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il s agit de battre Hitler-le-sanglant et d infliger cette flétrissure à l'infâme politique

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PRONOSTICS ET DIAGNOSTICS

Le 13 janvier 1935, les Sarrois se prononcent par plébiscite sur le sort de leur région. Ils ont à choisir entre trois possibilités: le retour à l’Allemagne, le statu quo sous le gouvernement de la Société des Nations ou l’union à la France. A plus de 90 %, ils optent pour la première solution. Pays voisin du Reich, la Belgique suit avec attention le déroulement du scrutin1. Preuve d’un intérêt manifeste, maints journaux belges ont recours aux services d’un envoyé spécial à Saarbrücken ou aux

commentaires de leur correspondant à Berlin2. Quels pronostics la presse belge,

francophone et néerlandophone, avance-t-elle avant le vote? Et comment en interprète-t-elle les résultats ex post? Telles sont les deux questions que nous aborderons dans cette contribution3.

Pronostics

Fin 1934 - début 1935, la presse socialiste et communiste, ainsi que le quotidien libéral La Dernière Heure, croient encore en une victoire possible du statu quo : il

s’agit de battre Hitler-le-sanglant et d’infliger cette flétrissure à l'infâme politique

1 Sur les relations belgo-allemandes de 1933 à 1935, voir G. Convents, Diplomatie en „Realpolitik“.

Aspecten van de Belgische politieke en diplomatieke relaties met het Derde Rijk 1933-1935, in: Res Publica 26 (1984), p. 197-242; P. Klefisch, Das Dritte Reich und Belgien 1933-1939 (Europäische

Hochschulschriften t. 351), Frankfurt am Main - Berne - New-York - Paris 1988; P. Klefisch, Belgien und Deutschland 1930-1940, in: 1940, Belgique. Une société en crise, un pays en guerre.

Actes du colloque tenu à Bruxelles du 22 au 26 octobre 1990 (éd. par D. MARTIN et A. Colignon), Bruxelles 1993, p. 141-160.

2 Sur la presse belge durant l’entre-deux-guerres, cf. F. MAERTEN, L’entre-deux-guerres en Belgique 1918-1940. Bibliographie, I, La Presse (Cahiers du Centre d’histoire contemporaine des Facultés Universitaires Saint-Louis t.l), Bruxelles 1989.

3 Celle-ci s’appuie sur le dépouillement systématique de douze quotidiens (La Nation Belge, La Métropole, La Libre Belgique, La Dernière Heure, Le Soir, Le Pays wallon, Le Peuple, Vooruit, Het Volk, Het Laatste Nieuws, De Standaard, De Schelde), de sept hebdomadaires (Légion Nationale, La Revue catholique des idées et des faits, La Vie Nouvelle, L’Action Socialiste, Le Drapeau Rouge, Hier Dinaso, Jong Dietschland), d’un bimensuel (La Cité Chrétienne) et d’un mensuel (La Terre Wallonne). Cet échantillon couvre les divers courants d’opinion, de l’extrême gauche communiste à l’extrême droite belgiciste et du régionalisme wallon au nationalisme flamand ultra.

PRONOSTICS ET DIAGNOSTICS

Le 13 janvier 1935, les Sarrois se prononcent par plébiscite sur le sort de leur région. Ils ontà choisir entretrois possibilités: leretourà l’Allemagne, le statu quo sousle gouvernement de la Société des Nations ou l’union à la France. A plus de 90 %, ils optent pour la première solution. Pays voisin du Reich, la Belgique suit avec attention le déroulement du scrutin1. Preuve d’un intérêt manifeste, maints journauxbelges ont recoursaux servicesd’un envoyéspécial à Saarbrückenou aux commentaires de leur correspondant à Berlin2. Quels pronostics la presse belge, francophone et néerlandophone, avance-t-elle avant le vote? Et comment en interprète-t-elle les résultats ex post? Telles sont les deux questions que nous aborderons dans cette contribution3.

Pronostics

Fin 1934

-

début 1935, la presse socialiste et communiste, ainsi que le quotidien libéral La Dernière Heure, croient encore en une victoire possible du statu quo:

il

s’agitdebattre Hitler-le-sanglant et

d’infliger

cetteflétrissure à l'infâme politique

1 Surlesrelations belgo-allemandesde 1933à 1935, voirG.Convents,Diplomatieen„Realpolitik“.

Aspectenvan deBelgischepolitiekeendiplomatieke relaties methetDerde Rijk 1933-1935,in: Res Publica26(1984), p. 197-242; P. Klefisch,DasDritteReich und Belgien 1933-1939 (Europäische Hochschulschriften t. 351), Frankfurt am Main

-

Berne

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New-York

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Paris 1988; P. Klefisch,

Belgien und Deutschland 1930-1940, in: 1940, Belgique. Une sociétéen crise, unpays en guerre.

ActesducolloquetenuàBruxelles du 22au26octobre 1990 (éd.parD. MARTINetA.Colignon), Bruxelles 1993, p. 141-160.

2Sur la presse belge durant l’entre-deux-guerres, cf.F. MAERTEN, L’entre-deux-guerres enBelgique 1918-1940. Bibliographie, I, La Presse (Cahiers du Centre d’histoire contemporaine des Facultés Universitaires Saint-Louist.l), Bruxelles 1989.

3Celle-ci s’appuie sur le dépouillement systématique de douze quotidiens (La Nation Belge, La Métropole, LaLibre Belgique, La Dernière Heure, Le Soir, LePays wallon, Le Peuple,Vooruit, Het Volk,Het Laatste Nieuws, DeStandaard, DeSchelde),desepthebdomadaires(LégionNationale, La Revue catholique des idéeset des faits, La Vie Nouvelle, L’Action Socialiste, Le Drapeau Rouge, Hier Dinaso, Jong Dietschland), d’un bimensuel (LaCité Chrétienne) et d’un mensuel (La Terre Wallonne). Cet échantillon couvre lesdivers courantsd’opinion,de l’extrême gauchecommunisteà l’extrême droite belgicisteet durégionalismewallon au nationalisme flamand ultra.

