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La légalité : un principe à géométrie variable

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Conference Proceedings

Reference

La légalité : un principe à géométrie variable

MORAND, Charles A. (Ed.)

Abstract

Contient une partie des rapports présentés lors d'un séminaire qui s'est tenu à Crans-sur-Sierre du 30 mai au 1er juin 1990

MORAND, Charles A. (Ed.). La légalité : un principe à géométrie variable . Bâle : Helbing

& Lichtenhahn, 1992, 165 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:104808

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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LA LEGALITE:

UN PRINCIPE A GEOMETRIE

VARIABLE

publié par

Helbing & Lichtenhahn

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COLLECTION GENEVOISE

La légalité : un principe

à

géométrie variable

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COLLECTION GENEVOISE

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El

COLLECTION GENEVOISE

La légalité: un principe à géométrie variable

publié par

Charles-Albert Morand

Helbing & Lichtenhahn Bâle et Francfort-sur-le-Main 1992

Faculté de Droit de Genève

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Catalogage en publication de la Deutsche Bibliothek

Charles-Albert Morand:

La Légalité: un principe à géométrie variable 1 publ. par Charles-Albert Morand. - Bâle; Francfort-sur-le Main:

Helbing et Lichtenhahn, 1992 (Collection genevoise)

ISBN 3-7190-1213-1 NE: Morand, Charles-Albert [Hrsg.]

L'œuvre, ses textes, les illustrations et la forme qu'elle contient sont protégés par la loi.

Toute utilisation en dehors des strictes limites de la loi sur les droits d'auteur sans l'accord de l'éditeur est illicite et répréhensible. Ceci est valable en particulier pour les reproductions, traductions, microfilms et pour la mise en mémoire et le traitement

sur des programmes et des systèmes électroniques.

ISBN 3-7190-1213-1 Numéro de commande 21 01213

© 1992 by Helbing & Lichtenhahn, Bâle Conception graphique: Vischer & Vettiger, Bâle

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TABLE DES MATIERES

Préface

Claude ROUILLER

Le principe de la légalité en droit public suisse Philippe GRAVEN

Note sur la légalité criminelle Robert ROTH

Le principe de la légalité en droit pénal administratif Blaise KNAPP

La légalité et les actes de Gouvernement François BELLANGER

page 1

7

29

43

57

La légalité lorsque l'Etat agit par des moyens de droit privé 67 Xavier OBERSON

La légalité en administration de promotion Robert ZIMMERMANN

Le principe de la légalité et les rapp01ts de droit spéciaux dans la jurisprudence du Tribunal fédéral

Luc MORITZ

Justice structurelle et droit suisse

91

117

141

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LISTE DES AUTEURS

Le présent ouvrage contient une partie des contributions faites lors du séminaire qui s'est tenu à Crans-sur-Sierre du 30 mai au 1er juin 1990.

Claude ROUILLER, Juge au Tribunal fédéral, à Lausanne Philippe GRA VEN, Professeur à l'Université de Genève Robert ROTH, Professeur à l'Université de Genève Blaise KNAPP, Professeur à l'Université de Genève François BELLANGER, Assistant à l'Université de Genève Xavier OBERSON, Avocat à Genève

Robert ZIMMERMANN, Collaborateur scientifique au Tribunal fédéral Luc MORITZ, Licencié ès lettres, licencié en droit

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ATF BNS BV

ces

CEPC CPM CP Cst.

DPA EIMP JAAC JdT LB LBN LCR LFor

LPE LPEP

LISTE DES ABREVIATIONS

Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral Banque nationale suisse

Bundesverfassung

Code civil suisse du 10 décembre 1907

Comité européen pour les problèmes criminels Code pénal militaire du 13 juin 1927

Code pénal suisse du 21 décembre 1937 Constitution fédérale du 29 mai 1874

Loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif

Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale

Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération

Jou rn al des tribunaux

Loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d'épargne

Loi fédérale du 23 décembre 1953 sur la Banque nationale suisse

Loi fédérale du 19 décembre 1958 sur la circulation routière

Loi fédérale du 11 octobre 1902 concernant la haute surveillance de la Confédération sur la police des forêts Loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection de l'environnement

Loi fédérale du 8 octobre 1971 sur la protection des eaux contre la pollution

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LPN LSA LSEE OF or OJF OM

PA RDAF ROS RS RSJ SJZ SJ STPO TF ZBI

Loi fédérale du 1er juillet 1966 sur la protection de la nature et du paysage

Loi fédérale du 25 juin 1885 concernant la surveillance des entreprises privées en matière d'assurance

Loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers

Ordonnance d'exécution du 1er octobre 1965 de la loi forestière

Loi fédérale du 16 décembre 1943 sur l'organisation judiciaire

Loi fédérale du 12 avril 1907 sur l'organisation militaire Loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative

Revue de droit administratif et de droit fiscal Revue de droit suisse

Recueil systématique du droit fédéral Revue suisse de jurisprudence Schweizerische Juristenzeitung Semaine judiciaire

Code de procédure pénale (PP) Tribunal fédéral

Schweizerisches Zentralblatt für Staats - und Gemeindeverwaltung

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PREFACE

Le principe de légalité, qui signifie que l'administration et le juge doivent prendre leurs décisions sur la base de règles générales et abstraites adoptées régulièrement, vise à assurer la sécurité du droit et constitue une garantie essentielle d'égalité du traitement. Or, ce principe subit des variations infinies selon les circonstances, selon les secteurs du droit envisagés. Il est aujourd'hui tellement complexe, fracturé et labile qu'il n'est presque plus prévisible et qu'il semble échapper aux règles mêmes qu'il entend établir, au point qu'on pourrait s'interroger sur la légalité du principe de légalité. C'est-à-dire se demander si cette construction jurisprudentielle aux contours des plus flous s'adaptant, à la manière du caméléon, aux particularités d'un nombre infini de situations, ne s'est pas particularisée au point d'empêcher toute prévision quant à son application à un cas d'espèce. Le paradoxe est qu'un principe qui exige que les normes soient précises, qu'elles aient une densité normative suffi- sante, repose lui-même sur des règles très indéterminées. La distinction entre les atteintes graves à la liberté qui justifient que la base légale d'une action étatique se trouve dans une loi formelle et les atteintes légères qui pourraient être fondées sur une base légale matérielle est l'une des dis- tinctions les plus floues qui soient. Quant à savoir ce qui est essentiel et qui mérite de figurer dans la loi et ce qui ne l'est pas et qui peut faire l'objet d'une délégation législative, les juristes en discutent à perte de vue sans grand résultat. La légalité du principe de légalité, boucle étrange godélienne, ne constitue pas l'objet de ce livre. Mais nul doute qu'une étude de quelques variations autour du principe de légalité peut contribuer à poser cette question fondamentale.

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Le principe de légalité, dans son aspect le plus important de la réserve de loi, se déploie à deux niveaux. Il exige en premier lieu que toute décision soit fondée en définitive dans une loi formelle. En cas de délégation législative, les éléments essentiels de la réglementation doivent figurer dans la loi. En second lieu, l'ordonnance d'exécution ou celle prise en vertu d'une délégation législative doit avoir une densité normative suffisante. Il ne faut pas qu'elle laisse à l'administration un pouvoir d'appréciation exagéré. Elle interdit la "délégation admi- nistrative", soit l'octroi d'un pouvoir exagéré à l'administration de régler une question au coup par coup ou sur la base d'ordonnances adminis- tratives qui ne comportent pas de garanties suffisantes pour les particuliers.

