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Étude de la dynamique du mouvement social urbain chilien : " pouvoir populaire " et Cordons industriels durant le gouvernement de Salvador Allende (1970-73) "

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Texte intégral

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Submitted on 15 Feb 2013

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Étude de la dynamique du mouvement social urbain chilien : ” pouvoir populaire ” et Cordons industriels durant le gouvernement de Salvador Allende (1970-73) ”

Franck Gaudichaud

To cite this version:

Franck Gaudichaud. Étude de la dynamique du mouvement social urbain chilien : ” pouvoir populaire

” et Cordons industriels durant le gouvernement de Salvador Allende (1970-73) ”. Science politique.

Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis, 2005. Français. �tel-00788830�

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UFR Science Politique

Thèse pour obtenir le grade de Docteur en Science Politique

Titre

Etude sur la dynamique du mouvement social urbain chilien

« Pouvoir populaire » et Cordons industriels durant le gouvernement de Salvador Allende

(1970-1973)

Volume I

Présentée et soutenue publiquement par Franck Gaudichaud

Sous la direction de monsieur Michael Löwy

Année 2005

(3)

A Rocio, qui a toujours su m’accompagner et me soutenir durant ces années de recherche partagées entre le Chili et la France

A Frankie, qui aurait été heureux de voir ce travail abouti

Ce doctorat est dédié aux familles de détenus-disparus chiliens

(4)

Remerciements

Ce travail n’aurait pu être mené à bien sans le concours de dizaines de personnes, que je voudrais remercier chaleureusement :

Tout d’abord, Michael Löwy, Directeur de recherche au CNRS et professeur émérite de l’Université Paris VIII, qui a accepté d’être mon directeur de thèse

Le professeur Jacques Chonchol et les membres de l’école doctorale de l’Université ARCIS (Santiago) qui m’ont accueilli, comme doctorant étranger, pendant deux ans et permis de mener à bien cette étude, ceci en tant que lauréat d’une bourse « Lavoisier » (Ministère des Affaires étrangères)

Plusieurs professeurs et chercheurs chiliens, dont particulièrement Augusto Samaniego, Mario Garcés, Luís Vitale, Patricio Quiroga, Fernando Casanueva, Tomás Moulian, Luís Corvalan Marquéz, Ráphael Sagredo qui m’ont été d’une grande aide, grâce à leurs écrits et/ou à leur appui au cours de mon investigation

Hugo Cancino Troncoso, Miguel Silva, Peter Winn et Jorge Magasich ont contribué à ce travail, grâce à leurs études « pionnières » sur l’Unité populaire et son mouvement social

Les chiliennes et chiliens qui ont eu à cœur de m’ouvrir la porte de leur mémoire et de leur expérience, permettant ainsi la réalisation d’une enquête orale, qui a débuté au sein de la communauté chilienne de Bordeaux pour se conclure à Santiago du Chili

Rocio Gajardo Fica, ma compagne, qui sait à quel point elle a encouragé mon travail par son attention, son amour et sa patience

Jean-Paul Salles, ami et professeur d’histoire à l’Université de La Rochelle, qui a passé de nombreuses heures à relire et commenter cette thèse

Ma mère, Nicole Miron, qui a su prendre elle aussi de son temps, afin de réaliser un ardu travail de relecture et de correction

Ma famille, en particulier mon père, mes deux frères, leurs compagnes, Alexis et mes

grands-parents, qui m’ont toujours encouragé et m’ont logé à plusieurs reprises au cours de mes

diverses allées et venues entre la France et le Chili

(5)

De nombreuses personnes et amis (ils se reconnaîtront) ont également facilité - d’une manière ou d’une autre - ce travail, dont particulièrement tous ceux qui, au Chili, ont permis mon intégration sociale dans ce beau pays et, par la même, une meilleure compréhension de mon objet d’étude : parmi eux, je dois beaucoup au grand dirigeant syndical Héctor Velásquez (syndicat MADECO), aujourd’hui décédé

Les échanges avec l’historienne grecque Eugenia Paliéraki ont été particulièrement fructueux, tout comme a toujours été très chaleureux l’accueil de la famille Lusson lors de mes multiples déplacements à Paris

L’équipe de la revue Dissidences, source d’inspiration et d’émulation scientifique Pierre Cours Salies et Maria-Emilia Tijoux, acteurs du développement des échanges académiques entre l’Université Paris VIII et l’Université ARCIS (Chili)

Mes collègues de l’Université de La Rochelle pour l’année 2004-2005, en particulier Remy Lucas, Marielle Juhel et Isabelle Rousseau du Département de LEA, université où j’ai pu donner – à mon grand plaisir – des cours magistraux d’histoire de l’Amérique latine en tant qu’ATER en Civilisation latino-américaine

Les employés de plusieurs centres d’archives et bibliothèques, dont tout spécialement Fabiola Rodríguez de la BDIC - Paris, mais aussi ceux de l’Institut des Hautes Etudes d’Amérique latine (IHEAL), du CEDETIM, des bibliothèques universitaires de Bordeaux, Nanterre, Saint Denis et La Rochelle, de la bibliothèque nationale de Santiago, des Archives nationales chiliennes et de la bibliothèque du Congrès à Santiago, auxquels ont peut ajouter les centres de documentation des ONG chiliennes « ECO » (dirigée par Mario Garcés) et

« PIRET » (dirigée par Patricio Garcia)

(6)

Carte du Chili

(7)

Sommaire

Remerciements ... 3

Carte du Chili ... 5

Sommaire ... 6

PREAMBULE ... 10

INTRODUCTION GENERALE ... Pour une étude socio-historique de la dynamique politique du « pouvoir populaire » chilien ... 16

Intro. – I) Mouvement social et pouvoirs populaires : une brève mise en perspective _______ 18 Intro. – I – 1) Rappel théorique___________________________________________________________ 18 Intro. – I – 2) A la recherche d’un des « trésors perdus de la tradition révolutionnaire » _____________ 23 Intro. – I – 3) Retour sur les pouvoirs populaires latino-américains_______________________________ 29

Intro. – II) L’Unité populaire et le mouvement révolutionnaire chilien. Etat de la question épistémologique ________________________________________________________________ 34

Intro. – II – 1) Un océan bibliographique ___________________________________________________ 34 Intro. – II – 2) La fausse dichotomie entre facteurs externes et internes ___________________________ 37 Intro. – II – 3) Aperçu des différentes écoles d’analyse sur l’UP _________________________________ 41

Intro. – III) Sources pour une étude du « pouvoir populaire » __________________________ 48 Intro. – III – 1) Difficultés de la recherche des sources dans le Chili actuel ________________________ 48 Intro. – III – 2) La mémoire et l’oubli. L’importance de l’enquête orale __________________________ 54

Intro. – IV) Mouvement social urbain et pouvoir populaire au Chili (1970-1973) : synthèse d’une problématique ____________________________________________________________ 64

Intro. – IV – 1) La « Révolution par en bas » ? ______________________________________________ 64 Intro. – IV – 2) Une dynamique à reconstruire… _____________________________________________ 71

(8)

PREMIERE PARTIE...

