L E S Y S T È M E P O L I T I Q U E C H I N O I S DANS LE MOUVEMENT D'ÉDUCATION SOCIALISTE
1962-1966
PUBLICATIONS
DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS I _ PANTHÉON - SORBONNE SÉRIE SCIENCE POLITIQUE — 4
LE SYSTÈME
POLITIQUE CHINOIS
DANS LE MOUVEMENT D'ÉDUCATION SOCIALISTE
1 9 6 2 - 1 9 6 6
YVES VILTARD
PRÉFACE DE MICHEL LESAGE Professeur à l'Université de Paris I
P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S DE FRANCE 108, Boulevard Saint-Germain, Paris
L'Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne n'en- tend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce volume. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
Dépôt légal. — 1 édition : 2e trimestre 1975
© 1975, Presses Universitaires de France Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation
réservés pour tous pays
Avec la Révolution Culturelle, la Chine a suscité un grand intérêt en Occident. De nombreux ouvrages sur la Chine, émanant de journalistes, d'hommes politiques, d'universitaires, ont été publiés. Les motivations de leurs auteurs ont été extrêmement variées — engagement politique ou simple curiosité intellectuelle —, mais la plupart de ces études étaient relatives à la Révolution Culturelle et elles ont beaucoup plus souvent été une chronique des luttes politiques qu'une analyse systématique.
L'étude du système politique de la République populaire de Chine se heurte souvent à de sérieux problèmes de documentation. Le mode de publi- cation des documents politiques en Chine est régi essentiellement par des considérations internes et l'observateur étranger n'a généralement à sa dispo- sition que des sources fragmentaires : éditoriaux de la presse centrale, repor- tages publiés par la presse ou diffusés par les radios centrales et régionales, témoignages recueillis par des visiteurs étrangers lors de voyages.
Le Mouvement d'Education Socialiste que M. Yves Vittard a choisi pour étudier le système politique chinois fait exception. Les directives relatives à l'orientation de ce mouvement ont fait l'objet de quatre versions successives. Les autorités de Taiwan en ont eu connaissance et elles les ont rendues publiques. La comparaison de ces quatre versions permet d'étudier différents aspects du système politique chinois, à une époque particulièrement intéressante, car, comme l'écrit M. Vittard en analysant les caractéristiques du mouvement, « on voit à quel point le Mouvement d'Education Socialiste contenait tous les éléments qui aboutiront à la grande explosion de la Révo- lution Culturelle ».
Mao Tsé-tung a annoncé en septembre 1962, lors de la 1 0 session plénière du Comité Central du Parti communiste chinois, qu'il fallait entre- prendre un Mouvement d'Education Socialiste. A la suite des résistances qui s'étaient manifestées en Chine au moment du Grand Bond en Avant et du mouvement des communes populaires et en raison de l'évolution économique et politique de l'Union Soviétique dans les années 1960, Mao Tsé-tung a
eu la conviction que « la société socialiste s'étend sur une période historique bien longue, au cours de laquelle les classes, les contradictions de classes, les contradictions entre les classes et la lutte des classes continuent à exister tout comme subsistent la lutte entre la voie socialiste et la voie capitaliste ainsi que le danger de restauration du capitalisme. Il faut comprendre que celle lutte sera longue et complexe. Il faut redoubler de vigilance, entreprendre un Mouvement d'Education Socialiste » (1).
L'objet même de ce Mouvement d'Education Socialiste, la définition de ses objectifs, la nature des transformations qu'il a pour but d'entreprendre dans la société chinoise ont fait l'objet de discussions et de conflits au sein des organes dirigeants du Parti. Les 10 points de mai 1963 rédigés par Mao Tse-tung, les 10 points de septembre 1963 et leur version révisée de septembre 1964 ont conduit aux 23 points de janvier 1965 dans lesquels Mao Tse-tung annonce que le Mouvement vise ceux qui détiennent des postes de direction et se sont engagés dans la voie capitaliste.
L'étude du Mouvement d'Education Socialiste permet de mettre en lumière deux points particulièrement sensibles du système politique chinois : la situation des cadres locaux et le système des organisations politiques et sociales.
Les cadres locaux sont l'intermédiaire entre les cadres supérieurs et la population. Comme l'écrit M. Viltard, « chargés d'appliquer les directives du Parti, et d'autre part en contact permanent avec la population, ils subissent à la fois un contrôle serré des autorités supérieures qui luttent contre les particularismes locaux et, d'autre part, ils risquent de se couper de la population lorsque la politique centrale se heurte à certains intérêts paysans ». Tout mouvement important visant à transformer fondamen- talement la société chinoise passe par eux et. avec le Mouvement d'Education Socialiste, M. Viltard montre très bien quelles sont les implications d'un mouvement de rectification visant les cadres locaux.
