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Academic year: 2022

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ENTREPRISES, TERRITOIRES & DEVELOPPEMENT

( Pour exemple - Extrait d’interview Scribe-net )

In I nt te er r vi v ie ew w p po ou ur r l la a l le e tt t tr re e d du u d év ve e lo l op pp pe e me m e nt n t l lo oc ca a l l

François Collignon

Directeur ETD

Parole à :

Corinne Larrue

Professeure en aménagement de l'espace-urbanisme à l'Université de Tours - Spécialiste de l'analyse des politiques publiques d'environnement et d'aménagement - Présidente du conseil scientifique du programme national de recherche "politiques territoriales et développement durable" financée par le MEEDAT et PUCA. Depuis janvier 2008, Directrice de l'UMR n° 6173 CITERES (CItés TERritoires Environnement Société) CNRS/Université de Tours.

Compte rendu de l’échange

Paris, le 28 uin 2008

(2)

François Collignon

Je vous propose de partir des questions que vous vous posez. Dans la première question, nous sommes plutôt dans une logique de bilan, de constat ou d’état des lieux sur le développement durable dans les territoires, chez les exécutifs et dans les services techniques.

Corinne Larrue

Considérez-vous que les principes du développement durable sont aujourd'hui correctement appropriés par les élus territoriaux ou par les responsables techniques ? Autant d’un point de vue politique, la notion du développement durable est récurrente, autant d’un point de vue plus « scientifique » je ne suis pas sûre que ce soit une notion stabilisée. Nous allons trouver des traductions divergentes selon les territoires, selon les secteurs, les personnes, par rapport à cette notion de principe du développement durable. Finalement, on peut répondre oui à partir du moment où il y a une réappropriation de cette notion de principe de développement durable par ceux qui vont le porter à l’échelle du territoire. La notion de principe du développement durable n’est pas quelque chose de stable et d’acquis.

François Collignon

C'est approprié, mais de façons diverses. Peut-être faut-il faire une sorte de typologie des manières différentes, parfois antagonistes selon lesquelles cette interprétation est faite.

Corinne Larrue

D’une manière générale, nous pouvons dire que les problématiques du développement durable sont de plus en plus visibles, appropriées, intégrées dans des politiques territoriales, mais il me semble qu’aujourd'hui, elles sont plus appropriées par le staff technique que par le staff politique. Un certain nombre de recherches ont montré que cela vient redessiner les rapports entre élus et techniciens. Le projet de développement durable renforce considérablement le poids du technicien par rapport à l’élu. Le portage politique du développement durable est assez difficile à une échelle locale. Du coup, on a une sorte de flou, et on se tourne plus vers les techniciens pour leur demander ce qu’est le développement durable, ce qu’il apporte, comment il peut être mis en pratique, et cela renforce la vision technique du développement durable.

François Collignon

Le politique veut bien faire sienne l’idée du développement durable, puisque c'est à la mode et tendance aujourd'hui, mais quand il s’agit de la mettre en œuvre, de l’appliquer, il se tourne vers son technicien, vers ses services et il leur fait confiance.

Corinne Larrue

Tout à fait. Alors qu’au départ, le développement durable est d’abord un projet politique.

Nous voyons qu’il y a une sorte de hiatus. Ce n’est pas vraiment porté politiquement, sauf par un certain nombre de représentants de partis politiques, notamment écologiques, mais nous constatons une vraie saisie de cette problématique par le personnel technique. Du coup l’appropriation qui en est faite va dépendre de la sphère technique dans laquelle va se situer le personnel. S’il s’agit de personnes qui sont plus sur l’énergie, nous aurons une appropriation via l’énergie ; si elles sont plus sur les transports, nous aurons une appropriation via les transports etc. L’appropriation est donc diverse. Nous n’avons pas un principe immuable qui va tomber du haut, mais bien une appropriation locale qui conduit à une sorte de patchwork sur le territoire que l’on met sous la bannière du développement durable.

François Collignon

Si vous deviez caractériser le déficit des élus, considérez-vous que c’est un déficit intellectuel, politique ?

