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Recherche codisciplinaire sur les pratiques enseignantes : quels modes de coopération avec les praticiens observés ?

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Academic year: 2021

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Submitted on 4 Jan 2009

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Recherche codisciplinaire sur les pratiques enseignantes : quels modes de coopération avec les praticiens observés ?

Claudine Blanchard-Laville, Philippe Chaussecourte, Eric Roditi

To cite this version:

Claudine Blanchard-Laville, Philippe Chaussecourte, Eric Roditi. Recherche codisciplinaire sur les pratiques enseignantes : quels modes de coopération avec les praticiens observés ?. Éducation et francophonie, Association canadienne d’éducation de langue française, 2007, 35 (2), pp.55-81. �halshs- 00349769�

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RECHERCHE CODISCIPLINAIRE SUR LES PRATIQUES ENSEIGNANTES : QUELS MODES DE COOPÉRATION AVEC LES PRATICIENS OBSERVÉS ?

Claudine Blanchard-Laville Professeure des universités

Équipe Savoirs et rapport au savoir

Centre de Recherche Éducation et Formation (CREF) de l’université Paris X Nanterre Département des sciences de l’éducation

France

Claudine.Blanchard-Laville@wanadoo.fr

Philippe Chaussecourte

Maître de conférence

Laboratoire EDA de l’université Paris Descartes Faculté des sciences humaines et sociales – Sorbonne Département des sciences de l’éducation

France

philippe.chaussecourte@paris5.sorbonne.fr

Éric Roditi

Maître de conférence

Laboratoire EDA de l’université Paris Descartes Faculté des sciences humaines et sociales – Sorbonne Département des sciences de l’éducation

France

eric.roditi@paris5.sorbonne.fr

Résumé

La codisciplinarité ne résulte pas d’une simple juxtaposition d’approches, mais de la construction d’une coopération entre chercheures et chercheurs, respectueuse des paradigmes interprétatifs de chacun, et qui développe une éthique particulière de la relation des chercheurs aux sujets-objets de recherche. Dans notre équipe codisciplinaire, des modalités singulières sont inventées à chaque fois pour nouer une relation chercheurs-praticiens authentique, respectueuse des sujets, évitant à la fois la rigidité d’une forme protocolaire et la réduction à une problématique du don et de la dette entre chercheurs et praticiens.

Si la collaboration que nous construisons avec la praticienne ou le praticien comporte de

nombreuses similitudes avec une recherche collaborative, il y a pour nous un souci de

distinction des places et des préoccupations de chacun des partenaires qui nous conduit à

affirmer davantage l’asymétrie de la relation chercheur-praticien. Néanmoins nous évitons

toute intrumentalisation de l’enseignante ou de l’enseignant avec lequel nous collaborons

grâce à un travail spécifique mené dans nos réunions. Nous élaborons des moyens, d’une part

pour rendre potentielles des évolutions latentes chez la praticienne ou le praticien en

respectant leur temporalité, et d’autre part pour développer un assouplissement de ses

capacités psychiques lui permettant à la fois de mieux habiter son geste professionnel et de

mieux soutenir sa place d’enseignant. Enfin, nous l’accompagnons dans la réception et dans la

compréhension de nos analyses.

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PRÉLIMINAIRES

À travers l’argumentaire développé dans la « toile de fond » qui nous a été adressée pour solliciter nos contributions à ce numéro thématique, et à la lecture de certains travaux se recommandant de la recherche-action collaborative, nous nous sommes fait une représentation des caractéristiques de ce type de recherche. Ainsi nous est-il apparu d’emblée que notre propre cadre de travail ne pouvait s’inscrire strictement dans ce modèle. Cependant nous sommes particulièrement sensibles aux questions qui orientent ces recherches, même si nos réponses témoignent de choix épistémologiques, donc méthodologiques, différents.

Dans cet article, nous souhaitons d’abord montrer comment travaille l’équipe à laquelle nous appartenons, puis indiquer comment la problématique du lien chercheur-praticien nous a préoccupés dans toutes les recherches réalisées au sein de cette équipe à partir de l’observation d’enseignants en situation d’enseignement. Enfin, nous souhaitons montrer comment, dans la recherche que nous menons actuellement en partenariat avec un enseignant du premier degré

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, nous tentons de construire avec lui un mode de coopération original, en congruence avec nos options épistémologiques.

QUI SOMMES-NOUS ? COMMENT TRAVAILLONS-NOUS ?

Nous sommes une équipe de neuf chercheures et chercheurs, porteurs d’approches théoriques qui reposent sur des paradigmes distincts : didactique des mathématiques, psychosociologie, microsociologie, clinique d’orientation psychanalytique. Construite depuis un certain nombre d’années pour la plupart d’entre nous

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, cette collaboration nous a permis de mener plusieurs recherches à partir de séquences de cours de mathématiques vidéoscopées. Nous y avons notamment décrit et analysé les processus à l’œuvre dans les interactions enseignant-élèves.

Dans la perspective du travail de notre équipe, il ne s’agit pas de juxtaposer une pluralité d’approches mais de mettre en oeuvre une forme particulière de coopération entre chercheurs que nous avons proposé de nommer codisciplinaire. Notre équipe fait partie, par ailleurs, d’une plus large communauté de chercheurs, structurée sous forme de réseau international d’équipes de recherche sur l’observation des pratiques enseignantes : le réseau Open (www.u-

paris10.fr/open ).

