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Réflexions sur le thème du salariat à partir de l’ouvrage de Francis Kaplan Les trois communismes de Marx

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Academic year: 2021

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Submitted on 3 Jun 2021

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Réflexions sur le thème du salariat à partir de l’ouvrage de Francis Kaplan Les trois communismes de Marx

Thierry Suchère

To cite this version:

Thierry Suchère. Réflexions sur le thème du salariat à partir de l’ouvrage de Francis Kaplan Les trois communismes de Marx. Nicolas Cayrol (éditeur) [2020], Francis Kaplan philosophe : des contradictions indépassables, éditions Presse Universitaire François Rabelais, université de Tours., 2020. �halshs- 03237821�

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« Réflexions sur le thème du salariat à partir de l’ouvrage de Francis Kaplan Les trois communismes de Marx » in Nicolas Cayrol (éditeur) [2020], Francis Kaplan philosophe : des contradictions indépassables, éditions Presse Universitaire François Rabelais, université de Tours.

Thierry SUCHERE MCF en sciences économiques Laboratoire EDEHN Université du Havre

I/ Les problématiques attachées à la réflexion théorique sur le salariat.

En 2017, la France comptait 22,5 millions de salariés pour 29,7 millions d’actifs. Sur la base d’un tel constat, force est d’admettre que : (i) le statut de salarié s’impose à celui qui veut participer à la vie économique et ainsi s’intégrer à la vie sociale ; (ii) le thème du salariat devrait alors être au centre de la réflexion des économistes, des spécialistes en sciences sociales et autres philosophes. Auteur de l’ouvrage Les trois communismes de Marx [1996], Francis Kaplan propose une relecture de l’œuvre de Marx et Engels prise dans sa globalité, une grande partie de cet ouvrage reposant sur un réexamen de la théorie du salariat. La thèse défendue par Francis Kaplan est celle d’une profonde ambiguïté de Marx dans son analyse du rapport salarial, ambiguïté perceptible au regard des deux lectures toutes aussi légitimes du chapitre VI du Capital : «Achat et vente de la force de travail» ou le rapport salarial y est vu à la fois comme un rapport marchand et comme un rapport de force.

Selon Marx et au moment de la signature du contrat de travail, le capitaliste et le salarié apparaissent respectivement comme acheteur et vendeur d'une marchandise : la force de travail. Ils se présentent alors tous deux comme des individus libres, égaux, doués de raison et mus par la défense de leur intérêt bien compris. Le travailleur vend au capitaliste un droit à disposition sur sa capacité de travail pour un temps déterminé. Les échanges sont censés être gouvernés par un principe d’équivalence marchand : l'égalité entre la chose cédée et la chose obtenue en contrepartie. En découle un authentique défi intellectuel pour Marx dans la tradition de l'économie classique de son temps : rendre compte de l’exploitation de la force de travail par le capital (un vol sur le temps de travail d’autrui) dans une société régulée par le principe d’équivalence marchand ! A l’opposé et dans les dernières lignes du chapitre VI du Capital, Marx opte pour un tout autre regard écrivant que «au moment où nous sortons de la sphère de la circulation…nous voyons s’opérer, à ce qu’il semble, une certaine transformation dans la physionomie des personnages de notre drame. Notre ancien homme aux écus prend les devants et, en qualité de capitaliste, marche le premier ; le possesseur de la force de travail le suit par derrière comme son travailleur à lui ; celui-là le regard narquois, l’air important et affairé ; celui-ci timide, hésitant, rétif comme quelqu’un qui a apporté sa propre peau au marché et ne peut plus s’attendre qu’à une chose : à être tanné» (Marx, 1867 : 726). Marx avance ici l’idée de personnages qui ne seraient plus tout à fait sur un pied d’égalité lorsqu’ils pénètrent dans l’atelier où laboratoire secret de la production.

On oublie trop souvent de dire que le capitalisme s’est bâti sur une expropriation originelle où appropriation privée des moyens de production au bénéfice d’une minorité. Tous les travailleurs sont donc socialement contraints de vendre du temps de travail à des possédants pour pouvoir accéder aux moyens de subsistance. Le salarié vend sa soumission acceptant pour un temps déterminée de se plier aux ordres d’un patron. Cette soumission n’exclue pas la réapparition par intermittence de rapports de force avec comme enjeu les conditions d’usage de la force de travail (la durée journalière, l’intensité, les temps de pause, le droit aux congés, le droit à la retraite vu comme un thème d'actualité…) et le prix de la force de travail (les salaires). Dans le chapitre X du Capital «La journée de travail», Marx montre qu’il aura fallu en passer par 50 ans de conflits sociaux, de mobilisation des syndicats ouvriers, d’intervention régulatrice du législateur soucieux de défendre les intérêts bien compris de la classe des capitalistes, qui se comportent comme des prédateurs peu soucieux de santé publique, pour que s’impose enfin la limitation effective de la journée de travail à 10 heures en Grande Bretagne (la loi additionnelle sur les fabriques datant de 1850). A un moment donné, la configuration prise par le rapport salarial traduit donc l’état de la lutte des classes. Est mis en avant une autre lecture de la pensée de Marx mobilisant un vocabulaire à connotation plus politique avec un recours aux mots de soumission, autorité, pouvoir, rapport de force, violence physique, lutte des classes…, tout un lexique qui ne participe pas du

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répertoire traditionnellement déployé par les économistes (Cartelier, 1980).