(3)

Corinne Larrue

Je dirai que c’est un déficit politique. Le développement durable a été porté plutôt par la sphère technocratique, que ce soit à l’échelle de l’ONU, de la diplomatie, des gouvernements, en France ou à l’étranger. J’ai plutôt le sentiment que c’est un portage plus technique que politique, en tout cas en France. C’est un peu moins vrai dans des pays comme la Norvège ou comme la Suède, mais en France, il y a une sorte de réticence au développement durable. J’ai entendu beaucoup d’élus me dire que le développement durable leur donnait des boutons. Il y a une sorte de suspicion par rapport au développement durable, à la fois comme un portage un peu technocratique, et comme un portage antipolitique. En dehors des partis politiques « verts », que ce soit la droite ou la gauche, on a l’impression que l’appropriation est difficile parce que cela ne renvoie pas à des thématiques politiques jusque-là portées.

Le personnel politique reste soit sur des clivages un peu classiques, soit, à l’intérieur de leur approche politique, sur des problématiques plus anciennes, sur les questions sociales, de redistribution de richesse, de chômage. En revanche, d’un point de vue européen, c’est très porté par la Commission.

François Collignon

Mais encore une fois à un niveau plutôt technique, et perçu comme tel. Est-ce vrai aussi de l’aspect participatif, association des acteurs locaux, de la population, qui est dans la problématique du développement durable ? Est-ce que ce n’est pas quelque chose qui fait peur aux politiques et qui, d’une certaine façon, leur enlève une partie du pouvoir puisqu’on veut associer à la préparation des décisions, sinon à leur prise de décision, beaucoup plus de gens ?

Corinne Larrue

Je ne suis pas sûre que la participation soit associée au développement durable. Il y avait des revendications de participation bien avant le développement durable. Les mouvements municipaux d’action locale datent de bien avant. Il me semble que nous sommes plutôt vers du recyclage via le développement durable, que dans quelque chose de très nouveau.

François Collignon

A priori, cela ne gêne pas les élus.

Corinne Larrue

Il me semble que la question de la participation gêne plus le technicien que les élus, dans le sens où les techniciens ne savent pas faire. Ils ont une gestion technique et on voit bien que la prise en compte de l’habitant, de l’usager, du citoyen est un aspect sur lequel ils ont assez peu de prise et qu’ils ne connaissent pas bien. Du coup, ils ont produit des techniciens de la concertation. Tout ce qui tourne autour de l’application de la démocratie de proximité, la mise en place de comités de quartier etc., a été confié à des techniciens de la concertation. On a un peu dissocié la politique technique et la concertation.

François Collignon

Concertation et communication.

Corinne Larrue

On est plutôt dans la volonté de faire appuyer sa politique par la population que de fonder sa politique sur les desideratas de la population. D’autant plus qu’on a toujours tendance, quand on est technicien, praticien professionnel, à se demander quelle est la légitimité de la parole de celui qui est en face de moi par rapport à la légitimité de mon élu. En revanche, les élus sont plus familiers avec la population. Ils sont là pour défendre leurs électeurs et leur population. Je parle à l’échelle locale ou territoriale, je ne parle pas du gouvernement national. Dans ce cadre-là, les élus sont plus à l’aise. En revanche, ils ont la crainte de perdre leur pouvoir de décision.

(4)

Si on regarde les analyses qui ont été menées sur des processus de concertation associés à des conflits notamment, on constate que l’ouverture des processus de décision a plutôt tendance à renforcer qu’à l’amenuiser. Le renforcer parce qu’il y a une nécessité d’arbitrage.

Et le seul qui est légitime pour arbitrer est l’élu. Cela a tendance à le conforter dans son processus de décision, mais l’oblige à se justifier.

François Collignon

En même temps, cela le met en scène, sur une estrade, et cela lui donne un rôle important.

Corinne Larrue

Bien sûr, mais ce n’est pas toujours perçu par les élus. Ce qu’ils n’aiment pas, en revanche, c’est la justification. C'est-à-dire qu’on les oblige à une justification plus ouverte, plus transparente de leurs projets. Qu’ils n’aiment ou qu’ils n’aiment pas, les élus se rendent bien compte qu’ils sont dans des processus de plus en plus conflictuels où il y a une revendication de la part de la population. Du coup, la concertation, en dehors ou avec le développement durable, est pensée comme une solution alors qu’elle devrait être pensée comme un problème. Il y a une distance entre la manière dont les élus pensent les processus de concertation, dont les techniciens pensent les processus de concertation, et dont les concertés pensent ces processus de concertation.

François Collignon

Donc, nous nous trompons un peu les uns les autres. Nous en avons une représentation différente et nous en attendons des résultats distincts, ce qui peut entraîner des frustrations.

