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Les religions en Allemagne entre revendication identitaire et immigration

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Academic year: 2021

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Submitted on 9 Dec 2019

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Les religions en Allemagne entre revendication identitaire et immigration

Pierre Baudry

To cite this version:

Pierre Baudry. Les religions en Allemagne entre revendication identitaire et immigration. Bulletin de l’observatoire du religieux, CERI Sciences Po, 2019. �hal-02400836�

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« Les religions en Allemagne entre revendication identitaire et immigration », Pierre Baudry1, agrégé d’allemand, enseignant l’Université de Tours, tous droits réservés.

Les religions en Allemagne entre revendication identitaire et immigration

Pierre Baudry, agrégé d’allemand, enseignant à l’Université de Tours, GSRL (EPHE/CNRS).

L’Allemagne connaît une vague indéniable de sécularisation tout comme l’ensemble des pays occidentaux. La baisse de la pratique religieuse, le recul du référent chrétien dans l’ancien pays de Martin Luther et les mutations dans le rapport à la croyance sont évidents outre-Rhin. Pourtant même si ce constat demeure vrai dans l’ensemble, il est caractérisé par deux paradoxes. Le premier est relatif au christianisme en Allemagne, le second aux minorités musulmane et juive.

Le premier paradoxe tient à la place du christianisme qui d’acteur social et caritatif devient de plus en plus un référent identitaire et d’exclusion. Les Eglises allemandes – nous reviendrons sur ce pluriel – possèdent en effet un poids évident dans la société allemande par leur action caritative, sociale et qui est garanti par une législation qui leur accorde un statut relativement favorable. L’Eglise catholique et les Eglises protestantes sont des acteurs sociaux de premier plan face à une société allemande qui se dit pourtant de moins en moins chrétienne. Cependant, c’est aussi la transformation de la place du christianisme dans la culture politique outre-Rhin qui nous intéressera. Invoquée comme un élément d’une culture politique post-totalitaire en l’Allemagne de l’Ouest après 1945, la tradition chrétienne devient de plus en plus un thème identitaire entre les mains du parti populiste Alternative für Deutschland (AfD) depuis 2013. La question à poser est alors la suivante : comment peut-on expliquer que la religion chrétienne semble ainsi hésiter entre engagement social et politique identitaire ?

Le deuxième paradoxe est celui des flux migratoires qui ont à la fois transformé l’Allemagne, mais qui lui ont aussi permis de voir renaître la communauté juive victime du national-socialisme. Les migrations en Allemagne ont en effet permis la renaissance de la communauté juive persécutée par l’afflux de populations d’origine allemande venant des anciens pays du bloc de l’Est. Grâce au droit du sang, ces descendants d’immigrés allemands partis en Europe centrale, ont pu obtenir la nationalité allemande relativement facilement dès les années 1990. Mais dans le même temps, l’immigration de travailleurs venant de Turquie notamment a permis l’émergence d’une communauté musulmane. L’immigration a ainsi contribué à modifier le paysage religieux allemand.

Penchons-nous d’abord sur la situation du christianisme dans la société et la vie politique avant de nous pencher sur la place des minorités religieuses, juive et musulmane.

1) Les Eglises chrétiennes et les partis démocrates chrétiens, des acteurs centraux dans une société sécularisée

L’Allemagne moderne est une nation tardive qui acheva son unité bien plus

tardivement que la France. C’est en effet en 1870/1871 que la Prusse – royaume

majoritairement luthérien, mais dirigé par un roi calviniste – parvient à faire l’unité des

territoires allemands. Or, le nouvel empire – Reich – était dans sa très large majorité un Etat

protestant dominé par les grands propriétaires terriens prussiens et la haute bourgeoisie

industrielle réformée. Les catholiques n’étaient qu’une minorité vue sous un œil plus ou

moins favorable par le pouvoir. Néanmoins, la situation du catholicisme et du protestantisme

changea de manière évidente au fur et à mesure des années. Le christianisme politique fait

ainsi partie du paysage politique depuis la création du parti catholique, le Zentrum en 1870

tandis que la bourgeoisie protestante votait pour les partis libéraux. Mais le vrai tournant eut

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« Les religions en Allemagne entre revendication identitaire et immigration », Pierre Baudry2, agrégé d’allemand, enseignant l’Université de Tours, tous droits réservés.

lieu après 1945, lors de la création des partis démocrates-chrétiens, CDU/CSU (Christlich Demokratische Union, Christlich-Soziale Union) sous la houlette de Konrad Adenauer. Les démocrates-chrétiens participèrent à la stabilisation de l’Allemagne de l’Ouest non seulement en réussissant à réunir l’ensemble de l’électorat catholique et protestant, mais aussi en proposant une offre politique conservatrice favorable à la démocratisation de l’Allemagne.

