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Réalisation d une synthèse et identification de pistes pour changer les représentations des métiers à caractère technologique

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Réalisation d’une synthèse et identification de pistes pour changer les représentations des métiers à caractère technologique

Rapport final Avril 2011

Céline Mahieu

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« […] J’essaie d’éviter les images enjolivées du travail manuel dans lesquelles se complaisent parfois les intellectuels. Je ne pense pas non plus qu’il soit intéressant de nourrir la nostalgie d’une vie « plus simple » et soi-disant plus authentique, ou bien dotée d’une aura démocratique plus prestigieuse du fait d’être liée à la « classe ouvrière ». […] Cet ouvrage propose une série d’arguments en faveur d’une forme de travail dont on peut dire qu’elle a du sens parce qu’il s’agit d’un travail vraiment utile. Il explore également ce qu’on pourrait appeler l’éthique de l’entretien et de la réparation. » CRAWFORD Matthew B. (2010), Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, Éditions La Découverte, Paris, p. 12-13)

1. Préambule et objectifs

Le Conseil subrégional de l’emploi et de la formation (CSEF) de Charleroi, interpellé depuis plusieurs années par les choix d’orientation posés par les demandeurs d’emploi de son territoire et par les élèves du bassin scolaire carolorégien, a initié trois études (Jacquemain, M., & al. (2008), CSEF, & al. (2009), Souto Lopez, M., & al. (2010)) pour comprendre ce qui conduisait ces personnes à se concentrer dans certaines filières tout en délaissant des métiers porteurs d’emploi dans la région – particulièrement dans les secteurs de la construction et l’industrie. Retenant les représentations négatives circulant à l’égard de ces métiers comme explication principale à ces choix d’orientation, le CSEF a confié au CIFoP la réalisation d’une synthèse des trois études susmentionnées, auxquelles s’est ajoutée la thèse de Géraldine André (2009) portant sur le lien entre orientation scolaire et héritages sociaux. Outre une synthèse de la littérature sur les représentations à l’égard des métiers à caractère technologique, le CIFoP a été chargé d’identifier des recommandations et pistes visant à changer ces représentations.

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Ce rapport vise donc :

· la mise au jour des différentes grilles de lecture adoptées par les auteurs des études commanditées par le CSEF ;

· la mise en évidence des facteurs intervenant dans les représentations des métiers à caractère technologique ;

· la réalisation d’un relevé de la littérature portant sur les représentations des métiers à caractère technologique et sur les expériences menées dans d’autres pays pour l’amélioration de ces représentations ;

· une identification des recommandations et pistes visant à changer les représentations des métiers à caractère technologique.

Ce rapport répertorie en effet des pistes d’action permettant de sensibiliser aux atouts souvent mal (re)connus des métiers technologiques les différentes catégories de personnes concernées par la problématique de l’orientation socioprofessionnelle tout en insistant sur le respect de l’autonomie de réflexion et de décision de ces personnes. L’implication des différentes parties prenantes (élèves, parents, demandeurs d’emploi, professionnels de l’orientation, organismes de formation et d’enseignement, organisations professionnelles, etc.) dans ce processus de réflexion sur le changement des représentations est non seulement un gage de fonctionnement démocratique et de respect envers ces personnes et organisations, mais il s’agit également d’une condition de l’efficacité des actions qui seront entreprises (Bernoux, 2004)1. Il va de soi également que l’amélioration des représentations va de pair avec l’amélioration continue des conditions d’exercice de ces métiers et de la qualité des emplois qui leur sont associés.

Comme l’indique l’extrait d’ouvrage2 que nous avons choisi de citer en exergue de ce rapport, notre objectif n’est pas de chercher à enjoliver le travail à caractère technologique, mais de

1 Les changements de représentations ne débouchent pas automatiquement sur des modifications de comportements, mais celles-ci ont d’autant plus de chances de voir le jour qu’elles sont soutenues par l’engagement du groupe de personnes concernées. Celles-ci peuvent ainsi en effet se les approprier et les adapter à leurs propres besoins. Kurt Lewin (1943) est l’un des premiers psychologues sociaux à avoir mis en évidence l’importance de l’implication dans le changement. Ainsi, pour contribuer à la modification des habitudes alimentaires des ménagères, il a montré qu’il était beaucoup plus efficace (32 % de modification observée contre 3%) d’inviter les ménagères à réfléchir sur la thématique des

« ménagères vues par elles-mêmes » que de leur faire un exposé sur les qualités nutritives d’aliments qu’elles n’avaient pas coutume de cuisiner.

2 L’auteur de cet essai de philosophie, Matthew B. Crawford, s’inspire de sa propre expérience de jeune dirigeant d’un think tank américain décidant d’abandonner sa carrière pour ouvrir un atelier de réparation de moto. Il définit son ouvrage comme une « tentative de cartographier les territoires imbriqués où se côtoient l’idée d’un « travail doté de sens » et celle de l’ « indépendance » (self-reliance) ».

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nous appuyer sur ses réalités et son utilité sociale pour suggérer des voies de réhabilitation de son image.

2. Un point de vue systémique sur les études commanditées par le CSEF

Les études commanditées par le CSEF, et qui constituent le matériau initial de cette synthèse sont au nombre de quatre :

1. Jacquemain, M., & Pieters, J. (2008). Les représentations des demandeurs d'emploi face aux emplois de premier niveau. Charleroi: CSEF.

2. CSEF, IWEPS, & LeForem. (2009). Etude exploratoire sur les opportunités d'insertion pour le public éloigné de l'emploi: appariement et détection. Région wallonne:

Collaboration CSEF - IWEPS - Le Forem.

3. André, G. (2009). Orientation scolaire et héritages sociaux. Approche socio- anthropologique du processus d'orientation vers l'enseignement qualifiant dans le bassin post-industriel de Charleroi - Thèse de doctorat. Mons: FUCaM.

4. Souto Lopez, M., & Charlier, J.-E. (2010). Quelles sont les représentations des parents, enfants et enseignants à l'aube de l'orientation scolaire de niveau secondaire ? Charleroi: CSEF.

Ces études traitent toutes de la problématique de l’orientation scolaire et professionnelle

« dans un monde incertain » (Berthet & Gendron, 2010), marqué par les mutations rapides du marché du travail, la transformation des métiers et l’insécurité des positions socioprofessionnelles. Cependant, les angles d’approche déployés par les auteurs diffèrent sensiblement.

