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Nouvelles populations limites et changements institutionnels : histoire d'une mutation

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-01775445

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Submitted on 24 Apr 2018

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Nouvelles populations limites et changements institutionnels : histoire d’une mutation

Nathalie Gourmelon

To cite this version:

Nathalie Gourmelon. Nouvelles populations limites et changements institutionnels : histoire d’une mutation. Sociologie. Université Paul Verlaine - Metz, 2001. Français. �NNT : 2001METZ001L�.

�tel-01775445�

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AVERTISSEMENT

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(3)

BIBLIOTHEQU E U Nlvi:R S ti;-tF

UNTVERSITE DE METZ

UFR SCIENCES HUMAINES ET ARTS

THESE

pour le Doctorat de sociologie présentée et soutenue publiquement par

Nathalie GOURMELON le 12 septembre 2001

Nouvelles populations limites et changements institutionnels : histoire d'une mutation

Sous la direction de Jean-Yves TREPOS

.IURY

Président : Jacques COMMAILLE, Professeur, Ecole Normale Supérieure Jean-Yves TREPOS, Professeur, Université de Metz

Francis BAILLEAU, Chargé de Recherche au CNRS

Marcel CALVEZTMaître de Conférence, Université de Rennes Rémi LENOIR, Professeur, Université de Paris I

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UI{TVERSITE DE }/,4ETZ

UFR SCIENCES HUMAINES ET ARTS

THESE

pour le Doctorat de sociologie présentée et soutenue publiquement par

Nathalie GOURMELON Ie 12 septembre 2001

Nouvelles populations limites et changements institutionnels : histoire d'une mutation

Sous la direction de Jean-Yves TREPOS

JI]RY

Président : Jacques COMMAILLE, Professeur, Ecole Normale Supérieure Jean-Yves TREPOS, Professeur, Université de Metz

Francis BAILLEAU, Chargé de Recherche au CNRS

Marcel CALVEZTMaître de Conférence, Université de Rennes Rémi LENOIR, Professeur, Université de Paris I

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A ma mère, à mon père,

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Remerciements

Mes remerciements s'adressent àtous ceux qui m'ont, de près ou de loin accompagnée durant cette recherche et I'ont par-là même, rendue possible :

Jean-Yves Trépos pour avoir accepté d'encadrer cette thèse à mi-parcours. La confiance qu'il m'a ainsi accordée, son soutien, son écoute (malgré la distance qui nous séparait), ses encouragements incessants m'ont été d'un grand recours pour mener ce travail jusqu'à son tenne.

Francis Bailleau pour m'avoir chaleureusement accueillie au GRASS. Cette thèse doit beaucoup à son dynamisme, à ses conseils précieux, à sa très grande disponibilité. Non content de suivre lui aussi ce travail jusqu'au bout, il a également su répondre à mes innombrables questions, pour ne pas dire angoisses et m'a ainsi permis de faire face et de ne pas perdre confiance durant certains moments difficiles.

L'ensemble des membres du GRASS, en particulier Colette Bec, Geneviève Bouet-Chemin, Stéphanie Boujut, Anne Cadoret, Claudine Curjol, Yann Darré, Philippe Habib, yvon Lochard, Philip Milburn.

Mes collègues de I'Université de Metz, notamment Hervé Levilain et Cherry Schrecker.

I-es membres de l'équipe du CEF-FSOPHI de I'Académie des particulier Natalia Chmatko et Julia Markova.

Sciences de Moscou,

Toutes celles et tous ceux qui ont accepté de me recevoir, le temps d'un, voire de deux entretiens et m'ont accordé de leur temps, dont je connais la valeur, notamment le Dr patrick Alécian, le Dr Gilles Barraband, Jean-Luc Bossavit, le Dr Dominique Boubilley, Oo*inique Brossier, Simone Couraud, Marie Ehlinger, Corinne Ehrenberg, Jean-Marie Fauché, le Dr Laurent Gourarier, le Dr Serge Hefez, Adriana Juez, le Dr Bertrand Lebeau, le Dr Jean-pierre Lhomme, le Dr William Lowenstein, le Dr Ali Magoudi, Perlette Petit, Jean-Luc Ricaud, le Dr Anne-Marie Simonpolie, Malika Tagounit, Gérard Tonnelet, le Dr Didier Touzeau, le Dr Marc Valleur, le Dr Sylvie Wieviorka.

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Le Dr Jean Ebert et le Dr Marie-Jo Taboada ainsi que toute l'équipe de I'Unité de coordination de Horizons pour leur sympathie, leurs compétences et leur formidable accueil.

Les quelques autres membres d'associations ou professionnels d'institutions telles que I'Armée du Salut de Paris, I'ASE de Vitry, Asud de Nîmes, Boréal à Paris, Charonne à Paris, Ellipse à Lille, La Halte à Etampes, Logos à Nîmes, Marmottan à Paris, Le Patriarche à Trouville, la maternit é de Port-Royal à Paris, Médecins du Monde à Paris et à Strasbourg, la pouponnière les Récolets à Paris, les PMI du 18è'' et du 19è*'à Paris, Transit à Marseille.

Les personnes accueillies ou prises en charge dans ces différentes structures, qui ont accepté, le temps d'un entretien de se raconter.

La Direction Générale de la Santé - Division Sida ; Ensemble Contre le Sida/ La Fondation pour la Recherche Médicale;LaDélégation Interministérielle à la Ville, pour I'intérêt qu'ils ont porté à mes projets.

Clothilde Carrandié, documentaliste (et véritable mémoire) de Marmottan, ainsi que du réseau Toxibase, pour ses compétences hors pairs, sa générosité et son extrême gentillesse.

Les autres documentalistes de la DGLDT ; de la PJJ ; de Médecins du Monde et de La Documentation Française.

Tous ceux enfin, qui non contents de me montrer leur intérêt pour ce travail, m'en ont également périodiquement sortie, ffio rappelant que la vie était aussi ailleurs : mes parents bien sûr, mes sæurs : Patou et Domie, mon < bel ami >> Laurent et tant d'autres que je remercie tout simplement d'être là : Alex, Arnaud, Catherine, Christophe, Danielle, Frédérique, Gaëlle, Hervé, Ilona, I-ei'la, Lionel, Loib, Louis, Luc, Lucie, Marie-Jo, Mathilde, Mich, Nathalie, Yann.

