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Le Réseau Alliance

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Pour qui s’intéresse à l’histoire de la Résistance en France de 1940 à 1945, l’ouvrage de Guy Caraes consacré au réseau Alliance est incontournable. Ce grand réseau français de renseignement militaire dépendant de l’Intelligence Service britannique, créé par Georges Loustaunau-Lacau2, Navarre, héros de la guerre 1914, nationaliste et anticommuniste, arrêté en mai 1941, est connu pour avoir été dirigé temporairement par une femme, Marie- Madeleine Méric3.

Le travail de Guy Caraes, résultat d’une douzaine d’années de recherches dans les archives publiques françaises, allemandes, anglaises et familiales, s’est attaché aux obscurs engagés civils jusque-là restés dans l’oubli. Grâce à ce travail de bénédictin qui repose aussi sur de nombreuses interviews, Guy Caraes a entrepris d’écrire l’histoire des femmes et des hommes, restituant leur engagement, leur action, leur arrestation et leur martyre. C’est avant tout l’histoire de ces anonymes restés jusqu’ici dans l’ombre, mais qui constituent la grande force du mouvement. Au travers des parcours de chacun, c’est un tableau tout en nuance qui apparaît. Si les membres dans leur majorité ont été des primo-engagés dans Alliance, d’aucuns ont d’abord travaillé pour la France Libre ou pour la délégation générale ou pour les services de renseignement Marine, Terre, pour l’état-major PTT, pour la police4, avant de poursuivre leur action résistante au sein du réseau.

La sociologie du réseau de renseignement national et militaire Navarre-Alliance, en perpétuelle reconstruction après les arrestations, est très diversifiée : si les cadres sont officiers, professeurs, ingénieurs, policiers, chefs d’entreprise, les agents, opérateurs radio, sont paysans, pêcheurs, artisans, commerçants, ouvriers, secrétaires, sténodactylos, sans lesquels rien n’aurait été possible. Célibataires, mariés ou chargés de famille, tous consti- tuent les maillons de cette chaîne des anonymes de l’armée des ombres de l’Alliance. La Résistance est une affaire de famille : l’engagement de l’un entraîne le plus souvent l’en- gagement de l’autre pour assumer la logistique, l’hébergement, l’aide aux pourchassés

2. Mémoires d’un français rebelle, Robert Laffont, 1948.

3. Elle prend le nom de Fourcade après son remariage en 1947. Elle a publié ses mémoires L’Arche de Noë chez Fayard en 1968. L’historienne Michèle Cointet lui a consacré une biographie Marie-Madeleine Fourcarde, un chef de la Résistance, Perrin, 2006.

4. C’est un éclairage complémentaire à l’ouvrage de Luc Rudolph, Policiers contre Policiers, une Résistance oubliée : la Police 1940-45, Policiers rebelles, Volume 2, SPE Militaria, 2015.

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Le Réseau Alliance 1940-1945

(citation de Dominique Veillon). Au sein des foyers, le danger et le risque de l’arrestation sont acceptés avec leur cortège de drames jusqu’au sacrifice des vies.

L’une des autres vertus de ce travail est de montrer l’édification du réseau sur l’ensemble du territoire métropolitain par ce maillage de la France, secteur après secteur. Apparaît ainsi la géographie de la résistance d’Alliance.

Ces forces vives du réseau de toutes opinions, de toutes convictions, de toutes confes- sions, de tous milieux, de toutes régions, sont loin des considérations politiques de la tête de l’organisation résistante. Un tableau tout en nuance est ainsi apporté : des Français Libres ont travaillé pour le réseau Alliance comme d’autres ont rejoint la France Libre, et les gaullistes y ont été plus nombreux qu’on ne l’a dit.

Guy Caraes, outre l’histoire de ses fondateurs Georges Loustaunau-Lacau et Marie- Madeleine Méric (Hérisson), lève le voile sur les chefs successifs qui assurent l’intérim pen- dant un an après le départ à Londres de Hérisson, trop exposée : Léon Faye, Paul Bernard, Jean Sainteny, Gilbert Beaujolin, Helen des Isnard jusque-là oubliés, ont formé le direc- toire poursuivant l’action d’Alliance. Le rôle des chefs de secteur n’est pas davantage laissé au hasard, comme celui des chefs de service assurant les liaisons par la valise diploma- tique à Madrid ou celui des responsables des liaisons aériennes et maritimes : les Boutron, Coustenoble, Poulard, Dallas, Gillet, Koenigswerther, Raynal, Stosskopf et bien d’autres ont été les personnalités clés d’Alliance, essentielles dans le succès du réseau. De même qu’à la base, l’agent de liaison, l’opérateur radio, la boîte aux lettres à la fonction indispensable mais peu spectaculaire, sont les éléments dynamiques.

Les choix politiques des chefs, Loustaunau-Lacau d’abord, puis Marie-Madeleine Méric, déçus du pétainisme, faisant allégeance au général Giraud, puis les divergences de vues avec Léon Faye concernant la fusion avec les services de renseignement de la France Libre, n’ont guère dépassé leur niveau. Au demeurant, l’étude du réseau souligne bien que les Britanniques qui les pourvoient en moyens financiers et radio sont les donneurs d’ordres, n’hésitant pas à convoquer tel ou tel agent pour les qualités de ses rapports transmis5. Le travail quotidien de chaque chef de région consiste à collecter les informations et à les transmettre à l’IS, bien loin des prises de position politique. La grande majorité des résis- tants d’Alliance se bat pour la France et pour sa libération.

Quelles que soient les exigences du cloisonnement pour des raisons de sécurité, on ne peut manquer d’être frappé par les contacts multiples avec les autres structures : filières d’évasion par l’Espagne, Pat O’ Leary, Comète, réseau Alibi, la filière maritime d’Ernest Sibiril à Carantec, le renseignement avec la Confrérie Notre-Dame, le réseau Ajax, les SR Air, Marine, les PTT, les policiers. L’étude atteste de la multi-appartenance des membres d’Alliance.

Au travers de cette étude sur le réseau, ce n’est pas le seul exemple, on mesure bien l’importance pour le cours de la guerre des renseignements collectés transmis aux

5. C’est le cas de Georges Lamarque.

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Britanniques, s’agissant des descriptions des bases sous-marines, des mouvements de U-Boote, du mur de l’Atlantique, des mouvements de troupes, des bases de V1 et V2 et des cartes des défenses de Normandie. Lors des combats de la Libération, la poursuite de l’ac- tion des agents informateurs, cette fois derrière les lignes ennemies, pour les Alliés lors de leur avancée, est essentielle, à l’image de Georges Lamarque fusillé avec ses deux agents le 8 septembre 1944 en Haute-Saône.