Le Chili de l’Unité populaire ... 76

Chapitre I) Un important héritage historique ________________________________________ 77

I – 1) Un Etat de compromis ? Les fondements des relations entre mouvement ouvrier, partis et Etat ____ 77 I – 2) La décomposition du projet populiste de la « Révolution en liberté » ________________________ 84

Chapitre II) Quelques éléments du mouvement social urbain en 1970 ____________________ 88 II – 1) La réalité socio-économique en 1970 : pauvreté, dépendance et contradictions de classes________ 88 II – 2) Une classe ouvrière importante, mais fortement fragmentée_______________________________ 94 II – 3) Organisation, forces et limites de la structuration syndicale chilienne _______________________ 97 II – 4) Les mobilisations collectives des « pauvres de la ville » : le mouvement pobladores __________ 103

Chapitre III) Voie pacifique et « pouvoir populaire » ? Stratégies de transition au

socialisme selon la gauche chilienne _______________________________________________ 109 III – 1) Les principaux partis de gauche, leur discours et leur stratégie ___________________________ 109 III – 2) « La voie chilienne au socialisme ». Formation et programme de l’Unité populaire ___________ 127 III – 3) La participation des travailleurs : « pouvoir populaire institutionnalisé » contre « pouvoir populaire constituant » ? _______________________________________________________________________ 134

DEUXIEME PARTIE ...

Vers le débordement ? ...

De l’échec des comités de l’Unité populaire à l’Assemblée de Concepción ... 142

Chapitre IV) Pouvoir populaire et mesures en faveur de la participation sociale selon le

gouvernement Allende __________________________________________________________ 144 IV – 1) Les comités de l’Unité populaire et la mise en place de la participation des travailleurs________ 144 IV – 2) « Bataille de la production » et redistribution des richesses. Un âge d’or de courte durée ______ 166 IV – 3) Les JAP : entre « pouvoir populaire » et « dictature de la faim »?_________________________ 183

Chapitre V) Crise de l’économie politique et radicalisation du mouvement ouvrier________ 197 V – 1) Tensions au sein de l’Aire de propriété sociale (APS) __________________________________ 197 V – 2) L’accélération des mobilisations collectives des salariés ________________________________ 222 V – 3) La CUT dans la tourmente du débat politique et de la lutte des classes _____________________ 236

Chapitre VI) Les premiers signes de débordement___________________________________ 252 VI – 1) Deux pôles au sein de l’Unité populaire ? ___________________________________________ 252 VI – 2) Pobladores et pouvoir populaire local : un véritable laboratoire d’expériences ______________ 258 VI – 3) L’Assemblée de Concepción : révolte dans la révolution _______________________________ 272

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TROISIEME PARTIE ...

Genèse et développement des Cordons industriels ... 281

Chapitre VII) Du « Cordon en soi » vers le « Cordon pour soi » à Maipú-Cerrillos : esquisse des conditions d’une expérience de classe______________________________________________ 282

VII – 1) « Les Cordons en soi » ou la colonne vertébrale du Chili_______________________________ 284 VII – 2) Maipú : la commune pionnière du pouvoir populaire __________________________________ 290 VII – 3) Le Cordon de la révolte_________________________________________________________ 305

Chapitre VIII) L’octobre rouge chilien ____________________________________________ 320 VIII – 1) La Crise au sommet. La « révolution par en haut » dans l’impasse_______________________ 320 VIII – 2) Les réponses de la base : les tentatives de coordination de classe… ______________________ 338 VIII - 3) Les réponses de la base : l’auto-organisation ouvrière_________________________________ 356

Chapitre IX) La normalisation civilo-militaire ______________________________________ 384 IX – 1) Normalisation civilo-militaire et démobilisation des Cordons industriels ___________________ 384 IX – 2) Vers l’affrontement entre le « pouvoir populaire » et le gouvernement ? ___________________ 405

Chapitre X) Débats politiques, organisation et construction subjective du pouvoir populaire 429 X – 1) Quelles relations entre « pouvoir populaire », gouvernement et partis de gauche ? ____________ 430 X – 2) La polémique sur la place des Cordons industriels au sein de la « voie chilienne » ____________ 452 X – 3) Les organismes de « pouvoir populaire » : organisation interne, verticalisme et dynamique

participative ________________________________________________________________________ 466 X – 4) Champ culturel et pouvoir populaire ________________________________________________ 483

QUATRIEME PARTIE ...

Le pouvoir populaire entre recherche d’alternatives et menaces de coup d’Etat ... 506

Chapitre XI) Des mobilisations collectives sans alternative politique ? __________________ 507

XI – 1) L’accélération de la crise de l’Unité populaire________________________________________ 507 XI – 2) Le pouvoir populaire, un mouvement d’ampleur nationale ______________________________ 522 XI – 3) Les pobladores et le mouvement social urbain en 1973_________________________________ 544

Chapitre XII) Le « tancazo » et ses suites __________________________________________ 559 XII – 1) Le "Tancazo" : répétition générale ou test des résistances ? _____________________________ 559

(10)

XII – 2) Le Parti communiste et les Cordons industriels en 1973 _______________________________ 550 XII – 3) Dernières mobilisations des Cordons industriels et gouvernement civilo-militaire ___________ 560

Chapitre XIII) Panorama et derniers débats du pouvoir populaire en 1973 ______________ 582 XIII – 1) Panorama du « pouvoir populaire » urbain à la mi-1973_______________________________ 582 XIII – 2) Esquisses d’une géographie politique du pouvoir populaire urbain ______________________ 598 XIII – 3) Vers le coup d’Etat ___________________________________________________________ 612

Chapitre XVI) La révolution désarmée ____________________________________________ 625 XVI – 1) La contre-révolution en marche__________________________________________________ 626 XVI – 2) La question de la défense armée _________________________________________________ 641 XVI – 3) Le coup d’Etat : « Demain, quand commencera le combat… » _________________________ 656

CONCLUSION GENERALE ...

Le « pouvoir populaire » urbain, une clef pour comprendre la dynamique du mouvement

social chilien... 678

Chronologie ... 708

Sources et bibliographie ... 717

Annexes ... 737

Table des Tableaux ... 805

Table des Cartes... 806

Table des photos et illustrations ... 806

Glossaire et Acronymes ... 810

Index des noms cités... 814

Tables des matières des deux volumes ... 821

(11)

PREAMBULE

Un essai d’auto-analyse…

(12)

« Avant nous avions la crainte que le processus de passage au socialisme soit en train de céder pour arriver à un gouvernement de centre, réformiste, démocrate bourgeois qui tendait à démobiliser les masses ou les poussait à des actions insurrectionnelles de type anarchique, par instinct de conservation. Mais désormais, en analysant les derniers événements, notre crainte n’est plus celle-là ; maintenant nous avons la conviction que nous sommes sur une pente qui nous conduira inévitablement au fascisme » : c’est en ces termes que la coordination provinciale des « Cordons industriels » de Santiago s’adresse, le 5 septembre 1973, au premier mandataire du Chili, le président Salvador Allende. Il s’agit d’une lettre rendue publique, 6 jours exactement avant le coup d’Etat qui mettra fin à une expérience extrêmement importante pour l’histoire du mouvement ouvrier international : celle de l’Unité populaire. Cette lettre se termine ainsi : « Nous vous prévenons, camarade, avec tout le respect et la confiance que nous vous portons encore, que si vous ne réalisez pas le programme de l’Unité populaire, si vous ne faites pas confiance aux masses, vous perdrez l’unique appui réel que vous possédez comme personne et comme gouvernant, et vous serez responsable de mener le pays, non à la guerre civile, qui est déjà en plein développement, mais à un massacre froid, planifié, de la classe ouvrière la plus consciente et la plus organisée d’Amérique latine »

1

.