Cette modalité de recherche codisciplinaire a déjà fait l’objet de réflexions théoriques que l’on peut retrouver dans plusieurs publications (Blanchard-Laville, 2000, 2002, 2003). En effet, il s’est avéré nécessaire, d’une part de tenter de la distinguer des modalités proches telles que les modalités pluridisciplinaires, multidisciplinaires et transdisciplinaires, et d’autre part de détailler les conditions très précises de l’effectivité de ce mode de travail, en identifiant les difficultés qui font obstacle à sa mise en œuvre sur un temps suffisamment long pour aboutir à une production collective, et sans un coût subjectif trop élevé pour les chercheurs. L’esprit de la codisciplinarité va à l’encontre des fantasmes de fusion des différentes approches comme des fantasmes d’englobement de toutes les approches par une seule. Les chercheurs sont invités à transcender les rivalités narcissiques et les querelles idéologiques qui sous-tendent certains débats théoriques pour aller vers une co-construction de sens respectueuse des différences entre les paradigmes interprétatifs respectifs. Nous avons ainsi pu montrer que pour établir cette coopération pacifique et constructive entre les chercheurs, et pour créer cet

« espace de collaboration émancipatoire » que Michelle Bourassa appelle de ses vœux dans le

liminaire de ce numéro, une grande vigilance sur les modalités mêmes du travail est à

soutenir. Des précautions doivent être prises et de véritables « institutions » de

fonctionnement doivent être instaurées, d’une part pour garantir un enrichissement mutuel des

différentes analyses au cours du processus de recherche, par inter-fécondation et sans

qu’aucun des chercheurs ne change pour autant de paradigme interprétatif en cours de route,

et d’autre part pour permettre de transcender les résultats de chacune des analyses, en les

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conjuguant avec ceux des autres, de manière à mieux appréhender la complexité des processus analysés. Cela nous a conduits à instituer, de manière très régulière, des temps d’élaboration collective dans l’équipe pendant lesquels le travail porte sur le processus de recherche lui-même en train de se dérouler et sur le rapport de chacun-e dans l’équipe à ce processus de recherche. Cette institution nous a semblé la condition nécessaire, même si elle n’est pas toujours suffisante, pour passer à ce que Michelle Bourassa appelle de

« l’intersubjectivité critique ». Ce n’est pas ici le lieu de développer plus avant toutes ces considérations que nous avons déjà formalisées par ailleurs, mais nous aimerions insister sur l’écart important qui existe entre une codisciplinarité en actes, soutenue dans le temps, et le rêve d’une interdisciplinarité invoquée ou d’une pluridisciplinarité de bon ton qui pourrait faire illusion.

Nous souhaitons faire partager notre réflexion à propos de ce qu’implique la présence de cliniciens dans l’équipe, plus précisément de cliniciens qui font droit au postulat de l’inconscient au sens freudien dans leur mode interprétatif. Nous avons aujourd’hui la conviction que la présence de ce paradigme particulier parmi ceux portés par les chercheurs dans l’équipe implique que, même si ce postulat de l’existence d’un inconscient refoulé n’intervient pas concrètement au niveau des paradigmes des autres chercheurs, il ne doit être rejeté par aucun des membres de l’équipe, en termes de conviction personnelle, sous peine de mettre en péril l’équilibre de l’équipe, son activité et sa production. C’est l’histoire de notre mode de fonctionnement qui nous conduit aujourd’hui à nous interroger sur la compatibilité des différents paradigmes. Par exemple, nous n’envisageons pas de pouvoir mener dans une telle équipe des approches qui auraient besoin d’investiguer sur un très grand nombre de sujets. De même, nous nous demandons quelle serait la compatibilité de l’approche clinique développée dans notre équipe avec des approches théoriques qui ne feraient pas droit à un

« insu » de l’action du praticien relevant du paradigme freudien. Ces considérations indiquent la voie d’une réflexion sur les limites de la faisabilité d’une recherche codisciplinaire telle que nous l’avons formalisée et mise en actes.

L’EXPÉRIENCE DE PLUSIEURS RECHERCHES

Après plusieurs recherches menées selon ces modalités et portant sur une seule séance d’enseignement d’un seul enseignant (Blanchard-Laville, 1997 ; Blanchard-Laville, 2003), nous avons choisi actuellement de travailler en observant encore un seul enseignant, mais cette fois-ci dans une perspective diachronique, à partir d’un certain nombre de séquences filmées et d’entretiens échelonnés sur une longue période de temps (neuf années au total avec une interruption de cinq ans).

Dans nos recherches, la question de la relation chercheurs-praticien observé nous a toujours

préoccupés. Cette préoccupation est sans doute d’autant plus forte que notre équipe comprend

précisément des chercheuses et des chercheurs cliniciens d’orientation psychanalytique

(Blanchard-Laville, 1999 ; Blanchard-Laville, Chaussecourte, Hatchuel & Pechberty, 2005)

pour lesquels l’exploration des modalités de relation à l’objet-sujet observé est quasiment

consubstantielle de la démarche du chercheur. En effet, depuis l’origine de la réflexion sur la

démarche clinique de recherche en sciences humaines (Revault d'Allonnes, 1989 (1999)), la

question éthique est au cœur des préoccupations via la conception du sujet qui est mise en

avant dans cette approche : un sujet dans l’épaisseur de sa singularité, doté d’un appareil

psychique et assujetti à son inconscient, un sujet pour lequel le moi n’est pas maître en sa

maison pour paraphraser Freud. Dans cette perspective clinique, il est ainsi cohérent qu’une

grande attention soit apportée au sujet, qu’il s’agisse des sujets-enseignants objets des

investigations ou du sujet-chercheur clinicien dont l’analyse des motions inconscientes est

partie prenante de la méthodologie ou encore du sujet-groupe constitué par les chercheurs

