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Comment concilier militantisme et recherche scientifique

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Texte intégral

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Master

Reference

Comment concilier militantisme et recherche scientifique

AGUILAR, Nahuel

Abstract

J'ai travaillé durant cinq mois à Gaea21, c'est une association écologique à but non lucratif ayant pour objectif de promouvoir le développement durable et de faire appliquer l'agenda 21 de la cop21 pour le climat.

AGUILAR, Nahuel. Comment concilier militantisme et recherche scientifique. Master : Univ. Genève, 2018

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:114226

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Nahuel Aguilar

Comment concilier militantisme et recherche scientifique

Rapport de stage et mémoire de master

Nahuel Aguilar

Décembre 2018

Université de Genève en partenariat à l’association Gaea21

Mémoire de Master en socioéconomie sous la direction de Jean-Michel Bonvin

Université de Genève –Département de sociologie www.unige.ch/sciences-societe/socio

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Table des matières

-Introduction page 5

- Déroulement du stage de master: page 7

-Collecte des données page 8

- Objectif de la collecte des données page 11

-Partie théorique page 14

- La vision objective simple à assimiler ? page 14

- Forte charge émotionnelle des idées reçues page 15

- Défaire les mythes page 16

- Est-il possible d’être entièrement objectif ? page 18 - Les émotions fortes gênantes pour l’objectivité page 19 - Se défaire de ses propres déterminismes et intérêts page 20

- Comment analyser un sujet ? page 22

- Ne pas trop isoler un sujet page 23

- Possibilité de parti pris page 24

- La neutralité axiologique, un leurre ? page 26

- Les différentes formes de sociologies page 28

- La sociologie est-elle critique ? page 30

- De quoi la sociologie critique a t-elle besoin ? page 31

-La critique pousse à l’engagement page 32

- Concilier militantisme et recherche professionnelle page 34 - Les avantages de l’engagement pour la recherche page 35 - La complémentarité des statuts de militant et de chercheur page 36 - Exemple de conciliation entre démarche scientifique et militantisme :

cas de l’écologie française page 38

- Auto-analyse par les militants-chercheurs page 39

- Profil des chercheurs-militants page 41

- Synthèse partie théorique page 42

- Tableau récapitulatif partie théorique page 43

- Partie empirique : Application à mon travail page 45

- Méthodologie de la récolte des données page 46

-Statut de chercheur-militant page 47

-Meilleur accès à des informations sur le mouvement page 50 - Faire des analyses objectives d’un mouvement ou le soutenir :

un faux dilemme page 52

-Fonctions pour moi de la sociologie page 53

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-Circularité auto-entretenue page 54

- Engagement et objectivité scientifique page 55

- Engagement et objectivité scientifique page 56

-Tableau récapitulatif partie empirique page 58

- Conclusion page 60

-Bibliographie page 61

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Introduction

Ce mémoire de master retrace une question qui se pose souvent dans le milieu de la recherche : peut-on être engagé pour une cause et rester scientifiquement objectif ? Cette question se pose surtout pour les sciences sociales pour lesquelles contrairement aux sciences naturelles, il n’y a pas de critères d’objectivité et il est impossible d’établir des lois fonctionnant dans l’absolu. L’idée que l’objectivité implique la neutralité par rapport à son sujet est très forte et enseignée dans de nombreux cours. Car il y a l’idée qu’une personne ayant un intérêt positif ou négatif pour un sujet va biaiser ses

observations pour aboutir aux conclusions qu’elle souhaite, qu’elle ne va pas

mentionner certains faits ou qu’elle va carrément falsifier ses résultats dans le but de servir sa cause. Il est donc attendu des chercheurs qu’ils soient neutres vis-à-vis de leur sujet, afin d’éviter tout biais. Cela est d’autant plus difficile que dans la recherche un

« engagement » n’est pas compris au seul sens de militant d’une cause, mais peut aussi être inconsciemment mené par une personne convaincue d’être apolitique, car le simple fait de préférer certaines valeurs à d’autres comme préférer la solidarité à la

compétition est déjà un engagement et un parti pris.

Mais il est également reconnu y compris dans de nombreux cours d’université qu’il est impossible d’être entièrement détaché de son sujet de recherche. Il est aussi reconnu que dans les sciences sociales il est impossible d’être entièrement neutre puisqu’il y a toujours des valeurs et des intérêts dans les comportements humains.

Que faire alors : s’efforcer d’être neutre ou assumer son engagement et tenter de le concilier avec une démarche objective ?

Dans ce travail nous allons tenter de répondre à cette question à l’aide d’un cas concret que j’ai personnellement effectué avec mon stage de master au sein de l’association écologiste Gaea21. J’étais engagé en tant que « sociologue », j’étais aussi officiellement

« militant » pour la promotion d’un mode de vie écologique que prône l’association. Je ne devais pas seulement faire des recherches apportant des informations, mais aider à convaincre des personnes de changer de mode de vie. J’étais donc dans cette situation de devoir concilier une démarche de recherche et d’engagement.

Pour commencer j’expliquerai dans ce mémoire les statuts et le fonctionnement de l’association, ainsi que mes tâches au sein de l’association. Dans la partie théorique, je ferai référence à des textes qui analysent cette situation de mélange entre l’engagement et l’objectivité. D’autres qui expliquent pourquoi il est si difficile d’être neutre par rapport à un sujet. Comment font les chercheurs qui ont choisi de concilier les deux, mais aussi pourquoi il est important de prendre en compte l’aspect émotionnel d’un sujet intellectuel.

Ensuite, j’expliquerai dans la partie empirique en me référant aux textes de la partie théorique comment je faisais pour concilier dans mon stage ces deux démarches qui semblent opposées et en quoi mes méthodes, utilisées pendant mon stage, se

retrouvaient dans celles de chercheurs cités dans la partie théorique.

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Enfin je conclurai en expliquant que l’engagement est en fait un avantage pour la recherche à condition qu’il ne soit pas mené au détriment de l’objectivité scientifique.

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Déroulement du stage de master

J’ai travaillé durant cinq mois à Gaea21, c’est une association écologique à but non lucratif ayant pour objectif de promouvoir le développement durable et de faire appliquer l’agenda 21 de la cop21 pour le climat. Son nom « Gaea » vient du grec et signifie « Gaïa » la Terre-mère et « 21 » fait référence à l’agenda 21. Elle a été fondée en décembre 2005 par l’économiste Yvan Claude spécialiste de l’agenda 21, la biologiste Ioana Tudose et l’environnementaliste Ewa Mariéthoz. Elle tente d’agir à trois niveaux de la société : individu, association/administration et entreprise, en promouvant l’économie verte et circulaire. En fournissant aux personnes, aux entreprises et aux associations des programmes leur permettant de mesurer leur impact sur

l’environnement et des informations pour améliorer leur bilan écologique : éco-

coaching, programme permettant de trouver plus facilement des fournisseurs ayant un faible impact écologique… Elle propose entre autre une application permettant de trouver des commerces écologiques (bio, zéros déchets, produits locaux) à proximité.

Elle est dépourvue de local fixe, n’ayant aucun membre rémunéré et fonctionnant uniquement avec des bénévoles et des stagiaires comme je l’étais. Toutes les réunions sont faites par vidéos-conférences et les rencontres ludiques entre membres dans un bar une fois par mois.

Je travaillais à 50% soit en moyenne 20 heures par semaine du 2 août au 2 janvier.

J’étais officiellement sociologue au sous-département « d’éco-consommation » du département « Observatoire », c’est à dire le département chargé des observations scientifiques en lien avec la durabilité et le sous-département qui étudiait l’impact écologique des modes de consommation. J’étais chargé dans ce sous-département de créer des indicateurs de mesures permettant d’étudier les comportements des

consommateurs et leurs impacts sur l’environnement. Je devais également contribuer à rédiger des questionnaires individuels et collectifs sur les comportements écologiques, ainsi que faire des schémas liant entre eux les différents concepts économiques et sociologiques influençant les comportements écologiques. Par exemple, former un schéma sur les facteurs qui détermine le choix du moyen de transport pour se déplacer et la pollution générée, ce qui incluait la distance entre le domicile d’une personne et son lieu de travail, la qualité et le prix des transports en commun existant, la densité du trafic sur le trajet, la possibilité de faire du covoiturage ou d’obtenir une subvention pour l’achat d’un vélo électrique… Cela formait des schémas très complexes.