Ces paroles résonnent encore, plus de 30 ans après. Elles sont l’expression d’une fraction significative du mouvement social chilien qui pendant deux années a tenté de développer ce qui s’appelle alors le « pouvoir populaire ». C’est justement ce phénomène sociopolitique, longtemps ignoré par la recherche, que j’ai cherché à comprendre. Afin de mener à bien cette étude centrée sur la dynamique du « pouvoir populaire » chilien, il a fallu envisager ce pays avec des yeux désabusés, au travers du regard froid de la science politique.

Car, aujourd’hui encore, on peut percevoir les reflets du miroir déformant que renvoie ce

« pays allongé », comme l’a nommé le grand poète et militant, Pablo Neruda.

Avant toute chose, il m’a semblé nécessaire d’effectuer un minimum de retour sur soi, de cette auto-analyse indispensable au chercheur dans l’approche de son objet d’investigation

2

.

1 Coordinadora provincial de Cordones Industriales, Comando Provincial de abastecimiento directo y Frente único de trabajadores en conflicto, “Carta al presidente Salvador Allende”, Santiago, 5 de septiembre 1973 (reproduit en Annexe Nº 32).

2 Ceci dans le sens où l’entendait Pierre Bourdieu comme « objectivation du sujet objectivant » : « C’est-à-dire le positionnement du producteur de savoir social dans une position déterminée et l’analyse de la relation qu’il maintient, d’un côté, avec la réalité qu’il analyse et avec les agents dont il investit les pratiques ; et, de l’autre, celles qui l’unit ou le fait s’affronter avec ses pairs et les institutions du jeu scientifique », tiré l’introduction de Alicia Gutiérrez à l’ouvrage de P. Bourdieu : El sociólogo y las transformaciones recientes de la economía en la sociedad, Buenos Aires, Libros del Rojas, 2000.

(13)

Pour ce faire, je tenterai de répondre à quelques questions simples et essentielles : pourquoi, ai-je choisi de consacrer ce doctorat au Chili contemporain et plus précisément à l’Unité populaire ? Pourquoi un tel sujet, lié au mouvement ouvrier, au mouvement social urbain et au « pouvoir populaire » ?

Une première remarque tout d’abord : le Chili contemporain a souvent intéressé, voire fasciné intellectuels, hommes politiques et militants européens. Cet intérêt lui vaut d’ailleurs plusieurs qualificatifs caricaturaux et fortement ancrés dans les imaginaires collectifs, tels que

« Suisse de l’Amérique latine ». Au-delà de tels clichés, fortement imprégnés de conceptions europeocentrées, il est évident que le Chili possède une certaine proximité sociologique avec la France et ceci notamment par la structuration de son mouvement ouvrier. Comme le remarque M. N. Sarget, ce qui singularise ce pays par rapport au reste de l’Amérique Latine, est précisément ce qui le rapproche des pays latins de l’Europe du Sud : « le développement de l’extraction minière a généré une classe ouvrière et des organisations syndicales et politiques imprégnées des mêmes idéologies proudhoniennes, anarcho-syndicalistes et marxistes ; elles se structurent selon des clivages comparables à ceux des organisations européennes de même type et sont affiliées aux mêmes internationales »

3

. De même qu’en France, le Chili a connu un Front populaire à la fin des années trente, et, les courants démocrates-chrétiens qui s’y sont constitués, se réclament de la pensée de Jacques Maritain et d’Emmanuel Mounier. Ces apparentes similitudes et surtout le poids symbolique du Chili en France ont sûrement eu une influence dans le choix de mon sujet d’étude. Cependant, ma motivation principale est essentiellement liée à mon intérêt pour l’étude des mouvements révolutionnaires internationaux. La présence en Amérique latine, et particulièrement au Chili, d’un mouvement ouvrier fortement organisé est un facteur essentiel du changement social dans le sous- continent

4

. Le souhait de ce doctorat est aussi de chercher à comprendre quels phénomènes historiques et sociaux ont conduit à l’une des plus brutales répressions politiques de la seconde moitié du vingtième siècle. Assurément, le Chili de 1973 s’inscrit dans l’histoire mondiale des

« révolutions manquées », des transformations sociales écrasées, aux côtés de l’Allemagne de 1918-19 jusqu’à Djakarta de 1965, en passant par la guerre civile espagnole des années trente…

3 M. N. Sarget, Histoire du Chili de la conquête à nos jours, Paris, L’Harmattan, Coll. Horizon Amériques Latines, 1996, p. 8. Il faut noter cependant que le Parti socialiste chilien, fondé en 1933, a longtemps refusé de s’affilier à l’Internationale socialiste, qu’il jugeait trop modérée. Il ne s’y incorpore finalement qu’en 1996.

4 Voir R. J. Alexander, El movimiento obrero en América Latina, México, Ed. Roble, 1967, pp. 15-27.

(14)

C’est justement la violence du coup d’Etat du 11 septembre 1973 qui a fait tomber nombres de mythes, souvent diffusés d’ailleurs par les principaux partis de gauche au niveau international : l’Unité populaire est même présentée un temps comme les prémisses du

« Programme commun » de la gauche française. Par la suite, de « pays symbole », le Chili devint « pays laboratoire »

5

, celui de la junte du Général Pinochet et des "Chicago Boys", formés par la théorie monétariste de l’économiste néolibéral Milton Friedman. Depuis, ce petit pays (un peu plus de 750.000 km2 pour 9.340.000 d’habitants en 1970), coincé derrière la Cordillère des Andes, continue de fournir au monde des archétypes, souvent entrés dans le livre de la mémoire collective par la porte du réductionnisme historique. Telles ces photos jaunies qui continuent de montrer Salvador Allende en héros solitaire, défendant, depuis le palais présidentiel en flamme, le respect d’une légalité qui lui a permis d’atteindre l’exécutif ; combattant par les armes de manière désespérée, pour une transition au socialisme qu’il voulait non violente…

De mon DEA consacré aux « rapports entre le gouvernement de l’Unité populaire et le mouvement ouvrier chilien »

6

jusqu’à l’achèvement de ce doctorat, j’ai essayé de me départir de trop de simplifications, sans nier pour autant l’importance historique de telles images dans notre imaginaire collectif. Ceci m’a été facilité par le fait que, depuis quelques années, s’ouvrent au Chili, de nouveaux espaces de débats et de recherche. Cette ouverture difficile s’effectue dans un pays qui a vécu plus de 17 ans de dictature militaire, jalonnée de violations des droits humains fondamentaux, d’assassinats politiques et de mesures économiques liberticides. Ce retour partiel sur l’histoire, sur la mémoire, a été permis par le maintien des investigations au Chili, en parallèle avec la réactivation du mouvement social pendant, et après, la dictature. Dans cette brèche ouverte, toujours béante, il reste beaucoup à entreprendre, beaucoup à apprendre

7

. En ce sens, je pense que mes préoccupations ne sont absolument pas isolées ou purement individuelles, mais plutôt le produit social de ce « besoin de savoir », inhérent au développement humain, à sa construction et à son émancipation

8

.