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coopérant ensemble pour la recherche. Pour ce qui concerne les chercheurs de notre équipe dont le paradigme n’est pas l’approche clinique d’orientation psychanalytique, ils-elles partagent aussi la conviction qu’il est pertinent de se mobiliser sur un petit nombre d’observations d’enseignants pour appréhender en profondeur des organisations singulières significatives. D’autres convictions encore sont partagées dans notre équipe, par exemple, qu’il est souhaitable de ne pas occulter une réflexion à propos de l’implication de chacun d’entre nous dans nos divers positionnements professionnels en dehors de cette recherche pour en dégager l’impact sur la recherche, et qu’il est important de se laisser la possibilité d’une évolution de nos analyses dans le temps, car seule une longue durée est à même d’en permettre la maturation.

Ainsi donc, dans notre équipe, l’interrogation éthique est au cœur des interrogations, que ce soit vis-à-vis des professionnels observés ou que ce soit vis-à-vis des membres de l’équipe pour respecter la singularité de leur potentiel de chercheur. Cela nous conduit à être particulièrement attentifs à ne pas nous laisser aller à instrumentaliser les sujets observés.

Pour nous, cela passe en priorité par le fait que nous nous attachons à élaborer, en tant que chercheurs, notre propre position subjective tout au long du processus de recherche. C’est pourquoi nous avons été amenés progressivement à construire dans l’équipe des modalités de travail codisciplinaires qui puissent favoriser tant cette coopération des chercheurs que leur potentiel individuel, comme nous avons tenté d’en rendre compte au début de cet article.

Deux exemples vont nous permettre d’illustrer comment la question du lien à l’enseignant observé s’est toujours posée avec acuité dans nos recherches. Ils vont aussi nous donner l’opportunité de montrer que de s’en préoccuper à chaque nouvelle aventure, forts des expériences acquises, ne nous met pas pour autant pas à l’abri de surprises. Mais, après tout, l’ouverture à l’inattendu est aussi constitutive de notre démarche. D’ailleurs, les événements qui nous ont mis le plus en difficulté sont sûrement ceux desquels nous avons le plus appris et ceux qui ont le plus enrichi notre réflexion.

DEUX EXEMPLES

Le premier s’appuie sur une recherche à propos d’une leçon de mathématiques à l’école primaire conduite par une enseignante que nous appelons Martine. Les résultats de cette recherche figurent dans l’ouvrage intitulé Variations sur une leçon de mathématiques.

Analyses d’une séquence : “ L’écriture des grands nombres ” (Blanchard-Laville, 1997).

Cette enseignante n’imaginait sans doute pas précisément le type de recherche qui allait être réalisé, notamment par les cliniciens, malgré les informations préalables qui lui avaient été données ; son modèle était celui des recherches menées par des didacticiens des mathématiques dans l’école Jules Michelet à Bordeaux-Talence où elle exerçait. Il s’agissait d’une séquence filmée plusieurs années auparavant. Tout au long de la recherche, Martine a été tenue au courant de l’avancée des réflexions de l’équipe. À deux reprises, deux des chercheures l’ont accompagnée pour un visionnage du film sur lequel l’équipe travaillait.

Nous l’avons incitée à chaque visionnage à privilégier dans son regard l’une des dimensions sur lesquelles les deux chercheures focalisaient leur attention, et nous avons favorisé et soutenu ses commentaires au fur et à mesure de ce visionnage. C’est le dispositif que nous avions conçu pour préparer l’enseignante à la lecture des futurs textes restituant nos analyses.

Force a été de constater que cette préparation n’avait pas été suffisante ; en lisant le texte

produit par les cliniciens, l’enseignante a subi une sorte de « choc émotionnel » : elle a même

eu un mouvement de découragement vis-à-vis de son travail dans l’école, mouvement dont

elle a aussitôt fait part à sa directrice qui nous a alertés. Cet incident, qui a eu lieu malgré les

précautions prises et les anticipations qui avaient été faites, nous a conduits, dans l’urgence, à

un travail d’élaboration psychique dans l’équipe des cliniciens qui a abouti à la décision

suivante : les deux chercheures se rendraient à nouveau auprès de l’enseignante pour

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l’accompagner dans la traversée de ce passage délicat. Face à son émotion et à ses inquiétudes, elles ont été amenées à lui rappeler que rien du texte clinique ne serait publié sans son acceptation. D’ailleurs, après cette entrevue et avec son aide, les cliniciens ont, d’une part, modifié certaines formulations dans leur écrit et, d’autre part, davantage explicité les enjeux de la démarche mise en œuvre. On peut peut-être se dire qu’une sorte de travail formatif, une forme d’acculturation à l’existence et à la reconnaissance de phénomènes psychiques inconscients dans l’espace d’enseignement ont eu lieu auprès de cette enseignante chemin faisant. Du temps a été consacré à lui montrer par quels processus méthodologiques cette analyse avait été produite, ce qu’elle souhaitait comprendre ; parallèlement, cela lui a permis de prendre conscience que les processus psychiques identifiés dans ces analyses relevaient du registre inconscient et que ce registre concernait tout enseignant à son insu et, à ce titre, également les deux chercheures. On retrouve là la nécessaire implication des chercheurs dans cette démarche. Ce type d’accompagnement a offert à Martine l’opportunité d’élaborer les difficultés qui avaient surgi à la lecture des textes des chercheurs, la mettant même en appétence pour une suite éventuelle de la collaboration. Il nous apparaît aujourd’hui que la forme adéquate de cette poursuite aurait pu être de l’ordre d’un travail clinique d’analyse de pratiques. Concrétisant sa compréhension et sa participation à ce travail, Martine a accepté de témoigner de sa place d’enseignante sujet-objet de l’observation, par un texte qui figure dans l’ouvrage restituant les résultats de cette recherche. Aujourd’hui, sans doute enrichis par cette expérience, nous ne laisserions plus un enseignant lire seul le texte retraçant l’analyse clinique de son cours. Lorsqu’une situation analogue s’est représentée à nous, nous avons passé un temps conséquent à échanger avec la personne concernée sur ses ressentis au cours de la première lecture des analyses, cette lecture s’effectuant sous l’attention contenante de l’auteur-chercheur.