La première partie de votre développement ne portait pas sur l’aspect participation, mais sur l’aspect problématique du développement durable, la conciliation du politique, du social et de l’environnemental. Vous disiez que ce sont plus des problématiques que des principes, car problématique sous-entend questions à résoudre et non pas un aboutissement. C’est d’abord un problème ou une manière de chercher à concilier.

Corinne Larrue

Je dirai que c'est d’abord de se poser des questions. La problématique de développement durable consiste à venir questionner un certain nombre de pratiques, non pas au regard de principes qui se veulent universels ou immuables, mais au regard de l’articulation entre des problèmes locaux et des problèmes plus globaux.

François Collignon

C’est la logique local/global.

Corinne Larrue

Tout à fait, que ce soit dans le domaine environnemental, économique ou dans le domaine social. Je ne suis pas fan des trois piliers du développement durable.

François Collignon Et de la transversalité…

Corinne Larrue

Je pense que le développement durable vient questionner. Il vient questionner des principes, des projets, des politiques, c'est-à-dire remettre en question des façons de faire locales, pour prendre en compte des problématiques qui dépassent le local.

François Collignon

Mais qui peuvent être des remises en cause ou du questionnement sectoriel, thématique.

Corinne Larrue

Tout à fait. Nous sommes là au cœur de cette articulation et des questions qu’elle pose.

(5)

François Collignon

Nous en avons terminé pour la première question.

Corinne Larrue

La seconde question était : quel jugement portez-vous sur les Agendas 21 des collectivités territoriales en comparaison éventuellement avec ceux des autres pays européens ?

François Collignon

Il s’agit ici de la procédure Agenda 21, nous ne sommes plus dans les démarches qui se revendiquent du développement durable.

Corinne Larrue

Je ne suis pas certaine que ce soit une procédure, c’est sensé être un processus.

François Collignon

Vous avez raison, c’est un processus.

Corinne Larrue

Il s’agit de considérer ceux qui, ouvertement, officiellement, veulent s’engager dans une démarche de développement durable, et s’en revendiquent. S’engager dans un Agenda 21 local participe d’un engagement politique fort, a priori. Même si on n’a pas toujours une unanimité politique autour de cela. En matière d’Agendas 21 locaux, on a généralement une fenêtre d’opportunité pour un certain nombre d’élus d’essayer de transformer la politique locale. C'est-à-dire qu’on est bien dans un jeu politique normal, avec des acteurs qui vont pousser, d’autres qui vont freiner, des ressources qui vont être mobilisées pour. J’ai eu du mal à trouver des Agendas 21 représentant vraiment un projet politique global, en France comme à l’étranger. Il me semble que l’Agenda 21 constitue finalement un outil pour définir, mettre en place un projet local, au même titre que d’autres. Il se veut surplombant, transformateur de pratiques, transversal, mais dans la pratique, il reste un projet politique porté par un certain nombre de personnes.

François Collignon

S’il était surplombant, ce serait très hétérogène par rapport aux pratiques actuelles. Quel serait le défi d’un vrai Agenda 21 pour vous ?

Corinne Larrue

Le chapitre 28 sur la notion d’Agenda 21 local reste très vague. C'est une idée générale selon laquelle les collectivités locales doivent définir un plan pour avoir un développement durable au 21e siècle. C’est assez flou car on ne dit pas quelles collectivités locales, ni comment, ni pourquoi. Politiquement parlant, l’idée était que le développement durable ne devait pas rester à une échelle globale, mais s’enraciner sur des questions locales. Au-delà de cette idée générale, on n’a pas grand-chose. Ce qui laisse la porte ouverte pour une appropriation très divergente à l’échelle locale. L’idée générale consistait à dire qu’il fallait faire la politique locale autrement. Aujourd'hui, on essaie soit de responsabiliser, soit de verdir, soit de faire management différent à l’échelle des collectivités territoriales, mais on n’a pas vraiment l’idée d’un projet politique global autour du développement durable. Il me semble qu’il reste dans l’échiquier politique local normal.

François Collignon

Ce qui introduirait une rupture, c’est le fait que ce projet soit global. Vous considérez que les Agendas 21 ne sont pas suffisamment globaux, or on a l’impression qu’ils veulent tout embrasser. Même si cela se décline ensuite dans des actions ponctuelles.

(6)

Corinne Larrue

Je ne suis pas sûre que cela remette vraiment en cause les enjeux forts des collectivités.