Lecture économique contre lecture politique du même rapport salarial, le travail de Francis Kaplan est l’occasion de faire le point sur d’importantes questions qui sont des objets de débat entre économistes.

Quel est le statut théorique et pratique de la force de travail ? Une marchandise ? Une marchandise particulière ayant la propriété de pouvoir produire plus de valeur qu’elle n’en coûte ? Une non- marchandise, sa reproduction n’étant pas guidée par le souci de la rentabilité (et dans laquelle interviennent des institutions telles que la famille, la sphère éducative ou encore la sphère de la santé…) (Lautier et Tortajada : 1978) ? Peut-on attribuer une valeur à la force de travail ? La plus-value mesurant la différence entre valeur créée dans le cadre des opérations de production et valeur de la force de travail, il faut donc pouvoir dire de la force de travail qu’elle est une marchandise et qu’elle a une valeur, si l’on veut que le concept d’exploitation ait du sens. Nous traiterons de l’ensemble de ces questions, adoptant un axe de lecture un peu différent de celui retenu par Francis Kaplan parce que mettant l’accent sur le seul livre I du Capital [1867] parce qu’il s’agit d’un ouvrage auquel Marx aura, lui-même, donné son aval pour publication et parce qu’il rend compte de la pensée du Marx de la maturité, celui qui pense avoir résolue les énigmes qui occupaient l’économie politique classique (cf. Adam Smith, David Ricardo) en déployant de nouveaux concepts tels que la valeur, le travail concret et abstrait, la force de travail, la plus-value...

II / Lecture économique du rapport salarial : Karl Marx doit-il être lu comme le dernier des économistes classiques ?

Dans Le Capital, Marx tente un pari audacieux : rendre compte de l’exploitation de la force de travail par l'entreprise dans un monde où les échanges sont censés être gouvernés par un principe d’équivalence marchand entre ce que l’individu donne et ce qu’il reçoit en contrepartie. «Si le mode d’appropriation capitaliste à toutes les apparences d’outrager les lois initiales de la production marchande, il ne résulte nullement de la violation de ces lois, mais au contraire de leur application» (Karl Marx [1867] cité par Tran Hai Hac, 2003 : 255). Ici, est engagé une lecture dite économique de l’œuvre du Marx, celle ou sont mises en avant les lois du marché, celle ou le rapport de Marx aux économistes classiques est le plus perceptible, celle qui fait de Marx le dernier des économistes classiques leur apportant la théorie qu’il leur faisait défaut : rendre compte de l’exploitation comme s’inscrivant dans le champ de la théorie de la valeur.

Les Théories sur la plus-value [1861-1863] montrent que Marx avait une solide connaissance de l’histoire de la pensée économique de son temps. Rappelons l'état de la pensée classique à l'époque de Marx. Chez Adam Smith [1776], la valeur de la production se mesure au temps de travail qu’il faut déployer dans le cadre des opérations de fabrication. Le salaire rémunère le travail effectué. Il recouvre la production de l’individu en un état de la société originel où n'existe pas la propriété privée des moyens de production. Reste à trouver une explication pour le profit et la rente ce que Smith ne peut concevoir autrement que comme un prélèvement sur le travail s’exerçant en un état ultérieur de cette société dès lors que s’opère monopolisation au bénéfice de quelque uns de la terre et des outils de production. La loi de la valeur devient alors comme suspendue, le raisonnement s’empêtrant dans des contradictions : (i) la marchandise comprendrait plus de travail que ce qui est nécessaire pour payer le travail ; (ii) du point de vue du salarié, plus de travail fourni s’échange dorénavant contre moins de travail payé. Dans une société où domine la propriété privée des moyens de production, la valeur de la marchandise ne se détermine plus sur la base du temps de travail, mais à partir des catégories de la répartition : le prix doit couvrir les salaires, le profit et la rente. Chez David Ricardo [1817], on va trouver peu de chose quant à la nature du profit. Le profit est défini comme un résidu ou ce qui reste sur la valeur d’échange du produit dès lors que l’on a déduit le salaire et la rente. La valeur d’échange se calquant sur le temps de travail, on en déduit que le profit est un prélèvement sur ce temps de travail. Vient ensuite la proposition ricardienne selon laquelle tout ce qui fait baisser les salaires fait augmenter le profit et réciproquement, Ricardo ne niant pas l’existence de conflits de classe. Chez les classiques, se trouve donc cette intuition du profit comme d’un prélèvement sur le produit du travail. Mais, selon Marx, ils ne disposeraient pas de l’appareillage conceptuel leur permettant d’aller au bout de cette intuition en la faisant entrer dans le champ d'une théorie de la valeur et donc dans le corpus de l’économie politique.