(8)

Table des martersË-

I N r n o n U C T I o N . . . r . . . r . . . " ' r " " " " " t t " r " " ' r " t t t t t t t t t

L

1 - Etéments d'une prOblématique...o...-...""""""""""""' """"""" 2 2 - L,itinéfAife impféVU d'Un Objet de feChef7he...""""""""""""""" """""' 14 3 - Descriptif des dffirents travaux empirtques""""""""""""""""'o""""""""" """ 37

pnnnaÈnn panrlE : Ln pRocnssus n'rNSTIrUTroN n'ul{ lvIOnÈLn nn PRrSn BN

C H A R G E . . . ! . . . r r . . . r . . . r . . . r . " " " " r " " t " t " t t t t t t t t t

3 5

crnprrnr I : NnssANcE ET ITINÉRAIRE DtuN PROBLÈME socIAL...-...""""""""" 36 7- LridentiftCAtiOn d'Un dAngef ....o...o...e ...r..."'o"""""""""""""" "' 36 1-l : Vers une médicalisation du social: du monomane au toxicomane ""'36 I - 2 : P r e m i è r e i n s c r i p t i o n s o c i a l e e t p o l i t i q u e d a n s I a l i s t e d e s < < f l é a u x > > . . . . 1-3 : La manière douce...'

2 - Ia constitution d'un savoir spécifiqut| """""" o""""'o'r""""""""'r""""""""'o'o "" 45 2-I :Itinéraire d'un futur << toxicothérapeute >>""' """ 45 2-2 :Des modèles de prise en charge """' """"""" 50

2-3 :L'élargissement d'une brèche """ 55

3 - Des compromis pratiq\n\...o...o....o..o...""""""""""""""""""' " 60 3-1 : Une jonction d'intérêts... """""' 60

3-2:Une << maladie >> spéciale. """'64 3-3 :Des auxiliaires de bonne volonté """' 68

(9)

CffnpIfnB II : ItINCRAGE DANS t]I\{E TRADITION...r...74

1 - Ung structuration hori2onta\e...r..r.,...o...or... ..74

1-1 : Les étapes d'une institution spécialisée.. ...-74

I-2 : Un parcours balis é ... . .. . 80

1-3 : Vers une clinique du sujet ... 84

2 - Comprendre les intraitables : la consécration dtun modè1e...88

2-L : L'attrait des profondeurs et les querelles de principe ... ...88

2-2: Un consensus tactique ...93

2-3 : Des professionnels et des individus d'exception ...97

CffAfmnn III : MilFifgMR LIÉQLIILIBRE ...r...,... L02 1 - Les limites dg l'éc\ectismg...rr...o...o..o...o... ... 702

1-l : Des institutions barbares ... L02 I - Z : D e s m o d è l e s < i m p e n s a b l e s > . 1 0 5 1-3 : Des barbares dans I'institution. ... 109

2 - Des passagers c\nndesf,rns...o.e ... . 113

2-l : De I'enfance du toxicomane aux enfants de toxicomanes : un point de vue pédopsychiatrique ... 113

2-2 : La récurrence de la médicalisation ... 118

3 - G é r g r l g s c r t s e s . . . I 2 2 3-1 : L'affirmation d'un ordre social -...122

3-2 : Une << centralisation > bien orchestrée ... ...I25 DnuxrÈun paRTrE : La cESTroN DES RTSeLJES ou LE PASSAcE vERS uN NOWEL ORDRE DES CHOSES ...r...r... L32 Cf11ptfR5, I : DBS RUPTURESDTÉQLIILIBRE...r...rr... 133

(10)

I-De la dangerosité aux risqllgs ...o...e ...o...-.---. I33

1 - 1 l-2 2-3

De nouveaux fléaux. ... 133

Le marquage des politiques du risque .. 136

<< L'affaire de tous

inStitUtiOnS et deS pOpUlAtiOnS-himitg\...oo...o... . I45 La fragilisation institutionnelle ou le silence des dominants .-.-I45

Des cas difficiles .. 151

Trouver de nouveaux cadres administratifs ... 156

La nouvelle manière douce ... .. 204

Le processus de légitimation d'un nouveau modèle ... 209

Des actions inspirées ..---2I4

Le temps des ripostes ...218

2- Des

3 - Vgrs dg nouvelles formgs de prtse en chargê...,...-...-..e... 163

3-1 : Des concertations locales ...' 163

3-2 : Des bifurcations professionnelles ...'."' 168

3-3 : Un souci humanitaire.. ..." 173

Crrnptrnn II : Utl ÉCU.IEMENT DES MODÈLES TRADITIONNELS ...-... L78 1 - Iln nouveau procès de civilisation.-..-o...-.-.e ...""o""""""" " I78

1-1 : Le dévoilement d'une ligne de force "' 178

I-2 : Vers la rupture d'un compromis ... """""" 182

1-3 : Malaise dans la clinique ... ' 186

2 - De nouveaux auxihiaires...oe...o...o...,.792 2-I : Le passage d'un clandestin... .""""' I92

2-Z : La multiplication de dispositifs locaux ou la lente ascension

d'un autre modèle """""" r97

2-3 : Des rencontres d'intérêt '200

3 - E n j e u x e t m i s e s e n j e u . . . o . . . o . . . . o . . . o . o . . . o . . . o . . . t . . . . . . 2 0 4

2-r

2-2 2-3

3 - 1 3-2 3-3 3-4

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CffApIfnn III : Ulff MUTATION GÉNÉru,1ISÉn ...r...o... ...224

1 -Des foftnes concrètes de despécialisatioll...-.--.--...o..."o""""""e ""r """""" 224 I-2 : De nouvelles institutions spécialisées """""224 l-Z:Des compromis pratiques ou la folle ascension des dispositifs intermédiaires .229 2 - Repoussgr les limite,s ...o...o...o...""" "' 234 2-t : << Des antibiotiques à spectre large 2-2 : << De nouveaux intervenants TnOlSfÈME PARTIE : VnnS UN NOWEL ORDRE SOCIAL...-... 246