J’ai aussi été affecté à un travail pour le « Département d’économie » au milieu de mon stage à partir du mois d’octobre jusqu’à fin décembre. Dans lequel j’aidais à créer un tableau d’indicateurs économiques prévus pour permettre d’évaluer le niveau de durabilité d’une commune. Ce qui comprenait la source de l’électricité consommée par la commune, la quantité de Watts consommés par habitants, la présence ou non de

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circuits courts, le traitement des déchets par la commune... À ces facteurs mesurant le bilan écologique d’une commune étaient ajoutés d’autres qui mesuraient les possibilités de conversion écologiques : la puissance des vents pour l’énergie éolienne, le nombre de jours ensoleillés dans l’année pour l’énergie solaire… et des facteurs mesurant la santé économique de la ville pour évaluer ses moyens de développement : taux de chômage, revenus médians et moyens des habitants… En principe quelqu’un de spécialisé dans l’économie aurait dû s’occuper de ce poste, mais comme il n’y avait personne durant cette période ayant ce type de compétences et que j’avais des notions d’économie, on m’a proposé ce poste. Qui n’était pas simple au début car c’est la sociologie et non l’économie ma spécialité, mais avec des bonnes explications sur ce que l’on attendait de moi pour ce travail j’ai pu l’accomplir correctement.

Le travail se faisait exclusivement à domicile par télétravail sur un programme de Google Chrome dans lequel les dossiers étaient partagés entre membres de l’association.

Les séances et les travaux de groupe se faisaient par vidéo-conférence via Skype et Hangeouts. J’ai dû aussi bien travailler seul qu’en équipe. Le travail en équipe consistait surtout à discuter ensemble de la mise en forme des questionnaires, via Hangeouts avec partage de l’écran pour discuter ensemble de chaque modification. Chaque semaine nous devions inscrire sur un tableau nos heures de travail effectuées chaque jour, le type de travail accompli et les travaux en cours avec leurs délais. Ce système nous permettait aussi de faire nos plannings pour la semaine à venir.

Collecte des données

L’un des objectifs de l’association est de collecter le plus d’informations sur les personnes en prenant en compte leur profil : âge, genre, origine, classe sociale, statut matrimonial... tout les questionnaires individuels comme collectifs avaient au début une section avec des questions sur le profil sociologique. Qui sont suivit de questions sur les comportements ayant un impact sur l’environnement et pour chaque réponse le niveau de durabilité du dit comportement.

Un autre objectif de la collecte d’information est de pouvoir comparer le profil

sociologique des personnes, la durabilité de leur mode de vie, et les motivations de leur choix de vie ayant un impact sur l’environnement afin de mieux en comprendre les influences. Par exemple à quel point la distance entre le domicile et le lieu de travail encourage l’usage d’une voiture individuelle ? Ou es-ce que les personnes de tel ou tel profil sont plus sensibles à l’idée de faire du sport et des économies grâce à l’usage du vélo ? Les données précises sur le profil des personnes morales et physiques permettent aussi de connaître leurs possibilités de réduire leur empreinte écologique, car il faut tenir compte des contraintes qui imposent certains comportements peu durables. Cela

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permet de mieux adapter les arguments selon les profils, les possibilités et les motivations pour les convaincre d’adopter un mode de vie plus durable.

Cerner les motivations autres qu’écologiques des personnes est primordial pour cette association car pour convaincre des personnes qui ont une faible sensibilité pour l’écologie et qui forme une large portion de la population, il faut les motiver en donnant des réponses à leur préoccupation pour qu’une vie écologique ne leur paraisse pas un calvaire et mieux les convaincre d’adopter un mode de vie écologique.

Ces questionnaires sont aussi conçus pour évaluer la durabilité du mode de vie d’une personne, d’un groupe ou d’une entreprise, tous les aspect de la vie de la personne ou la politique de commune sont évalués un à un, pour évaluer à la fois le niveau de durabilité de l’ensemble de la vie et celui de certains gestes ou politiques. Cela permet aux

personnes, aux entreprises et aux communes, d’évaluer elles-mêmes leur niveau de durabilité et de cerner les aspects dans lesquels elles peuvent s’améliorer. Pour chaque réponse dans les questionnaires impliquant un comportement peu durable, un

commentaire est écrit à côté. Ces commentaires préviennent du caractère non durable du comportement et propose une ou plusieurs idées pour adopter un comportement plus durable avec des arguments ne fessant pas référence qu’à l’écologie. Par exemple encourager le covoiturage pour une personne qui se déplace seul en insistant sur les économiques d’argent et la vie sociale que cela permet.

Pour se faire l’association développe entre autre des questionnaires individuels et collectives sur les comportements liés à l’environnement. Sur des thématique tel que le transport et les déplacement, l’alimentation, le voyage, le logement… qui représentent pratiquement toutes les activités humaines susceptibles d’avoir un impact sur

l’environnement. Ces questionnaires sont soit individuels et ne sont remplit que par une seule personne qui ne parle que pour elle-même, soit collectif et dans ce cas recueille les comportements d’un groupe de personnes vivant ensemble ou étant très liés, selon les cas il s’agit d’une famille, d’un ménage/colocation ou d’un groupe d’amis. Pour chacun de ces groupes possibles un questionnaire est adapté. Ces questionnaires posent des questions sur les différentes pratiques de la ou des personnes qui le remplissent concernant les activités citées plus haut ayant un impact sur l’environnement. Par exemple le questionnaire individuel sur le transport et les déplacements demande avec quel moyen de transport la personne qui répond se rend habituellement à son travail.

Pour chaque question il faut envisager toutes les réponses possibles et pour chacune d’entre elle mettre un niveau de durabilité et un commentaire. Le niveau de durabilité pour chaque réponse indique si le comportement indiqué par la réponse est durable ou non et si non à quel point il est peu durable avec une échelle de graduation allant de 1 pour signifier le maximum en terme de durabilité à 6 pour le moins durable. Cela permet d’avoir pour chaque geste une idée de son impact sur l’environnement et d’avoir une idée précise des comportements que la ou les personnes qui répondent doivent adopter pour réduire leur impact sur l’environnement.

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Les commentaires à la suite de chaque réponse permettent d’encourager les personnes ayant les comportements les plus écologique à continuer ou au contraire si leurs

comportements n’est pas écologique la conseiller de changer et dans ce cas comment.

Pour conseiller une personne de changer de comportement, il faut mettre en avant une ou plusieurs méthodes alternative qui soit simple à appliquer pour ne pas dissuader la personne du geste et utiliser quand s’est possible d’autres arguments que celui d’être plus écologiste. Il faut leur parler par exemple du fait de faire du sport (par exemple pour le vélo), de manger plus sainement, de faire des économies ou d’avoir d’avantage de vie sociale par rapport à un autre geste. Il est préférable pour ce travail

d’encouragement de faire appel à des personnes ayant déjà eu un parcours consistant à passer d’un mode de vie peu durable à un mode de vie durable et qui ont tenté de convaincre d’autres personnes de faire de même, afin de mieux connaître les arguments qui les ont convaincus de changer de mode de vie et lesquels elles ont utilisés pour essayer d’en convaincre d’autres de changer. La majorité des personnes ayant une activité dans l’association correspondait déjà à ce profil, il n’était donc pas nécessaire d’en chercher à l’extérieur de l’association, simplement de discuter entre nous. Cela permet de mieux comprendre comment convaincre des personnes qui découvrent les gestes écologiques ou qui n’ont pas un sens profond de l’écologie. En brisant par

exemple l’idée reçu que les gestes écologiques demandent forcément des gros sacrifices en terme d’effort de temps et d’argent, alors que nombre d’entre eux sont au contraire simple, rapide et même économiques.

