• Aucun résultat trouvé

EPS et handicap : enjeux, orientations et rapport à l’altérité

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "EPS et handicap : enjeux, orientations et rapport à l’altérité"

Copied!
10
0
0

Texte intégral

(1)

EPS et handicap :

enjeux, orientations et rapport à l’altérité

Jean-Pierre Garel

Chercheur associé au laboratoire LACES (EA 4140)

Longtemps maintenus dans des établissements spécialisés, les jeunes en situation de handicap ont accédé parcimonieusement à l’École ordinaire avant d’y occuper aujourd’hui une place significative. Ils y sont environ deux fois plus nombreux qu’en 2005

1

, mais cette place est marquée par de fortes disparités. Alors que 90 % des enfants de 3 à 5 ans sont scolarisés en milieu ordinaire, elle diminue d’un niveau de scolarité à l’autre, au point que le nombre d’élèves présents au lycée soit quatre fois moins important qu’au collège.

La place de ces jeunes à l’École est également à considérer au regard de la prise en compte dont ils y sont, ou devraient être, l’objet. Cette situation conduit à interroger leur inclusion.

Les réflexions à ce sujet s’étendent à des élèves qui, pour ne pas être toujours désignés administrativement comme étant « en situation de handicap », se distinguent par leurs

« besoins éducatifs particuliers ». Les « dys » (dyslexiques, dyspraxiques, dyscalculiques…), les élèves allophones

2

, la phobie, les décrochages scolaires comme la formation des enseignants à la diversité font ainsi l’objet d’analyses diverses.

Faire valoir la diversité des élèves conduit les promoteurs de l’inclusion à contester les références aux normes et à poser que chacun est différent. De ce point de vue, l’Italie, où plus de 90 % des jeunes en situation de handicap sont accueillis dans l’École de tou-te-s, est souvent présentée comme un exemple. Considérer la prise en compte des élèves en situation de handicap au sein d’une classe ordinaire renvoie à une problématique plus générale : comment « enseigner en classes hétérogènes ?

3

».

La place du handicap à l’école soulève d’autres problématiques que celles d’ordre didactique et pédagogique, par exemple : le rapport à l’autre, plus ou moins différent et vulnérable, invite à y réfléchir sous des angles éthique et anthropologique

4

; la pluralité des acteurs impliqués dans les pratiques inclusives questionne la coopération ; le rapport au médical est interpellé par les critiques d’une médicalisation de l’échec scolaire

5

, particulièrement pour les enfants

« dys » ou ceux ayant des « troubles du comportement », et l’on peut s’interroger sur les

1 L’année 2005 est marquée par la loi « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».

2 Bussienne Élisabeth et Clavier Évelyne (dir.), « Inclure tous les élèves », Cahiers pédagogiques, n°526, 2016.

3 Zakhartchouk Jean-Michel, Enseigner en classes hétérogènes, Coédition Cahiers pédagogiques-ESF, 2015.

4 Philip Christine et Gardou Charles (dir.), « Éthique, éducation et handicap », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n°19, INS HEA, 2002.

5 Morel Stanislas, La médicalisation de l’échec scolaire, Paris, La Dispute, coll. « L'enjeu scolaire », 2014.

(2)

dérives possibles d’un « sport sur ordonnance » émergeant dans un domaine, le sport des personnes en situation handicap, qui s’est historiquement construit contre « un univers dominé par les médecins et leur conception de la réadaptation

6

».

Les réflexions sur la présence accrue des élèves en situation de handicap à l’École ordinaire n’ignorent pas la pratique des APSA (Activités physiques, sportives et artistiques) en EPS ou dans le cadre de l’association sportive scolaire. Nous allons maintenant nous y arrêter. Quels en sont les enjeux ? On peut les envisager à partir d’une invitation de l’OCDE à promouvoir et respecter « le droit de chacun de s’épanouir pleinement et d’avoir la possibilité de devenir un membre de la société accepté et agissant ». Deux concepts se dégagent : l’accomplissement personnel et la participation sociale, qui fait écho à l’inclusion. Pour ce dernier, la dimension sociale des enjeux est explicitement affirmée, tandis que le concept d’accomplissement personnel a une dimension individuelle. Toutes deux sont en fait étroitement liées : l’accomplissement personnel contribue à la participation sociale, et réciproquement.