La première étude s’intéresse ainsi aux représentations des demandeurs d’emploi peu qualifiés de la région de Charleroi qu’elle aborde plus particulièrement à travers les arguments mobilisés par ceux-ci pour justifier de leurs choix d’orientation en matière de formation ou d’emploi. L’objectif est de comprendre pourquoi ces demandeurs ne postulent pas pour certaines offres d’emploi, alors que, par ailleurs, ils sollicitent certains autres postes qui n’offrent pas nécessairement de salaire supérieur ni de meilleures conditions de travail.

La deuxième étude cherche à évaluer quelles sont aujourd’hui les opportunités sur le marché du travail qui sont accessibles à un public éloigné de l’emploi. Elle confronte l’analyse des données administratives (les offres d’emploi caractérisées selon leur accessibilité en termes de compétences) et les représentations des agents des services publics de l’emploi.

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La troisième étude s’inscrit dans le cadre d’une recherche doctorale en sociologie, elle traite du « processus par lequel des jeunes, davantage issus du bas de la hiérarchie sociale, se retrouvent dans des établissements d’enseignement secondaire situés dans le bas de la hiérarchie scolaire » (André, 2009 : 325), en en développant une analyse essentiellement centrée sur les éléments culturels d’explication.

Enfin, la quatrième étude se penche sur les éléments d’organisation du système scolaire et les éléments de choix individuels qui ont conduit certains élèves du troisième degré du secondaire à s’inscrire dans l’enseignement qualifiant.

La synthèse qui fait l’objet de ce rapport doit nécessairement établir des liens entre ces différentes études. C’est pourquoi nous avons choisi d’adopter un point de vue systémique : en se centrant sur les interrelations entre individus, organisations et actions produisant et expérimentant les représentations à l’égard des métiers technologiques, « le but est de considérer un système dans sa totalité, sa complexité et sa dynamique propres » (Rosnay, 1975 : 119) afin d’en construire une perception globale. Ceci implique de situer les quatre études et la présente synthèse au regard de la définition de la représentation (a) et des niveaux d’analyse (b) qu’elles adoptent.

a. Une définition pragmatique de la représentation : la valorisation

Différentes définitions de la représentation sont proposées par les auteurs des quatre rapports cités ci-dessus. Pour son caractère opérationnel et pragmatique, nous retiendrons dans le cadre de cette synthèse la définition présentée dans le deuxième rapport (CSEF, IWEPS, &

LeForem, 2009) :

Balisons le concept de représentation afin de le rendre opérationnel dans le cadre de l’analyse ici proposée. Ainsi la représentation peut s’apparenter à une forme de savoir pratique reliant un sujet à un objet, elle serait ainsi toujours une représentation de quelque chose (l’objet) par quelqu’un (sujet)

· Un savoir pratique reliant un sujet à son objet :

La représentation doit être en effet vue dans le cadre de la relation de l’individu avec son environnement. Les représentations se situent autant en amont qu’en aval de l’expérience, de la relation à l’objet. C’est de par la relation avec un objet que le sujet se le représente en même temps que ces représentations lui permettent d’aborder le monde de manière intelligible. Ajoutons que c’est sur base de ces représentations que l’individu planifie ou organise son action, les représentations sont souvent mobilisées à des fins pragmatiques.

· Une représentation de quelque chose (l’objet) par quelqu’un (sujet) :

Il en résulte que la représentation est tout autant révélatrice de caractéristiques de l’objet représenté que de l’individu qui le représente.

Les quatre études abordent cette relation pragmatique entre un sujet et un objet par le biais de terrains d’enquête différents. Certaines d’entre elles soulignent également le fait que ces

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représentations ne sont pas seulement le fait des individus mais qu’elles reflètent des points de vue socialement construits. Le tableau ci-dessous présente les acteurs spécifiques ainsi que les métiers étudiés dans ces quatre rapports et dans la présente synthèse.

Sujet

Représentations

Objet

Jacquemain &

Pieters, 2008

Demandeurs d’emploi peu qualifiés en formation (ou insertion) sur le territoire du

CSEF de Charleroi3 Professionnels de l’insertion

professionnelle4

Le métier idéal par rapport aux métiers représentant des perspectives d’emploi

plus immédiates5 CSEF, IWEPS,

& LeForem, 2009

Acteurs de l’insertion professionnelle ; Employeurs (à travers les

offres d’emplois)

Les métiers considérés comme accessibles

pour des publics éloignés de l’emploi

André, 2009

Jeunes des milieux

« populaires » ; Acteurs institutionnels (enseignants, agents PMS et

la direction)

Filières du qualifiant de l’enseignement dans

des établissements d’enseignement secondaire situés

« dans le bas de la hiérarchie sociale »

Souto Lopez &

Charlier, 2010

Élèves du 3ème degré de l’enseignement qualifiant (2 écoles) ;

Professeurs et directions

Métiers connaissant une pénurie de travailleurs (secteurs de l’industrie et de la

construction) : Monteur et installateur

en électricité – Technicien en usinage – Couvreur – Monteur

et installateur en sanitaire-chauffage

Synthèse

Élèves, demandeurs d’emploi, travailleurs,

intermédiaires de l’orientation Organisations responsables

de l’orientation Structures

Métiers à caractère technologique (essentiellement des

métiers de la construction et de

l’industrie)

3 Un groupe constitué de stagiaires d’EFT et OISP ; deux groupes constitués de jeunes inscrits dans le processus « jobtonic3 » ; un groupe de demandeurs d’emploi suivis par la MIREC ; un groupe en formation chauffeur poids lourds.

4 Syndicat, EFT, OISP, régies de quartier, Forem, enseignement de promotion sociale, enseignement en alternance, intérim, AWIPH, comité subrégional, Funoc, enseignement de la ville de Charleroi.

5 Le projet de ces auteurs est en effet de comparer le métier idéal tel qu’il est défini par les demandeurs d’emploi aux métiers représentant des opportunités réelles d’emploi.

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Il est frappant à la lecture de ce tableau de constater qu’il met en relation :

· des publics qui, pour une raison ou pour une autre – soit qu’ils soient définis comme appartenant à des classes populaires (André, 2009), soit qu’ils soient insérés dans des dispositifs d’insertion (Jacquemain & Pieters, 2008), soit qu’ils soient considérés comme éloignés de l’emploi – sont perçus comme disposant d’atouts moindres que les autres au regard des objectifs d’insertion sociale et professionnelle ;

· des métiers qui connaissent des tensions sur le marché de l’emploi6.