L'exigence de légalité trouve sa source dans une sene de droits fondamentaux. L'exigence de base légale formelle est une condition de restriction des droits fondamentaux. Elle peut aussi être déduite du principe de la séparation des pouvoirs. L'exigence de base légale matérielle, deuxième aspect du principe de légalité, est elle aussi une condition de restriction d'un droit fondamental. La garantie est donc elle aussi assurée dans le cadre des mécanismes assurant la protection des droits fondamentaux. Si un de ces droits n'est pas en cause, l'exigence se déduit alors de l'article 4 de la Constitution, de l'interdiction de l'arbitraire. L'octroi à l'administration d'un pouvoir d'appréciation manifestement exagéré est inconstitutionnel.

il est des secteurs où le principe de légalité possède encore une assez grande vigueur. Ainsi en est-il de l'administration restrictive, comme le montre Claude ROUILLER, bien que la distinction entre les atteintes graves ou légères aux droits fondamentaux, dont dépend la protection, ne soit pas toujours aisée à opérer.

Il y a aussi le droit pénal qui est probablement le dernier à maintenir le principe dans toute sa rigueur. Philippe GRA VEN montre que les fondements du principe ne sont pas en danger, mais que le législateur, en s'attaquant à des infractions peu "naturelles" comme les opérations d'initiés ou le recyclage d'argent douteux, a de la peine à réunir l'élément légal et l'élément matériel dans une disposition unique. Peut-être faudrait- il, dans ce cas, s'inspirer du droit pénal administratif dont traite Robert

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ROTH. Celui-ci admet de larges délégations législatives pour ce qui concerne la caractérisation du comportement incriminé, même lorsque la sanction comporte une peine privative de liberté. L'obligation de clarté et de précision pèse alors sur l'autorité exécutive, mais une certaine indétermination doit être tolérée pour tenir compte de la nature des tâches conférées à l'administration moderne.

Depuis l'arrêt Wiiffler (ATF 103 la, 380 ss), on aurait pu penser que l'exigence de base légale formelle fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs s'étendait à toute l'activité de l'administration, qu'elle soit restrictive ou non. Quant à l'exigence de base légale matérielle, elle est moins assurée hors de l'administration restrictive, puisqu'elle n'est garantie que dans le cadre de l'interdiction de l'arbitraire. Mais elle bénéficie quand même d'une garantie minimale. L'arrêt Wiiffler (ATF 103 la, 369 ss) n'a pourtant pas résolu tous les problèmes. Tout d'abord il y a, à côté de l'administration restrictive et de l'administration de promotion, une troisième catégorie formée d'activités étatiques très diverses dont le régime n'est pas établi par cet arrêt. C'est le domaine très vaste des nouveaux instruments d'action de l'Etat, où l'on trouve pêle- mêle l'action par l'information, par la persuasion, par la formation, par des accords amiables. Cette problématique a été évoquée dans deux ouvrages : l'un théorique publié par Publisud (Paris, 1991) intitulé

"L'Etat propulsif. Contribution à l'étude des instruments d'action de l'Etat ", l'autre de droit positif suisse publié dans le cadre de cette Collection et intitulé "Les instruments d'action de l'Etat " (Bâle, Francfort-sur-le-Main, 1991). L'extension des exigences de légalité à des actions qui ne se traduisent pas par l'adoption d'actes obligatoires est problématique et doit être résolue de cas en cas.

Ensuite, l'arrêt W iiffler n'implique pas que l'activité étatique dans son ensemble soit soumise à la réserve de la loi formelle, car ce principe ne saurait s'appliquer avec la même rigueur partout. Plus important encore, les principes qui sous-tendent l'arrêt W iiffler ne sont pas appliqués à toute l'activité administrative. Des lignes de jurisprudence déjà anciennes ont continué à se perpétuer, comme si l'arrêt W iiffl er n'avait pas été prononcé. Tel est le cas de la jurisprudence sur le domaine public ou celui des rapports de droits spéciaux qu'étudie en détail Robert ZIMMERMANN. Dans ces deux secteurs règne encore une conception

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remontant à la monarchie constitutionnelle qui fait de l'Etat le gérant d'un patrimoine privé qu'il peut administrer à sa guise. On constate pourtant, comme le souligne l'auteur, que dans les hard cases, le Tribunal fédéral n'a pas eu recours à la notion de rapport spécial, ce qui signifie peut-être le début de la fin d'un principe qui a justifié les pires entorses à la légalité.

En administration de promotion, le principe de l'exigence d'une base légale est acquis. Mais Xavier OBERSON montre que le transfert de cette exigence dans ce domaine ne se fait pas sans peine. L'application du principe dépend de plusieurs critères, certains comme la technicité et la mutabilité d'une matière étant des plus flous, ce qui ne contribue nullement à assurer la prévisibilité du droit. La situation est aussi très incertaine dans le cas traité par François BELLANGER où l'Etat agit par des moyens de droit privé. L'évitement du droit public recherché pour échapper à la rigidité de la légalité ne peut être accepté sans autre.

L'auteur suggère l'incorporation des instruments de droit privé dans le cadre général du droit public, solution qu'il juge préférable à la théorie de l'acte détachable et à celle du droit administratif privé.

Les actes de Gouvernement dont traite Blaise KNAPP sont, dans tous les pays, un sujet d'interrogation sous l'angle de la légalité. En Suisse, tout particulièrement, puisque les actes du Gouvernement échappent, sauf de rares exceptions, à la censure du Tribunal fédéral. L'absence de con- trôle juridictionnel aboutit à des résultats regrettables. Il suffit que le Conseil fédéral se désigne comme autorité de décision pour qu'il échappe à tout contrôle de légalité. C'est ce qui s'est produit en matière de radios locales. Le Conseil fédéral a pu, en toute impunité, élaborer une ordon- nance dépourvue de toute base légale en prévoyant qu'il statuerait lui- même sur l'octroi des autorisations de radios locales. Cette absence de contrôle juridictionnel sur les actes du Gouvernement est une survivance du passé, qui n'est plus compatible avec la conception de l'Etat de droit qui forme le fond commun du droit européen en formation. L'introduc- tion d'un contrôle de constitutionnalité et de la légalité sur les actes du Gouvernement est une des tâches majeures que pourrait assurer une Cons- titution fédérale rénovée dans une perspective européenne. Pourrait alors se développer une véritable théorie des actes de gouvernement, réservée à quelques actes hautement politiques dont Blaise KNAPP fait l'inventaire.

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L'arrêt Wiiffler donnait à penser que le principe de légalité allait s'appliquer à tous les secteurs du droit. Il n'en est rien. On constate que ce principe est éminemment variable même dans les secteurs traditionnels d'action de l'Etat. Mais l'interventionnisme étatique dans les secteurs nouveaux, comme le droit de l'environnement par exemple, lui pose des défis nouveaux. La loi sur la protection de l'environnement (LPE) est conçue comme une loi-cadre laissant au Gouvernement le soin d'adopter les règles les plus controversées, celles qui portent sur les valeurs limites.

Bien plus, la loi a dû admettre que dans certaines situations, l'administration décidera de cas en cas. Selon l'article 22 LPE, "les limitations [des émissions] figurent dans des ordonnances ou, pour les cas que celles-ci n'ont pas visés, dans des décisions fondées directement sur la présente loi". Cette disposition illustre le conflit latent et parfois frontal qui existe entre le principe de légalité et l'interventionnisme étatique.