Cherchant à expliquer le profit, Marx considère un monde où tout est marchandise. La loi de la valeur régit l’ensemble des relations entre agents économiques. Marx dit de la force de travail qu’elle est

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marchandise et qu’elle a une valeur. Considérant ensuite la différence entre la valeur créée via la mise en œuvre de la force de travail et la valeur de la force de travail, Marx dit qu’elle fonctionne comme une mesure possible du degré d’exploitation de cette même force de travail, la survaleur rémunérant le possesseur des moyens de production. L’exploitation est un concept que Marx tente d’ancrer dans le corpus de l’économie politique classique. Mais il lui faut en passer par un effort de clarification conceptuelle qui s’opère moyennant des modifications dans le vocabulaire employé : de «la valeur d’usage et valeur d’échange» au triptyque «valeur, valeur d’usage et valeur d’échange», du «travail» au

«travail concret et abstrait», de la «valeur du travail» à la «valeur de la force de travail», du «profit, de l’intérêt et de la rente» à la «plus-value»…

Entrons dans le détail du raisonnement tenu par Marx dans le cadre du Capital. La première section du Capital s’intitule «Marchandise et monnaie». Elle contient les ingrédients d’une réécriture de la théorie de la valeur. Réfléchissant à la valeur des marchandises, Marx estime qu’il y a là matière pour deux questions distinctes, les classiques n’en voyant qu’une : «la substance et la mesure de la valeur» là où il n’était question que de «la mesure des valeurs d’échange». Selon Marx, le travail social abstrait est substance de la valeur. Le travail abstrait est pure dépense de force physique indépendante de ce à quoi elle s’applique. Les travaux respectifs du cordonnier, du boucher ou de l’enseignant peuvent être vue comme de simples dépenses d’énergie dès lors que l’on fait abstraction des caractéristiques concrètes des activités ainsi déployées : ressemeler une chaussure, découper de la viande, expliquer un théorème mathématique... Vient ensuite l’idée de travail social. Dans une société où prévaut la division du travail et qui choisit le marché comme mode de coordination, toutes les décisions de production sont individuelles. L’acte de vente signifie la reconnaissance des travaux privés ainsi engagés comme du travail social. Il revient à affirmer : (i) que le travail effectué est bien utile puisqu’il pourvoit aux besoins d’autrui (la marchandise a trouvé preneur); (ii) que le temps passé à produire se conforme à une moyenne socialement acceptable vu l’état des savoirs et des techniques (la marchandise a trouvé preneur à un prix qui couvre les coûts de production). Le processus de transformation des travaux privés en travail social passe souvent par des moments de crise et de tension : des entreprises qui font faillites fautes d’avoir trouvé preneur pour leur production ou fautes d’avoir pu la vendre à un prix couvrant leur coût de production. La question de la substance de la valeur étant supposée résolue, vient ensuite celle de la mesure de la valeur. Dans la première section du Capital, se trouve l’affirmation du principe d’équivalence marchand entre ce que l’individu cède et ce qu’il obtient contrepartie. Ce principe régit ce qui se passe dans la sphère de la circulation ou marché. Les marchandises ont en commun d’être du travail accumulé. Elles ne s’échangent les unes avec les autres, ne sont jugés équivalentes qu’au regard du temps de travail qu’il aura fallu déployer pour les produire. La valeur de toute marchandise se mesurera donc en référence à un temps de travail socialement nécessaire à sa production : un temps de travail moyen qui s’impose à la société compte tenu de l’état du progrès technique (1).

1) Pour Francis Kaplan, le mécanisme avancé par Marx et servant à déterminer la valeur de la force de travail contredit celui avancé par le même Marx en matière de fixation du prix de la force de travail (synonyme de salaire).

Reprenons le raisonnement de F. Kaplan. Etre conforme au principe d’équivalence marchand, c’est supposer une force de travail payée à sa valeur et dont le fondement se trouve être le temps de travail socialement nécessaire à sa production. Dès lors que la force de travail est payée à sa valeur, il ne saurait y avoir d’exploitation ! Quant au salaire, il est déterminé sur le marché du travail. L’appropriation des moyens de production au bénéfice d’une minorité autorise cette dernière à agir en monopole sur ce marché du travail. La grande masse des travailleurs devra alors se contenter d’un salaire de misère, l’exploitation dérivant d’une paupérisation absolue. Francis Kaplan parle de contrat léonin ou part du lion s’inspirant du principe qui veut qu’à l’issu de la chasse, le lion se serve d’abord avant de laisser place à la lionne, aux lionceaux et aux charognards. La lecture faite par Francis Kaplan de Marx repose sur l’hypothèse de valeurs et des prix déterminés par des mécanismes différents. Or, il n’y a pas, chez Marx, une théorie de la valeur et une théorie des prix. En régime capitaliste, les biens ont le statut de marchandise ce qui signifie qu’ils sont produits pour la vente. Les marchandises arrivent sur le marché pourvues d’une étiquette : elles ont un prix. Dans le même temps, ce prix ne s’explique pas à partir des mouvements accidentels de l’offre et de la demande. Il renvoie à une loi plus fondamentale : la loi de la valeur ou loi du temps de travail socialement nécessaire à la production de ces marchandises. Le prix a un rôle. Il est la forme phénoménale de la valeur, celle au travers duquel la réalité en vient à se manifester aux yeux des acteurs. Dans la vie courante, rares sont ceux qui pensent en termes de temps de travail. En France, nous raisonnons tous en euro. Le prix révèle la valeur laquelle ne se donne à voir que dans l’échange sous une forme transfigurée. Analytiquement, la valeur fonctionne comme une variable explicative. Telle est la conception que Marx, économiste, défend dans Le Capital. Mais dans la deuxième partie de notre papier, nous montrerons que la force de travail n'étant pas une marchandise au sens strict, elle n'a

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Dans la deuxième section du Capital «La transformation de l’argent en capital», Marx décrit ensuite le mouvement économique observable lorsqu’on se positionne au niveau de l’entreprise : la forme Argent- Marchandise-Argent. Avançant du capital, l’entreprise se procure les marchandises nécessaires aux opérations de production (des matières premières, des machines, de la force de travail…). A l’issu du processus de production, il lui faut vendre les marchandises ainsi produites. La forme AMA n’a de sens que dans la mesure où l’entreprise récupère plus d’argent en fin de processus qu’elle n’en a avancé : A -M -A’ avec A’ = A + ΔA.