Cette combinaison particulière correspond aux deux principaux défis (ou logiques d’action) auxquels sont confrontés les services chargés de l’orientation sur le marché du travail :

« Valoriser les personnes peu qualifiées pour les relancer dans un projet d’emploi ou de formation » et « Aider les entreprises ayant des difficultés de recrutement à trouver la main d’œuvre qualifiée dont elles ont besoin » (Mahieu, 2010). Ces deux exigences sont légitimement considérées comme des priorités pour les services et les personnes qui sont en charge de l’orientation. Cependant, il nous apparaît que l’hypothèse selon laquelle il serait possible et souhaitable de résoudre ces deux problématiques en essayant d’amener les publics fragilisés à occuper les emplois qui peinent à trouver preneurs n’est pas seule à devoir être envisagée. En effet, l’image de ces métiers ne sort pas forcément améliorée des initiatives qui visent à y attirer préférentiellement des publics disponibles mais socialement stigmatisés ou moins bien considérés, les employeurs comme les enseignants devant aussi faire face en conséquence aux difficultés d’intégration dans un collectif de travail que ce type de public est susceptible de connaître ; d’un autre côté la revalorisation de ces publics et leur « mise en projet » risque de souffrir d’une orientation – à tout le moins si elle est systématique – vers des filières de formation peu fréquentées et des emplois vacants mais aujourd’hui mal considérés socialement. Le même raisonnement vaut pour les filières d’enseignement qualifiant qui concentrent les élèves ayant connu des échecs dans l’enseignement général, ce qui contribue à la mauvaise image de ces filières et à l’auto-dévalorisation des élèves qui les

6 D’après Van Haeperen (2001), les tensions présentes sur un segment du marché du travail peuvent avoir des causes diverses et les pénuries doivent s’interpréter de manière large, comme étant non seulement des situations où l’offre et la demande de qualification ne correspondent pas mais aussi des situations où les entreprises sont rationnées au salaire en vigueur, c’est-à-dire des situations où, compte tenu de la pénibilité des conditions de travail, compte tenu du niveau des revenus de remplacement et de l’état du marché du travail (la disponibilité éventuelle d’autres emplois), les travailleurs ne sont pas prêts à occuper les postes vacants.

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fréquentent. C’est pourquoi dans cette synthèse qui vise à explorer les pistes de valorisation des métiers à caractère technique, nous n’évoqueront pas seulement les professionnels de l’orientation et les publics fragilisés qui constituent très logiquement des cibles privilégiées dans les terrains d’enquête mobilisés par les quatre études : affranchis de la contrainte que constitue la nécessité de trouver un terrain d’observation praticable, nous mettrons l’accent sur l’enjeu que constitue l’amélioration les représentations des élèves de toutes filières, des demandeurs d’emploi qualifiés et non qualifiés, des travailleurs même (soit pour contribuer à ce qu’ils envisagent de se réorienter vers les secteurs concernés, soit pour qu’ils envisagent d’y rester, soit pour qu’ils contribuent à véhiculer plus largement une vision positive de ces métiers).

Ce qui nous intéresse dans le cadre de cette synthèse est donc la représentation des métiers à caractère technologique que développent les acteurs (élèves, demandeurs d’emplois mais aussi travailleurs, professionnels de l’orientation) et que véhiculent les organisations (établissements scolaires, organismes d’orientation, organisations professionnelles, partenaires sociaux, etc.) en référence aux modèles culturels, sociaux et économiques dont ils font partie et qu’ils contribuent à forger.

Demandeurs d’emploi Publics fragilisés

socialement : Incitation à s’orienter

vers des métiers en tension sur le marché du travail

Employeurs Métiers mal

reconnus : Incitation à accueillir des publics fragilisés Risque de contribution à la dévalorisation des publics

Risque de contribution à la dévalorisation des métiers

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La question de la représentation n’est pas abordée exclusivement sous son angle intellectuel (l’image que l’on peut avoir d’un métier) mais aussi et surtout sous son angle pratique7 : sa désirabilité. Autrement dit, ce qui importe lorsque l’on parle de représentation des métiers à caractère technologique n’est pas seulement le degré de connaissance dont on dispose sur un métier mais la valeur qu’on lui accorde. C’est donc la valorisation des métiers technologiques qui est au cœur de cette synthèse :

· leur désirabilité pour les individus, soit qu’ils soient appelés à faire des choix d’orientation comme les élèves du secondaire ou les demandeurs d’emploi soit qu’ils aient pour tâche d’encadrer ces choix comme les familles, les professionnels de l’insertion ou les enseignants ;

· l’attractivité que leur confèrent les organisations telles que les établissements scolaires, les services d’orientation, etc. ;

· la reconnaissance que la société en général leur octroie.

Ces différentes facettes de la valorisation des métiers technologiques nous introduisent aux trois niveaux d’analyse que nous souhaitons combiner dans le cadre de cette synthèse.

b. Trois niveaux d’analyse

Pour Danilo Martuccelli, l’identité se construit à l’articulation entre une histoire personnelle et une tradition sociale et culturelle. Il nous apparaît que les représentations relatives aux métiers sont elles aussi logées dans un espace situé « entre les dimensions sociales et les dimensions plus personnelles », elles sont « une transaction entre soi et les autres » (Martuccelli, 2008). Il en découle que la valorisation des métiers à caractère technologique dépend de l’interaction entre les individus eux-mêmes (leurs préférences, leurs intérêts, etc.) et des facteurs structurels (l’état du marché du travail carolorégien, le mode d’organisation du système scolaire sur son territoire, les références culturelles à l’œuvre dans la société prise globalement et dans le groupe social auquel appartient ou se réfère l’individu, etc.).

Les quatre études synthétisées ici font toutes référence à cette interaction particulière entre un individu-sujet acteur de son devenir (capable d’influencer sa propre trajectoire, de faire des choix inspirés par ses intérêts et ses valeurs) et un ensemble de conditions (sociales,

7 Cette différence entre le rapport sujet-objet qui se fait sous le rapport intellectuel de la représentation et le rapport sujet-objet qui se fait sous l’angle du rapport pratique de la valorisation a été établie par Georg Simmel dans son ouvrage sur la Philosophie de l’argent (1987). Il y donne comme exemple de cette différence la représentation que l’on peut avoir de la personne aimée et le désir que l’on en a.