Devant cette situation peu satisfaisante se développe la théorie des compensations. On s'est tourné tout d'abord du côté du principe de subsidiarité (ATF 101 la, 213, Cordey). Puis, lorsque celui-ci s'avérait peu opérationnel, vers l'idée d'une légalité différée, tolérant des déficits provisoires (ATF 113 lb 60, Gemeinde Olten SO). D'autres pensent à une participation, à un dialogue entre l'autorité et les administrés. C'est dans ce contexte que se situe l'étude de Luc MORITZ, qui montre les possibilités, mais aussi les limites qu'il y aurait à s'inspirer en droit suisse du concept américain de structural due process.

On voit que la légalité a encore de beaux jours devant elle, comme garant essentiel de la démocratie et de l'Etat de droit. Mais elle doit, dans certains cas, s'effacer pour permettre à d'autres principes, exprimant d'une autre façon certains principes intangibles, d'opérer. Le risque est cependant qu'en se complexifiant, en se prêtant à une infinité de variations, elle se corrompe et trahisse de l'intérieur les valeurs qu'elle cherche à défendre.

Le présent ouvrage est le fruit d'une réflexion dans le cadre du séminaire du Valais de 1990. Qu'il me soit permis dès lors de remercier les institutions et les personnes qui ont contribué à la réussite de cette entreprise. Mes remerciements vont à l'Etat du Valais et tout particulièrement au Département de l'instruction publique de ce canton, à

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la Société académique du Valais, à la Banque cantonale du Valais, à la Faculté de droit et au Rectorat de l'Université de Genève. Ils vont aussi à Mmes Patricia ROULET-RIME, Shirin HATAM et Valérie MONTAN!, assistantes à la Faculté de droit de Genève, qui ont contribué à l'organisation du séminaire et à la relecture des textes, ainsi qu'à Mme Daphrose BARAMPAMA-NT ARA T AZE qui a assuré la dactylographie et la mise en pages de l'ouvrage.

Charles-Albert MORAND

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LE PRINCIPE DE LA LEGALITE EN DROIT PUBLIC SUISSE*

par

Claude ROUILLER

1. AVANT-PROPOS

Evoquer le principe de la légalité c'est envisager l'ampleur et les variations du droit positif par un coup d'oeil sur le Recueil officiel du droit fédéral ou sur la collection de nos codes de procédure. C'est aussi se condamner au désenchantement devant l'incohérence ou l'imprécision de certaines solutions législatives et devant le destin que les autorités d'application leur réservent parfois. La relativité des choses en devient évidente ; elle nous incite à ne pas nous départir de la modestie empirique du magistrat et à nous bomer à des réflexions fragmentaires issues de l'expérience quotidienne.

Nous allons donc éviter de définir globalement le principe de la légalité, mosaïque de règles générales aux fondements et aux buts divers.

Nous ne pourrions d'ailleurs que cerner sa raison d'être par simple référence à l'Etat démocratique, inconciliable avec la confusion des pouvoirs et incompatible avec l'inégalité, l'insécurité et l'imprévisibilité juridiques. Limité par l'espace, nous nous en tiendrons, avec regret, au vieux schéma qui présente le principe de la légalité sous les deux aspects de la suprématie et de la réserve de la loi. Mais cela suffira à donner un aperçu des exigences requises par la concrétisation des normes dans les divers domaines de leur application, et du contrôle judiciaire complexe de cette application.

*

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II. SUPREMATIE ET RESERVE DE LA LOI

A. Portée pratique de la distinction

En vertu de la suprématie de la loi (Gesetzesvorrang, primato della legge), les organes de l'Etat doivent observer l'ensemble des règles de droit en vigueur, quel que soit leur auteur, pour autant que celui-ci ait agi dans les limites de sa compétence. En vertu de la réserve de la loi (Gesetzesvorbehalt, riserva della legge), ils doivent fonder leur activité sur une base légale quand cette activité a des effets à l'égard des particuliers!, soit qu'elle restreigne leurs droits constitutionnels, soit qu'elle répartisse des charges ou des prestations. Intéressante en théorie, la distinction n'est pas toujours indispensable dans la pratique du juge constitutionnel ou du juge administratif : le citoyen qui s'adresse à l'un pour se plaindre de l'inconstitutionnalité d'un acte de souveraineté dépourvu de base légale, ou à l'autre pour se plaindre de l'illégalité d'une décision, ouvre un débat qui porte essentiellement sur la réserve de la loi (exigence de base légale) et, seulement à l'intérieur de ce cadre, sur des questions techniques étudiées par la doctrine au chapitre de la suprématie de la loi (hiérarchie des normes, parallélisme des formes ou validité d'une délégation législative).

Des espèces relevant de l'administration de promotion ou relatives à l'exercice des droits politiques illustrent assez bien le lien concret des deux aspects académiques du principe de la légalité.

1. En administration de promotion

Avant d'assujettir à la réserve de la loi l'administration dite de promotion ou de prestations, le Tribunal fédéral a rappelé qu'une délégation législative met en question le principe de la légalité sous les deux aspects de la suprématie et de la réserve de la loi. Mais il a résolu à la seule lumière de la réserve de la loi le cas à l'origine de sa réflexion, celui du numerus clausus universitaire (ATF 103 la 369 ss, 380 ss consid. 5, Wiiffler et consorts). On le conçoit aisément car les modalités

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de la répartition des prestations de l'Etat - surtout lorsqu'il jouit d'une situation de monopole - concernent les droits fondamentaux, en premier lieu l'égalité de traitement et la liberté personnelle. C'est pourquoi le Tribunal fédéral a examiné sous l'angle unique de la réserve de la loi (en rapport avec la liberté personnelle) les problèmes les plus délicats posés par la législation saint-galloise sur la procréation médicalement assistée, autre cas d'administration de promotion2 .

2. En matière de droits politiques

Saisi d'un recours pour violation du droit de vote, le Tribunal fédéral revoit librement, quel que soit leur rang, l'application des règles qui mettent ce droit en oeuvre (ATF 115 la 153 consid. 2, Comité d'initiative "Soins à domicile", S., G. et T.). Il est peu concevable qu'il utilise pour cela les méthodes d'interprétation historique ou téléologique sans se référer simultanément à la hiérarchie des normes ou au parallélisme des formes. Nous allons tenter de le démontrer par un exemple qui se rapporte à l'exercice du droit de référendum en matière de dépenses publiques.

Le référendum financier obligatoire, qui subordonne certaines dépenses publiques à leur acceptation par le peuple, est souvent perçu non sans raison par les gouvernants comme un droit de veto paralysant. Il faut dire que les chiffres - inscrits il y a fort longtemps dans la plupart des constitutions cantonales qui connaissent cette institution -à partir desquels les dépenses nouvelles, uniques ou périodiques, sont soumises au vote du peuple, ne sont plus aujourd'hui proportionnés à la masse des dépenses de l'Etat. La tentation est grande d'éluder l'obligation référendaire soit en interprétant restrictivement la notion constitutionnelle de dépenses nouvelles, soit en déléguant par voie législative au Parlement ou au gouvernement la compétence de les approuver définitivement.