CfU,pftnn I : A LA RECIIERCIIE DTLJI\E NOUVELLE IJNITÉ .o...r...247

7 - Vers une structuration transvgrsalê ...o...e...o... .-.--.-..247

1-1 : - De nouvelles institutions spécialisées ...247

I-2 : Des techniciens négociateurs """'253 2 - I^a refonte d'une ligne de fOrce...r...260

}-I-Des politiques aigres-douces 2-2 : L'art du maillage organisé.... """'267 2-3 : Des implications visibles """"272 CHApltnn II : MytHES ET nÉnlffÉS DU CHANGEMENT ...278

7 - Des interlenants en perte de légitimité...,...o...""""""""""" "" 278 1-1 : Un positionnement ambigu... "'278 t-2 - Le partenariat en question .. """"'284 1-3 - Un étrange éclectisme """290 2 - Des populations limité€S...r...o...296

2-L : Un tournant dans le trajectoire... '296 2-2 : Une égalité de façade ... ..."""'302

(12)

2-3 : Sur le seuil ... 306

Cff.q.pmnn III : TnOUfæR DE NOUVEAUX VÉIUCULES ...312 1 - Des experts providentiehs...o...o...o... ... 372

1-1 :De nouveaux dispositifs... ...-.3I2

L-2 : Les manifestations d'une compétence.... ... 319

L-3 : Le montage d'une équipe ...327

2 I^a phASe d'eXpérimentation...e ...o...r... ..,.. 333

2-I : Des ajustements difficiles .333

2-2 : Des partenaires plus ou moins légitimés ...339

2-3 : Des compétences à faire valoir ...346

3 - Des si.tuations d'expertise ou la socialisation des savoirs,... 35f 3-1 : La construction commune de I'objet.... ... 351

3-2 : L'élaboration de la demande ... 356

3-3 : << Nous sommes tous dans la même galère

C O N C I . r U S I O N . . . r r . r . . . r r . . . . r r . . . r . . . r . o . . . r . . . . r . . . t . . . J770

BB1IOGRAPHIE...r...r...r...r... I384

(13)

Introduction

(14)

1 - Eléments d'une problématique

Il y a à un peu moins d'une dizaine d'années (en 1992-1993), un débat assez virulent, un conflit même s'est engagé sur la question de la prise en charge des consommateurs de drogues. II mettait en scène les partisans déjà anciens d'une forme de traitement résolument centrée sur la psychothérapie, cette clinique du toxicolnane qui perdurait depuis les années soixante-dix, et ceux favorables à une approche issue de la toute nouvelle < politique de réduction des risques >>, axée notamment (c'est d'ailleurs particulièrement sur ce point que portèrent les différends) sur I'offre de produits de substitution. A son origine, un nouveau

<< fléau >>: l'épidémie de sida dont I'impact sur ces populations se faisait de plus en plus visible, de plus en plus menaçant. Jusque-là circonscrite dans un domaine balisé par quelques spécialistes attachés à conduire ces jeunes gens, << toxicornanes >> par voie intraveineuse, vers la voie longue et difficile de I'abstinence, la question est assez vite, et sous la pression de quelques nouveaux entrepreneurs (dont certains de ces spécialistes << reconvertis u) devenue

<< affaire de tous >. La perspective n'est alors plus tant, en substance, orientée vers le sevrage que vers I'offre de moyens concrets (dont au départ la mise en vente libre des seringues), destinés à éviter de nouvelles contaminations et à permettre un suivi sanitaire régulier de cette population jusque-là relativement absente des structures de droit commun. Faisant écho à de nombreux discours en terme de prévention, de solidarité, de citoyenneté, de nouvelles pratiques se sont ainsi développées, centrées notamment sur des approches dites

<( communautaires > destinées, à l'échelle locale d'une commune, d'un quartier et dans les zones les plus fréquentées par ces populations, à mobiliser tout un chacun et à élaborer un certain nombre d'actions coordonnées. De nouveaux dispositifs ont été mis en place : antennes mobiles allant à la rencontre de ces << usagers de drogues >>, sur leur lieu de vie et distribuant des seringues stériles et autres outils de prévention ; des centres d'accueil (de jour ou de nuit) et des centres de soins nouveaux ont ouvefi offrant, pour les premiers des prestations minimales (soins de première urgence, nourriture de base, douches, vestiaires, coins repos, etc), et pour les seconds une prise en charge médicale, des programmes de substitution et un suivi au niveau social et psychologique. Partenariats, pratiques de réseaux inter-professionnels et inter-institutionnels se sont déployés s'efforçant de dépasser d'anciens cloisonnements sectoriels et de surseoir, le plus effîcacement et dans les plus brefs délais, aux problèmes de ces populations tout autant rétives vis-à-vis des services hospitaliers qu'elles y étaient ordinairement perçues sous l'étiquette du ( rnauvais patient >>, du << rlâuvâis malade >.

(15)

En trois décennies, du début des années 1970 au début des années 2000, cet objet

<< toxicomanie >> a changé de forme, de visage et les débats, progressivement, se sont estompés. Forcés de réviser et de diversifier leurs modes de prise en charge, les spécialistes les plus < orthodoxes >> semblent s'être alignés, sinon tout à fait sur les nouveaux discours, tout au moins sur les pratiques qu'ils sous tendent. Sorti de son enclos psychothérapique, le

<< toxicomatre D, devenu (< usager de drogues >> semble s'être, lui aussi inséré dans ce nouveau paysage institutionnel, dans ce nouveau statut, cette nouvelle catégorie qui en fait, entend t- on, un citoyen normal, semblable aux autres.