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raciste du IIIe Reich4. A l’approche du scrutin, cependant, la presse de gauche vire de bord. A l’en croire, la propagande et la terreur des nationaux-socialistes, la duplicité de l’Eglise catholique et l’exacerbation du patriotisme allemand ne laissent plus guère de chances aux partisans du statu quo. Ceux-ci remporteraient néanmoins une victoire politique et morale s’ils condamnaient la Deutsche Front à n’obtenir qu’une majorité étriquée. Seuls Le Drapeau Rouge (communiste) et quelques journalistes socialistes, non suivis par leurs confrères du Peuple ou de Vooruit, s’attendent encore à un scrutin très serré5. Trois jours après le vote, Emile Vandervelde reconnaîtra d’ailleurs que le Parti Ouvrier Belge, dont il est le chef de file, s’est résigné au pire bien avant le début de janvier 1935. 11 écrira alors: Nous

avons, depuis des mois, suivi avec une sympathie ardente, mais - nous pouvons bien l’avouer maintenant - avec une absence d’illusions totale, l’effort désespéré

des hommes de cœur (...) qui luttaient pour le maintien du statu quo67.

Nul revirement, par contre, dans la presse catholique, dans le quotidien „neutre“ Le Soir, ni dans le journal libéral flamand Het Laatste Nieuws. Toutes ces publications font preuve de circonspection: elles n’accueillent les pronostics des observateurs qu’avec des réserves et se gardent de toute prédiction formelle. Implicitement cependant, elles suggèrent que la victoire ne peut échapper aux partisans du

rattachement à l'Allemagne: l’élan patriotique de la population, les positions prises

par l’épiscopat, la propagande massive de la Deutsche Front, les faiblesses et les incohérences du camp adverse jouent en défaveur du statu quo. Ce dernier pourrait cependant être choisi par une minorité non négligeable, hostile au régime hitlérien.

Quotidiens et revues catholiques insistent sur le drame de conscience que vivent leurs coreligionnaires sarrois, dont dépend largement l’issue du scrutin: Voteront- ils pour le statu quo, ils seront taxés de traîtres à la patrie. Leurs frères du Ille Reich en subiront sans nul doute le contrecoup (...). Voteront-ils pour le

rattachement à l’Allemagne, ils subiront immédiatement la Gleichschaltung1.

Les journaux nationalistes flamands et le quotidien catholique flamingant De Standaard annoncent d’emblée un triomphe de la Deutsche Front. Quoi que l’on pense des excès du régime, l’amour de la patrie n’est pas une vertu qui doit être subordonnée à des conditions ou à des réserves, affirme De Standaard8. Chantre du

„bloed en bodem“, De Schelde, organe nationaliste flamand, s’enthousiasme: Plus fort que le rejet d’un régime, il y a l’attachement au pays; plus fort que la voix de

4 Le Drapeau Rouge, 29-12-1934, p. 3; L’Action Socialiste, 5-1-1935, p. 3. L’hebdomadaire communiste ne fait pas dans la dentelle. Il définit ainsi la tâche des partisans du statu quo: ne pas livrer la Sarre à Hitler et aux homosexuels du IIIe Reich (Le Drapeau Rouge, 12-1-1935, p. 13).

5 Un journaliste du quotidien Le Peuple se démarque ainsi explicitement de l’attitude prudente adoptée par l’envoyé spécial de la presse socialiste belge en Sarre: Le Peuple, 13-1-1935, p. 3.

6 Le Peuple, 16-1-1935, p. 1. Sur E. Vandervelde, député socialiste (1894-1938), plusieurs fois ministre, ministre d’Etat, leader du Parti Ouvrier Belge et président de la Deuxième Internationale, voir J. PoLASKY, Emile Vandervelde, in: Nouvelle Biographie Nationale 1 (1988), p. 344-354.

7 La Cité Chrétienne, 5-1-1935, p. 133.

8 De Standaard, 11-1-1935, p. 1-3 (notre traduction). Même s’il a renoncé à sa „frühere deutschfreund- liche Einstellung“, ce quotidien flamingant continue à retenir l’attention de la légation allemande à Bruxelles, à la mi-décembre 1934: ses articles de politique étrangère comportent, en effet, „fast stets eine betont antifranzôsische Note“. Cf. D. Martin, De Belgische pers en Duitsland 1936-1940, in:

Tijdschrift voor Diplomatie 6 (1980), p. 769.

raciste du

III

e Reich4. A l’approchedu scrutin, cependant, lapresse de gauche vire

de bord. A l’en croire, la propagande et la terreur des nationaux-socialistes, la duplicité de l’Eglise catholique et l’exacerbation du patriotisme allemand ne laissent plus guère de chances aux partisans du statu quo. Ceux-ci remporteraient néanmoins une victoire politique et morale s’ils condamnaient laDeutsche Front à

n’obtenir qu’une majorité étriquée. Seuls Le Drapeau Rouge (communiste) et quelques journalistes socialistes, non suivis par leurs confrères du Peuple ou de Vooruit, s’attendentencore à un scrutin très serré5. Troisjours après le vote, Emile Vandervelde reconnaîtrad’ailleurs que le Parti OuvrierBelge, dont il est le chefde file, s’est résigné au pire bien avant ledébut dejanvier 1935. 11 écrira alors: Nous avons, depuis des mois, suivi avec une sympathie ardente, mais

-

nous pouvons bien l’avouermaintenant

-

avec une absence d’illusions totale,

l’effort

désespéré des hommes de cœur

(...)

qui luttaient

pour

le maintien du statu quo6

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.

Nulrevirement, par contre, dansla pressecatholique, danslequotidien „neutre“Le Soir, ni dans lejournal libéral flamand Het Laatste Nieuws. Toutes cespublications font preuve de circonspection: elles n’accueillent les pronostics des observateurs qu’avec des réserves et se gardent de toute prédiction formelle. Implicitement cependant, elles suggèrent que la victoire ne peut échapper aux partisans du rattachementàl'Allemagne: l’élanpatriotique delapopulation, lespositions prises par l’épiscopat, la propagande massive de la Deutsche Front, les faiblesses et les incohérences du campadversejouent en défaveur du statuquo. Ce dernierpourrait cependant être choisi par une minorité non négligeable, hostile au régimehitlérien.

Quotidiens et revues catholiques insistent sur le drame de conscience que vivent leurs coreligionnaires sarrois, dont dépend largement l’issue du scrutin: Voteront- ils

pour

le statu quo, ils seront taxés de traîtres à la patrie. Leursfrères du

Ille

Reich en subiront sans nul doute le contrecoup

(...).

Voteront-ils pour le rattachement à l’Allemagne, ils subiront immédiatement la Gleichschaltung1.