Les autorités de Schwyz ont utilisé tour à tour l'un et l'autre de ces procédés. La constitution de ce canton prévoit en effet le référendum obligatoire pour les dépenses uniques de plus de Frs. 250'000.-- et pour

2 ATF 115 la 234 ss, K. et consorts; cf. aussi arrêt non publié P. et R. du 26 avril

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les dépenses périodiques de plus de Frs. 50'000.-- alors que la somme des dépenses annuelles s'élève à plus de 350 millions de francs. Elles ont usé largement de la délégation en matière de dépenses ce qui a donné lieu à l'arrêt bien connu Jaeger rendu en 1976. Elles ont ensuite défini extensivement la notion de dépenses liées, par opposition aux dépenses nouvelles non soumises au référendum. Un décret cantonal classe dans la première catégorie, les dépenses qui découlent de textes légaux ou de crédits déjà votés, et aussi, selon une formule ambiguë, "celles qui servent à l'acquisition des moyens indispensables à l'activité de l'administration et à leur renouvellement, à l'exception des constructions nouvelles".

L'examen de la constitutionnalité d'une telle règle concerne non seulement la réserve de la loi mais aussi la suprématie de la loi car la hiérarchie des normes et le parallélisme des formes interdisent de réduire la portée d'un texte constitutionnel par le biais d'un texte qui n'est soumis qu'au référendum facultatif (arrêt non publié L. du 25 avril 1990).

B. Les rapports entre le principe de la légalité et d'autres règles ou principes constitutionnels

La suprématie de la loi conserve tout de même un intérêt pratique dans l'examen des rapports entre le principe de la légalité et d'autres règles ou principes constitutionnels, tels les droits à l'égalité de traitement et à la protection de la bonne foi.

1. Egalité de traitement et légalité

L'administré ne peut refuser de se plier à la loi sous le prétexte qu'elle n'aurait pas été appliquée - ou l'aurait été de manière incorrecte - dans des cas semblables au sien. Le principe de la légalité l'emporte donc généralement sur le principe de l'égalité, autour duquel s'articulent pourtant les règles les plus élémentaires qui gouvernent l'acte étatique.

Exprimée par la maxime abstruse : "il n'y a pas d'égalité dans l'illé- galité" (cf. AUER, ZBl 79/1978: 2281 ss; LIGGENSTORFER 1983;

ATF 115 la 81, X. et Y.; ATF 115 V 238/239, N.), cette prééminence souffre une exception quand il est objectivement prévisible que l'autorité va persévérer dans une inobservation générale de la loi appelée à rester

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lettre morte ou à tomber en désuétude. Cette prévision n'est pas facile à faire car elle tient du procès d'intention ; l'appel à l'égalité contre la loi est par conséquent voué d'ordinaire à l'échec. Pourquoi cette rigueur de la jurisprudence ? Simplement parce que les juridictions n'ont pas à décourager l'autorité qui, après avoir violé la loi ou s'être trompée sur sa portée pendant longtemps, se décide à l'appliquer correctement et à la faire respecter. Il suffit de penser au changement de politique d'une commune qui, après avoir accepté des installations discrètes et illicites hors du territoire à bâtir, saisit l'occasion du traitement d'une demande de permis se fondant sur ces pratiques inadmissibles, pour y mettre un terme (arrêt non publié Z. du 19 mars 1990).

Ce n'est guère qu'en matière d'impôts que le principe de l'égalité l'a emporté ici ou là sur l'application de la règle de droit. L'égalité de traitement interdit d'exonérer une personne ou une collectivité qui se trouve dans une situation identique à celle des autres contribuables ou de la priver d'une exonération dont ceux-ci bénéficient. Une association religieuse même marginale a donc le droit de profiter d'une exonération partielle de l'impôt sur les successions, consentie pour les legs reçus par les institutions religieuses privées ou publiques. Il importe peu que cette exonération se fonde sur une ordonnance contraire à la loi, dans la mesure où le gouvernement a l'intention de maintenir le privilège ainsi aménagé (ATF 103 la 244 consid. 3, Christian Science Society).

2. Bonne foi et légalité

La règle de la bonne foi est une norme de comportement qui s'impose tant à l'administration qu'à l'administré. A l'instar de l'interdiction de l'arbitraire, elle a pour corollaire un droit public subjectif : le droit à la protection de la bonne foi qui peut être invoqué comme tel dans un recours de droit public. Le rapport entre ce droit et le principe de la légalité est complexe. L'administré qui a pris des dispositions - irréversibles sans préjudice - sur la base d'assurances concrètes à lui données par une autorité qu'il avait des raisons de présumer compétente, peut exiger une dérogation à la loi (ATF 115 la consid. 4a, Mathys; ATF 112 V 119/120 consid. 3a, W.). La place d'une telle revendication est inversément proportionnelle à la clarté du but de la

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norme à laquelle il s'agit de déroger. Et encore le juge qui se trouve en présence de cette hypothèse - exceptionnelle - n'a-t-il pas à modifier le sens de la loi et à y introduire des postulats personnels d'éthique sociale qui n'y ont pas été insérés. En déterminant le contenu de la loi selon la bonne foi, il se livre simplement, en quelque sorte, à une interprétation téléologique.

Les sûretés déposées par un prévenu en vue de sa mise en liberté provisoire ont pour but d'assurer sa participation à l'instruction et à l'audience, voire sa présentation à l'écrou en cas de condamnation à une peine ferme. Elles ne sont pas destinées à garantir l'exécution de sa peine après le jugement. Leur confiscation pour cause d'évasion en cours d'exécution de peine est, partant, une mesure abusive ou, si l'on veut, contraire à la bonne foi. Le juge peut certes corriger les effets de la loi dans des cas exceptionnels où l'exercice d'un droit créerait une injustice manifeste, mais ce mode de faire doit se concilier, in concreto, avec la finalité de la norme applicable (ATF 107 la 206, D.).

3. Un cas particulier

Il se peut, selon les circonstances, que le principe de la légalité cède le pas au principe de l'égalité conjugué avec le droit à la protection de la bonne foi, en l'absence même d'assurances concrètes et individuelles données par une autorité compétente.

L'objet de l'impôt se détermine avant tout selon la loi à laquelle une ordonnance d'exécution ne peut déroger. Une ordonnance exonérait de l'impôt successoral, contrairement à la loi, les avantages résultant pour le conjoint survivant d'une répartition contractuelle du bénéfice plus favorable que celle prévue pour le régime de l'union des biens. Cette ordonnance· avait été appliquée pendant des décennies en dépit de son illégalité constatée par la juridiction supérieure cantonale. Le Tribunal fédéral a vu, dans l'abandon soudain de ce régime de faveur au détriment d'un particulier, un comportement contradictoire incompatible avec la bonne foi, la sécurité du droit et, implicitement, avec l'égalité de traitement. Eussent-elles été prévenues de l'abandon de cette pratique illégale que les parties au contrat de mariage eussent vraisemblablement

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recherché d'autres solutions pour favoriser le conjoint survivant (ATF 101 la 116, X.).

La même idée est au reste à l'origine du postulat qui veut qu'une partie ne subisse pas de préjudice du fait d'un changement abrupt de jurisprudence dont elle n'a pas été avertie, notamment quand ce changement consiste dans le retour à une application plus stricte des normes sur la computation des délais (ATF 110 la 176, Herzog; ATF 104 la 3/4, W. ; ATF 101 la 371/372, Morand et consorts ; ATF 94 I 16, Pompes S.A.).

III. LA RESERVE DE LA LOI OU L'EXIGENCE D'UNE BASE LEGALE

A. La loi, un moyen de concrétiser les droits fondamentaux Analyser le contenu de la réserve de la loi commande de constater au préalable que la législation de rang inférieur à la Constitution - dont le Tribunal fédéral revoit d'ordinaire l'application sous l'angle restreint de l'arbitraire - concrétise souvent les droits fondamentaux dans une mesure essentielle. Leur développement est, pour une part importante, l'oeuvre du législateur3 qui veille à concilier libertés individuelles et intérêts collectifs, la tâche principale du juge constitutionnel étant d'éviter qu'un poids excessif ne soit donné à ceux-ci par rapport à celles-là.

