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L'ESPACE COMME ENJEU DE REVENDICATION. PROJET EXPLICITE ET LOGIQUE OBJECTIVE

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L'ESPACE COMME ENJEU DE REVENDICATION.

PROJET EXPLICITE ET LOGIQUE OBJECTIVE

par Liliane VOYB

Dans quelle mesure et par quel biais des mouvements ponc- tuels partant de revendications précises au plan de l'urbain peuvent-ils être porteurs d'une critique de la logique sociale dominante? Cette éventuelle critique va-t-elle conduire -à la mise en place d'une autre logique et à un bouleversement du système social ou, au contraire, la logique sociale ac- tuellement dominante, s'appropriant un autre contenu, ces mouvements ne vont-ils pas contribuerà stabiliser le systè- me social actuel en lui montrant où sont aujourd'hui ses

«points sensibles' et donc où il convient qu'il porte son attention s'il veut garder la maîtrise dont il dispose.

Alors que les mouvements revendicatifs au sujet de l'urbain se font de plus en plus nombreux et trouvent de plus en plus d'écho dans la presse, il paraît intéressant de se demander quelle est, au-delà du projet explicite de ces mouvements, la logique objective qu'ils dégagent.

L'espace apparaît aujourd'hui, en effet, comme un lieu privilégié de mobilisation et ce, essentiellement pour deux raisons.

Il est patent, tout d'abord, que divers malaises se manifestent dans la pratique de la vie quotidienne à partir de problèmes liés, d'une manière ou d'une autre, à l'espace. Mais alors que l'origine de ces problèmes est à chercher dans la «logique sociale» dominante, ceux-ci se voient en quelque sorte « naturalisés ». Ainsi dira-t-on que «le grand ensemble aliène», rendant de cette façon le cadre bâti responsable d'une situation dont il n'est, en fait, que le médiateur et dont il faut chercher l'explication dans les contradictions sociales.

A côté de cette première explication de la mobilisation dont l'espace est aujourd'hui l'objet, une seconde raison apparaît à la multiplication des revendications et des conflits surgissant actuellement dans ce domaine.

En effet, lutter autour de ce problème d'espace donne facilement le sentiment de lutter pour le bien commun: ainsi, considère-t-on souvent que si l'environnement se dégrade, il se dégrade de la même manière pour tout le monde; ainsi encore, la protection, la valorisation du patrimoine architectural est-elle envisagée comme une préoccupation intéressant tout le monde au même degré. Ainsi, l'espace permet-il le développement d'une 427

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utopie de l'alliance de classes car, à travers sa matérialité, il rend aisee l'induction d'un sentiment de solidarité et d'une homogéniété de situation.

Cette idée selon laquelle il y aurait une identité d'intérêts et d'objectifs entre tous ceux qui résident en un même espace nous paraît, quant à nous, être l'effet d'un voilement idéologique qui se rencontre, à des degrés divers, dans la plupart de ces mouvements qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler «mouvements sociaux urbains l>. A travers ceux-ci, c'est, selon nous, la double logique du système dominant qui se voit révélée. D'une part, les mouvements sociaux urbains permettent de saisir, dans un domaine spécifique, les caractéristiques actuelles de cette logique, d'en faire res- sortir les priorités, de montrer les limites qu'y revêt le calcul économique;

ils mettent aussi en évidence l'élargissement du champ dans lequel se déroule le conflit social, lequel sort de l'entreprise et du domaine de la production pour déboucher sur le terrain de la consommation, où il en est à ses premiers balbutiements et où il est, temporairement au moins, condamné à sa propre spontanétié, dépourvu qu'il est de toute forme d'institutionnalisation et de tout interlocuteur aisément repérable. D'autre part - et c'est là que surgit l'opposition entre projet explicite et logique objective - les mouvements sociaux urbains, s'ils permettent, à travers sa mise en question, de repérer la logique du système, portent en eux les éléments de transformation de ce systère et indiquent à celui-ci les pistes à suivre pour maîtriser sa régulation et en contrôler le processus.

Ainsi, les mouvements sociaux urbains apparaissent-ils comme l'expres- sion d'une dialectique entre classes dominées et classes dominantes, ces dernières intervenant à la fois, selon leurs fractions, comme adversaire et comme force sociale et, dans ce deuxième rôle, contribuant à un réajustement du système social à un niveau supérieur en lui fournissant, en quelque sorte, les modèles de demain et en lui permettant de se reproduire moyennant l'absorption de règles nouvelles qu'il se donne à lui-même.

C'est cette hypothèse que nous voudrions vérifier dans les pages sui- vantes en montrant comment le caractère subversif et désorganisationnel des mouvements sociaux urbains est jusqu'ici plus apparent que réel et comment, en fait, ils permettent souvent aux classes dominantes d'anticiper l'évènement et de définir de nouvelles politiques qui le récupère.

Dans cette perspective, nous allons tout d'abord proposer un aperçu des mouvements sociaux urbains en Belgique francophone, sans toutefois prétendre ainsi couvrir ni tous ces mouvements, ni tous les aspects de ceux-ci: en effet, le but de cette analyse est simplement de s'inscrire dans le cadre de l'hypothèse qui vient d'être formulée et, pour ce faire, elle se limite à certains éléments paraissant particulièrement indicatifs pour ce propos. Nous nous arrêterons ainsi essentiellement sur deux points : les enjeux explicites, c'est-à-dire l'objet concret des revendications qui sont à la base du mouvement; la rencontre entre la base sociale (essentiellement les résidants) et la force sociale (les acteurs effectifs), éléments qui nous paraissent se situer au cœur même de notre problème.

Après cette analyse de type essentiellement descriptif, une deuxième partie nous permettra de réfléchir sur la logique objective de ces mouve- ments: comment se situent-ils, de fait, dans l'ensemble du conflit social?

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Peuvent-ils être qualifiés de «mouvements sociaux ,. au sens précis du terme? Quelle est l'attitude des pouvoirs à leur égard?

J. • Les divers types de «mouvements sociaux urbalns »(1) L'observation des mouvements sociaux urbains tels qu'ils se présentent en Belgique francophone fait immédiatement apparaître que, si certains de ceux-ci expriment une réaction face à une menace directe pesant sur une zone de logement vouée soit à l'éradication, soit à la transformation - ce qui, dans l'un et l'autre cas, induit, à plus ou moins longue échéance et de façon plus ou moins dramatique, un déplacement des résidants - d'autres de ces mouvements surgissent indépendamment de tels problèmes et traduisent d'autres préoccupations dont certaines vont parfois jusqu'à la revendication du contrôle effectif de l'urbain, à travers la tentative de mise en place de formes d'autogestion du quartier.

Cette diversité et des origines et des objectifs des « mouvements sociaux urbains » appelle une analyse de ceux-ci, analyse qui - étant donné l'hypothèse proposée dans ces pages - reposera sur deux axes principaux.

D'une part, le relevé de la diversité des enjeux permettra tout à la fois d'indiquer l'objectif poursuivi par le mouvement et de repérer ce qui l'a suscité - entre autres, de voir s'il s'agit d'une menace spécifique de type

« évènementiel s ou econjoncturel » (au sens d'occasionnel) ou, au con- traire, s'il s'agit de la prise de conscience, à un moment donné, d'une situation existant, par ailleurs, depuis longtemps ou même s'il s'agit de l'apparition d'une nouvelle sensibilité faisant lire négativement une situation jusque là soit non remarquée, soit même lue en termes positifs. Le deuxième axe retenu dans cette analyse caractérise les divers intervenants, c'est-à-dire à la fois la base sociale et la force sociale au sens où l'entend Castells (1972): d'une part, la population directement concernée soit, essentiellement la population résidante, à laquelle s'adjoint parfois la popu- lation utilisatrice; d'autre part, les «porte-parole» de cette population directement concernée, «porte-parole" qui sont ou non issus de celle-ci et qui, on le verra, en traduisent ou en trahissent les revendications, se limitent à celles-ci ou, au contraire, les élargissent, voire en déplacent le terrain.

A ce double axe d'analyse, il conviendrait d'ajouter la description et l'évaluation des effets de ces mouvements, en précisant - ce qui est essentiel - si ces effets sont simplement urbains, c'est-à-dire consistent uniquement en un réaménagement de l'espace, n'apportant ainsi qu'une solution partielle aux problèmes posés, sans engendrer des conséquences politiques, ou bien au contraire, si ces effets dépassent ce niveau pour devenirpolitiques, en révélant les contradictions, c'est-à-dire les oppositions

(1) Les informations contenues dans ces pages ont été rassemblées au cours du Séminaire de SociologieUrbaine et Rurale, dirigé par L. Voyé et ayant eu pour thème, en 1972-73 et 1973-74, les mouvementssociaux urbains.

