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Hélène Simart. Paru dans la «Palme d'or» : Tornades (actuellement épuisé) Photo Rapho-Lang.

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Hélène Simart Mariée à un haut fonctionnaire, mère de deux enfants; elle a gardé pour écrire ses romans le nom de son père, l'écrivain bien connu et fondateur d'une imprimerie restée célèbre dans le monde de la Presse.

Élevée dans un milieu littéraire, elle eut son premier poème publié dans un journal pour enfants. Elle avait 7 ans.

Après d e bonnes études secondaires au lycée Racine, elle exerça différents métiers, tout en donnant régulièrement des nouvelles aux hebdomadaires fé- minins, et enfin des romans.

Elle a obtenu deux Prix importants :

— Prix du roman populaire

— Prix Max du Veuzit.

Paru dans la « Palme d'Or » : T o r n a d e s (actuellement épuisé) Photo Rapho-Lang.

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L'ARBRE DE TÉNÉRÉ

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HÉLÈNE SIMART

L'ARBRE D E T É N É R É

roman

CASTERMAN

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I S B N 2 - 2 0 3 - 2 2 3 2 4 - 3

© Casterman 1 978

Droits de traduction et de reproduction réserves pour tous pays Toute repro- duction, même partielle, de cet ouvrage est interdite Une copie ou reproduction p a r quelque procédé que ce soit, photographie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi

du 11 mars 1957 sur la protection des droits d'auteur.

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Dans l'aride désert de Ténéré, un arbre survivait depuis des millénaires. Quel était son secret? Nul n'a pu l'expliquer...

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Parmi les lettres et prospectus qui s'étalaient sur le plateau de cuivre, le D Laurent Varnier repéra une enveloppe jaune qui ne mentionnait au- cune adresse. Seulement son nom, tracé en gros caractères d'imprimerie. Intrigué, il la décacheta en priorité. « Cela m'a tout l'air d'une lettre ano- nyme. »

Il ne se trompait pas. Éberlué plus qu'effrayé, il lut ces mots : « VENGEANCE. TU MOURRAS BIENTÔT DE MA MAIN. »

Retournant plusieurs fois la page quadrillée, ar- rachée à un cahier d'écolier, il envisagea rapidement diverses hypothèses : plaisanterie d'un goût douteux, erreur de destinataire, œuvre d'un déséquilibré.

C'était la dernière explication qui cadrait le mieux.

Il sonna. Jeanne entra sans frapper. C'était une femme d'une quarantaine d'années, au visage neutre et doux. Regard de myope derrière les verres épais, gestes usés. Totalement insignifiante. Au moins pos- sédait-elle un avantage. Celui de plaire à Marie- Luce. A cause de la jalousie maladive de Marie- Luce, les domestiques se succédaient à une cadence record. Elle ne tolérait aucun charme féminin au- tour de son mari. C'était déjà bien assez des clientes qu'elle ne pouvait évincer.

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Une quatrième version fulgura dans l'esprit de Laurent. Sa femme ! Elle était bien capable de lui avoir envoyé cette lettre pour l'inquiéter, lui faire croire qu'elle savait, enfin qu'elle croyait savoir.

Dieu sait ce qu'elle pouvait imaginer, possédant, en outre, l'art de prêcher le faux pour savoir le vrai.

— Dites-moi, Jeanne, qui a apporté cette enve- loppe ?

— On l'a glissée sous la porte de la loge. La gardienne n'a rien vu.

Décidément, le mystère se corsait. Songeur, il re- garda Jeanne s'éloigner, s'effacer plus exactement, de sa démarche glissante qui indiquait la soumis- sion. De nouveau, il était seul, libre de réfléchir. Pas pour longtemps. Bientôt l'engrenage du travail. La clinique, les visites, les consultations. Sans compter les urgences. A ce régime, les heures fondaient rapi- dement.

« Il faudrait au moins une dizaine d'existences pour en remplir une seule, pensa-t-il, désabusé. Et encore... On ne réalise jamais tous ses projets. La vie qui s'use. La peau de chagrin, quoi... »

Il revint à la lettre anonyme. De plus en plus, l'idée le taraudait. Il eut cette pensée désenchantée qui, pourtant, ne trahissait aucun regret : « Jalouse de qui ? »

En sept ans de mariage, aucune aventure, même passagère. Aucun caprice des sens. Il n'en avait d'ailleurs aucun mérite, n'ayant pas connu la tenta-

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tion. Pour lui, la plus jolie cliente n'était qu'une malade asexuée. Un corps à soulager, à guérir. Et puis... « Trop occupé. Pas le temps. Je ne suis pas non plus du genre passionné. L'amour, avec les complications et les folies qu'il engendre, est une sorte de maladie. Heureusement, je suis naturelle- ment vacciné. »

Un coup d'œil à la montre, cette grignoteuse de temps. Il disposait encore d'un quart d'heure de liberté. Plus qu'il n'en fallait pour une explication avec Marie-Luce, à condition, bien entendu, qu'elle ne fasse pas traîner les choses avec des faux-fuyants, selon son habitude.

En quelques enjambées, il atteignit la chambre où sa femme s'attardait jusqu'au déjeuner. Marie-Luce Varnier était assise devant un miroir, étudiant di- verses coiffures. Petite et mince, elle donnait une impression de fragilité. Jolie, avec un teint clair et des prunelles noisette, de courts cheveux châtains, une douceur indolente de petit chat.

— C'est toi, chéri ? dit-elle sans se retourner, lui souriant au centre du miroir.

Il se pencha pour l'embrasser sur la nuque, geste qui faisait partie des rites quotidiens.

— Tu as l'air contrarié, remarqua-t-elle en pi- votant pour lui faire face. Un malade récalcitrant ?

— Non. Une affaire personnelle.

Le mot l'alarma. Son sourire fragile s'éteignit.

Douée d'une grande sensibilité, un rien la boulever- sait. Mais n'éprouvait-elle pas un plaisir ambigu à

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se tourmenter pour tout ce qui touchait à sa vie sentimentale ?

