• Aucun résultat trouvé

Michel LEMAN Bien qu'universitaire, bien qu'ayant placé son livre sous le double signe de Scarron et d'apollinaire, Michel Leman (Jean Emelina, de son

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Michel LEMAN Bien qu'universitaire, bien qu'ayant placé son livre sous le double signe de Scarron et d'apollinaire, Michel Leman (Jean Emelina, de son"

Copied!
32
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

Michel LEMAN

Bien qu'universitaire, bien qu'ayant placé son livre sous le double signe de Scarron et d'Apollinaire, Michel Le- man (Jean Emelina, de son vrai nom), marié, père de trois enfants, enseignant à Nice, considère comme un privilège de n'être pas tout à fait un intellectuel.

Peu de membres de l'enseignement supérieur peuvent aujourd'hui se flatter d'avoir eu une enfance authentique- ment paysanne. Cette chance, il la doit à ses origines. (Il est né et a passé les vingt premières années de sa vie dans l'arrière-pays niçois.)

Michel Leman aurait pu rédiger un brillant essai pour nous dire ce qu'il pensait de notre monde et de ses problèmes. Las d'écouter penser et d'entendre dire, il a préféré nous faire sentir et nous faire vivre, à travers une fiction, ce qui lui tenait à cœur.

Il s 'agit de son premier roman.

(3)
(4)
(5)
(6)
(7)
(8)

LA SALLE DE BAINS

(9)
(10)

MICHEL LÉMAN

LA SALLE DE BAINS

roman

JULLIARD 8, rue Garancière

PARIS

(11)

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou par- tielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et sui- vants du Code pénal.

© Julliard, 1972.

(12)

A Jérôme, à Jojo et aux Jarviens, à Boris et à Kaherdiel,

à Ingrid et à Barbara, à Constance,

à Arnaldo, cette fiction.

(13)
(14)

Leurs cœurs bougent comme leurs portes APOLLINAIRE.

(15)
(16)

LA SALLE DE BAINS

Au commencement étaient Tornade, le bison sau- vage, Jérôme, Jojo et le Titicaca. Au commence- ment était mon amour de La Jarvie, et puis celui d'Ingrid et du Grand Soir. Au commencement...

Les gens ne se rendent pas compte. Ils trouvent normal de pouvoir se récurer le poil à leur guise.

Ils vont, ils viennent ; ils ouvrent un robinet, en ferment un autre, et l'eau coule, et l'eau s'arrête de couler. Brûlante ou froide ou tiède, abondante ou rare ; comme ils veulent, autant qu'ils veulent.

Le gant ou la serviette à la main, ils pressent un bouton, tournent une manette en pensant à autre chose, et le néon gicle, et le gaz se dresse sur la rampe en longues langues serrées, violentes, veni- meuses comme des cobras. Tout est simple. La Terre est une machine ronde aux pièces bien hui- lées et bien usinées.

C'est l'âme sereine que les belles salopes de Jours

(17)

de France, dans leurs déshabillés bleus fendus jus- qu'au con, glissent en mules roses sur des carrela- ges noirs, embuées d'Old English Lavender Soap, d'Obao, d'Odorono, de Diorissimo, vaporisées de Nina Ricci, Givenchy, Schiaparelli, Rikiki...

Et aussi celles qui s'en vont se faire saccader dans les palaces de Palerme sous prétexte d'admi- rer la Grande Grèce. N'est-ce pas, John Dickish- ford ? N'est-ce pas que, vous aussi, vous pensez ainsi, vieux suppôt du capitalisme international, lorsque, laissant à d'autres le soin de vos mines de soufre ou de mercure, vous décrochez le bigorneau pour demander qu'on vous retienne d'urgence — parce qu'on a télégraphié de Milan, parce qu'on va venir, parce que le télégramme est là, déplié sur votre buvard de luxe : « J'arrive, Dick chéri.

Aéroport 19 heures. Caresses » —, lorsque, ayant tout pesé de votre temps et du sien, des itinéraires et des horaires, de ce qu'elle aime et de ce que vous aimez, vous demandez qu'on vous retienne pour le week-end — d'urgence — une chambre avec salle de bains, hôtel Clélia, discesa del Giu- dici, quindici, Palermo ?