Le deuxième exemple porte sur une recherche menée avec un professeur des écoles débutant

d’une académie de province

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. La demande a surgi à partir d’une action de formation dans

l’IUFM

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où ce professeur était encore stagiaire. Notre équipe de recherche avait été invitée

par un formateur de l’IUFM, membre lui-même de l’équipe, à présenter la recherche que nous

venons d’évoquer dans l’exemple précédent. Le formateur avait demandé à ses stagiaires,

professeures et professeurs d’école en deuxième année de formation, de faire une leçon dont

la fiche de préparation était celle de l’enseignante observée dans la recherche précédente. Il

leur avait demandé, soit de se faire filmer, soit de se faire observer par leurs collègues pendant

le déroulement de la leçon. Deux enseignants stagiaires en formation, Benoît et Annie, avaient

joué le jeu de se faire filmer. Ces films pouvaient, pour notre équipe, constituer un nouveau

matériel de recherche, sous réserve bien entendu du consentement des protagonistes

concernés. Dans cette perspective, une chercheure de l’équipe les a rencontrés pour un

entretien d’accompagnement du visionnage de leur séquence filmée. Ils présentaient des

profils différents : du côté de Benoît, une demande forte d’interactions avec les chercheurs,

témoignant aussi de l’amorce d’un travail réflexif sur sa pratique, tandis que, du côté d’Annie,

une acceptation plus ambiguë et peut-être plus défensive. L’enthousiasme du premier stagiaire

a pratiquement emporté l’adhésion de l’équipe et nous sommes entrés dans la spontanéité

apparente de sa demande. Notre choix avait pour but manifeste de faire l’économie d’une

démarche d’accompagnement du second stagiaire, Annie, dont peut-être nous redoutions la

difficulté. Nous avons misé sur l’investissement du premier stagiaire et sur son désir de

partager avec nous son questionnement de novice. L’économie espérée n’a pas eu lieu, bien

au contraire ; l’après-coup de la recherche nous a permis de mesurer toute la complexité de la

demande, à la fois celle de Benoît et celle des chercheurs. Aujourd’hui, avec le recul du

temps, nous pouvons davantage analyser les raisons de l’enthousiasme réciproque de Benoît

et des chercheurs qui a vraisemblablement été à l’origine du choix de ce jeune enseignant

pour cette nouvelle recherche. Au cours de la première année de travail et au décours d’un

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entretien mené par les cliniciens de l’équipe, nous avons eu le sentiment que Benoît était en souffrance. L’exercice du métier d’enseignant semblait venir réactiver une problématique personnelle. Un second entretien a permis à Benoît de formuler explicitement des éléments de cette souffrance auxquels nous avons été sensibles. Après un temps de réflexion élaborative, l’équipe de recherche a pris la décision que l’accompagnement, qui ne devait être au départ qu’un accompagnement par rapport à la recherche, se transforme en véritable accompagnement clinique mettant de ce fait en suspens l’enjeu de recherche immédiat pour les chercheurs cliniciens.

Cinq années plus tard, nous avons repris contact avec Benoît, que nous n’avions jamais perdu totalement de vue, et il nous a semblé possible de reprendre et même de poursuivre cette recherche, bien évidemment avec son accord. Trois nouveaux films ont été réalisés et une équipe de chercheures et de chercheurs, en partie nouvelle, se mobilise actuellement pour étudier la dynamique de l’évolution diachronique de la pratique de Benoît, avec une vigilance toute particulière au sens de cette reprise de recherche, tant pour Benoît que pour le collectif de chercheurs. Au départ, les chercheurs étaient centrés sur les processus en jeu dans une pratique enseignante d’enseignant débutant. Ce n’est qu’à partir de 2005, dans la nouvelle phase de recherche, que les chercheurs ont pu intégrer dans leur perspective la dimension évolutive de la pratique après quelques années d’exercice de la fonction.

Depuis que nous avons décidé de travailler à nouveau avec Benoît, nous avons ressenti la nécessité d’organiser de nouvelles rencontres après que les chercheurs aient travaillé sur les nouveaux films réalisés et pour que lui-même puisse venir parler à la nouvelle équipe de sa propre vision de ces films.

COMMENT PENSONS-NOUS LE LIEN CHERCHEUR-PRATICIEN OBSERVÉ ? Au vu de ces deux exemples, il est clair qu’il ne s’agit pas pour nous dans ces recherches d’une collaboration stricto sensu avec les praticiens observés. Bien entendu, dans les deux cas, nous avions obtenu leurs consentements à ce que des chercheurs analysent le film (les films) de leurs séances, mais les intentions et les objectifs de la recherche n’ont pas été négociés avec eux. De plus aucun objectif a priori d’accompagnement n’avait été annoncé.