Sourcils plissés, lèvres amincies, elle attendit. Il lui tendit la lettre.

— Est-ce toi qui l'as écrite ?

En posant la question, il l'étudiait avec acuité, de ce même regard bleu qui dépistait la maladie. Ma- rie-Luce savait mal feindre. Pareil à une soie déli- cate, son visage se froissait à la moindre émotion, trahissant les sentiments. Elle pleurait souvent, et ces larmes, qui émeuvent tant quand on aime, hor- ripilaient le D Varnier.

Pourquoi ne l'aimait-il pas, ou du moins pas as- sez ? Plus exactement, pas comme elle l'aimait, elle ?

Honnêtement, il reconnaissait qu'elle n'avait au- cun tort grave, sinon ce caractère excessif qui contrastait tant avec sa propre nature. Et puis, il lui devait tout. Fortune, réussite. Étudiant pauvre, il avait épousé la fille d'un grand patron. Pas entière- ment par calcul. Loyalement, il pensait avoir trouvé un bonheur à sa taille avec un mariage de raison. Il se méfiait trop des élans de cœur, aussi brefs que fulgurants. On ne pouvait pas même dire qu'il avait été déçu. Non. Ils n'avaient changé ni l'un ni l'au- tre. Mais la passion n'était pas venue. Au fond, l'existence est un choix, et le sien n'était pas si mauvais, après tout.

Aimant son métier par-dessus tout, il pouvait s'y consacrer tout entier. Une passion entrave l'homme, lui ôte sa liberté d'esprit. Dieu merci, il était à l'abri

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de ce genre de maladie. A chacun son tempérament.

Le sien était sans doute d'être équilibré, presque chaste, d'une froideur de savant.

Après avoir lu, Marie-Luce laissa tomber le mes- sage et regarda fixement son mari avec un tel air de stupeur qu'il fut édifié.

— Si ce n'est pas toi, alors qui est-ce ? mur- mura-t-il, repris par sa perplexité.

L'esprit soupçonneux de Marie-Luce s'organisait.

— Pourquoi m'as-tu suspectée ? Aurais-tu quel- que chose à te reprocher?

Elle avait gardé sa brosse à la main, la maniait comme une arme. Avec sa couronne de cheveux ébouriffés, elle faisait penser à une petite fille injus- tement grondée. Un air candide, assorti d'une beauté mièvre. De courtes révoltes. Pas de grands défauts. Son âme était tapissée de petites mesquine- ries. Laurent la résumait ainsi : une âme étroite.

Mais n'était-il pas trop sévère ?

— Je n'ai rien à me reprocher, dit-il d'un ton plus dur qu'il ne l'aurait voulu. Du moins, rien qui justifie une telle prose.

Il ramassa la lettre pour calmer sa colère nais- sante, la froissa nerveusement entre ses mains fortes et soignées, la jeta en boule dans la corbeille.

— N'y pensons plus. C'est tout le sort qu'elle mérite.

Mais sa femme protesta. Chez elle, le moindre incident prenait une importance exagérée, se rami- fiait en mille façons de se torturer.

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— Comment peux-tu dire ça, quand ta vie est peut-être en danger !

D'un élan, elle vint se suspendre à son cou.

— Je ne vais plus vivre, avec cette menace ! Il faut prévenir la police !

— Et me rendre ridicule ! Sans compter l'inutilité d'une telle démarche. C'est sûrement un maniaque, genre corbeau. Aucun indice pour l'identifier. Je ne suis pas le seul à avoir reçu ce genre de message, je le parierais !

Mais elle ne lâchait pas son idée.

— En général, une lettre anonyme formule une accusation précise, vraie ou fausse. Or, la phrase est mystérieuse.

— Raison de plus pour l'attribuer à un fou.

— Mais si c'est un fou, il est encore plus dange- reux ! Un illuminé est capable de tout!

— Réfléchis une seconde, Marie-Luce. Qui pour- rait en vouloir à ma vie ? Il n'existe aucune raison.

Je ne me connais pas d'ennemis. J'ignore la politi- que. Mon métier me met au service des autres... A présent, j'envisage une autre explication. Il y a er- reur sur la personne. Ce n'est pas à moi que s'adresse cette menace.

Il voulait en finir, la rassurer pour couper court à ces lamentations qui lui mettaient les nerfs à vif.

Belle idée de lui avoir montré ce billet.

— Et si c'était une femme, Laurent?

Il se dégagea de son étreinte possessive, avec toute la douceur dont il était capable.

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— Pourquoi serait-ce une femme et pour quel motif ?

Yeux plissés, soupçonneuse, elle échafaudait déjà tout un roman.

— ... Une femme que tu aurais séduite, puis abandonnée? Réfléchis, Laurent, cherche bien...

— Il n'y a aucune autre femme que toi dans ma vie.

Il avait de plus en plus de mal à contenir son irritation.

— Je voudrais te tromper que je ne le pourrais pas. Où trouverais-je le temps ?

C'était bien ce qui la rassurait le mieux, ce travail acharné qui ne laissait place à aucune rivale. En somme, une arme à double tranchant. Elle souffrait, dans sa nature possessive, de n'être pas le seul cen- tre des préoccupations de son mari.

Sur sa lancée, elle insista :

— Peut-être un mari jaloux?

— Il le serait bien à tort, ironisa-t-il.

— Laurent, tu m'aimes? implora-t-elle soudain en se jetant contre lui.

— Bien sûr.

— Dis-le-moi! M'aimes-tu?

Cette question, tant de fois posée avec un pathé- tisme de victime, avait le don de l' exaspérer parti- culièrement.

Peut-être parce qu'il n'avait pas le courage d 'y répondre.

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« L'amour est un sentiment de femme », pensa-t-il, avec une lassitude un peu triste, conscient de sa responsabilité, mais incapable de se plier à une comédie qu'il jugeait dégradante. Pour avoir la paix, il composait. Mais cela n'allait pas au-delà. Il possédait en outre une certaine forme d'orgueil, qui admettait mal l'échec. Une erreur d'estimation, son mariage. En épousant Marie-Luce, il se croyait de taille à supporter son caractère enfantin, sans pro- fondeur. Mais ce caractère l'horripilait chaque jour davantage.