Les journaux nationalistes flamands et le quotidien catholique flamingant De Standaard annoncent d’emblée un triomphe de la Deutsche Front. Quoi que l’on pense des excès du régime, l’amour de la patrie n’estpas une vertu qui doit être subordonnée à desconditions ou à desréserves, affirmeDe Standaard8.Chantredu

„bloed en bodem“, De Schelde, organe nationaliste flamand, s’enthousiasme: Plus

fort

que le rejet d’un régime,

il

y a l’attachementaupays;plus

fort

que la voixde

4Le Drapeau Rouge, 29-12-1934, p. 3; L’Action Socialiste, 5-1-1935, p. 3. L’hebdomadaire communiste ne faitpas dans ladentelle. Il définitainsi la tâche des partisans du statu quo: nepas livrerla Sarreà Hitleretaux homosexuels duIIIeReich (Le Drapeau Rouge, 12-1-1935,p. 13).

5Unjournalisteduquotidien Le Peuplesedémarque ainsiexplicitementdel’attitudeprudenteadoptée parl’envoyé spécialde lapressesocialiste belgeen Sarre: Le Peuple, 13-1-1935, p. 3.

6Le Peuple, 16-1-1935, p. 1. Sur E. Vandervelde, député socialiste (1894-1938), plusieurs fois ministre,ministre d’Etat,leader du Parti Ouvrier Belge etprésidentde la Deuxième Internationale, voirJ. PoLASKY,Emile Vandervelde, in: NouvelleBiographie Nationale 1 (1988), p. 344-354.

7LaCité Chrétienne, 5-1-1935,p. 133.

8De Standaard, 11-1-1935,p. 1-3(notre traduction). Mêmes’il arenoncéà sa„früheredeutschfreund- liche Einstellung“, cequotidien flamingantcontinue àretenir l’attentionde la légation allemande à

Bruxelles,àlami-décembre 1934: sesarticles depolitiqueétrangère comportent,eneffet, „faststets einebetontantifranzôsischeNote“. Cf. D.Martin, DeBelgischepersen Duitsland 1936-1940,in:

Tijdschrift voorDiplomatie6 (1980),p.769.

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l’esprit partisan, c’est la voix du sol qui doit résonner !9 Pour l’organe fasciste Hier Dinaso, le retour au Reich est la seule solution juste, raisonnable et naturelle : en effet, le problème sarrois a été créé de toutes pièces par l’impérialisme français, fruit du démocratisme, et aggravé par les marxistes traîtres à leur patrie, ainsi que par le pouvoir occulte de la juiverie internationale et de la franc-maçonnerie10.

La droite belgiciste considère, elle aussi, que la victoire de la Deutsche Front est fort probable. Il en est ainsi parce que la France - la République - a perdu la partie (. . .) faute d’une politique sarroise bien conduite, qui aurait permis d’annexer la

région en temps opportun1112.Leplébisciten’estqu’unepéripétiedontles„pacifistes bêlants“ - bêtes noires des ultras du nationalisme belge - surestiment la portée:

Sous la conduite de Hitler, l’Allemagne, entrée en transe, s’est consacrée tout entière à s’armer jusqu’aux dents et à préparer la guerre. Outre Rhin, on n’entend que chants guerriers, bruits de bottes, cliquetis d’armes, ronflements d’avions (. . .). Affirmer que l’Europe pourra enfin respirer, parce que Berlin ne fera pas tout sauter à propos de la Sarre, c’est se contenter de bien peu de chose en fait

d’atmosphère respirablen.

Diagnostics

A l’annonce des résultats, les réactions sont diverses. Certains militants antifascis¬

tes, qui espéraient une „défaite honorable“ de leurs amis sarrois, restent pantois devant la déroute du statu quo: Begrijpen kan ik het niet (Je ne puis comprendre), confesse ainsi l’envoyé spécial de Vooruit et du Peuple13. La plupart de ceux qui, par réalisme, prévoyaient un succès de la Deutsche Front s’étonnent cependant de l’ampleur de cette victoire14. La petite minorité de sympathisants des nazis exulte.

Les nationalistes belges ne cessent de dénoncer le réarmement allemand. La presse

9 De Schelde, 13-1-1935, p. 3 (notre traduction). A deux reprises (1933 et 1934), le ministère allemand de la Propagande envisage de mettre sous influence ce quotidien proche du Vlaamsch Nationaal Verbond, en l’aidant à résoudre ses difficultés financières. Il le fera effectivement avec son successeur, Volk en Staat, à partir de 1937. Voir E. VERHOEYEN, De financiering van het dagblad „De Schelde - Volk en Staat“ (1929-1940), in: Wetenschappelijke Tijdingen op het gebied van de geschiedenis van de Vlaamse Beweging 46 (1987), p. 224-240.

10 Hier Dinaso, 8-1-1935, p. 6 (notre traduction). Avant 1934, ce Journal de combat“ du Verbond van Dietsche Nationaal-Solidaristen a cherché des contacts avec le NSDAP et le Stahlhelm. Depuis 1934, parce qu’il cesse d’être antibelge et pangermaniste, il n’intéresse plus le Reich. Cf. M. DE WILDE, L’Ordre Nouveau, Paris-Gembloux 1984, p. 10-12.

11 La Nation Belge, 27-12-1934, p. 1.

12 La Revue catholique des idées et des faits, 21-12-1934, p. 2. Les principales cibles de cette revue sont

„les moralistes en chambre et les juristes de cabinet“: Paul Struye (La Libre Belgique), Jacques Leclercq (La Cité Chrétienne) et Elie Baussart (La Terre Wallonne et La Vie Nouvelle). Cf. Ch.

Grognard, Une guerre religieuse et patriotique. Positions d’un hebdomadaire de droite: la Revue catholique des idées et des faits, in: La Belgique et la guerre civile d’Espagne (éd. par J. GOTOVITCH et E. Witte), Bruxelles 1987, p. 691-719.

13 Vooruit, 16-1-1935, p. 5; Le Peuple, 16-1-1935, p. 3. L’envoyé spécial dont il s’agit est August Balthazar, directeur du quotidien socialiste Vooruit, député de l’arrondissement de Gand-Eeklo (1929-1944) et futur ministre. A son propos, voir P. Van molle, Le Parlement belge 1894-1969, Ledeberg-Gand 1969, p. 6.