Le réseau, comme toutes les organisations de résistance, est gangrené par les traîtres Arthur Bradley-Dawies6, Jean-Paul Lien7 responsable de l’arrestation de près de 200 résis- tants (dont Léon Faye et Pierre Dallas) et la mort de 186 personnes, et par Maurice Chambon8 ainsi que Claude Labouriaux9, auxiliaires des services allemands. Au total, la répression conduite par les Abwehrstelle de Strasbourg et de Dijon entraîne l’arrestation de plus de 452 résistants.

Soixante-seize ans après la fin de la guerre, les archives publiques et privées livrent l’in- tégralité de l’histoire de ces femmes et de ces hommes révélée par Guy Caraes.

Ces résistantes et résistants ont en commun d’avoir œuvré pour la libération de la France et pour le retour de la République. Ils incarnent ce qu’a été l’armée des ombres, ce

« désordre de courages » décrit par Malraux, sans qui rien n’aurait été possible.

Cet ouvrage leur rend hommage ainsi qu’à leur famille.

Christine Levisse-Touzé Présidente du conseil scientifique du musée de l’ordre

de la Libération Historienne, docteur ès lettres Conservateur général honoraire du Patrimoine de la Ville de Paris, Directeur de recherche associé à Paris Sorbonne

6. Britannique exécuté par le réseau avec le feu vert du MI6 le 16 octobre 1942 à Marseille.

7. Fusillé le 30 octobre 1946.

8. Condamné à mort le 23 novembre 1945 par la Cour de Justice de Moulins (Allier) et fusillé le 13 février 1946.

9. Condamné à mort par contumace le 11 juillet 1946. Exfiltré avec l’aide du CIC américain, il décède le 1er septembre 1976.

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8. LE RÉSEAU PREND LE NOM D’ALLIANCE

À Londres, Léon Faye rencontre Claude Dansey et Kenneth Cohen pour faire un point de la situation avec l’analyse des conséquences de l’invasion de la zone sud par les Allemands.

Claude Dansey propose de donner un nouveau nom au réseau. ALLIANCE est choisi pour marquer le symbole parfait de l’union sacrée entre les Britanniques et les combattants français. Cette appellation ne doit pas cacher que les partenaires ne sont pas sur un plan d’égalité, le réseau Alliance reste subordonné au MI6. Les moyens financiers, les transmis- sions, les liaisons et les ordres viennent des Britanniques.

Les services secrets britanniques maintiennent les deux fers au feu : aide au BCRA, mais dans le cadre de la Realpolitik entre Churchill et Roosevelt, au moment où se déroulent les négociations de Gaulle-Giraud, ils utilisent les agents du réseau pour maintenir une liaison active avec le commandant en chef en Afrique du Nord. Faye, qui se rend à Alger le 7 février 1943, constate avec amertume et écœurement la confusion qui règne en raison de ces difficiles négociations. D’un côté, les partisans de la révolution nationale fidèles girau- distes, et de l’autre, la France Libre soucieuse des principes de rétablissement républicain et de la souveraineté nationale. Intronisé par les Américains à la suite de l’élimination de Darlan le 24 décembre 1942, le général Giraud a instauré, de l’avis d’un proche le capi- taine André Beaufre, « un pouvoir militaire de tendance fasciste », gouvernant au nom du maréchal Pétain empêché. Les mesures d’exclusion y sont maintenues. L’image du général de Gaulle, défenseur de la République et de la souveraineté de la France, s’affirme pour rallier toutes les forces françaises contre les nazis et enfin rétablir en France la démocra- tie et la République. Conscient de la situation, Léon Faye sait que le destin de la France doit être mené par un homme qui bénéficie de la confiance de la Résistance française et capable de rassembler toutes les énergies428. Henri Giraud déçoit ses plus fidèles soutiens, et si le réseau lui est encore acquis, l’avenir est incertain. Cependant, Faye défend auprès de l’état-major la promesse de la militarisation du réseau. Alliance devient un des éléments forts de la résistance giraudiste, qui plus est auprès des Anglais.

428. Notes Jean Cousin, 1934-1945, témoignage sur l’une des plus étonnantes périodes de notre histoire, édition à compte d’auteur 1996.

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Mais la traque des polices françaises et allemandes fait son œuvre et le réseau subit l’intensification de la répression. Marie-Madeleine Méric, Ferdinand Rodriguez et Monique Bontinck changent de planque, car les dernières arrestations font craindre le pire et le secteur méditerranéen est trop dangereux. Édouard Kauffmann, menacé d’arrestation à tout instant, les accompagne à Lyon et trouve un emploi discret de veilleur de nuit en usine429. Grâce à son appui et à l’intervention d’Anne de Mareuil (la Guêpe), deux planques sont mises à disposition : l’une pour le PC 14, rue du docteur Mouisset et l’autre pour les agents de liaisons au 41, rue de Créqui. Marguerite Berne (Coccinelle), assistante sociale très volontaire, met provisoirement son domicile du 6, rue François Dauphin à la disposition de Marie-Madeleine Méric, où elle organise un désordre indescriptible pour décourager toute perquisition possible.

Marguerite Berne, sources SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 3

Pour des raisons de santé, Christiane Battu accompagne Marie-Madeleine Méric à la cli- nique des Cèdres située sur les hauteurs de Lyon, où la sage-femme Marie-Louise Guénard (Chatte) veille sur elle. À l’occasion de ce déménagement, Marguerite Berne présente quelques hommes déterminés qu’elle vient de recruter. René Piercy, un industriel qui vient des réseaux Buckmaster, est un homme empli d’entrain et à l’autorité naturelle. Son der- nier parachutage d’armes au titre du SOE près de Villefranche-sur-Saône s’est déroulé sans incident. Pourtant, quelques jours plus tard, la cargaison ayant mystérieusement disparu, Piercy prudent coupe tout lien avec le SOE. Jean-Philippe Sneyers (Escogriffe), bachelier ès sciences, est un jeune étudiant en 2e année à l’école de chimie industrielle au sein de laquelle il distribue des tracts contre le régime de Vichy430. Son camarade Étienne Pelletier (Frappe) n’est pas non plus un débutant, loin de là. Arrêté une première fois par la police française en octobre 1940, son père, Louis-Robert, arrêté par les Allemands le 11 novembre 1940, est fusillé le 9 août 1941. Robert, jeune frère d’Étienne, a lui-même été appréhendé par la police française pour distribution de tracts gaullistes. Étienne, engagé avec sa mère Marthe dans le mouvement des Petites Ailes, futur Combat, à nouveau arrêté, est interné à la prison de Montluc. Homme de droiture et de liberté, Pelletier a de sérieuses raisons de s’engager dans la lutte clandestine431. Le troisième camarade est Louis Payen, étudiant au

429. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 10. Archives historiques de l’armée tchèque à Prague, affaires 308 et 363-18 octobre 1943.