En vain s'exhortait-il :

« On ne peut réussir dans tous les domaines.

Marie-Luce est une grande nerveuse, presque une caractérielle. Il faut de la patience, de l'indulgence.

Je n'ai pas grand-chose à lui reprocher. »

Heureusement, il fut dispensé de répondre. Elle éclata en sanglots convulsifs.

« Les larmes, à présent », pensa-t-il, résigné.

Un coup d'œil machinal à sa montre-bracelet. A peine le temps d'endiguer la crise. Pourvu qu'elle soit courte.

— Petite sotte, va. Est-ce raisonnable de se met- tre dans un état pareil pour une broutille ?

Il la guida jusqu'au lit, essuya les dernières lar- mes, du bout des doigts.

— Tiens, avale ce cachet.

Obéissante, elle avala le calmant, lui offrant des yeux lavés, soumis, comme vides à force de can- deur. Le drame lui seyait comme un fard. Elle y

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était dans son élément. La parfaite incarnation de la tendre épouse saturée d'adoration.

Que ne pouvait-il lui rendre cet amour ! Son es- prit cartésien s'accordait mal avec l'ardeur et l'illo- gisme de la passion.

Passionné, il ne l'était que par son métier.

Il fit le geste de porter une cigarette à sa bouche, se souvint à temps qu'il s'était imposé ce léger sa- crifice qu'il préconisait aux autres, remit la cigarette dans son étui.

« Quatre ou cinq par jour. Pas davantage. Et jamais à jeun... »

Apaisée, Marie-Luce reniflait ses dernières lar- mes.

— Ce n'est pas ma faute si je suis jalouse, mon chéri. Tu es si séduisant ! Toutes tes clientes doivent être amoureuses de toi...

Tant d'humilité le désarma. Il prit le parti d'en rire.

— Heureusement que je ne suis pas vaniteux ! Séduisant? Il ne s'en était jamais inquiété, et c'était ce qui accentuait son charme. Il était abso- lument exempt de la moindre fatuité. Pourtant, à trente-cinq ans, avec sa figure énergique, son teint naturellement hâlé, sa chevelure sombre et ses yeux d'un bleu intense, le D Laurent Varnier était très séduisant.

— Petite sotte ! répéta-t-il, en lui caressant les cheveux, vaguement attendri.

Car en dehors des périodes d'agacement, il

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éprouvait pour elle une sincère affection. Si seule- ment elle lui avait donné un enfant. Un fils... C'était le regret lancinant, la plaie secrète.

Le hasard seul était en cause. Ni l'un ni l'autre n'était responsable de cette carence. Les analyses en faisaient foi.

Oui, c'était le hasard qui lui refusait cette joie. Le hasard, l'ennemi numéro un, qu'il fallait combattre à chaque maladie.

Ses pensées vagabondaient. Un instant, il médita sur ces caprices de la nature qui échappent à toutes les règles.

Mais il réagit. Qui donc possède le parfait bon- heur? L'absence de malheur, c'était déjà beau.

— Je dois partir, chérie, sinon je vais être en retard. A tout à l'heure. Et rassure-toi. C'est un maniaque comme il y en a tant, rien d'autre.

Un baiser sur le front. En échange, un regard tendre et mouillé. Petit rite de la vie conjugale.

Dehors, brillait un froid soleil d'hiver. Un temps sec, comme il les aimait. Nuages aux contours nets, que la pluie n'ébréchait pas. Un oiseau vint cogner du bec contre la vitre.

Sot qu'il était de s'attrister. La vie était là, pleine et riche, exaltante. Trop étroite, malheureusement, pour contenir tous les projets.

Le D Varnier avait pensé : projets et non rêves.

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Restée seule, Marie-Luce empoigna le téléphone.

Fragile, elle n'en était pas moins douée d'une ex- traordinaire résistance nerveuse. Incapable de se dominer, elle obéissait presque toujours à ses im- pulsions. A la fois versatile et têtue.

— Allô ! Je ne vous dérange pas ? Jamais ? Comme c'est bon de s'entendre dire ça, cher Yves.

Je dérange toujours Laurent... Ce n'est pas drôle tous les jours, vous savez, d'être la femme d'un médecin. Vous, vous avez résolu la question en restant célibataire. Au fond, c'est mieux. Je m'en- nuie, toute la journée...

Au bout du fil, elle écouta complaisamment la voix grave et chaude qui avait parfois le pouvoir de la consoler, voire de la troubler.

Yves Langevin. Un confrère de Laurent, spécia- liste en gynécologie. Relation qui s'était muée en amitié. Fine mouche, Marie-Luce s'était très vite aperçue qu'elle plaisait à Yves, et c'est toujours une agréable revanche pour une femme qui est ou se croit délaissée par son mari.

C'était d'ailleurs tout platonique. Yves respectait rigoureusement les lois de l'amitié. Attitude qui sa- tisfaisait Marie-Luce. Elle aimait sincèrement Lau- rent.

— Passez me voir en fin de matinée. Vous reste- rez déjeuner avec nous. Laurent sera ravi. Ah ! je ne

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poursuivit-elle, car il a déjà commencé en s'atta- quant au docteur, et...

— C'est l'homme dont tu me parlais avant ton dé- part! s'exclama la jeune femme en pâlissant, s'adres- sant de nouveau à son mari. Celui qui est venu...

— ... cette lettre extravagante, reprit-elle fiévreu- sement, venait de lui, n'est-ce pas ? Oh ! Je me rap- pelle les termes par cœur! « Vengeance. Tu mourras de ma main... »

Il approuva d'un hochement de tête soucieux. A vrai dire, il ne savait par quel bout prendre cette affaire. Impossible de se calfeutrer chez lui. Empê- cher Marie-Luce de sortir ? Difficile également. De toute façon, il ne pouvait prévoir quand et com- ment Martin les attaquerait. Prévenir la police ? Au début, il y avait pensé, puis renoncé. Peut-être, avec le témoignage de Céline, pourrait-on envisager une surveillance ? Mais une surveillance ne peut être constante. Une personnalité, à la rigueur.