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d'intérêts, sous-jacentes à la matérialité du problème, et en engendrant des revendications au plan des rapports sociaux et donc des rapports de pouvoir. L'analyse de ces effets serait centrale pour notre propos. Toute- fois, dans la plupart des cas, les faits eux-mêmes ne sont permettent que de formuler des hypothèses sur ceux-ci: en effet, en dehors des quelques rares cas où ces mouvements ont d'ores et déjà abouti, les effets urbains restent la plupart du temps encore à venir; quant aux effets politiques, si leur dépistage est à première vue plus aléatoire encore, il nous paraît que c'est à ce plan que les hypothèses les plus sûres peuvent être formulées à la fois par le biais de l'analyse des forces sociales inter- venant dans ces mouvements urbains et par la référence qui peut être faite à la transformation de l'idéologie dominante, transformation dont certains faits peuvent témoigner explicitement.

On notera encore que l'analyse des effets obtenus par les mouvements urbains est à bien distinguer de leur typologie descriptive. La combinaison de ces deux démarches permet toutefois de s'interroger sur la capacité de ces mouvements d'engendrer une mise en question des rapports actuels de pouvoir ou, au contraire, de jouer dans le sens de ceux-ci. Les nouveaux lieux et les nouveaux modes d'intervention permettent, dans ce dernier cas, de préserver l'écran idéologique, faisant en sorte que les «problèmes urbains» sont lus en termes de composition spatiale et de qualité d'envi- ronnement et non en termes de contradictions d'intérêts et d'antagonismes sociaux.

Les mouvements urbains en fonction des enjeux

Si les quelque 120 mouvements urbains recensés depuis 1968 dans la région parisienne peuvent être regroupés autour de trois enjeux principaux qui sont le logement, les transports et les divers problèmes écologiques, les mouvements urbains survenant depuis quelques années en Belgique parais- sent surgir autour de problèmes qui, quoique recoupant plus ou moins ceux rencontrés dans la région parisienne, prennent une autre coloration et, en conséquence, appellent un autre classement dû à la spécificité des termes dans lesquels se présente la situation belge, en particulier en ce qui concerne le logement et les transports. Parmi ces caractères spécifiques de la situation belge, on retiendra tout particulièrement ceux-ci.

Un élément conjoncturel joue tout d'abord pour différencier la situation belge de la situation française: c'est la petite dimension du territoire national qui fait que non seulement le problème des déplacements est loin d'avoir l'acuité qu'il revêt en France, mais aussi et surtout qu'il n'y a pas de liaison directe contrainte entre la concentration de l'emploi et le déplacement des populations; ainsi, par exemple, le haut degré de concentration de l'emploi tertiaire et surtout quaternaire à Bruxelles n'induit-il pas un déplacement proportionnel du résidentiel vers la capi- tale; pour la population que requièrent ces emplois, il est assez aisé quant au coût temps et au coût argent, de continuer à habiter en province tout en travaillant à Bruxelles. La pression sur le logement n'est donc pas la même à Bruxelles qu'à Paris, où le déplacement du lieu de travail contraint

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souvent celui du lieu de résidence. A ces éléments d'ordre matériel il convient encore d'ajouter un facteur psychologique, à savoir que si le mythe de Paris développe largement le désir de résider dans cette ville, supposée prodigue de richesses matérielles et culturelles, de façon quasi automatique et homogène (2), il n'en va pas de même pour Bruxelles, qui n'exerce pas cette attractivité sur une population souvent fort attachée à sa région et peu tentée de venir s'installer à Bruxelles, souvent consi- dérée comme une ville hybride et au passé politique, économique et culturel moins riche que d'autres villes belges.

Si la petite dimension du territoire belge conduit à poser les problèmes en des termes partiellement autres que ceux selon lesquels ils se posent en France, un autre élément, plus important encore, vient différencier les deux situations. En Belgique, en effet, la politique extra-entreprise (et, notamment, la politique du logement et celle des transports) est relative- ment autonomisée par rapport à la politique de l'entreprise; la plupart du temps, il n'y a donc pas de conjonction des problèmes liés à la consom- mation collective et de ceux liés au marché du travail (3). Cette situation résulte du fait que, dès leur origine, les mouvements ouvriers belges se sont toujours préoccupés de la consommation collective en mettant en place des coopératives d'achat, des cmaisons du peuple lO, mais aussi des sociétés de construction de logements ; ces dernières, organisées générale- ment sur base locale et marquées politiquement, ont contribué à rendre peu dramatique en Belgique le problème du logement, et ce, d'autant plus que l'existence d'un double réseau politique et syndical (parti socialiste belge et Fédération Générale du Travail de Belgique, d'un côté; Parti Social Chrétien et Centrale des Syndicats Chrétiens, de l'autre) stimulait les initiatives locales à base idéologique en faisant, de la cnstruction de loge- ments sociaux, un atout électoral majeur. Il serait intéressant de se deman- der quels ont été les effets d'une telle politique: a-t-elle eu un effet pacifi-

(2) Il est presqu'incroyable de voir comment, aujourd'hui encore, ce mythe peut jouer. Une récente émission de la télévision belge (RTB) en a donné un exemple frappant en montrant un jeune rural venu à Paris, sûr d'y trouver une vie facile et qui, rapidement déçu, isolé, ignoré, se retrouve dans la grande ville comme «gagne petit», mal logé, déraciné, heureux cependant d'être sorti du cercIe où il avait failli s'enfermer peu après le grand échec de sa montée à Paris, échec qui l'avait conduit de prison en prison pendant plusieurs années.

(3) Cette situation est très différente de celle que l'on rencontre lorsque les problèmes peuvent être plus aisément globalisés, c'est-à-dire dans la mesure où l'entreprise gère également divers secteurs de la vie extra-professionnellecomme le logement et les transports. L'exemple de Dunkerque conçu par le Sixième Plan comme un des deux grands centres pétroliers et sidérurgiques du pays (avec Fos) est éclairant à ce propos. En effet, on peut voir, par exemple, que le seul mouvement de revendication urbaine qui apparaît est le fait d'habitants dispo- sant de logements construits par Usinor: dans ce cas, en effet, «l'adversaire,»

est connu (le patron) et il existe une habitude de lutte contre ce type d'adver- saire, alors qu'il n'en existe pas, par exemple, contre la municipalité. De mê- me, en matière de transport la revendication apparaît possible lorsque les trans- porteurs dépendent de l'entreprise alors qu'elle est malaisée si ceux-ci sont indépendants ou correspondent à un service municipal. (M. Castells et F. Go- dard, 1974).

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cateur comme on le pense souvent en France (4) ou, au contraire, débou- chant sur la satisfaction de certaines attentes, a-t-elle engendré de nouvelles revendications et fait progresser le mouvement?

Deux éléments importants viennent donc différencier partiellement les enjeux des mouvements urbains en Belgique et en France: c'est, d'une part, la dimension du pays qui n'implique pas une superposition du marché du travail et du marché du logement; c'est, d'autre part, le fait qu'en Belgique, les mouvements ouvriers ont toujours été préoccupés d'agir au niveau du parc de. logements, et, pour ce faire, ont mis en place des sociétés de construction qui permettent de faire éclater (au moins apparemment) les contradictions, en dissociant les problèmes du travail et ceux du logement et en contenant ces derniers dans des limites très étroites.

Ces éléments importants soulignés, il apparaît que les mouvements urbains, en Belgique francophone, peuvent tout d'abord grossièrement être répartis selon le caractère localement spécifié ou global de leur enjeu;

puis, à l'intérieur de ces deux catégories, porter sur divers types d'objectifs concrets.

A. Enjeux à caractère localement spécifié

Les mouvements urbains ayant un enjeu localement spécifié peuvent être définis comme étant des mouvements prenant naissance à partir d'un point concret de vie quotidienne dont l'objet est spatialement localisable.

Parmi ces mouvements, on distinguera essentiellement 4 types (5) en fonction de la nature de l'enjeu:

1. Réaction contre une menace mettant en question l'existence même d'un quartier

Les exemples les plus fréquents sont ici ceux de quartiers menacés de démolition, soit au nom de leur taudification, soit au nom de la primauté (4) Cf. par exemple les travaux d'A. Cottereau qui montre comment, en France, après 1870, les magistrats et les pasteurs animés d'un zèle humanitaire et d'une volonté de chercher des solutions aux problèmes de l'époque jouent, en fait, comme appareils répressifs de l'Etat sans participer à l'idéologie de celui- ci: les premiers, en prônant une réforme du code civil allant dans le sens du transfert à la femme de la gestion de la famille et les seconds en mettant en place un système d'assistance.