430. BAVCC Caen, cote 21P 156 188. SHD Vincennes, cotes GR 16P 551 660 et fonds Alliance 1K 843 5.

431. Sources famille Pelletier.

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8. Le réseau prend le nom d’alliance

lycée du Parc, prépare l’École Spécale Militaire de Saint-Cyr ainsi que l’École d’Agronomie.

Empreint d’une longue culture du scoutisme, il est le chef de famille depuis le décès de son père. Souffrant de la défaite, il apporte son soutien à ses camarades depuis quelques semaines en transportant notamment des armes et munitions dans des cachettes sûres432.

Louis Payen, collection personnelle Michel-Louis Payen, et Étienne Pelletier, collection famille Pelletier

Jean Perrache (Forçat), autre camarade du lycée du Parc, a de qui tenir. Orphelin de père depuis 1930, son grand-père Laurent Bonnevay, ancien ministre de la Justice, est l’un des rares parlementaires qui refusa de voter en 1940 les pleins pouvoirs à Philippe Pétain. Quant à André Rérolle (Cartouche), responsable de l’annexe de la trésorerie générale de Vichy, il est réputé pour ses sentiments anglophiles. Cette équipe de protection prend le nom Apaches et sera supervisée par Édouard Kauffmann, caché depuis peu à Lyon sous un emploi discret de veilleur de nuit en usine. Ce poste est idéal pour quelqu’un qui a besoin d’une réelle liberté de mouvement. L’organisme Apaches, responsable de la protection des agents du réseau, assure également la sécurité des opérations de parachutage et, dans l’éventualité, l’élimi- nation de suspects. Tous sont pourvus d’armes de poing. Un poste émetteur est dédié à ce service. Les personnes en danger sont mises à l’abri momentanément par ce dernier.

Sur le secteur de Basse-Normandie (Ferme), Jean Sainteny renforce ses effectifs sur la Manche et plus encore au sein de l’arsenal de Cherbourg. Aidé de Georges Thomine qui retrouve son cousin René Leseigneur au village de la Glacerie (Cyanocitte), employé à l’arsenal, il devient agent de renseignement et son logis de La Beslière abrite les émis- sions radio433. Paul Bernier (Petit Gris) assure la liaison entre Leseigneur et Thomine.

Célibataire, c’est sa mère Alexandrine, alias Tante, qui assure le gîte et le couvert des agents.

Par Leseigneur, André Leboullenger, ouvrier spécialiste de l’arsenal, maîtrise à merveille la manipulation des postes émetteurs. Leboullenger (Hocco), volontaire, installe son poste émetteur à la ferme de la Beslière, idéalement retirée, où Alexandrine se charge de trou- ver des caches appropriées. Leboullenger doit plonger dans la clandestinité muni de faux papiers au nom d’Yves Boucher434. Jean Sainteny est en relation avec Lionel Audigier pour

432. Sources Jean-Michel Payen.

433. BAVCC Caen, cote 21P 748 66.

434. SHD Vincennes, cote GR 16P 347 417 et fonds Alliance 1K 843 10, il ne touchera aucune solde du réseau jusqu’à la Libération.

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s’être côtoyés dans différents cabinets ministériels. Il occupe le poste de sous-préfet à Cherbourg depuis juin 1942. Cette responsabilité est primordiale pour connaître l’intérieur de la machine allemande. Déjà en contact avec différents mouvements locaux à qui il four- nit certaines informations, Lionel Audigier (Couteau) apporte notamment des renseigne- ments sur l’état d’esprit de l’ennemi.

De son côté, Leboullenger se rapproche de Georges Lecerf (Arapongas), un collègue de travail de l’arsenal qui devient agent de renseignement. Marcel Couliboeuf retrouve à Port-en-Bessin le milieu des marins pêcheurs sur les conseils de Georges Thomine. André Tabouret et les trois frères Cardron, Pierre, Léon et Édouard, sont enrôlés, très bien placés pour surveiller les mouvements maritimes et les fortifications de la côte.

Sur la région de Brest, la mission d’Alice Coudol évolue, vraisemblablement avec l’accord de ses responsables. Elle amorce la constitution des premiers groupes d’action directe de la future Armée Secrète (AS) du Nord Finistère. Ce petit bout de femme volontaire réa- lise de véritables prouesses à la barbe de l’occupant, et cela toujours avec une prudence de sioux. À Lesneven, elle contacte Paul Jacopin, André Berder, Jean Cadiou (Serge l’an- glais) et Félix Floch. Jean Mazé (Mathieu Robespierre) est quant à lui chargé de repérer les défenses côtières du secteur de Saint-Pol-de-Léon à Plouescat435. À Gouesnou, elle enrôle Eugène Léocat, représentant de commerce. Sur Lannilis, c’est au tour d’Amédée Rolland, propriétaire d’un café, du receveur buraliste Théophile Jaouen et de Joseph Mouden, culti- vateur à Keredern en Tréglonou, d’être recrutés. La jeune femme entend à cette occasion le nom de Jean-François Derrien, un gendarme digne de confiance et rattaché à la brigade de Lannilis. À la suite des terribles bombardements de février 1943 sur Lorient, les Travaux maritimes déménagent à Hennebont par mesure de sécurité, ce qui n’empêche nullement Audran et Toulgoat de continuer à recruter au sein même de l’arsenal. C’est ainsi qu’entrent dans le réseau les dessinateurs Jean Le Roux et Lefrançois, ainsi que Thöel, ingénieur à la direction des travaux, qui a accès à tout le site436.