Les commentaires doivent aussi prendre en compte la situation de la personne et les difficultés que cela implique, par exemple si une personne vit loin de son lieu de travail, il est plus difficile de l’encourager de s’y rendre à vélo tout les jour. Il vaut donc mieux lui suggérer de prendre les transports en commun, un vélo électrique ou de faire du covoiturage en lui expliquant que cela est plus économique et permet de partager ses trajets avec d’autres personnes. Il faut aussi expliquer de manière résumée comment les mettre en pratique, par exemple pour le covoiturage donner des exemples de site

internet de covoiturage ou pour le vélo électrique faire référence aux subventions publiques. Le chemin vers un mode de vie plus écologique ne doit pas être présenté comme un calvaire, mais au contraire comme un moyen d’être plus heureux.

Une autre méthode destinée aux communes est de former des tableaux d’indicateurs sur les différentes activités, mesures ou structures économiques de la commune. Par exemple la production d’électricité, l’encouragement à la production agricole locale.

Avec là aussi des commentaires fessant valoir pour les mesures durables les avantages autres qu’écologiques, par exemple dans le cas de l’agriculture bio et local la nourriture plus saine et les retombés pour l’emploi.

Dans tous les cas le fait de proposer aux communes et aux personnes des systèmes pour évaluer elles-mêmes leur niveau de durabilité permet de rendre ce système gratuit et plus accessible et ainsi d’encourager l’évaluation de la durabilité et le fait de chercher des moyens de rendre sa vie ou sa commune plus durable.

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Les méthodes de collectes des données sont selon les cas individuelles ou collectives et adaptées autant que possible à chaque situation.

D’autres questionnaire individuels et collectifs sont fait sans rapport direct avec l’écologie sur par exemple le bien être ou la vie sociale. Afin d’évaluer les liens entre un mode de vie durable et le bien être. Pour éventuellement démontrer à des personnes qui ont des aprioris sur les modes de vie écologique que se n’est pas un mode de vie qui rend malheureux.

La méthodologie de la collecte des données est essentiellement qualitative : il n’y a pas encore eu de grande enquête. Mais surtout une création de questionnaire prenant en compte tous les aspects de la vie d’une personne pouvant influencer son empreinte écologique. Une vingtaine de questions peuvent être posé dans un même questionnaire.

La méthodologie n’est pas non plus qualitative au point d’être mené avec des entretiens individuels. En fait au moment où j’effectuais mon stage les recherches à l’aide des questionnaires étaient au stade de projet.

Objectif de la collecte des données

La méthode de collecte des données à Gaea21 contrairement à d’autres organisations n’est pas faite dans un projet purement scientifique de recherche d’information, mais dans un objectif pratique d’agir sur les opinions et cela ouvertement. La façon dont sont rédigés les questionnaires quelque soit le thème des questions et les personnes ou groupes auxquels ils sont adressés est très orientée. Il n’y a pas que des questions, il y a aussi des évaluations pour chaque geste et pour l’ensemble qui présent tel personne ou tel groupe qui répond comme ayant ou pas un comportement durable, ainsi que des consignes pour indiquer à la personnes qui répond comment elle devrait changer ou si elle doit continuer comme elle fait. Contrairement à une recherche de type scientifique la présentation n’est absolument pas neutre : des consignes sont données à côté de chaque réponse afin d’encourager un comportement plus écologique. Les consignes sont données dans un ton encourageant plutôt que moraliste et en tenant compte de la

situation de la personne, mais s’est clairement orientée. Ce qui est normal pour une association clairement orientée en faveur d’une cause, dans ce cas l’écologie, ce qui ne le serait pas pour une enquête mené par un centre de recherche publique par exemple qui se doit d’être neutre.

Les questionnaires étaient réalisé par la conciliation de deux équipes, une constituée de personnes formés dans les sciences sociales comme la sociologie, celle dont je fessais partie, et une autre constitué de personnes formés dans des sciences naturelles ou des matières qui en dérivent comme l’ingénierie ou la biochimie. Les membres de l’équipe

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spécialisés dans les sciences naturelles devaient expliquer quels sont les aspects de la vie ayant le plus d’impact sur l’environnement avec les alternatives possibles et l’équipe des personnes spécialisés dans les sciences sociales comme moi devaient ajuster la forme des questions et des réponses pour la rendre le plus agréable possible tout en gardant des questionnaires assez précis et prenant en compte suffisamment d’éléments.

Je devais par exemple avec mon équipe écrire les questions sous une forme simple à comprendre, pour les réponses proposer selon les cas des réponses ouvertes, des réponses à choix multiples, des réponses gradués allant par exemple de « jamais » à

« toujours » et m’assurer que toute personne qui remplirait le questionnaire saurait quoi répondre. Pour par exemple une question sur le type d’isolation thermique du domicile nous avons énuméré toutes les possibilités d’insolation et avons ajouté pour chacune une image du type d’isolation afin de faciliter la réponses car peu de personne

connaissent le nom du matériel de leur isolation, alors mettre une image permettait de faciliter la tâche. Nous ajoutions aussi des précisions pour que chaque question et réponse soient claires, nous évitions les termes imprécis et subjectif du type « souvent » ou « rarement » et écrivions à la place par exemple « une ou deux fois par semaine ».

Nous avons de nombreuses fois renoncé à certaines questions qui auraient pu renseigner d’avantage d’un point de vue technique sur l’empreinte écologique des personnes, mais qui étaient jugées trop compliqué pour y répondre comme celle sur le type de viande et de poisson le plus consommé (l’empreinte écologique n’est pas la même pour la production de viande de bovin, de porcs ou de volaille). D’autant plus qu’il fallait s’assurer que les questionnaires ne soient pas trop longs et donc sélectionner les questions à la fois les plus utiles et les plus simples. Mes connaissances de la

méthodologie en sociologie ont été très utiles pour cette tâche.

D’autres questionnaires développés par l’association traite de la dépression, du sentiment d’épanouissement, de la vie sociale, de la vie culturelle et la santé. Ces

questionnaires dont les questions n’ont pas directement trait à la durabilité ont pour but de faire des liens entre le sentiment d’épanouissement et un mode de vie durable ou pas.

Si les observations montraient un lien positif entre durabilité, épanouissement personnel et activité culturelle : qu’une vie plus durable serait aussi une vie plus heureuse, cela permettrait de mieux argumenter en faveur d’un mode de vie plus

écologique et de casser l’image de la vie écologique qui implique des sacrifices difficiles.

Par exemple, s’il était démontré que les personnes ayant un mode de vie durable sont aussi en meilleur santé du fait de plus de déplacements à vélo et/ou à pied cela pourrait encourager les comportements plus durables. Toutefois dans l’association même cette idée est controversé et fait régulièrement l’objet de polémique entre les différents niveaux de la hiérarchie. Cette idée est considérée par beaucoup comme mauvaise car elle consiste à mettre en lien des objets qui n’ont en soi pas de liens avec l’écologie comme le fait de participer à des événements culturels comme les pièces de théâtres ou la vie sociale. Quand j’ai terminé mon stage ce type de questionnaires était encore en cours et aucun lien n’a pu être fait entre une vie durable et une vie social ou épanouie.

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Partie théorique

La vision objective simple à assimiler ?

