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Le capitalisme ivre de profit Michel Husson

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Le capitalisme ivre de profit Michel Husson

Politis n°844, 24 mars 2005

L’argumentaire hystérique de Seillière (1) recèle une énorme contradiction. On ne peut dire que « le partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits est stable » et proclamer en même temps que les 35 heures ont conduit à une augmentation exorbitante du coût du travail et mis à mal la compétitivité des entreprises. La part salariale est en effet un indicateur global de compétitivité : si elle est restée stable, cela veut dire que la compétitivité ne s’est pas dégradée.

La part salariale augmente quand le salaire progresse plus vite que la productivité (et vice versa). Cette règle permet de mieux interpréter la période du passage aux 35 heures : elles ont conduit à une augmentation du salaire horaire, mais celle-ci a été compensée par un bond en avant de la productivité horaire, « grâce » à l’intensification du travail autorisée par les modalités insuffisamment contraignantes de la RTT. Le quasi-blocage du salaire mensuel a accompagné la décélération de la productivité par tête, de telle sorte que le partage de la valeur ajoutée n’a pas été modifié.

La part salariale oscille aujourd’hui autour de 64-65 % de la valeur ajoutée des entreprises selon l’Insee (et non 70 % comme le dit Seillière). C’est un niveau historiquement très bas, puisqu’elle était de 72,5 % en 1982, juste avant la « rigueur ». Même si l’on prend comme référence la moyenne des Trente glorieuses, le recul est de 6 ou 7 points. Le Medef tient évidemment à ce qu’il soit irréversible, et voilà pourquoi la moindre allusion à un quelconque rattrapage déclenche de sa part de violentes imprécations.

Il n’a en fait jamais renoncé à l’idée que l’on pourrait faire encore plus baisser la part salariale. Au cours des dernières années, il s’est attaqué surtout à la partie socialisée du salaire (les cotisations) et a obtenu, à travers les « réformes » des retraites et de l’assurance-maladie, la garantie d’un gel des taux de cotisation, quelle que puisse être l’évolution ultérieure des besoins sociaux. Il ne faudrait donc pas que ce qui a été gagné sur ce terrain soit remis en cause du côté des salaires directs !

C’est en jouant sur la productivité que le patronat entend aujourd’hui reprendre les choses en main. La conjoncture récente montre que le PIB croît un peu plus vite, mais avec des effectifs à peu près fixes : autrement dit, la productivité augmente de nouveau. Sur cette base, il devient envisageable de refaire partir à la baisse la courbe de la part salariale, à condition - bien sûr - que les salaires restent bloqués. Et c’est bien ce qui se passe : le pouvoir d’achat du salaire moyen a perdu 0,3 % en 2003 (2). Contrairement à ce que dit le baron Seillière qui parle de « petite remontée », la part des salaires a donc recommencé à baisser, passant de 64,8 % en 2003 à 64,2 % en 2004. On comprend alors mieux les orientations du patronat. Instaurer un nouveau contrat de travail, allonger la durée du travail, vider de sa substance légale la notion d’heures supplémentaires, voilà autant de leviers qui visent, non seulement à prendre une revanche sur les 35 heures, mais à engranger des gains de productivité et donc des profits supplémentaires.

Mais pour en faire quoi ? Une étude de la société de Bourse Cheuvreux montre que le chiffre d’affaires des 45 premières entreprises françaises a progressé de 3% entre 2001 et 2004, alors que leurs investissements ont reculé de 12%. Il ne reste plus qu’à distribuer le profit non investi sous forme de dividendes, et ceux-ci ont donc progressé de 30% en trois ans. L’étude enfonce le clou en soulignant que cette « aversion au risque » remet en cause « la pérennité de la croissance » : pour le patronat

« risquophobe », mieux vaut en effet moins de croissance et plus de profits que l’inverse. Un doute terrible nous étreint alors. Et si ce « capitalisme sans projet » (dixit l'économiste Patrick Artus) n’en avait en réalité qu’un seul : en mettre plein les poches des actionnaires ? Voilà une conclusion certes peu sophistiquée, mais qui suffit largement à expliquer le retour de la question salariale.

(1) « Le Medef ne compte faire aucun geste sur les salaires », Le Monde, 16 mars 2005 http://gesd.free.fr/baron163.pdf

(2) « Les salaires dans les entreprises en 2003 », Insee Première n°1007, mars 2005 http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP1007.pdf

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