De l’identification des enjeux découlent d’autres questions : dans quel(s) sens le regard et l’action s’orientent-ils, ou doivent-ils s’orienter, pour que la prise en compte des élèves en situation de handicap s’inscrive dans une perspective inclusive ? Et dans quelle mesure leur prise en compte effective est-elle déterminée par le rapport à l’altérité ?

Les enjeux

Envisager l’enjeu d’accomplissement personnel conduit à l’idée de développer ses potentialités, son pouvoir d’agir

7

. La santé, « perçue comme une ressource de la vie quotidienne », et non comme un but en soi, dans la Charte d’Ottawa promulguée par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) en 1986, participe à ce pouvoir, avec notamment ses dimensions physique et mentale qui sont à considérer au regard d’une pratique d’APSA.

Concernant la santé physique, la surcharge pondérale des personnes en situation de handicap, plus élevée que chez les valides, est un problème souvent évoqué

8

. Source de pathologies, elle a son origine en partie dans une sédentarité contre laquelle la pratique des APSA joue un rôle.

Si, de façon générale, les bénéfices de l’activité physique et sportive sont démontrés

9

, dans le domaine du handicap et de la maladie ils sont aussi bien documentés, en même temps qu’accompagnés de préconisations

10

.

6 Ruffié Sebastien et Ferez Sylvain (dir.), Corps, Sport, Handicap. Tome I, L’institutionnalisation du mouvement handisport (1954-2008), Paris, Téraèdre, 2013.

7 « L’accomplissement personnel, avec et pour les autres », est défini par Paul Ricœur comme le premier niveau de la vie éthique (1995, 142).

8 Corrélé au surpoids et à l’obésité, le handicap l’est aussi à la position sociale : « Il ne touche pas également toutes les catégories sociales : les ouvriers courent nettement plus que les cadres le risque d’être en situation de handicap » (« Le handicap en chiffres », DREES, Ministère des Affaires sociales et de la Santé, février 2004).

9 Bazex Jacques, Pène Pierre, Rivière Daniel, Les activités physiques et sportives — la santé — la société, Bull.

Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 7, 1429-1442, séance du 9 octobre 2012.

10 Varray Alain, Bilard Jean et Grégory Ninot, Enseigner et animer les activités physiques adaptées, Dossier EP&S n°55, Revue EP&S, 2001.

(3)

Quant à la santé mentale, elle est parfois altérée par des troubles psychiques pour lesquels la pratique des APSA peut avoir un effet positif

11

. Mais la santé mentale ne se réduit pas à l’absence de maladie mentale. « Capacité à trouver des moyens pour vivre les changements, les défis ou l’adversité », pour

Le Mouvement Santé mentale Québec, elle n’est pas étrangère

à un bien-être psychologique qui est « généralement défini par une bonne estime de soi et un faible niveau d’anxiété »

12

.

Des travaux portant sur des enfants avec une déficience motrice mettent en évidence une faible estime de soi chez certains, au point que leur identité apparaît réduite au déficit. « Je suis un handicapé », ont répondu des jeunes présentant une infirmité motrice cérébrale à la question « peux-tu me dire qui tu es ? »

13

. Quand l’impotence est considérable, on remarque que peuvent s’éteindre progressivement les aspirations, l’esprit de compétition et la persévérance, en un mot le désir d’« emprise », comprise comme « conduite coordonnée, développée à plus ou moins long terme en fonction de buts que se propose ou qu’accepte de reprendre en charge la personne qui s’y engage »

14

. Or, la pratique d’APSA est susceptible de donner corps à une reconnaissance de soi comme sujet capable d’entreprendre et de réussir.

La reconnaissance par le sujet de son pouvoir d’agir, de sa « capacité de faire arriver des événements dans l’environnement physique et social »

15

est un besoin fondamental. Elle

« constitue la validité nécessaire de la construction de soi »

16

des personnes en situation de handicap. Elle contribue à fonder l’identité, puisqu’une caractéristique de l’identité est liée à l’estime de soi et que « l’identité renvoie alors à l’idée de réalisation de soi par l’action, du

"devenir soi-même" à travers des activités (faire, et en ce faisant, "se faire") »

17

. Dès lors qu’elle se traduit par des réussites, la pratique des APSA constitue un support de reconnaissance d’autant plus intéressant que ses effets sont donnés à voir. Pour de jeunes adultes trisomiques, par exemple, ces activités « semblent être ressenties comme une valorisation et une gratification de leurs potentialités »

18

.

Les progrès du sujet et leur retentissement psychologique ont des conséquences importantes.