14 Voir par ex. Het Volk, 16-1-1935, p. 1 et La Vie Nouvelle, 20-1-1935, p. 1.

l’espritpartisan, c’est la voixdusol quidoitrésonner!9Pourl’organe fasciste Hier Dinaso, le retour au Reich est la seule solution juste, raisonnable etnaturelle: en effet, le problème sarrois a été créé de toutes pièces par l’impérialisme français,

fruit

du démocratisme, etaggravé

par

lesmarxistes traîtres à leur patrie, ainsi que

par

lepouvoir occulte de la

juiverie

internationale et de lafranc-maçonnerie10.

La droite belgiciste considère, elle aussi, que la victoire de la Deutsche Front est

fort probable.

Il

en estainsi parce que la France

-

laRépublique

-

aperdu lapartie

(. . .)faute d’unepolitique sarroise bien conduite, qui aurait permis d’annexer la région entemps opportun11. Leplébiscite n’est qu’une péripétie dont les„pacifistes bêlants“

-

bêtes noires des ultras du nationalisme belge

-

surestiment la portée:

Sous la conduite de Hitler, l’Allemagne, entrée en transe, s’est consacrée tout entière à s’armer jusqu’auxdents etàpréparerla guerre. Outre Rhin, onn’entend que chants guerriers, bruits de bottes, cliquetis d’armes, ronflements d’avions

(. . .). Affirmer que l’Europe pourra enfin respirer, parce que Berlin ne

fera

pas tout sauter à propos de la Sarre, c’est se contenter de bien peu de chose en

fait

d’atmosphère respirable

n

.

Diagnostics

A l’annonce des résultats, les réactions sont diverses. Certains militants antifascis¬

tes, qui espéraient une „défaite honorable“ de leurs amis sarrois, restent pantois devant ladéroute du statu quo: Begrijpen kan ik hetniet (Je nepuiscomprendre), confesse ainsi l’envoyé spécial de Vooruit et du Peuple13. La plupart de ceux qui, parréalisme, prévoyaient un succès de la Deutsche Front s’étonnent cependant de l’ampleurde cette victoire14. La petite minorité de sympathisants des nazis exulte.

Les nationalistes belges ne cessentde dénoncer leréarmement allemand. La presse

9De Schelde, 13-1-1935,p.3 (notre traduction).Adeux reprises (1933 et 1934),leministère allemand de la Propagande envisage de mettre sous influence ce quotidien proche du Vlaamsch Nationaal Verbond, en l’aidant à résoudre ses difficultés financières. Il le fera effectivement avec son successeur,VolkenStaat,àpartirde 1937.VoirE.VERHOEYEN,Definancieringvan hetdagblad„De Schelde

-

Volk en Staat“ (1929-1940), in: Wetenschappelijke Tijdingen op het gebied van de geschiedenis van deVlaamse Beweging 46 (1987),p.224-240.

10HierDinaso, 8-1-1935, p. 6(notre traduction). Avant 1934, ceJournal decombat“duVerbondvan Dietsche Nationaal-SolidaristenacherchédescontactsavecleNSDAPetleStahlhelm. Depuis 1934, parce qu’il cesse d’être antibelgeet pangermaniste, il n’intéresse plus le Reich. Cf. M. DE WILDE, L’OrdreNouveau, Paris-Gembloux 1984, p. 10-12.

11 La Nation Belge, 27-12-1934,p. 1.

12La Revue catholiquedesidéesetdesfaits,21-12-1934,p. 2. Lesprincipales ciblesdecetterevue sont

„les moralistes en chambre et lesjuristes de cabinet“: Paul Struye (La Libre Belgique), Jacques Leclercq (La Cité Chrétienne) et Elie Baussart (La Terre Wallonne et La Vie Nouvelle). Cf. Ch.

Grognard, Uneguerre religieuse etpatriotique. Positions d’unhebdomadaire de droite: la Revue catholiquedes idées et desfaits,in:LaBelgique et la guerreciviled’Espagne(éd.parJ. GOTOVITCH et E.Witte), Bruxelles 1987, p.691-719.

13Vooruit, 16-1-1935, p. 5; Le Peuple, 16-1-1935, p. 3. L’envoyé spécial dont il s’agit est August Balthazar, directeur du quotidien socialiste Vooruit, député de l’arrondissement de Gand-Eeklo (1929-1944)et futurministre. A sonpropos, voir P. Van molle, Le Parlement belge 1894-1969, Ledeberg-Gand 1969, p. 6.

14Voirparex. HetVolk, 16-1-1935, p. 1 etLa VieNouvelle, 20-1-1935, p. 1.

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dite „modérée“ et la grande majorité des journaux catholiques espèrent une détente internationale. La revue catholique progressiste La Cité Chrétienne, dont P.

Sauvage a finement analysé l’attitude à l’égard du Reich, s’engage très loin dans la politique de la main tendue. Tirant les leçons du plébiscite, elle écrit : Désormais, c’est avec cette Allemagne naziste (sic) que nous devons travailler dans un esprit pacifique (. . .)• H ne s’agit ni d’admirer, ni de flétrir un régime; il s’agit de vivre en paix avec un grand peuple voisin et de tâcher de collaborer avec lui au bien commun, dans la mesure du possible15.

Les analystes communistes, socialistes, libéraux, démocrates chrétiens et même catholiques conservateurs font état des multiples pressions ou intimidations exercées sur le corps électoral. Explicitement ou implicitement, tous refusent cependant d’y voir la cause unique du résultat: ce serait se leurrer que de leur attribuer une trop grand importance, reconnaît L’Action Socialiste, pourtant

porte-parole d’une gauche radicale16. Antibelge, farouchement „grand-néerlandais“

et sans conteste pronazi, l’hebdomadaire Jong Dietschland ne fait pas le détail: il oppose les garanties données aux Sarrois, en matière de secret du vote, à la brutalité du décret belge sur Eupen-Malmedy, au lendemain de la première guerre

mondiale1718.