(5) Nous ne retiendrons pas ici les associationsde commerçants qui surgissent un peu partout dans les centres urbains et qui ont pour objectif le maintien ou la revitalisation de l'activité commerciale de la rue ou du quartier. Cette préoc- cupation amène fréquemment ces associations,soit à exprimer des revendications quant à l'infrastructure, à l'équipement, aux moyens de transport, aux par- kings,o •• , soit à mettre en place des manifestations «culturellesa de types di- vers visant à attirer la clientèle et à promouvoir la vente. Ainsi l'Association du quartier Breughel à Bruxelles envisage-t-elled'organiser une série d'anima- tions «visant à retenir à Bruxelles les trop nombreux habitants qui trouvent dans l'exode dominical une solution à leurs problèmes de loisirsa. Si l'appel- lation de «mouvements sociaux» peut déjà être mise en question pour les

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d'un équipement collectif à construire. Les exemples en sont nombreux;

nous n'en mentionnerons que quelques-uns. Ce fut le cas des Marolles à Bruxelles, dont le territoire était convoité pour des implantations de com- merces et de logements destinés aux couches sociales supérieures attirées par la proximité de l'avenue Louise; c'est le cas du quartier du Viaduc à Charleroi, menacé d'expropriation pour la construction d'une bretelle d'autoroute et d'un mini-métro; ce fut le cas du quartier du Petit St-Jacques à Nivelles, dont les maisons, déclarées insalubres, devaient être démolies et remplacées par des immeubles à appartements; c'est le cas du quartier de Boendal à Ixelles, partiellement exproprié pour la construction d'un vaste complexe commercial surmonté d'appartements et d'un ensemble de loge- ments neufs situés au sein d'espaces verts; c'est encore le cas de la rue Pierreuse à Liège, menacée de démolition pour le passage d'une autoroute urbaine; c'est enfin le cas du quartier s'étendant à Bruxelles de la gare du Nord à la place Rogier, actuellement presque totalement disparu pour faire place à un Manhattan Center, désormais bien hypothétique.

Nous ne nous étendrons pas sur la portée réelle de ces transformations, qui, au nom de la salubrité et du service public, jouent la plupart du temps - de façon volontaire ou non - au détriment d'une population déjà en situation difficile: pensionnés, travailleurs étrangers, groupes margi- naux, ... pour qui un tel changement est dramatique. Nous soulignerons seulement comment ces entreprises peuvent parfois se placer elles-mêmes derrière une façade" morales et de bien-être qui n'est autre que le reflet d'une contradiction sociale que ne feront qu'aggraver les mesures prises.

Ainsi cette citation d'un bourgmestre de l'agglomération bruxelloise: «Si vous retirez les personnes de plus de 60 ans, de moins de 20 ans, celles qui ne travaillent pas, les immigrés, toutes les personnes qui n'ont pas de ressources importantes et qui, par conséquent, paient peu d'impôts, vous arrivez à plus ou moins 20 à 25.000 personnes qui subviennent aux charges de la commune ... Le tournant que nous voulons imprimer à l'économie locale, par le biais d'une véritable résurrection en matière immobilière, conditionne nos possibilités d'action sur tous les plans.» Tel encore cet extrait de la revue «Le marché» (février 1969): "Lorsque le premier îlot de la place Rogier a été livré aux pioches, le Bruxellois a regardé plus loin, vers la chaussée d'Anvers, les rues transversales: quartier presqu'insalubre où s'accroche toute une vie à la Mac Orlan des années 30.

Tout ça - le Bruxellois le sait - va disparaître pour faire place au Bruxellois lui fait oublier la lassitude des grands travaux, c'est quand projet Manhattan. Ce plan est déjà très ambitieux, mais où l'orgueil du on lui explique qu'au milieu de ce projet Manhattan va s'ériger le World Trade Center - ce WTC étant défini par ses responsables comme pouvant être un moyen de «servir à une meilleure organisation des relations com- merciales mondiales dans le dessein de servir la paix mondiale et le bien-

autres types de mouvementsque nous allons présenter, elle est totalementinadé- quate dans ce cas, même s'il arrive que ces manifestations prennent des for- mes semblables à celles à travers lesquelles s'extériorisent les autres types de mouvements.

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être des peuples s (WTC News). Comment s'étonner qu'un promoteur puisse tenir un tel langage lorsqu'un échevin décrit de la manière suivante le quartier dont il est question: cDans l'ensemble, le logement est de qualité très médiocre et généralement même insalubre. Actuellement, cer- tains immeubles abandonnés ont été réoccupés par des étrangers qui y vivent dans un état d'hygiène très relatif. (... ) Il Y a par endroits de véritables nids de taudis. (. .. ) La valeur immobilière dans le quartier a été fortement influencée par ces considérations.,. S'étant ainsi expliqué, cet échevin justifie alors la c rénovation s envisagée: cSi le but final de cette entreprise est de créer le quartier d'affaires qui manque à notre ville, le premier souci, qui est social, a été d'entreprendre une œuvre d'assainis- sement par la suppression des taudis qui pullulent à cet endroit. ,. (octobre 1967)

S'il est vrai que, dans la plupart des cas, ces démolitions interviennent dans des quartiers à l'habitat vétuste (pour qui toutefois la qualification de taudis n'est pas nécessairement appropriée), il arrive que, parfois, ces démolitions interviennent ou menacent d'intervenir dans des quartiers à habitat relativement récent et occupés par une population de cadres moyens, voire même supérieurs: ce fut le cas à Liège, où pour la descente de l'autoroute vers le boulevard d'Avroy, on a coupé au travers d'un quartier de professions libérales (en un endroit, il est vrai, d'un niveau quelque peu inférieur à l'ensemble !)et on a démoli tout un côté d'une rue d'habi- tations bourgeoises; une menace du même genre, fondée toujours dans les problèmes que pose le tracé de l'autoroute dans la région liégeoise, pèse sur un boulevard d'une commune périphérique, - dont la plupart des constructions datent d'après la guerre et sont, elles aussi, occupées par une population de cadres. Dans ces deux cas, on n'assiste donc pas à l'éviction d'une population définie comme cmarginale s et c non ren- tables sous le couvert d'un assainissement du site: c'est la mise en avant de soi-disant impératifs techniques et l'idéologie de cl'automobile au centre urbain et devant la porte s qui conduit à l'éradication de quartiers auxquels on ne peut reprocher ni la vétusté de l'habitat, ni la cqualité ,.

de la population !La préoccupation, quelquefois relevée à Paris, de garantir une majorité électorale, voire de la renforcer, n'est donc pas présente ici.

Sans doute de tels objectifs sont-ils, en Belgique aussi, souvent présents, ne serait-ce que de manière latente, mais il faut constater ici que ce n'est donc pas toujours le cas.

2. Réaction contre une menace pesant sur des quartiers estimés de valeur esthétique et/ou folklorique

Alors que la menace de démolition qui pèse sur certains quartiers' n'attire guère ni l'attention, ni la protestation (si ce n'est de quelques rares personnes), d'autres menaces, au contraire, soulèvent très rapidement un tollé d'indignation et voient s'organiser des actions de revendication qui, la plupart du temps, sont marginales par rapport aux problèmes qui se posent aux résidants. En effet, alors que ceux-ci redoutent de perdre leur logement et, en même temps, leur vie de voisinage (laquelle revêt une im-

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portance quasi vitale, étant donné le fait que les quartiers le plus souvent concernés par ces mesures abritent surtout des personnes âgées, des étran- gers, des personnes économiquement et culturellement démunies, H. Coing:

1966), c'est autour des aspects esthétiques et/ou «folkloriques» que s'or- ganisent ces revendications. Sans doute les deux problèmes ne sont-ils pas nécessairement exclusifs l'un de l'autre, mais ils traduisent des préoccu- pations différentes pouvant être qualifiées souvent de contradictions dans le sens où ils expriment des intérêts contradictoires sur un même enjeu;

de plus, si les deux types de préoccupations débouchent parfois sur la satisfaction des deux tendances, il arrive aussi que la satisfaction de l'une exclue celle de l'autre et, dans ce cas, c'est presque toujours la reven- dication des non résidants qui est satisfaite, en ce sens que le quartier, sauvé pour son caractère esthétique et/ ou folklorique, se voit réapproprié par des personnes extérieures, appartenant généralement à une autre caté- gorie sociale que celle des anciens résidants. Il faut des mesures régle- mentaires volontaristes pour éviter qu'il n'en soit ainsi, mesures du type de celles qui ont été prises à Amsterdam pour éviter que la restauration des immeubles situés le long des canaux n'entraîne le départ de tous les anciens résidants et leur remplacement par des habitants uniquement issus des milieux d'affaires, intellectuels et artistiques, attirés par cette symbolique de prestige et de bon goût attribuée aujourd'hui à l'ancien (De Vries Reilingh: 1966).