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culturelles, matérielles) qu’il contribue à produire mais qu’il ne maîtrise pas et qui à la fois structurent et contraignent sa manière de se représenter son avenir professionnel et d’agir en conséquence. C’est dans ce va-et-vient entre des structures et des sujets que se construisent dans la société les représentations relatives aux métiers et leur valorisation.

Entre ces deux pôles de formation des représentations, il faut encore tenir compte des organisations (les établissements scolaires, les opérateurs de formation, les organismes d’orientation à l’emploi, etc.) qui médiatisent les relations entre ces individus sujets (élèves et enseignants, chercheurs d’emplois et conseillers à l’orientation, travailleurs) et les conditions structurelles dans lesquelles ils se meuvent (le marché de l’emploi, le système de formation et d’enseignement et les références culturelles à l’œuvre dans la société).

Le numéro spécial que la revue Formation emploi a consacré cette année à la question de l’orientation scolaire et professionnelle souligne ainsi l’équilibre délicat entre décisions individuelles et contraintes collectives qui sous-tendent la dynamique de ce processus. Selon que les auteurs appréhendent celle-ci du point de vue du projet (ou non projet) des personnes, du rôle des acteurs nationaux, territoriaux, locaux, de la gestion de flux d’élèves ou d’adultes dans un système, de processus d’influence ou de système organisé et hiérarchisé devant guider les personnes vers tel ou tel métier dans une logique d’employabilité (Vergnies, 2010), les études réalisées jettent une lumière différente sur la manière dont la valorisation des métiers s’effectue.

Structures Acteurs - Sujets

Contribuent à produire…

Structurent et contraignent La dynamique de formation des

représentations

(adapté d’après Friedberg, 1993 ; Scieur, 2008)

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Il nous paraît essentiel dans le cadre de cette synthèse de distinguer ces trois registres d’analyse : individuel, organisationnel et structurel. Cela va nous permettre d’identifier quels sont les processus de formation des représentations relatives aux métiers, et donc les éventuels leviers d’action mobilisables pour contribuer à la valorisation des métiers à caractère technologique.

L’étude réalisée par Jacquemin et Pieters évoque des facteurs structurels en mettant l’accent sur les changements qui se sont opérés d’une génération à l’autre dans la manière de considérer et de valoriser le travail. Elle donne cependant une importance prépondérante aux acteurs en définissant la représentation sociale comme « une vision fonctionnelle du monde qui permet à l’individu ou à un groupe de donner sens à ses conduites et de comprendre la réalité à travers son propre système de référence » (p. 7). L’analyse réalisée par Géraldine André se centre par contre sur le niveau structurel en imputant les choix d’orientation des jeunes et des acteurs institutionnels (enseignants, professionnels des centre PMS, etc.) essentiellement aux héritages culturels de classe. Miguel Souto-Lopez et Jean-Émile Charlier développent quant à eux successivement les trois types d’approches, se focalisant tantôt sur les motivations propres des élèves de l’enseignement qualifiant, tantôt sur les déterminants sociaux (l’origine sociale des élèves essentiellement) et sur les éléments organisationnels (la structure de l’enseignement hiérarchisée en fonction du général et les réformes qui sont menées en son sein) qui les entraînent à poser ces choix d’orientation spécifiques. L’étude réalisée par les CSEF, le FOREM et l’IWEPS adopte quant à elle une perspective tierce (dite interactionniste) puisqu’elle ne se centre ni sur les structures sociales ni sur les individus, mais sur la dynamique des relations entre les acteurs.

Dans la suite de cette synthèse, nous allons donc développer successivement les trois niveaux d’analyse pour identifier les processus de formation des représentations et leur contenu, tels qu’ils ont été mis en évidence par les quatre études. Les pistes d’action et bonnes pratiques se rapportant aux processus identifiés sont directement intégrés à l’analyse afin que leur pertinence puisse être jaugée à l’aune de celle-ci.

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3. La formation des représentations et les leviers d’action identifiés

a. Le niveau individuel d’analyse ou la désirabilité des métiers technologiques

L’orientation socioprofessionnelle reste tributaire d’un cloisonnement par public : cette constatation posée en France par Jean-Frédéric Vergnies (2010) vaut également pour la Belgique francophone. Les quatre études empiriques synthétisées dans ce rapport sont elles aussi dépendantes de ce cloisonnement qui sépare l’orientation des publics de jeunes élèves de celle concernant les adultes en recherche d’emploi et des adultes en emploi. Les deux premières études s’attachent ainsi aux processus d’orientation des adultes demandeurs d’emploi tandis que les deux suivantes se focalisent sur les élèves en âge d’obligation scolaire. Par ailleurs, toutes s’intéressent de près ou de loin à d’autres types d’acteurs, qu’on peut ranger sous la catégorie des « prescripteurs » (les conseillers d’orientation, les professeurs, les proches).

La motivation « constitue un processus complexe en évolution constante » (Gurtner, & alii, 2006 : 22). En contexte scolaire, elle est définie par Viau (1994 : 7) comme « un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but ». Elle est « multidimensionnelle » et « entretient des liens étroits avec d’autres domaines de la vie affective et cognitive des individus – comme

Cartographie du niveau individuel d’analyse

Jeunes de l’enseignement

secondaire

Demandeurs d’emploi

Prescripteurs Travailleurs et employeurs

Inscrits dans les filières concernées

Inscrits dans d’autres filières

ou pas encore orientés

Inscrits dans les filières concernées

Inscrits dans d’autres

filières

Enseignants (dans et hors filières)

Conseillers d’orientation

Proches (familles, etc.)

Dans le secteur

Dans les secteurs connexes

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leurs émotions, leurs croyances personnelles, les connaissances qu’ils ont de leur propre fonctionnement ou la construction de leur identité (Boekaerts, 2002) – mais aussi avec leur trajectoire et leur vécu scolaires (Janosz, 2000).

Parmi les arguments mis en avant par les différents acteurs approchés dans le cadre des quatre études à synthétiser, il nous semble qu’il est possible de retenir neuf grands facteurs de motivation (non hiérarchisés ici) qui marquent la désirabilité d’un métier ou d’une formation :

1° La proximité spatiale semble un facteur déterminant dans le choix d’une école ou d’une formation, elle est évoquée dans les quatre études de référence. Cet élément est manifestement identifié également comme central par les professionnels de l’insertion puisque l’un des critères discriminant les offres jugées accessibles aux personnes éloignées de l’emploi est le fait que le permis de conduire ne soit pas exigé.

