en Europe (de longue date, comme nous venons de l’illustrer) et que les jeunes ayant bénéficié d’une éducation bourgeoise dans la classe moyenne doivent au moins en avoir eu des notions rudimentaires, nous pouvons supposer que le récit comporte un important potentiel d’identification pour les lecteurs de par les expériences (limites) décrites et le scepticisme vis-à-vis d’autres comportements et modes de vie. Seule une poignée de jeunes lecteurs auront relevé les contradictions internes du roman, tandis que les idéologèmes de la culture hippie qu’il reproduit (attitude anti-bourgeoise, critique expresse du capitalisme et refus de la culture de voyage bourgeoise avec son économie du temps) auront emporté l’adhésion d’un large public.

§49 Quoi qu’il en soit, la préface avec le titre “Au lecteur” qui a été ajoutée par les éditions Nouvelle Cité se réfère à la stratégie de l’authenticité fictive déjà pratiquée dans le roman du Siècle des Lumières :

Il est d’usage de lire au début d’un livre cette formule : “les personnes de ce récit sont purement imaginaires [,] toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne peut être que fortuite”. Il n’en va pas ainsi pour l’histoire que Luc raconte.

§50 Par ce stratagème qui ne cesse d’affirmer la véracité de la fiction, on s’adresse implicitement à un public qui désire puiser dans les expériences vécues d’un auteur qui a voyagé, ou bien les comparer à ses propres expériences. On s’adresse donc à un public ayant fait ou projetant de faire un voyage similaire à celui de l’auteur pour des raisons similaires, notamment la frustration provoquée par la génération des parents, leur culture et leur style de vie. Cet élément pourrait corroborer l’hypothèse selon laquelle le livre serait destiné à d’autres hippies ou à ceux qui voyagent comme des hippies. Le fait que le récit de Vidal soit paru en allemand aussi bien qu’en italien (bien qu’il ne s’agisse que d’un petit tirage de 1 000 à 5 000 exemplaires) laisse toutefois supposer qu’il s’adresse à un lectorat européen au sein de la culture hippie et qu’il existe un intérêt international pour le récit de voyage hippie en tant que genre.

§51 Admettons la validité de l’assertion susmentionnée de Benedict Anderson : l’auto- représentation collective des communautés imaginaires se réalise par le biais des médias populaires. Le récit de voyage hippie de Vidal illustre un phénomène similaire

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lorsqu’il parle de la communauté imaginaire des hippies européens dans le roman, qui fait partie des médias populaires. Notre analyse exemplaire du sous-genre du récit de voyage hippie laisse supposer que l’on parvenait à inciter le lectorat à s’identifier au genre en recourant à des intertextes et visions culturels et historiques répandus et à la reproduction d’idéologèmes centraux de ce mouvement de culture juvénile. Cette identification passait outre aux ruptures discursives, car celles-ci avaient constitué un élément fixe et inconscient de la propre pratique culturelle des hippies et de la génération de leurs parents. Dans ce sens, le récit de Vidal constitue un récit circulaire au sens propre du terme : on revient aux valeurs et au canon éducatif de la génération des parents qu’on désirait abandonner pour toujours.

Béatrice Schuchardt Université de Siegen (Allemagne)

1 A ce sujet, Gilcher-Holtey attire expressément l’attention sur le fait que le mouvement des 68ards

“n’était pas un mouvement d’étudiants”. Quand bien même ses “responsables et mobilisés [...]

auraient été des étudiants et élèves pour la plupart”, le mouvement se distinguait par la “diversité des groupes de responsables”. (“Mai 68 in Frankreich”, in Ingrid Gilcher-Holtey (éd.), 1968. Vom Ereignis zum Mythos, Frankfurt a.M., Suhrkamp Verlag 2008, p. 19, ma traduction).

2 A propos du voyage comme découverte de soi voir aussi Olivier Rolin, Tigre en papier, Paris, 2002, où le tour nocturne du protagoniste Martin sur le périphérique parisien l’incite à l’auto-analyse.