5 La première expression est empruntée à la thèse de P. Mouterde et P. Guillaudat sur Luttes de classes et mouvements sociaux au Chili de Pinochet, la seconde au colloque qui s’est tenu à Bruxelles en 1998, intitulé : Chili, un pays laboratoire (voir références dans les bibliographies en fin d’ouvrage).

6 F. Gaudichaud, Les rapports entre le gouvernement de l’Unité populaire et le mouvement ouvrier chilien (1970- 1973), Bordeaux III, DEA, UFR d’histoire, 1999.

7 Voir à ce sujet: M. Garcés Duran, « Por que la memoria y la historia es un tema relevante en el Chile de hoy » in Guía metodologíca para la memoria y la historia local, Santiago de Chile, ECO, septiembre del 2001.

8 C’est pourquoi, j’adhère pleinement au Manifeste paru durant l’été 1999, dans le contexte de ce qui a été appelé

« l’affaire Pinochet ». Ce texte declare notamment : « La historia no solo es pasado, sino también, y

(15)

De fait, le choix de mon sujet n’est pas « neutre », et n’en a pas l’ambition. Il est lié à mes centres d’intérêts personnels depuis plusieurs années. En effet, comme je l’admettais, en 1998, dans l’introduction de mon DEA, j’ai été poussé vers ce sujet également par mon implication en ce qui concerne les problèmes sociaux de l’Amérique latine

9

. Cette expérience a alimenté mes réflexions sur les diverses mobilisations sociales en faveur de la démocratie, de la redistribution des richesses et de l’égalité dans les rapports Nord-Sud, qui ont agité le continent latino-américain au cours du XX° siècle. Parallèlement, mes recherches se sont tournées de longue date vers le mouvement ouvrier international et les différents processus révolutionnaires. En témoignent, par exemple, mon travail de maîtrise consacré à la Révolution Culturelle chinoise et sa perception dans la presse française

10

, et surtout, mon intégration au comité de rédaction de la revue Dissidences - Bulletin d’études des mouvements révolutionnaires

11

.

L’idée de réfuter l’existence d’une neutralité axiologique absolue en science politique ne signifie pas, pour autant, que l’objectif de ce doctorat soit de faire une hagiographie des mobilisations collectives chiliennes, bien au contraire. J’ai essayé d’utiliser cette « sympathie critique » que j’ai pour mon sujet, comme une force dans mon investigation (ainsi que le conseille l’historien Henri-Irenée Marrou)

12

. J’ai tenté d’éviter l’écueil qui a tant marqué les essais d’approches scientifiques du mouvement ouvrier : celui d’une histoire dogmatique et figée. Egalement loin de mes intentions, ces recherches sur le mouvement social qui, auréolées d’un sceau universitaire durement acquis, ont tendance à s’enfermer dans des études micro- centrées, séparées de leur contexte. En m’éloignant de « ces visions ésotériques »

13

, je m’essaye à une approche critique de l’Unité populaire, en m’intéressant justement à l’une de

principalmente, presente y futuro. La historia es proyección. Es la construcción social de la realidad futura » (S.

Grez, G. Salazar (compiladores), Manifiesto de Historiadores, Santiago, LOM, 1999, p. 19).

9 J’écrivais notamment : « En effet, j’ai séjourné à plusieurs reprises en Amérique Latine, notamment en Bolivie, au Chili, au Pérou. La création et la participation à l’association Agri-Terre-Monde se trouve en partie à l’origine de ces voyages, avec comme objectif un travail social auprès des enfants de la rue. La richesse de cette expérience qui fut également à la hauteur de son échec, a conforté en moi l’idée que toute sortie du sous- développement pour ces pays, sera portée par un mouvement social d’une bien plus grande ampleur que l’action micro-économique des ONG » dans F. Gaudichaud, Les rapports entre le gouvernement de l’Unité populaire et le mouvement ouvrier chilien (1970-1973), Op. Cit., p. 4.

10 F. Gaudichaud, La Révolution Culturelle vue à travers la presse française, Bordeaux III, maîtrise d’histoire, UFR d’histoire, 1997.

11 Consulter : www.dissidences.net. Ce collectif de chercheurs m’a été d’une aide précieuse dans le développement de mes outils d’analyse, que tous ses membres en soient chaleureusement remerciés.

12 H. I. Marrou, De la connaissance historique, Paris, Seuil, Points-histoire, 1975.

13 E. Hobsbawn, « Labour history and ideology », Journal of social history, 1974. (cité par Georges Haupt, « Por que la historia del movimiento obrero? », El historiador y el movimiento social, Madrid, Siglo XXI, 1986, pp. 9-34 [Paris, F. Maspero, 1980]).

(16)

ses richesses et contradictions majeures : la dynamique du mouvement social vu depuis « la base ». Cette approche m’a été en grande partie permise par un séjour au Chili, durant plus de deux années, au cours de laquelle sont tombés, peu à peu, nombre de mes propres préjugés. Ce voyage s’est effectué grâce à l’invitation que j’ai reçu de la part de l’école doctorale d’Etudes des Sociétés Latino-américaines de l’université ARCIS (Santiago), dirigée par Jacques Chonchol. Ce travail de terrain m’a permis d’accéder à une meilleure connaissance des sources, de rencontrer nombre de chercheurs et de réaliser des entretiens avec certains des acteurs historiques eux-mêmes

14

. Bien loin de subjectiviser ma vision scientifique, cette expérience m’a donné au contraire l’indispensable distance intellectuelle par rapport à mon sujet.

14 Ce séjour a pu avoir lieu, matériellement, en tant que lauréat d’une bourse de recherche internationale

« Lavoisier » (Ministère des Affaires étrangères).

(17)

INTRODUCTION GENERALE

Pour une étude socio-historique de la dynamique politique du

« pouvoir populaire » chilien

« […] toute connaissance et interprétation de la réalité sociale est liée, d’une façon directe ou indirecte, à une des visions sociales du monde, à une perspective globale socialement conditionnée ; - c’est-à-dire ce que Pierre Bourdieu désigne, dans une expression heureuse,

« les catégories de pensée impensées qui délimitent le pensable et prédéterminent le pensé ». Et que, par conséquent, la vérité objective sur la société n’est pas concevable comme une image mais plutôt comme un paysage peint par un artiste ; et que, finalement, ce paysage sera d’autant plus vrai que le peintre sera situé à un observatoire ou belvédère plus élevé, lui permettant une vue plus vaste et plus étendue du panorama irrégulier et accidenté de la réalité sociale »

Michael Löwy, Paysages de la vérité. Introduction à une sociologie critique de la

connaissance, Paris, Anthropos, 1985, p. 14

(18)

La première étape de mon analyse est consacrée à une longue introduction générale.