En ce début 1943, le IIIe Reich accentue la pression sur la France, exigeant la réquisition de main-d’œuvre, mesure amorcée depuis le 4 septembre 1942. Le 16 février 1943, Vichy instaure le Service du travail obligatoire (STO) prévoyant l’envoi en Allemagne des jeunes gens même non qualifiés, âgés de vingt à vingt-deux ans pour participer à l’effort de guerre.

Cette mesure précipite la rupture entre la population française et Vichy. Des milliers de jeunes optent pour la clandestinité. Le milieu rural bascule dans une solidarité active. Des paysans acceptent d’héberger les réfractaires en quête de planques. L’invasion de la zone sud et le STO provoquent une véritable hémorragie au sein des Compagnons de France.

Son chef, Georges de Tournemire, fait le choix de la dissidence.

435. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 19, répertoire agents. Après l’arrestation d’Alice Coudol, tous ces agents continueront la lutte au sein de Défense de la France. François Broch, J’avais des camarades, pp. 126 à 130, éditions Le Télégramme 1949.

436. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843, répertoire agents.

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8. Le réseau prend le nom d’alliance

Le 1er février 1943, Jean Burel-Danis (Poney) et Georges Talon, jeune étudiant recruté par Gilbert Savon, sont arrêtés alors qu’ils apportent des documents précieux chez Maurice Grappin, 50, cours Julien à Marseille. Burel-Danis est porteur de clichés qui ne laissent aucun doute sur la destination. Talon transporte des renseignements sur un projet de construction d’une base sous-marine à Marseille437. Au même moment à Toulouse, le policier François Embry (Alucite) est appréhendé en plein commissariat du 7e arrondissement par Schweizer et Lehman de la Gestapo de Toulouse, accompagnés de deux policiers français438. Emprisonné à la prison Saint-Michel, il aperçoit brièvement ses camarades Philippe, Damm et Caminade.

Il est relâché à l’issue d’un éprouvant interrogatoire de six heures. Dans la même période, Louis Malbosc (Furet) est surpris de bon matin par la Gestapo au domicile familial de Béziers.

Il est arrêté avec son épouse Élise et leurs deux derniers enfants, René et Marcel439. Émile Rocher, agent de renseignement recruté par Maurice Grappin, a deux rendez-vous à honorer.

Il doit retrouver sa fiancée à Narbonne, mais avant tout, Grappin lui a demandé de dépo- ser du courrier au journal Le Petit Méridional de Béziers, comme convenu avec Malbosc. Sa sacoche comporte des informations sur les installations allemandes de la côte méditerra- néenne, en particulier la zone comprise entre Cerbère et Narbonne. Il a noté l’expulsion de tous les villageois de Saint-Pierre-la-Mer, les troupes allemandes occupant les lieux, car un terrain d’aviation doit voir le jour à Rivesaltes. D’autre part, l’ennemi étudie un nouveau sys- tème de défense comprenant des champs de mines en cours d’installation entre Cerbère et Port-Vendres. Les policiers allemands sont présents. Émile Rocher (C17) est appréhendé et conduit à la prison de Montpellier où il retrouve son camarade Louis Malbosc440.

À Lyon, Madeleine Croset (Souris), dont le domicile du 15, rue Neuve, sert de point de ralliement et de secrétariat pour Léon Faye, vient de déjeuner avec Jacques Brodhurst et Gabriel Rivière. Vers 17 heures, elle est alertée par une visite inopinée d’une femme au comportement curieux se faisant passer pour la femme de ménage. Elle referme la porte et détruit les documents compromettants, dont les codes du poste radio (Tap), et s’échappe discrètement. Madeleine est malheureusement rattrapée à hauteur de l’Hôtel Terminus, siège de la Gestapo, à proximité de la gare Perrache. Vers 19 heures, Georges Aymes, une connaissance de Madeleine Croset, se présente à son appartement accompagné de Robert Cohen, un ami juif qui espère obtenir des faux papiers. La police allemande est présente.

Tous deux sont immédiatement appréhendés. Robert Cohen est dirigé au camp de Drancy.

Madeleine Croset et Georges Aymes sont emmenés à l’Hôtel Terminus. Jacques Brodhurst, qui ne se doute de rien, regagne le 15, rue Neuve, mais tombe sur un policier allemand armé

437. Archives historiques de l’armée tchèque à Prague, affaires 308 et 364-18 octobre 1943, Georges Talon est notifié comme étant arrêté le 4 février 1943 sur les pièces de son jugement RKG. AD Rhône, cote 3335 W, où il est indiqué Juan-les-Pins comme lieu d’arrestation de Jean Burel-Danis. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 2, répertoire agents.

438. SHD Vincennes, cote GR 28P4 203 75.

439. Archives historiques de l’armée tchèque à Prague, affaires 308 et 364-18 novembre 1943. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843, répertoire agents.

440. Archives historiques de l’armée tchèque à Prague, affaires 308 et 364-18 novembre 1943. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843, répertoire agents. Yvonne Malbosc sera libérée le 11 février. Les deux enfants, gardés comme moyen de pression, seront relâchés le 16 avril suivant.

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qui lui ouvre la porte. Deux heures plus tard, une voiture venant les chercher, Brodhurst profite d’un moment d’inattention et met à terre un Allemand d’un coup de poing. Le deu- xième n’a pas le temps de comprendre qu’il est plié en deux d’un coup de pied au ventre.

Jacques Brodhurst dévale les escaliers quatre à quatre. Il n’est pas touché malgré un feu nourri et se retrouve sur les quais par miracle. Dans la bousculade, sa bouche est arrachée sur quelques centimètres, mais il réussit à s’enfuir441.

Quant à Georges Aymes, il est déporté au camp de Buchenwald où il décède le 26 mars 1944442. Robert Cohen n’étant pas enregistré, il a vraisemblablement fait partie du convoi 58 du 31 juillet 1943, puis exterminé dès son arrivée au camp d’Auschwitz-Birkenau443.

Le 3 février 1943, Daniel Richaud (Merle), jeune opérateur radio recruté par Jean-Pierre Gentric, est arrêté à Nîmes, puis transféré dès le lendemain à la prison Saint-Pierre de Marseille pour être confronté aux agents du secteur (Bonne Mère). Il est déporté au camp de Buchenwald et meurt d’épuisement au camp Kommando de Dora le 15 avril 1944444. Toujours à Lyon, Michèle Goldschmidt-Delavaud (Colibri), l’agent de liaison de Georges Lamarque, est appréhendée par la police allemande dans la souricière tendue chez son amie Madeleine Croset, rue Neuve. Elle effectuait une mission à Lyon afin de contacter l’opérateur radio Jean Pelletier et régler avec lui des détails à propos d’émissions sur Londres445. Dirigée sur l’Hôtel Terminus, elle retrouve son amie Madeleine Croset dans le bureau de Barbie. Elles seront toutes deux interrogées avec sauvagerie durant une vingtaine de jours. Coups de cravaches, coups de poing, décharges électriques, mais elles ne parlent pas446. Maurice Brault (Mérinos) est arrêté à La Bourboule par la police judiciaire de Clermont-Ferrand. Faute de preuves suffisantes, il est relâché huit jours plus tard et mis en liberté surveillée à Cusset447.