Sauf le changement climatique, que nous verrons en troisième point. Il me semble qu’on reste dans des mesures prises d’un point de vue technique, qu’on essaie d’inscrire dans différents secteurs, mais qui ne viennent pas révolutionner la manière dont on conçoit le projet politique local. Alors que ça devrait l’être.

François Collignon

Que pensez-vous du cadre de référence fixé par le MEEDAT qui tend à donner des normes qui trancheraient radicalement avec des pratiques anciennes ?

Corinne Larrue

Là encore, ce cadre est le produit d’un dispositif particulier. Quand le MEEDAT a produit ce cadre, il essayait de mettre un peu de contenu dans ce qu’on appelle l’Agenda 21. Il a voulu faire une sorte de cadre de référence, mais on est en décalage par rapport à la manière dont les collectivités territoriales se saisissent des Agendas 21. Le MEEDAT voulait influencer les bureaux d’études qui avaient aidé les collectivités territoriales à monter leur Agenda 21, renforcer la recherche cognitive, la recherche de connaissance, en partant du constat qu’on a du mal à savoir de quoi il s’agit, et donc aider à préciser ce cadre de référence.

Aujourd'hui, les collectivités construisent leur Agenda 21 en dehors du cadre du MEEDAT, nous sommes dans une voie de décentralisation. Les Agendas 21 sont des outils décentralisés. Le cadre de référence du MEEDAT est donc un cadre parmi d’autres.

François Collignon

Ce cadre n’est pas utilisé, sauf quand le MEEDAT essaie de labelliser ou de reconnaître certaines démarches.

Corinne Larrue

Oui, mais cela reste assez flou. Par définition, ce cadre de référence ne peut pas correspondre à ce qui se passe à l’échelle territoriale. Sinon, les actions territoriales ne seraient pas nécessaires.

François Collignon

Parce que ce cadre est général, vous pensez qu’il n’est pas adapté pour porter un jugement sur les démarches Agenda 21.

Corinne Larrue

C’est une grille qui a sa pertinence, qui permet de rendre compte d’un certain nombre de processus, mais je ne suis pas sûre que ce soit la seule grille d’évaluation possible, notamment en termes d’effet de l’Agenda 21 sur la définition d’un projet local. Je ne dis pas qu’il est inutile, mais c'est un outil parmi d’autres. Il a sa pertinence, mais sa pertinence vue du ministère.

François Collignon

En tout cas, cette grille ou ces grilles sont utiles.

Corinne Larrue

Elles sont utiles, surtout pour les techniciens pour qui elles sont un cadre qu’ils s’approprient en partie ou en totalité, mais il ne faut pas le prendre comme la Bible.

François Collignon

Avez-vous en tête d’autres grilles qui paraissent intéressantes ?

(7)

Corinne Larrue

Il y a celle d’ICLEI qui a servi de base à l’évaluation des Agendas 21 en Europe, des grilles ont été mises en place il y a sept ou huit ans au niveau régional dans le cadre de la Commission à Bruxelles. Chacun y va de sa grille.

François Collignon

Au fond, l’important est d’avoir une grille.

Corinne Larrue

L’important est de se constituer sa grille.

François Collignon

De s’en approprier une, de s’en fabriquer une s’il le faut.

Corinne Larrue

C’est plus un outil euristique d’intégration du développement durable.

François Collignon

Nous en arrivons à la troisième question.

Corinne Larrue

La troisième question concerne le changement climatique et comment la prise de conscience brutale des urgences et contraintes climatiques modifie-t-elle ces démarches ? Je pense que nous sommes là à un tournant, dont j’ignore s’il est structurel ou conjoncturel. Je n’ai pas encore suffisamment de billes en tant que chercheur pour positionner ce mouvement, mais il me semble que la conjonction de la canicule de 2003, de la hausse du prix du pétrole, et d’un dérèglement climatique par rapport à la représentation qu’on a du climat et de sa stabilité, rend plus perceptible, à mon avis, à l’échelon local, la question du global. Nous sommes là dans une création d’urgence artificielle ou d’urgence plus sensible. Cela a eu un effet d’accélération. Nous le voyons pour tout ce qui touche l’énergie, le bâtiment, les transports. Nous avons un effet d’accélération dans la prise de conscience, et surtout dans la capacité que nous avions à toucher des éléments qui, jusque-là, ne bougeaient pas, comme les transports ou le bâtiment. Ces deux facteurs sont heurtés de plein fouet. Tout ce qui a été écrit et dit depuis dix ans sur l’augmentation du prix du pétrole, sur le changement climatique, qui devaient redéfinir nos projets d’organisation du territoire, n’était pas pris en compte, mais commence à l’être. Je ne dis pas que cela a des effets en termes de contenu politique, mais on commence vraiment à se questionner. Je travaille beaucoup avec des collectivités territoriales rurales, or les difficultés de mobilité via le pétrole pose question. Il y a eu un véritable phénomène d’accélération de la prise de conscience.