Elias explique que dans les sociétés modernes la vue dite « scientifique » est considérée comme la seule valable pour analyser les phénomènes naturels comme sociaux. Cette vision implique de considérer les événements naturels comme des phénomènes

inanimés, dont on peut expliquer le fonctionnement (le comment), mais pas la raison (le pourquoi) puisqu’ils ne sont pas guidés par une quelconque conscience. Dans les

sociétés modernes cette vision est vue comme allant de soi. Toutefois, elle est en réalité arrivée très tardivement dans l’histoire et elle est dominante seulement dans les

sociétés modernes et encore elle a durant longtemps coexisté avec des visions dites

« animistes » ou superstitieuses. Encore aujourd’hui et même dans les sociétés dites modernes pour certains domaines les explications scientifiques sont concurrencées par des explications non scientifiques. Il donne l’exemple de la politique dans laquelle l’imaginaire et le réel sont publiquement mélangées (Elias, 1983, p.98). La vision objective ou scientifique est le résultat d’une longue histoire de développement des sciences et elle n’a rien d’évidente, elle est au contraire difficile à assimiler. « Les hommes élevés dans une tradition physicaliste ont l’habitude de chercher des explications dans de pures relations mécaniques de cause à effet. Dans ce cadre de pensée, l’univers entier apparaît comme un amas de processus individuels

ontologiquement indépendants » (Elias, 1983, p.79). Elias explique que les hommes des sociétés qui n’ont pas atteint un haut niveau de science, ne voient pas le monde comme un ensemble d’événements purement mécaniques et sans finalité. Pour eux, tout phénomène naturel comme les éclipses ont une raison par rapport à eux : une punition ou une bénédiction de des Dieux ou d’autres êtres surnaturels. Ils ne se posent pas la question « comment ? » tel phénomène se produit, mais « pourquoi ? » et « qu’es-ce qu’il implique pour nous ? ». Tout le contraire de la vue « scientifique » des sociétés

modernes.

Cela serait dû au fait que dans les sociétés « non moderne » les hommes ont beaucoup moins de pris sur le monde qui les entoure, du fait de sciences moins développés, ils subissent plus les dangers de la nature et ont ainsi une plus grande peur de cette dernière. Ils la voient comme un être ou un ensemble d’êtres dirigés consciemment sur eux, qui leurs envoient des messages, des châtiments et des bénédictions. Leurs

conditions de vie plus difficile les pousseraient aussi pour Elias à être plus centré sur eux-mêmes et à se demander quels sont les effets des phénomènes naturels sur leurs intérêts plutôt que leur seul fonctionnement. « Les membres des sociétés où règne la

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science ne sont généralement pas conscients du haut degré de distanciation, de maîtrise de soi et de neutralité affective requis pour reconnaître que des événements qui

entraînent pour vous plaisir ou souffrance – et surtout de la souffrance – peuvent être le résultat tout à fait non intentionnel de causes inanimées, de mécanismes naturels sans but ou de ce que nous appelons le « hasard » » (Elias, 1983, p.95).

Forte charge émotionnelle des idées reçues

Pour Elias la vision objective est d’autant plus difficile que de nombreuses innovations intellectuelles vont à l’encontre des idées reçues répandues dans certaines sociétés et ayant une forte charge émotionnelle. « Par conséquent, la lutte pour la reconnaissance de telles découvertes est appréhendée de manière insuffisante lorsqu’on la représente comme un simple conflit entre des positions intellectuelles affectivement neutres en ignorant sa signification affective » (Elias, 1983, p.106). Les scientifiques doivent donc prendre en compte l’aspect émotionnel de leurs découvertes, qui peuvent même mener à un désenchantement du monde. Ils ne peuvent pas séparer l’aspect cognitif de l’aspect affectif d’une question intellectuelle. Car l’aspect affectif d’une question théorique est toujours lié à un imaginaire collectif structurant auquel la majorité des membres d’une société se réfèrent et qui peut servir de base pour leur identité collective. Elias donne l’exemple de l’ancienne vision géocentrique de la Terre au centre de l’univers, qui donnait l’impression aux anciens hommes d’être le couronnement de la création et que l’univers a été spécialement créé pour eux. Ce fut un choc pour les hommes de l’époque de concevoir qu’ils pouvaient être en fait insignifiants à l’échelle de l’univers. Elias donne aussi tout le long de son livre l’exemple de la guerre froide, le livre a été écrit pendant cette période, dont les deux blocs concurrents se basaient sur une idéologie politique. Dans les deux cas leur idéologie était présentée comme l’idéal, alors qu’elles avaient leurs imperfections lourdes.

Il affirme même que les idéologies politiques ont de nombreux points communs avec les religions surnaturelles, comme ces dernières elles sont chargées en contenu affectif et imaginatif et ont une forte fonction d’intégration pour les groupes sociaux. À la

différence que les religions ne se prêtent pas à l’épreuve de la réalité (p.143). Il faut tenir compte du contexte historique dans lequel il écrivait ce texte, celui de la guerre froide durant laquelle les conflits entre idéologies politiques étaient exacerbés. Le monde a changé depuis la fin de la guerre froide. Toutefois, ce texte garde une actualité avec certains régimes actuels toujours centrés sur un fanatisme politique. Cet exemple lui permet de montrer comment aujourd’hui encore dans certains domaines comme la politique, l’imaginaire et l’affectif peuvent l’emporter sur une analyse rationnelle des faits. Car les idéologies politiques peuvent comme les religions pousser au fanatisme et à l’identification des hommes, au point d’être prêt à mourir pour ces idéaux (p.147).

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À Gaea21 nous avons été confronté à cette question de la prise en compte de l’aspect émotionnel de normes très ancrées que nous devions pourtant critiquer dans le cadre de notre travail, tel que l’usage de la voiture individuelle ou la consommation quotidienne de viande… Car même s’il ne s’agit pas d’idéologies publiques ou religieuses, ces normes et l’idée qu’elles sont indispensables sont tellement ancrées que les critiquer remet en cause tout un système de pensée sur lequel est fondée la société de consommation actuelle et qui possède une forte puissance affective. Avec mes collègues je devais donc tenir compte de l’aspect émotionnel de la remise en cause de ce type d’idée et la

présenter de la manière la plus acceptable possible pour un large public. Car comme l’explique Elias plus haut ce n’est pas un simple « conflit entre des positions

intellectuelles affectivement neutres ». Comme le recommande Elias nous ne séparions pas l’aspect cognitif de l’aspect affectif dans nos recommandations destiné au public externe : nous mélangions les données scientifiques et les encouragements à un autre mode de vie en évitant un ton insistant ou moraliste. Nous jugions que cela était plus efficace.

Défaire les mythes

Selon Elias, l’une des tâches des chercheurs en sciences sociales est de défaire les mythes sociaux, s’est à dire les idées fausses plus en moins répandus dans la population sur les questions sociales. Tout comme les spécialistes en sciences naturelles ont pour tâches de défaire les mythes touchant leurs propres sciences, comme le fait de croire que des phénomènes naturelles puissent être des messages adressés aux humains. Elias fait une comparaison entre les mythes touchant les sciences sociales et celles touchant les sciences naturelles. Comme expliqué plus dans les anciennes époques les

supersitions concernant les phénomènes naturelles étaient beaucoup plus répendues qu’aujourd’hui et la croyance qu’ils étaient des messages d’êtres surnaturels était très forte. Cette croyance a diminuée grâce aux sciences naturelles qui ont pu apporter des explications rationnelles à ces phénomènes naturels. Mais si les mythes touchant les sciences naturelles ont été en grande partie défaits, ceux touchant les sciences sociales sont plus difficile à défaire par les spécialistes en sciences sociales. Parce qu’il est beaucoup plus difficile d’établir des lois et des prédicitons certaines dans les sciences sociales que naturelles, puisqu’il s’agit d’étudier des êtres humains très complexes et divergeant, pas des matières inertes ou des énergies. Ainsi donc les phénomènes sociaux sont perçus comme incontrôlables contrairement à l’essentiel des phénomènes. Ce qui génère une grande peur des faits sociaux et pousse à chercher n’importe quelle idée pour les contrôler. Du coup selon Elias, la réflexion sur les problèmes sociaux devient

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source de fantasmes collectifs qui se rapproche des mythes des anciennes époques sur les phénomènes naturels (Elias, 1993, p.24-25).