Marx affirme son ambition de comprendre l’origine de ce surcroît de valeur, mais en supposant que l’explication ne se trouve pas du côté de la sphère de la circulation. Supposer que le capitaliste vende sa marchandise plus cher que ce qu’elle vaut signifie que ce qui a été gagné par le capitaliste aura été perdu par le consommateur. Le marché est régit par un principe d’équivalence entre ce que l’individu cède et ce qu’il obtient contrepartie. Le capitaliste achète les marchandises à leur valeur et cède sa production à sa valeur. Avançant de l’argent, le capitaliste se porte acquéreur de machines, de matières premières et de force de travail. Traitée en marchandise, la force de travail est pourvue d’une valeur. Le principe d’équivalence marchand régulant également le marché du travail, ceci signifie qu’on ne peut rendre compte de la possibilité pour le capitaliste de retirer du processus de production plus d’argent qu’il n’en a avancé à partir de la tentation qui pourrait être sienne à vouloir sous-payer ses salariés (2). La force de travail est payée à sa valeur.

Le salaire doit permettre la reproduction de la force de travail synonyme aussi de reproduction de l’individu. Cette reproduction de l’individu s’opère dans le cadre de la famille. Dans la sphère domestique, se forment des habitudes de consommation. L’objet de l’analyse économique est l’élaboration d’une théorie portant sur le fonctionnement du mode de production capitaliste. Le décryptage de ce qui se passe au niveau de la sphère domestique est donc hors-sujet. La sagacité de l’économiste s’arrête aux portes de la demeure familiale, peu concerné qu’il est par ce que les gens mettent dans leur assiette ou regardent à la télévision. C’est là le travail du sociologue. L’économiste ne prend en compte cette norme de consommation qu’à partir du moment où elle prend la forme d’une valeur attribuée à un panier de biens produits dans des conditions capitalistes et vendus sur le marché : la

pas de valeur. Il convient alors bien de s'en tenir à la seule thèse du contrat léonin laquelle fait du niveau des salaires la résultante d'un état de la lutte des classes, la valeur étant devenue catégorie non-pertinente sur un plan analytique.

2) Dans les écrits de jeunesse de Marx et Engels, se trouve cette idée d’un salaire qui tend vers un minimum physiologique sous l’effet du machinisme générant des gains de productivité qui permettent de produire la même chose avec moins de travail et de salariés, voire de la concurrence entre ouvriers. Marx et Engels relèvent que les ouvriers sont mieux armés pour lutter contre cette tendance dès lors qu’ils s’organisent en syndicat. Dans leurs écrits de jeunesse, Marx et Engels dénoncent la misère ambiante, la coexistence entre une misère de masse et un luxe outrancier des classes possédantes devant déboucher sur l’implosion du capitalisme. Francis Kaplan s'appuie sur ces écrits de jeunesse pour avancer l’idée d’une contradiction entre cette théorie du salaire reposant sur une hypothèse de paupérisation absolue et une théorie qui veut que la force de travail soit payée à sa juste valeur. Selon nous, les écrits de jeunesse et les écrits de la maturité ne doivent pas être mis sur un même plan. Toujours selon nous, il n’y a que deux attitudes envisageables pour qui souhaite rendre compte d’une œuvre produite sur plusieurs années : (i) lister et analyser les changements dans les thèmes abordés et concepts déployés ; (ii) montrer que cet auteur n’aura fait que se positionner tout au long de sa vie par rapport à une même interrogation ou intuition initiale. Dans Le Capital, Marx met l’accent sur l’exploitation de la force de travail par le capital et non sur la misère des masses (l’analyse des conditions de vie du monde ouvrier étant d’ailleurs symptomatiquement renvoyée en annexe). L’exploitation se mesure sous la forme d’une plus-value : la différence entre valeur créée du fait de la mise en œuvre de la force de travail et valeur de la force de travail. Elle ne suppose nullement un salarié réduit à l’état de nécessiteux. Marx parle de plus-value relative pour rendre compte de la recherche par les entreprises de gains de productivité. L’augmentation de la productivité signifie qu’il faudra moins de temps à chaque ouvrier pour fabriquer l’équivalent de son salaire. Elle donne lieu à une augmentation du taux d’exploitation (un partage du temps plus favorable aux capitalistes), salaire nominal et réel étant laissés en l’état. La diminution de la valeur de la force de travail ne signifie donc aucunement la baisse des salaires, Marx prenant bien soin de distinguer deux niveaux de raisonnement : le raisonnement en valeur (du temps) et le raisonnement en prix (en euros). Envisageons un partage des gains de productivité qui soit plus profitable aux salariés. A supposer que les gains de productivité soient entièrement absorbés via une augmentation du salaire nominal, ceci laisserait inchangé le taux d’exploitation. Les gains de productivité peuvent aussi profiter aux consommateurs moyennant une baisse des prix laquelle entraîne une augmentation du salaire réel sans rien changer au taux d’exploitation.

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valeur de la force de travail. La valeur de la force de travail s’établit en prenant pour base le temps de travail socialement nécessaire à la reproduction des marchandises entrant dans la reproduction de la force de travail.