Les normes qui concrétisent les droits fondamentaux vont parfois au- delà de ce que requiert apparemment la Constitution, surtout quand les garanties qu'elle contient sont élémentaires. L'article 4 de la Constitution, n'accordant à l'administré ou au justiciable qu'une protection minimale, le contenu du droit d'être entendu est défini, par exemple, au premier chef par le droit cantonal de procédure (ATF 112 la 2/3 consid. 3c, Y. ; ATF 111 la 166 consid. 2a, X. ; ATF 110 la 101 consid. 4, Kress et consorts).

Certains droits fondamentaux, comme le droit au juge naturel de l'article

3 Est-ce à cause de cela que la qualité pour se plaindre de l'arbitraire dans l'application

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58 de la Constitution, ne sont même effectifs que s'ils sont mis en oeuvre par une loi, en l'occurrence le droit cantonal de procédure édicté dans le respect des exigences des articles 4 de la Constitution et 6 paragraphe 1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

A l'inverse, certains droits constitutionnels ont un effet si immédiat que le législateur n'intervient en général que pour en restreindre l'exercice par le jeu de la procédure. Tel est le cas du droit de pétition de l'article 57 de la Constitution; cela s'explique par la nature de ce droit qui, lié à la liberté d'opinion, donne simplement à chacun la possibilité d'adresser aux autorités des propositions ou des réclamations informelles sans offrir toutefois des garanties supérieures au droit d'être entendu consacré à l'article 4 de la Constitution (ATF 104 la 437 consid. 5, Stauffacher et consorts).

B. La loi, un moyen de restreindre les droits fondamentaux

1. Les restrictions aux droits fondamentaux

Les droits fondamentaux ne sont pas absolus. Sous réserve de leur noyau intangible, la loi peut en restreindre l'exercice dans l'intérêt public, en respectant le principe de la proportionnalité et les autres règles ou principes constitutionnels. Chaque décision qui touche aux droits fondamentaux doit elle-même non seulement reposer sur une base légale mais aussi d'une part répondre in concreto à un intérêt public prépondérant et d'autre part ne pas aller au-delà de ce qu'exige le but d'intérêt public poursuivi. Ces exigences ont été posées en premier lieu pour les restrictions à la propriété privée (déjà ATF VI 112 consid. 3, Schindler; ATF 35 I 571 consid. 4, Autavaux et Fore!), non parce que cette garantie - décrétée inviolable par les constitutions cantonales avant d'être reconnue comme une garantie fédérale non écrite - serait supérieure aux libertés idéales, mais parce que la nécessité de protéger activement ces dernières n'est apparue dans toute son acuité que plus tard, avec le développement du rôle de l'Etat.

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Contrairement à une opinion répandue, la réserve de la loi n'est pas toujours la protection la plus efficace des droits fondamentaux.

L'exigence d'un intérêt public prépondérant pèse souvent aussi lourd, eu égard déjà à l'angle sous lequel l'envisage le juge constitutionnel qui ne fait preuve de retenue que devant les circonstances locales ou techniques.

Il arrive d'ailleurs que le principe de l'intérêt public se distingue mal du principe de la légalité, ne serait-ce qu'en raison de la pesée initiale des intérêts à laquelle le législateur procède en adoptant une norme. Ainsi, le juge qui vérifie la conformité à la liberté personnelle d'une incarcération examine en premier lieu les dispositions du droit de procédure pénale qui ont été appliquées. Or, ce sont justement elles qui fixent les conditions d'intérêt public que doit respecter l'incarcération d'un prévenu, soit les besoins de l'instruction, le danger de fuite, le risque de collusion ou la menace pour la sécurité d'autrui. En pareil cas, l'examen de la base légale coïncide donc de facto avec celui de l'intérêt public. La distinction entre ces deux exigences est alors d'autant moins essentielle que, l'incarcération étant une atteinte grave à la liberté personnelle, le Tribunal fédéral les examine toutes deux à peu près de la même manière (ATF 115 la 297 consid. lb, Magharian). Seul le principe de la proportionnalité conserve ici une identité manifeste, notamment quand il s'agit d'estimer si la durée d'une détention n'est pas excessive (ATF 107 la 256 ss, /. ; arrêt non publié St. du 10 septembre 1990).

Cela ne signifie évidemment pas que l'existence d'un intérêt public prépondérant supplée à l'exigence d'une base légale ! Une mesure privative de liberté ne peut au contraire être ordonnée pour un motif d'intérêt public que le législateur n'a pas énoncé. Le motif de récidive n'est ainsi pas une cause de détention dans le canton de Zurich parce que le législateur ne l'a pas prévu (cf. article 49 StPO).

2. L'exigence de base légale selon l'intensité de l'atteinte aux droits fondamentaux

L'exigence de base légale à laquelle sont soumis les actes qui restreignent les droits individuels varie dans sa sévérité selon l'intensité de l'atteinte portée à ceux-ci.

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a. Les atteintes légères

En présence d'une atteinte légère, le principe de la légalité n'a qu'une portée limitée et le juge constitutionnel n'a à cet égard qu'une latitude de jugement réduite à sa plus simple expression. Les principes de l'intérêt public et de la proportionnalité, dont le juge constitutionnel vérifie l'application sous la seule réserve de questions de pure appré- ciation, passent alors au premier plan. Lorsque, par exemple, il discute de la constitutionnalité d'un ordre de démolition adressé à un propriétaire qui a construit sans droit, le Tribunal fédéral se contente d'une base légale implicite découlant des règles de construction qui ont été violées et n'exige pas qu'une prescription spéciale prévoie la démolition comme conséquence de cette violation. La constitutionnalité de cette mesure est par conséquent, dans la pratique, évaluée avant tout sous l'angle de la proportionnalité (ATF 105 lb 76, Racine ; ATF 104 lb 76, Elia ; ATF 102 lb 66, Borri et consorts).

Toute discussion sur l'exigence de base légale pour les atteintes légères aux libertés constitutionnelles ravive la controverse du pouvoir d'examen du Tribunal fédéral (cf. MOSER, ZBl 72/1971 : 185;

ROHNER 1982; AUER 1983: 248- 251; ROUILLER, RDS 106/1987 II : 225, 277-301). Nous ne faisons qu'évoquer le problème pour souligner - à l'aide d'une illustration - qu'il est mal posé.

La loi genevoise sur l'énergie délègue au Conseil d'Etat la compétence de déterminer les mesures applicables à l'isolation thermique des constructions existantes ou nouvelles. Le Conseil d'Etat a, sur cette base, adopté un règlement qui fixe des délais d'adaptation pour les constructions existantes, diversifiés selon les coefficients d'isolation. Les obligations qui en résultent sont des atteintes légères à la propriété. Saisi d'un recours contre un tel règlement, le juge constitutionnel n'examine pourtant pas sa conformité à la loi sous l'angle de l'arbitraire, ce qui ne signifierait pas grand'chose. Il doit bien plutôt vérifier sans réserve si l'exécutif cantonal a respecté la séparation des pouvoirs en se tenant dans les limites de la délégation législative et, dans l'affirmative, si celle-ci n'était pas trop large - ou trop imprécise - pour justifier l'atteinte contestée à la propriété. Compte tenu de la légèreté de cette atteinte, il se montre simplement moins rigoureux dans l'exigence de base légale,

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admettant qu'une norme assez indéterminée habilitait l'autorité exécutive à légiférer. Il est bien sûr loisible au recourant de prétendre en dehors de cela, que la norme délégataire viole elle-même la Constitution, étant arbitraire, disproportionnée ou dépourvue d'intérêt public (arrêt non publié B. du 16 mai 1990).

b. Les atteintes graves

Les atteintes graves aux droits fondamentaux doivent en revanche toujours reposer sur une base légale claire. Il convient de définir successivement la notion indéterminée de gravité de l'atteinte et celle, paradoxalement tout aussi peu déterminée, de la clarté d'une norme.