Divers journaux, de toutes tendances, soulignent combien le statu quo était une formule compliquée et peu attrayante. La presse anticléricale épingle l’attitude

équivoque du Vatican, ainsi que l’engagement proallemand de l’épiscopat et d’une

bonne part du clergé : ces comportements ont été, dit-elle, déterminants pour la presque totalité des consciences timorées, surtout féminines^. Les quotidiens et revues catholiques justifient l’attitude du Saint-Siège, tout en rappelant le dilemme des Sarrois attachés aux droits de l’Eglise. Les périodiques démocrates chrétiens - qualificatif qui, en Belgique, désigne la frange progressiste du monde catholique - concèdent toutefois que certains mandements épiscopaux ont effectivement pesé sur les consciences en faveur du rattachement à l’Allemagne. Les journaux libéraux sont les seuls à accuser les communistes de duplicité, à tout le moins d’intentions sournoises: qui sait s’ils n’ont pas reçu de Moscou l’ordre de se rallier au rattachement [à l’Allemagne], pour continuer à travailler illégalement dans le Reich19 ?

Le scrutin est-il un triomphe remporté par le régime? De part et d’autre de la frontière linguistique, les démocrates chrétiens divergent d’opinion. Het Volk, sensible sans doute au thème de la „Volksgemeinschaft“, nie que le plébiscite soit

15 La Cité Chrétienne, 20-2-1935, p. 226. Sur l’attitude de cette revue à l’égard de l’Allemagne nationale-socialiste, cf. P. Sauvage, La Cité Chrétienne (1926-1940). Une revue autour de Jacques Leclercq, Bruxelles 1987, p. 144-175.

16 L’Action Socialiste, 19-1-1935, p. 3. Sur cet hebdomadaire et le courant qu’il relaie, voir M.

Staszewski, Une tendance de gauche dans le Parti Ouvrier Belge: „L’Action Socialiste“, mémoire de licence de l’Université de Bruxelles, Bruxelles 1975.

17 Jong Dietschland, 20-1-1935, p. 11 (notre traduction). Sur cette publication, subsidiée dès 1928 par le ministère allemand des Affaires Etrangères, voir J. DE CEULAER, Jong Dietschland, in : Encyclopédie van de Vlaamse Beweging 1 (1973), p. 721-722, ainsi que M. DE WILDE, op. cit., p. 9-10.

18 L’Action Socialiste, 19-1-1935, p. 3; La Dernière Heure, 17-1-1935, p. 1.

19 Het Laatste Nieuws, 16-1-1935, p. 1 (notre traduction); La Dernière Heure, 17-1-1935, p. 1.

dite „modérée“ etla grande majoritédes

journaux

catholiques espèrent une détente internationale. La revue catholique progressiste

La

Cité Chrétienne, dont P.

Sauvageafinementanalysé

l’attitude

à

l’égard

du Reich, s’engage très

loin

dans la

politique

de la main tendue.

Tirant

les leçons du plébiscite, elleécrit: Désormais, c’estavec cette Allemagne naziste (sic) que nous devons

travailler

dans un

esprit pacifique

(. . .)• Hne

s’agit ni d’admirer, ni

de

flétrir

un régime;

il s’agit

de vivre en

paix

avec un

grand

peuple voisin et de tâcher de

collaborer

avec

lui

au bien commun, dans la mesure du possible15.

Les analystes communistes, socialistes, libéraux, démocrates chrétiens et même catholiques conservateurs

font

état des multiples pressions ou

intimidations

exercées sur le corps électoral.

Explicitement

ou

implicitement,

tous refusent cependant

d’y voir

la cause unique du résultat: ce

serait

se

leurrer

que de

leur attribuer

une

trop grand

importance, reconnaît

L’Action

Socialiste, pourtant porte-parole d’unegauche radicale16. Antibelge, farouchement „grand-néerlandais“

et sans conteste pronazi, l’hebdomadaireJong Dietschland ne

fait

pas le

détail: il

oppose les garanties données aux Sarrois, en matière de secret du vote, à la

brutalité

du décretbelge sur Eupen-Malmedy, au lendemain de la première guerre mondiale17

18

.

Divers

journaux,

de toutes tendances, soulignent combien le statu quo était une

formule

compliquée et peu attrayante. La presse anticléricale épingle

l’attitude

équivoque du Vatican, ainsi quel’engagement proallemand de l’épiscopat et d’une bonne part du clergé : ces comportements ont été,

dit-elle,

déterminants

pour

la presque

totalité

des consciences timorées,

surtout féminines^.

Les quotidiens et revues catholiques

justifient l’attitude

du Saint-Siège, touten rappelant le dilemme des Sarrois attachés aux droits de

l’Eglise.

Les périodiques démocrates chrétiens

-

qualificatif

qui, en Belgique, désigne lafrange progressiste du monde catholique

-

concèdent toutefois que certains mandements épiscopaux ont effectivement pesé sur les consciences en faveurdu rattachementà

l’Allemagne.

Les

journaux

libéraux sont les seuls à accuser les communistes de

duplicité,

à tout le moins d

’intentions

sournoises: qui sait

s’ils n’ont

pas reçu de Moscou

l’ordre

de se

rallier

au rattachement [à

l’Allemagne], pour continuer

à

travailler

illégalement dans le Reich19?

Le scrutin est-il un triomphe remporté par le régime? De part et d’autre de la frontière linguistique, les démocrates chrétiens divergent

d’opinion.

Het

Volk,

sensible sans doute au thème de la

„Volksgemeinschaft“,

nie que le plébiscite soit

15La Cité Chrétienne, 20-2-1935, p. 226. Sur l’attitude de cette revue à l’égard de l’Allemagne nationale-socialiste, cf. P. Sauvage, LaCité Chrétienne (1926-1940).Unerevue autourde Jacques Leclercq,Bruxelles 1987, p. 144-175.

16L’Action Socialiste, 19-1-1935, p. 3. Sur cet hebdomadaire et le courant qu’il relaie, voir M.

Staszewski, Une tendancedegauchedans leParti OuvrierBelge: „L’Action Socialiste“, mémoire de licencedel’Université deBruxelles, Bruxelles 1975.

17JongDietschland, 20-1-1935,p. 11(notre traduction). Surcettepublication,subsidiéedès 1928parle ministère allemanddesAffaires Etrangères,voirJ.DE CEULAER,JongDietschland,in:Encyclopédie van de Vlaamse Beweging 1 (1973), p. 721-722,ainsi que M. DEWILDE,op. cit.,p. 9-10.

18L’ActionSocialiste, 19-1-1935, p. 3;La Dernière Heure, 17-1-1935, p. 1.

19Het LaatsteNieuws, 16-1-1935, p. 1 (notre traduction); La Dernière Heure, 17-1-1935, p. 1.