Ainsi les humains seraient devenus globalement rationnels sur les faits naturels, mais resteraient irrationnels sur les questions sociales. « Mais dès qu’il s’agit de problème touchant à la coexistence humaine, nos modes de pensée et d’action correspondent aux comportements des hommes du Moyen Age confrontés à la peste. Aujourd’hui encore l’homme est soumis à des angoisses et à des tourments qu’il tient pour inexplicables. Et comme il lui est impossible d’assumer sa souffrance sans chercher à comprendre, il recourt à des explications irrationnelles. Le mythe national-socialiste est un exemple de la manière dont les souffrances et les inquiétudes d’une société ont cherché un exutoire dans l’action (Elias, 1993, p.25) ». Elias donne d’autres exemples de régimes ayant prétendus résoudre des problèmes politiques et sociaux avec des raisonnements

totalement irrationnels, mais ayant réussit à se faire passer pour rationnels. « En même temps, le fait que ces fantasmes aient été recouverts d’un vernis scientifique et

biologique est révélateur d’un schisme significatif dans la pensée contemporaine (Elias, 1993, p.26) ». Il démontre aussi que l’idée de résoudre des problèmes sociaux de

manière prétendument aussi « rationnelle » que les problèmes liés aux sciences naturelles a été même reprise par les gouvernements qui se prétendent « objectif », alors qu’ils ne font que lier les dogmes de leur doctrines à des procédés routiniers et/ou leurs intérêts partisans à court terme. Il ajoute à la suite que l’humanité est en grande partie inconnue, ce que chaque individu connaît via son entourage n’est qu’une petite parcelle de l’humanité et la majorité refuse d’explorer le fonctionnement de l’humanité comme autrefois on refusait d’étudier le corps humain.

Comme vu plus haut la « pensée rationnelle » ne s’est imposée que très récemment dans l’histoire des sciences et qu’elle n’est pas comme on l’imagine aujourd’hui le type normal de la pensée humaine. Avant la pensée humaine et les connaissances avaient un

caractère pré-scientifique. Ce rappel est nécessaire pour comprendre la persistance des mythes à l’heure actuelle (Elias, 1993, p.40). Il cite Auguste Comte qui a étudié la pensée préscientifique comme un fait social sans la juger selon des critères de valeurs « C’est, dit-il, un fait observé, que toutes les connaissances scientifiques découlent de pensées et de connaissances non-scientifiques ».

Ainsi pour Elias la principale tâches des scientifiques et de défaire les mythes, il les présente comme des « chasseurs de mythes ». Ils remplaceraient grâce à l’observation des faits les images subjectives et les croyances métaphysiques par des théories, c’est-à- dire par des modèles de relation que l’observation des faits peut vérifier, corroborer et corriger. Mais toujours selon Elias, les théories scientifiques peuvent être érigées en système de croyances, si elles sont élargies et utilisés sans être suffisamment testées.

(Elias, 1993, p58). Ce problème est d’autant plus difficile pour les sciences sociales qu’elles sont plus compliquées à tester et qu’elles sont plus sujettes à des fantasmes collectifs comme vu plus haut. Ainsi donc bien que les chercheurs soi sensé chasser et défaire les mythes, ils peuvent en créer si leurs théories ne sont pas suffisamment contrôlées.

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Dans les commentaires que je rédigeais dans les questionnaires pour convaincre des personnes d’adopter un mode de vie plus écologique, je devais souvent défaire des mythes sociaux tel que la nécessité de manger de la viande tous les jours et même d’en manger tout court ou que la possession d’une voiture individuelle est indispensable à la mobilité. En discutant avec mes collègues de l’association, j’ai vite compris que sortir des données scientifiques n’est pas suffisant pour convaincre la majorité des personnes de changer. Car comme expliqué plus haut avec Elias une grande partie de leurs habitudes ne sont pas basées sur des analyses de faits, mais sur des mythes sociaux et le souhait de suivre les normes. D’ailleurs, si nous réfléchissons bien, cela fait bientôt 30 ans que les principales formes de pollution dont le réchauffement climatique sont scientifiquement démontrées et connues du grand public et pourtant très peu de changements ont eu lieu.

Il ne s’agit donc pas d’un problème d’information scientifique.

Il fallait donc s’adresser à la part rationnelle des individus, mais aussi à leur part émotionnelle dont leur réticence à sortir des normes. Une méthode que nous avions était de leur suggérer de faire à titre d’expérience un changement de rythme de vie pendant une courte période, tel que ne manger qu’une ou deux fois de la viande pendant une semaine, puis de voir s’il pense pouvoir garder ce mode de vie. Une autre était de leur proposer des changements qui se font à plusieurs tel que le covoiturage ou l’achat dans les circuits courts avec des exemple de site internet, afin que les personnes tentées par ce genre d’expérience ne se retrouvent pas seules et soient davantage motivées.

Est-il possible d’être entièrement objectif ?

Elias explique que personne n’est jamais entièrement objectif, ni entièrement subjectif à l’exception des bébés et des malades mentaux qui sont dans l’émotionnel pur. Ce sont aussi les seuls qui arrivent à pratiquer une distanciation absolue, s’est à dire un retrait complet de leurs sentiments par rapports à des événements (Elias, 1983, p.10). Alors que les adultes sont entre ces deux extrêmes d’engagement total ou de retrait total en penchant plus d’un côté que de l’autre. « L’engagement tel que le conçoit Elias n’a pas seulement des formes spectaculaires : il se niche et dissimule dans les procédures qui tendent à créditer les énoncés de savoir de la plus absolue objectivité. Il en va ainsi, par exemple, de la transposition des modèles d’intelligibilité empruntés aux sciences physiques qui, « dans bien des cas, crée une façade de distanciation derrière laquelle se dissimule une prise de position nettement engagée » » (Roger Chartier dans l’avant- propos de Norbert Elias p.X, 1983). Selon Elias les phénomènes naturels sur lesquels l’homme n’a pas prise implique moins émotionnellement, du moins dans les sociétés moderne où les superstitions sont plus rares, le comportement et le vécu des personnes

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que les événements interne aux sociétés humaines (Elias, 1983, p.11). C’est sans doute une des raisons pour laquelle les chercheurs des sciences naturelles sont moins

suspectés de partialité que ceux des sciences sociales : parce que leurs sujets d’études engagent moins émotionnellement comme ils étudient des phénomènes naturelles et non sociaux.

Elias ajoute qu’en fait même les chercheurs des sciences naturelles projettent souvent sur la nature leur propre vision des rapports de domination et tentent d’isoler des objets en réalité fortement liés à leur environnement et structure. Toutefois pour Elias certains concepts sociologiques comme la lutte pour le pouvoir ou l’équilibre des forces sont applicables dans la nature (Elias, 1983, p.236). Donc les chercheurs en sciences

naturelles qui font des projections des sociétés sur leurs objets de recherche n’ont pas forcément tort. Encore faut-il que la comparaison entre nature et culture soit pertinente et accepter qu’on ne peut pas transposer tout ce qui existe dans la société humaine dans la nature.

Dans le cas de mon stage le mélange sciences sociales et sciences naturelles était beaucoup plus aisé, car les études en écologie consistent à mesurer grâce aux sciences naturelles les impacts sur l’environnement (CO2, consommation d’électricité… mesurés à l’aide des sciences naturelles), des modes de vie des personnes et les possibilité de les convaincre de changer (aspect sociologique).

Les émotions fortes gênantes pour l’objectivité

Elias montre dans son ouvrage à quel point il peut être difficile dans une situation très stressante de garder un regard objectif d’analyse. Pour l’expliquer il prend une parabole du même nom que son chapitre « Les pêcheurs dans le maelström », dans laquelle deux pêcheurs sont pris avec leur bateau dans un maelström qui est sur le point de les aspirer sous l’eau. L’un des pêcheur est complètement affolé et n’arrive pas à réfléchir à une solution, tandis que l’autre réussi à rester lucide. Ce dernier en observant les débris et les épaves pris dans le maelström se rend compte que certain objets sont aspirés plus lentement que d’autres : ceux de forme cylindriques et ceux de petites tailles. Il a alors l’idée de s’attacher à un tonneau, qui est à la fois petit et de forme cylindrique, et de se jeter à la mer avec. Il encourage l’autre pêcheur à faire de même, mais ce dernier est tellement affolé qu’il ne le fit pas et fut aspiré sous l’eau (Elias, 1983, p.75-76). Cette parabole permet à Elias d’expliquer l’analyse de situation et l’esprit de synthèse dans une situation extrêmement tendue. Il explique ainsi qu’il est très difficile dans certaines situations surtout aussi menaçantes pour la survie de garder un esprit objectif et

d’analyse, car pour cela il faut une certaine distanciation du sujet. Ce qui est très difficile dans une situation de danger critique, très peu de personnes y parviennent. « La

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parabole souligne l’interdépendance fonctionnelle entre l’équilibre affectif d’un homme et le processus plus vaste sur lequel cet équilibre se règle » (Elias, 1983, p.79). Cet exemple extrême permet aussi à Elias de montrer que l’incapacité à contrôler une situation va habituellement de pair avec une forte émotivité dans la pensée et l’action.