Madeleine Croset et Michèle Goldschmidt-Delavaud, album anthropologique Gestapo Strasbourg, sources AD Bas-Rhin, cote 757 D

441. SHD Vincennes, cote GR 28P4 202 61.

442. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France (FMD), Tome I, p. 1059. Georges Aymes sera déporté le 3 septembre 1943 du Frontstalag 122 de Compiègne au KL Buchenwald, matricule 20642, où il décède le 26 mars 1944.

443. Sources Eliane et Claude Ungar, Mémorial de la Shoah Paris. Robert Cohen n’étant pas enregistré, il a probablement été déporté par le convoi 58 du 31 juillet 1943 au KL Auschwitz-Birkenau, matricule 488.

444. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France (FMD), Tome I, p. 1092. Daniel Richaud sera déporté le 3 septembre 1943 du Frontstalag 122 de Compiègne au KL Buchenwald, matricule 20735. Daniel Richaud décédera le 15 avril 1944 au KL Dora.

445. Archives historiques de l’armée tchèque à Prague, StPL 366-18 octobre 1943, affaires 308.

446. Archives historiques de l’armée tchèque à Prague, StPL 366-18 octobre 1943, affaires 308-18 novembre 1943. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843, répertoire agents.

447. AD Puy-de-Dôme, cote 107 W 107, procédure Cour de Justice de l’Allier contre Chambon, pièce 60, audi- tion Maurice Brault 1er octobre 1945.

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8. Le réseau prend le nom d’alliance

Le 4 février 1943, Alexandre Lazard (Reille), recruté par Madeleine Croset, tombe dans la souricière tendue par la police allemande au domicile de Maurice Grappin. Les policiers découvrent dans sa veste tout un lot de renseignements. Henri Mouren (Requin) ne se doute pas du piège tendu au domicile de son amie au 15, rue Neuve à Lyon. D’un naturel toujours méfiant, il a néanmoins pris la précaution de se munir d’un bouquet de fleurs… Des agents de la Gestapo lui ouvrent la porte ; il est aussitôt cueilli. Même s’il réussit la prouesse de faire croire à une visite galante, les Allemands restent néanmoins dubitatifs. Incarcéré à la prison de Montluc, il est transféré à la prison de Fresnes et libéré six mois plus tard faute de preuves suffisantes448.

Le 5 février 1943, Jean Pelletier (Bouvreuil), Jean Zeiller (Gayal), chef adjoint du sec- teur de Lyon et Pierre Giovaccini (Pélican) tombent successivement dans la souricière ten- due toujours au 15, rue Neuve. Tous les trois prennent également la direction de l’Hôtel Terminus. Jean Zeiller a la vie sauve grâce aux témoignages de Madeleine Croset et de Michèle Goldschmidt-Delavaud449.

De son côté, Édouard Kauffmann se décide à se rendre à Sarlat et descend comme à son habitude au terminus des cars. Il passe comme convenu avec Omer Parnaudeau (Hunt) par une pharmacie amie située en face, qui possède trois sorties de secours possibles en cas de danger. Une chance pour lui, les Allemands sont partout dans la ville, sans doute à la suite des arrestations sur le secteur de Marseille. Des soldats de la Wehrmacht viennent d’effectuer une descente à son domicile de Rivaux. En son absence, ils ont arrêté son épouse Marie-Thérèse et son fils Jean-Claude. Prévenu par Parnaudeau, Kauffmann n’a que le temps de s’éclipser par une porte dérobée450. Son magnifique et vaillant agent de liaison Edmé Bichon (Katz) a malheureusement beaucoup moins de chance. Il est arrêté vers 16 heures à son domicile du 32, rue de la République par des policiers de la Gestapo de Limoges, et conduit à la prison Saint-Pierre de Marseille. Transféré le 19 mars 1943 au Frontstalag 122 de Compiègne, il est déporté sans jugement le 3 septembre suivant au camp de Buchenwald. Edmé Bichon, lui, meurt d’épuisement à la mi-décembre 1943 au camp Kommando de Dora où il venait d’être transféré451.

448. SHD Vincennes, cote GR 16P 434 849 ; libéré le 31 juillet 1943, aucune preuve n’est retenue contre lui.

Surveillé, il se retirera en Haute-Savoie où il mettra ses compétences au service des réfractaires et du maquis.

449. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 16 et 20. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France (FMD), Tome I, p. 1076. Jean Pelletier sera déporté le 20 septembre 1943 de Paris-Est au KL Neue Bremm et Buchenwald, matricule 2360. Pierre Giovaccini sera déporté le 3 mars 1943 du Frontstalag 122 de Compiègne au KL Buchenwald, matricule 20781

450. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 12. D’autres sources citent la date du 6 février 1943.

451. SHD Vincennes, fonds Alliance GR 28 P4 203 106. Sources Florence Duparc. Le Livre-Mémorial des dépor- tés de France (FMD), Tome I, p. 1060, immatriculé 20734 au KL Buchenwald.