Cette évolution succinctement présentée ici constitue à la fois le point de départ et le cæur de notre recherchel. L'ob3ectif principal de cette thèse est en effet de montrer comment, à partir du sida et de sa jonction avec le domaine de la toxicomanie, un processus à l'æuvre ici et là depuis déjà un certain nombre d'années, quoique de façon lente, diffuse, s'est brusquement emballé, contraignant un domaine de prise en charge, un type particulier d'institution historiquement construit autour d'un modèle spécifique, à basculer vers un autre modèle, celui précisément de la gestion des risques. Ainsi extraordinairement dévoilé, mis en discours et en pratique comme jamais auparavant, ce dernier s'est inscrit depuis lors comme le modèle dominant, à la base même du fonctionnement normal de notre société, entraînant d'autres espaces jusque-là placés dans un régime encore hésitant et beaucoup plus lent d'évolution, de transformation, à effectuer le même virage. En témoignent notamment les débats et changements en cours dans le domaine du traitement de la délinquance des mineurs (qui constitue notre second objet) actuellement sous les feux de la scène médiatique, sociale et politique.

Ces changements en chaîne, particulièrement visibles depuis une dizaine d'années, qui entraînent à leur suite et dans différents lieux (tel I'effet << boule de neige >) toute une série de doutes, d'interrogations puis de glissements de sens, de positions, présentent selon nous, toutes les caractéristiques d'une mutation et plus exactement d'une mutation sociale. On retiendra de celles-ci les définitions qu'en donne G. Balandier. Ainsi <( sa signification commune reste celle des changements cumulés - affectant plusieurs des instances de la société globale - et apparemment irréversibles ; elle réfère aux transformations profondes subies par les structures sociales et par les agencements culturels, et devenus rnanifestes, ainsi qu'aux

I Nous nous expliquerons dans la partie suivante su les raisons qui nous ont amenées à cet objet de recherche tout comme su la place qu'il occupe ici.

(16)

crises qui en résultent ,rz.Lanotion de mutation sociale, en tant que processus plus restreint désigne quant à elle << les changements qui assurent le passage d'une structure sociale à une autre, d'un système de structure à un autre ,r3.

Cette notion de << passage >> est bien au cceur de notre recherche : passage donc d'un modèle de prise en charge à un autre ; passage d'un type de discours à un autre, passage encore vers d'autres formes de pratiques, passage enfin vers de nouvelles définitions de catégories. Nous nous gardons toutefois d'attribuer à ces différents éléments un ordre quelconque d'apparition ; tous ont joué peu ou prou ici au même niveau. Mais avançons un peu plus, sans entrer dans I'analyse qui va suivre, dans la compréhension de ce moment précis, ce basculement. Une question s'impose ici : pourquoi ce basculement s'est-il précisément opéré là, à partir de cette jonction sida-toxicomanie et pas ailleurs ? Autant le dire d'emblée, nous pensons et il s'agit là d'une de nos hypothèses, que sans I'apparition du sida, ce modèle de la gestion des risques se serait imposé de toutes façons, à plus ou moins long terme. Nous affirmons aussi, (autre hypothèse), que ce passage aurait alors très bien pu s'opérer via le domaine de la délinquance et que celui-ci, objet de cristallisation d'une mutation, aurait de la même façon entraîné dans un même processus d'autres espaces de pratiques, d'autres champs dont celui de la toxicomanie voué donc structurellement à se transformer.

La jonction sida-toxicomanie est à voir ici comme l'événement déclencheur d'une accélération, d'un emballement. Deux éléments principaux peuvent d'ores et déjà être posés corlme explication.

Le premier est d'ordre démographique. S'il est indéniable qu'au moment de son apparition le sida a fait ressurgir dans notre monde social la grande peur ancestrale de l'épidémie, celle-ci s'est vue, dans le cadre de sa rencontre avec la toxicomanie, considérablement amplifiéea. Outre en effet les risques encourus pour eux-mêmes dans le cadre de leurs pratiques d'injections, les consommateurs de drogues représentent aussi, sur le plan cette fois de la sexualité, la population charnière entre ceux que I'on a appelés à une époque les << groupes à risques >> et le reste de la population. Rarement affichée en tant que telle dans les discours, cette position spécifique (sans doute soutenue par quelques caractéristiques idiosyncrasiques posées comme intrinsèques à cette catégorie:

2 BALANDIER G [Dh]., Sociologie des mutations, Paris : Editions Anthropos,19'10, p. 16.

3 lbtd

a Après une période, précisons-le, de construction d'un nouvel espace : le champ du sida, largement initié par les regroupements d'homosexuels masculins, premières victimes désignées de la << maladie >>.

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irresponsabilité, inconscience, etc) n'est probablement pas sans lien non plus avec I'extraordinaire embrasement qui s'en est suivi. Ajoutons sur ce point que le caractère hors-la- loi, illégal de la consommation de drogues, couplé depuis une trentaine d'années avec cette image d'individus malades au sens psychopathologique du terme (des << toxicomanes >>), et dangereux d'un point de vue social, disqualifiait aussi d'emblée toute velléité de leur part à prendre les devants, à se mobiliser comme le firent notarnment les homosexuels masculins, autre <( groupe à risques >>, dont les porte-parole sont devenus très vite des interlocuteurs incontournables en matière d'action sanitaire sur la question. Ce n'est sans doute pas un hasard si la réduction-gestion des risques s'est ainsi focalisée (et dans ce contexte épidémiologique) sur une population plus que toute autre stigmatisée, marginalisée, dans I'ombre finalement. Plus que partout ailleurs et étant donné bien sûr les limites en matière de prise en charge thérapeutique, I'action impliquait ici un mode de suivi et de surveillance particulier, qui, en I'absence de données concrètes, immédiatement saisissables (quant au nombre d'individus infectés, quant à leurs pratiques de consommation, leur mode de vie, etc) se devait de prendre appui, non pas tant sur des individus que sur des anticipations, des estimations statistiques, des mises en corrélation de différents facteurs abstraits, facteurs de risques. Ne pouvant compter à priori sur la participation active de ces populations en matière de prévention, I'intervention ne pouvait non plus de surcroît s'appuyer sur les systèmes classiques, traditionnels de prise en charge.