En termes d’action, on rentre encore dans des processus beaucoup plus complexes et plus longs, avec des effets de traduction locale. Ce qui se passe à l’échelle d’une station de ski est différent de ce qui se passe à l’échelle des grandes villes ou à l’échelle des collectivités littorales, par exemple. Ce sont les collectivités déjà dotées de ressources, et notamment les collectivités urbaines, qui sont les mieux à même d’infléchir leur politique.

François Collignon

Les stations de montagne sont en situation de crise potentielle. Il n’y a rien de plus stimulant que la crise économique.

Corinne Larrue

Oui, mais elle existe depuis un certain temps, elle n’est pas nouvelle. Des dispositifs ont été mis en place. Le canon à neige n’a pas du tout la même représentation dans une commune de montagne qu’au niveau du ministère de l’Equipement.

(8)

François Collignon

Vous évoquez l’accélération de la prise de conscience, vous êtes plus dubitative sur les questions d’action, de conséquences concrètes, mais cette accélération a lieu essentiellement dans le champ du transport et du bâtiment, qui sont des secteurs de l’environnement. Ce phénomène de prise de conscience touche-t-il les autres aspects de l’environnement comme la biodiversité, va-t-il se faire à son seul profit, ou va-t-il booster la problématique du développement durable ? Et va-t-il avoir des conséquences sur les aspects sociaux et économiques ou l’effet est-il essentiellement sectoriel ?

Corinne Larrue

Sur la partie biodiversité, je pense que cela va changer, essentiellement à cause des migrations et de l’écologie des espèces. Le changement climatique en tant que tel agit sur l’écologie des espèces. Les parcs naturels régionaux commencent à s’interroger sur la biodiversité de leur espace compte tenu de ce facteur climatique. L’ouverture à la biodiversité est forte aujourd'hui, mais récente. Je suis présidente d’un conseil scientifique de parc naturel, et quand j’ai évoqué, il y a deux ans, la question du changement climatique, c’était considéré comme une réflexion de chercheur. Aujourd’hui, il faut se poser la question, parce que, entre-temps, il y a eu la prise de conscience des espèces invasives, beaucoup d’éléments qui deviennent très perceptibles. Cela commence à se voir et donc à être pris en compte.

Pour la partie économique et sociale, nous avons eu un changement d’optique gouvernementale assez fort, incluant la question économique et sociale dans un enjeu de politique nationale.

François Collignon

On sort ces questions du débat local et des préoccupations locales. Cet effet conjoncturel étant dû aux nouvelles orientations de l’exécutif.

Corinne Larrue

C'est de cette façon que je le vois aujourd'hui. Je ne suis pas dans les exécutifs locaux, et nous sommes dans une pré-réforme, et j’ai donc peut-être un peu moins de recul, mais j’ai l’impression que ces enjeux politiques et sociaux sont revenus au cœur de la sphère politique.

François Collignon

Et dissociés, dans un premier temps, des aspects climatiques ou énergétiques.

Corinne Larrue

A l’échelle locale, les préoccupations économique et sociale restent des préoccupations un peu classiques.

François Collignon

Vous évoquiez le problème des transports et de l’augmentation du prix des carburants, lié au réchauffement climatique, qui peut interroger les élus locaux sur des questions de précarité, de pauvreté.

Corinne Larrue

Je ne suis pas sûre que la question soit aujourd'hui posée dans ce sens-là. On va la poser en termes de renchérissement du prix du pétrole, donc du pouvoir d’achat, et pas forcément de changement climatique. Mais j’ai peu de recul. Peut-être que des personnes au sein des exécutifs aujourd'hui pourraient voir les choses différemment.

François Collignon

Dans dix ans, d’un point de vue sémantique, pensez-vous que l’on utilisera encore les termes de développement durable ? Comment voyez-vous les choses évoluer ?