— ... C'est encore ce Martin qui est venu me trouver pendant ton absence, continua Marie-Luce.

Sous prétexte d'une urgence, il a obtenu ton adresse à Niamey. Souviens-toi, je t'en ai parlé dans une de mes lettres ! Sa femme s'appelait Clara...

— Et puisque ce triste individu aime le drame, acheva Laurent, je présume que c'est encore lui qui est l'auteur du dernier billet que tu as reçu. Mainte- nant, l'affaire est nette. Nous pouvons envisager de nous défendre.

A vrai dire, il était loin d'éprouver un tel opti-

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misme, mais il fallait à tout prix rassurer Marie- Luce.

— Puisque tu l'as vu, tu pourras l'identifier et le fuir. C'est un avantage que tu as sur moi. Mais je te conseille vivement de ne pas sortir.

— Jusqu'à quand ? Je ne peux tout de même pas rester enfermée toute ma vie !

Il s'efforça de sourire.

— Tu exagères tout. Il ne s'agit que de quelques jours. Je vais prendre des dispositions pour neutra- liser cet individu.

Toujours la question : de quelle manière ? Il n'avait pas le droit ni les moyens de le faire inter- ner. Apparemment, Martin ne se distinguait pas de ses semblables. Mais, surtout, ne pas montrer à sa femme son inquiétude et son désarroi.

— Nous n'avons plus qu'à remercier la mes- sagère.

Céline hésita, tendit la main. Elle avait hâte de se soustraire au climat pesant qui régnait dans cette pièce. Un drame en demi-teinte, à trois personna- ges; sujet classique pour un observateur superficiel.

En réalité, un conflit plus profond, où chacun tri- chait à sa manière. Un conflit d'âme. Elle n'aurait pas voulu quitter Laurent ainsi, sur un adieu imper- sonnel. Mais que faire d'autre ? Pour elle, désor- mais, plus rien à attendre ni à espérer. Même si Laurent était libre un jour, jamais elle ne pourrait oublier le lâche prétexte dont il s'était servi. Sa vie aurait donc été un échec, jusqu'au bout.

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— Au revoir, docteur Varnier. Madame...

Dans son esprit, c'était un adieu sans retour. Il ne resta plus d'elle que ce parfum tenace qui procurait à Laurent un vertige sournois, comparable à l'ivresse.

S'efforçant de paraître naturel, il sourit à sa femme :

— Voilà une affaire éclaircie. Tu vois que j'ai eu raison de m'éloigner. Qui sait si ce Martin, dans un moment d'exaltation, n'aurait pas mis ses menaces en pratique. Mais un homme prévenu en vaut deux... nous trouverons son adresse dans mes fiches...

Espérait-il, par ces paroles futiles, la rassurer ? Tout aussitôt, il se reprocha ce ton léger. Car le danger était réel et Marie-Luce ne devait pas en ignorer la gravité.

— Mais il faut prendre des précautions. Alors, entendu, tu ne bouges pas d'ici ?

Il fut surpris de lui voir un visage aminci par la méfiance, une attitude de petit animal dupé, sur la défensive. Il essaya de prendre une main qui se déroba.

— Ne me touche pas !

— Que te prend-il donc? Tout à l'heure...

— Tout à l'heure, c'était tout à l'heure, l'inter- rompit-elle avec nervosité.

— Ce n'est pas une explication.

— Il faut pourtant bien t'en contenter.

Ce qu'avait Marie-Luce ? En vérité, elle ne le

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comprenait pas exactement elle-même. Devant Céline, elle s'était sentie dominée. Depuis son départ, elle reprenait ses instincts belliqueux, sa jalousie. Un instant subjuguée, elle se laissait en- traîner par ses passions, incapable de les freiner, passions rendues plus violentes d'avoir été momen- tanément stoppées.

Tournant le dos à son mari, elle quitta le bureau en trombe sans vouloir écouter l'appel :

— Marie-Luce, calme-toi, reviens !

Resté seul, Laurent hésita, puis s'assit, résigné.

Au fond, Marie-Luce n'avait pas tout à fait tort.

Pour la première fois de son existence, il avait maté- rialisé sa jalousie, donné un aliment à ses soupçons.

C'était indiscutable. Quand elle était entrée, il tenait Céline entre ses bras.

Songeur, il s'attarda sur cette image. Sensation de revivre un rêve oublié. Pour quelques secondes, tout s'était effacé de sa mémoire. Mon Dieu, comme elle était bonne comédienne. Dans son genre, elle dépas- sait Marie-Luce. Entre deux femmes, le D Var- nier, praticien d'élite, mais amoureux naïf, se sen- tait complètement dépassé. Au milieu de ce cahos, cependant, dans la tornade de ses sentiments, un seul dominait et c'est ce qui le stupéfiait le plus : c'est en vain qu'il tentait de se persuader du contraire : il aimait toujours Céline, et cette grave maladie-là, le D Laurent Varnier était incapable de la guérir.

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C'est l'âme en tempête que Marie-Luce avait quitté le bureau de son mari. La crise couvait depuis longtemps. L'indifférence de Laurent, la lettre ano- nyme, cette espèce de rancune injuste qu'il lui vouait, depuis le malheureux accident qui lui avait fait perdre l'espoir d'une maternité...

Marie-Luce était ainsi faite. Une âme faible, à la merci du moindre courant. Il suffisait d'un mot, d'un geste, moins, même, d'une idée saugrenue qui lui passait par la tête, pour déclencher tout un mé- canisme compliqué. Les pensées s'enchaînaient.

L'une entraînant l'autre, elle finit par se persuader que Laurent lui mentait effrontément, qu'il avait saisi n'importe quel prétexte pour expliquer la présence de cette femme dans son bureau.

Et Marie-Luce n'avait pas les yeux dans sa poche ! Elle avait fort bien vu leur couple rap- proché ! Et elle s'était laissé berner ! Oh, mais Laurent ne l'emporterait pas au paradis ! Il allait voir !