Nous entrons là dans notre second élément d'explication, d'ordre cette fois institutionnel et professionnel. La particularité de cette épidémie est aussi, on le sait, d'avoir posé les limites de notre médecine moderne et techniciste. Son rôle apparaît ici sensiblement transformé dans la mesure où il ne s'agit plus tant de guérir une maladie que de la << gérer >>.

Au centre de cette gestion : les rapports médecins-malades qui prennent dès lors une importance tout à fait cruciale. Parce qu'il n'a plus < la liberté (...) de définir et de contrôler seul et en toute indépendance I'objet et les conditions mêmes de sa pratique )r5, parce que

<< l'évocation de la séropositivité et de la maladie ne peuvent se former qu'à partir de celui qui la vit ,16, le corps médical doit apprendre ou réapprendre à négocier avec ceux que I'on hésite dès lors à définir sous les termes de << profanes >> ou de < patients >. Seulement voilà, cette nouvelle relation qui progressivement s'instaure, conférant au malade un rôle actif dans la prise en charge, se heurte à de nombreuses difficultés dès qu'il s'agit d'individus

5 IfrnZLICH C., pIERRET J., Malades d'hier, malades d'aujourd'hui, Paris : Ed Payot, 1990, p. 310.

6 CALVEZM., Composer avec un danger, Approche des réponses sociales à I'infection au VIH et au SIDA, Rennes : IRTS de Bretagne, 1989, P.76.

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consommateurs de drogues par voie intraveineuse. Jusque-là peu sollicitée par ces patients jugés par ailleurs difficiles, incontrôlables, la médecine hospitalière s'avère ici, et de façon

globale, singulièrement décontenancée. Ne le sont pas moins les spécialistes de la toxicomanie dont la pratique principalement centrée sur la psyché, sur une approche au long terme et au cas par cas, force précisément d'un modèle de prise en charge, s'avère être résolument bousculée par la survenue en nombre de ces clients porteurs d'étranges problèmes somatiques. Mais, nous I'avons dit, la secousse qui apparaît ici très violente, brutale, extrêmement douloureuse pour tous n'est au demeurant que celle qui va faire vaciller le modèle. Le champ de la toxicomanie n'en est en effet pas à sa première crise et les quelques précédentes, tant bien que mal résolues autour de la préservation (par réajustements successifs) de la clinique, en avaient déjà bousculé, chacune à leur manière (dans le fond etlou dans la forme) la cohérence princeps. Le modèle avait ainsi laissé voir comme le dirait T.

KuhnT quelques anomalies. Non perçues ou occultées par certains, elles avaient déjà contribué à semer le doute chez d'autres, troublés par I'envahissement de ce sentiment que quelque chose n'allait pas, n'allait plus ; quelque chose de I'ordre d'une perte d'adéquation, entre un modèle et le monde qui I'entoure. Nous posons ici que cette perte d'adhérence, perte de vitesse, était le prélude d'une autre manière de voir, d'une autre manière de faire dont I'apparition du sida a forcé la mise à jour, l'éclatement. Si I'on peut dire que sans cela le basculement ne se serait pas opéré, on peut affirmer aussi que sans ce processus antérieur l'épidémie n'aurait pas eu I'impact que nous lui conférons ici.

Seuls quelques regards déjà aiguisés pouvaient être à même de percevoir que ces toxicomanes porteurs d'une nouvelle maladie, difficilement pris en charge ici comme ailleurs et figures dès lors << limites >> d'un modèle, nécessitaient I'introduction en masse de nouveaux savoir-faire, de nouvelles techniques aptes, très vite, à enrayer le mal et à conjurer le danger.

S'agissant de surseoir à certaines limites institutionnelles et professionnelles, de capter, y compris à distance, des populations tout autant menacées que présumées menaçantes, le modèle de la gestion des risques trouvait ici les moyens d'une formidable extension. Ce qui ailleurs pouvait être géré par des formes nouvelles de négociation entre les malades eux- mêmes et leur soignant devait ici se déployer en amont et dans les brèches, dans les failles des systèmes traditionnels de prise en charge.

Ainsi que le souligne R. Castel, << comme toutes les transformations importantes, celle- ci (supposait) une lente évolution antérieure des pratiques qui, à un moment donné, franchit

7 Kutil{ T., La structure des révolutions scientifiques, Paris : Ed Champs Flammarion, 1983, 284p.

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un seuil et se donne alors sous la forme d'une mutation ,r8. Mais, dans la mesure où nous posons que ce basculement allait également toucher d'autres domaines il nous faut dès à présent poser une autre question et y formuler quelques éléments de réponses : comment, par quels mécanismes cette transformation qui semble avoir pris ici une tournure tout à fait particulière a t-elle pu se perpétuer dans d'autres espaces jusqu'à devenir << le >> modèle dominant de prise en charge et de traitement des populations ? < Décider de rejeter un paradigme est toujours simultanément décider d'en accepter un autre ,re nous dit T. Kuhn.

Tout semble dès lors nous mener à cette idée que, si la réduction-gestion des risques a pu à ce moment se manifester avec autant d'éclat c'est qu'elle était déjà en préparation ici même ou ailleurs et que son aboutissement n'était sorlme toute que le résultat d'une longue préparation. Nous pouvons d'ors et déjà ouvrir plusieurs pistes et les poser comme autant de signes annonciateurs de la mutation en question. Sans doute est-il important de préciser avant toute chose que la question n'est pas tout à fait neuve. L'histoire est pleine notamment de ces formes nouvelles de catégorisations, toutes destinées à appréhender des situations ou comportements sociaux jugés néfastes, dangereux pour I'ordre établi ou simplement en rupture de contrat social. Des << fous >>, << enchaînés de Bicêtre > délivrés par Pinel en 1793 en passant par les << aliénés >> jusqu'aux malades mentaux ; des << monstres >> criminels définis par la Justice pénale du 18è*' siècle jusqu'aux < délinquants >10 ; des écoliers anonnaux, instables, arriérés, débiles légers aux (< enfants inadaptés ,rtt ; des < indigents aux << exclus >>, en passant par les << assistés ,r12, autant de termes, de classements, de << rites > qui servent à marquer une limite (entre le bon et le mauvais, entre le normal et le pathologique, entre I'intérieur et l'extérieur, etc), et qui justifient régulièrement la mise en place de formes adaptées de prise en charge, afin, nous dit A. Van Gennep << que la société générale n'éprouve ni gêne ni dommage ,rt3. Au principe de ces agencements, de ces distributions et

8 CRStEt R., De la dangerosité au risque, Actes de la Recherche en Sciences Sociales,no 47-48, 1983, p 119.

e Kutil{ T., op. cit., p. !O2.

lo Cf notamment sur ces épisodes :

CASTEL R., L'ordre psychiatrique, l'âge d'or de I'aliénisme, Paris : Les Editions de Minuit (coll. << Le sens colnmun >>), t9'7 6, 334 p.