3 Rory MacLean, Magic Bus. On the Hippie Trail from Istanbul to India, London, Penguin Books, 2007, p. 205 sv.

4 Gilcher-Holtey (op. cit.) mentionne à ce sujet : “Le mouvement des 68ards [...] était antiautoritaire et individualiste ; il était libertaire et socialiste ; démocratique, anti-institutionnel et antibureaucra- tique.”

5 Au sujet des US, Scott MacFarlane souligne la haute perméabilité du mouvement hippie en tant que contre-culture américaine : “[…] people moved back and forth between the mainstream and the counterculture as though the boundary was a membrane” (Scott MacFarlane, The Hippie Narrative.

A Literary Perspective on the Counterculture, North Carolina, Jefferson, 2007, p. 16).

6 Laurent Chollet, “Le LSD, les hippies et la Californie”, in: Philippe Artières/Michelle Zancarini- Fournel (éds.), 68. Une histoire collective 1962-1981, Paris, La Découverte, 2008, p. 84). Mentionner l’année 1967 comme année de l’arrivée des idées du mouvement hippie signifie la situer relativement tard. Il convient de dater le début de la propagation du mouvement en Europe un peu avant 1967 .

7 Au sujet du style vestimentaire des hippies, voir aussi Paul Willis, “Profane Culture”: Rocker, Hippies – Subversive Stile in der Jugendkultur, Frankfurt a.M., Syndikat, 1981, p. 126 sv.

8 Laurent Chollet, “Le LSD, les hippies et la Californie”, art. cité, p. 83.

Et voici une autre définition du hippie : “The true hippie believes in works for truth, generosity, peace, love, and tolerance. The messengers of sanity in a world filled with greed, intolerance, and war.” (John Bassett McCleary, The Hippie Dictionary, Berkeley/California, Ten Speed Press, 2004, p. 246 sv.)

9 MacFarlane souligne donc l’existence d’une méfiance intérieure basée sur un décalage social des membres plus radicaux du mouvement par rapport aux ‘hippies tendance’ et cite à sujet Emmet Grogan, un des leaders de la compagnie de théâtre guérilla “The Diggers” de San Francisco. Ce dernier critique l’emploi abusif du mouvement hippie en tant que ‘terrain d’aventures’ d’une jeunesse frustrée issue de la classe moyenne : “[…] here are these creepy longhaired punks who grew up with meat at every meal and backyards to play and the kind of education which is prayed to God for […]; you [the hippies] ‘re still the children of the ruling classes, whether you like it or not., […]

you’re just having an adventure – an adventure in poverty […]” (op. cit., p. 17 sv.)

10 Scott MacFarlane, ibid., p. 16.

11 Lewis Yablonsky, The Hippie Trip, New York, iUniverse, 1968, p. 290.

12 Benedict Anderson, Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso, 1983.

13 Luc Vidal, La route – mon journal de hippy, Paris, Nouvelle Cité, 1974. Les références à cet ouvrage se feront désormais par l’abréviation LR suivie du numéro de la page.

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14 Laurent Chollet, “La route du Népal: la grande migration hippie”, in: Philippe Artières/Michelle Zancarini-Fournel (éds.), 68. Une histoire collective 1962-1981, Paris, LA Découverte, 2008, p. 504

15 Paul Willis, op. cit., p. 26.

16 Par contre, MacFarlane fait la différence – au moins en ce qui concerne les États-Unis – entre l’époque hippie, qu’il appelle aussi counterculture (contre-culture), et l’époque beat puisqu’il considère les deux comme des phénomènes successifs : “[…] the Beat movement had waned by the early 1960’s and was not contemporaneous with the counterculture. […] Though Beat philosophy […]

highly influenced the counterculture, the counterculture supplanted the Beat movement” (Scott MacFarlane, op. cit., p. 10). Bien que MacFarlane insiste d’une part sur le fait que “the Beat movement and the hippie phenomenon shared the same archetype, […] a Dionysian, or Bacchanalian mode of response” (ibid.), il souligne dans la même mesure que “the hippie outlook was more utopian and collectivist than the Beat movement […] [insofar as the] counterculture was far more pervasive, politicized, and diffuse […]. The Beats were at the cutting edge of fighting government attempts at censorship, but the hippies were much more a direct focus of mainstream derision and significant public opposition and persecution” (ibid., p. 13).