La Belgique francophone offre de nombreux exemples de ce type de mouvements couvrant, dans une même revendication s'élevant face à une même menace, des préoccupations divergentes. Les Marolles en sont un cas très clair: alors que les habitants s'inquiétaient de conserver leur loge- ment et leur quartier, d'autres prenaient en charge ces revendications et servaient, ce faisant, une tout autre intention - non nécessairement très consciente -, celle de préserver un des derniers milieux folkloriques de Bruxelles. Ainsi, tout en défendant le droit de ces populations à vivre d'une façon «marginale », notamment dans leur utilisation de l'espace et du temps, était-ce du même coup, pour d'autres milieux sociaux, un besoin de venir de temps à autre trouver là un peu d'exotisme qui était défendu; dès lors, une autre menace, plus subtile et plus difficile encore à enrayer, s'annonçait: les Marolles risquaient de devenir un lieu de

«tourisme bourgeois» où l'on irait se promener pour retrouver un mode de vie plus spontané et où l'on chercherait des restaurants évoquant une imagerie populaire et retentissant du «véritable accent bruxellois» ...

Le même type de problème risque actuellement de se poser à propos du quartier de Pierreuse à Liège, cette rue très escarpée, s'accrochant à la colline derrière le Palais des Princes Evêques et la place St-Lambert, et menacée d'expropriation pour la construction de l'autoroute de péné- tration. Ce projet a suscité l'apparition d'une «Association pour la sauve- garde et la réanimation sociale et culturelle du quartier de Pierreuse J)

qui, tout en voulant défendre les résidants (personnes âgées, étrangers, démunis), n'échappe pas à l'ambiguité que présente l'enjeu dans de tels cas. Ainsi a-t-elle organisé, en décembre 1974, une fête populaire et folklorique à laquelle elle invite «tous ceux qui aiment leur villeJO à

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participer: «Il y aura des chanteurs dans les rues; (... ) on a prévu des jeux pour les enfants. Restaurations, crêpes, pizzas, brochettes, etc ... Visites guidées des vieilles maisons du quartier, commentaires par historiens d'art et archéologues. Exposition de documents - souvenirs, gravures, photo- graphies (. ..) Des projets d'expropriation menacent de destruction de nombreux immeubles anciens. Les habitants, aidés par de nombreux défenseurs des sites anciens, vont tenter de restaurer, de rénover et réanimer ce quartier sympathiquement connu des Liégeoisl>. (La Libre Belgique, 28-29 décembre 1974)

Sans doute le problème est-il complexe et notre intention n'est pas ici de critiquer la double polarisation des mouvements de revendications tels qu'ils se présentent dans des quartiers comme les Marolles ou Pierreuse;

mais nous voulons simplement souligner que la matérialité de l'enjeu peut recouvrir des objectifs différents et que si, dans certains cas, la préoccupation esthétique ou folklorique peut être décisive et emporter une révision de la décision, il se peut qu'à plus ou moins long terme, elle contribue à estomper la préoccupation des résidants sinon même à évincer ceux-ci d'un quartier qui, s'étant vu mis à la une de l'actualité, intéresse désormais d'autres populations en quête d'un habitat à «échelle humaine l> et! ou d'une ambiance de quartier qu'elles ne trouvent pas ailleurs et qu'elles viennent s'offrir là au détriment des anciens résidants.

Notons, pour terminer ici les remarques concernant ces quartiers où, aux problèmes des résidants, viennent s'ajouter (ou se substituer?) des problèmes d'ordre esthétique et! ou folklorique que l'on risque de voir, dans les prochaines années, le même type de questions surgir à propos de quartiers considérés comme intéressants par les personnes et les groupes soucieux d'« archéologie industriellel>. Un quartier comme celui des

«carrés de Bois-du-LucJO, cité ouvrière construite entre 1838 et 1853 par le charbonnage voisin pour ses travailleurs, pose ainsi le problème de savoir - une fois acquis le rachat des " carrês »par l'Etat - comment et au profit de qui va se faire la rénovation.

3. Revendication face à des carences concrètes apparaissant en matière d'équipement

D'autres mouvements urbains s'expliquent, au départ, par des carences concrètes apparaissant en matière d'équipement. Selon les cas, ou ces carences sont anciennes, mais n'ont été ressenties comme telles que rela- tivement récemment, suite, souvent, à des "modes l> qui se diffusent en la matière ; ou ces carences résultent d'une modification intervenant dans l'environnement, modification qui, sans affecter directement le quartier, entraîne cependant pour lui des inconvénients auxquels celui-ci cherche à trouver remède.

Parmi les carences existant de longue date, on note, le plus fréquemment, l'absence de terrains de jeux pour les enfants et de locaux pour le troisième âge, et le manque d'espaces verts. D'autres points de revendication qui se rencontrent également assez souvent concernent des problèmes de voierie: absence ou mauvaise qualité de l'éclairage public, absence de

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feux rouges et de passages pour piétons, étroitesse des trottoirs, mauvais revêtement des rues, etc.

D'autres mouvements surgissent à partir de l'apparition ou du risque d'apparition d'un élément neuf dans l'environnement, élément qui menace de perturber la vie du quartier, quoique ne se produisant pas sur le terri- toire de celui-ci. Un exemple (La Libre Belgique, 28-29 décembre 1974) très récent est fourni par la revendication émanant du comité des quartiers

«Trieu-à-Vallée " et «Blanc Pain" à Houdeng-Goegnies; en juillet 1974, ce comité réclama et obtint du ministre des Travaux Publics, de celui de l'Emploi et du Travail et du bourgmestre de la commune la construction d'un pont routier pour relier ces quartiers au centre de la commune et éviter ainsi l'isolement de ceux-ci suite à la construction de l'autoroute de Wallonie. Plus récemment encore (décembre 1974), ces quartiers étant à nouveau menacés, cette fois par la construction du futur canal du Centre, le comité - estimant que les propriétaires riverains allaient subir de graves et très longs troubles de jouissance pendant les travaux - a demandé une remise ou une modération du précompte immobilier pour ces proprié- taires. Cet exemple nous paraît particulièrement intéressant à retenir, car il témoigne d'une double originalité lorsqu'on le compare à d'autres cas:

d'une part, il exprime une réaction contre une menace à la fois indirecte et à venir alors que, le plus souvent, il n'y a réaction que lorsqu'il y a dommage direct et déjà existant; d'autre part, si, dans un premier temps la revendication porte sur un équipement matériel (un pont), dans la deuxième phase, elle fait appel à une mesure réglementaire d'ordre finan- cier qui témoigne de la connaissance de la législation et d'une capacité à en utiliser les ouvertures - ce qui pourrait être un premier pas vers le type de préoccupation que l'on va présenter maintenant.

4. Revendication d'autogestion du quartier

La revendication d'autogestion formulée par un comité de quartier est encore très certainement aujourd'hui l'exception, mais l'importance quali- tative de cette tendance nous paraît mériter que l'on s'y attarde à partir d'un exemple très significatif.

La cité de l'Allée Verte, à Jumet, est une cité de logements sociaux, propriété d'une société coopérative financée par la Province, l'Etat (par l'intermédiaire de la Société Nationale du Logement) et, cela est important, par les locataires eux-mêmes. La cité se compose de cinq blocs, abritant 233 logements et environ 700 habitants. Ces blocs furent construits et habités en deux temps: les trois premiers en 1967, les deux autres en 1974.