Celle-ci possède une grande importance dans la cohérence de ce doctorat car elle est l’occasion de présenter quelques outils théoriques et les questions épistémologiques qui s'y rapportent tant en ce qui concerne le mouvement social chilien, que l’appréhension des sociétés latino- américaines. Cette introduction cherche à fournir un aperçu des orientations de cette recherche et des réflexions problématiques qui l'orientent. Ces quelques concepts et mises en lumière théoriques, loin de m’enfermer dans une vision limitative, doivent me donner quelques axes utiles pour avancer dans l’explication. Car, comme le remarque l’historien anglais E.H. Carr, le chercheur qui se veut objectif, part d’orientations clairement définies et présentées, qu’il vérifie, modifie ou infirme au fil de sa recherche : « il est engagé dans un processus d’imprégnation des faits par son interprétation, et d’imprégnation de son interprétation par les faits »

15

. Dans cette partie introductive, je pose aussi la question des sources et la méthode d’investigation employée pour ce doctorat. La science politique telle que je l’ai assumée ici est celle qui a su opérer deux tournants épistémologiques majeurs au cours des dernières années : ceux de l’ouverture vers la sociologie et vers l’histoire. Cette façon parfois dite « hybride » de faire de la science politique est aussi celle qui nous permet d’aborder notre sujet du point de vue de la transdisciplinarité

16

. Une telle approche a d’ailleurs déjà largement fait ses preuves au travers d’auteurs tels que Charles Tilly et, en ce qui concerne l’Amérique latine, d’analystes éclairés comme Alain Rouquié

17

. Ainsi que le remarquait Fernand Braudel, toutes les sciences de l’homme peuvent parler un langage commun et c’est donc une science politique à l’épreuve de plusieurs paradigmes, ou encore une science sociale et historique du politique, que j’entends essayer d’utiliser ici

18

.

15 E. H Carr, Qu’est-ce que l’histoire ?, Paris, La Découverte, Coll. 10/18,1988, p. 78.

16 Y. Déloye, B. Voutat, « L’hybridation de la science politique », Faire de la science politique, Paris, Belin, Coll.

SocioHistoires, 2002, pp. 7-24.

17 Voir : C. Tilly, From mobilization to revolution, Reading Mass, Addison-Wesley, 1976 et A. Rouquié, Amérique latine. Introduction à l’extrême -occident, Paris, Seuil, 1987.

18 Car comme le note le sociologue Bernard Pudal, « la science politique ne représente qu’une fraction des sciences du politique et que, en un certain sens, toutes les sciences sociales traitent du politique. […] D’un point de vue épistémologique, la science politique tient aussi sa légitimité des disciplines extérieures pour l’essentiel à son univers » (B. Pudal, « Science politique : des objets canoniques revisités », Sociétés Contemporaines, Paris, N° 20, décembre 1994, p. 6-7 ; cité par Y. Déloye, B. Voutat, Op. Cit., p. 14). Voir également : M. Grawitz, J.

Leca (dir.), Traité de science politique, Paris, PUF, 1985.

(19)

Intro. – I) Mouvement social et pouvoirs populaires : une brève mise en perspective

Intro. – I – 1) Rappel théorique

Avant de s’attaquer au vif du sujet, il faut revenir sur quelques définitions et notions essentielles. Effectivement, les approches des mobilisations et conflits de classes sont toujours très controversés au sein des sciences politiques et sociales contemporaines. Comme tout

« discours », le discours scientifique est le lieu de contradictions sociales, politiques et symboliques. Et puisque - comme le notait Pierre Bourdieu - « parler veut dire », il est indispensable de présenter quelles sont mes bases de travail et appartenances conceptuelles, d’autant plus lorsqu’il s’agit de notions polysémiques

19

. Indéniablement, l’approche des classes sociales et de l’action collective en Amérique latine continue à poser de nombreux problèmes théoriques

20

. Nous essayerons pour notre part d’engager notre problématique sur une description détaillée de la morphologie des mouvements sociaux que nous prétendons étudier.

Notre conviction est qu’une telle approche passe par le rappel de la construction historiquement déterminée des mobilisations collectives. C’est ce contexte, structurel mais aussi culturel et subjectif, qui explique les expressions concrètes adoptées par tel ou tel mouvement social, ainsi que l’a souligné l’historien et politologue anglo-saxon Charles Tilly

21

.

Ainsi, si j’utilise par la suites les catégories de « mouvement ouvrier » et de « mouvement social », c’est sans pour autant oublier celles de « classes sociales » et de « luttes des classes » : constatant la centralité du conflit capital/travail dans les sociétés contemporaines, nous pensons qu’il est possible d’articuler ces différèrentes notions d’analyses afin d’en restituer la complexité

22

. Ceci en nous démarquant de certaines analyses de sociologues ou politologues du

« mouvement ouvrier », tel Alain Touraine qui croit déceler l’absence « de l’acteur de classe »

19 P. Bourdieu, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982.

20

Fernández, Florestán, Poulantzas y Touraine, Las clases sociales en América Latina:

problemas de conceptualización, México, Siglo Veintiuno Editores, 1973.

21 C. Tilly, From mobilization to revolution, Reading - Massachusetts, Addison-Wesley, 1976.

22 Pour une réflexion générale et sociologique sur le concept de « mouvement social », on consultera entre autres : P. Ansart, Les sociologies contemporaines, Paris, Seuil, 1990 ; E. Neveux, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, Coll. Repères, 1996 ; F. Chazel, « Mouvements sociaux » in R. Boudon (dir.), Traité de sociologie, Paris, PUF, pp. 263-312 et L. Mathieu, Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, Paris, Textuel, Collection La Discorde, 2004.

(20)

en Amérique latine

23

. Dans son étude sur la conscience ouvrière, ce sociologue français affirme par contre que l’approche du mouvement ouvrier doit s’atteler aussi bien à la structure qu’aux formes d’action collectives, et nous sommes d’accord en cela avec lui. Tout mouvement social répondrait selon cet auteur à trois principes, appelés « principes d’existence du mouvement social »

24

:

- Le principe d’identité : qui le mouvement social prétend-il représenter ? Au nom de quels intérêts de classe, ou quel groupe social se mobilise-t-il ? Le problème à résoudre ici est celui de la définition du groupe social, ou fraction de classe, en lutte - Le principe d’opposition : il s’agit d’identifier à quelle force sociale, à quels intérêts

sociaux et politiques s’affronte le mouvement social

- Le principe de totalité : quels sont les idéaux avancés par le mouvement social, l’idéologie, les valeurs subjectives défendues. Ce que A.Touraine appelle le principe de totalité renvoie, selon lui, nécessairement à des notions universelles, reconnues par l’ensemble des membres d’une collectivité humaine

Ces trois principes généraux méritent en effet d’être étudiés, mais surtout appliqués à des cas concrets, comme celui du Chili des années soixante-dix. Pourtant, une telle stratification systémique du mouvement social n’est pas toujours convaincante du fait de son fonctionnement mécaniste et surtout, parce qu’elle place d’emblée la nécessité de la totalité comme caractéristique de tout mouvement social. Elle rejette ainsi de la catégorie de « mouvement social », toute mobilisation collective tronquée ; et nie une part de l’essence des mouvements sociaux en tant que reflet, même partiel, de contradictions objectives traversant la société. Ceci au profit d’une vision théorique ex-catedra d’un improbable mouvement social normalisé, qui proclame la fin de la centralité du rapport au travail, le décès du mouvement ouvrier et l’illusion de toute mobilisation qui chercherait à « s’attaquer de façon plus globale et plus directe à la domination subie par les travailleurs »

25

. Comme le remarque Pierre Cours-Salies, à force de « chercher seulement des agents de classes sociales en lutte pour le contrôle du

« système d’action historique » ou une « volonté collective », [on] ne parvient pas à dire le sens fort de mobilisations et [on] s’efforce seulement de les disqualifier. Des mouvements sociaux sans concept, un concept sans mouvement social »

26

.

23 Voir le paragraphe I - 1 pour une critique de l’approche tourainienne du mouvement ouvrier et de « l’Etat de compromis ».