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Edmé Bichon, sources Florence Duparc

Sur les côtes du Finistère, les autorités allemandes ont recensé tous les bateaux en état de naviguer et désigné leurs propriétaires comme otages. Pour le constructeur de bateaux Ernest Sibiril à Carantec, il s’agit donc de trouver des embarcations mises au rebut, de les restaurer et de les équiper, voiles et moteurs, pour qu’elles soient en état de naviguer. Ce système présente des avantages appréciables pour le réseau : faire parvenir à bon port une masse importante de courriers et exfiltrer des agents brûlés. Maurice Gillet et Ernest Sibiril se connaissent depuis les années d’avant-guerre. Le bateau L’Armor de Gillet était passé en maintenance dans le chantier de Carantec. Une rencontre a probablement eu lieu dans le cou- rant du deuxième semestre 1942. Un accord est trouvé. Maurice de Mac-Mahon est prévenu probablement par l’intermédiaire de Lucien Poulard. Jean-Baptiste Allard (Roitelet 1), rare rescapé du groupe Herbeaux de Dunkerque, mais agent « brûlé », est volontaire pour accom- pagner les prochains candidats au départ pour rejoindre les Forces Françaises Libres. Dans la nuit du 5 au 6 février 1943, L’Yvonne, un cotre de six mètres, quitte le village de Carantec. À son bord se trouvent dix évadés. Jean-Baptiste Allard accompagne René Bolloré, porteur de la valise contenant une vingtaine de kilos du précieux courrier Alliance, Roger Esperonnier, Claude de Laguiche, Christian Billet, Georges Coste, Albert Billard, Sébastien Vogel et les pilotes Mark Dermott et Reginald Smith. Jean Rioual, solide gaillard, assure le poste de skip- per. Le message : les arbres fruitiers ne sont pas toujours en fleurs, annonce que l’Yvonne est bien arrivée au port de Salcombe, petit port de pêche du sud-ouest de l’Angleterre452.

À Lyon, Marie-Madeleine Méric est prévenue de l’hécatombe survenue au domicile de Madeleine Crozet, rue Neuve ; elle prévient Ernest Siegrist que sa planque est probable- ment brûlée. Il trouve refuge chez Madeleine Neyrad au 26, quai de Retz à Lyon.

Le 7 février 1943, à la suite de la trahison de Jean Audibert renvoyé du réseau en juin 1942, Robert Vernon, ressortissant irlandais recruté par Robert Lynen (Aiglon), est arrêté au château de Fontcreuse à Cassis. Le lendemain 8 février, c’est au tour de Robert Lynen et de son amie artiste Assia Humbert d’être appréhendés à la villa prêtée par son ami Vernon à Cassis. Les Allemands en profitent pour piller la demeure et faire main basse sur 500 000 francs de valeurs. Tous deux sont emmenés à la prison Saint-Pierre de Marseille453. 452. Sources Pascal Messager. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843, répertoire agents.

453. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 17. Assia Humbert sera libérée le 18 mars suivant. Carnet de com- mandement chiffré Marie Madeleine Fourcade, archives personnelles Jacques Fourcade. Patrice Miannay, Dictionnaire des agents doubles dans la résistance, p. 73, Édition Le Cherche Midi 2005.

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8. Le réseau prend le nom d’alliance

Robert Lynen, sources BAVCC Caen, cote 21P 567 384

Les arrestations marseillaises fragilisent le secteur méditerranéen. Armand Sieffer (Loriot), recruté par Pierre Berthomier, est envoyé en mission dans la capitale phocéenne par Camille Raynal. Il y retrouve Jean Laffue (Lagopède), alias Jules Thuis, policier et agent de renseignement recruté par Jean Raison. Le 10 février 1943, ils ont tous deux rendez-vous au domicile de Grappin pour déposer un poste radio, mais tombent dans la souricière tendue par des policiers allemands. Exceptionnellement, Julius Gehrum appartenant à l’Abwehrs- telle de Strasbourg est présent, dépêché sur place dans le cadre de l’affaire Alliance I454.

Jean Laffue, sources SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843

La perquisition effectuée à la suite au domicile de Sieffer est terriblement fructueuse, les Allemands découvrant de nombreuses notes avec des noms et le positionnement de nombreux postes radio. Par mesure de répression, les parents d’Armand Sieffer et son frère Marcel demeurant tous à Guebwiller (Haut-Rhin) sont appréhendés et incarcérés à Strasbourg. Jean Laffue est déporté le 4 septembre suivant au camp de Buchenwald d’où il réchappe diminué, car il a servi de cobaye aux médecins nazis.455. Toujours ce 10 février 1943, une rencontre est organisée rue François Dauphin, le domicile de Geneviève Berne

454. Archives de justice militaire du Blanc (Indre), procédure Affaire Gestapo de Strasbourg cote 318/3870 N°

201 et 202 TMP 28 mai 1948 – 318 1 et 2 : audition Julius Gehrum, pièces 64-162 et 66 du 5 juillet 1946 du délé- gué régional du service de recherche des crimes de guerre. Orthographe différente du nom d’Armand Sieffer, audition 19 décembre 1945 : Caroline Sieffer, née Schaffhauser, mère de la victime. Archives historiques de l’armée tchèque à Prague, Affaires 308-18 novembre 1943. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 2. Journal de marche Robert Rivat, archives personnelles Marie-Claude Rivat.

455. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843. Le jeune Marcel Sieffer sera incorporé de force dans un régi- ment disciplinaire de la Wehrmacht, dont il s’évadera le 24 avril 1945. Son père Ignace et sa mère Carolina sont conduits au camp de Schirmeck-Vorbrück d’où ils seront libérés le 4 octobre 1943. Sources Le Livre- Mémorial des déportés de France (FMD), Tome I, p. 1082. Jean Laffue sera déporté NN le 3 septembre 1943 au KL Buchenwald, matricule 8211. Il sera rapatrié le 29 avril 1945.

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à Lyon. Cette réunion à laquelle prennent part Joël Lemoigne, Marie-Madeleine Méric et Ferdinand Rodriguez est arrangée par Pierre Magnat (Pétoncle), chef divisionnaire de la marine marchande à Vichy et agent de liaison. Tous sont d’accord pour confirmer le choix de Lemoigne à la tête de la branche Sea Star déjà opérationnelle qui, de son côté, révèle que Jacques Stosskopf est la source de ses renseignements à Lorient. Il ignore que l’ingénieur est déjà un agent de Maurice Gillet depuis plusieurs mois.

Le 11 février 1943 à Marseille, Gilbert Savon456 (Blaireau) est arrêté à son bureau de la rue de la République et conduit au siège de la Gestapo de la rue Paradis où lui sont pré- sentés des documents. C’est son écriture. Savon refuse malgré tout de reconnaître son implication. Peu importe, les Allemands s’absentent dans une pièce contiguë où Maurice Grappin membre du réseau les renseigne. Les policiers insistent à coups de bastonnades.

Savon avoue certaines de ses activités, dont les plans de nouvelles installations ennemies à Marseille et un état des troupes stationnées en Provence.