FOUCAULT M., Histoire de la folie à l'âge classique, Paris : Ed Gallimard (coll. < Tel >>),In2,583 p.

(fOUCnUl-f M., Surveiller et punir, Paris : Ed Gallimard (coll. < Tel >>),1975,360 p.

Y Cf particulièrement ici :

ZAFIROPOLJLOS M., PINELL P., Un siècle d'échecs scolaires (1882-1982), Paris : I-es Ed Ouwières, 1983, 198 p.

12 Cf notamment :

BEC C., L'assistance en démocratie, Paris : Ed Belin, 1998, 254 p.

CASTEL R., Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Paris : Ed Fayard, 1995, 490 p.Ir ytrfl GENNEP A, Les rites de passage, Paris : Picard, 1981 [1è* Edition : 1909], p. 4.

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redistributions : le risque, depuis longtemps déjà objet de politiques, << sa matière même >

coûrme I'ont montré F. Ewald et D. Kesslerlo. Indissociable au demeurant d'un certain calcul, de l'établissement de probabilités quant à un << possible > à venir, d'une prévision au cæur de la démarche préventive, la perception du risque s'affine progressivement, lentement, à mesure du déploiement de techniques et de pratiques savantes qui s'attachent, au-delà de la simple assistance, à dissocier comme le fit notamment P. Pinel les insensés véritables des pauvres, des séniles; à traquer, et tel fut le renversement opéré par A. Morel, derrière les symptômes présentement visibles les signes avants-coureurs, la causalité cachée de la maladie ; à déceler, et telle fut par ailleurs la préoccupation de A. Binet, derrière les élèves paresseux, les menteurs, les idiots, les épileptiques qui compromettent la bonne marche des programmes scolaires, les anorrnaux d'asile et les anonnaux d'école, encore éducables et dévoués aux toutes nouvelles classes de perfectionnement. Et si au tout départ comme I'a bien montré R.

Castells la menace, le danger sont encore circonscrits, quoique de façon relativement floue, incertaine, aléatoire, au sombre psychisme du sujet dont I'enfermement, la mise à l'écart constitue I'unique modalité de prise en charge, progressivement, leur mise en corrélation avec toute une série d'éléments extérieurs (pauvreté, malnutrition, logement insalubres, alcoolisme, etc) les élève au rang de risques objectifs, mesurables, quantifiables. On passe alors à la désignation de < populations à risques >> qu'il s'agit - en toute légitimité, pour leur bien propre et celui de la société - de prendre en charge, partant d'un éclatement des murs des grands asiles en autant de dispositifs et de politiques sectorielles que nécessaire, jusqu'à (à l'ère notamment de I'informatique) des formes de gestion plus globales qui effacent le sujet lui- même, économisent au maximum le face à face entre le spécialiste et son patient et définissent, à distance, pil le truchement de commissions, de groupes de réflexion peuplés de représentants et d'experts de toute sorte, les profils des populations à saisir et les voies qu'elles se doivent désormais d'emprunter. R. Castel, a bien montré dans son ouwage intitulé

< la gestion des risques rr,16 comment, partant d'une contestation de I'enfermement asilaire, une forme nouvelle de traitement, la manière douce, avait pu s'imposer jusqu'à devenir, au moment de la mise en place de la psychiatrie de secteur et du formidable essor de la psychanalyse, le modèle par excellence. Mais il nous montre aussi comment, au moment même de son apogée, cet idéal d'une prise en charge perçue conrme dégagée des contraintes rn EWALD F., KESSI-ER D., I-es noces du risque et de la politique. I-e Débat, mars-awil 2000, nol09, pp. 55- 72.t5 CASTEL R., op. cit.,1983.

tu CASTEL R., La gestion des risques, de I'antipsychiarie à I'après-psychanalyse, Paris : Iæs Editions de Minuit (coll. << Le sens commun >>), 1981, 227 p.

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institutionnelles, des hiérarchies, allait fournir les bases concrètes de politiques qui, par le truchement de techniques de plus en plus affinées, allaient trouver là, sans en avoir I'air car sous des dehors de moins en moins autoritaires, totalitaires, les moyens d'un contrôle accru des populations. A la fin des années soixante-dix, la gestion des risques entrait ainsi en scène, opérant, nous dit l'auteur, un basculement, une mutation. Mais, il le précise cependant dans son introduction: celle-ci n'a dans son analyse qu'une portée limitée << puisqu'elle repose sur la crédibilité d'une démonstration qui concerne seulement la restructuration du champ médico-psychologique rrlT. Somme toute, conrme il le souligne encore, si de nouvelles règles du jeu sont ici perceptibles, les jeux ne sont pas complètement faits.