Fébrilement, elle passa une main sur son visage, comme pour en effacer des traces. L'impalpable trace des larmes qu'on ne verse pas, qui sont les pires, parce qu'elles froissent la chair, y laissant des sillons indélébiles.

«Comme c'est malin! Il veut m'empêcher de sortir pour faire ses fredaines tout à son aise ! Belle

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ruse, vraiment ! Me boucler ici pour être bien tran- quille ! Mais il va voir ! »

Marie-Luce parlait toute seule, entre ses dents, pour se défouler, employant des formules toutes faites, lieux communs qui la soulageaient.

Personne dans le vestibule. Elle entendit un bruit de voix derrière la porte du salon. Quelques clientes avides de se faire ausculter par Laurent, sans doute ! Pas plus malade qu'elle. Des désoeuvrées ! Des nym- phomanes !

Les pensées déferlaient. Sa rancœur se cristallisait sur son mari. Une idée fixe : lui désobéir.

« Depuis trop longtemps il me prend pour une petite fille, une marionnette qu'il agite et dirige à sa guise ! »

Elle oubliait son besoin de protection, ses agisse- ments passés qui encourageaient l'attitude de Laurent à son égard. Sa grossesse tragiquement interrompue avait gravement perturbé son psychisme. C'est en vain qu'Yves prescrivait des calmants. Elle faisait semblant d'avaler les comprimés. Peu à peu, la mala- die de la persécution l'avait gagnée. « S'ils s'imagi- nent m'abrutir, avec leurs médicaments ! » C'est la même idée, la ligne directrice, qui l'incita à braver immédiatement l'interdiction de son mari.

Les joues en feu, elle traversa le vestibule, sortit.

Une nappe de lumière ensoleillait la Seine. Une jeune mère passa, en poussant le landau de son enfant. D'un pas décidé, Marie-Luce se disposa à traverser.

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XIX

Depuis quand Martin guettait-il le domicile des Varnier ? Pour lui, le temps n'avait plus de relief.

Des idées contradictoires bouillonnaient dans sa tête. D'un côté, il se sentait doué d'une infinie pa- tience, comme s'il avait l'éternité devant lui; de l'autre, il était pressé d'en finir, non pas que le jeu l'ait lassé, mais parce qu'il craignait de manquer une belle occasion. Il pouvait tomber malade, être mis hors d'état d'agir. Sait-on jamais.

Et l'occasion, il le sentait, se présentait au- jourd'hui. Tout était bien ordonné dans son esprit, à la fois malade et lucide. Quittant Niamey, le docteur avait regagné son gîte, à la suite de la petite comédie organisée par les soins de Martin. Mais, depuis, il avait réfléchi. La dernière phrase de Cé- line, son cri, plutôt, s'était planté dans sa mémoire comme une flèche. « Ce n'est pas moi qu'il aime, c'est sa femme ! »

Oui, il s'était montré piètre psychologue. Fausse route sur toute la ligne. Imbécile, qui s'était imaginé qu'il y avait une idylle sérieuse entre Céline et le docteur! C'est l'évidence même qu'il s'était amusé un instant d'une fille de bar, pour passer le temps ! D'un homme comme lui, rien n'étonnait plus !

Un homme capable de supprimer froidement une femme exceptionnelle comme Clara...

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Personne ne pouvait entendre le cri intérieur de Martin. Arrivé à ce point de son raisonnement, il déraillait. Clara. Nom magique, formule sacrée qui attisait sa haine, l'aveuglait, le rendait pareil à une bête. Sans un atome de pitié. Clara... Oh, comme il détestait le D Varnier! Donc, il s'était trompé de victime : c'était sa femme qu'aimait le docteur.

Œil pour œil, dent pour dent. La loi du talion.

Depuis longtemps, il y pensait. Le projet couvait, bien au chaud dans les profondeurs insondables de l'âme.

Le grand jour était venu. Les abattre l'un après l'autre. Tel était le clou d'acier enfoncé jusqu'à la garde dans l'esprit torturé de Martin.

Depuis longtemps il avait perdu toute notion des réalités. Le cauchemar commencé à la mort de Clara continuait. Quand s'achèverait-il ?

Tout à l'heure, Martin avait été surpris, puis content, de voir Céline entrer dans l'immeuble du docteur. Venait-elle lui faire une scène ? Exercer un quelconque chantage ? Possible. Pas évident. De toute façon, cette arrivée corsait l'affaire. La jalou- sie de l'épouse légitime allait flamber comme une allumette ! Le beau pétrin dans lequel s'était fourré le toubib ! Martin en riait d'aise. Enfin, ça bougeait ! Depuis des jours qu'il était en faction, les yeux rivés sur cette porte d'immeuble !

Il vit sortir Céline. Tiens, elle n'était pas restée très longtemps. Juste celui de semer la discorde, pensa Martin, en grinçant des dents pour exprimer

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sa satisfaction. Bien entendu, impossible de lire quoi que ce soit sur le visage de cette fille.

Trop sûre d'elle. Mais une victime à négliger. En quoi sa disparition frapperait-elle le docteur? Au contraire, bon débarras ! Martin lui rendrait service en supprimant une maîtresse encombrante. Pas si bête...

Avec indifférence, il la vit s'éloigner, haute et sereine. Un monstre d'insensibilité, cette fille. La main crispée sur la crosse de l'arme, enfouie au fond de sa poche, Martin incarnait la Justice. Il était calme et résolu. L'image de Clara ne le quittait pas. Un souvenir presque palpable. Bientôt, il la rejoindrait. Mais auparavant...

Quelques minutes s'écoulèrent. Moins peut-être.

Il fallait rentrer. Ce soir, il ne se passerait rien.

Demain peut-être ?