En fait, dans ce type de recherche, nous considérons qu’il s’agit d’une rencontre entre des professionnels qui interviennent sur des registres différents, avec des logiques propres et qui ne sont pas régis par les mêmes enjeux. Pour que la recherche puisse se construire, il est bien sûr nécessaire qu’une interaction se noue entre ces deux types d’acteurs, les chercheurs et les praticiens, mais cette interaction est en quelque sorte doublée d’une relation de sujet à sujet ; nous ne souhaitons pas enfermer cette relation par avance dans une protocolisation rigidifiante et nous ne concevons pas non plus seulement cette relation en termes de don des praticiens au chercheurs et de dette en retour des chercheurs à l’égard du praticien ; dette dont ils ne pourraient d’ailleurs s’acquitter par un simple geste systématique de restitution des résultats de la recherche (Bergier, 2000) ; pour nous, cette relation présente une beaucoup plus grande complexité, c’est ce qui nous conduit à chercher des modalités plus adéquates à ce que nous pressentons de cette complexité.

Dans notre mode de travail, les praticiens ne participent pas dès le début à la confection du projet de recherche. Néanmoins, nos recherches s’effectuent, comme c’est le cas dans les deux exemples présentés, avec une certaine collaboration des praticiens observés. Mais il y a pour nous prioritairement un souci de distinction des places et des préoccupations de chacun des partenaires, chercheurs et praticiens, au cours de la dynamique temporelle de la recherche.

Pour nous, c’est le chercheur qui « a la main » et c’est à lui que revient de poser le cadre.

C’est d’ailleurs lui qui pose la première demande explicite. Pour autant, cette asymétrie ne

signifie pas relation de domination, ni de manipulation, ni d’instrumentalisation ; notre

dispositif codisciplinaire et notamment l’institution des séances d’élaboration collective

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régulières nous permet d’y être attentif. Nous sommes préoccupés de l’évolution professionnelle des praticiens que nous observons mais comme nous le montrerons ci- dessous, il nous semble nécessaire de penser l’intégration de cette évolution en respectant sa logique propre et en évitant l’illusion qu’une simple collaboration suffirait à entraîner du développement professionnel chez le praticien-enseignant. Par ailleurs, soulignons que jusqu’ici, le système politique français de la recherche (au sens large), nous a permis de préserver dans notre manière de travailler, une relative indépendance des objectifs poursuivis par la recherche vis-à-vis de la pression sociale de demande d’efficacité de l’enseignement.

Comment peut être alors pensée cette question des bénéfices des praticiens par rapport à leur évolution professionnelle ? D’un côté, les chercheurs ont besoin des praticiens pour avoir accès aux terrains d’observation ; la satisfaction de leur demande explique vraisemblablement leurs fantasmes de dette, de dépendance voire de culpabilité vis-à-vis du consentement obtenu. Mais d’un autre côté, si les praticiens ont consenti à être observés ou à collaborer à ces recherches, on peut présupposer qu’ils ont des attentes sinon une demande, au moins latente. Mais de quel ordre ?

Nous estimons que les praticiens n’ont pas les mêmes enjeux que les chercheurs et que bien souvent ces derniers projettent les leurs sur les praticiens, d’autant que la plupart du temps, les chercheurs-res sont des anciens enseignants. Cette éventuelle identification risque d’entretenir une forme de confusion dans le positionnement et alimenter les fantasmes de culpabilité à mener des observations (Chaussecourte, 2003). Ainsi, le plus souvent, une réelle exploration de l’éventuelle demande des praticiens n’est pas conduite, notamment sur le registre latent, ce qui peut entraîner des malentendus peu propices à l’acceptation des résultats de recherche.

Sans doute, les modalités collaboratives d’une recherche-action permettent-elles d’atténuer ces risques.

N’oublions pas non plus qu’un enseignant n’est pas disponible de façon analogue à tous les moments de sa carrière pour un contact avec la recherche. C’est la situation que nous avons rencontrée avec l’enseignant Benoît au début de la recherche dont nous avons parlé. Pour l’enseignant débutant qu’il était alors, une collaboration étroite avec les chercheurs nous semblait prématurée.

Dans tous les cas, notre préoccupation constante est davantage de chercher à potentialiser des évolutions chez les praticiens, voire à les accompagner dans la temporalité où elles surviennent, plutôt qu’à conseiller des comportements ou à précipiter des changements. Nous nous sentons davantage apparentés à une recherche de type recherche-intervention au sens de Dubost et Lévy (2002) avec cependant, dans notre cas, l’absence d’une demande émanant explicitement en premier lieu des acteurs de terrain. La demande émane d’abord des chercheurs. Est-ce ainsi que s’exprime pour nous le désir de travailler avec des praticiens qui ne soient pas en état de crise avérée, ou dans une trop grande demande d’aide a priori ?

Comment se fait cet accompagnement ? C’est ce que nous allons expliciter dans le paragraphe suivant, à propos de notre recherche en cours.

VERS L’INVENTION D’UN « NOUVEAU » MODE DE LIEN CHERCHEURS- PRATICIEN ?

Prenons l’exemple du lien chercheurs-praticien que nous construisons avec l’enseignant Benoît : il s’agit d’interroger en permanence les positionnements respectifs au cours de la recherche pour trouver une bonne adéquation entre les bénéfices que des membres de l’équipe de chercheurs peuvent attendre des rencontres avec lui et les effets de ces rencontres sur lui.