Cela rejoint en partie l’idée développée plus haut sur l’opposition entre penser la nature comme un mécanisme sans but et la penser comme un être ou un ensemble d’êtres conscients qui envoient des messages aux humains. Les hommes qui vivent dans des contextes où la vie est plus difficile ont plus de difficultés à garder une distance rationnelle et à éviter l’émotionnelle.

Je rejoins Elias dans cette idée que sans tomber dans une situation aussi extrême que dans sa parabole, il arrive que des chercheurs soient confrontés à des situations où il est très difficile de ne pas être touché par l’émotion. J’ai été confronté à des personnes très chargées émotionnellement dans cette association écologiste qui étaient persuadées de devoir empêcher à tout prix un cataclysme pour le monde. Il était difficile de parler avec eux sans tomber dans le catastrophisme.

Se défaire de ses propres déterminismes et intérêts

Le sociologue comme tout type de chercheur est censé être entièrement objectif dans ces observations, ne pas partir d’idées préconçues et ne se baser que sur des faits. Il est toutefois impossible d’être parfaitement objectif, car toute personne y comprit les chercheurs ont un vécu qui leur a inculqué certaines valeurs y comprit au niveau inconscient auxquels il est difficile de faire abstraction. « La société qu’on oppose si souvent à « l’individu » est entièrement composée d’individus, et l’on est soi-même l’un d’entre eux. Mais nos moyens linguistiques et nos modes de pensée sont en grande partie ainsi faits que tout, en dehors de l’individu, semble avoir le caractère « d’objets » et de surcroît d’objets immobiles (Elias, 1993, p.7) ».

Weber a beaucoup décrit la difficulté pour un chercheur d’expliquer des faits de manière parfaitement objectifs et de ne pas tomber dans un trop fort relativisme qui remettrait en cause les analyses scientifiques en les mettant aux mêmes niveaux que les explications religieuse, morales ou culturelles. Gonthier a fait une synthèse de cette pensée. Il y explique en citant Weber que même les chercheurs en dépit de leur enseignement à l’objectivité décrivent souvent les faits en fonction de la signification culturelle qui leur a été inculqué. Cela fait partie du métier de sociologue de démontrer la signification culturelle d’un phénomène, sauf que la signification culturelle n’est pas toujours égale à la signification objective. D’autant plus que la signification du

phénomène qu’il donne correspond en général à celle qui lui a été inculqué par sa

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culture et qui n’est pas forcément celle que donne les instigateurs et/ou autres témoins du phénomène. « Weber identifie en premier lieu le « rapport aux valeurs » comme une présupposition immédiate de la connaissance scientifique. Le savant, nous dit-il, ne peut appréhender le réel (c’est-à-dire sélectionner et ordonner les différents phénomènes culturels), sans y investir un ensemble de « points de vue » qui ont trait à la signification culturelle attribuée par lui à ces phénomènes. » (Gonthier, 2006, p.17).

Toujours selon Weber cité par Gonthier, le simple choix pour un chercheur, pas seulement un sociologue mais aussi un économiste ou un historien, d’un sujet à traiter démontre un intérêt particulier pour des raisons subjectif (p.20). Des chercheurs peuvent justifier leurs choix de sujets par des critères tel que l’actualité du sujet, son importance supposé pour le milieu des chercheurs ou de l’opinion publique ou au contraire le manque de traitement du sujet, mais là encore s’est subjectif. « Weber concède que le sociologue, l’économiste ou l’historien expriment leur subjectivité en choisissant leur objet d’étude selon les intérêts qui les inspirent » (Gonthier, 2006, p.20).

De Munck adhère à cette idée en expliquant que les sociologues sont eux-mêmes déterminés dans leurs intérêts et leurs attitudes par leur vécu et leur situation. Ils dépendent des commandes publiques et privées, ils sont limités dans leurs moyens, ils sont eux-mêmes membre d’un groupe et ont tendance à utiliser leur science pour faire progresser leurs propres intérêts et/ou ceux de leur groupe auquel ils sont attachés. Ce qui permet aussi un lien entre le milieu des acteurs de la cause et l’extérieur (De Munck, 2011, p.12-13).

Elias rejoint Gonthier, Weber et De Munck dans cette idée en expliquant qu’il est impossible d’être entièrement objectif et distant, car on est toujours touchés par un fait et que la part émotive nous influence. Même les scientifiques sont soumis à leurs

intérêts et leurs penchants personnels, ils peuvent être guidés par leur souhait d’une promotion, que leurs résultats de recherches s’accordent avec leurs théories déjà soutenues ou les valeurs de leurs groupes d’appartenance. Ce qui les influencent beaucoup dans le choix de leurs sujets. Leur objectivité n’est maintenue que par des procédures de contrôle institutionnalisées qui obligent les scientifiques à garder une distance dans leurs travaux (Elias, 1983, p.12-13). Car certains groupes, des classes, des corps de métiers ou même des pays développent des images et des justifications de leurs valeurs propres qui mélangent les observations réalistes et les fantasmes collectifs. Ce qui éloigne de la réalité objective et crée des mythes qui structurent ces groupes. Hors contester un mythe structurant un groupe auquel on appartient s’est prendre le risque d’être exclut, même si cela se rapproche de « la vérité » (Elias, 1983, p.27).

Moi même durant mon stage j’avais un fort intérêt pour le sujet étant quelqu’un de très porté sur l’écologie. J’assumais n’avoir pas seulement choisi ce travail pour la possibilité de mener un stage et de faire avancer des recherches mais aussi par intérêt pour la thématique. J’étais également satisfait d’avoir obtenu un poste nécessitant officiellement un « sociologue » qui me permette ainsi de m’exercer pour la vie professionnelle.

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Comment analyser un sujet ?

Il est impossible pour un chercheur d’analyser tous les aspects du phénomène, il est obligé de sélectionner de façon arbitraire certains aspects qu’il juge plus fondamentaux que d’autres et qu’il soit capable d’analyser (Gonthier, 2006, p.20). Par ce simple choix le chercheur réduit la part d’objectivité de sa recherche en désignant les aspects important du sujet, même s’il peut trouver des critères pour justifier ses choix. « En choisissant de valoriser telle caractéristique du phénomène plutôt que telle autre, le savant contribue d’abord à délimiter qualitativement, ensuite à ordonner rationnellement la portion de réalité à laquelle il applique son concept de valeur » (Gonthier, 2006, p.20).

Elias rejoint ce constat en ajoutant que les théories qui cherchent à expliquer des phénomènes trop large, comme de nombreux travaux des premiers sociologues au XIXème siècle, deviennent généralement au pire des spéculations, au mieux des hypothèses de travail si suffisamment d’éléments théoriques ou issues d’observation sont mit en accord. D’ailleurs durant une grande partie du XXème siècle, de nombreux sociologues sont devenus méfiant des recherches à vue trop ambitieuses et refusaient même l’idée de synthèse. Ils privilégiaient autant que possible l’étude de groupes isolés et de problèmes pouvant être abordés par les méthodes d’autres sciences (Elias, 1983, p.42).