Henri Bruder (Blanc) et Marcel Horvilleur (Agouti I), agents de parachutage, sont appré- hendés à Sarlat (Dordogne) et emmenés pour interrogatoire par la Gestapo de la rue Tivoli à Limoges457. À Chambéry, Francis Vitek (Rainette), directeur commercial et agent de ren- seignement recruté par Serge Maillard, est arrêté par la Milice458.

Le 17 février 1943, à l’Abwehrstelle de Dijon, Kurt Merk savoure une autre victoire. Il vient de faire arrêter des agents de l’Agence Technica, entreprise de négoce de matériaux de construc- tion qui centralise les renseignements de la branche clandestine du 2e Bureau de l’état-major de l’armée de terre (EMA) ainsi que les résultats des écoutes réalisées par le GCR d’Hauterive.

Merk récupère une douzaine de tonnes d’archives camouflées à l’Hôtel-Dieu de Lyon. Tout le stock prend la direction de Prague pour être soigneusement analysé par des spécialistes459.

André Caprini (Tarin), trahi par Roger Goiffon seul à le connaître, est arrêté le 18 février 1943 par les services de l’OVRA au 6, boulevard de Cessole à Nice. Déporté à San Remo (Italie), il est libéré par erreur le 24 août 1944 à Belfort460. Toujours à Nice, Marguerite Job, boîte à lettres, est arrêtée à son kiosque à journaux. Marguerite, sans aucune famille, dis- paraîtra dans la Nuit et le Brouillard nazi461… Les pertes sont lourdes, pratiquement toute la zone méditerranéenne est tombée, le secteur sud-est est presque entièrement détruit.

Seuls subsistent encore ceux de Vichy, de Grenoble et de Clermont-Ferrand.

456. Archives historiques de l’armée tchèque à Prague, affaires 308-18 novembre 1943 et 364-18 novembre 1943.

457. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France, Tome I, p. 814. Henri Bruder et Marcel Horvilleur seront déportés du Frontstalag 122 de Compiègne au KL Sachsenhausen, sous les matricules respectifs 64615 et 65409. Ils seront rapatriés en avril 1945.

458. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 2, répertoire agents. Non repris dans les listes FMD.

459. Capitaine André Mercier Bulletin N° 162 de AASSDN, Sacrée vérité. Ces archives seront récupérées à la fin des hostilités par les Russes pour exploitation. Ces fonds dits de Moscou seront de nouveau récupérés par les services français en 1991.

460. SHD Vincennes, cote GR 28P4 203 85. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France, Tome III, p. 615.

461. BAVCC Caen, cote 21P 465 834 : son dossier est sidéralement vide, absolument aucune indication.

Massacrée au Struthof dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944, Marguerite Job est la doyenne des femmes exécutées ; il n’existe aucune photographie.

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8. Le réseau prend le nom d’alliance

Le 19 février 1943, Raymond, frère d’Édouard Kauffmann, est arrêté de bon matin par la Gestapo à son domicile de Colombes et conduit chez son neveu Jean-Roger à Suresnes.

Tous deux sont emmenés rue des Saussaies. Albin, autre frère, est appréhendé un peu plus tard sur son lieu de travail à Argenteuil et retrouve ses deux frères rue des Saussaies462. À Tulle, Jean Lemaire (Pointer) est informé par Fernand Alibert de l’arrestation de Marie- Thérèse Kauffmann. Sur ses gardes, il fréquente le moins possible son magasin de plombe- rie situé au 12 de la place Gambetta. Vers 15 heures, trois individus se présentent devant sa secrétaire, exigeant d’être conduits au domicile de son patron. Dès son arrivée au magasin, Lemaire y trouve la Gestapo. Les Allemands cherchent à savoir ce qui relie Jean Lemaire à Marie-Thérèse Kauffmann, son nom ayant été vraisemblablement cité. Avec sang-froid, il élude les questions. Les policiers allemands l’obligent à les accompagner afin de perqui- sitionner son domicile situé à quelques mètres. Son épouse est là et a la présence d’esprit d’alerter le voisinage, y compris l’adjoint au maire. Une foule compacte d’une centaine de personnes entoure maintenant la voiture de la Gestapo. Louis Pimont, chef de cabinet du préfet, est aussitôt prévenu. Il se présente au domicile des Lemaire, accompagné de l’abbé Lair. Devant les Allemands éberlués, Pimont met en avant la thèse d’une arrestation illégale ajoutant : Avec de tels procédés, vous ratez la collaboration. Dans l’état actuel de la législation, vous ne pouvez arrêter Jean Lemaire qu’avec l’autorisation du préfet et le concours de la police fran- çaise munie d’un mandat d’amener établi dans les formes par les autorités compétentes… Devant tant de certitudes, les policiers allemands repartent bredouilles ; un calme très provisoire revient dans la ville463. Dès le lendemain 20 février 1943, cinq voitures noires débouchent en trombe vers midi sur la place Gambetta de Tulle. Jean Lemaire se trouve alors à une centaine de mètres de là. Une dizaine de soldats armés de mitraillettes jaillissent et enva- hissent sa maison. Jean Lair assiste à la scène. Lemaire venait précisément de lui remettre des instructions écrites qu’il cache précieusement sous sa soutane. L’abbé, qui a bien sûr aperçu les policiers, tente discrètement de rentrer au presbytère. Des policiers allemands se jettent sur lui. Au cours de la perquisition effectuée à la cure, ils découvrent des plans de dépôts de carburant. Par dépit de ne pas avoir trouvé Lemaire, mais visiblement bien ren- seignés depuis l’arrestation de Marie-Thérèse Kauffmann, l’abbé Lair est emmené à l’Hôtel Moderne de la ville. Il est transféré le soir même à Limoges. Les papiers qu’il porte pré- cieusement sur lui sont découverts et sonnent sa perte. Il s’agit d’une liste des principaux agents creusois, établie en vue de leur immatriculation par le MI6. Jean Lemaire, quant à lui désormais en danger, rejoint le maquis organisé par son beau-frère à Sornac (Corrèze).

Le 21 février 1943, vers 7 heures du matin, Robert Dissoubray (Deilephila), négociant et agent de renseignement, est arrêté par la Gestapo à Saint-Sébastien (Creuse). Quelques minutes plus tard, Maurice Dayras (Bull), avocat, est arrêté par la police allemande à son domicile du 1, Grande Rue à Aubusson. Gustave Tessier (Tettigonia), comptable à Guéret et agent de renseignement, est appréhendé place de la République. Enfin, le docteur Louis

462. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 10. Ils seront relâchés le 1er avril 1943 faute de preuves.

463. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 10.

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Bonnet (Anomalure) est également appréhendé à Bourganeuf. Victor Renaud (Pataud), pré- venu, prévient bon nombre de ses camarades du sud de la Creuse qui se mettent à couvert.

C’est le cas de son ami instituteur Albert Merkling (Dacus) et de l’architecte Émile Pithon (Ténia) de Guéret. Le commissaire Louis Clauss (Sauvegarde), spécialiste en toutes sortes de faux papiers, recruté par Dissoubray, n’est heureusement pas inquiété. René Nouguès (Bleu d’Auvergne), absent de son domicile, et Marcel Poitrenaud (Wapiti 2), agriculteur à La Chapelle-Baloue, échappent tous deux à l’arrestation. Les quatre agents sont dirigés à la pri- son de Limoges avant déportation464. Le département creusois laminé doit être reconstruit.

René Nouguès ne se décourage pas et contacte Philippe Bridot, médecin à Bourganeuf. Grâce à sa profession, il peut se déplacer aisément entre Bourganeuf et La Souterraine. Ces facili- tés lui permettront de rapporter un maximum de renseignements sur les troupes station- nées. Également ce 21 février 1943, Michel Simon (B71), agent de la branche Druides affecté au secteur de Tarbes, vraisemblablement repéré par des agents de la Gestapo, est arrêté à Mortagne-au-Perche (Orne), puis déporté le 21 avril suivant au camp de Mauthausen465.

À Toulouse, Stanislas Mongelard (Ourson) et son épouse Augustine (Oursonne) sont appréhen- dés à l’Hôtel de Paris du 66, rue Gambetta, accusés d’abriter chez eux des agents recherchés466. Le 22 février 1943 à Brest, Joël Brannelec, responsable de la photogravure au journal La Dépêche de Brest, a rendez-vous tôt le matin avec Georges Lacroix qui l’informe de l’arrivée prochaine de sept aviateurs alliés découverts près de Châteauneuf-du-Faou. Lacroix, homme de sang-froid, lui conseille de le tenir au courant de la suite, car il connaît une filière d’éva- sion par vedette anglaise, au large des Côtes-du-Nord. La filière d’évasion maritime Shelburn de Plouha n’étant opérationnelle qu’à partir de janvier 1944, il s’agit probablement de l’opé- ration d’exfiltration Vulcain étudiée conjointement par Maurice Gillet et la Royal Navy. Mais dénoncé par André Rouault, autonomiste breton et rédacteur en chef du journal sépara- tiste La Bretagne, l’opération avorte par l’arrestation le lendemain de Joël Brannelec par la Feldgendarmerie de Morlaix, sous l’accusation d’activités antiallemandes.467

464. Carnet de commandement chiffré Marie-Madeleine Fourcade, archives personnelles Jacques Fourcade.

SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843, répertoire agents. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France (FMD), Tome I, pp. 1045 et 1148. Maurice Dayras et Louis Bonnet seront déportés le 31 août 1943 de Paris au château d’Eisenberg. Ils seront rapatriés le 8 mai 1945. Robert Dissoubray et Gustave Tessier seront déportés le 17 septembre 1943 du Frontstalag 122 de Compiègne au KL Buchenwald, respectivement matricules 21071 et 21070. Robert Dissoubray sera rapatrié le 1er mai 1945. Gustave Tessier sera transféré au KL Bergen-Belsen d’où il sera rapatrié le 15 avril 1945.

465. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 15. Carnet de commandement chiffré Marie-Madeleine Fourcade, archives personnelles Jacques Fourcade. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France (FMD), Tome I, p. 790. Michel Simon sera déporté le 20 avril 1943 du Frontstalag 122 de Compiègne au KL Mauthausen, matri- cule 28542. Il sera libéré en mai 1945.

466. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 11 et 19. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France (FMD), Tome I, pp. 1111 et 1224. Augustine est déportée le 21 octobre 1943 de Paris-Nord à la prison d’Aix-la-Chapelle et au KL Ravensbrück, matricule 24574. Son mari Stanislas est déporté le 13 septembre 1943 de Paris-Est au KL Buchenwald, matricule 7762, et au KL Bergen-Belsen où il décédera. Augustine Mongelard sera libérée par la Croix-Rouge le 22 avril 1945 du KL Mauthausen.

467. BAVCC Caen, cote 21P 716 849, Il sera jugé le 15 avril 1943 à 12 ans de réclusion par le tribunal de la Luftwaffe siégeant à Saint-Brieuc et déporté le 23 novembre 1943 à la prison de Rheinbach. Joël Brannelec sera libéré le 27 avril 1945 à Rosslau.

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8. Le réseau prend le nom d’alliance

Le 25 février 1943, Paul Pradaud (Paro) agent de renseignement en Corrèze, est surpris par la Gestapo à son domicile de Brive-la-Gaillarde, roué de coups et amené en piteux état à l’Hôtel Terminus à Limoges. Edmond Michelet et Georges Chadirat, également arrêtés pour faits de résistance, sont effarés de voir son état. Le malheureux a les dents brisées, son visage est ensanglanté et présente une plaie ouverte à la tête. Paul Pradaud est déporté aux camps de KL Buchenwald, puis de Dora, et transféré à Bergen-Belsen où il subit une castration complète par les médecins nazis. Il est libéré le 15 avril 1945468.

À Nice, Joseph de Bretagne (Bret) a échappé à de nombreuses reprises à la goniomé- trie allemande grâce à sa vigilance469, mais il est pourtant surpris en pleine émission en compagnie de Tony Leenhardt470 (Coffre 2) et de Jean Rémusat, tous agents de Jean-Charles Bernis. Ils sont appréhendés par les services italiens à la suite des papiers trouvés lors de la perquisition chez Augustine Contrasty à Monaco. Joseph de Bretagne réussit à s’échapper deux mois plus tard.

468. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 13 et 20, répertoire agents. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France (FMD), Tome I, p. 973. Paul Pradaud sera déporté le 25 juin 1943 du Frontstalag 122 de Compiègne, immatriculé 14798 au KL Buchenwald.

469. SHD Vincennes, fonds Alliance 1K 843 4, répertoire agents.

470. SHD Vincennes, cote GR 28P4 203 85. Sources Le Livre-Mémorial des déportés de France (FMD), Tome III, p. 622. Tony Leenhardt sera déporté à San Remo (Italie) et sera libéré par erreur à Belfort le 21 août 1944.

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