Pour vous comme pour elle et comme pour les autres, les maçons et la maçonnerie, les plombiers et la plomberie, Scarron et la Scarronnerie, est-ce que ça existe ? Est-ce que ça a une importance ? Qu'est-ce que ça pèse, nom de Dieu, qu'est-ce que ça peut peser, la maçonnerie, la plomberie, la Scar- ronnerie, en face d'une caméra japonaise ou d'une cravate « Chiarini » ? Les conneries de la gauche, qu'est-ce que vous en avez à faire ?

(18)

Qu'est-ce qui pèse, qu'est-ce qui peut peser en face d'une nuit d'amour, hôtel Clélia — votre hôtel familier, n'est-ce pas ? — où, après avoir goûté au siculo-arabe, après l'avoir filmée sous toutes les coutures, vous êtes rentré en lui entourant les épau- les et où vous vous en êtes mis plein la queue ?

Peut-être que je me rends mieux compte mainte- nant. Moi, j'ai vu. Mais Ingrid, mais La Jarvie, mais Scarron, mais la Révolution, où est-ce que j'en suis maintenant ?

Raisonnons et respirons. Un bon coup. Assez beu- glé, assez divagué. Pour l'instant, il ne s'agit pas de cela. Demain, on verra, on avisera. Demain, il y aura toujours des branches de feuilles et des grues, avec leurs branches de fer, qui font tourner leurs chargements au-dessus des immeubles. Il y aura toujours la mer, là-bas, qui continue à s'en foutre, et des joies de tout poil à pleines brassées : lire à voix basse Apollinaire, contempler l'étalage délirant d'un kiosque à journaux, écrire, se caler une gauloise entre les lèvres ou écouter, chaque dimanche soir, le hennissement de douleur de tout un peuple qui retentit à travers l'hexagone à l'an- nonce du tiercé. Demain, encore et toujours, le rire de Scarron et le sourire de Kaherdiel, la sagesse soyeuse de Stéphane, la fête ineffable de certaines fesses de femmes au hasard des rues, et ces places pour se garer qui surgissent parfois, au cœur de l'exaspération, comme des cadeaux imprévisibles, dans l'inénarrable merdier urbain.

(19)

Encore et encore. A perte de jour. A bouche que veux-tu. A en veux-tu en voilà. A gogo. A tire-la- rigot...

J'ai le temps de faire le point...

Pour l'instant, il s'agit seulement de laisser cou- ler l'eau chaude et de prendre un bain.

(20)

I

Tout ça, c'est la faute d'Arnaldo.

Il était arrivé voilà au moins trois ans, sans crier gare, à La Jarvie. La Jarvie passait son temps à gouttes lentes et lisses. Il y avait les étés et les automnes et le vieux Jérôme, en bout de rue, qui cassait son café sur un coin de table, à coups de pilon. Les branches, chaque année, gagnaient quel- ques centimètres de plus sur le ciel. Du vrai temps, quoi.

Arnaldo était arrivé. Il avait rafistolé une bico- que pour ses dimanches. Une bicoque, deux bico- ques, quatre bicoques... Alors, devant ces coups de truelle rieurs, les clients — ceux qui avaient fait dresser les premières antennes sur les toits —, les clients avaient surgi comme rats affamés et mou- tons de Panurge : douches particulières, carrelages neufs, façades, fers forgés. La Jarvie s'était mise à sentir la peinture et le plâtre frais ; La Jarvie donnait dans le rustique et prenait des airs de putain. Moi qui la croyais discrète et fidèle, moi le

(21)

naïf qui croyais qu'il fallait du temps, des silences et des gestes effacés, j'ai vu Arnaldo botté de caout- chouc la prendre en moins de deux, en condot- tiere. Il n'y a pas si longtemps encore, il se serait fait proprement jeter dehors et traiter de Piémon- tais ; mais on approuvait, mais on admirait. La Jarvie se laissait faire. Maintenant, à chaque week- end, elle ouvrait les cuisses fraîches de son unique rue aux amateurs de pittoresque de la Côte.