Si la revendication explicite actuelle du comité est l'autogestion, celle-ci n'est en quelque sorte que l'aboutissement d'une séquence de revendications, au départ, beaucoup plus traditionnelles et généralisées. En effet, le Comité qui se mit en place au premier temps de l'occupation des logements, en 1967, visait à obtenir l'achèvement rapide des travaux ainsi que la construction d'une école et d'équipements commerciaux. Puis une deuxième étape s'ouvrit, encore très proche de la première, puisqu'il s'agissait essen- tiellement de préserver un petit bois séparant les blocs d'habitations, petit

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bois qui était menacé partiellement par le projet de construction d'une école et par l'aménagement d'un sentier piétonnier. Si déjà, au cours de cette deuxième étape, la volonté de résoudre collectivement les problèmes collectifs s'exprimait explicitement, cet objectif se précisa dans un troisième temps, lorsque le Comité intervint dans l'aménagement des salles collectives en vue de stimuler les rencontres et contacts entre les habitants, chose peu favorisée par la disposition des blocs. Ce n'est cependant que dans un quatrième temps qu'est apparue toute l'originalité de l'action menée par le Comité de l'Allée Verte. En effet, le Comité réclama et obtint la nomination d'un, puis de trois habitants du quartier au conseil d'admi- nistration de la société, à la gestion de laquelle il estimait avoir le droit de participer. C'était là un pas essentiel réalisé dans la voie de l'autogestion; mais il y en eut un autre, tout aussi significatif. En effet, le Comité obtint de la société le droit de jouer un rôle actif dans l'attri- bution des logements disponibles dans la cité: tout candidat locataire doit venir se présenter à une permanence, assurée par des locataires bénévoles, qui lui expliquent ce qu'est l'Allée Verte, quels en sont les problèmes et les activités; ces locataires font alors à la société des propositions d'attribution, propositions qui, jusqu'ici, ont été ratifiées et qui tiennent compte, au-delà des priorités légales, de critères sociaux élaborés par l'assemblée des locataires.

Parallèlement à ces succès, dont la signification politique et sociale ne peut échapper à personne, le Comité menait à bien diverses actions, plus concrètes sans doute, mais exprimant fondamentalement le même objectif.

Ainsi amena-t-il les habitants à prendre eux-mêmes en charge la repeinte des bâtiments, considérant trop élevées les remises de prix qui avaient été faites: des ouvriers de la cité, des chômeurs, des étudiants furent embauchés pour ce travail et l'économie ainsi réalisée permit de retarder d'un an l'augmentation du loyer.

Toujours dans la même perspective, le Comité se préoccupe très fort de l'animation de l'Allée Verte; dans le cadre de cette préoccupation, existent des activités pour pensionnés, un atelier créatif pour enfants, une étude hebdomadaire dirigée qui, avec le concours bénévole d'enseignants et la collaboration des parents, cherche à aider les enfants de milieu populaire; en outre, les femmes peuvent bénéficier gratuitement, toujours grâce au bénévolat, de cours les plus divers allant de la gymnastique à l'art floral et passant par la vannerie, le tricot, etc.

Mais en matière d'animation, le principal succès est l'apparition d'une télévision communautaire. Tout a commencé par un projet de crèche. Le Comité, voulant sensibiliser les femmes à ce projet, demanda au Centre RTB de Charleroi de réaliser une émission dans ce sens; celui-ci conseilla de réaliser une «vidéo-gazette s à l'intérieur de la Cité et envoya un étudiant en techniques de diffusion faire un stage à l'Allé Verte. Celui-ci circula dans la Cité avec une animatrice, passant la camera aux habitants, et les invitant à l'utiliser eux-mêmes. Au bout de quinze jours, l'étudiant et l'animatrice partirent, laissant pour quelques mois la camera à la disposition des habitants. Ceux-ci mirent à profit cette possibilité qui leur était offerte et réalisèrent quelques montages. Intéressés par l'expérience,

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ils aménagèrent un studio dans le sous-sol d'un bloc et, te

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mai 1974, la première expérience de télévision communautaire eut lieu: ce fut une émission d'information locale au cours de laquelle des habitants prirent la parole pour demander de l'aide pour les handicapés de la Cité, pour signaler une collecte de sang, pour informer de l'évolution des discussions menées avec l'Intercommunale des Autoroutes de Charleroi en vue de faire en sorte que celle-ci déplace une route à grande vitesse qui pertur- berait la vie de la Cité, ... Cette télévision communautaire joue désormais un grand rôle dans la vie de l'Allée Verte, au point que lorsque la mise en place d'un câble de télédistribution a menacé son existence, les habitants ont décidé, consentant ainsi des dépenses supplémentaires, de maintenir l'antenne collective privée qui leur permet de diffuser leurs émissions communautaires, ce qui est juridiquement interdit par le câble de télé- distribution.

Si nous avons ainsi rapporté largement ce qui se passe depuis quelques années dans la Cité de l'Allée Verte à Jumet (6), c'est parce qu'il nous a semblé que l'on avait affaire ici à un mouvement allant bien au-delà de ce qui se rencontre dans les autres cas. Sans doute retrouve-t-on ici aussi des revendications concrètes en matière d'équipements et des actions de défense contre des projets perçus comme porteurs de menace pour le quartier. Mais trois éléments viennent différencier radicalement ce qui se passe ici de ce qui se passe ailleurs. En premier lieu, l'initiative émane des habitants eux-mêmes, agissant par l'intermédiaire d'un Comité composé exclusivement de résidants élus par référendum; lorsqu'interviennent des personnes étrangères au quartier, c'est à la demande expresse de ce Comité et non par cintrusion" spontanée. Deuxièmement, les actions menées, même les plus matérielles, s'inscrivent dans une problématique générale explicite: l'autogestion du quartier et la prise en charge, par la collectivité, des divers problèmes de la vie quotidienne de celui-ci. Enfin, une insistance très grande sur la signification du quartier pour ses habitants apparaît à travers le recours qui est fait à tout propos aux bénévoles, dont la com- pétence est mise au service de tous; cette volonté de faire du quartier une ccommunauté" de vie s'exprime également très clairement par le souci des habitants de «sélectionner" les candidats locataires en fonction de ce qu'ils estiment être leur mode de vie. Notons toutefois que cette valorisation de la vie de quartier n'empêche pas l'Allée Verte d'accueilir des activités et des groupes extérieurs: un colloque international s'y est même déroulé récemment! Mais peut-être est-ce là le signe avant-coureur de la menace qui pèse sur tous ces mouvements et qui risquerait, si l'on n'y prend garde, de falsifier le sens de l'action menée dans ce quartier: à savoir la volonté d'autogestion qui s'y manifeste de multiples manières et qui est, sans conteste, une mise en question de l'autorité de l'Etat et même de l'autorité de la commune, entités administratives trop éloignées de la vie quotidienne des gens, à la fois pour entendre leurs demandes et pour susciter chez eux un désir de participation et un sens de cette responsabi- (6) Toutes les informations reprises ci-dessus concernant ce quartier sont ex- traites d'un travail réalisé par Annelise Arcq durant l'année académique73-74 pour le Séminaire de Sociologieurbaine.

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lité collective qui semble si bien exister chez les habitants de l'Allée Verte ; cette volonté d'autogestion va, de plus, bien au-delà, en ce sens qu'elle est une émanation directe des résidants et qu'elle n'est ni suscitée, ni suppor- tée par des éléments extérieurs au quartier qui risqueraient d'en déplacer la signification.

B. Enjeux à caractère global

A côté de ces mouvements générés par une situation localement cir- conscrite, surgissent diverses actions dont l'objectif est plus global et qui sont dues à l'initiative d'associations nationales (Inter-Environnement, par exemple) ou même internationales (Jeune Chambre Economique, par exemple). Il est, par ailleurs, intéressant de noter qu'à ce niveau global, il est assez fréquent de voir intervenir des mandataires publics. Ces actions peuvent être regroupées essentiellement autour de trois thèmes: la préser- vation et la mise en valeur du patrimoine architectural; la protection de l'environnement; la proposition .d'alternatives d'aménagement au plan local, urbain ou régional, proposition pouvant s'accompagner d'un projet poli- tique.

1. Préservation et mise en valeur du patrimoine architectural Si les villes d'aujourd'hui tendent à être uniformément d'acier, de béton et de verre, elles suscitent un goût du passé et de la diversité qui se traduit non seulement par une quête effrénée des «fermettes », mais aussi par une valorisation des quartiers anciens. Celle-ci suppose la restauration des immeubles et souvent le maintien d'une partie de la population rési- dante traditionnelle, qui vient compléter l'imagerie; ce maintien est cepen- dant très aléatoire, car à partir du moment où ces immeubles sont restaurés et dotés d'un équipement et d'un confort modernes (ce qui fait monter le prix des loyers), ils deviennent attractifs pour d'autres catégories sociales, de niveau plus élevé. Ainsi, «aux Sablons, l'idéologie du sauve- tage du passé face aux projets des pouvoirs publics (train, métro) et des pouvoirs privés (banque) s'est inscrite dans la transformation sociale du quartier: une partie de la population, socialement assez semblable à celle de la Marolle, à quitté le quartier pour faire place à une autre qui exploite des lieux de rencontre (cafés), culturels (cafés-théâtres) ou plus directement commerciaux (antiquaires) destinés à la bourgeoise» (C.M. et A.W., 1974: 3).