24 Outre les ouvrages déjà cités sur l’Amérique Latine, voir : A. Touraine, Sociologie de l’action, Paris, Seuil, 1965 ; A. Touraine, La conscience ouvrière, Paris, Seuil, 1966 et A. Touraine, F. Dubet, M. Wievorka, Le mouvement ouvrier, Paris, Fayard, 1984.

25 A. Touraine, F. Dubet, M. Wievorka, Le mouvement ouvrier, Op. Cit., p. 326.

26 P. Cours-Salies, « Un Futur antérieur et un présent » dans P. Cours-Salies, M. Vakaloulis, Les mobilisations collectives. Une controverse sociologique, Paris, PUF, Actuel Marx, 2003, pp. 55-80.

(21)

Dans le cadre de ce doctorat, c’est au contraire la proposition de « prolonger la problématique marxiste du mouvement social », proposée par des sociologues français, qui est adoptée

27

. Cette problématique prend aussi comme possible base de travail, la définition proposée par l’école anglo-saxonne des mouvements sociaux et plus particulièrement par Sidney Tarrow pour qui un mouvement social est « une contestation collective conduite par des individus solidaires et ayant des objectifs communs »

28

. Cela nous permet d’isoler quatre dimensions essentielles :

- le caractère collectif du mouvement contestataire - le partage de visées communes

- l’émergence d’une solidarité dans le groupe mobilisé - l’affrontement avec le pouvoir et avec le capital

Il s’agit ainsi d’une « dynamique propre d’un groupe social porteur de revendications importantes, durables et conflictuelles »

29

. Cette définition renvoie à une tendance à l’autonomie de ce mouvement, à l’importance de l’opposition de classe et enfin aux revendications explicites et évolutives liées à des problèmes structurels (ou jugés comme tels) des sociétés contemporaines. Ces mouvements s’inscrivent dans le temps et sont amenés, le cas échéant, à négocier activement leurs revendications. Cette approche matérialiste constructive est notamment celle qui est développée sous plusieurs angles par les membres du collectif de recherche « Actuel Marx » (CNRS – France), dont parmi eux, Michel Vakaloulis qui nous rappelle, à juste titre, les liens qui unissent antagonisme social et action collective

30

. En ce sens, le mouvement social s’inscrit bel et bien dans un cadre qui se trouve à l’intersection des différentes composantes de la société (les champs économique, politique, social ou culturel), au sein desquelles il se développe et qu’il tend, en retour, à transformer

31

.

Il ne fait pas de doute qu’au sein de tout mouvement social, il existe des différenciations d’identités collectives, de conscience de classe, de culture militante ou de formes de mobilisation. D’ailleurs, si Marx a toujours eu soin, au sein de son analyse du mode de

27 S. Béroud, R. Mouriaux, M. Vakaloulis, « Le concept de mouvement social », Le mouvement social en France, Paris, La Dispute/Snédit, 1998, pp. 13-62.

28 S. Tarrow, Power in movement, social movements, collective action and politics, Cambdrige University Press, 1994, pp. 3-4.

29 S. Béroud, R. Mouriaux, M. Vakaloulis, « Le concept de mouvement social », Le mouvement social en France, Paris, La Dispute/Snédit, 1998, pp. 13-62.

30 Les pistes avancées par cet auteur à propos du mouvement social français semble, là encore, dignes d’intérêt pour notre sujet : M. Vakaloulis, « Antagonisme social et action collective » dans M. Vakaloulis (dir.), Travail salarié et conflit social, Paris, PUF, Actuel Marx, 1999, pp. 221-248.

31 Voir L. Mathieu, « Qu’est-ce qu’un mouvement social », Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, Op. Cit., pp. 15-36.

(22)

production capitaliste, d’isoler trois grandes classes (classe salariale, capitalistes, propriétaires fonciers), ce n’est pas au détriment d’une analyse concrète de formations sociales historiquement déterminées. Il savait reconnaître minutieusement des sous-ensembles ou fractions distinctes et différenciés

32

. Ainsi, lorsque je me réfère à la classe ouvrière ou à la lutte des classes c’est, bien entendu, en ayant à l’esprit l’ensemble de ces précisions sur « la diagonale des classes » et les diverses figures du conflit social

33

. Comme l’écrit Daniel Bensaïd, il n’existe pas de définition classificatoire des classes sociales dans Le Capital et la lutte des classes n’a rien à voir avec une vision positiviste de l’histoire

34

. Néanmoins, il convient de préciser que, lorsqu’au cours de notre étude, j’utiliserai le terme de « classe ouvrière », c’est dans le sens générique du terme. Selon le sociologue Michel Verret, qui a consacré de nombreux ouvrages à cette catégorie sociale, il s’agit d’un groupe d’agents sociaux qui, privés de moyens de production et, par là de moyens de pouvoir et de savoir, se trouvent contraints

35

:

1) de vendre leur force de travail aux agents sociaux qui disposent du monopole de ces moyens

2) de la mettre en œuvre sous leur direction dans un procès de production coopératif à grande échelle, utilisant une technologie scientifique

3) de leur concéder, avec le produit de leur travail, la part non payée de celui-ci (plus- value)

Cependant une telle conceptualisation n’est opérante que si on la réintroduit dans une perspective d’une dynamique sociopolitique. Il faut aussi s’attacher à montrer comment se définissent les mouvement sociaux en fonction de modèles culturels dominants, hégémoniques

36

. En ce sens, les classes - comme le mouvement social - doivent être envisagés

32 Voir par exemple : K. Marx, La lutte de classes en France. 1848-1850, Paris, Ed. Sociales, 1984.

33 Afin de poursuivre cette réflexion, on peut lire avec profit les “essais sur les crises, les classes, l’histoire” de Daniel Bensaïd dans La discordance des temps, Paris, Les éditions de la Passion, 1995 (en particulier la deuxième partie, pp. 107-186).

34 Il s’agit d’un « antagonisme dynamique qui prend forme au niveau du procès de production d’abord, du procès de circulation en suite, de la reproduction d’ensemble enfin. Les classes ne sont pas définies par le seul rapport de production dans l’entreprise. Elles sont déterminées, au fil d’un procès où se combinent les rapports de propriété, la lutte pour le salaire, la division du travail, les relations aux appareils d’Etat idéologiques » (D. Bensaïd, Les irréductibles. Théorème de résistance à l’air du temps, Paris, Textuel, Collection La Discorde, 2001, p. 30).

35 Voir notamment : M. Verret, Le travail ouvrier, Paris, L'Harmattan, 1999 ; La culture ouvrière, Paris, l'Harmattan, 1996 ; L’espace ouvrier, Paris, l'Harmattan, 1995.

36 Dans ses propositions conceptuelles à propos de ce qu’il nomme le “mouvement populaire urbain”, R. Baño remarque: “En el ámbito de nuestra América Latina, reducirse al clásico enfrentamiento entre burguesía y proletariado para explicar los movimientos revolucionarios triunfantes o fracasados suele mostrarse bastante insuficiente. Es necesario ver históricamente los grupos sociales y el conflicto, y esto requiere un análisis de los movimientos sociales en vista del modelo cultural imperante”. R. Baño A., Conceptos y proposiciones acerca del movimiento popular urbano, Doc. de Trabajo, Programa FLACSO, N°161, Santiago, Noviembre 1982.