Tout à coup, il tressaillit d'aise. La frêle sil- houette de Marie-Luce Varnier venait d'apparaître sur le seuil. La largeur d'une rue les séparait. Le sort avait décidé. Justement, la femme du toubib sem- blait désemparée. Après avoir fait quelques pas au hasard, elle s'arrêta net. La lumière déclinante cise- lait ses contours. Une proie immobile. Une cible parfaite. C'était presque trop facile. Lentement, Martin retira la main de sa poche. La crosse brilla.

Il prit son temps, visant soigneusement, s'accordant quelques secondes de félicité. Tuer cette femme sans qu'elle sache pourquoi lui importait peu. Ce n'était pas elle qu'il fallait punir, mais son mari à travers elle.

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« Le faire souffrir comme il m'a fait souffrir.

Tuer sa femme comme il a tué la mienne. » Le coup de feu claqua. L'odeur de poudre ne dégrisa pas Martin mais lui chatouilla agréablement l'odorat, comme un encens réservé aux rites. Il ve- nait d'accomplir un acte raisonnable. A la fois ma- gistrat et bourreau, celui qui juge et celui qui exé- cute, il avait rendu le verdict, appliqué le châtiment.

Oui, justice était faite. Il ne pensait même pas à fuir.

Comme dans le brouillard, il entendit des cris, des gens qui se précipitaient, se penchaient sur le corps étendu.

« Au tour du docteur... »

Dans sa logique, il n'envisageait pas une seconde qu'on puisse se mettre en travers de ses projets.

Venger Clara. Qui donc oserait s'y opposer? On n'arrête pas la main de celui qui punit.

Il n'avait fait qu'appliquer la loi. En toute équité.

L'arme toujours à la main, il s'avança, fasciné, les traits soudain illuminés d'une sombre ferveur.

C'est à peine s'il se rendit compte qu'un bras s'agrippait au sien, qu'on le ceinturait. Des phrases confuses bourdonnaient dans un lointain nébuleux.

Il était question de police-secours, de démence, de quoi encore ? Mais il n'avait pas fini son travail ! Et son revolver? Où était son revolver? Martin se débattit furieusement. Il hurla. Tout le monde se coalisait pour lui faire manquer à son devoir, sa mission ! Il étouffait. Des phrases incohérentes lui échappaient. Avec ce lancinant leitmotiv que nul ne

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pouvait comprendre, ce sésame qui, bientôt, allait lui ouvrir les portes du paradis : Clara...

Le timbre caractéristique de police-secours vibra sans parvenir à percer la couche de silence qui l'isolait du reste du monde. C'est avec une expres- sion de visionnaire que Martin se laissa emmener par deux gardiens. Désormais, il ne souffrirait plus.

Son esprit avait définitivement sombré, il avait franchi la porte derrière laquelle Clara l'attendait, qu'importait si cette porte était celle d'un asile.

Martin ne sortirait plus de son rêve, ayant perdu tout contact avec les réalités terrestres.

Marie-Luce était morte pendant son transfert à l'hôpital. Le drame brutal avait plongé Laurent dans la stupeur. Pourquoi Marie-Luce lui avait-elle désobéi ? Il n'éprouvait même pas de rancune pour Martin. Un malheureux détraqué, enfermé pour la vie dans un établissement psychiatrique.

A la dérive, il trouvait refuge dans l'amitié de Langevin. A l'aide de mots simples, il lui avait tout raconté, essayant de traduire toutes les nuances de l'histoire. Dutheil. Langevin. Deux amis en qui il pouvait avoir confiance. Cette confiance qu'une femme lui avait fait perdre.

Lui, le secret, le pudique, s'épanchait sans rete- nue. Il parla de Céline, de leurs sorties douces, de

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l'espoir insensé qu'il avait un instant caressé, puis de la chute brutale de ses illusions.

De sa bonne volonté de bonheur en rejoignant sa femme, de l'échec de cette tentative, après l'accident de Marie-Luce.

— Je te dois la vérité, Yves. La disparition de ma femme ne me plonge pas dans le désespoir, mais j'éprouve une infinie pitié pour elle, qui n'a jamais su être heureuse. Je me reproche aussi certains mouvements d'humeur à son égard. Si j'avais su...

L'obsédant refrain de Céline. Si j'avais su...

— Tu n'as rien à te reprocher, Laurent. Depuis longtemps, je m'étais aperçu de la fêlure de votre couple. Marie-Luce était une enfant capricieuse, à tous points de vue. Jusqu'au bout tu auras fait ton devoir. Le hasard était contre toi...

Yves étudia longuement son ami, posa une main fraternelle sur son épaule.

— Parle-moi encore de cette femme rencontrée à Niamey.

Avec son instinct, il sentait que c'était là le point crucial, douloureux.

— Tu m'as dit avoir pris pour de l'amour ce qui n'était qu'un désir physique. Explique-toi. Qui t'a détrompé ? Toi-même?

— Non. Elle. J'étais sincère. J'avais rencontré le grand amour, Yves. Celui dont je me moquais avant notre rencontre.

— Alors ?

— Elle était très belle, mais l'âme ne correspon-

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dait pas au visage. Il n'y a rien d'autre à expliquer.

Ce n'était qu'une fille vénale comme toutes ses pa- reilles. Mais qu'as-tu? Tu parais sceptique.

— Oui, Laurent. Je le suis. Comment un homme tel que toi a-t-il pu se tromper sur le compte de quelqu'un d'une façon aussi grossière ?

— Je suis désarmé devant la dissimulation fémi- nine, répliqua amèrement Laurent.

— Peut-être. Mais je te répète, toi, dont l'âme est loyale, l'esprit net, comment aurais-tu pu confondre un grand amour et une vulgaire aventure ?

— Une aventurière. Le mot est juste. C'était une aventurière.

— Comment vous êtes-vous quittés ? Raconte- moi votre dernière entrevue.

— La mort dans l'âme, j'étais venu lui annoncer que Marie-Luce attendait un enfant et que, par conséquent, mon devoir était de la rejoindre.

— Tu m'as bien dit qu'elle était orgueilleuse?

— Oui, mais...

Brusquement, Laurent revivait la scène. Une espé- rance le souleva. Mais il riposta, découragé.