Quant aux Eglises chrétiennes, elles ont obtenu un rôle institutionnel de plus en plus significatif tout au long du XXème siècle. Caritas – regroupement d’associations catholiques – et Diakonie – son équivalent protestant – assument un rôle social très étendu qui va de la gestion de crèches, à des services d’aides aux plus pauvres en passant par des maisons de retraite. Le nombre d’employés des Eglises est ainsi passé de 100.000 à 600.000 personnes en raison d’un retrait relatif de l’Etat et d’un besoin important de personnels prenant en charge les personnes âgées. Selon le rapport annuel publié par Caritas en 2012, ce sont presque 559,526 personnes qui sont employées par l’Eglise à des fins sociales et éducatives faisant de Caritas le premier employeur privé. Avec Diakonie, les deux Eglises sont devenues le second employeur outre-Rhin juste après l’Etat. Cette situation, inimaginable en France en raison de la loi de 1905, fait que la société allemande délègue au niveau des associations religieuses des fonctions sociales gérées par l’Etat en France. Cependant, la sécularisation se fait sentir en Allemagne comme ailleurs en Occident. Le niveau de pratique religieuse baisse en effet de manière tendancielle. La pratique dominicale passa ainsi de 50% à 20% de la population en 1950 à 2010 selon les chiffres fournis par l’Eglise catholique.

Mais cette description du rôle social des Eglises doit être relativisée. Depuis le début des années 2000, des contestations apparaissent de plus en plus nettement remettant en cause le rôle prééminent des Eglises face à une sécularisation évidente. L’introduction du mariage homosexuel montre l’évolution des mentalités outre-Rhin, marquant l’éloignement entre les transformations de la société et les idées conservatrices de l’Eglise catholique.

De plus, le christianisme a changé de signification. Il est de plus en plus interprété par certains hommes politiques comme un élément essentiel de la « culture de référence » (Leitkultur). Selon eux, les immigrés doivent se plier à la culture historique et constitutive de l’Allemagne. Mais l’idée d’une « culture de référence » a connu une radicalisation au début des années 2010 avec l’émergence du parti anti-élite et anti-étrangers, Alternative für Deutschland. Ce dernier insiste dans son programme de 2016 sur le fait que « l’islam n’appartient pas à l’Allemagne ». Insistant sur la mémoire chrétienne de l’Occident, l’AfD insiste sur des valeurs identitaires excluant explicitement les musulmans. Ce parti rencontre un succès incontestable depuis l’afflux de réfugiés et de migrants en 2015 suite aux conséquences de la guerre civile en Syrie et de l’avancée de l’Etat islamique. La ligne politique de l’AfD et de son orientation anti-islam explique le succès de ce parti au parlement allemand en 2017, une première pour un parti xénophobe en Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

2) L’immigration et la figure changeante du paysage religieux en Allemagne : l’islam et le judaïsme outre-Rhin

Cette position contraste clairement avec les évolutions de l’Allemagne autour de

l’immigration et des minorités religieuses. Depuis les années 1950, l’Allemagne de l’Ouest

avait en effet connu une immigration de travail importante. Venant de l’Europe du Sud puis

de Turquie, cette main-d’œuvre émigra en raison de la forte croissance économique ouest-

allemande. L’Allemagne passa de nombreux accords bilatéraux avec des pays du Sud de

l’Europe et avec la Turquie, ce qui explique dans ce dernier cas l’apparition d’une minorité

musulmane en Europe. Après 1961, ce furent ainsi 900.000 travailleurs turcs qui vinrent en

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« Les religions en Allemagne entre revendication identitaire et immigration », Pierre Baudry3, agrégé d’allemand, enseignant l’Université de Tours, tous droits réservés.