(23)

comme un processus en permanente construction et redéfinition. Ainsi, comme l’explique Edwards P. Thompson, l’expérience vécue est essentielle pour comprendre la formation d’une classe ouvrière, c’est-à-dire que celle-ci est partie prenante de sa propre élaboration, qu’elle n’est pas une chose mais qu’elle advient : « Une classe est une formation sociale et culturelle (trouvant souvent une expression institutionnelle) que l’on ne peut définir dans l’abstrait ou isolément, mais seulement dans ses relations avec d’autres classes ; et finalement, la définition ne peut s’élaborer qu’en fonction de la dimension temporelle, c’est-à-dire en termes d’action et de réaction, de changement et de conflit. Quand nous parlons d’une classe, nous avons à l’esprit une catégorie de population définie de manière vague, de gens qui partagent le même ensemble d’intérêts, d’expériences sociales, de traditions et le même système de valeurs, qui ont une disposition à se comporter en tant que classe, à se définir dans leurs actions et leur conscience, en relation à d’autres groupes en termes de classes »

37

. Dans la même veine, Lilian Mathieu souligne qu’une classe n’est pas une donnée stable, « produit par des mécanismes économiques mais le résultat d’un travail d’unification, de mobilisation et de représentation (notamment par la création d’organisations dotées de porte-parole) dont les membres sont eux- mêmes les principaux acteurs »

38

. Quant au « mouvement ouvrier », Friedrich Engels, dans sa préface à la Guerre des paysans en Allemagne, remarque qu’il naît d’une triple opposition : refus de l’exploitation/de l’aliénation/de la domination. Cette trilogie du refus conduit ainsi à une triple lutte : économique/politique/idéologique, qui vise aussi bien les classes dominantes que l’Etat et l’action gouvernementale

39

.

C’est en partant de ces diverses réflexions que j’ai choisi de m’intéresser à une fraction spécifique du mouvement social chilien, celle qui semble apparaître comme un des secteurs les mieux organisés et les plus radicalisés politiquement durant l’Unité populaire (1970-1973).

Mon objectif étant de déterminer comment ce secteur a tenté de se présenter comme le conducteur du « pouvoir populaire » chilien, c’est-à-dire comme le vecteur du passage de la

« classe en soi » à la « classe pour soi ». En bref, il ne s’agit pas de partir de la constatation de l’existence de classes sociales déterminées « objectivement » pour leur attribuer de supposées vertus révolutionnaires, mais de voir comment certains groupes sociaux empruntent des formes

37 Voir la postface à la version française de E. P. Thompson, The making of the English working class, Londres, Penguin, 1968 (Paris, La Seuil / Galimard, Coll. Hautes Etudes, 1988). Pour une vision critique de l’approche

“culturaliste” des classes sociales de l’école anglo-saxonne, voir J. Kaye et K. McClelland, E. P. Thompson, critical perspectives, Cambridge, Polity, 1990.

38 L. Mathieu, Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, Op. Cit., p. 28.

(24)

de mobilisations collectives originales, pour défendre leurs intérêts et impulser le changement social.

Le but de ce premier chapitre est aussi de rappeler que la seule objectivité possible pour les sciences politiques ou sociales est celle de la clarification méthodologique, épistémologique. En ce sens, je me suis inspiré des remarques de Michael Löwy sur la formulation d’une approche critique de la connaissance

40

. D’ailleurs, toute science implique un choix, une orientation claire alors que l’idéologie positiviste qui croit pouvoir se dégager de tels présupposés ne fait que retomber dans l’ornière d’une neutralité axiologique fantasmée. A ce propos, les écrits de Pierre Bourdieu sont intéressants. Le sociologue français note que le chercheur « est d’autant mieux armé pour découvrir le caché qu’il est mieux armé scientifiquement, qu’il utilise mieux le capital de concepts, de méthodes, de techniques accumulés par ses prédécesseurs, […] et qu’il est plus « critique », que l’intention consciente ou inconsciente qui l’anime est plus subversive, qu’il a plus intérêt à dévoiler ce qui est censuré, refoulé, dans le monde social »

41

. Pour ma part, j’essaierai de peindre les divers

« paysages de la vérité » de ce fameux pouvoir populaire chilien, tout en cherchant à m’approcher le plus prés possible de sa réalité historique, c’est-à-dire en éludant et décortiquant sa part mythifiée ou enfouie sous le voile du "Grand récit", qui drape encore aujourd’hui l’histoire de l’Unité populaire. En ce sens, il est patent que si toute connaissance est inévitablement relative à une certaine perspective et vision du monde, comme à un certain contexte historique, ce relativisme ne peut être absolu

42

.

Intro. – I – 2) A la recherche d’un des « trésors perdus de la tradition révolutionnaire » : pouvoirs populaires constituants et auto-organisation

S’attacher à l’étude de certaines formes de « pouvoir populaire » dans une période de renforcement des mouvements révolutionnaires, suppose un travail de définition de termes.

39 F. Engels, Guerre des paysans en Allemagne, Paris, Editions Sociales, 1974. Ce rappel théorique est présent dans l’introduction de S. Béroud, R. Mouriaux, M. Vakaloulis, Le mouvement social en France, Op. Cit.

40 M. Löwy, Paysages de la vérité. Introduction à une sociologie critique de la connaissance, Anthropos, Paris, 1985.

41 P. Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Editions de Minuit, 1980, p. 22.

42 Car « force est de reconnaître que certains points de vue sont relativement plus favorables à la vérité objective que d’autres, que certaines perspectives de classe permettent un degré relativement supérieur de connaissance que d’autres » (in M. Löwy, Op. Cit., p. 211).

(25)

Celui de « révolution » à lui seul mériterait de longs développements critiques

43

. Comme le souligne Pierre Vayssière, dans son étude comparative des révolutions latino-américaines,

« peu de mots du vocabulaire présentent autant de signes dialectiquement contradictoires : la révolution renvoie aussi bien au passé qu’au futur, à la destruction qu’à la construction, au temps court qu’au temps long, à l’utopie qu’à la politique, à la folie qu’à la raison »

44

. Michel Raptis définissait la notion de « révolution » comme « un moment de changement qualitatif brusque dans le processus évolutionniste, plus ou moins long, qui caractérise une situation objectivement révolutionnaire. Une telle situation met à l’ordre du jour le changement de régime social existant et son remplacement par de nouveaux rapports de propriété et de nouveaux rapports sociaux »

45

. L’historien François-Xavier Guerra affirme quant à lui, suite à ses travaux sur le Mexique que « la révolution est une mutation brutale qui touche tout le système social et ses références culturelles »

46

. Quoi qu’il en soit, « l’anatomie » des phénomènes révolutionnaires reste encore aujourd’hui une entreprise difficile à réaliser

47

. D’ailleurs, Marx lui-même s’est toujours refusé à fournir une définition clef en main du concept de Révolution, pour au contraire, démontrer que toute crise révolutionnaire était le produit d’un contexte et de contradictions sociales spécifiques

48

.

43

A. Découflé, Sociologie des Révolutions, Paris, PUF, Coll. Que sais-je ? 1968 ; G. Rocher,

« Le processus révolutionnaire », Le changement social (Introduction à la sociologie générale), Paris, Seuil, Coll. Points, 1970, pp. 255-280.