Et ceci, en considérant Benoît non seulement en tant que praticien de l’enseignement mais

aussi comme un sujet personnel. On perçoit là l’originalité de notre démarche en même temps

que ses limites. Nous ne cherchons pas, par exemple, à travers nos analyses, une dimension

collective du travail de l’acteur comme pourraient le faire des chercheurs se référant à la

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clinique de l’activité. C’est ce qui les conduit, contrairement à nous, à mettre des entretiens d’autoconfrontation simple et croisée au cœur de leur dispositif d’investigation. Lors des rencontres du praticien avec notre équipe codisciplinaire, nous ne pratiquons pas non plus à proprement parler d’entretien d’explicitation, au sens de Vermersch (1997). Un tel entretien serait envisageable par l’un des chercheurs au titre de son approche théorique, mais il ne s’agirait pas alors du co-accompagnement par l’équipe dont nous cherchons ici à préciser le dessin.

Les dernières rencontres avec l’enseignant Benoît (juillet 2006 et juillet 2007) se sont construites de telle sorte que soit créé un espace-temps pour que le praticien ait l’opportunité de se saisir au cours de l’échange de ce qu’il est prêt à entendre, sans que les chercheurs lui imposent leurs résultats. Une sorte d’espace transitionnel au sens de D.W. Winnicott. Notre hypothèse est qu’il est nécessaire de respecter les « résistances » des praticiens qui, comme nous l’avons déjà souligné, ne se situent pas dans la même logique que les chercheurs ; pour nous, l’important est d’arriver à créer les conditions pour que les praticiens puissent élaborer de nouveaux savoirs à partir de quelques unes de leurs questions et suggestions, sans qu’il y ait une forme de surplomb du regard des chercheurs mais plutôt un échange où l’ajustement progressif se réalise en temps réel. On voit qu’avec une telle conception et réalisation, la recherche codisciplinaire nécessite un accompagnement dans la durée, sans être dupes des effets instantanés lors de la rencontre. Ainsi, lors des dernières rencontres avec Benoît, il nous a semblé qu’il a eu l’occasion de pouvoir s’approprier quelques éléments de mathématiques ainsi que quelques éléments de didactique pour favoriser l’apprentissage des élèves, susceptibles de nourrir effectivement sa pratique. Il nous semble aussi qu’il a pu intégrer des éléments de réflexion sur ses modalités de lien aux élèves en difficulté ainsi que des éléments éclairant plus généralement sa manière de se relier aux élèves, individuellement et collectivement.

Finalement nous construisons avec chaque praticien impliqué dans nos recherches un ajustement permanent de nos interventions dans l’ici et maintenant des rencontres. Pour illustrer ceci, nous allons proposer à propos de Benoît des éléments de réflexion des didacticiens des mathématiques de note équipe d’une part et des cliniciens d’autre part.

Point de vue des didacticiens

Deux chercheurs en didactique des mathématiques font partie de l’équipe codisciplinaire.

Leur travail vise à élucider certains processus de l’évolution des pratiques enseignantes de Benoît en mathématiques, dans une perspective plus large de recherche sur le développement professionnel des enseignantes et des enseignants de mathématiques. Les deux chercheurs étudient l’évolution de sa manière de concevoir des situations d’enseignement et d’apprentissage, de les animer en classe et d’interagir avec ses élèves, en lien avec les enjeux de transmission de savoirs visés.

Les observables pris en compte dans cette recherche, portent sur les contenus mathématiques abordés en classe, sur les situations d’apprentissage de ces contenus qui sont proposées aux élèves, et sur la gestion des interactions en classe. Avec Aline Robert et Janine Rogalski (Robert & Rogalski, 2002), les deux chercheurs font l’hypothèse que l’exercice ordinaire du métier d’enseignant est doublement adressé : d’une part il est tourné vers l’apprentissage des élèves, et d’autre part il est tourné vers l’enseignant lui-même qui répond, dans sa pratique, à des contraintes personnelles, sociales et institutionnelles (Roditi, 2005 ; Peltier-Barbier, 2004).

Les entretiens avec Benoît, avant, pendant et après le visionnage des vidéos, sont très

précieux. Ainsi ce que déclare l’enseignant donne des éléments qui complètent utilement la

vidéo pour élucider le rapport de l’enseignant au contenu enseigné, ses conceptions de

l’enseignement et de l’apprentissage, les objectifs professionnels qu’il vise, ses relations avec

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ses collègues de travail en rapport avec l’enseignement des mathématiques, des indications sur les élèves dont il a la charge, sur l’établissement scolaire dans lequel il exerce, etc.

Parce qu’ils sont chercheurs didacticiens des mathématiques, mais aussi formateurs d’enseignantes et d’enseignants, ils considèrent que les pratiques d’un enseignant sujet-objet d’une recherche sont doublement adressées comme dans le cas des pratiques ordinaires, mais qu’elles leur sont aussi adressées, en tant que scientifiques et que formateurs. Dans le travail avec Benoît, c’est ce troisième adressage qui est mis à profit comme un vecteur de développement professionnel. En préparant sa séance pour le film, l’enseignant peut supposer qu’une explicitation de ses intentions et une justification de ses choix lui seront demandées durant l’entretien ; en laissant filmer ses pratiques en classe, il sait que la vidéo sera analysée ; et en acceptant de la visionner avec les chercheurs il peut imaginer que des indications lui seront aussi demandées quant à ses consignes, à la gestion du travail de ses élèves et à sa synthèse mathématique du travail.