Une vingtaine d'années de recul, un élargissement du regard vers d'autres domaines du social, nous amène, partant de ses mêmes lignes de force, à élargir la portée de ce foisonnant travail et à en décaler quelque peu, dans le cadre d'une mutation plus générale, le point de basculement. Au moment même en fait de la parution de cet ouvrage en 1981, d'autres discours, d'autres tendances se faisaient entendre suggérant que, face aux phénomènes massifs < d'exclusion >>, sources de malheurs (chômage, pauvreté, perte des liens sociaux, familiaux, etc) tout autant que de dangers (délinquance, insécurité, etc), soudainement mis sous les feux de la scène sociale, médiatique et politique, il convenait d'innover. La notion d'exclusion a ainsi progressivement envahi les différentes sphères de notre société, bousculant un modèle de traitement des populations dont I'Etat Providence, le plein emploi avaient constitué la matrice. Solidarité, citoyenneté sont alors devenus les maîtres mots d'une politique en quête de sens, favorisant, sur les bases notamment d'une décentralisation entamée, des pratiques nouvelles (notamment de mise en réseau, de coordinations inter-institutionnelles et professionnelles, de < médiation >) autour du rétablissement du lien social, destinées à prévenir un ensemble de risques plus ou moins identifiés (notamment dans des champs tels que la santé, l'éducation, la justice, I'emploi), et à combler les failles entre les différents systèmes de prise en charge. Emblématiques de ces recompositions à la fois locales et transversales, les politiques de la ville et les mesures d'insertion en direction des jeunes, figures non moins symboliques d'une société de plus en plus inquiète de son sort et de son avenir, vont constituer le point d'élargissement de ces nouvelles technologies d'interventions qui ne visent plus tant à prendre en chargÊ, à <( traiter >>

les problèmes qu'à surseoir au coup par coup, ptr la mise en place de divers types dispositifs (à coûrmencer notamment par les << missions locales pour I'emploi > puis les << Zones

" Ibid.,p. 16.

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d'Education prioritaires >) aux risques conjugués de rupture sociale. L'instauration en 1988 du Revenu Minimum d'Insertion continuera de marquer ce glissement vers un mode de gestion collectif des problèmes sociaux en y pointant toutefois de façon assez nette, à travers la notion de contrat, une dimension individuelle. Comme le souligne C. Bec << I'allocation ne prend tout son sens que si elle s'accompagne d'une double obligation, celle pesant sur la collectivité de fournir des moyens d'insertion et celle du benéficiaire de s'engager à s'insérer r>18. Glorifié quelques années plus tôtle, << I'usager >> entamait ici et à mesure de I'installation progressive de la crise économigue, une nouvelle carrière, non plus fondée sur une dépendance vis-à-vis des institutions de droit commun mais sur sa capacité propre à prendre en main son propre destin. C'est donc en marge des institutions classiques et des modèles traditionnels de prise en charge que cette < sphère de I'insertion rr20 se développe, ouvrant du même coup la voie à de nouveaux opérateurs de terrain, professionnels et associatifs en tous genres qui n'avaient jusque là pas fait de ces questions un enjeu particulier et qui se chargent localement de remobiliser, de soutenir, de maintenir << tête hors de I'eau >>

ces individus, jeunes et moins jeunes, inadaptés aux fluctuations d'un marché roi. On passe ainsi sensiblement de politiques centralisées, édictées de fond en comble par le haut à des formes d'actions publiques menées par voie de rapports officiels, de missions interministérielles et à coup de circulaires. L'Etat n'est plus, finalement, dans cette gestion globalisée qu'un partenaire parmi d'autres.

Notre intention n'est pas ici d'analyser en profondeur tous ces mouvements et les multiples expériences auxquelles ils ont donné lieu. Nous souhaitons simplement montrer, en réponse à la question posée plus haut, qu'au moment de I'apparition du sida, puis de sa jonction avec le domaine de la toxicomanie, le processus qui nous intéresse ici était bel et bien en phase ascendante et avait déjà entamé, quoique de façon encore hésitante, non ouvertement déclarée, son accélération. La plupart des ingrédients de base, les lignes fortes d'un nouvel ordre social étaient bien là qui, à la faveur d'un libéralisme débridé, voie inéluctable du progrès de part et d'autre de la planète, menaçaient déjà de jeter aux orties un rnodèle patiemment construit de société et de prise en charge des populations. La survenue d'un risque ultime, d'un danger de mort - qui plus est centré sur des individus jeunes, qui plus est capable par le biais de certains d'entre eux de se propager - allait, dans un tel contexte, servir

It BEC C., op. cir., 1998, p. 151.

tt Cf précisément SAPIN M., La place et le rôle des usagers dans les services publics, Paris : La Documentation Française, 1983, 146 p.

20 BEC C., op. cir., 1998, p. 155.

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de point de basculement à cette gestion des risques et forcer, en toute légitimité, le passage vers un nouvel ordre déclaré des choses. En somme ce qui s'est passé là, en ce domaine, peut- être vu comme I'aboutissement d'un processus et le point de départ de sa généralisation dans des espaces qui s'en étaient auparavant partiellement saisis, inspirés. Dès lors que d'autres problèmes, d'autres menaces se feraient entendre, ils trouveraient très vite sur ces bases les moyens de leur résolution, dans cette boite agrémentée de nouveaux outils tant conceptuels que pratiques, que la jonction sida-toxicomanie aurait déjà largement mis à l'épreuve.

Quatorze années tout juste après la publication de son liwe < la gestion des risques >>, R. Castel présentait son ouvrage sur << les métamorphoses de la question social, ,rtt, vaste tableau socio-historique des transformations du salariat dans lequel il s'attache à saisir le sort et le traitement réservé aux invalides sociaux, depuis l'époque des indigents, en passant par celle des vagabonds, des misérables jusqu'aux exclus. Si I'on y retrouve, précisément d'ailleurs dans ce dernier cycle centré sur les politiques d'insertion, certains des éléments princeps du modèle qui nous intéresse ici, le parti pris de I'auteur pour un nouvel angle de vue, pour un nouveau champ d'observation ne le porte guère à opérer une mise en lien avec son précédent domaine d'investissement. On peut en saisir quelques-unes des raisons objectives, à la faveur notamment de cette précédente analyse sur l'évolution du champ médico-psychologique qu'il concluait sur un constat : celui de la fin d'un modèle d'intervention, la fin d'un cycle et sur un questionnement : << il est (...) aventureux, écrivait-il, de décider si ces transformations vont dans le sens d'une dispersion maximale, de telle sorte qu'il y aurait seulement une juxtaposition de tentatives de solutions éclatées à des problèmes hétérogènes, ou si I'on assiste à la mise en place d'un nouveau dispositif d'ensemble dont la cohérence relative serait comparable à celle du système qui vient de s'effacer, et qui serait assez prégnant pour commander I'avenir rr22. Sans doute était-il en effet pour I'heure présomptueux de prévoir la tournure de ces événements. Mais n'était-ce pas finalement parce que le changement n'avait pas encore eu lieu ? Parce que des résistances, nombreuses persistaient ? N'était-ce pas parce que le modèle de la gestion des risques n'avait pas encore trouvé la brèche dans laquelle s'engouffrer pour de bon ? I.e, benéfice du temps nous amène, nous I'avons dit, à décaler le point de bascule de cette mutation. Les éléments dès lors s'agencent comme par enchantement et nous font voir un fil tendu entre ces deux ouvrages du même auteur, qui, des transformations du champ médico-psychologique à celles plus récentes du travail salarié signale bien une même évolution, une même ligne de force. On peut y suivre