Elle se donne ensuite à voir dans un salaire lequel reflète le prix des marchandises entrant dans la reproduction de la force de travail. Sur un plan analytique, l’exogénéité de la norme de consommation signifie que l’économiste devra traiter la valeur de la force de travail en donnée. «Sa valeur comme celle de tout autre article, était déjà déterminée avant qu’il entra dans la circulation car sa production avait exigé un certain quantum de travail social; mais la valeur usuelle de la force de travail consiste dans sa mise en œuvre, qui naturellement n’a lieu qu’ensuite» (Marx, 1867 : 723). Marx suppose donc donnée la valeur de la force de travail avant que ne s’engagent les opérations de production (Nadel 1983, De Vroey, 1985).

La théorie de l’exploitation est explicitée dans la troisième section du Capital «La production de la plus- value absolue». Analyser le surcroît de valeur ou plus-value suppose donc de sortir de la sphère de la circulation pour entrer dans la sphère de la production parce que nous avons vu qu’il n’y avait nulle explication à rechercher tant du côté de la tentation du capitaliste à vouloir vendre ses marchandises plus chères que ce qu’elles ont coûtées que du côté de cette autre tentation qui le conduirait à vouloir sous- payer ses salariés. Dépossédé de son outil de travail, le salarié ne commercialise pas son travail à l’image de l’artisan. Il vend sa force de travail : une mise à disposition temporaire de sa capacité de travail, le capitaliste étant chargé de la mettre en œuvre dans le processus de production. Adoptant le point de vue de Robinson sur son île, Marx montre que cette puissance de travail a pour le naufragé une utilité : celle de produire des biens répondant à ses besoins par déploiement d’un travail concret. Du point de vue du salarié, la force de travail est dépourvue d’utilité s’il ne trouve pas à la faire employer par un capitaliste.

Le capitaliste est le légitime propriétaire de ce qui est produit. Ce capitaliste poursuit un unique objectif de création et de réalisation de valeurs, indifférent au fait de savoir si sa production se résume en de l’électroménager, des centrales nucléaires ou du café soluble… Adoptant le point de vue du capitaliste, Marx montre alors que la force de travail a le statut de marchandise particulière dotée d’une valeur d’usage spécifique : celle de pouvoir produire un surcroît de valeur généré par du travail abstrait. La plus-value procède de cette capacité de la force de travail à pouvoir produire plus de valeur qu’elle n’en coûte. Elle s’appuie sur la différence existante entre la valeur d’usage de la force de travail et sa valeur d’échange. «La valeur que la force de travail peut créer et la valeur qu’elle possède diffèrent donc de grandeur. C’est cette différence de valeur que la capitaliste avait en vue lorsqu’il acheta la force de travail... ce qui décida l’affaire, c’était l’utilité spécifique de cette marchandise source de valeur, et de plus de valeur qu’elle n’en possède elle-même» (Marx, 1867 :745).

Dans le chapitre XIX du Capital «Transformation de la valeur ou du prix de la force de travail en salaire», Marx revient sur le déplacement de vocabulaire qui s’opère par rapport à une terminologie propre aux économistes classiques : la «valeur de la force de travail» en lieu et place de la «valeur du travail». Marx compare l’expression «valeur du travail» à celle de «logarithme jaune» pour en souligner toute l’absurdité. Et il déclare que «le travail est la substance et la mesure de la valeur, mais il n’a lui- même aucune valeur» (Marx, 1867 : 1031). Raisonnant à partir du concept de «valeur du travail», les classiques pensent de manière circulaire : fonder la valeur sur le travail lequel a une valeur. Bien qu’irrationnelle, l’expression «valeur du travail» montre la façon dont la réalité s’impose à notre esprit : lorsque les apparences masquent la réalité de l’exploitation. Payé à l’issu des opérations de production, le salarié se croit rémunéré pour le travail qu’il aura été amené à effectuer. «Prenons maintenant le capitaliste…s’il existait une chose telle que la valeur du travail, et qu’il eut payé cette valeur, il n’existerait plus de capital et que son argent perdrait la qualité occulte de faire des petits» (Marx, 1867 : 1038).

III/ Une lecture politique du concept de rapport salarial : une théorie de la domination.

La lecture politique du concept de rapport salarial est le fait d‘économistes remettant en cause l’idée que la force de travail puisse être une marchandise. Un bien n’est marchandise que s’il est produit pour être vendu. L’objectif de son producteur est la réalisation de la valeur de la marchandise, son enrichissement personnel au travers de la production et la réalisation d’une survaleur ou plus-value. Or, la vie du salarié se caractérise par un cycle économique de type «Marchandise-Argent-Marchandise» en lieu et place du cycle «Argent-Marchandise-Argent». Le salarié vend sa force de travail contre de l’argent lequel lui permet se procurer les biens nécessaires à sa consommation personnelle. Dire de la force de travail qu’elle est une marchandise revient à imaginer que le salarié exploite sa force de travail laquelle serait

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analysable comme un capital spécifique (on pense à la théorie du capital humain chez Gary Becker), à mettre travailleurs et capitalistes sur un même plan, à penser le travailleur comme un mauvais capitaliste, un capitaliste irrationnel qui ne réaliserait aucune plus-value. Marx s’inscrit en faux contre cette présentation des faits écrivant que «des économistes d’esprit apologétique présentent le problème sous un faux jour… le vendeur – l’ouvrier – convertit sa marchandise – force de travail - en argent qu’il dépense comme revenu, ce qui lui permet de conserver et de revendre sans cesse sa force de travail.