En effet, il est admis que le handicap résulte de l’interaction entre un individu et son environnement. Si donc on améliore les facteurs personnels, on contribue à réduire le handicap. Certes, on n’attend pas a priori des APSA qu’elles diminuent une déficience, entendue comme une altération organique. Ainsi, une rupture de la moelle épinière, qui

11 Compte Roy, Bui-Xuân Gilles et Mikulovic Jacques (dir.), Sport adapté, handicap et santé, co-édition Afraps- FFSA, 2012.

12 Delignières Didier, « L’éducation physique : une éducation pour la santé », Forum Interrégional de l’AEEPS, L’EPS, c’est bon pour la santé, Valence, 19 mars 2005. En ligne :

http://didier.delignieres.perso.sfr.fr/EPS-doc/AEEPSValence2005.pdf

13 Gérard Éliane, « Être infirme moteur cérébral », in Roger Perron (dir.), Les représentations de soi : développements, dynamiques, conflits, Toulouse, Privat, 1991.

14 Perron, cité par Gérard, op. cit., p. 188).

15 Ricœur Paul, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004.

16 Gardou Charles, « La personne handicapée : d’objet à sujet, de l’intention à l’acte », La Nouvelle revue de l’AIS, INS HEA, n° 4, 1998, p. 97-109.

17 Tap Pierre, « Marquer sa différence », Sciences humaines, Hors-série n° 15, 1996, p. 9-10.

18 Morvan Jean-Sébastien, Auguin Nathalie et Torossian Valérie, Trisomie et handicap. La parole des jeunes : configurations et itinéraires, Paris, CTNERHI, 2005.

(4)

entraîne une paraplégie, ne sera pas guérie par leur pratique. En revanche, avec cette déficience, on peut être plus ou moins handicapé dans la mesure où l’incapacité, conséquence fonctionnelle de la déficience, est, elle, variable, et peut être réduite par des activités adaptées qui permettent de construire des pouvoirs mobilisables pour réaliser, seul ou avec d’autres, des projets qui sont sources d’estime de soi. Ces pouvoirs trouvent à s’exprimer à la faveur d’un gain d’autonomie recherchée par les enseignants

19

.

Participant du besoin qu’a tout individu d’activités dont il a l’initiative, l’autonomie est souvent mise en avant dans les projets pédagogiques et éducatifs relatifs aux jeunes en situation de handicap. De fait, l’EPS est en mesure de la favoriser, dans sa dimension physique bien sûr, mais pas seulement. L’extension des possibles vertus émancipatrices d’une activité physique adaptée est identifiable à tout âge, avec pour effets, outre des progrès moteurs significatifs, une réduction de la dépendance, tant affective que sociale

20

.

En interaction avec l’accomplissement personnel, la participation sociale est un enjeu souvent évoqué, d’autant plus qu’il résonne avec le concept d’inclusion, maître-mot des réflexions actuelles sur le handicap. Participer socialement signifie avoir des relations sociales, et aussi, fondamentalement, exercer ses droits

21

, c’est-à-dire accéder à des domaines comme l’éducation, le travail, la culture, le sport… C’est assumer des rôles sociaux à travers des activités et des responsabilités qui font de toute personne un(e) citoyen(ne) à part entière, membre d’une société inclusive, pour reprendre « un concept utilisé en opposition à la société

exclusive, qui maintient des exclusivités

(…). Certains ont des droits, d’autres en sont

privés22 ». Plusieurs faits attestent cette dernière assertion : les statistiques du ministère en

charge de l’emploi montrent que, parmi les personnes ayant une reconnaissance administrative d’un handicap ou une perte d’autonomie, 18 % d’entre elles sont au chômage, contre 10% pour l’ensemble de la population en âge de travailler ; d’après les réclamations adressées en 2014 au Défenseur des droits, le handicap est le second motif de discrimination, après l'origine ; dans un rapport du Conseil de l'Europe, le commissaire aux droits de l'homme avance qu’environ 20000 enfants en situation de handicap sont sans solution de scolarisation ; selon un sondage réalisé pour l’APF (Association des paralysés de France) par l’Ifop, en 2006, le refus d’accès à un loisir arrive en tête des discriminations citées…

Concernant l’accès aux pratiques physiques et sportives de loisir, les enquêtes conduites par l’Insee en 1999 et 2008 montrent que la pratique sportive déclarée par les personnes en situation de handicap a augmenté significativement

23

. Cependant, à âge égal, les hommes et

19 - Garel Jean-Pierre, « L’autonomie du sujet déficient visuel : contribution de l’éducation physique et

sportive », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° hors-série, INS HEA, 2007, p. 107-123.