2t CASTEL R., op. cil.,1995.

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de fait (tel sera le propos de notre première partie) la trajectoire de certains professionnels (notamment psychiatres devenus << toxicothérapeutes >>), amenés au départ à s'insérer dans un type de modèle dominant, une forme spécifique d'institution, qui vont être progressivement mais imperceptiblement (et pas forcément d'ailleurs consciemment) amenés à bouger, à s'en décaler pour s'ajuster à une réalité de plus en plus mouvante, jusqu'à cette limite extrême (début de notre deuxième partie) où leur monde, résolument se renverse et passe dans une autre temporalité, une autre gestion de I'espace et des catégories qui le composent. On démontrera alors que loin d'être un phénomène isolé, circonscrit à un champ particulier, ce changement est au demeurant celui par lequel la mutation parviendra, non sans débats et conflits, à s'affirmer, forte indéniablement de la place prise par de nouveaux prétendants, professionnels de toute sorte (dont de nombreux médecins) qui se chargeront de mettre en ceuvre les moyens d'une autre forme de prise en charge adaptée au nouveau contexte social et épidémiologique. Restera à montrer (tel sera le but de notre troisième et dernière partie) comment tout ceci s'ajuste aujourd'hui ; comment des domaines de pratiques différents : l'éducation, la santé, la justice, etc, qui ont chacun leur histoire et leur type de causalité (les cas de déviance pour le judiciaire, le pathologique pour le médical, etc), parviennent à s'unir sur une même ligne, en un nouveau modèle, une nouvelle mise en ordre du monde social. De tels réagencements ne sont pas non plus sans effets, particulièrement sur certains professionnels parmi les moins légitimés (travailleurs sociaux notamment) et sur les populations qu'ils s'efforcent de saisir, de capter. Un examen sera nécessaire pour montrer I'ampleur du processus engagé, tout comme les voies prises par les tenants du modèle antérieur afin de continuer à tenir un rôle dans ce nouveau jeu social. << lJn système est dit dépassé lorsqu'il n'a plus guère de défenseur >> écrivait encore, ailleurs, R. Castel ; << mais c'est souvent que ses anciens opérateurs se sont simplement déplacés, et se sont mis à faire autre chose qui, toutes choses égales d'ailleurs, pouffait n'être pas si différent >23.

Un dernier point concernant cette histoire que nous allons retracer. Il est indéniable que nous lui conférons un sens. Puisse le lecteur ne pas y voir cependant un quelconque dogmatisme, une propension téléologique. Notre propos n'est pas de dire << la > vérité sur ces événements, sur ce processus, encore moins de leur attribuer une fois pour toutes un début et une fin. Malavisé d'ailleurs celui qui s'engagerait dans une telle voie car il serait indiscutablement porté à voir en ses objets (" la toxicomanie >>, < la délinquance >>, etc) des objets naturels dont il s'efforcerait tant bien que mal de saisir I'unité. << Une unité qui n'est

22 CASTEL, op. cit.,1981, p. 200.

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pâs >>, écrit P Veyne, cff << seule I'illusion d'objet naturel crée la vague impression d'une unité ,r24. ,, La toxicomanie ,r, .. la délinquance >>, objets mous, flous, ne signifient pas grand chose en soi. Les constituer en objets sociologiques impliquait comme I'ont éct'rt P. Pinell et M. Zafiropoulos de << décrire les conditions dans lesquelles sont produits les discours, nombreux et d'origines diverses en ce(s) domaine, c'est-à-dire analyser les processus à travers lesquels sont construits les << faits >> que ces discours prennent en compte et contribuent à accréditer rr2t. L'histoire que nous proposons est le produit de multiples regards liés à une trajectoire personnelle qui a permis le rassemblement de données sur le présent et sur le passé : trajectoires d'agents, discours officiels et officieux, analyses institutionnelles, observation de pratiques, écrits d'autres chercheurs rattachés, de près ou de loin, à nos domaines d'intérêt.

Ces multiples contacts avec le terrain, la variété des méthodologies employées, la durée de notre immersion ont permis de dégager quelques lignes de forces << précieuses pour combattre le provincialisme historique, qui pose le présent comme une sorte de création spontanée (...), pour essayer d'aller par-derrière les événements et de leur donner un ordre qui ait un sens n26. Celui-ci n'a donc pas valeur de prédiction, il n'émane que de la description et la mise en relation d'éléments singuliers rapportés aux multiples mouvements (grands et petits) d'un monde que nous nous sommes efforcés d'appréhender.

23 CASTEL R., op. cit.,1976, p. Lz.

" VEY-M P., Foucault révolutionne I'histoire, In Comment on écrit I'histoire, Paris : Editions du Seuil (coll. < Points Histoire >>),L979,p. 218.

25 PNELL P., ZAFIROPOULOS M., Drogues, déclassements et stratégies de Recherche en Sciences Sociales, L982,n" 42, p. 61.

t6 Mu LS C. w., L'imagination sociologique, Paris : Ed Maspero (coll. < Textes l 6 l .

disqualification. Actes de Ia à I'appui >), 1967, pp. 160-

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