(5)

une victoire de 1’hitlérisme: selon lui, il s’agit là d’un succès de la communauté allemande2021.Lesdémocrateschrétiensfrancophonessontd’untoutautreavis.Le

quotidien carolorégien Le Pays wallon est le plus net lorsqu’il affirme: Les Sarrois ont fixé leur destin : s’ils préfèrent vivre sous la schlague et la botte c ’est leur affaire à eux (. . .). Le plébiscite sarrois est un succès pour Hitler21. Si la majorité des observateurs concède que le régime nazi sort renforcé de la consultation populaire, Jong Dietschland est le seul à pavoiser ouvertement: cette victoire n’est-elle pas la preuve que le peuple allemand a confiance en marchant derrière son Führer22? Pour l’extrême droite belgiciste, c’est plutôt la défaite écrasante des marxistes qui mérite d’être soulignée: Ils comptaient sur leurs coreligionnaires pour rendre à l’Allemagne un régime «démocratique» (...). Jamais, depuis l'armistice, le socialisme n ’a subi une telle défaite. Jamais les rêves internationa¬

listes n’ont été plus brutalement démentis2223.Relaisd’uncourantoppositionnelde gauche au sein d’un Parti Ouvrier Belge réformiste et social-démocrate, L’Action

Socialiste invite la gauche belge à tirer les leçons du scrutin sarrois: Souvent, nous surévaluons notre influence sur nos propres troupes (...). On peut en conclure qu 'il est utile, pour le socialisme, de procéder périodiquement à une critique serrée

de sa position politique et des mots d’ordre qu’il donne à sg? adhérents2425.

Là n’est pas l’essentiel pour la quasi totalité des journaux belges qui analysent le

scrutin. Selon eux, le vote des Sarrois est d’abord l’expression d’un ardent patriotisme allemand, voire l’affirmation d’une véritable mystique nationale. Jules Destrée, un des pionniers du mouvement wallon, est manifestement sous le choc, lorsqu’il écrit: La force indomptable des sentiments qui résultent de la communauté de langue parlée, du souvenir des lieux aimés dans lesquels on a vécu et souffert (...), commande l’attachement à la Patrie, malgré les sujets de plainte ou de réprobation qu’elle a donnés25. Démocrate chrétien de Charleroi et ardent régiona- liste wallon, Elie Baussart pense de même26. Parmi bien d’autres, La Métropole, quotidien catholique conservateur et francophone des milieux d’affaires anversois, ainsi que De Standaard, connu pour son flamingantisme pointu, sont du même avis27. Comme la presse socialiste est bien obligée de reconnaître la puissance du patriotisme, La Nation Belge ne manque pas de marquer le coup, en clamant haut et

20 Het Volk, 20-1-1935, p. 1-3 (notre traduction).

21 Le Pays wallon, 16-1-1935, p. 1.

22 Jong Dietschland, 20-1-1935, p. 10-11 (notre traduction).

23 Légion Nationale, 19-1-1935, p. 2. Sur cette publication et le mouvement fasciste, nationaliste belge et viscéralement antiallemand du même nom dont elle est l’expression, voir G. Delmotte, La Légion Nationale 1922-1942, mémoire de licence de l’Université de Bruxelles, Bruxelles 1965.

24 L’Action Socialiste, 19-1-1935, p. 3. L’auteur de ces lignes, le docteur Albert Marteaux, député socialiste de Bruxelles (1926-1929 et 1936-1939), passera au communisme en 1939. Toujours parlementaire, il sera ministre (communiste) de la Santé au lendemain de la guerre. Cf. P. Van molle, op. cit., p. 234.

25 Le Soir, 19-1-1935, p. 1 (tribune libre). Sur Jules Destrée, homme de lettres, militant wallon, député socialiste de Charleroi (1894-1936) et ancien ministre, cf. notamment Ph. Destatte, Séparation, décentralisation, fédéralisme. La pensée régionaliste de Jules Destrée (1895-1936), Bruxelles 1988.

26 La Vie Nouvelle, 20-1-1935, p. 1. Sur Elie Baussart, fondateur et directeur de la revue catholique régionaliste La Terre Wallonne, voir la thèse (Université catholique de Louvain) de M. Libon, Elie Baussart (1887-1965). L’identité wallonne et le mouvement wallon, Louvain-la-Neuve 1986.

27 La Métropole, 16-1-1935, p. 1; De Standaard, 24-1-1935, p. 1.

une victoire de 1’hitlérisme: selon lui,

il

s’agit là d’un succès de la communauté allemande20. Les démocrates chrétiens francophones sont d’un tout autre avis. Le quotidien carolorégien Le Pays wallonest le plus net lorsqu’il affirme: Les Sarrois ont

fixé

leur destin: s’ils préfèrent vivre sous la schlague et la botte c’est leur affaire à eux(. . .). Leplébiscite sarrois est un succèspour

Hitler

21. Si lamajorité des observateurs concède que le régime nazi sort renforcé de la consultation populaire, Jong Dietschland est le seul à pavoiser ouvertement: cette victoire n’est-elle pas la preuve que lepeuple allemanda confiance en marchant derrière son Führer22?Pour l’extrême droite belgiciste, c’est plutôt ladéfaite écrasante des marxistes qui mérite d’être soulignée: Ils comptaient sur leurs coreligionnaires pour rendre à l’Allemagne un régime «démocratique»

(...).

Jamais, depuis l'armistice, le socialisme n’a

subi une telle défaite. Jamais les rêves internationa¬

listes n’ont étéplus brutalement démentis22. Relais d’un courant oppositionnel de gauche au sein d’un Parti Ouvrier Belge réformiste et social-démocrate,

L’Action

Socialiste invite la gauchebelge à tirerles leçons du scrutin sarrois: Souvent, nous surévaluons notre influence sur nos propres troupes

(...).

On peut en conclure

qu

'il

estutile,pourle socialisme, deprocéderpériodiquementà une critiqueserrée de sa position politique et des mots d’ordre

qu’il

donne à sg? adhérents24.