20 Bui-Xuân Gilles, Brunet François et Dejean Alain, « Activité physique, santé et qualité de vie, enquête sur l’activité physique, la santé et la qualité de vie des personnes déficientes intellectuelles de CAT ». Handicap- revue de sciences humaines et sociales, n°85, 2000, p. 47-67.

21 Fougeyrollas Patrick, La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 45, INS HEA, 2009, p. 166- 174.

22 Gardou Charles, « La société inclusive, de quoi parlons-nous ? », Contrepied, Centre EPS et société, Hor-série n° 12, 2015, p. 22-23.

23 Banens Marc, « L’accès à la pratique sportive : état des lieux en vue d’un développement, in Anne Marcellini et Gilles Villoing (dir.), Corps, Sport, Handicap, Tome 2. Le mouvement handisport au XXIème siècle. Lectures sociologiques, Paris, Teraèdre, 2014, p. 31-42.

(5)

les femmes présentant une déficience sont 20 à 30% de moins que les valides à déclarer une activité sportive. Et plus la déficience ou la maladie sont conséquentes, plus cette activité est restreinte. Le temps libre est souvent un temps d’exclusion pour les plus vulnérables. Si l’accessibilité des pratiques sportives est à améliorer dans le sens d’une offre pour tou(te)s, à la mesure de chacun(e), on peut attendre de l’EPS et du sport scolaire qu’ils donnent aux jeunes des pouvoirs, un plaisir et un désir qui les portent vers une demande de pratiques d’APSA en dehors de l’École et lors de leur vie d’adulte.

La pratique d’APSA signe le partage d’une culture commune. Y compris les activités physiques appartenant au patrimoine ludique enfantin, ce sont en effet des pratiques sociales, culturelles, valorisées et potentiellement valorisantes. Parmi celles auxquelles s’adonnent des personnes en situation de handicap, certaines sont semblables à celles des valides, avec éventuellement des adaptations ; d’autres sont spécifiques, comme le torball (sport collectif pour aveugles). Quelles qu’elles soient, elles sont l’occasion de rencontres, d’un élargissement de l’environnement physique et humain, donc d’inclusion, et elles constituent des vecteurs d’identité individuelle et sociale, des éléments d’une culture partagée qui fait des sportifs « handicapés » des sportifs comme les autres et qui signe ainsi leur inscription symbolique dans la norme des bien-portants, à distance des activités physiques rééducatives.

Pratiquer des APSA permet aussi de développer des relations sociales. Selon une conception interactive, les relations entre personnes en situation de handicap et valides. Il est possible alors de distinguer plusieurs niveaux d’inclusion

24

:

- une inclusion physique quand les personnes se côtoient dans un même lieu (piscine, gymnase, stade…) ;

- une inclusion fonctionnelle lorsque les ressources disponibles (équipements, matériel…) sont utilisées conjointement et qu’une activité est plus ou moins partagée, en l’occurrence en EPS ou au sein d’une association sportive ;

- une inclusion sociale, dès lors que s’engage un « processus de création et de renforcement des relations et des liens entre les individus, qui fonde un sentiment de faire naturellement partie du groupe

25 ». De jeunes adultes trisomiques témoignent de ces relations à propos de

leurs activités sportives. Les chercheurs qui ont recueilli leur discours notent que, « au-delà de l’activité elle-même, les rencontres entre amis qui partagent ces mêmes activités sont vivement attendues. Le rapport au groupe social devient par là même un objectif à part entière, parallèlement à l’activité de loisir

26

». Ces activités sont propres à satisfaire un besoin de sociabilité, nourri par des émotions et des plaisirs partagés, qui ne doit pas être entendu comme devant être satisfait exclusivement dans un contexte mêlant valides et « handicapés » : l’attrait pour des pratiques entre soi n’est pas à négliger

27

.

La participation sociale peut se manifester également par un exercice de responsabilités qui contribue à une amélioration de l’estime de soi et de l’autonomie. Cet effet positif peut être

24 Söder Marten, « Ecole spécialisée ou éducation intégrée ? », Le Courrier de l’UNESCO, n°106, 1981.

25 Söder Marten, op. cit., 1981, p. 21.

26 Morvan Jean-Sébastien et al., op. cit.

27 Marcellini Anne, Des vies en fauteuil… Usages du sport dans les processus de déstigmatisation et d’intégration sociale, Paris, CTNERHI, 2005.