Bien que les intentions de la recherche ne soient pas négociées avec l’enseignant, Benoît a appris qu’il ne travaille pas seulement « pour » notre équipe, mais aussi « avec » notre équipe.

Tout se passe comme si deux espaces de paroles étaient aménagés durant les entretiens pendant les entrevues de juillet 2006 et 2007. Un premier espace où les propos de l’enseignant viennent compléter les vidéos de son enseignement et enrichir le matériau des chercheurs par des éléments non-explicites, voire non-conscients et même inconscients de ses pratiques, et où les paroles des chercheurs ont pour fonction de favoriser l’émergence de cette partie du matériau. Un second espace où la réflexivité de l’enseignant est accompagnée, et où les paroles des chercheurs, selon leur spécialité, ont pour fonction de favoriser le développement professionnel de l’enseignant. En prenant la place de sujet-objet de recherche pour cette équipe codisciplinaire qui comporte une didacticienne et un didacticien des mathématiques, Benoît peut penser que son enseignement des mathématiques sera à la fois objet d’étude et moyen de développement professionnel.

Voici quelques exemples témoignant du fait que la prise en compte du triple adressage des pratiques de l’enseignant, et l’aménagement d’un double espace de parole durant l’entretien, engendrent à la fois un processus de construction de savoir scientifique et un processus de développement professionnel.

Benoît déclare que, selon lui, pour l’apprentissage des élèves, la qualité des relations de l’enseignant avec sa classe en général, et avec les enfants en particulier, prime sur la qualité des situations didactiques proposées. Sa conviction est renforcée par le jeune âge des élèves auxquels il s’adresse : Benoît travaille avec des enfants de cinq ans, dans la classe qui précède la première année de l’enseignement primaire. Les chercheurs tiennent compte de cette conception très forte dans leur analyse didactique de ses pratiques enseignantes : par exemple, lorsqu’un jeu est mis en place pour l’enseignement d’une notion, l’analyse concerne à la fois les potentialités didactiques du jeu et les effets du jeu sur les aspects relationnels enseignant/élèves. Durant les entretiens, les deux aspects sont abordés. Après plusieurs années où la relation de Benoît à ses élèves ne le satisfaisait pas et où l’exercice de ce métier le faisait souffrir en réactivant des problématiques personnelles, il peut aujourd’hui exercer une activité réflexive sur les relations qu’il induit en classe. D’une certaine façon, il semble que dans le processus de développement professionnel de Benoît, les diverses dimensions des pratiques ne soient pas synchrones. Il lui fut peut-être difficile d’en développer la dimension cognitive tant que la dimension médiative posait difficulté.

Aujourd’hui, durant les entretiens, et cela le surprend même, Benoît est intéressé par l’étude de ses choix didactiques et de leurs conséquences potentielles sur l’apprentissage des élèves.

Après un recueil d’une expression libre sur des passages de la vidéo qu’il choisit lui-même,

les chercheurs procèdent par proposition de différentes hypothèses interprétatives pour

analyser des moments qui ont retenu leur attention. Des suggestions alternatives sont étudiées

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pour leur pertinence et leur faisabilité, des outils d’analyse mis en œuvre sont partagés avec l’enseignant qui les utilise pour développer sa réflexion. Le cadre des seuls entretiens est bien sûr insuffisant pour permettre un réel développement professionnel, mais il semble que ces entretiens peuvent l’initialiser : aujourd’hui Benoît travaille au sein d’un IREM

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pour échanger avec des collègues, produire de nouvelles situations d’enseignement et accroître ses compétences professionnelles.

Les analyses des pratiques enseignantes de Benoît montrent que la référence précise au savoir mathématique savant (Chevallard, 1985) n’est pas importante, l’enseignant se réfère préférentiellement à ses propres connaissances et/ou approximations. Autrement dit, comme nous l’avons déjà remarqué en formation avec d’autres enseignants, Benoît est convaincu que ce qui lui convient, convient aussi à ses élèves. Ainsi, lorsque les élèves doivent chercher dans la classe des formes triangulaires, l’enseignant ne rejette ni une part de pizza, ni un fer à repasser. L’assimilation des solides à des figures planes ne le gêne pas. Il juge aussi acceptable la représentation d’un triangle par toute forme comportant trois « pointes », indépendamment des côtés. Les derniers entretiens ont permis à Benoît de questionner cette conviction.

Point de vue des cliniciens

Assurément tous les membres de l’équipe partagent le présupposé d’éléments modifiables dans l’exercice professionnel de Benoît, au niveau cognitif comme au niveau de la croissance psychique, toujours possible. Par ailleurs, le fait de donner au praticien l’occasion d’expliciter ses préoccupations, son questionnement, voire ses interrogations ou ses projets au moment des rencontres, permet au chercheur de créer les bases d’un questionnement plus ajusté par rapport aux contraintes du praticien, dans l’optique de la poursuite ultérieure de la recherche.