Là n’est pas l’essentiel pour la quasi totalité desjournaux belges qui analysent le scrutin. Selon eux, le vote des Sarrois est d’abord l’expression d’un ardent patriotisme allemand, voire l’affirmation d’une véritable mystique nationale. Jules Destrée, un des pionniers du mouvement wallon, est manifestement sous le choc, lorsqu’il écrit:Laforce indomptabledessentimentsqui résultentdela communauté de langue parlée, du souvenirdes lieux aimés dans lesquels on a vécu et souffert

(...),

commande l’attachement à la Patrie, malgré les sujets de plainte ou de réprobation qu’elle a donnés25. Démocrate chrétien deCharleroi etardent régiona- liste wallon, Elie Baussart pense de même26. Parmi bien d’autres, La Métropole, quotidien catholique conservateur et francophone des milieux d’affaires anversois, ainsi que De Standaard, connu pour son flamingantisme pointu, sont du même avis27. Comme la presse socialiste est bien obligée de reconnaître la puissance du patriotisme, La Nation Belge nemanquepas de marquerlecoup, enclamant hautet

20Het Volk,20-1-1935, p. 1-3 (notre traduction).

21 Le Pays wallon, 16-1-1935,p. 1.

22Jong Dietschland, 20-1-1935,p. 10-11 (notre traduction).

23LégionNationale, 19-1-1935,p. 2. Surcettepublicationet lemouvement fasciste, nationaliste belge etviscéralement antiallemanddumêmenomdont elleestl’expression, voirG. Delmotte,La Légion Nationale 1922-1942, mémoiredelicence de l’UniversitédeBruxelles,Bruxelles 1965.

24L’Action Socialiste, 19-1-1935, p. 3. L’auteur de ces lignes, le docteur Albert Marteaux, député socialiste de Bruxelles (1926-1929 et 1936-1939), passera au communisme en 1939. Toujours parlementaire, il sera ministre (communiste) de la Santé au lendemain de la guerre. Cf. P. Van molle, op.cit., p.234.

25Le Soir, 19-1-1935,p. 1 (tribunelibre). SurJules Destrée,hommedelettres,militant wallon,député socialiste de Charleroi (1894-1936) et ancien ministre, cf. notamment Ph. Destatte, Séparation, décentralisation, fédéralisme. Lapenséerégionalistede JulesDestrée(1895-1936),Bruxelles 1988.

26La Vie Nouvelle, 20-1-1935, p. 1. SurElie Baussart, fondateur etdirecteurde la revue catholique régionaliste La Terre Wallonne, voirla thèse(Université catholique de Louvain) deM. Libon,Elie Baussart(1887-1965). L’identité wallonneet lemouvement wallon, Louvain-la-Neuve 1986.

27La Métropole, 16-1-1935, p. 1; De Standaard, 24-1-1935,p. 1.

(6)

fort: Face à l’étranger, les Allemands sont Allemands avant tout. Le plébiscite sarrois l’atteste une fois encore28.

Nombreux sont les organes de presse belges qui rattachent cette fièvre nationale à l'iniquité du traité de Versailles et aux tares congénitales du „régime provisoire“

imposé au Saargebiet. E. Vandervelde résume leur point de vue, lorsqu’il reconnaît : Une population qui, par toutes les fibres de son cœur, se rattachait à l’Allemagne (. ..) en a été détachée, privée du droit de se gouverner elle-même, soumise d’autorité à un pouvoir extrinsèque, dont l’existence même était la négation de son droit de libre détermination29. A l’époque où le „Vlaamse Beweging“ milite avec acharnement pour le ,,los van Frankrijk“ - en clair: pour la fin de l’alliance militaire défensive avec la France, suspectée d’impérialisme - la presse flamingante et nationaliste flamande ne manque pas de mettre en exergue la défaite qu’aurait subie la République voisine30. La droite belgiciste estime, elle aussi, que Paris se voit infliger un véritable camouflet, mais pour la raison inverse : ce n’est pas d’un excès d’annexionnisme qu’aurait souffert la politique sarroise de la France, mais d’une propension fâcheuse à l’abandon et à l’abdication. . .31.

Conclusion

Dans son approche du plébiscite sarrois, avant comme après le scrutin, la presse belge appréhende les faits selon l’idéologie qui colore ses jugements. En fin de compte, la question posée aux Sarrois, le 13 janvier 1935, est celle que journaux et revues de Belgique se doivent aussi d’évoquer, vu ses implications pour le sort de l’Europe: l’heure du patriotisme allemand est-elle la bienvenue, après les humilia¬

tions engendrées par le traité de Versailles, mais aussi à une époque où le Reich est sous la coupe d’Adolf Hitler? Quiconque tient compte de la gamme des opinions exprimées sur le sujet - fussent-elles parfois simplistes - doit admettre que le problème n’est pas simple. . .

Encore faut-il l’aborder en se gardant des stéréotypes nationaux32. En 1935, en Belgique, l’image de ,,1’occupant prussien“ de 1914-1918 n’a sans doute pas disparu de la mémoire individuelle et collective. En témoignent tous ces jugements à l’emporte-pièce assimilant la Sarre à une Allemagne mythique, telle que la conçoit „l’imaginaire belge“ de l’époque. L’électeur du Saargebiet hésite-t-il avant de voter? On y voit une lenteur d’esprit tout à fait dans le caractère germanique : l’Allemand est au naturel solennel, guindé, important33. A-t-il de l’admiration pour

28 La Nation Belge, 17-1-1935, p. 1. Le quotidien nationaliste belge crie victoire après l’„aveu“ d’A.

Balthazar: Permettez-moi de le dire avec calme et en toute sincérité: à part quelques exceptions, l’Allemand est avant tout un Allemand (Le Peuple, 16-1-1935, p. 3; Vooruit, 16-1-1935, p. 5).

29 Le Peuple, 16-1-1935, p. 1.

30 Voir par ex. De Standaard, 16-1-1935, p. 1; long Dietschland, 20-1-1935, p. 6-7, 10-11.

31 Revue catholique des idées et des faits, 18-1-1935, p. 1.

32 Cf. J. PlROTTE (éd.), Stéréotypes nationaux et préjugés raciaux aux XIXe et XXe siècles. Sources et méthodes pour une approche historique (Université de Louvain, Recueil de travaux d’histoire et de philologie VI-24), Louvain-la-Neuve - Louvain 1982.

33 La Libre Belgique, 12-1-1935, p. 1.

fort:

Face à

l’étranger,

les Allemands sont Allemands avant tout. Le plébiscite

sarrois

l’atteste une

fois

encore28.

Nombreux sont les organes de presse belges qui rattachent cette

fièvre

nationale à

l'iniquité

du traité de Versailles et aux tares congénitales du

„régime provisoire“

imposé au Saargebiet. E. Vandervelde résume leur

point

de vue,

lorsqu’il

reconnaît: Une

population

qui,

par

toutes les

fibres

de son cœur, se

rattachait

à

l’Allemagne

(.