Pistes et bonnes pratiques : Renforcer la régulation territoriale non adéquationniste

Dans un contexte caractérisé par une grande autonomie des acteurs locaux et par une faible mobilité des publics, les dynamiques territoriales constituent un facteur clé pour comprendre l’orientation scolaire et post-scolaire, et notamment ses modes de régulation (Berthet et alii , 2010). Les coopérations entre établissements scolaires et organismes de formation doivent être encouragées dans cette perspective de gestion de publics peu mobiles.

Les objectifs poursuivis par l’Instance de pilotage inter-réseaux de l’enseignement qualifiant de la zone de Charleroi – Hainaut sud s’inscrivent pleinement dans cette perspective :

· Promotion d’une logique de concertation et de co-responsabilisation

· Ajustement progressif et cohérent de l’offre d’enseignement qualifiant avec les pôles de développement socio-économique du bassin dans une perspective de développement territorial durable

· Assurance d’une plus grande cohérence et pertinence des cursus de formations offerts sur le « bassin » et, par suite, l’amélioration des chances d’insertion socioprofessionnelle des jeunes scolarisés dans les filières qualifiantes

(IPIEQ 2010, p. 2)

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Sans sacrifier à l’adéquationnisme8, l’organisation territorialisée de l’offre de formation et d’enseignement pour les métiers à caractère technique apparaît dès lors cruciale dans le bassin carolorégien. Ajoutons que la sécurisation des organismes de formation et d’enseignement tant sur les aspects financiers – via des mécanismes de stabilisation des subsides limitant l’effet des flux d’apprenants d’un organisme à l’autre – que sur le volet identitaire – respect et transparence des objectifs particuliers à chaque organisme et recherche des points de convergence – ne peut que favoriser les partenariats nécessaires à ce type de coordination.

2° La perspective de trouver un emploi rapidement est également évoquée comme élément de choix tant par les élèves du secondaire (André, 2009 ; Souto Lopez & Charlier, 2010) que par les jeunes et les personnes plus âgées en insertion (Jacquemain & Pieters, 2008). La peur de la crise renforce cette forme de motivation. Certains des métiers à caractère technologique (singulièrement dans le secteur de la construction) sont en effet relativement préservés de la menace de délocalisation qui frappe d’autres secteurs de l’économie (Crawford 2010). La perspective de décrocher rapidement un emploi est cependant vécue selon des modalités différentes selon qu’on soit élève ou jeune en insertion (autonomie financière, salaire « argent de poche) ou qu’on soit plus âgé (sentiment d’urgence à l’égard de ce qui est ressenti comme un moyen de mettre fin à l’exclusion sociale). En raison de la pénurie de travailleurs qui les caractérise, les secteurs à caractère technologique sont réputés offrir cet espoir d’une entrée rapide dans l’emploi. Cet argument peut donc servir dans un premier temps àattirer des publics jeunes et moins jeunes vers ces métiers.

Cependant, compte tenu des taux importants de turn-over dans ces secteurs, coûteux pour toutes les parties prenantes (les employeurs, les organismes publics d’emploi et de formation, les travailleurs eux-mêmes), il nous paraît important d’encourager les conditions d’une intégration durable dans l’entreprise et dans le secteur via des parcours

8 « Formellement, la méthode implique que l’extrapolation de tendances passées permet, en fonction des niveaux de production prévus, de calculer des « besoins » de l’économie par niveau et type de qualification. Ceci suppose l’absence de possibilité ou de volonté de modifier la division technique du travail. De la même façon, les mobilités professionnelles sont prises en compte par extrapolation des tendances sans tenir compte de la possibilité d’une inflexion volontaire, par exemple par une politique de formation continue. Enfin, on suppose une correspondance stable entre qualifications professionnelles et formations initiales. On aboutit ainsi à des objectifs de sortie du système éducatif par type et niveau de formation qui sont censés satisfaire les « besoins de l’économie », ce qui place le système de formation dans une position passive de réponse à une norme exogène » (Freyssinet, 2008 : 204).

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d’apprentissage, d’insertion et de reconnaissance balisés (formation continue, validation des compétences, reconnaissance statutaire et salariale correspondante).

3° Le sentiment de compétence éprouvé ou non par les jeunes à l’égard des tâches qu’implique le métier est un autre facteur intervenant dans le choix de celui-ci.

L’élément central qui guide le choix des jeunes est la capacité qu’ils pensent avoir pour travailler dans ce secteur (c’est ce que je sais faire). Ce résultat confirme ceux de nombreuses études. Beaucoup de recherches qui portent sur les aspirations des jeunes quant au choix de leur futur métier soulignent l’importance de leur sentiment de compétence comme facteur explicatif. Une personne s’engageant dans une activité particulière notamment en fonction du système d’attentes et des images de soi et en particulier du sentiment de compétences, qu’elle s’est construit antérieurement (Jacquemain & Pieters, 2008).

À cet égard, le sentiment de compétence dans les métiers à caractère technologique est soutenu par la possibilité d’objectiver assez aisément les résultats de l’action professionnelle :

Les personnes qui travaillent dans un bureau ont souvent l’impression que leur travail ne répond pas au type de critère objectif que fournit, par exemple, un niveau de menuisier et que, par conséquent, la distribution du blâme et de l’éloge y est parfaitement arbitraire.

[En appuyant sur l’interrupteur après des travaux d’électricité,] j’avais là une preuve tangible de l’efficacité de mon intervention et de ma compétence. Les conséquences de mon travail étaient visibles aux yeux de tous, et donc personne ne pouvait douter de ladite compétence. Sa valeur sociale était indéniable. […] J’imaginais qu’un collègue électricien contemplerait un jour mon travail. Et même si ce n’était pas le cas, je ressentais une obligation envers moi-même. Ou plutôt, envers le travail lui-même. […]

On sait que la satisfaction qu’un individu éprouve à manifester concrètement sa propre réalité dans le monde par le biais du travail manuel tend à produire chez cet individu une certaine tranquillité et une certaine sérénité. Elle semble le libérer de la nécessité de fournir une série de gloses bavardes sur sa propre identité pour affirmer sa valeur. Il lui suffit en effet de montrer la réalité du doigt : le bâtiment tient debout, le moteur fonctionne, l’ampoule illumine la pièce. (Crawford, 2010 : 15 ; 21-22).