44

P. Vayssière, « À la recherche d’un concept perdu », Les Révolutions en Amérique latine, Paris, Seuil, Coll. Points, 1991, pp. 9-25. A consulter également pour une approche comparative des révolutions en Amérique Latine, F. Mires, La rebelión permanente. Las revoluciones sociales en América latina, México, Siglo XXI, 2001; C. Detrez, Les mouvements révolutionnaires en Amérique latine, Bruxelles, 1972; J. Petras, América Latina: ¿reforma o revolución?, Buenos Aires, Ed. Tiempo Contemporáneo, 1968.

45 Document présenté au X° congrès latino-américain de sociologie, Santiago du Chili, août 1972 et publié dans Quel socialisme au Chili ? Etatisme ou autogestion, Paris, Ed. Anthropos, 1973, pp. 195-226. Michel Raptis était sociologue marxiste et militant de la « IV° Internationale » (organisation internationaliste trotskyste).

46 Affirmation utilisée à propos de la Révolution française (F.X. Guerra, « Révolution française et révolutions hispaniques. Filiation et parcours », Problèmes d’Amérique Latine, Paris, N° 94, 1989). Intéressante également l’étude sémantique d’Alain Rey : A. Rey, Révolution. Histoire d’un mot, Paris, NRF-Gallimard, 1989.

47 C. Brinton, Anatomía de la revolución, México, Ed. Fondo de Cultura Económica, 1985.

48 C’est ce type d’analyse qui est aujourd’hui développé par des collectifs de recherche comme la revue Dissidences en France ou encore Revolutionary History en Angleterre.

(26)

Quant à la notion de « pouvoir populaire », il s’agit d’une notion floue et ambiguë dont on verra qu’elle possède des acceptions politiques, pratiques et symboliques hétérogènes. D’une manière générale, ce terme est agité par la gauche latino-américaine essentiellement suite à la révolution cubaine, date à laquelle la revendication du « pouvoir populaire » commence à se diffuser dans toute l’Amérique latine

49

. Il est en ce sens historiquement daté et limité géographiquement. Il correspond au contexte de ce que Tomás Vasconi nomme la « longue décennie » en Amérique latine : cette période s’étend du premier janvier 1959 avec la prise du pouvoir à la Havane par les « Barbudos » et se conclue au Chili avec le coup d’Etat du 11 septembre 1973

50

. A noter que c’est à peu prés à la même période, qu’en Europe, se déroule ce que Pierre Rosanvallon qualifie de « l’âge de l’autogestion »

51

. La référence au « pouvoir populaire » désigne alors un mouvement universel, que l’on peut déceler dans l’ensemble des périodes révolutionnaires. C’est précisément cela qu’a mis en valeur la philosophe allemande Hannah Arendt dans son essai sur la Révolution et qu’elle qualifie joliment de « trésor perdu de la tradition révolutionnaire »

52

. Il consiste en la création de nouvelles formes de contrôle social, en quelque sorte d’un contre-pouvoir organisé puis, de nouvelles formes d’appropriations sociales, qui s’opposent à la formation sociale hégémonique. Concrètement, cela correspond à une remise en cause relative ou totale des formes d’organisation du travail, des hiérarchies, des formes de domination et, finalement, des relations de production. On pourrait parler alors du surgissement de formes d’autonomies et d’auto-organisations, provenant des classes dominées : c’est que Arendt nomme « espace de la liberté » ou encore « autogouvernement représentatif », en s’inspirant des révolutions françaises, états-uniennes et russes. Jean-Louis Robert parle quant à lui d’un « temps long de l’autogestion », qui s’étend sur deux siècles dans l’Europe industrielle et qui « concerne autant le grand champ de l’utopie transformatrice, émancipatrice, anticipatrice, présente dans le mouvement social depuis le XIX° siècle, que la lutte quotidienne pour l’autonomie des micros groupes ouvriers dans l’entreprise, voire de celle de l’individu travailleur, à l’image de ce vieil

49 Voir par exemple L. Vitale, « La revolución cubana », Historia social comparada de los pueblos de América Latina, Chile, Ed. Ateli, 2000, Tomo III, vol. 2.

50 T. A. Vasconi, Las ciencias sociales en América del Sur y Chile: 1960-1990, Santiago, Universidad ARCIS, 1995.

51 Selon cet auteur, le mot « Autogestion » ne s’impose qu’après 1968 en France. P. Rosanvallon, L’âge de l’autogestion, Paris, Le Seuil, Coll. « Points Politique », 1976.

52 Hannah Harendt, Essai sur la Révolution, Paris, Gallimard, 1985, pp. 317-417.

(27)

outilleur décrit par Robert Linhart dans L’Atelier »

53

. Ce temps long, existe également sur le continent latino-américain, mais avec ses spécificités, du fait d’une insertion différenciée et dépendante dans l’économie-monde. L’Amérique latine a été parsemée de-ci de-là, au fil des luttes sociales, par de multiples « éclairs autogestionnaires » avec des identités, des cultures militantes et une "géographie sociale" spécifiques à ce continent et à sa formation sociale.

Le philosophe-militant et politologue italien Toni Negri avance quant à lui le concept de

« pouvoir constituant », notion qu’il lie à celle de « liberté constituante ». Il s’agit d’un pouvoir qu’il oppose au « pouvoir constitué », c’est-à-dire à l’ensemble des pouvoirs institués et régulés, pouvoir imposé « par en haut », notamment par les Etats et des dispositifs juridiques ou institutionnels. Une telle notion fait référence à l’auto-organisation de ce que Negri nomme les

« multitudes » sociales, celles qui s’expriment lors des périodes révolutionnaires

54

. Mais finalement lorsque la pensée biopolitique de Toni Negri parle de « pouvoir constituant », de quoi est-il vraiment « constituant » et que sont réellement ces « multitudes », floues et mal définies ? Pour ce travail, si nous avons choisi d’avancer la notion de « pouvoir populaire constituant », c’est avant tout, parce qu’elle révèle la scission de classe des sociétés capitalistes modernes et le « nouveau pouvoir » dont les classes dominées sont porteuses, durant les brefs moments de ruptures révolutionnaires qui ont traversé le vingtième siècle. « Le pouvoir constituant se réalise en "révolution permanente" et cette permanence conceptualise l'unité contradictoire de l'événement et de l'histoire, du constituant et du constitué. […] La dilatation de la capacité humaine à faire l’histoire au lieu de la subir »

55

. Il s’agit de s’intéresser à une temporalité historique « qui fait irruption, qui coupe, qui interrompt, écartèle tout équilibre préexistant et toute possibilité de continuité »

56

.

Le concept de pouvoir populaire constituant a donc l’avantage de dédramatiser la crise révolutionnaire et de lui restituer son rythme saccadé et chaotique. En ce sens, cette notion est à lier directement à celle, marxienne, de « double pouvoir » (voir également le paragraphe

53 J. L. Robert, « Changer l’entreprise, changer le travail » in F. Goergi (sous la dir. de), L’Autogestion. La dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, pp. 321-332.

54 A. Negri, Le Pouvoir constituant, Paris, PUF, 1997.

55 D. Bensaïd, « Antonio Negri et le pouvoir constituant », Espai Marx, Brésil, janvier 2004 (tiré de www.espaimarx.org/3_19/htm).

56 Citation de T. Negri, Le Pouvoir constituant, Paris, PUF, 1997, reprise par D. Bensaïd, « Antonio Negri et le pouvoir constituant », Op. Cit.

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