« Tournée vers l’extérieur, la sociologie prend pour cible les préjugés, fétiches et mythes sociaux. Mais cette discipline ne satisfait son exigence de rationalité qu’en la retournant aussi sur elle-même. Est critique la science qui réfléchit les possibilités et les limites de son propre exercice ». Les chercheurs doivent donc aussi se méfier de l’idée de

« connaissance absolue » sur un sujet, qui constitue aussi un fétiche. La totalité de la connaissance sur un sujet quelconque doit être un idéal, mais comme un idéal

inatteignable, un fétiche. Par conséquent toute recherche doit être accompagné d’une critique sur elle-même (De Munck, 2011, p.5).

Durant mon stage, j’ai été confronté à cette question pour former des questionnaires d’enquêtes. Il fallait trouver le juste milieu entre des questionnaires d’enquêtes qui soient assez larges et détaillés pour collecter des données sur le niveau de durabilité de chaque personne. Mais qui ne soit pas trop vastes afin de rendre l’enquête réalisable, que nos questionnaires ne soient pas trop longs et compliqués à remplir.

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Ne pas trop isoler un sujet

Selon Elias il y a une tendance lourde dans la société qui consiste à voir les objets sociaux comme indépendant les uns des autres, alors qu’il existe une forte

interdépendance entre eux. « Les éléments présents d’interdépendance apparaissent comme quelque chose de supplémentaire qui vient s’ajouter après coup à des unités ou à des événements existant d’abord de manière indépendante » (Elias, 1983, p.80). Cette tendance se retrouve dans la représentation scindé entre « sujet » et « objet », comme s’il pouvait exister avec « un sujet » « un homme sans univers » ou un « entendement sans objet » en soi formant une unité indépendante, isolée par d’autres unités

indépendantes. Ce qui pousserait à croire que des « sujets » pourraient exister sans

« objet » et à se demander lequel est la cause et lequel est l’effet, avec l’idée que la cause a tout pouvoir et que l’effet est totalement passif. Alors que de nombreux phénomènes sociaux sont entre eux les deux à la fois. Ils sont dans des rapports d’interdépendance fonctionnelle, des processus circulaires et des doubles liens. Il donne en exemple les institutions économiques et politiques qui seraient autant en interdépendance que les organes du corps humain (Elias, 1983, p.80).

Elias poursuit avec cette idée dans le chapitre « Pensée sur la grande évolution », dans lequel il se réfèrent beaucoup aux sciences de la physique, de la chimie et de la biologie pour démontrer que dans toutes les sciences, y compris naturelles, il y a une tendance forte à vouloir isoler un « objet » de son environnement et de sa propre complexité. Il se réfère aux atomes et aux cellules pour démontrer que même ces organismes présentés comme la base de la vie et de la matière sont en fait eux-mêmes constitués d’autres organismes plus petits. Il démontre aussi que les « objets » vivant ou non que l’on peut isoler de leur environnement en considérant que ce dernier n’a pas d’impact sur eux, sont très rares. Cette référence à d’autres sciences lui permet de faire un parallèle entre la difficulté dans les sciences sociales de tenter d’isoler complètement un « sujet » de son contexte sociologique. Si même dans les sciences naturelles il est très difficile d’isoler un sujet comment le faire dans les sciences sociales ? Cela lui permet aussi d’affirmer que la meilleure attitude à l’analyse d’un sujet quelque soit la science est de le prendre dans son système complexe. « Plus on s’élève dans une telle échelle évolutionnaire en progressant d’un domaine d’objet à l’autre, plus s’impose le modèle de l’intégration en tant que facteur explicatif des propriétés d’une unité complexe au détriment de la signification des propriétés des unités composantes considérées isolément » (Elias, 1983, p.190-191). Il affirme même que les être y compris non humains forment toujours des groupes sociaux, simplement que les groupes des êtres non-humains sont

immuables car basé sur des pulsions génétiques. Alors que les groupes humains sont beaucoup plus instables et changeant du fait de la structure beaucoup plus complexe des relations entre humains (Elias, 1983, p.220).

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À Gaea21 revenait beaucoup cette idée de prendre en compte la complexité des

personnes et de leur société pour mieux comprendre les raisons qui peuvent les pousser à adopter des modes de vies non durables et leurs possibilités de changement. C’est pour cela que l’une de mes tâches consistait à former des schémas montrant tous les facteurs influençant une thématique comme le choix du moyen de transport et les conditions nécessaires au choix d’un mode de transport plus durable. S’est également pour cela que nos questionnaires prenaient en compte de nombreux aspects des personnes et de leurs comportements.

Possibilité de parti pris

Pour réduire les risques de biais par les valeurs personnelles du chercheur, Weber toujours cité par Gonthier propose la « neutralité axiologique » qui permet de distinguer la connaissance des valeurs (erkennen), du jugement de valeurs (beurteilen). Qui permet au chercheur de garder un positionnement critique scientifique par rapport aux valeurs qui fondent les institutions. Cette « critique scientifique » des sciences humaines teste la cohérence des intentions humaines et des valeurs qui les fondent en les soumettant au principe de non-contradiction (Gonthier, 2006, p.24). « La « valeur de succès »

(Erfolgswert) est partiellement indépendante de la « valeur de conviction »

(Gesinnungswert). La science « axiologiquement neutre » peut alors aider l’acteur à éprouver la cohérence logique et la compatibilité avec le réel des idéaux dont il se réclame. » (Gonthier, 2006, p.25). Dunezat rejoint cette idée sur Weber, mais en la critiquant car pour lui ce type de lecture risque de pousser à confondre la « neutralité axiologique » et l’imperméabilité aux questions politique pour les savants. S’est-à-dire encourager les chercheurs à une indifférence aux questions politiques et aux valeurs, plutôt qu’une vision critique des valeurs (Dunezat, 2011, p.80).

À l’opposé de la « neutralité axiologique » il y a la « partialité axiologique » le fait de mener une recherche en considérant certaines valeurs meilleures que d’autres. Ce qui peut biaiser les recherches. Les effets de la « partialité axiologique » sont réduits par l’obligation pour les savants de se plier aux « normes rationnelles » définies par la pensée scientifique qui n’est pas touchée par la subjectivité. Car la validité de la pensée scientifique a été établit en dehors de toute subjectivité et non selon des accords tacites et arbitraires (Gonthier, 2006, p.20). Car il existe des critères précis pour démontrer l’objectivité d’une recherche en science sociale. Qui permet aux sociologues un certain parti-pris pour autant que les règles de la logique et de la méthodologie soient

respectées. « Tout travail scientifique présuppose toujours la validité des règles de la logique et de la méthodologie qui forment les fondements généraux de notre orientation dans le monde » (Gonthier, 2006, p.21). Les chercheurs ont l’obligation de démontrer la

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crédibilité de leurs hypothèses en les confrontant à des faits, s’est en cela qu’une

recherche est jugée objective même si son déroulement ne l’a pas été intégralement, par la démonstration concrète.

Gonthier explique ainsi que les sociologues par exemple, ne peuvent pas se contenter d’énumérer les motivations « supposés » des acteurs pour une action. Ils doivent

prouver que se sont telles motivations qui ont encouragé telle action et expliquer le lien de cause à effet entre les motivations et les actions. Comme pour les sciences naturelles, les sociologues ne doivent pas seulement montrer une corrélation, mais aussi le « lien mécanique » de cause à effet entre les phénomènes pour prouver qu’il ne s’agit pas d’une simple coïncidence. « Prenons l’exemple du sociologue. Le sociologue ne peut se suffire de recomposer les différentes motivations dont il estime qu’elles ont

vraisemblablement guidées les sujets sociaux. Il lui faut encore confronter ces

hypothèses interprétatives avec la réalité des liaisons intentionnelle plausible entre un moyen et un but, ou une croyance et un acte soit validé dans son rapport causal avec le déroulement réellement observable de l’activité considérée » (Gonthier, 2006, p.21).

Toutefois selon Elias un problème avec la manière d’évaluer la pertinence d’une théorie sociale est qu’elle est fortement calée sur celles des sciences naturelles avec des analyses quantitatives chiffrées considérées comme la caractéristique des sciences en général.