Ce type de transformation sociale de quartiers anciennement populaires se retrouve fréquemment; ne citons, comme exemple, que le cas des Marolles, où se développe le même processus que celui vécu aux Sablons, et le cas de Roture et des impasses de Féronstrée à Liège, où, à la popu- lation de vieux Liégeois et d'immigrés, se substitue progressivement une population d'étudiants et d'artistes et, à Roture, des restaurants et boutiques qui deviennent le haut lieu des sorties nocturnes de la bourgeoisie locale.

Cette réappropriation de quartiers populaires dont l'architecture séduit par le contraste qu'elle oppose aux constructions stéréotypées et anonymes

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d'aujourd'hui se raccroche à tout un courant qui combine à la fois la volonté de mise en valeur de ce qui est aujourd'hui considéré comme le patrimoine architectural de la collectivité et la résurgence d'un certain goût pour le folklore témoignant d'une diversité qui prend toute sa valeur dans une société homogénéisante.

Une telle préoccupation n'est pas le propre de l'un ou l'autre quartier particulier; bien au contraire, elle s'exprime par le truchement d'organisa- tions nationales (telles Inter-Environnement) reprenant elles-mêmes - expli- citement ou non - une préoccupation de caractère international exprimée, par exemple, au niveau du Conseil de l'Europe. (R. M. Lemaire: 1973).

Par ailleurs, au début de 1975, le ministre de la Culture française a décidé de mener, en Wallonie et à Bruxelles, une campagne de sensibili- sation pour la conservation du patrimoine architectural, en insistant «sur la nécessité de faire un inventaire systématique des biens culturels immo- biliers dignes d'intérêt et de protéger non seulement des immeubles, mais aussi des ensembles, comme des quartiers urbains anciens ou des villages traditionnels s (La Libre Belgique, 13 mars 1975). Sans doute une telle préoccupation se situe-t-elle très loin des luttes urbaines et l'on pourrait se demander dès lors pourquoi nous les évoquons dans ce cadre. La réponse est simple: si l'objectif de ces actions, les moyens dont disposent leur géniteurs, l'origine sociale de ceux-ci sont loin d'exprimer la même pré- occupation que celle, par exemple, des habitants du quartier de la gare du Nord à Bruxelles, il est fréquent que ces actions portent sur des quar- tiers où se pose, par ailleurs, un problème social ou bien que ces actions, à visée esthétique, suscitent précisément un problème social. N'est-ce pas, par exemple, le cas de la rue des Brasseurs, à Namur (qui participe, avec Bruges, au concours européen organisé en 1975 par le Congrès Européen de l'aménagement et de l'urbanisme), où la rénovation entreprise pose le problème du maintien de la structure sociale existante; en effet, ne risque-t-on pas de rénover cette rue en fonction de critères «historico- artistico-pittoresques ,., qui la rendront attractive pour le touriste, mais en expulseront les actuels résidants, soit parce que ceux-ci n'ont pas la capacité financière leur permettant de supporter une majoration de loyer, soit parce que les transformations opérées bouleversent les modes de vie des habitants et désorganisent leur appropriation de l'espace. Ainsi la préoccupation esthétique se double-t-elle souvent d'un problème social, ou bien parce qu'elle en est elle-même à l'origine, ou bien parce qu'il y a rencontre des deux aspects en un même espace. Les luttes qui surgissent dans de telles situations ne laissent dès lors pas d'être ambigues, car elles créent temporairement une solidarité entre groupes dont les intérêts sont fondamentalement divergents sinon contradictoires; la mobilisation de groupes sociaux différents autour d'un même objet matériel pourrait ainsi donner l'illusion que la contestation urbaine est un lieu privilégié de rencontre et de réunification, lors qu'elle n'est que l'expression de ft la double désappropriation dont (les masses) sont l'objet: désappropriation de l'espace, mais aussi et conjointement désappropriation de leurs propres revendications" (B. Francq, 1974: 14).

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2. Protection de l'environnement

Tout comme la préservation du patrimoine architectural, la protection de l'environnement constitue un thème très actuel de préoccupation qui est porté par des organismes régionaux, nationaux ou internationaux.

Dans le cadre de cette problématique, on trouve, en particulier, deux types de cas concrets: d'une part, la lutte contre les pollutions et, d'autre part, la protection des paysages et des sites - l'une et l'autre étant pré- sentées comme se posant en des termes homogènes pour tous les groupes sociaux. Or, si l'on considère, par exemple, le problème de la protection des paysages, force est de constater qu'en ce domaine également, on se heurte à des contradictions sociales. Une brochure, publiée début 1974, par le Ministère des Travaux Publics, exprime clairement celles-ci: cSi les premiers convertis au retour à la nature ont pu se procurer des fer- mettes à des prix abordables, la majorité d'entre eux ont dû. se tourner vers des produits de remplacement, tels que châlets préfabriqués, caravanes, mobilhomes et autres. Ce sont ces contructions érigées en dépit de toutes règles d'urbanisme et d'environnement qui posent, pour l'instant, un pro- blème crucial.,. (Ministère des Travaux Publics, 1974: 5).

En 1970 déjà, le Commissaire Général au Tourisme s'inquiétait: eOn ne compte plus les sites violés, bariolés de couleurs hurlantes, injuriés de matériaux odieux, avilis par des constructions ou des implantations proprement monstrueuses (... ) Ce qu'il faut, c'est que quelques dizaines de milliers de Belges moyens, propriétaires de terrains grands, petits ou minuscules, cessent de galvauder eux-mêmes notre héritage, au nom de leur seul et monstrueux égoïsme, de leur prétention à placer leur préten- tieuse personne loin au-dessus des lois les plus élémentaires de la vie en société.,. (A. Haulot, 1970: 712)

Dans cet esprit, certaines mesures réglementaires ont été prises, qui ont suscité des mouvements de revendication parmi certains milieux de seconds résidants et, particulièrement, de campeurs (c'est ce qui s'est passé, par exemple, à propos du camping de Freyer, qui, situé au sommet d'une colline dominant la vallée de la Meuse, e gâchait » le paysage pour les villas situées sur l'autre rive!)

Sans doute ici encore peut-il sembler au lecteur que nous sommes loin des c mouvements sociaux urbains ,.: nous pensons, quant à nous, qu'il n'en est rien et qu'au contraire, c'est le même problème de l'appropriation de l'espace qui se pose dans ce cadre comme dans les villes, le problème des secondes résidences étant d'ailleurs un effet direct de la dégradation de l'environnement urbain.

3. Proposition d'alternatives d'aménagement

A côté de la préservation du patrimoine architectural et de la protection de l'environnement, qui constituent deux thèmes d'enjeux à caractère global, suscitant l'intervention d'associations non locales et de groupements poli- tiques, on relève, en Belgique francophone, un certain nombre de mouve- ments visant à proposer des alternatives à des projets officiels d'aména- gement.

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C'est le cas, par exemple, dans le cadre liégeois, de la Jeune Chambre Economique, de l'A.S.B.L. «Visage de Liègeli> et de la TRAL (Table Ronde des Associations liégeoises pour l'urbanisme et l'aménagement du territoire), qui se donnent pour tâche d'évaluer les projets d'aménagement de Liège, non seulement dans leur matérialité, mais aussi dans l'idéologie qu'ils sous-tendent; suite à cette analyse critique, ils formulent des propo- sitions alternatives de plans qui se veulent en même temps des alternatives de société, prônant, entre autres, l'appropriation collective de certains espaces urbains et la participation de la population à la définition de la politique urbaine.

C'est le cas également de «l'Assemblée pour un Concile des Wallons et des Bruxellois" (<<groupe de chrétiens qui optent concrètement pour la construction d'une société socialiste»), qui revendique l'information des citoyens en matière d'urbanisme, le contrôle par ceux-ci des manda- taires publics dans la gestion communale et la lutte contre la spéculation foncière et contre la collusion entre mandataires publics, groupes financiers et promoteurs immobiliers.