La notion d'atteinte grave n'a jamais fait l'objet d'une définition générale, si ce n'est par rapport à la garantie de la propriété afin de déterminer quand une atteinte à ce droit équivaut à une expropriation et donne lieu à une indemnité selon l'article 22ter alinéa 3 de la Constitution. Selon la jurisprudence sur l'expropriation matérielle des immeubles, l'atteinte grave au droit de propriété est celle qui supprime ce droit, ou qui interdit l'usage actuel ou futur prévisible d'un bien-fonds dont il jouissait en qualité de propriétaire (ATF 114 lb 118 consid. 4, X. ; ATF 112 lb 389 consid. 3, Prosima Immobilien A.G.). L'évaluation de l'intensité d'une atteinte à un droit fondamental sera donc toujours ponctuelle et fonction du droit fondamental en cause. L'incarcération ou le maintien en détention d'un prévenu sont par exemple des atteintes graves à la liberté personnelle (ATF 115 la 297 consid. lb, Magharian) ; il en va de même de la mutilation d'un individu, la liberté personnelle englobant le droit de la personne humaine à son intégrité physique (ATF 114 la 357 consid. 5, X.).

La clarté de la base légale exigée pour les atteintes graves aux droits fondamentaux n'est pas un concept plus facile à généraliser. Il serait en tout cas vain de se référer pour cela à la définition de la légalité selon l'article 1er du Code Pénal qui pose le principe "nul/a poena sine lege".

Selon la jurisprudence actuelle, ce principe de droit pénal se satisfait d'une base légale matérielle (ATF 112 la 112/113 consid. 3b, B.); il s'accommode d'interprétations extensives pour autant que la solution

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recherchée s'impose de mamere pressante, voire du comblement de lacunes qui ne peut cependant être envisagé qu'au profit de l'accusé (ATF 103 IV 129, Ministère public du canton de Vaud). C'est une interprétation extensive qui a conduit le Tribunal fédéral, avant la modification des articles 161 et 162 du Code Pénal, à admettre l'incrimination en droit suisse, sous l'angle de la violation du secret commercial, des opérations d'initiés dans l'hypothèse où le détenteur du secret le révèle à un tiers qui l'utilise pour spéculer en bourse (ATF 109 lb 53 ss consid. 5, X.).

Un texte n'est suffisamment clair pour servir de base à une atteinte grave aux droits fondamentaux que s'il ne comporte ni contradictions, ni lacunes et ne se prête pas à des interprétations divergentes sur son champ d'application ou ses conséquences. La célèbre affaire Pemex (remise de fonds à un Etat étranger au titre de l'entraide judiciaire internationale) l'illustre fort bien.

La Suisse coopère à la répression de la criminalité par les Etats étrangers, soit sur la base de traités, soit, en l'absence d'un traité, sur la base de son droit autonome, la loi du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale. C'est à la lumière de celle-ci que le Tri- bunal fédéral a examiné le bien-fondé d'une demande déposée par le Mexique pour les besoins de l'instruction d'une affaire dans laquelle sont impliqués d'anciens dirigeants soupçonnés d'avoir obtenu d'une firme américaine des pots-de-vin pour l'adjudication des travaux de construction d'un oléoduc et d'avoir déposé dans nos banques tout ou partie du produit de cette infraction. La Suisse a bloqué les fonds et donné les renseignements bancaires qui lui étaient demandés. Les difficultés ont surgi lorsque s'est posé le problème de l'envoi au Mexique des fonds séquestrés. Certes, selon l'article 74 alinéa 2 de la loi sur l'entraide internationale en matière pénale, le produit d'une infraction peut être restitué à l'ayant droit même en dehors de toute procédure pénale engagée dans l'Etat étranger. Au premier regard, il devrait en aller a fortiori de même quand le procès pénal est en cours, comme c'était le cas dans cette espèce. Le Tribunal fédéral en a cependant décidé autrement. Il a estimé que l'article 74 alinéa 2 de la loi sur l'entraide internationale en matière pénale vise des cas où la restitution immédiate s'impose de façon manifeste. Cette disposition ne constitue en revanche pas une base légale suffisante pour exproprier en quelque sorte, au profit d'un Etat étranger,

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des fonds déposés en Suisse, avant le prononcé d'un jugement de confiscation conforme à notre ordre public. Ces fonds restent naturellement bloqués en vue de leur transfert éventuel après qu'un tel jugement aura été rendu et contrôlé. Le Tribunal fédéral s'est référé au contexte dans lequel cette disposition a été adoptée et au contenu des règles de la même loi à propos de l'exécution de décisions étrangères. Il n'a fait qu'interpréter l'article 74 alinéa 2 de la loi sur l'entraide internationale en matière pénale conformément à l'article 22ter, de la Constitution, ce dont ne le dispensait pas l'immunité juridictionnelle dont bénéficient les lois fédérales en vertu des articles 113 alinéa 3 et 114 de la Constitution (ATF 115 lb 517, Travellers F oundation et consorts).

3. Relativité de la réserve de la loi

a. Base légale formelle ou matérielle ; délégation législative

Qu'il s'agisse de l'administration promotionnelle ou de l'adminis- tration restrictive, seule la loi - par son caractère général et abstrait et sa source démocratique - garantit une certaine adhésion de principe de la majorité de ses destinataires virtuels et leur offre les prémisses de l'éga- lité et de la sécurité juridiques en leur permettant, par sa prévisibilité, de se conformer par avance aux préceptes qu'elle établit. C'est sans doute pourquoi des dispositions de programme récentes, tels les articles 27ter et quater de la Constitution, prescrivent à la Confédération de ne légiférer que sous forme de lois ou d'arrêtés de portée générale et excluent, partant, la délégation législative. C'est pourquoi aussi de nouvelles dispositions autonomes ou conventionnelles qui proclament des droits fondamentaux (articles 22ter de la Constitution ou 8 à 11 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme), soulignent expressément la réserve de la loi.

En dehors des cas où le constituant a prescrit l'exclusivité de la législation formelle, la réserve de la loi ne s'oppose pas en principe à la délégation législative, c'est-à-dire au transfert des compétences du Parlement à l'administration. Ce procédé est inévitable à cause de la lourdeur de la procédure parlementaire et de l'impossibilité pour une

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grande assemblée d'envisager toutes les conditions concrètes d'application d'une norme. Au reste, la sécurité du droit n'est pas compatible avec des lois formelles si complexes et détaillées qu'elles seraient constamment soumises à revision. La séparation des pouvoirs commande toutefois qu'une délégation soit décidée clairement par le législateur selon le mode ordinaire d'adoption des lois formelles. Elle ne saurait, par imprécision, aggraver la situation juridique des destinataires de la norme, contrairement à ce que l'auteur de celle-ci a voulu. Ce devoir de précision est d'autant plus impératif que les normes dont la confection est laissée aux autorités inférieures sont susceptibles de toucher aux droits constitutionnels des citoyens.