Celle-ci représente donc son capital sous forme de marchandise, la source permanente de son revenu.

En vérité, la force de travail est sa propriété, non son capital…Le fait qu’un homme soit contraint de vendre sans cesse sa force de travail, c’est à dire de se vendre lui-même à une autre personne, démontre bien selon ces économistes, que c’est un capitaliste…. Dans ce sens, l’esclave est lui-aussi un capitaliste, bien qu’il soit vendu comme marchandise, une fois pour toute, par quelqu’un d’autre ; car il est dans la nature de cette marchandise – l’esclave travailleur – que son acheteur le fasse non seulement travailler tous les jours, mais qu’ils lui donnent aussi les subsistances qui la rendent apte à recommencer sans cesse son travail» (Marx, 1869-1979 : 817-818). La reproduction de la force de travail a pour cadre la sphère familiale. Or, on sait que cette dernière ne répond pas aux impératifs de rentabilité gouvernant le monde des entreprises. La décision de faire des enfants ne dérive pas d’un calcul cynique de rentabilité ayant en tête ce qu’ils pourront nous rapporter dès lors qu’ils entreront sur le marché du travail. Par conséquent, la force de travail n’est doublement pas une marchandise tout simplement parce qu’on ne produit pas des individus pour les mêmes raisons et de la même façon que l’on produit au choix des voitures ou des ordinateurs. J. Schumpeter est le premier économiste à en avoir fait le constat écrivant que : «La théorie de la valeur fondée sur le travail, même à supposer qu’elle soit valable pour toute autre marchandise, ne peut jamais être appliquée à la marchandise travail car ceci impliquerait que les ouvriers puissent, comme les machines, être produits sur la base de calculs rationnels de prix de revient» (Schumpeter, 1951 : 47).

La force de travail n‘est donc pas une marchandise et de surcroît, elle ne saurait avoir de valeur.

Intervient dans la production et reproduction de l’individu et donc de cette force de travail principalement du travail domestique. Ce travail domestique renvoie à une somme d’activités concrètes directement utiles : cuisiner des plats, repasser ses chemises, repriser des chaussettes… Nulle trace de travail abstrait producteur de valeur. Ce travail domestique se déploie dans un cadre privé. Mais nulle trace d’une procédure de validation de ce type de travail mise en œuvre par la société et qui conduirait à penser le travail domestique comme une fraction du travail social global. Rentrant chez elle, il revient à la femme d’entamer le plus souvent sa deuxième journée de travail, mais elle ne bénéficie pas pour autant d’un supplément de rémunération que lui verserait au choix son mari ou la société témoignant ainsi de leur reconnaissance respective. A l’image de la terre et des œuvres d’art, la force de travail participe de la catégorie des objets non-reproductibles à partir d’un travail abstrait et social lesquels objets ont un prix (le travailleur percevant un salaire), mais pas de valeur. Dire de la force de travail qu’elle n’est pas une marchandise et n’a pas de valeur, c’est faire voler en éclats le concept de plus- value et la théorie de l’exploitation.

Au concept économique d'exploitation il convient alors de substituer un autre concept emprunté, lui, aux sciences politiques : celui de domination. «Au fond du système capitaliste, il y a donc la séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production» (Marx, 1867 : 1169). La lecture en des termes politiques de l’œuvre de Marx débute par ce constat de partition de la population en deux grandes catégories : une infime minorité propriétaire des moyens de production face à la masse de travailleurs dépourvus de tout. Pour B. Lautier et R. Tortajada [1978], «le concept de force de travail désigne une marchandise particulière, c’est à dire le mode d’inscription dans des rapports marchands de ceux qui n’ont rien à vendre» (p. 88). De même, pour JP. de Gaudemar «la force de travail est métaphore d’un travailleur sans force, sans la capacité sociale d’organiser le travail (le sien comme celui des autres).

La force de travail serait la faiblesse du travailleur, la désignation de son manque» (in Boureille, 1981 : 14). En régime capitaliste, le prolétaire n’accède aux moyens de subsistance que s’il trouve à se faire employer par un capitaliste. Le travailleur est donc un non-sujet économique puisque ne pouvant mettre en œuvre par lui-même sa force de travail et gagner ainsi de quoi subvenir à ses besoins. Le rapport salarial se conçoit comme rapport de dépendance monétaire, d’où résulte l’obligation faite au salarié de se soumettre sans trop de discussions aux ordres d’un patron dans le cadre du laboratoire secret de la production (Benetti et Cartelier, 1980, De Vroey, 1984, 1985…).