Pendant ce temps-là, le vieux Jérôme, indifférent aux coups de marteau et aux pétarades de la bétonnière, continuait, chaque soir, à casser son café sur un coin de table, à coups de pilon.

Ç'avait été dur à avaler. Longtemps, je suis resté sans remettre les pieds à La Jarvie et sans parler à Arnaldo. Je n'aime pas qu'on me préfère un m'as-tu-vu. Et puis, un jour, un dimanche de sep- tembre où il m'avait fallu monter, je l'ai croisé sur la place. Il s'est mis à me parler comme si de rien n'était, couvert de plâtre et de cambouis jusqu'aux oreilles. Alors, sans que j'aie prémédité la chose, parce que cet emmerdement traînait depuis plus d'un an et que je ne m'étais toujours pas décidé, parce que ça m'est venu comme ça, sur le coup — et aussi, sans doute, parce qu'on ne laisse pas d'éprouver quelque curiosité, quelque admiration secrète pour ceux qui vous font cocu — je me suis mis à lui demander :

— Au fait, tu ne pourrais pas faire un saut chez

(22)

moi, à Nice, un de ces jours, si tu as le temps ? J'ai un robinet qui fuit quand il est ouvert et deux ou trois bricoles à refaire. Tu verras.

L'eau laissait sur le carrelage un tartre gris que je n'arrivais pas à gratter. Un peu partout, dans ma salle de bains, il y avait des traces de coulées sur les tuyaux et des tentatives de stalactites. Rien de grave, bien sûr ; ça pouvait tenir, ça tenait. Les choses savent prendre leur temps. Mais autant voir avant que ça craque pour de bon et que ça gicle, n'est-ce pas Arnaldo ? avant que ça ne traverse le plancher, justement un jour où je ne serais pas là, et que la voisine du dessous, plafond gâché, tapisserie gâchée, meubles gâchés, ne me saute dessus en faisant un raffut de tous les diables :

« Mais vous vous rendez compte, Monsieur Lari- gues ? Ah ! Mais vous ne pouviez pas prévoir, Mon- sieur Larigues ? Ah ! pour de beaux draps, vous

m ' a v e z m i s e d a n s d e b e a u x d r a p s ! B i e n s û r , v o u s ,

vous vous en moquez, Monsieur Larigues ! Les dégâts, c'est pour qui ? Depuis qu'on vous dit, depuis que vous savez, depuis que... »

— En deux jours, au maximum, si tu as le temps...

Arnaldo m'avait répondu qu'il viendrait très bien- tôt, dans quelques jours, au début de la semaine suivante, foi de plombier.

J'avais attendu.

De toute façon, c'était loin d'être moche comme salle d'eau. Beaucoup auraient voulu la même avec ses douze mètres carrés et sa large fenêtre où se balançait un palmier au milieu du ciel. Bien sûr, le

(23)

chauffe-bain de cuivre tarabiscoté et le lavabo à colonnes, la glace et les porte-serviettes à volutes, ça faisait plutôt décor pour « Marienbad » ; n'em- pêche, ce n'était pas une salle de bains comme les autres. Elle avait du style et il suffirait de cacher les plus grosses tuyauteries qui tordaient leurs anneaux dans les coins, de repeindre les murs, de passer une couche de laque sur le placard. Bien sûr, ça faisait « 1900 », mais le « 1900 » revenait à la mode et Constance, bien que penchant pour le moderne, Constance qui avait aimé « Marienbad » et qui vivait au pays de Borromini, se mettrait à aimer à partir du moment où ça deviendrait « de style ».

Lorsque Arnaldo serait enfin venu, qu'il aurait bouché les fuites et changé quelques robinets — deux jours au maximum, quatre tout au plus (pour- quoi s'était-il mis à rire quand je lui avais parlé de deux jours ?) ; lorsque ne resterait plus à faire que ce que je pouvais faire moi-même, alors je m'atta- querais aux peintures et au nettoyage. J'achèterais un tapis de bain épais et immense ; dans le coin gauche, près de la baignoire (il y a un Ripolin spé- cial, résistant à l'eau bouillante, qui les rend comme neuves et, pour les écaillures isolées, Uhu émail, je me suis renseigné), près de la baignoire, donc, à portée de main, je mettrais une étagère d'angle pour les sels, les flacons, les éponges, les brosses, les peignes et tout le fourbi, et Constance sera ravie.