Le Conseil d'Etat du canton de Fribourg a transféré aux communes, par voie d'arrêté, un certain nombre de tâches qui incombent aux cantons en vertu de la loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection de l'environnement. Il a chargé les "communes urbaines" d'établir le cadastre de bruit pour les sections des routes cantonales à l'intérieur de leurs localités. Les communes de Fribourg et de Bulle ont formé un recours de droit public contre cet arrêté pour violation de leur autonomie, incompatible selon elles avec le transfert d'une tâche coûteuse dont l'accomplissement aurait incombé au canton en vertu de la loi sur les routes. Le recours a été admis parce que l'exécutif cantonal avait excédé ses compétences en mettant à la charge des recourantes tous les frais d'établissement du cadastre de bruit. Certes, l'arrêté critiqué reposait sur un texte légal qui soumettait la ville de Fribourg et les chefs-lieux à un traitement particulier pour la répartition des tâches routières entre canton et communes. Mais la loi n'avait pas institué un régime spécial pour la répartition des frais occasionnés par les tâches routières que les communes urbaines accomplissent en faveur du canton à l'intérieur de leurs localités (ATF 115 la 42, Communes de Bulle et Fribourg).

Selon l'article 30 chiffre 3 de la constitution valaisanne, les lois et les décrets élaborés par le Grand Conseil sont soumis à la votation du peuple, à l'exception des décrets qui ont un caractère d'urgence, ou qui ne sont pas d'une portée générale et permanente. Cette exception doit dans chaque cas particulier faire l'objet d'une décision spéciale et motivée. Le Grand Conseil a modifié la loi cantonale sur la santé publique, afin de réglementer la participation financière des collectivités publiques aux

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frais d'investissement et d'exploitation des établissements samta1res publics. Se fondant sur cette novelle, acceptée par le corps électoral, le Grand Conseil a adopté un important décret sur le subventionnement des hôpitaux et la planification sanitaire et hospitalière. Le Tribunal fédéral a rejeté un recours de droit public dirigé contre ce décret pour violation des droits politiques au sens de l'article 85 lettre a de la loi sur l'Organisation judiciaire. Il a jugé que la délégation en faveur du Grand Conseil contenue dans la loi modifiée - bien que fort large - était suffisante et que, partant, les exigences de l'article 30 chiffre 3 de la constitution cantonale avaient été respectées (arrêt non publié T. du 23 août 1990).

Nous laisserons de côté les conséquences de l'immunité des articles 113 et 114bis alinéa 3 de la Constitution sur le contrôle de la légalité des ordonnances prises par les autorités administratives à partir d'une délégation contenue dans les lois formelles de la Confédération. Nous rappellerons simplement que le Tribunal fédéral n'a pas à examiner la constitutionnalité d'une telle délégation, la séparation des pouvoirs, renforcée de façon discutable par ces deux dispositions, l'obligeant de toute manière à respecter le pouvoir d'appréciation que la loi formelle accorde au délégataire (ATF 116 V 58 consid. 3b, S. S.A.). Le Tribunal fédéral eût-il admis sans cela la constitutionnalité de l'article 1 de l'or- donnance d'exécution de la loi forestière adopté en exécution de la loi forestière4 plus de soixante ans après son entrée en vigueur pour donner à la notion de forêt un sens qui ne résulte pas d'une lecture attentive de la loi ? On connaît les vastes conséquences économiques, en particulier pour les régions de montagne, de cette démarche du Conseil fédéral, accomplie sur la base d'une norme qui l'autorisait simplement à édicter "les ordon- nances d'exécution nécessaires" ! Cette réflexion n'est nullement incom- patible avec notre appréciation positive de l'opportunité de l'article 1er de l'ordonnance d'exécution de la loi forestière dans sa teneur actuelle.

4 Celle-ci se borne à distinguer forêts publiques et privées ou forêts protectrices et non protectrices, sans préciser autrement ce qu'il faut entendre par l'aire forestière de la

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b. Notions juridiques imprécises ou indéterminées

On pourrait penser à première vue qu'une norme laissant un large pouvoir d'appréciation à l'autorité d'application ou contenant des notions juridiques indéterminées ne constitue pas une base légale claire légitimant, dans l'intérêt public, une atteinte grave aux droits fondamentaux. La conclusion serait trop absolue. Certes les droits fondamentaux sont toujours menacés par des règles de droit dont le but est défini de manière trop vague. Il suffit néanmoins de ce point de vue que les circonstances d'application de la norme soient envisageables dans toute la mesure requise par les circonstances et que ses effets soient prévisibles. Sous l'angle des droits démocratiques, il suffit aussi que le destinataire n'ait pas de raisons objectives de se sentir trompé au moment de son application.

Or le législateur ne peut envisager dans toute leur diversité possible les cas d'application d'une norme qu'il adopte. Le pays n'est de toute façon gouvernable que si la loi confère aux autorités d'exécution un certain pouvoir ou une certaine marge d'appréciation.

Les règles du droit cantonal qui définissent les conditions auxquelles est soumise la détention d'un prévenu font appel à des notions juridiques indéterminées tels les besoins de l'instruction ou les risques pour la sécurité publique. Elles laissent au juge le soin d'apprécier si ces conditions sont réunies en tenant compte de toutes les circonstances personnelles et matérielles de l'espèce. Elles n'en constituent pas moins des bases légales assez claires pour légitimer des restrictions graves à la liberté personnelle. Elles encadrent en effet le pouvoir d'appréciation et la latitude de jugement dans un espace minimal à l'intérieur duquel l'autorité d'application doit agir avec une objectivité parfaite, et elles exposent sans équivoque les conséquences de la réunion des conditions qu'elles énoncent.

Cela dit, il n'est ni sain, ni conforme au principe démocratique et à la séparation des pouvoirs, que le législateur recoure de manière abusive aux notions juridiques indéterminées et démissionne ainsi de ses fonctions essentielles. De ce point de vue, certaines dispositions de la législation en matière de protection de l'environnement et de la nature sont propres à déconcerter praticiens et théoriciens.

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L'article 8 de la loi sur la protection des eaux contre la pollution est censé régler le sort des frais des mesures de sûreté que les autorités compétentes prennent pour empêcher une pollution immédiate des eaux, déterminer l'existence d'une telle pollution ou y remédier. Il dit simplement que ces frais peuvent être mis à la charge de ceux qui en sont la cause mais ne donne aucune indication sur les règles de responsabilité applicables. Ce texte confère au juge un large pouvoir créateur. C'est donc le juge qui fait en définitive la loi et la loi qu'il fait n'est ni des plus sûres, ni des plus égalitaires, ni des plus prévisibles puisqu'il la fait sur la base des cas qui se présentent à lui. Les variations de la jurisprudence sur l'article 8 de la loi sur la protection des eaux contre la pollution sont à cet égard fort éloquentes même si elle paraît s'être fixée aujourd'hui sur l'idée d'une responsabilité subsidiaire du perturbateur par situation pour les frais qui ne peuvent être mis à la charge du perturbateur par comportement (ATF 114 lb 50/51, Firma X.).