Dans la pensée libérale, on a recours à la fable de la cigale et de la fourmi pour expliquer la différence

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de fortune entre capitalistes et salariés. La fortune d’une minorité de capitalistes s’explique par le travail et l’abstinence, là où la majorité de la population aura préféré faire bombance. La section VIII du Capital

«L’accumulation primitive» rend compte d’une genèse historique et non fantasmée du rapport salarial, Marx étudiant le cas de la Grande Bretagne. La genèse du capitalisme s’y déroule sur une période qui s’étend sur 400 ans : du XVème siècle au XVIIIème siècle. Cette histoire commence avec l’expropriation de la petite paysannerie à qui l’on vole son outil de travail et donc ferme une voie d’accès aux moyens de subsistance. Au XVème siècle, les seigneurs s’approprient la terre de la petite paysannerie pour la transformer en terre à pâturage suite à une augmentation du prix de la laine. La noblesse recourt alors à la force détruisant les maisons, incendiant les villages. Marx cite le cas de la duchesse de Sutherland laquelle aura expulsé pas moins de 15 000 individus pour les remplacer par 131 000 moutons. De la spoliation de la petite paysannerie résulte l’obligation pour elle de trouver d’autres manières d’accéder aux moyens de subsistances : la mendicité, le vol, l’émigration vers le nouveau monde, le travail en usine... La bourgeoisie obligera ensuite les individus ainsi spoliés à se présenter aux portes des manufactures en ayant recours au besoin à la violence de l’appareil d’Etat : des individus qui se seront vus aux choix fouettés, marqués au fer rouge sur les joues et le front avec la lettre S mise là pour désigner l’esclave, tranchés l’oreille, pendus par groupe de 300 ou 400 pour fait de vagabondage. Sous le règne d’Henri VIII, on estime à 72 000 le nombre de vagabonds et mendiants qui furent ainsi exécutés. La genèse du capitalisme repose donc sur le vol du bien d’autrui et l’exercice de la contrainte physique obligeant les individus ainsi spoliés à s’inscrire dans des rapports de production de type capitaliste. Et Marx de considérer que «si c’est avec des tâches naturelles de sang sur une de ses faces que l’argent est venu au monde, le capital y arrive suant le sang et la boue par tous les pores» (Marx, 1867 : 1224).

Avec le temps, cette obligation d’intégration de l’individu aux rapports de production capitaliste devient affaire d’éducation et d’habitude doublée d’une contrainte économique : la faim et de la misère sont de puissants ressorts disciplinaires nous obligeant à vendre notre peau contre un plat de lentilles et à obéir sans discuter aux ordres du patron. Le salariat définit le mode de socialisation de la majeure partie de la population : le mode de socialisation d’un peuple d’expropriés qui est en même temps rapport de soumission au monde de l’entreprise et à sa logique. «Le rapport salarial est un rapport spécifique de soumission au sens où il socialise des producteurs expropriés sous la forme particulière de travailleurs évalués, ce qui permettra leur inscription obligatoire dans des rapports marchands. Il n’est pas une forme quelconque d’autorité, mais la forme capitaliste pas excellence de celle-ci» (Cartelier, 1980 : 78).

Le concept d'exploitation de la force de travail impliquait de considérer comme donnée la valeur de la force de travail de façon à pouvoir mesurer l'écart existant entre valeur créée et valeur de la force de travail. La force de travail n'étant pas une marchandise, elle ne saurait avoir de valeur. Dès lors, l'exploitation est un concept vide de sens, parfaitement indéterminé. En lieu et place, est mis en avant une autre problématique qui conduit à devoir s'interroger sur le niveau des salaires et sur les biens entrant dans la reproduction de la force de travail pour une société et à une période historique donnée. C'est la valeur ajoutée ou richesse créée par l'entreprise qu'il faut maintenant supposer donnée au regard de ce que Marx appelle le niveau de développement des forces productives (qui comprend la technologie, les ressources énergétiques, l’organisation des opérations de production…), le niveau des salaires se concevant ensuite comme inversement proportionnel aux prélèvements effectués sur la valeur ajoutée au titre de la plus-value. La norme de consommation trouve alors à s’expliquer par la manière dont va s’effectuer le partage des gains de productivité entre le travail et le capital (avec la nécessaire prise compte de la concurrence entre capitalistes, des politiques de recherche de gains de productivité, des luttes sociales et politiques, de l’élargissement rendu nécessaire de la sphère de la consommation pour que se créent des débouchés…) avec un état de la lutte des classes stabilisé par de possibles compromis institutionnels (voir le rôle de l’Etat dans la formalisation du contenu du code du travail). Ce processus de répartition de la valeur ajoutée créée est fondamentalement inégalitaire du fait du monopole exercé par une infime minorité de possédants sur les moyens de production. Au Marx économiste, continuateur des œuvres de Smith et Ricardo et qui cherchait à rendre compte de la dynamique du capital sur la base des seules lois économiques (voire la loi de la baisse tendancielle du taux de profit à partir de laquelle s’appréhende le devenir du capitalisme...) s'oppose clairement un Marx, fondateur de la première internationale socialiste et pour lequel l'histoire est bien mue par un principe de lutte des classes. «Quel que soit l'élément moral et historique qui la caractérise, l'idée d'objectivité, de déterminisme économique qui s'attache à la marchandise condamne l'invocation de la lutte des classes à demeurer parfaitement extérieure à la théorie, plaquée sur une représentation qui peut parfaitement s'en passer»

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(Benetti et Cartelier, 1980 :190).

IV / Conclusion :

Dans les dernières pages de son ouvrage Les trois communismes de Marx, Francis Kaplan écrit que la dénonciation de la situation faite à l’ouvrier, lequel serait réduit à devoir accepter d’être traité en objet, est ce qu’il y aurait de plus spécifique et de plus constant dans les écrits de Marx. «Le problème n’est donc pas seulement une affaire de chiffre, l’ouvrier reçoit-il assez ?, mais de principe. Un relèvement des salaires ne serait rien d’autre qu’une meilleure rétribution des esclaves… Owen avait beau avoir fait matériellement le maximum pour ses ouvriers au dire d’Engels, tout cela ne satisfaisait pas Owen.