En ce qui concerne les cliniciens, leur épistémologie les conduit du côté d’un engagement à partir du présupposé de l’inconscient freudien. Ce présupposé convoque de manière consubstantielle la question des transferts (et des contre-transferts) et des résistances. D’un point de vue clinique, ce qui les lie au praticien fait l’objet d’une sorte de contrat dont une partie est non explicitable ouvertement, mais reposant néanmoins effectivement sur le présupposé qu’un professionnel peut s’améliorer. Pour ce qui est du psychique, ce serait même contre-productif, et créateur de résistances, sinon de fuite, que de soumettre le praticien à une sorte de violence du sens imposé, en devançant par trop ce que les chercheurs cliniciens supposeraient être ses questions ; c’est du moins la leçon que nous avons tirée de l’accompagnement de Martine, l’enseignante de notre premier exemple. À partir de là, la question de la formation-transformation du praticien et de l’évolution de ses pratiques se pose un peu différemment ; en tout cas, la question des conditions de transmission du geste professionnel et de l’accompagnement formatif doit tenir compte des phénomènes de résistance et de transfert. C’est en ce sens que les cliniciens de l’équipe codisciplinaire entendent, quant à eux, les termes de développement professionnel : un assouplissement des capacités psychiques de l’enseignant, lui permettant de mieux habiter son geste professionnel et de mieux soutenir sa place d’enseignant (Blanchard-Laville, 2005).

Lors des rencontres de juillet 2006 et 2007 avec Benoît, les cliniciens ont été particulièrement

concernés par l’aménagement du cadre, au sens analytique, de ces entrevues. Ainsi ont été

avant tout soigneusement pensés dans des élaborations menées à l’intérieur de l’équipe de

recherche, la temporalité de la journée, l’aménagement des conditions spatiales, les différents

types d’interactions envisagées, ainsi que les modalités de l’accueil de Benoît et de son départ

à la fin de la rencontre. Les interventions des chercheurs cliniciens lors de la rencontre

effective avec Benoît se sont plutôt centrées sur une forme d’évocation mutuelle de l’histoire

de son lien avec l’équipe, ouvrant un espace d’échanges potentiels, dans lequel l’échange un

peu plus organisé avec les didacticiens a pu prendre place.

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Comme nous l’avons déjà suggéré, la volonté de créer une certaine tonalité de l’espace d’échanges entre les chercheurs de l’équipe et Benoît est la même pour nous tous-tes. Il s’agit de favoriser une atmosphère de partage où du jeu est possible autour de certains éléments de savoir sans que s’instaure une dissymétrie dans laquelle les chercheurs sauraient mieux que le praticien ce qu’il y aurait à faire, mais plutôt une relation où chacun-e se met en état de disponibilité pour un partage qui respecte la différence de points de vue sans que l’un des points de vue prévale sur l’autre ou « écrase » l’autre, de même que dans l’équipe de recherche elle-même. La notion de transitionnalité proposée par D.W. Winnicott (1971) et développée par R. Kaës (1979) est à même de fournir un appui pour penser les processus intersubjectifs en œuvre dans ce type d’espace-temps.

CONCLUSION

Nos expériences d’accompagnement lors des recherches codisciplinaires précédemment menées nous ont incités à ne pas trop nous illusionner sur la seule nécessaire prise de conscience ou sur les effets de l’apprentissage rationnel des « bonnes » pratiques. Et c’est pourquoi, dans la recherche actuelle, nous sommes amenés à nous pencher sur des modes d’intervention qui auraient des chances d’être efficients sur l’action des professionnels, eu égard à nos épistémologies.

Il nous semble que ce nous avons proposé lors de ces dernières rencontres avec Benoît est un mode d’interaction pouvant permettre au praticien de mettre au jour des potentialités de développement professionnel qu’il est très proche de pouvoir mettre en œuvre et actualiser dans sa classe. Ce dispositif a des chances de l’aider à ré-interroger sa position professionnelle et à la faire évoluer vers davantage de maturité professionnelle tout en respectant sa propre temporalité.

En ce qui nous concerne, ce qui nous semble être une double finalité de la recherche

collaborative – à savoir produire des savoirs de recherche et des savoirs de terrain – nous

interroge. Produisons-nous dans le cadre de notre approche codisciplinaire des savoirs de

terrain ? Nous dirions plutôt que nous induisons du développement pour le praticien. Pour

nous, la question est alors celle de la transposition des savoirs de recherche en savoirs pour la

formation et en savoirs de terrain. Qui prend en charge ces différentes transpositions qui ne

peuvent pas rester dans l’implicite ? Il nous semble que la résolution d’une telle question

passe vraisemblablement par un travail sur le lien entre chercheurs et formateurs

d’enseignants. Les formateurs sont sans doute les acteurs les mieux placés du système

éducatif pour relayer les savoirs de recherche, étant des sortes d’acteurs interfaces entre la

communauté professionnelle et la communauté scientifique.

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1 L’enseignement du premier degré concerne les élèves de 3 ans à 11ans.

2 L’équipe comprend actuellement des chercheurs qui ont participé aux recherches précédentes comme Claudine Blanchard-Laville, Sylvain Broccolichi, Philippe Chaussecourte, Nicole Mosconi, Marie-Lise Peltier-Barbier, et des chercheurs qui nous ont rejoints plus récemment comme Louis-Marie Bossard, Marie-France Carnus, Éric Roditi, Catherine Verdier-Gioanni.

3 Cette recherche fait partie du travail effectué en réponse à l’appel d’offres du Comité National de Coordination de la Recherche en Éducation (CNCRE) et remis en novembre 1999, sous l’intitulé Approches codisciplinaires des pratiques enseignantes dans leurs rapports aux apprentissages différentiels des élèves, disponible à la bibliothèque de l’INRP.

4 Institut Universitaire de Formation des Maîtres.

5 Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques. Les IREM réunissent des enseignants et des chercheurs et développent des recherches rigoureuses dont productions sont le plus souvent des outils pour les enseignants.

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