(6)

renforcé si ce qui est imputable au sujet relève d’un rôle socialement reconnu, dont il a à répondre devant les autres et qui lui vaut un regard positif s’il parvient à l’assumer. Si l’on admet que « la condition essentielle pour que ces personnes (avec une déficience intellectuelle, ndlr) puissent accéder à une identité socialement valorisée est de prouver qu’elles peuvent être utiles

28 », une contribution au fonctionnement du groupe s’avère alors

particulièrement pertinente. La pratique des APSA se prête bien à cette contribution : collaboration à des projets communs, par exemple à l’occasion d’une activité physique artistique, ou lors d’une activité sportive (rôle d’observateur, d’arbitre ou co-arbitre, de responsable de l’échauffement...).

Des orientations promues dans une perspective inclusive

Que faire pour satisfaire aux enjeux de la prise en compte d’élèves en situation de handicap ? On trouvera à ce sujet les recommandations du CNESCO, évoquées précédemment. Il ne s’agit pas ici de reprendre les mots-clés des leviers à même de faire vivre une école inclusive (accessibilité, mutualisation, formation…) pour les contextualiser dans le domaine des APSA, mais de considérer les changements d’orientation du regard porté sur les personnes en

situation de handicap, tels qu’ils sont généralement préconisés pour avancer sur le chemin de l’inclusion. Ils vont dans le sens d’une mutation culturelle

29

pouvant orienter favorablement les actions en direction des jeunes concernés.

Longtemps centrés sur les déficits de l’individu, on invite aujourd’hui à mettre en lumière ses capacités. Historiquement, les politiques alors dites d’« intégration » ont commencé par s’inscrire dans un modèle individuel et médical du handicap, selon lequel les personnes

« handicapées » sont vues essentiellement à travers le prisme de leur déficience. Ce qui porte à négliger leurs capacités, leurs raisons et leurs façons de les mobiliser, et donc à nourrir une représentation stigmatisante et marginalisante de ces personnes. Dans ces conditions, les représentations qui s’attachent communément aux corps altérés ont trop souvent un sens péjoratif qui marque une distance entre ce type de corps et celui du sportif, au point qu’il peut être difficilement pensable de la réduire et d’envisager une pratique sportive par des personnes en situation de handicap. Il apparaît pourtant que nombre d’entre elles se montrent capables de performances très étonnantes

30

(Garel, 2010). Le sport les donne à voir sous un jour valorisant.

Il s’agit aussi de se détacher de l’individu pour prendre en compte le contexte. Une caractéristique importante de l’inclusion, c’est la référence à un modèle social et interactif du handicap. Le handicap n’est plus considéré comme un attribut personnel qui essentialise la population concernée. L’idée prévaut qu’il n’existe pas en soi, indépendamment de la situation, de l’environnement physique, humain, social et sociétal, et qu’il est donc le produit

28 Diederich Nicole, Les naufragés de l’intelligence, 2ème édition, Paris, La découverte, 2004.

29 Gardou Charles et Poizat Denis (dir.), Désinsulariser le handicap. Quelles ruptures pour quelles mutations culturelles ? Toulouse, Érès, 2007.

30 Garel Jean-Pierre, « Du corps altéré au corps sportif », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, INS HEA, n° 50, 2010, p. 107-116.

(7)

de facteurs personnels (déficience, maladie, incapacités…), d’un côté, et de l’autre de facteurs environnementaux, culturellement déterminés, dont l’amélioration joue donc positivement sur le handicap.

L’adaptation à la personne est un autre élément important de l’orientation inclusive. En conduisant à la réparation de ce qui fait défaut à la personne, l’idée d’intégration, qui était assise sur un modèle individuel et médical du handicap, faisait porter avant tout sur elle l’effort d’adaptation autorisant sa présence en milieu ordinaire. Au nom de l’égalité, elle n’y était accueillie et maintenue que dans la mesure où elle satisfaisait à la norme.