(9)

Corinne Larrue

Je regarde ce qui se passe à l’étranger. Il y a dix à quinze ans, le développement durable avait le vent en poupe dans les pays nordiques, aux Pays-Bas, dans les pays qui ont été les plus en pointe. C’est moins vrai aujourd'hui dans ces pays-là. C’est moins porté en Norvège, en Suède, aux Pays-Bas. Aujourd'hui, le développement durable est porté par la Commission européenne principalement. Aurons-nous le même phénomène de désengouement du côté de la France ? Je l’ignore. On peut s’attendre à une retombée, mais on ne peut pas le voir qu’à une échelle locale, on est obligé de le voir dans une perspective plus mondiale. Nous avons une réelle appropriation de cette notion de développement durable, de responsabilité des entreprises à l’échelle du secteur privé. C’est maintenant une technique de management assez forte. Cela renvoie aussi à une sorte de régulation mondiale que l’on essaie de construire. Tout cela constitue des paramètres qui me font dire que je ne sais pas dans quel sens cela va aller.

François Collignon

Comment expliquez-vous cette régression en Norvège, en Suède, aux Pays-Bas ?

Corinne Larrue

Je pense qu’il y a eu une déception sur les attentes des uns et des autres en matière de développement durable, et les partis politiques recentrent leur discours sur l’économique et le social.

François Collignon

Vous voulez dire que la déception porte sur l’environnemental.

Corinne Larrue

Non, elle est sur l’ensemble. Nous avons eu des gouvernements tant locaux que nationaux qui avaient mis ou tenté de mettre le développement durable au centre de leur politique, ce qui s’est traduit par un certain nombre d’actions concrètes tant au niveau national que local, avec un certain nombre de contrastes écologiques et sociaux. Le contexte d’ouverture des économies est venu remettre en cause ces projets et a surtout conduit à revisiter le mode de fonctionnement de l’économie, et surtout les pouvoirs en termes de régulation. Tant du point de vue des associations que des gouvernements locaux, il y a eu une sorte de déception par rapport à la capacité d’agir. Nous voulions travailler, par exemple, sur la question des villes post-carbone. Un certain nombre de villes réfléchissent à la manière de s’organiser en tenant compte d’une réduction très forte des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d’énergies qui produisent des gaz à effet de serre. Il y a donc eu des transformations.

François Collignon

Qui sont des acquis aujourd'hui.

Corinne Larrue

Le développement durable s’est, du coup, dilué dans les projets « normaux », et on a donc moins besoin peut-être de les porter.

François Collignon

Il a déjà eu son efficacité réelle, et on a vu aussi ses limites, notamment dans le cadre de la mondialisation, et du coup le discours est moins enthousiaste.

Corinne Larrue

C’est mon sentiment. Je reste à un discours un peu généralisateur alors que c’est certainement beaucoup plus complexe et soumis à des choses beaucoup plus fines sur le terrain.

(10)

François Collignon

Dans le jugement que vous portez sur les Agendas 21, diriez-vous la même chose des Agendas 21 des autres pays européens ?

Corinne Larrue

J’ai étudié des Agendas 21 en Norvège, en Suède, en Italie, et j’ai été frappée par le fait qu’ils soient très ouverts. Dans ces pays, les questions étaient plutôt centrées sur l’environnement. Au-delà d’une volonté de transversalité, on reste dans de l’environnement.

François Collignon

C’était perçu par vous comme faisant partie du jeu politique normal, c'est-à-dire que les élus se saisissent de ces processus, de ces démarches, pour les utiliser dans le rôle politique.

Corinne Larrue

Ce qui me paraît normal de la part d’un élu. C’est une vision un peu technocratique que de penser que le développement durable pourrait s’imposer de manière universelle à tout le monde.

François Collignon

Et du coup, transformer des jeux politiques ou, fondamentalement, le rôle du politique.

Corinne Larrue

Cela n’a pas transformé forcément le rôle du politique, mais plutôt le rôle du technique. Je ne connais pas suffisamment le fonctionnement des autres pays, mais en tout cas, pour la France, j’ai toujours été frappé du fait que le développement durable n’était pas vraiment au cœur des projets politiques des partis politiques, en dehors des Verts, et encore cela reste très environnemental. D’une manière générale, je trouve qu’en France, le développement durable n’est pas en enjeu politique. Mais j’ai du mal à dire s’il l’est ailleurs. Peut-être un peu en Norvège.

François Collignon

Je vous propose de faire également de cette interview un article plus long que nous mettrons sur le site après votre validation. Nous devons faire un hors série cette année sur le

développement durable, et peut-être avons-nous ici les ingrédients d’un article que vous pourriez éventuellement signer. Je vous remercie.

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