Pistes et bonnes pratiques : Développer le sentiment de compétence dans l’orientation

Le sentiment de compétence est un facteur de motivation important dans le choix d’un métier. On peut donc raisonnablement estimer qu’il est utile d’aider les jeunes et les adultes à se sentir compétents également dans leur capacité à développer un parcours d’orientation correspondant à leurs préférences, leurs possibilités, et leurs chances de les exploiter. Dans un contexte économique où les transitions de l’emploi à la formation (et inversement), d’un emploi à l’autre, etc. sont particulièrement fréquentes, l’objectif du Schweizerisches Qualifikationsprogramm zur Berufslaufbahn (CH-Q) est ainsi de fournir des outils simples aux personnes afin qu’elles puissent s’approprier et apprendre à gérer elles-mêmes leur propre carrière, l’articuler à leurs propres besoins de développement et améliorer en conséquence leur compétences. Certains de ces outils sont disponibles en ligne et proposent une cartographie des qualifications disponibles dans un

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secteur donné. Moyennant une auto-évaluation des compétences, cette carte pourra être mise en relation avec les compétences que la personne estime maîtriser.

Le CH-Q fournit en effet plusieurs instruments permettant à l’apprenant de se positionner lui- même. L’un de ces instruments invite la personne à identifier ses principales qualités (« Core quality »), ce qui se passe quand ces qualités deviennent excessives (« Pitfall »), les qualités qui viennent équilibrer les premières et qui sont peut-être à développer davantage (« Challenge »), et celles auxquelles la personne est « allergique ». La connaissance de soi et la confiance en ses propres capacités sont au cœur de ces méthodologies.

http://www.ch-q.ch/

4° La vision pratique est fortement valorisée également par les élèves qui ont opté pour des filières techniques par rapport à des raisonnements perçus comme trop théoriques ou trop abstraits. En raison notamment de la stricte séparation entre conception et exécution héritée de l’Organisation scientifique du travail, la forme d’intelligence liée à cette construction du savoir par la pratique est aujourd’hui par contre mal reconnue dans la société plus globale.

Certains philosophes contemporains s’emploient cependant à mettre des mots sur les facultés cognitives mobilisées dans les métiers manuels et à rappeler qu’elles sont au fondement des sciences naturelles :

Lorsqu’on parle du travail manuel qualifié, on s’attache aux valeurs qu’il est censé incarner, pas à l’effort de pensée qu’il requiert. Or, il suppose un engagement systématique avec le monde matériel qui est du même ordre que l’approche adoptée par les sciences naturelles, notamment une connaissance des « façons d’être », de la nature du matériau qui ne s’acquiert qu’à travers « une véritable discipline de la perception ». […]

C’est par l’exercice pratique de son art que le menuisier apprend à connaître les différentes espèces de bois, leur degré d’adaptation, à tel ou tel usage, leur résistance physique aux solides et aux liquides, la stabilité de leurs proportions face aux variations du climat et leur vulnérabilité à la putréfaction et aux parasites. […] Nombre d’inventions sont le fruit d’un moment réflexif à travers lequel un travailleur est parvenu à rendre explicites les postulats implicites sous-jacents à sa pratique. Une solution réaliste doit nécessairement prendre en compte des contraintes ad hoc qui ne sont connaissables qu’à travers la pratique, c’est-à-dire à travers des manipulations physiques. […] Certains aspects du travail mécanique ne peuvent pas être réduits à la simple obéissance à une série de règles. (Crawford, 2010 : 29-32)

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5° « Avoir un métier » à la fin de leur cursus d’enseignement fait manifestement sens pour certains élèves de l’enseignement qualifiant. La signification du métier ne se réduit pas à l’espoir d’obtenir un bon emploi, mais elle recouvre une série de dimensions, parmi lesquelles la « fierté » d’exercer, la créativité, la possibilité d’utiliser les compétences acquises dans la vie de tous les jours.

« C’est vraiment un bon métier. Grâce à nous, les gens se chauffent, c’est de la fierté » (Souto Lopez & Charlier, 2010)

Le service rendu à autrui fait également partie intégrante des motivations liées à cette maîtrise d’un « métier ». Cet élément doit être souligné car il définit le professionnel des métiers techniques comme un intermédiaire entre le monde des objets, qu’il contrôle, et les êtres humains qui en ont l’utilité. Mettre en avant cet aspect permet de réhumaniser les représentations attachées à ces métiers, ce qui a toute son importance si on considère que les filières du qualifiant rencontrant le plus de succès (le secteur des soins à la personne notamment) sont celles qui bénéficient le plus de cette image de métiers « relationnels ».

« Le métier de réparateur consiste à se mettre au service de nos semblables et à restaurer le fonctionnement des objets dont ils dépendent ». […] Nous faisons appel à un réparateur quand notre monde normal se dérègle, quand notre dépendance presque inconsciente à l’égard d’objets habituellement dociles (une chasse d’eau par exemple) se manifeste soudainement avec une acuité douloureuse ». (p. 24)

6° L’ancrage dans un collectif de travail, en partie lié au sentiment de participer à une même identité professionnelle, est également un élément important de la valorisation des métiers à caractère technique. Ceci renvoie à la relation de maître à apprenti qui caractérise les rapports entre professeurs d’atelier et élèves (Souto Lopez & Charlier, 2010), à l’appartenance au monde des « hommes » que sanctionne l’activité d’apprenti maçon (André, 2009), à la réintégration dans la société qu’espèrent décrocher certains des demandeurs d’emploi grâce à l’obtention d’un travail et à la « grande famille » qu’évoquent les chauffeurs de poids lourds (Jacquemain & Pieters, 2008). Par ailleurs, le fait d’avoir un proche qui soit « du métier » joue un rôle important dans le choix d’une filière d’études ou de formation comme l’ont montré Géraldine André (2009, cf. les récits sur Jo et Brandon), ainsi que les expériences d’élèves relatées par Miguël Souto Lopez et Jean-Emile Charlier (2010) :

Il y a quatre ans on a refait toute la maison chez moi et j’ai travaillé avec mon parrain sur l’électricité et j’ai vraiment aimé donc j’ai continué.

L’initiation au métier, lorsqu’elle est soutenue par des relations de proximité (parfois à composante affective), est donc un facteur de motivation pour les élèves et les adultes.

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7° La possibilité de s’installer comme indépendant, et donc de devenir son propre patron, est mentionnée par certains jeunes (même si pour d’autres, le choix de ces filières est justement motivé par le désir de ne pas devoir assumer la responsabilité de la gestion du travail). L’autodiscipline est également une des figures de l’autonomie dans le travail revendiquée par ces jeunes qui œuvrent et se meuvent librement en atelier comme par les chauffeurs de poids lourds.