Par ailleurs, il est convenu de se défaire d’une approche catégorielle et de reconnaître les singularités. Si des personnes désignées d’un même terme (les déficients visuels, les infirmes moteurs cérébraux…), présentent des points communs, elles ont aussi entre elles des différences. Il y a ainsi plusieurs façons de mal voir, selon le type d’altération organique, ses conséquences fonctionnelles, le caractère congénital ou acquis de la déficience, les expériences vécues, les ressources personnelles, le rôle de l’environnement physique et humain… Bref, il n’y a pas deux personnes tout à fait identiques. Il s’agit donc de se défaire d’un prêt-à-porter pédagogique conçu pour un portrait-type et d’« appréhender un sujet dans sa singularité propre, et non au travers d’une classification de type médical ou administratif

31

». Pour un même type de déficience, les techniques sportives sont variables.

Ainsi, en natation, certains jeunes présentant une infirmité motrice cérébrale pourront se déplacer sur le ventre tandis que d’autres n’auront accès qu’à une nage en position dorsale, avec des mouvements simultanés des bras conjugués avec des battements de crawl.

L’attention aux différences est nécessaire, mais à trop s’y attacher on risque de ne voir que des besoins particuliers et de méconnaître les besoins partagés. Aussi faut-il conjuguer la prise en compte des différences et celle des ressemblances. La déficience d’une personne ne l’empêche pas fatalement de désirer, comme les autres, mettre en jeu son corps, en éprouver du plaisir, partager une activité sportive avec d’autres, s’accomplir personnellement à travers la mise à l’épreuve de soi et la quête de performance. À propos d’élèves ayant une déficience motrice, des professeurs témoignent : « Ces élèves peuvent être des modèles, par leur persévérance et leur motivation (…). Ibrahim, par exemple, malgré son handicap, le fait de ne pas avoir de bras, était un exemple qui tirait les autres. Ils étaient admiratifs de ce qu’il faisait.

32

»

La prise en compte du handicap au regard du rapport à l’altérité

Dans quelle mesure le changement de regard sur les jeunes en situation de handicap se traduit, dans les faits, par une prise en compte qui les conduit aux bénéfices attendus de leur scolarisation, à la fois attentive à leurs singularités et à ce qu’ils partagent et peuvent partager avec les autres ? Négligeant ici d’indéniables facteurs de réussite, par exemple les aspects

31 Morvan et al., op. cit.

32 Garel Jean-Pierre, Supplément électronique, Contrepied, hors-série n° 12, 28 avr. 2015 (En ligne) www.epsetsociete.fr (rubriques Dossiers/Handicap/besoins éducatifs particuliers.

(8)

didactiques, on s’arrêtera sur le rapport des enseignants et des jeunes à l’altérité, tel qu’il apparaît à travers des observations de terrain.

Dans le bilan qu’elle fait de la création d’épreuves adaptées et du travail effectué avec des élèves à besoins éducatifs particuliers du lycée où elle enseigne, un professeur dit ne pas pouvoir « passer sous silence la perplexité de certains collègues. Sans être vraiment hostiles, ils craignent qu’à force d’adapter les pratiques existantes on ne les dénature tout à fait, et ironisent parfois sur le recours à de nouvelles activités improbables

33

». Pourtant, se hisser aux normes attendues n’est pas possible pour tous les élèves.

L’égalité de traitement qui est avancée pour critiquer les adaptations mises en œuvre s’appuie notamment sur la croyance qu’elle conditionne la démocratisation scolaire et sur la référence au « normal », qui « n’est pas un concept d’existence, susceptible de mesure objective

34

» faisant de toute différence une déviation à corriger. Il s’agit là d’égalitarisme, à l’opposé d’une égalité réelle, qui appelle des différenciations empreintes d’équité, selon une conception invitant à corriger ce qu’une justice formelle et impartiale peut avoir d’impersonnel. Les récits de personnes aveugles sur leur vécu en cours d’EPS, parmi des camarades valides, font apparaître leurs échecs et leur souffrance, faute de différenciation

35

. À l’inverse d’une insuffisante prise en compte des singularités, on assiste actuellement à des injonctions récurrentes de s’adapter à l’élève : respecter son rythme, sa différence... Elles sont justes dans le sens où elles invitent à être attentif à chacun(e), mais malheureuses dès lors qu’elles équivalent à l’assigner à sa différence, à entraver son développement, faute d’exigences, en raison d’une sous-estimation de ses capacités et d’une attitude surprotectrice.

La bienveillance, selon le terme en vogue, ne doit pas se départir d’une visée émancipatrice, propre à conduire l’élève à progresser, ce qui appelle à un ajustement réciproque, de l’école à l’élève et de l’élève à l’école, plus précisément à des exigences inhérentes à l’appropriation de savoirs et de pouvoirs qui sont des facteurs d’inclusion.