— Je vois où tu veux en venir. Moi-même j'y avais pensé. Non, Yves. Elle m'a signifié mon congé avant de savoir le motif de mon départ.

Mal convaincu, Langevin remua la tête.

— Tu ne m'enlèveras pas de l'idée qu'il y a quel- que chose de mystérieux dans son attitude. Voilà une femme qui, d'après toi, serait la dernière des dernières, et qui n'hésitait pas à entreprendre un

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voyage long et coûteux pour te prévenir d'un dan- ger? Elle aurait tout quitté ? Laurent, quand ta peine sera un peu apaisée, quand tu recommenceras à faire des projets d'avenir, crois-moi, reprends contact avec cette femme. Il faut que tu saches la vérité, ne serait-ce que pour retrouver ton équilibre et ta confiance perdue.

Reprendre contact avec Céline... Une lueur dans le ciel d'orage. Laurent aurait volontiers suivi les conseils de son ami, mais il s'avisa d'un détail : où la retrouver ?

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XX

Les mois passèrent. Le souvenir léger de Marie- Luce Varnier flottait encore dans les pièces, mais à la manière d'un parfum ténu. Laurent retrouvait un rythme de vie à sa mesure. L'exutoire du travail apportait l'oubli. Pas toujours. Plus tenace était le souvenir de Céline. Il avait tout tenté pour la re- trouver. Elle n'était pas retournée en Afrique.

Dutheil, auquel il s'était confié, n'avait plus jamais entendu parler d'elle. Envolée. Évaporée. Sans cesse, il se posait des questions à son sujet. Le pire était qu'il n'arrivait plus à discerner la vérité. A quel moment lui avait-elle menti ? Avec le recul, il ne parvenait plus à rassembler les éléments qui au- raient pu le conduire à la vérité. Leur dernière en- trevue, qui avait brisé ses illusions, était-elle com- patible avec l'élan qui avait poussé Céline à le sau- ver? Jusqu'au bout sa figure resterait mystérieuse, son personnage insolite et déroutant.

Étrange fille. Son chagrin ne s'apaisait pas. Pour- rait-il un jour résoudre cet irritant problème ? Ce n'était qu'à ce prix qu'il guérirait.

« Elle a dû lire les journaux, tout de même! » Le drame avait paru dans la presse, en mince entrefilet. Mais Céline lisait-elle les faits divers ?

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Non. Céline ne les lisait pas. Ayant quitté le domicile des Varnier, elle s'était promis de ne ja- mais y revenir. Que pouvait-elle faire d'autre ? Ils étaient prévenus. A Laurent de se protéger, de pro- téger sa femme. Cette Marie-Luce qui n'avait jamais attendu d'enfant...

Pour Céline, l'énigme était la même. Cette lâcheté ne cadrait pas avec le caractère de Laurent. Elle n'avait pas pu se tromper à ce point sur son compte ! Et peu à peu, comme Laurent, elle doutait, se posait des questions, remuait des pensées contra- dictoires.

Elle s'était réfugiée dans une petite pension de famille du 1 7 arrondissement, ne cherchait pas en- core du travail, épuisant ses économies avec indiffé- rence.

L'avenir? Elle refusait d'y penser. Le sien n'était qu'une éternelle errance. Laurent n'aurait été qu'une étape.

Oui, elle s'était juré de ne plus jamais le revoir. Et puis un jour, la tentation fut trop forte. Le temps avait passé. La veille, Céline avait pris la décision de partir.

A quoi bon rester à Paris, près de Laurent? Puis- que, de toute façon, elle était de trop dans son exis- tence. Seul un désir charnel pouvait le pousser vers elle, mais de cela, elle ne voulait pas. A aucun prix.

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Sa vie d'aventure, paradoxalement, lui avait donné un besoin exigeant de pureté, de perfection. Elle aurait été la femme d'un seul amour, mais nul n'en saurait jamais rien.

Cette situation lui rappelait le temps de son en- fance, le temps où la petite Céline se laissait accuser par fierté, jugeant indigne de se défendre. Au fond, elle n'avait pas changé. L'opinion des autres ? Cela l'indifférait. La seule chose qui pouvait encore la faire souffrir, c'était le mépris de Laurent. Elle se rappelait la dernière fois qu'il était venu la voir. Son ton embarrassé. Martin, derrière le rideau, la folie au cœur, et l'arme au poing. Le lâche prétexte de Laurent. Ce mensonge qui avait déclenché en elle une orgueilleuse réaction. Non, ce n'était pas lui qui l'abandonnait, c'était elle qui avait rompu la pre- mière ! Comment n'avait-il pas deviné ses sanglots, derrière les mots cinglants ? Sans doute, ne l'avait-il jamais aimée...

Avant de s'exiler définitivement, elle décida donc de le revoir une dernière fois. Sans qu'il le sache.

Une hésitation : à son domicile ou à la sortie de sa clinique? Elle opta pour la clinique. Laurent lui en avait si souvent parlé. Et puis elle verrait davantage son vrai visage, le seul aspect qui ne trichait pas : celui de son travail.

Elle se posta donc face à l'établissement où exer- çait Laurent. L'attente. Se doutait-elle que Martin avait fait le guet à cet endroit ? Qu'il avait eu, comme elle, des trésors de patience?

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Mais lui, c'était la haine qui le faisait agir.

« Revoir Laurent... »

Pour meubler le temps, elle essaya d'imaginer comment il avait résolu l'affaire Martin. Après avoir mis sa femme à l'abri, il avait dû agir, mettre Martin hors d'état de nuire, en l'internant, sans aucun doute. Une joie farouche : « c'est moi qui l'ai sauvé... »

Au bout d'une heure, elle aperçut enfin la sil- houette familière. Sa démarche. La façon qu'avait Laurent de passer rapidement la main dans ses che- veux.

D'un pas assuré, il se dirigea vers sa voiture, ga- rée à quelques mètres. Quelques secondes encore et il allait disparaître. Jamais plus elle ne le reverrait.