17 “La beat generation réhabilite l’esprit et la revendication de l’autonomie des tramps (vagabond, chemineau, voire clochard volontaire) et des hobos (vagabonds plus ou moins resquilleurs) de la Grande Dépression Américaine.” (Laurent Chollet, “La route du Népal”, art. cité, p. 501)

18 Selon la définition qu’en donne Le Nouveau Petit Robert, Montréal, 1993, p. 2353.

19 Voir Paul Willis, op. cit., p. 25, ma traduction.

20 Dans le contexte de son lexique hippie, Symolka définit les happenings comme des “actions communes créatives” qui aboutissent souvent à un “chaos créatif” et présentent des dimensions parfois “sexuelles” ou “politiques” (Michael G. Symolka, Hippie-Lexikon, Berlin, Schwarzkopf, 1999, p. 147 ; ma traduction).

21 André Brugiroux, La terre n’est qu’un seul pays, Paris, Robert Laffont, 1975, <Vécu>, p. 15.

22 Voir Natascha Ueckmann, Frauen und Orientalismus. Reisetexte französischer Autorinnen des 19.

und 20. Jahrhunderts, Stuttgart, Metzler, 2001.

23 Paul Willis, op. cit., p. 123, ma traduction de la version allemande. Voir aussi Hans-Joachim Althaus, Bürgerliche Wanderlust. Anmerkungen zur Entstehung eines Kultur- und Bewegungsmusters, in:

Wolfgang Albrecht & Hans-Joachim Kertscher (éds.), Wanderzwang – Wanderlust, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 2001, p. 29.

24 Il est évident qu’on rencontre la 2CV comme voiture préférée pour l’auto-stop chez Brugiroux aussi (op. cit., p. 14).

25 “Jack Kerouac’s On the Road […] follows a traditional narrative arc, and, though the lingo and lifestyle are Bohemian, the world is rendered through a depiction of conventional realism” (Scott MacFarlane, op. cit., p. 19).

26 Rory MacLean, op. cit., p. 247.

27 MacLean parle des “Intrepids” en employant le terme comme synonyme pour “the kids who adopted the trail in the 1960s.” (ibid., p. 205 sv.). Par contre, Chollet attire l’attention sur l’influence décisive du mouvement beat antérieur pour ce qui est du goût du voyage et des destinations des hippies : “Le goût pour l’errance manifesté par les beatniks se transforme chez les hippies en passion pour les voyages en long cours: ce sont les premiers qui ont ouvert la route de Goa et de Katmandou mais ce sont les seconds qui l’empruntent massivement. […] En 1964, un hippie, attiré par la vente de haschisch, franchit la frontière népalaise” (Laurent Chollet, “La route du Népal”, op. cit., p. 503 sv.).

28 Cf. MacLean aussi (op. cit., p. 6) qui qualifie la piste comme “critical cultural highway”.

29 Voir LR 51. Au sujet du col de Khyber cf. aussi MacLean : “Through it marched armies of Greek, Buddhists and Mughals, carrying their banners high. The British followed them […].” (“Les armées grecques, les bouddhistes et les musulmans en avaient foulé le sol en brandissant leurs bannières.

Les Anglais ont suivi leurs traces [...]”) (Rory MacLean, op. cit., p. 177).

30 Ces guides touristiques ont contribué de manière considérable au grand succès commercial des maisons d’édition Routard (territoires francophones) et Lonely Planet (territoires anglophones) fondées respectivement par Philippe Gloaguen et Tony Wheeler

31 Voir Julien Hage, “Sur les chemin du tiers monde en lutte: Partisans, révolution, Tricontinental (1961-1973)”, in: Philippe Artières & Michelle Zancarini-Fournel (éds.), 68. Une histoire collective 1962-1981, Paris 2008, p. 87.

32 Yablonsky (op. cit., p. 307 sv.) avait déjà thématisé de telles contradictions au sujet du mouvement hippie américain. Sur le credo hippie de la non-violence et les voies de fait quotidiens dans les communes hippies américaines, voir aussi Robert Frank, “1968 – ein Mythos”, in Ingrid Gilcher- Holtey (éd.), 1968. Vom Ereignis zum Mythos, op. cit., p. 404) qui traite de la construction rétrospective mnémonique d’un mai 68 pacifique.