Lorsque les adaptations que l’on met en place pour des élèves en situation de handicap sont marquées par une ambition en-deçà de ce qu’ils pourraient faire, on les prive de la joie de se réaliser, avec les autres, et l’on fait prévaloir leur altérité sur leur identité. Plutôt que d’appeler à un respect des différences qui risque d’induire une forme d’immobilisme, alors que les apprentissages confrontent l’élève à des obstacles et à un travail (que n’exclut pas le plaisir) pour les franchir, il paraît plus juste d’insister sur la nécessité de prendre en compte la personne dans sa différence sans l’y réduire.

Le rapport à l’altérité des enseignants est marqué par l’ambivalence. Des entretiens avec des professeurs d’EPS qui interviennent auprès d’élèves en situation de handicap le confirment

36

. Un professeur parle des « tolérances » qu’il leur accorde, en même temps qu’il témoigne de

33 Losfeld Sophie, « Adapter l’épreuve du baccalauréat aux élèves à besoin particulier », in Thierry Bourgoin, Xavier Chigot, Florence Guyard-Bouteiller et Stéphanie Lentz (dir.), Handicap et activité physique, EP&S, 2014, p. 126-130.

34 Canguilhem Georges, Le Normal et le pathologique, Paris, PUF, 1966.

35 Garel Jean-Pierre, op. cit.

36 Garel Jean-Pierre, « Individualiser pour réunir : l’enseignement de l’EPS devant un paradoxe de l’intégration scolaire », La nouvelle revue de l’AIS, n° 8, INS HEA, 1999.

(9)

son attention aux apprentissages : « Il faut que les élèves sentent que ce qu'on leur demande, c'est du travail, avec une évaluation, qu'ils vont apprendre. » Tout en prônant la prise en compte des différences, et en agissant dans ce sens, il dit « avoir la volonté de ne pas regarder ces enfants autrement, et avoir quand même des exigences avec eux », prendre chacun « en considération sans s'arrêter systématiquement sur son handicap ». Attentif à ne pas verser dans un excès de rigueur ni dans un excès de compassion, ce professeur du collège Georges Braque semble s'être approprié la formule du peintre... Georges Braque : « J'aime la règle qui corrige l'émotion ; j'aime l'émotion qui corrige la règle. »

Du côté des élèves, se pencher sur leur rapport à l’altérité mène à la question du « vivre ensemble », enjeu souvent mis en exergue mais qui ne va pas de soi, car, à l’École comme ailleurs, il ne suffit pas de mêler des personnes différentes. Le construire suppose de prendre conscience de la variété des rapports à l’altérité des élèves. Des études conduites dans des collèges ordinaires accueillant des jeunes avec une déficience motrice ou des troubles de la santé invalidants montrent qu’ils apprécient les cours d’EPS avec les autres, même si plusieurs disent aussi aimer se retrouver entre eux lors des cours qui leur sont parallèlement réservés, et ils paraissent bien acceptés.

Cela dit, il faut se garder de généraliser. Ailleurs, on voit aussi des élèves qui vivent d’autant plus mal leur altérité qu’elle suscite chez les autres des comportements qui les excluent et les blessent. C’est le cas de cet adulte déficient visuel qui évoque ses cours d’EPS avec des voyants

37

: « Personne ne voulait de moi dans les équipes. »

Le fait de ne pas être au niveau des autres jeunes, et peut-être aussi de présenter des difficultés mal acceptées, peut perturber l’intéressé. Un élève

avec des troubles cognitifs est susceptible de provoquer l’agacement de ses partenaires quand il participe à un sport collectif comme le basket- ball, qui requiert des prises d’information et de décision. Expliquant

les raisons pour lesquelles ils ne souhaitent pas être en EPS avec les autres adolescents du collège, des

élèves de SEGPA (Section d’enseignement général et professionnel adapté), sans déficience avérée mais en difficulté dans leurs apprentissages,

disent leur peur de l’échec, des moqueries, des insultes, particulièrement en sports collectifs : « On a la honte d’être en SEGPA (…) Ils nous traitent de sales SES.