Tu crois, Constance, que de Dunkerque à Brindisi et de Venise à Biarritz, il y a beaucoup de femmes cou- vertes de mousse qui peuvent se poncer les doigts de

(24)

pied en ayant sous les yeux un palmier qui se balance en plein ciel dans le soleil ?

Du temps avait coulé. Ni bleu ni noir. Comme d'habitude : cours, bibliothèque, réunions, discus- sions, snack, feux rouges et téléphone. Arnaldo, je devais m'y attendre, n'était pas venu, et j'avais reçu deux cartes de Constance : l'une de Pavie, l'autre — la dernière — de Domodossola. Qu'est-ce qu'on peut bien gratter à Domodossola ? Etait-elle revenue ? repartie ? On verrait bien. Nous nous étions habitués, elle et moi, à l'intermittence.

Depuis deux semaines je m'étais remis à Scarron.

Un boulot de fou, mais des choses formidables qui se confirmaient peu à peu et que personne, jamais, n'avait eu l'idée de chercher. Pour bien faire, pour clouer le bec aux critiques, il n'y avait pas trente- six solutions, je le savais : il fallait partir du lexi- que du théâtre de Scarron, établir ce lexique, et, par-là, faire coup double.

Mais je n'avais pas d'ordinateur IBM, moi, comme les spécialistes du marketing européen lorsqu'ils lancent l'Old English Lavender Soap (Yardley English Lavender) dans toutes les baignoires du Monde Libre ; pas de fiches perforées, pas de per- foratrice ni de programmeur à mes ordres. Moi, j'avais du papier et des crayons à bille de diffé- rentes couleurs. Je tirais des traits, j'alignais des listes alphabétiques selon les catégories gramma- ticales, avec les références requises que personne ne

(25)

lit jamais ; je sillonnais les Œuvres Complètes avec la stupidité d'un bœuf de labour :

« Fou : J.M. (Jodelet ou le Maître valet) : 1,5 ; IV, 2 ; V, 3.

M.R. (Le Marquis ridicule) : II, 2 ; III, 1.

D.J. (Don Japhet d'Arménie) : I, 1 ; V, 2.

Foucade : F.A. (La Fausse Apparence) : III, 6.

Foudre : J.M. : II, 5.

D.J. : V, 5 et V, 7.

F.A. : I, 3.

Foudroyer : M.R. : III, 3... »

De l'artisanat de taupe, quoi, qui allait me pren- dre des semaines et des semaines, à supposer que je ne fasse que cela. Et dire que du côté de Princeton ou de Berkeley des équipes entières de chercheurs fonçaient dans des bibliothèques bourrées de vision- neuses et de microfilms !

Vers une ou deux heures du matin, les colonnes, les lettres, les chiffres me sortaient des yeux. Je tapais tout de travers. Je devais recommencer trois ou quatre fois les vérifications. Alors, j'envoyais paître ma machine à écrire, mes crayons rouges et mes crayons bleus, mes fiches et mes documents. Je me traitais de drogué et j'allais me passer un gant d'eau froide sur les yeux. Selon le débit, la tuyau- terie se mettait à vibrer comme une mitrailleuse lourde qui ébranlait la maison et je m'empressais de fermer le robinet. Demain, la voisine me ferait encore la gueule et je devrais monter l'escalier sur la pointe des pieds.

(26)

Avant de me mettre au lit, j'essayais de griller une gauloise sur le balcon. Devant moi, sur la gau- che, le palmier faisait crisser ses feuilles raides sous le vent. Le tigre lumineux d'Esso s'était éteint au coin du boulevard. Il s'éteignait régulièrement à une heure. En dehors de la gare et des avenues, tout était noir. Les immeubles tassaient leurs cubes morts les uns contre les autres. Au ras des couver- tures, partout, on pouvait imaginer des nez qui se fichaient pas mal de Scarron et qui pompaient l'air tiède des chambres avec la lenteur des cartilages satisfaits. Parfois, un doigt de retardataire, d'un coup de minuterie, taillait de haut en bas une tran- chée de rectangles jaunes dans un bloc. La mer, plus loin, ne se devinait pas. La ville était flasque et la gauloise devenait infecte. Je la jetais. Je rega- gnais la chambre, je me glissais dans les draps et j'éteignais la lumière.