L’existence qu’il avait faite à ses ouvriers était à ses yeux, loin d’être encore digne de l’homme ; les gens étaient mes esclaves. Quel que soit le salaire, le salariat n’est pas plus admissible que ne l’est l’esclavage, quel que soit le prix auquel un homme se vendrait» (Kaplan, 1996 : 344).

Contrairement à F. Kaplan, nous ne pensons pas que salariat et esclavage soient réductibles l’un à l’autre bien que renvoyant tous deux à un rapport de domination. Dans le Chapitre X du Capital consacré à la journée de travail, Marx nous montre en quoi, précisément, le salariat se distingue de l’esclavage. Pour Marx, l’histoire de l’humanité est passée par trois formes successives de rapport au travail lesquels sont en même temps des rapports distincts de domination : l’esclavage, le servage et le salariat. Les sociétés humaines se distinguent donc par la manière dont elles entendent imposer aux individus de se mettre au travail, la manière dont on crée de la soumission à quelconque forme d’autorité dans le cadre des opérations de production et la manière dont les possédants extorquent et jouissent sans contrepartie du temps de travail à autrui. L’esclave est celui qui se voit dépossédé de tout, y compris du droit à disposer librement de son propre corps. L’esclave n’est pas propriétaire de sa force de travail. Cette force de travail est vendue par un tiers, au bénéfice de ce tiers et en une seules fois. L’esclave travaille en réponse à la menace et à la contrainte physique. En apparence, l’esclave donne tout son temps à son propriétaire.

En réalité, il travaille une partie de sa journée pour produire l’équivalent de ce qui est nécessaire à son entretien (homme libre, il serait bien obligé d’en faire autant) et une partie de la journée gratuitement pour son propriétaire. L’esclave est payé en nature, son propriétaire décidant pour lui ce qu’il est bon de consommer. A l’opposé, le salarié est propriétaire de sa force de travail. Il ne la vend lui-même que temporairement et donc par morceaux. Contraint par la misère et la faim de se vendre, obligé qu’il est de faire allégeance au monde de l’entreprise et à sa logique, le salarié choisit pourtant librement le capitaliste avec qui il entend traiter. Il peut faire le choix également de se former, de changer de profession, d’émigrer vers d’autres contrées afin d’améliorer sa situation. Le salarié est son propre maître. Il pense et agit en être libre ! En dehors de la sphère de la production, cette liberté n’est que plus flagrante. Payé en monnaie, le salarié dépense librement son revenu, choisissant d’épargner ou au contraire de tout dilapider. Consommateur, il traite d’égal à égal avec des capitalistes avec qui il entretient de purs rapports marchands. Citoyen, il réfléchit à sa situation et de s’organiser avec d’autres en vue de la défense de ses intérêts bien compris. Face à un rapport de force économique qui lui est défavorable, il a la possibilité de déplacer le combat sur le terrain de la politique pour imposer les changements nécessaires à l’amélioration de sa situation. En un mot, le salarié «apprend à être son propre maître contrairement à l’esclave qui a besoin d’un maître» (Marx, 1861-65 : 377), cette situation étant source de changements historiques profonds.

Bibliographie :

Benetti C. et Cartelier J. [1980], Marchands, salariat et capitalisme, éditions Maspero.

Boureille B. [1981], Réexamen de la théorie du salariat, éditions Presse Universitaire de Lyon.

Cartelier L. [1980], «Contribution à l’étude des rapports entre l’Etat et travail salarié», Revue économique, janvier, 1, 67-87.

De Vroey M. [1984], «Marchandise, société marchande, société capitaliste : un réexamen de quelques définitions fondamentales», Cahiers d’économie politique, 9, 109-135.

De Vroey M. [1985], «La théorie du salaire chez Marx : une critique hétérodoxe», Revue Economique,

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Mai, 3, 451-480.

Kaplan F. [1996], Les trois communismes de Marx, éditions Noêsis.

Labica G. et Bensussan G. [1985], Dictionnaire critique de marxisme, voir les articles : «Force de travail» (G. Bensussan), «Salaire» (J. Bidet), «Travail» (J. Bidet), éditions Presse Universitaire de France.

Lautier B. et Tortajada R. [1978], Ecole, force de travail et salariat, éditions Presse Universitaire de Grenoble.

Marx K. [1861-1863], Les théories sur la plus-value, 3 volumes, éditions Sociales.

Marx K. [1861-65], Matériaux pour l’économie in Œuvres économie II, collection Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard.

Marx K. [1867], Le capital livre 1 in Œuvres économie I, collection Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard.

Marx K. [1869-79], Le capital livre 2 in Œuvres économie II, collection Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard.

Nadel H. [1983], La théorie du salaire chez Marx, éditions Le Sycomore.

Ricardo D. [1817], Principes de l’économie politique et de l’impôt, éditions Calmann-Lévy.

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« L'exploitation capitaliste », collection Repères, 114, éditions La Découverte, 31-52.

Schumpeter J. [1951], Capitalisme, socialisme et démocratie, éditions Payot.

Smith A. [1776], Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, éditions Economica.

Tran Hai Hac [2003], Relire le capital : Marx critique de l’économie politique et objet de la critique de l’économie politique, voir la deuxième partie, collection Cahiers Libres, éditions Pages Deux.

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