38

»

Avec une même déficience, des élèves acceptent sans difficulté les adaptations qui leur sont proposées, d’autres non, particulièrement à l’adolescence, parce qu’ils y voient une distinction stigmatisante. Ce type de malaise n’est pas lié à l’importance de la déficience. De petits écarts à la norme peuvent aussi en être la source, car il est quelquefois plus facile pour un adolescent ayant une déficience très visible de se libérer de cette différence que pour celui qui a une maladie non visible mais dont il reste dépendant. Pour Patrick Alvin, chef du Service de médecine pour adolescents au département de pédiatrie de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Paris), quand un jeune expose une différence évidente, il ne peut pas la nier et il trouve souvent des façons singulières de s'adapter, alors que, « quand on est presque comme les

37 Garel Jean-Pierre, « L’autonomie du sujet déficient visuel : contribution de l’éducation physique et sportive », op. cit., p. 111.

38 Garel Jean-Pierre, « L’intégration des élèves de SEGPA en Éducation physique et sportive : entre espoirs et

illusions », La nouvelle revue de l’AIS, INS HEA, n°14, 2001, p. 61-71.

(10)

autres mais “ pas tout à fait ”, on s'expose à un cycle de compétition anxieuse avec ce que l'on considère être “ normal ”

39

». La dyspraxie, qui apparaît de prime abord comme un

« handicap invisible », illustre les difficultés que peut rencontrer un jeune dont l’extrême maladresse en EPS ne peut pas s’expliquer par une déficience manifeste.

Prendre en compte la diversité des jeunes, dont leur rapport à l’altérité, suppose d’être attentif à leurs difficultés comme à leurs réussites, d’adapter les modalités de groupement des élèves, le choix des APSA, ainsi que les démarches didactiques et pédagogiques. Ce sont là quelques éléments propres à favoriser des pratiques partagées dans une reconnaissance mutuelle qui peut faire des APSA un facteur d’inclusion au-delà de l’École.

Conclusion

Évoquant leur évolution personnelle, des enseignants confrontés à des élèves en situation de handicap parlent d'un « changement d'attitude », d'un « autre regard ». « Je m'aperçois, dit un professeur d’EPS, qu'il y a des enfants qui sont très mal dans leur peau, certains qui, par une surcharge pondérale, vivent un véritable handicap. On les regarde autrement, on a par moment d'autres exigences, on a une autre tolérance... (On arrive) à accepter de différencier davantage, même chez les valides

40

».

Cette attention non dénuée d’exigence, construite au contact des élèves en situation de handicap, bénéficie aux autres, notamment à ceux qui, d'ordinaire, ont une dispense de longue durée. Par le prisme du handicap, le regard s’habitue à voir chez les élèves qui ne sont pas désignés comme « handicapés » des particularités qui méritent une attention. Au contact d’une population marginale, les enseignants développent des compétences didactiques et pédagogiques qui profitent à l’ensemble de leurs élèves. Paradoxalement, plutôt que de creuser l’altérité, les altérations éclairent les différences de tou-te-s et révèlent que l’identité propre de chaque individu n’est qu’une variante de ce qu’il a en commun.

39 Garel Jean-Pierre, « Adolescents au corps altéré et apprentissages par corps », La nouvelle revue de l’AIS, INS

HEA, n°29, 2005, p. 33-46.

40 Garel Jean-Pierre, « Individualiser pour réunir : l’enseignement de l’EPS devant un paradoxe de l’intégration

scolaire », op. cit. p. 159.

Références

Documents relatifs

Christian Poslaniec : On dirait que tu as abandonné Pierrot et Colombine, ainsi que l'encre, en même temps que fermait l'atelier du vieux Mans.. On commence par

Compléter cette figure pour obtenir un patron du polyèdre, sachant qu’il comporte deux triangles équilatéraux et que toutes les autres faces sont identiques.. Au Maroc, alors que

- S’il n’y a pas de financement pour disposer d’un support informatique personnel en classe, l’utilisation de l’outil informatique et des logiciels spécifiques

- S’il n’y a pas de financement pour disposer d’un support informatique individuel en classe, l’utilisation de l’outil informatique et des logiciels spécifiques

L’objectif de cette formation diplômante, éligible au DPC, est de permettre à des professionnels de santé, du secteur médico-social ou éducatif, de découvrir une approche

Montant des droits (susceptible d’évoluer légèrement) : Tarif unique en Formation continue 1049,1 € (tarif 2014-2015) (Droits scolarité + DIU) hors hébergement et transport.

Elopak veut croquer SIG pour rivaliser avec Tetra Pak P.38 MACHINISMEAGRICOLE. Le

Comme le foie, le poumon peut être sujet à une stase aigue lorsqu'une insuffisance cardiaque est brutalement décompensée: en raison de la très grande richesse de la