C'est encore le cas de groupes tels que l'ARAU (Atelier de Recherche et d'Action Urbaines) ou l'ANAWIM qui, s'ils se préoccupent de di- vers cas concrets, essentiellement dans le contexte bruxellois, ont une visée plus large et formulent des propositions applicables dans d'autres contextes et prenant place dans le cadre d'une certaine idéologie. Ainsi, le groupe ANAWIM a-t-il démontré qu'en restaurant d'anciens quartiers (indépendamment de la valeur historique de ceux-ci), on pouvait loger, pour un moindre coût, un nombre de personnes plus grand qu'en construi- sant des immeubles en hauteur.

De telles revendications et propositions se situent - comme le remarque très justement C. M. et A.W. dans l'article précité - dans un courant que l'on peut qualifier de technocratique en ce sens que, visant à lutter contre «l'incohérence apparente du système urbain (. ..), ils fournissent des projets alternatifs dont l'originalité est de modifier les données tech- niques. Le débat sur la question urbaine est réduit à une discussion de spécialistes (... ) et ces groupes situent leur action entre le travail mené à la base par des groupes d'action et les pouvoirs publics vis-à-vis desquels ils se situent en interlocuteur privilégié. "

Aini, par exemple, la Jeune Chambre Economique de Liège a-t-elle été invitée par le précédent gouverneur de la province «à participer (. ..) aux travaux du groupement provincial liégeois du Conseil Economique Wallon qui constitue une structure adéquate vers laquelle convergent désormais les efforts de tous les milieux intéressés à l'élaboration et à la mise en œuvre d'un programme d'expansion régionale ".

Ainsi encore ,des membres de cette même Jeune Chambre Economique ont-ils rencontré à diverses reprises l'Echevin des Travaux de la ville de Liège en vue de lui expliciter les critiques qu'ils formulaient à l'encontre du plan d'aménagement de la place St-Lambert et de lui soumettre des propositions alternatives élaborées par des techniciens de l'urbanisme.

Ajoutons qu'en outre, des membres de cette organisation se sont chargés d'informer la population de certains quartiers faisant l'objet d'un projet

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de rénovation, du contenu et des incidences de ces projets et des moyens légaux disponibles, soit pour en entraîner la révision, soit pour amener les autorités à y renoncer.

On peut s'interroger sur la signification de tels mouvements, dont les membres se recrutent essentiellement dans les milieux de cadres supérieurs (ou partiellement tels) - issus soit de la bourgeoisie traditionnelle, soit de ce que l'on pourrait appeler «la nouvelle bourgeoisie" et, en particulier, du monde syndical - et qui jouent à la fois de leur capacité technique et de leur réseau de relations pour opposer aux pouvoirs établis des argu- ments tant techniques qu'idéologiques en vue de la mise en place d'un

« urbanisme démocratique », Cette interrogation nous amène à nous attar- der quelque peu sur le problème de la base sociale et de la force sociale.

Les mouvements urbains en fonction de la

base sociale et de la force sociale

Si l'on se réfère aux analyse de Castells (1972: 398-438), on peut définir la base sociale comme étant constituée par les populations ré- sidant dans le quartier concerné et se trouvant donc directement impli- quées dans le problème qui se pose; quant à la force sociale, elle est composée de tous ceux qui se mobilisent effectivement, qu'ils appartiennent ou non au quartier.

D'une manière générale, on peut dire qu'en Belgique francophone, les mouvements urbains surgissent, la plupart du temps, dans des quartiers de type populaire, où l'habitat est ancien et peut facilement être classifié comme taudis - ce qui autorise la mise en œuvre du processus légal de

" rénovation ". Si la base sociale est assez socialement homogène (quoi qu'elle se décompose souvent en deux groupes: une vieille population régionale et une population plus jeune d'immigrés), il n'en va pas de même en ce qui concerne la force sociale qui, elle, est de type pluraliste avec, fréquemment, une surreprésentation des cadres et des intellectuels.

Ce sont ces deux modes de composition que nous allons expliciter ici brièvement.

A. La base sociale

Appartenant généralement aux couches populaires, la base sociale exprime des revendications de type immédiat: demandes d'équipements for- mulées en termes concrets, protestation contre la hausse des loyers, ...

Lorsqu'elle s'organise, c'est très souvent autour de ses «leaders naturels"

et elle récolte son information chez les commerçants et en particulier dans les cafés, qui deviennent des sortes de "quartiers généraux" des mouvements. Quand elles s'expriment, les revendications prennent la forme d'actions axées, soit sur la démonstration de force, soit sur «la fêtelt.

Lorsque la base sociale est plus hétérogène et compte dans ses rangs des représentants des couches moyennes, les revendications tendent à s'élargir et les actions menées s'orientent davantage vers des processus de négociation, basés sur une meilleure information, tant au niveau des

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projets concernant le quartier qu'au niveau des droits des habitants; ces processus sont alors souvent enclenchés sur base de relations personnelles.

B. La force sociale

La force sociale peut se subdiviser en deux sous-groupes: d'une part, une spécification de la base sociale; d'autre part, des éléments externes.

Une récente enquête réalisée dans le quartier du Petit Saint-Jacques à Nivelles (Th. Snoy, 1975) a permis de faire les constatations suivantes quant au type de population résidante qui se mobilise:

- les habitants les plus actifs sont ceux qui appartiennent aux groupes sociaux les plus élevés représentés dans le quartier; la force sociale est donc largement décalée vers le haut par rapport à la base sociale ; - plus est élevée l'appartenance sociale, plus la revendication prend la

forme d'une action individuelle (même si l'objectif est collectif) ; - les propriétaires sont plus actifs que les locataires; les hommes et les

jeunes sont plus actifs que les femmes et que les personnes âgées ; ce sont les habitants exerçant une activité professionnelle et disposant du moins de temps libre qui se révèlent les plus actifs dans les mouve- ments revendicatifs (il serait intéressant, à ce propos, de se demander si ces habitants actifs sont en majorité des travailleurs engagés dans la lutte sociale au plan de la vie professionnelle ou, au contraire, s'il s'agit de travailleurs passifs à ce niveau, qui ne s'engagent dans la voie des revendications qu'au plan local) ;

- plus l'intégration au quartier est forte, plus est élevée la participation revendicative et plus celle-ci s'accroît après information;

- une fois diffusée une information concernant les problèmes du quar- tier, la participation s'accroît chez ceux qui étaient déjà actifs dans le mouvement alors qu'elle décroit chez les autres.

A la fraction active de la population résidante, viennent se joindre des personnes ou des groupes extérieurs au quartier, que l'on peut essentielle- ment regrouper en trois catégories:

- des personnes appartenant aux classes supérieures traditionnelles et aux organisations ouvrières ; parmi ces personnes nombreux sont les étu- diants - en particulier architectes, sociologues, assistants sociaux - qui font partie des comités d'action et souvent, viennent habiter dans le quartier; leur but explicite est d'aider une population démunie, et matériellement et culturellement, de la rendre consciente de son aliéna- tion et de la réalité des intérêts mis en jeu; de l'aider à exprimer ses revendications et à utiliser ses droits. Par ailleurs, explicitement ou non, un certain nombre de ceux qui viennent habiter dans ces quartiers po- pulaires traduisent ainsi leur nostalgie d'un mode de vie communau- taire et leur allergie à la conception actuelle de l'habitat urbain et à l'anonymat qu'il engendre.

des personnes ou des groupes d'animation culturelle, et, spécifiquement, les «maisons des jeunes» et les cmaisons de la culture s, que l'on voit souvent se décentraliser pour venir travailler dans les quartiers (on a vu, par exemple, que c'était le cas à l'Allée Verte à Jumet) ; en outre,

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la radio-télévision joue souvent également un rôle actif dans ces mouve- ments, ne serait-ce qu'en en assurant la publicité par des reportages et des débats;

enfin, si l'Eglise institutionnelle intervient peu dans les mouvements ur- bains (c'est de temps à autre le cas, comme à Boendal, par exemple, où les écoles catholiques ont joué un rôle central dans l'organisation de la «fête» de mai 1974), des chrétiens et des prêtres dits «de gauche»

sont présents dans quasiment tous les mouvements urbains et y jouent, la plupart du temps, un rôle décisif. On notera encore que le périodi- que «Informations pastorales liégeoises ", organe officiel de la pastorale d'ensemble liégoise, ouvre largement ses colonnes aux comités de quar- tiers (cfr, par exemple, les numéros 8 de décembre 1974 et 9 de février- mars 1975) et lance un appel à tous, «laïcs, aumôniers de mouvements, prêtres de paroisse s pour qu'ils rejoignent les associations de quartiers, car «tout chrétien soucieux de servir le monde y trouve une occasion de collaboration dans une action pluraliste ». Les arguments mis en avant par ce milieu sont de trois types: humanitaires tout d'abord

libération de tous ceux qui ne se sentent pas reconnus ou sont op- primés s), idéologiques ensuite (<<la rente apparaît comme facteur dé- terminant de l'urbanisation, ce qui nous amène à contester le caractère inviolable et sacré de la propriété privée après Saint Thomas d'Aquin et... Marx »), techniques enfin (étude de l'infrastructure routière, choix de priorités dans les équipements sociaux, ... ).