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33 Selon Lowe, la morale sexuelle rigoureuse de l’époque de l’industrialisation explique les tendances escapistes qui dans les récits de voyage du XIXe siècle se traduisent avant tout par la conception de l’Orient en tant qu’ ‘Autre féminité’ : “The projection of the oriental Other as female is a figuration of 19th-century social and political crises in sexual language and rhetoric – the crisis of authority in the instability of monarchy, the crisis of class hierarchy in a bourgeois age, the crises of family, gender, and social structure in an age of rapid industrialization, urbanization, emigration and immigration, and social change” (Lisa Lowe, “The Orient as Woman in Flaubert’s Salammbô and Voyage en Orient”, in: Comparative Literature Studies 23: 1, 1986, p. 45).

34 Luc note à ce sujet : “C’est vrai qu’une ville orientale qui se civilise à l’occidentale y perd tout son pittoresque” (LR 30).

35 Chaque fois de nouveau, on a l’impression qu’un voyage en Orient est à même de ramener les intéressés aux temps mythiques de l’Antiquité ou du Moyen Âge. Voir Jean-Claude Berchet (éd.), Le voyage en Orient. Anthologie des voyageurs français dans le levant au XIXe siècle, Paris, Robert Laffont, 2005, p. 559 et 569 [Gasparin] ; 454 et 460 [Lamartine] ; 858 sv. [Nerval].

36 Laurent Chollet, “La route du Népal”, art. cité, p. 504.

37 Jean-Claude Berchet (éd.), Le voyage en Orient, op. cit., p. 580.

38 On trouve des descriptions illustrant la fascination exercée par le spectacle des somptueuses couleurs des levers et couchers de soleil en Turquie et en Égypte chez Loti, Nerval, Lamartine, Gasparin, Flaubert et autres (Jean-Claude Berchet (éd.), Le voyage en Orient, op. cit., p. 583 ; 876 ; 460 sv. ; 551, 559 ; 912, 915).

39 Christian Moser & Helmut J. Schneider, “Einleitung. Zur Kulturgeschichte des Spaziergangs”, in: Ch.

Moser & H.J. Schneider & Axel Gellhaus (éds.), Kopflandschaften – Landschaftsgänge: Kulturge- schichte und Poetik des Spaziergangs, Köln / Weimar, Böhlau Verlag 2007, p. 9.

40 Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, cité dans Moser & Schneider, op. cit., p. 7.

41 Dans ce contexte, Moser & Schneider (op. cit., p. 9) aussi renvoient à l’analogie entre la marche et l’écriture ou encore la marche et la lecture récurrente dans la littérature et la culture européennes.

42 Florian Henke, Topografien des Bewusstseins. Großstadtwahrnehmung, Erinnerung und Imagination in der französischen Literatur seit Baudelaire, Freiburg 2005, p. 88 (ma traduction) ; url: http://www.freidok.de/volltexte/2204/pdf/ Henke_Topografien_011412.pdf.

43 Rory MacLean, op. cit., p. 208 sv.

44 Jean-Claude Berchet (éd.), Le voyage en Orient, op. cit., p. 552.

45 Susanne Stemmler, Topografien des Blicks. Eine Phänomenologie literarischer Orientalismen des 19. Jahrhunderts, Bielefeld, Transcript Verlag, 2004, p. 49 sv.

46 Dans son étude (Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern Debate, New Haven, Yale University Press, 1992), Leila Ahmed a illustré que des constantes misogynes étaient présentes dès le début dans le christianisme, le judaïsme et les rites religieux locaux des tribus arabes bien avant l’islamisation déjà. Selon Ahmed, une des caractéristiques fondamentales de la conquête islamique est le fait que les coutumes des territoires occupés ont été reprises dans une large mesure.

47 Susanne Stemmler, op. cit., p. 101 sv.

48 Ottmar Ette, Literatur in Bewegung, Weilerswist, Velbrück Verlag, 2001, p. 70 ; ma traduction.

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