Qui est d’ailleurs appelé « méthode scientifique », « Dans les faits, cela forme souvent un étrange mélange entre les particularités structurales communes à toutes les pratiques scientifiques et celles spécifiques des seules sciences de la nature parce que liées au caractère particulier des problèmes physiques. En somme, le concept universel de

« méthode scientifique » tel qu’il est utilisé aujourd’hui ressemble à un concept universel d’ « animal » qui serait dérivé d’une seule espèce, d’une seule phase du processus

évolutif, sans référence à la diversité évolutive et à la parenté des espèces animales » (Elias, 1983, p.31).

Cette idée est tellement répandue parmi les sociologues selon Elias, qu’ils attribuent les difficultés de leur travail à leurs incapacités à copier les méthodes des sciences

physiques. Alors que toujours selon Elias, leurs difficultés viendraient plutôt des problèmes propres à leur domaine de recherche et de leur implication dans les problèmes de leur société (Elias, 1983, p.32). En gros cette méthode de copier sur les sciences naturelles ne garantit pas une distanciation. « Transposée dans les sciences sociales, il n’est pas rare que cette méthode soit utilisée pour explorer des problèmes et des théories établis et examinée sous méthode qui ressemble à celle développée dans les sciences physiques donne-t-elle souvent aux sciences sociales le vernis d’un haut degré de distanciation ou d’ «objectivité» qui manque en réalité à ceux qui utilisent cette méthode » (Elias, 1983, p.33). Toujours selon Elias, cette tendance à caler les critères d’évaluation des sciences naturelles sur celles des sciences sociales viendrait de l’idée de distinguer les jugements de valeurs autonome des jugements de valeurs hétéronomes.

En gros distinguer les jugements basés sur des valeurs extérieurs à l’objet étudié (hétéronomes) et ceux basés sur des valeurs exclusivement interne à l’objet étudié (autonome). Les sciences naturelles sont vues comme basées sur des valeurs

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autonomes, tandis que les sciences sociales seraient basées sur des valeurs

hétéronomes. Ce qui a dérivé sur la distinction entre sciences « usant de jugements de valeur » et science « étrangères aux valeurs ». « Les recherches dans les sciences de la nature ne sont en aucune manière « étrangères aux valeurs », mais le type de jugements de valeur qui prédomine dans les travaux des chercheurs n’est pas déterminé par des points de vue extra-scientifiques » (Elias, 1983, p.56). Ce qui a ensuite dérivé sur l’engagement radical et la distanciation radicale : plus l’engagement est grand et plus la tendance à des jugements hétéronomes l’est ; plus la distanciation est grande plus la tendance aux jugements autonome s’accroît. Alors que comme vu au début de l’ouvrage d’Elias, une position mature serait plutôt un juste milieu entre les deux, seuls les enfants en bas âge et les malades mentaux sont dans ces extrêmes.

Durant mon stage les sciences naturelles étaient associées aux sciences sociales dans l’idée de mesurer la durabilité de chaque comportement. Sauf qu’il n’y avait pas l’idée de neutralité axiologique dans nos recherches ni pour les sciences sociales ni pour les sciences naturelles. L’orientation en vue d’un objectif précis était assumée.

La neutralité axiologique, un leurre ?

Dans le chapitre précédent nous avons vu le concept de « neutralité axiologique ».

Toutefois, il existe de nombreuses contre-vérités par rapport à cette question de la neutralité axiologique comme l’explique Roland Pfefferkorn dans son analyse sur Max Weber.

Pfefferkorn nous explique que des sociologues conservateurs comme Raymond Aron ont tenté de faire croire que Weber condamnait les engagements pour les chercheurs avec cette idée de neutralité axiologique et qu’il prônait la neutralité totale dans les recherches. Cette idée est fausse, Weber a au contraire défendu des collègues engagés comme Roberto Michels qui était social-démocrate (p.86). Il a lui-même eu des prises de positions politiques, il a par exemple donné à l’université de Fribourg une conférences sur les rapports entre nationalités et entre classes sociales en Prusse en expliquant ouvertement qu’il donnait « son point de vue personnel et donc « subjectif » qui

accompagne un jugement porté sur des phénomènes économiques » (p.88). Il assumait donc ne pas avoir une vision neutre dans toutes ses recherches.

Pour lui un universitaire pouvait être engagé, mais dans ce cas il devait l’assumer publiquement. Ce qu’il voulait dire avec son concept de Wertfreiheit (libre de valeurs en allemand), se n’était pas « absence de valeurs ou d’engagement » comme le prétendaient des intellectuels conservateurs comme Aron. Mais d’avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître ses engagements au lieu de les dissimuler et de faire de la propagande. En fait, ce qu’il condamnait s’est qu’à son époque les enseignants conservateurs et

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réactionnaires n’assumaient pas leurs positions et faisaient passer leur propagande pour de la science objective tout en monopolisant la parole académique (p.87-88). Par contre pour Weber un chercheur doit faire preuve d’honnêteté intellectuelle dans la présentation de ses résultats : ne pas dissimuler ni falsifier ses résultats. « L’un et l’autre (Weber et Bourdieu), estiment en effet que l’activité scientifique doit rester à l’abri, sinon des jugements de valeur pour l’un, du moins du prophétisme social et de l’expertise au service de pouvoirs pour l’autre (Pfefferkorn, 2014, p.90) ».

En fait, le concept de la « neutralité axiologique » a été détourné par les chercheurs conservateurs particulièrement durant la période de la guerre froide, afin de discréditer dans le milieu de la recherche sociale toute vision critique de la société et de fait

promouvoir le statut quo. Kalinowski qualifie d’ailleurs la neutralité axiologique

« d’arme de guerre de l’anti-marxisme français» (Pfefferkorn, 2014, p.86). Car à cette époque la critique de la société établit était porté par de nombreux intellectuels tel que Jean-Paul Sartre et les mouvements conservateurs s’y opposaient fortement.

Parmi les tenant de la neutralité axiologique, se trouvait beaucoup l’idée qu’il faut éviter les extrêmes idéologiques et que s’est forcément les idées situées entre ces extrêmes qui sont le plus proche de la réalité. Une position que contestait Weber, pour lui le soi-disant

« juste milieu » n’a jamais été une garantie de preuve scientifique. D’autant plus que ce type de position pousse selon lui à nier des conflits sociaux bien réels. « Le juste milieu n’est pas le moins du monde une vérité plus scientifique que les idéaux les plus extrêmes des parties de droites ou de gauche. Nulle part l’intérêt de la science n’est à la longue davantage nié que là où on se refuse à voir les faits désagréables et la réalité de la vie dans sa dureté » ((Weber, 1965, p.130) cité par Pfefferkorn, 2014, p.87). Fabien Granjon rejoint la position de Weber en s’opposant à l’idée qu’être dans un soi-disant juste milieu permet une meilleure analyse par rapport à un chercheur qui assumerait un point de vue spécifique, en tenant compte de sa position dans la société, de ses valeurs et de ses prises de position. Il ajoute que les chercheurs en sciences sociales sont eux-mêmes prie dans les contradictions des rapports sociaux et qu’on ne peut pas nier les

« contradictions du réel ». Cela reviendrait pour lui à entretenir l’illusion durkheimienne d’une société consensuelle et sans conflits (p.87).

Il ne peut y avoir de vision axiologiquement neutre dans les sciences sociales contrairement aux sciences naturelles pour la simple et bonne raison qu’il est impossible d’établir des critères acceptables pour tout le monde, y compris des personnes adhérant à d’autres valeurs éthiques et/ou culturelles que celles du chercheur (p.88). Weber fait ce constat en évoquant les différences culturelles avec l’exemple d’un chinois par rapport à un européen, Löwy ajoute que les divergences de valeurs peuvent aussi concerner les classes sociales (p.89).

Selon Pfefferkorn la neutralité axiologique a été progressivement abandonnée et désormais il n’est plus demandé aux sociologues de cacher leurs engagements et de rester dans l’implicite. « Ce débat a contribué à rappeler que le sociologue est un « sujet

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