..)

en a été détachée, privée du

droit

de se gouverner elle-même,

soumise

d’autorité

à un

pouvoir

extrinsèque, dont l’existence même

était

la négation de son

droit

de

libre

détermination29.

A

l’époque où le „Vlaamse

Beweging“ milite

avec acharnementpour le ,,los van

Frankrijk“ -

en

clair:

pour la

fin

de

l’alliance militaire

défensive avec la France, suspectée

d’impérialisme -

la presse flaminganteetnationaliste flamande ne manque pas demettre en exergue la défaite

qu’aurait

subie la République voisine30. La droite belgiciste estime, elle aussi, que Paris se

voit infliger

un véritable camouflet, mais pourlaraison inverse: ce n’estpas

d’un

excès d’annexionnisme

qu’aurait

souffert la

politique

sarroise de la France, mais d’une propension fâcheuse à

l’abandon

et à

l’abdication.

. .31.

Conclusion

Dans son approche du plébiscite sarrois, avant comme après le scrutin, la presse belge appréhende les faits selon

l’idéologie

qui colore ses jugements. En

fin

de compte, laquestion poséeaux Sarrois, le 13

janvier

1935, estcelleque

journaux

et revues de Belgique se

doivent

aussi d’évoquer, vu ses

implications

pour le sort de

l’Europe: l’heure

du patriotisme allemand est-elle labienvenue, après les humilia¬

tions engendréesparletraité de Versailles, mais aussi à uneépoque où le Reich est sous la coupe

d’Adolf Hitler?

Quiconque tient compte de la gamme des opinions exprimées sur le sujet

-

fussent-elles parfois simplistes

- doit

admettre que le problème n’est pas simple.. .

Encore

faut-il l’aborder

en se gardant des stéréotypes nationaux32. En 1935, en Belgique,

l’image

de ,,1’occupant prussien“ de 1914-1918 n’a sans doute pas disparu de la mémoire

individuelle

et

collective.

En témoignent tous cesjugements

à l’emporte-pièce assimilant la Sarre à une Allemagne mythique, telle que la

conçoit „l’imaginaire

belge“ de l’époque.

L’électeur

du Saargebiet hésite-t-il avant de voter? On y

voit

une lenteur

d’esprit

toutà

fait

dans le caractère germanique:

l’Allemand

estau

naturel

solennel, guindé,

important

33.

A-t-il

de

l’admiration

pour

28La Nation Belge, 17-1-1935, p. 1. Le quotidien nationaliste belge crie victoireaprès l’„aveu“ d’A.

Balthazar: Permettez-moi de le direavec calme et en toute sincérité: àpart quelques exceptions, l’AllemandestavanttoutunAllemand(Le Peuple, 16-1-1935, p. 3; Vooruit, 16-1-1935, p. 5).

29Le Peuple, 16-1-1935, p. 1.

30Voirparex. De Standaard, 16-1-1935,p. 1;longDietschland, 20-1-1935, p. 6-7, 10-11.

31 Revue catholiquedes idées et desfaits, 18-1-1935,p. 1.

32Cf. J. PlROTTE(éd.), Stéréotypes nationaux etpréjugés raciaux auxXIXeetXXe siècles. Sources et méthodespouruneapproche historique (UniversitédeLouvain, Recueil de travaux d’histoireet de philologie VI-24), Louvain-la-Neuve

-

Louvain 1982.

33LaLibreBelgique, 12-1-1935,p. 1.

(7)

tel ou tel leader politique ? Il est bien de ceux qui obéissent aveuglément aux mots d’ordre des chefs34. Agit-il avec ce qui, pour un Belge, apparaît comme un esprit de discipline? Il est alors une sorte de robot téléguidé par un pouvoir lointain: On lui a dit que Berlin voulait la victoire. Il a travaillé pour la victoire. Et comme Berlin marque une petite satisfaction, il est heureux et il exulte. On obéit, on agit par

ordre et avec discipline34 35. D’autres n’hésitent pas à écrire: Avec un peuple qui se

conduit de la sorte, on va à la boucherie3637.Lescrutindéçoit-ilceuxqui,de l’extérieur, l’observent? Peu soucieux de la réalité des faits, d’aucuns en concluent

que la Sarre est un des coins les plus reculés du Reich31 ! Tel fut le poids des préjugés et des clichés38.

34 Het Volk, 17-1-1935, p. 1-2 (notre traduction).

35 Le Soir, 17-1-1935, p. 3.

36 Vooruit, 16-1-1935, p. 3 (notre traduction).

37 Le Peuple, 16-1-1935, p. 1.

38 C’est pour combattre les germes de l’incompréhension entre les peuples que le Père C.-J. JOSET a créé la Fondation internationale Meuse-Moselle. Le Professeur H.-W. HERRMANN a apporté une collaboration et un soutien décisifs à cette entreprise. Qu’il en soit chaleureusement remercié.

tel ou tel leaderpolitique?

Il

estbien deceux qui obéissent aveuglément auxmots d’ordredeschefs34.

Agit-il

avec ce qui, pourun Belge, apparaîtcommeunespritde discipline? Il estalors une sorte derobot téléguidé parunpouvoirlointain: On

lui

a dit que Berlin voulait la victoire.

Il

a travaillé pourla victoire. Etcomme Berlin marque une petite satisfaction,

il

est heureux et

il

exulte. On obéit, on agit

par

ordre et avec discipline35. D’autres n’hésitent pas à écrire: Avec unpeuple qui se conduit de la sorte, on va à la boucherie36. Le scrutin déçoit-il ceux qui, de

l’extérieur, l’observent? Peu soucieux de laréalité desfaits, d’aucuns enconcluent que la Sarre est un des coins les plus reculés du Reich31! Tel fut le poids des préjugés et des clichés38.

34HetVolk, 17-1-1935,p. 1-2 (notre traduction).

35Le Soir, 17-1-1935, p. 3.

36Vooruit, 16-1-1935,p. 3 (notre traduction).

37Le Peuple, 16-1-1935,p. 1.

38C’est pour combattrelesgermesdel’incompréhension entreles peuples que le PèreC.-J.JOSET acréé la Fondation internationale Meuse-Moselle. Le Professeur H.-W. HERRMANN a apporté une collaborationet un soutien décisifsàcette entreprise. Qu’ilensoit chaleureusement remercié.

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