Pistes et bonnes pratiques : Axer la communication sur les figures de l’autonomie

La séparation du « faire » et du « penser », de l’exécution et de la conception, héritage de l’Organisation scientifique du travail, imprègne aujourd’hui nos représentations et affecte l’image des métiers « manuels » qui sont trop souvent présentés comme des activités de simples exécutants (Crawford 2010). Dans un contexte culturel où la liberté et l’autonomie sont particulièrement valorisées, l’orientation vers ces métiers pâtit de ces représentations étriquées :

Tout comme le consommateur idéal, le consultant en gestion projette une image de liberté triomphante au regard de laquelle les métiers manuels passent volontiers pour misérables et étriqués. Songez seulement au plombier accroupi sous l’évier, la raie des fesses à l’air. Ce type de représentation explique bien pourquoi les parents ne veulent pas que leurs enfants deviennent plombiers. Et pourtant, il est très probable que ce plombier aux mains graisseuses accroupi sous l’évier vous facture 80 dollars de l’heure (Idem : 28).

Or cette autonomie de pensée du travailleur manuel est bien réelle, le savoir qui en découle se monnaye d’ailleurs relativement cher sur le marché du travail. D’après Crawford (op. cit.), ceci tient au fait que nos vies dépendent du bon fonctionnement d’objets de plus en plus sophistiqués (voitures, gsm, etc.), qui nécessitent l’intervention de professionnels capables de les comprendre, de les installer, de les réparer : ceux-ci maîtrisent ce qui constitue une zone d’incertitude pour la plupart de leurs contemporains et en retirent donc une source d’autonomie (financière mais aussi

« psychique ») :

Nous sentons bien que nos vies sont contraintes par de vastes forces impersonnelles qui agissent sur nous à distance. […] Pour avoir la moindre prise sur le monde, intellectuellement parlant, ne nous faut-il pas aussi avoir un minimum de capacité d’agir matériellement sur lui ? » (Idem : 14)

Cette indépendance (« Self-reliance ») des métiers manuels trouve ainsi sa source dans la connaissance pratique des objets matériels qui nous entourent, qui donne au professionnel la capacité de prendre soin de ses propres affaires et de celles des autres.

Pour tenter de contrer les représentations étriquées des métiers à caractère technologique, l’autonomie sous différentes formes (autonomie financière, possibilité de s’installer comme indépendant, autodiscipline, confort psychique) devrait sans doute être davantage mise en valeur dans les messages destinés à la promotion de ces métiers.

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8° Les perspectives de carrière : certains élèves de l’enseignement qualifiant se projettent par ailleurs dans la possibilité de s’inscrire dans l’enseignement supérieur après une septième année dans le secondaire, afin d’obtenir un graduat et donc une « meilleure place » dans la société (Souto Lopez & Charlier, 2010).

Pistes et bonnes pratiques : Favoriser la perméabilité des différents systèmes d’enseignement et de formation

La mobilisation de cet argument montre qu’il est essentiel de permettre des parcours différenciés pour l’accès à l’enseignement supérieur. La multiplication et la publicisation de ce type de passerelles entre niveaux et types de formation et d’enseignement doit contribuer à désenclaver l’enseignement qualifiant et à le faire sortir de son image de filière de relégation auprès d’une partie de la population attachée à ce que ses enfants accèdent à l’enseignement supérieur.

Ce type de partenariat nécessite des engagements et des négociations complexes à différents niveaux politiques et organisationnels, c’est pourquoi il nous semble que les chances de succès d’une telle entreprise seraient favorisées par le ciblage de quelques métiers et d’une zone géographique donnée dans un premier temps et par la garantie d’une certaine stabilité financière et identitaire accordée aux acteurs concernés (cf. p. 14). Les travaux du Service francophone des métiers et qualifications (en cours de démarrage) constitueront sans doute à cet égard une source importante d’enseignements.

La perméabilité des différents systèmes d’enseignement et de formation peut également s’envisager sous la forme d’actions de sensibilisation pilotes menées auprès des élèves de l’enseignement secondaire général, comme le succès des initiatives de l’IPIEQ à Charleroi l’a montré. Les projets concrets menés concernent en effet :

· la découverte des métiers par la pratique au premier degré (cour d’éducation par la technologie au sein d’une école qualifiante)

· la découverte des métiers techniques dans le supérieur pour des élèves de cinquième année (sciences fortes) via des ateliers en école qualifiante

· la coordination entre deux opérateurs de formation pour la construction de deux maisons passives à vocation pédagogique.

(IPIEQ, 2010)

9° L’information par le réseau de proximité : les différentes études mettent en évidence le niveau d’information des élèves et des demandeurs d’emploi, jugé lacunaire quant à la diversité des filières de formation et des métiers envisageables. Les sources d’information et d’orientation des jeunes passent en effet très largement par leurs réseaux de proximité : leurs

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parents, leurs enseignants, etc. qui se trouvent dès lors dans une position de prescripteurs sans disposer toujours des outils leur permettant de guider au mieux ces jeunes.

Pistes et bonnes pratiques : Développer un Certificat de compétences en orientation non formelle L’Irlande a développé un Certificate in Non-formal Guidance Skills pour rencontrer les besoins de ces « adultes signifiants » que sont pour les jeunes les parents, les animateurs de maison de jeunes ou de mouvements de jeunesse, les coachs sportifs, etc. Ceux-ci sont parfois les seules ressources vers lesquelles les jeunes se tournent en matière d’orientation socioprofessionnelle. Ce cursus pour adultes signifiants a le double avantage d’améliorer l’orientation des jeunes en-dehors du système d’éducation formelle et de permettre à ces adultes d’entamer éventuellement une reconversion professionnelle eux-mêmes (le certificat est reconnu par le système formel d’éducation).

Dans le cadre de l’analyse systémique que nous menons ici, il nous paraît utile d’indiquer également les angles d’approche qui n’ont pas encore pu être explorés empiriquement dans le cadre des quatre études réalisées (en blanc dans le schéma intitulé « Niveau individuel d’analyse »).