Les articles 18 et suivants de la loi sur la protection de la nature et du paysage veulent prévenir la disparition d'espèces animales et végétales indigènes, notamment par le maintien d'un espace vital suffisamment étendu, les biotopes. Ce sont les cantons qui veillent à l'exécution de cette tâche, découlant de l'article 24sexies de la Constitution et précisée au moment de l'adoption de la loi fédérale sur la protection de l'environnement. Le droit fédéral n'en est pas moins immédiatement applicable, mais l'imprécision de la notion de biotope en réduit de beaucoup l'effet protecteur direct. C'est particulièrement regrettable lorsque les cantons, qui n'ont pas l'obligation de légiférer dans un délai déterminé, n'ont pas inventorié les objets à protéger ou n'ont pas adopté des mesures adéquates pour leur sauvegarde (arrêt X. et consorts du 9 mai 1990, destiné à la publication).

c. Un cas spécial : l' "effet anticipé négatif d'une norme"

L'interdiction absolue de construire sur un bien-fonds qui, sous tous aspects, doit être considéré comme un terrain à bâtir est une atteinte grave à la propriété ; elle exige, partant, une base légale claire. Une appréciation objective de l'intérêt public peut justifier qu'une telle mesure soit prise avec effet immédiat par la voie d'un déclassement. Or, la

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procédure de modification d'un plan est longue. Elle ne sera souvent pas achevée dans des délais assez courts pour que l'intérêt public à un aménagement rationnel du territoire soit sauvegardé. Cette sauvegarde exige donc une sorte de moratoire dans l'application du droit en vigueur.

Contrairement à la terminologie usuelle, on ne se trouve pas en présence de l'effet anticipé négatif du droit plus restrictif à venir - ce qui serait absurde surtout lorsque la réglementation future n'est pas encore connue - mais d'une mesure provisionnelle qui suspend l'efficacité du droit en vigueur pendant la période nécessaire à l'adoption du nouveau droit. Une telle suspension, qui met en question la garantie de la propriété et divers règles et principes dégagés de l'article 4 de la Constitution tels la protection de la bonne foi et la sécurité du droit, n'est admissible que si elle a sa base dans une norme qui en fixe les conditions de manière claire (en exigeant notamment qu'il y ait péril en la demeure, que la mesure de blocage soit limitée dans le temps, et que les intentions de l'autorité de planification soient sérieuses -ATF 112 lb 105, R.).

C'est un cas typique où l'on doit admettre que le principe de l'intérêt public l'emporte momentanément sur celui de la légalité. Il est aisé de comprendre que les communes, là où elles sont autonomes, disposent d'un tel moyen de se prémunir par exemple contre un projet qui tendrait à les transformer en cités-dortoirs par une utilisation maximale des possibilités qu'offre une zone à bâtir dont ce projet révèle l'inadaptation à leurs besoins (arrêt non publié B. du 18 janvier 1989).

d. Deux autres cas particuliers

La réserve de la loi est aussi relativisée dans des circonstances extraordinaires.

aa) Les rapports de droit spéciaux

Certaines catégories de citoyens, étudiants, détenus, patients ou pensionnaires d'établissements publics, fonctionnaires ou militaires sont soumis à des rapports de droit spéciaux. La tendance actuelle est d'étendre l'exigence de légalité en faveur de ces catégories. La portée des rapports

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de droit spéciaux a notamment été sensiblement atténuée dans des arrêts concernant les étudiants et les détenus, voire les patients des établissements publics médicauxs.

La liberté personnelle donne aux individus le droit de prendre des dispositions pour le sort de leur dépouille et à leurs proches le droit de s'opposer à des actes médicaux pratiqués sur elle. Une autopsie ne peut donc être décidée à défaut du consentement préalable du défunt ou de l'accord de ses proches, à moins que des raisons évidentes d'intérêt public n'imposent cette intervention. Cela vaut aussi pour les patients qui séjournent dans des établissements médicaux publics, du moins en l'absence d'une base légale claire donnant plus de pouvoir aux médecins y opérant. La bonne marche d'un hôpital public et l'égalité commandent certes aux patients de renoncer en principe au libre choix du médecin et d'accepter tant les conditions d'hébergement que le tarif des prestations.

Mais le rapport de droit spécial qui les lie à l'Etat ne suffit pas pour habiliter le personnel soignant à accomplir, sans leur agrément, des actes

médic~ux proprement dits (ATF Ill la 231, Himmelberger).

bb) Le pouvoir général de police

L'autorité se trouve parfois en présence d'un danger soudain et sérieux pour l'ordre ou la sécurité publics, qui revêt des formes que le législateur n'a pu envisager. Elle dispose, pom: y parer, du pouvoir général de police qui découle d'un postulat constitutionnel en vertu duquel l'Etat ne saurait être paralysé devant une situation de ce genre. Le pouvoir général de police est un succédané du principe de la légalité. TI a un caractère exceptionnel et l'autorité qui en use doit le faire avec retenue dans le respect du principe de la proportionnalité. L'état de nécessité ne justifie pas tout et l'apophtegme "Not kennt kein Gebot" n'a pas d'actua- lité en démocratie. Seul le besoin urgent de protéger des biens juridiques fondamentaux directement et réellement menacés de façon grave permet une intervention dans le champ des libertés en l'absence d'une base légale.

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Il est sans doute loisible à l'autorité administrative de se fonder sur Sur ce point, nous renvoyons le lecteur à la contribution de R. ZIMMERMANN au

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le pouvoir général de police pour interdire une manifestation qui risque sérieusement de dégénérer par suite d'une provocation grave. Mais peut- elle se prévaloir des risques de troubles sociaux susceptibles de dégénérer en manifestations brutales pour refuser d'exécuter une décision d'expulsion rendue contre les occupants illicites de groupes d'appar- tements que les propriétaires se refusent à mettre sur le marché ? En l'absence d'une loi cantonale obligeant les propriétaires à louer les appartements vides (nous n'avons pas à discuter ici la constitutionnalité d'une telle obligation), le pouvoir général de police ne légitimerait en tout cas un refus d'exécution qu'après une pesée fort délicate des intérêts et une appréciation rigoureuse des circonstances concrètes (arrêt non publié P. du 21 novembre 1990).

IV. CONCLUSION

"Quelle énergie pour arriver à la conclusion que l'Etat est soumis à la loi ! " La boutade sera notre épilogue. Le colloque que nous avons eu l'honneur d'introduire déboucherait-il sur cette évidence qu'il n'aurait pas été vain. En un temps où la puissance d'Etat s'exerce sous la pression constante d'intérêts publics parfois contradictoires dont la sauvegarde est toujours urgente, le juriste se doit en effet de rappeler sans cesse qu'en dehors de la loi, il n'est ni liberté, ni ordre, ni progrès social. Sans doute la loi n'est-elle pas un fétiche ; ensemble de règles générales et abstraites qui expriment directement ou indirectement la volonté du peuple, elle porte en elle des germes de confusion, de contradiction et de déséquilibre. Sans doute aussi le peuple ne s'est-il emparé que d'une souveraineté limitée par le nombre, même si des foules confuses ont été jadis tentées de s'écrier : "le roi est mort, vive la loi". Cette fragilité explique peut-être le propos désabusé de constitutionnalistes de valeur qui en viennent à classer l'Etat de droit parmi les concepts prétentieux (AUER 1990: 55 ss). Mais le praticien, réducteur de concepts par mé- tier, n'exige pas de la loi plus que ce que l'on peut exiger de toute oeuvre humaine. Il apprend chaque jour à voir en elle la barrière la plus solide contre les abus de pouvoir dont l'histoire ancienne et récente montre que, généralisés, ils conduisent à la dégradation profonde des sociétés.

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BIBLIOGRAPHIE

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