RFA avant de s’installer pour certains d’entre eux de manière définitive suite à la crise pétrolière des années 1970.

Autre tournant dans le paysage religieux et migratoire allemande : l’arrivée massive d’immigrés après la fin de la Guerre froide autour des années 1990 et 2000. La chute du mur de Berlin provoque un afflux massif de réfugiés venant d’Europe centrale et de l’Est. Or, traditionnellement, la constitution allemande depuis la fin de la guerre assure une protection très large aux réfugiés. De plus, beaucoup de ces immigrés avaient des ancêtres allemands remontant parfois au XVIIème ou XVIIIème siècle. Ceci explique les chiffres importants observables dans les années 1990. Le nombre des demandeurs d’asile passa ainsi de 120.000 en 1989, à 190.000 en 1990, 260.000 en 191.000 et 440.000 en 1992. Le nombre d’Européens de l’Est d’origine allemande atteint en 1988 le nombre de 200.000. Il fut en 1989 de 390.000 et en 1990 de 400.000. C’est cette arrivée de nouveaux immigrés qui permit la recréation d’une communauté juive en Allemagne.

Mais une modernisation du droit de la nationalité apparaissait comme nécessaire aux yeux d’une partie de l’opinion publique et des élites allemandes, et ce fut la gauche allemande qui l’entreprit sous Gerhard Schröder. L’Allemagne vota ainsi une loi introduisant en l’an 2000 le droit du sol. Une deuxième loi votée en 2005 qui représente la loi sur l’immigration la plus ambitieuse votée à ce jour. Elle établit les finalités de l’immigration – en grande partie économique – mais les aussi à une politique d’intégration ambitieuse. La droite mit en place une politique visant une meilleure intégration de la minorité musulmane. La plus notable est la création de la « conférence de l’islam » (Islam-Konferenz) qui rassemble les représentants et associations musulmanes autour du ministre de l’Intérieur afin de débattre des valeurs communes, de la séparation entre la religion et l’Etat. D’autres mesures furent prises comme la création de l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés (Bundesamt für Migration und Flüchtlinge) qui centralise les demandes d’asile, le traitement statistiques de l’immigration et gère la politique migratoire.

Mais la transformation la plus significative par rapport à l’histoire allemande tient sans doute à la renaissance d’une communauté juive outre-Rhin. Le génocide juif avait coûté la vie à six millions de Juifs d’Europe. Après la guerre, nombre de survivants décidèrent de partir aux Etats-Unis ou en Israël ne voulant plus demeurer en Europe. La RFA mis en place une politique de rapprochement et de réparation envers Israël sous l’impulsion de Konrad Adenauer, mais le tournant majeur dans le paysage religieux n’eut lieu que dans les années 1990. La communauté juive regagna alors en ampleur. Cette renaissance fut rendue possible grâce à la venue de Russes juifs, mais qui avaient des ancêtres allemands. Des synagogues furent reconstruites, les études juives sont en progrès dans plusieurs universités allemandes.

Le Conseil central des Juifs en Allemagne (Zentralrat der Juden in Deutschland, revendique désormais 105.000 membres. Mais les problèmes d’intégration sont là aussi importants. La culture judéo-allemande d’avant guerre a disparu de manière définitive depuis 1941. Les nouveaux membres de la communauté juive ont eu des difficultés pour apprendre l’allemand et pour s’intégrer dans une société très différente de l’Europe centrale et de la Russie.

Conclusion

Lointaine est donc l’époque où le chancelier Helmut Kohl pouvait déclarer que l’Allemagne n’était pas un pays d’immigration. Ce sont au contraire les phénomènes migratoires qui ont été à l’origine des transformations du paysage religieux outre-Rhin.

Apparition d’une communauté musulmane et juive, tournant identitaire au sein des partis

politiques : toutes ces réalités sont liées autant à l’immigration qu’à la religion. Il n’en reste

pas moins que le christianisme en dépit du recul de la pratique et du référent chrétien dans la

culture commune demeure la première religion d’Allemagne comme le montre sa prégnance

au sein des partis politiques et des institutions d’entraide et sociale.

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