Pistes et bonnes pratiques : Mieux connaître et promouvoir les identités de métier

La mise au jour des représentations des travailleurs et des employeurs du secteur à l’égard de ces métiers nous paraît essentielle. Dans le cas où elles sont positives, ces représentations sont constitutives d’une identité de métier et d’un collectif de travail potentiellement mobilisateurs comme nous l’avons vu pour les élèves, les demandeurs d’emploi et les travailleurs des secteurs connexes. Lorsque ces représentations sont négatives, il importe de les comprendre pour déterminer ce qui pousse certains travailleurs à quitter le métier.

b. Le niveau organisationnel d’analyse ou l’attractivité des métiers technologiques

Les individus ne sont pas seuls à produire et à véhiculer des représentations des métiers technologiques. Nous avons choisi de regrouper le travail de valorisation ou de dévalorisation de ces métiers effectué par les organisations sous le vocable d’attractivité. Sans prétention à l’exhaustivité, les différents acteurs organisationnels qu’il nous paraît possible de distinguer sont les suivants :

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Le champ de la formation

Le champ de la formation professionnelle est caractérisé par une séparation structurante entre :

· d’une part les établissements qui relèvent de l’enseignement, remplissent des missions d’éducation générale, et qui disposent dès lors du pouvoir de certification ;

· et d’autre part les organismes de formation professionnelle visant la remise à l’emploi, la réinsertion ou la formation continuée qui ne délivrent pas à ce jour de titres pourvus d’effets de droit9.

Les modes de valorisation des formations suivies sont donc différentes : effets de droit pour les uns, effets négociés et effets de notoriété pour les autres (Conseil de l'éducation et de la formation, 1997). Toutefois il convient de nuancer cette affirmation car le paysage de la formation est en pleine mutation (Cadre européen des certifications, Service francophone des métiers et qualifications, etc.) et il est actuellement difficile d’estimer jusqu’à quel point et selon quels principes ces modes de valorisation vont se rejoindre ou continuer à poursuivre des voies distinctes et partiellement concurrentes.

9 La délivrance de Titres de compétence par le Consortium de validation des compétences ainsi que la mise en œuvre du Service francophone des métiers et qualifications est susceptible de modifier cette situation dans l’avenir.

Cartographie du niveau organisationnel d’analyse

Champ de la formation

Champ de l’orientation

Champ de la concertation

sociale

Champ du métier

Etablissements scolaires

Opérateurs de formation professionnelle

PMS, Service publics de l’emploi : Le Forem, CPAS,

etc.

Acteurs associatifs de

l’insertion (OISP, EFT,

Syndicats

Patronat

Organismes sectoriels, associations professionnelle s, chambres de commerce, etc.

Privé : interim, etc.)

Pouvoirs publics

Adapté de Mahieu, 2010

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Ces concurrences-coopérations entre établissements scolaires et entre écoles et opérateurs de formation semblent avoir des effets sur la valorisation des filières qualifiantes, à tout le moins ils sont vécus comme tels par certains enseignants :

Selon certains enseignants, cette dévalorisation est accentuée par le fait que le FOREM propose des formations de six mois pour pouvoir pratiquer des métiers dont l’apprentissage nécessite au moins deux ans à l’école. Qui plus est, le FOREM disposerait de moyens beaucoup plus importants. Les enseignants dénoncent une forme de concurrence déloyale.

« Le FOREM est en quelque sorte une concurrence déloyale : on donne l’illusion que quelqu’un obtient un diplôme après 6 mois en ayant les mêmes compétences qu’un élève qui suit une formation en technique de 3 ans. On dévalorise notre filière. » (Entretien avec un enseignant) (Souto Lopez & Charlier, 2010)

Par ailleurs, au sein-même de l’enseignement, les filières qualifiantes ont depuis la refonte des enseignements professionnels et techniques dans le système scolaire « rénové » perdu une part des références qui leur étaient propres pour se trouver estimés à l’aune des critères de savoir promus par l’enseignement général. Dès lors « le processus de relégation se traduit par une orientation des élèves à partir de leurs (trop faibles) performances scolaires, censées exprimer leur inaptitude à poursuivre dans l’enseignement général et justifiant ainsi leur réorientation vers le qualifiant jugé plus facile, l’effet d’accumulation des retards dans les apprentissages devient l’un des principaux moteurs de ce processus. De cette manière, celui-ci participe activement à une représentation hiérarchique des différentes filières d’enseignement. Une hiérarchie dite « absolue » qui « ordonne les formes d’enseignement et valorise le général au détriment du technique et du professionnel » (Souto Lopez & Charlier, 2010).

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Le cercle vicieux de l’orientation tel qu’il est décrit par un élève du qualifiant :

Pistes et bonnes pratiques : Retourner aux sources de l’enseignement qualifiant de manière maîtrisée et renouveler les références du qualifiant

Nous partageons avec Souto Lopez & alii (2010) l’analyse selon laquelle « Il est hautement plausible que la valorisation de l’enseignement professionnel exige comme préalable obligatoire de le doter de ses propres références, de le considérer tel qu’il est dans son projet pédagogique, dans la hiérarchie de savoirs qu’il promeut, dans le rapport qu’il construit entre la pratique et la théorie ».

Au prix d’un recul critique, certaines de ses références peuvent s’inspirer des modèles culturels qui ont marqué l’histoire de l’enseignement technique et professionnel (L’école industrielle (milieu 19è s.) ; L’école des arts et métiers (dérivée de la première, fin 19è s.) ; L’école professionnelle (dès 1884, en concurrence avec la première) ; L’atelier d’apprentissage (fin 19è s. - fin 2ème guerre)).

Dominique Grootaers (1994) a ainsi distingué deux modèles culturels sous-jacents à ces enseignements, soit deux conceptions du travailleur qualifié :

1) le modèle qui combine le « Modèle éducatif de l’intelligence des principes » au « Modèle culturel du travailleur instruit scientifiquement afin de trouver sa place au sein de la nouvelle hiérarchie bureaucratique et rationnelle du travail » ;

2) le modèle qui combine le « Modèle éducatif de l’intelligence de la pratique réfléchie » au « Modèle culturel de l’ouvrier-artisan » dont le rôle est de « conserver et transmettre des valeurs traditionnellement liées au travail artisanal : la beauté, le caractère unique, le travail complet, la finition, etc. », en opposition à la logique bureaucratique et rationnelle ».

En se réappropriant ces modèles et en les redéfinissant aux regards des mutations culturelles et

Concentration d’élèves qui sont en situation d’échec (qui

parfois n’ont pas envie de travailler,

Désorganisation de l’apprentissage

(Élèves empêchés de travailler, niveau en fin d’année baisse, profs se démotivent et partent)

Dévalorisation de ce type de filière Filières réputées

plus faciles

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