Un trait commun permet de caractériser ces différents acteurs externes au quartier et de résumer le but et les moyens de leurs interventions: ils in- corporent un discours technique à la formulation d'un projet social nou- veau, reposant sur une alternative de société à fondement idéologique ex- plicite. Une telle démarche peut contenir en elle certains risques: ou bien elle peut être non compréhensible par les habitants du quartier, soit parce qu'elle se place dans une perspective temporelle plus large que celle envisa- gée par ceux-ci, soit parce que le langage qu'elle utilise et qui peut être in- dispensable pour une action extérieure repose sur des termes que le groupe directement concerné ne maîtrise pas ; ou bien encore elle risque de dé- placer progressivement le lieu du conflit en faisant en sorte que le problème échappe à la population concernée et à sa logique même.

n. -

La logique objective des «mouvements sociaux urbaias » Alors que la logique intentionnellle des acteurs peut être définie comme étant l'ensemble des «différents éléments à partir desquels les acteurs orga- nisent leur pratique et la valorisent », la logique objective «révèle les rap- ports objectifs entre les acteurs s et permet d'analyser les pratiques et leurs résultats indépendamment de l'intention des acteurs (J. Remy, 1973: 7).

C'est cette logique objective que nous allons tenter de dégager, au-delà des objectifs explicites des acteurs.

Une première question se pose au départ de cette réflexion: les luttes ur- 446

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baines qui se multiplient peuvent-elles êtres qualifiées de mouvements so- ciaux ,., autrement dit, sont-elles articulées à la lutte des classes, remettent- elles en cause «le système de production et la domination politique des classes dirigeantesî » (M. Castells, 1972: 129).

A lire Touraine, on pourrait croire que les «mouvements sociaux»

d'aujourd'hui, parmi lesquels les luttes urbaines, marquent à ce propos un tournant en mettant «fin à la séparation entre la revendication sociale et l'action politique. (... ) Les soulèvements populaires ont toujours été jugés, dit-il, comme le signe de conflits ou de contradictions, mais incapables de porter leur propre sens. Parce que les faits sociaux étaient toujours placés dans la dépendance d'une catégorie supérieure de faits, les mouvements sociaux devaient être subordonnés à une action extérieure à eux et dont la poussée les élevait au niveau méta-social. Plus concrètement, les mouve- ments populaires n'étaient que l'accompagnement de la crise des anciennes classes dirigeantes et de la montée des nouvelles (c'est nous qui soulignons), leur grandeur ne venant que de la force de la répression qui constam- ment les écrasait. (... ) Le plus nouveau n'est-il pas de voir jaillir de par- tout, des lieux les plus éloignés en apparence du pouvoir politique ou éco- nomique, des contestations qui débordent de loin les revendications et les réformes? A partir de la crise urbaine (... ) des mouvements de base se créent, qui ne constituent pas la matière première d'une action politique, qui sont directeument politiques tout en ne pouvant pas se substituer à l'in- tervention autonome de la stratégie des partis. Comment ne pas reconnaître l'importance de ce renversement dans la pratique sociale? Les mouvements sociaux étaient subordonnés à l'action politique et doctrinale, c'est au- jourd'hui la stratégie politique, institutionnelle, qui apparaît comme subor- donnée à des mouvements sociaux et culturels qui mettent directement en cause l'action de la classe dirigeante et ses appuis politiques.,. (A. Tou- raine, 1974: 153-156).

Si nous pouvons nous rallier à l'avis de Touraine en admettant qu'au- jourd'hui certains mouvements urbains, surgis de la base, interpellent la classe dirigeante, nous nous écartons de son point de vue à un double ni- veau; tout d'abord, nous pensons qu'en Belgique la plupart des luttes ur- baines ne sont pas directement politiques et qu'elles ne le deviennent que dans la mesure où elles sont prises en charge par des éléments appartenant aux classes dirigeantes, traditionnelles (bourgeoise, intellectuels,... ) ou nou- velles (c'est-à-dire essentiellement syndicales); ensuite, et en liaison avec cette affirmation, nous pensons, contrairement à Touraine, que, comme le faisaient les mouvements populaires d'autre fois, la plupart des luttes urbaines d'aujourd'hui traduisent la crise des anciennes classes dirigeantes et la montée des nouvelles, souvent issues d'une fraction dissidente des an- ciennes. Expliquons-nous sur cette double affirmation.

A. Les luttes urbaines ne sont pas directement politiques

Le premier élément qui vient freiner la politisation des luttes urbaines est à chercher dans l'existence d'un écran idéologique sur l'urbain - lui- même doublement explicable. Tout d'abord, à la différence de ce qui se

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passe dans l'entreprise, «l'adversaire» auquel s'opposent les habitants n'est pas directement saisissable et, la plupart du temps, il est multiple - c'est à la fois la commune, l'Etat, un promoteur, une banque, ... - et difficilement personnalisable. En outre, alors que toute opposition patron-travailleurs est assez automatiquement traduite en termes de contradictions d'intérêts et de conflit de classes, les difficultés rencontrées à propos de l'espace s'expri- ment et sont ressenties la plupart du temps en termes d'enjeux concrets et non en termes d'approriation inégale de l'espace, de surprofit, ... (M. Cas- tells et F. Godard, 1974). En deuxième lieu, le caractère piuriclassiste de la plupart des luttes urbaines - caractère qu'elles doivent, soit à la base so- ciale, soit à la force sociale, soit à la conjonction des deux - crée facile- ment l'illusion de l'identité des intérêts et de la similitude de l'enjeu, alors qu'en fait, chaque classe représentée, sinon chaque fraction de classe se mo- bilise, à travers un même objet matériel, autour d'une revendication spéci- fique. Ainsi, une étude effectuée dans la région parisienne a-t-elle montré qu'une lutte urbaine pour la cogestion d'un grand ensemble rassemblait des ouvriers mécontents de la hausse des charges locatives et des cadres dé- sireux de protéger leur environnement; parmi ces derniers, qui tous récu- saient la construction, à proximité de leur logement, d'une route à grande vitesse, il fallait encore distinguer entre les locataires, généralement des jeunes ménages, craignant pour la sécurité de leurs enfants, et les proprié- taires, plus âgés, redoutant la dévalorisation de leur bien suite au bruit pro- voqué par la circulation rapide. Absence de sentiment d'une opposition de classe et illusion de l'identité des intérêts et des revendications - tel est donc le premier frein à la politisation des luttes urbaines.

Il en est un autre qui est dû à la carence d'organisations politiques et de mesures légales favorisant l'action au plan local. Certes l'institutionnel dis- pose de tout un arsenal ouvrant, théoriquement au moins, la voie à la prise en charge, par les habitants, de leur environnement. Ainsi la loi communale prévoit-elle divers moyens légaux d'information: communication aux ha- bitants des délibérations du conseil communal (art. 69), rapport sur la si- tuation des affaires de la commune (art. 70), etc. Ainsi encore diverses lois particulières prévoient-elles, dans la procédure décisionnelle, la con- sultation obligatoire des personnes concernées; on peut citer ici l'arrêté du Régent du Il février 1946 sur les établissements dangereux, insalubres, in- commodes, la loi du 29 mars 1962 sur les plans régionaux et les plans de secteur, la réglementation concernant les plans communaux, la loi du 22 décembre 1970 modifiant la loi du 19 avril 1962 sur les permis de bâtir et de lotir, etc. Pour impressionnants qu'ils soient, ces moyens sont ineffi- caces; tout d'abord ils parlent d'information et non de participation et lorsqu'ils requièrent l'avis du citoyen, ils ne lui donnent pratiquement pas la possibilité d'utiliser ce droit, ne serait-ce que par la difficulté que toute personne, non formée à cela, rencontre à lire un plan ou une maquette, à comprendre un jargon de spécialiste et à imaginer les incidences proches et lointaines, tant dans le temps que dans l'espace, d'un aménagement ur- bain présenté souvent de façon ambigue (cfr, par exemple, les critiques fai- tes à l'avant-projet du plan de secteur de l'agglomération bruxelloise par

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