Céline appliqua son poing contre sa bouche et le mordit au sang pour étouffer sa plainte. Elle résis- tait au désir fou de se précipiter vers lui, de lui crier qu'elle lui avait menti, qu'elle l'aimait tel qu'il était, avec ses faiblesses.

Non, l'amour ne s'explique pas. Même si Laurent avait été le pire des criminels, elle l'aurait aimé.

La portière claqua. Il lui sembla recevoir un coup.

Mais pourquoi ne démarrait-il pas ?

Tour à tour, le hasard est l'ennemi ou l'allié de l'amour. Tout simplement, la voiture du D Varnier refusa de lui obéir ce jour-là.

En ronchonnant, il descendit, ouvrit le capot, se mit à examiner le moteur et ses rouages en enfilant ses gants.

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Il ne comprenait rien au caprice de cette méca- nique !

« Le plus sage est de prendre un taxi ou le bus. Je me ferai dépanner tout à l'heure. Pas le temps de m'attarder... »

D'un pas ferme, il fonça vers l'endroit où Céline s'était réfugiée, en bordure de rue, dans l'abri ré- servé aux usagers des autobus.

Pas le temps de fuir. La surprise la paralysait. De toute façon, il était trop tard.

Ils se trouvèrent nez à nez, aussi stupéfaits l'un que l'autre.

— Que fais-tu ici ?

Le premier, il s'était repris.

— Je... je voulais te voir une dernière fois. Te dire adieu à ma manière.

— Viens. Ne restons pas ici.

Incapable d'opposer la moindre résistance, elle se laissa entraîner dans un petit café proche, où ré- gnait une bonne odeur de pain grillé.

— Expliquons-nous, Céline.

— Il n'y a rien à expliquer, Laurent.

— Si.

Elle remarqua la petite lueur bleue, presque tendre, qui s'était allumée dans les profondeurs de l'iris.

— Tout reste à expliquer, au contraire.

Cette insolite douceur la déconcerta. Que s'était-il passé ?

— As-tu réussi à neutraliser Martin ? de- manda-t-elle.

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Il inclina la tête.

— Lis-tu les journaux ?

— Non. Jamais.

— Alors tu ignores les événements. Martin a accompli à moitié sa vengeance. Marie-Luce est morte. Il a tiré sur elle; malgré ma défense, elle a voulu sortir. Il la guettait.

— Je suis désolée, Laurent. J'avais tout fait pour la protéger.

— Moi aussi, Céline. Nous avons tout fait, tous les deux. Nous n'avons rien à nous reprocher, sur- tout toi...

Il lui prit les mains, la regarda au fond des yeux, ce miroir d'argent qu'il avait cru vide, où il n'avait pas su lire le sacrifice et la passion.

— Nous avons peut-être le droit d'être heureux, enfin, Céline.

Heureux ? Il y aurait toujours ce mensonge entre eux, cette mauvaise raison pour dissimuler l'hypo- crisie.

Hypocrite, Laurent? Pourquoi la couvait-il de ce regard fervent, qui plongeait jusqu'à l'âme? En cet instant, elle fut certaine qu'il l'aimait. Non pas uni- quement par désir, mais de cet alliage indestructible qui englobe également le cœur et la chair.

Ce fut elle qui questionna.

— Pourquoi m'as-tu menti, Laurent? Ta femme n'attendait pas d'enfant.

— Si. Mais elle l'a perdu.

La vérité, toute simple, l'éblouit. Pourquoi

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l'amour se montre-t-il aussi intransigeant? Elle n'avait pas envisagé l'hypothèse d'un accident.

— Ce jour-là, souviens-toi, Céline, je venais le cœur déchiré t'apprendre la nouvelle. Que pou- vais-je faire d'autre que de partir, pour assister Ma- rie-Luce? J'avais renoncé au bonheur. Le seul que j'espérais, c'était de garder un merveilleux souvenir.

Elle rougit.

— J'aurais dû comprendre que c'était par orgueil blessé que tu prenais les devants, n'est-ce pas ?

— Si je te disais la vérité, la croirais-tu, Laurent ? Sa voix meurtrie conservait l'amertume.

— Je n'aurais pas à la croire, car je la connais.

Il fouilla dans son portefeuille, en retira un papier plié en quatre.

— Ceci est la confession de Martin. Avant de mourir dans la maison de repos où je l'avais placé, il a retrouvé une lueur de raison et a eu un geste qui a en partie racheté sa faute. De toute façon, c'est un malheureux, il n'était pas responsable de ses actes.

Lis...

Dans son dernier message, sans doute pour com- penser les autres qui avaient fait tant de mal, Mar- tin expliquait tout ce qui s'était passé à Niamey, le dernier jour où Laurent était venu voir Céline.

L'arme qui le guettait, derrière le mince rideau, le chantage sentimental.

Le billet se terminait ainsi : « Au moment d'aller rejoindre ma Clara, il m'est venu un doute. C'est peut-être « l'autre » que vous aimiez, toubib. Alors,

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je vous livre la preuve de son innocence. Elle s'est noircie pour vous sauver... Cette confession, c'est à ma Clara que vous la devez. C'est elle qui m'a apporté la lumière. »

Fou, Martin ? Sans doute. Mais dans son délire, il savait aimer.

Lentement, Céline déchira le billet.

— Sans ce témoignage, aurais-tu cru mon his- toire, Laurent, si je t'avais raconté cet épisode tel que je l'ai vécu ?

Il sourit.

— Certainement pas, puisque tu ne m'aurais rien dit! Mais je t'affirme que j'aurais estimé que ton comportement de ce mauvais jour était dû à ma pauvre attitude.

Un an plus tard, la nouvelle M Varnier atten- dait son mari sans impatience, en lisant une revue près de la fenêtre.

Le D Varnier ne rentra qu'à deux heures de l'après-midi.

— Ne m'en veux pas de ce retard. Une urgence...

— Cela fait partie de ta vie, Laurent. De notre vie.

Il l'avait enlacée, heureux à part entière, non seulement comme il ne l'avait jamais été, mais comme il n'avait jamais osé rêver de l'être.

— Ma douce...

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