Le rôle des différentes organisations est un problème aussi délicat. On ne se rend généralement pas suffisamment compte que le phénomène de pluralité d'organisations observé pendant la Révolution Culturelle n'était pas un phénomène totalement exceptionnel mais l'extension exceptionnelle d'un phénomène habituel. La société chinoise est gouvernée non pas à l'aide d'un système unique d'organes permanents, mais p a r un système dualiste d'organes permanents et d'organes spécialement constitués pour animer les différentes campagnes politiques. Dès 1943, dans la décision du Comité Central du Parti « à propos des méthodes de direction », Mao Tse-tung expliquait qu'il était « nécessaire, au cours même du mouvement, de former dans chaque unité un groupe dirigeant composé d'éléments actifs réunis
(1) Mao Tse-tung, cité par Drapeau Rouge, n° 0-1967, Pekin information, 1967, n° 26, p. 29.
autour du principal responsable » (1). Quelles sont les relations de ce groupe avec les organes permanents et avec les organisations de travailleurs ? P a r l'étude des relations entre les équipes de travail, les organes supérieurs et les associations paysannes M. Viltard montre comment les conflits appa- raissent et comment ils peuvent être traités.
Pour toutes ces raisons et par la qualité de son travail, l'étude de M. Vil- tard est une contribution très intéressante et utile à la connaissance en France du système politique chinois. C'est en même temps un travail prometteur qui permet de bien augurer de ce que seront l'application et l'approfondisse- ment des mêmes méthodes de recherche à d'autres aspects du système politique chinois et à d'autres périodes.
M i c h e l L E S A G E ,
Professeur à l'Université de Paris I.
(1) Mao TSE-TUNG, Œuvres choisies, t. 3, Pékin, Editions en langues étran- gères, 1968.
A propos du système de transcription des mots chinois :
Nous avons adopté le système de romanisation dit « Wade-Giles » de préfé- rence au système chinois « p'in-yin » qui, peu utilisé en Europe, ne peut que dérouter le lecteur.
Introduction
L'objet de cette étude est de montrer le fonctionnement du système politique chinois au cours d'une période précise : le Mouvement d'Educa- tion Socialiste qui se déroula de 1962 à 1966.
Nous entendons par système politique l'ensemble des relations existant entre les différents acteurs d'une société donnée, dans la sphère politique, ceci par opposition aux relations strictement économiques ou ne relevant que de l'idéologie. Ces relations se déduisent du fonctionement même du système — formulation et application des décisions —, cela à travers des structures ou formes d'organisations.
D'autre part, le Mouvement d'Education Socialiste désigne toute une période historique allant de septembre 1962 à août 1966 concernant l'ensemble de la société chinoise. Il s'agit en fait d'une généralisation, car le Mouvement d'Education Socialiste proprement dit, même s'il fut expérimenté dans les usines et dans les villes, fut avant tout un Mouve- ment à la campagne, et à ses débuts dans des régions extrêmement limi- tées. En fait, c'est une des caractéristiques de la vie politique chinoise que de désigner toute une période historique du nom d'une campagne marquante. Ainsi, pour tous, la Révolution Culturelle de 1966 à 1969, bien qu'ayant comme point de départ et référence constante les problèmes de la culture, dépasse largement ce secteur et s'étend à tous les aspects de la vie en Chine, économique, idéologique, organisationnel et politique, pour aboutir essentiellement à une transformation des structures admi- nistratives et du Parti.
Pourtant, notre étude se portera plus spécialement sur le déroulement du Mouvement à la campagne, étant données les sources dont nous dispo- sons sur cette période. La plupart des grandes décisions du Comité Central ont trait à la situation à la campagne. Ceci découle de la conception politique chinoise, où il est en général mis l'accent sur un seul groupe social à la fois. Comme le dit Schurmann, les trois grands groupes intellectuels, ouvriers et paysans sont toujours considérés de façon successive et si des campagnes parallèles peuvent être menées, celle qui domine ne met l'accent que sur une seule catégorie sociale (1).
Chaque nouvelle phase de l'histoire chinoise comporte en fait une unité fondamentale, qui réside dans la détermination centrale des objec- tifs politiques. Et si l'on observe un mouvement de flux et de reflux qui balaye la société, couche sociale après couche sociale, tout dépend de la décision au plus haut échelon du Parti, ou même des divergences à ce
(1) SCHURMANN, Ideology and organisation, Berkeley, 1966, p. 90.
L'étude du Mouvement d'Education Socialiste, campagne politique menée de 1962 à 1966 auprès des paysans chinois, permet d'approcher concrètement comment, dans le système politique, sont déterminées les orientations, comment les directives qui en découlent sont appliquées ou rejetées par les différentes couches sociales, mais aussi comment ces mêmes facteurs transforment à leur tour le système.
C'est à travers la mise en pratique d'une politique donnée — renforcer la conscience idéologique de la population sur « la nature fondamentale des contra- dictions », la lutte de classe sous le socialisme, le rapport théorie-pratique —, que des oppositions ont été mises à jour, aussi bien sur la « ligne de masse » que sur le rôle des cadres de base ou sur les formes d'organisations à mettre en avant pour mener le Mouvement. Ces divergences apparues à tous les niveaux se sont cristal- lisées en une lutte jusqu'au sommet.
« N'oubliez jamais la lutte de classe », c'est par cette formule que Mao Tsé-toung lança le Mouvement en septembre 1962. Ainsi était amorcée une trans- formation profonde dans la vie politique en Chine, et le Mouvement d'Education Socialiste apparaît aujourd'hui comme une véritable « veillée d'armes » avant la grande aventure de la Révolution Culturelle.
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