Mais comment dormir ? Les Foucaral, les don Japhet, les Marine et les Philippin ne me lâchaient pas et continuaient à déverser leurs monceaux de vocables. Les tirades tonnaient comme des ava- lanches.

Alors, la seule façon de m'en tirer, c'était de faire appel à Marie-Laure.

Marie-Laure était la femme de Jojo. On sonnait, j'allais ouvrir, et c'était elle. Et elle avait une mini-

(27)

jupe noire si serrée, si moulée, que, déjà, je me met- tais à bander.

— 'jour Laurent, disait-elle de son air le plus naturel. Je ne te dérange pas au moins ?

Sur ses seins sautait un collier à triple rang. Quel- ques banalités d'usage, quelques nouvelles de Jojo, encore en déplacement pour ses histoires de syn- dicat, et elle se dirigeait avec une feinte curiosité vers le bureau, et elle se penchait sur ma table de travail dans une posture à troubler un archevê- que. Epanouie, offerte. Le liséré de son slip se des- sinait sur le tissu ; les cuisses, révélées plus qu'à mi-hauteur, appelaient les mains sous l'étoffe, pro- metteuses d'inoubliables alleluias. Je restais der- rière elle, souffle coupé, et elle ondulait lentement, et elle disait lentement, voix étrange, yeux étranges :

— Qu'est-ce que c'est tout ce que tu fabriques là ? Ça sert à quoi ?

Elle ajoutait, voix étrange, yeux étranges :

— Oh ! et puis, tu sais, je ne suis pas une intel- lectuelle, moi !

Maintenant elle faisait pleinement volte-face, maintenant je voyais la pointe dure de ses seins tendre le chemisier. J'étais assis dans mon fau- teuil et elle se tenait devant moi, debout, et elle se mettait à regarder les titres sur les étagères, der- rière mon dos.

— Ce bouquin-là, de quoi ça parle ? Je peux voir ?

Et elle s'approchait des rayons, se hissait sur la pointe des pieds, poussait le bureau, écartait mes

(28)

dossiers et mettait un genou sur l'accoudoir du fau- teuil pour mieux atteindre le livre. Et sa poitrine frôlait mon visage d'un va-et-vient rythmé, lente- ment, de droite à gauche, de gauche à droite, len- tement, habilement, plus près, plus fort. Et sa cuisse nue était à portée de main, et je n'avais pas deux centimètres à faire pour, moi aussi, frôler, palper, caresser, caresser, caresser...

— Mince, je n'y arrive pas. C'est trop haut.

Mais sa voix, cette fois, était rauque et j'étais un con si je ne comprenais pas.

Marie-Laure se hissait, cambrée, tandis que je me levais, et elle se frottait littéralement à moi. Ses seins étaient sur ma bouche et je les sentais dur- cir, et je les sentais gonfler, et je dégrafais sa jupe et son chemisier. Comme je le désirais, elle portait un soutien-gorge noir aussi impudique que son slip.

Et mes mains montaient au long de ses cuisses pareilles à des rivières de plaisir, et mes mains atteignaient le creux de son ventre, caressaient son sexe, allaient de sa croupe à son sexe, et Marie- Laure, chavirée, se mettait à gémir. Sa langue était dans ma bouche et ses doigts sur ma peau, et je me dressais contre elle, et elle se collait à moi, se reculait, s'offrait, se refusait de tous ses creux et de toutes ses bosses pour mieux se faire désirer, et elle avait arraché ma chemise, et elle mordait, bai- sait, léchait, caressait. Agenouillée, debout, age- nouillée encore, tournée, courbée, dressée, renver- sée. Et je l'entraînais sans quitter sa bouche jusqu'à mon lit.

Elle allumait la lampe de chevet, elle me poussait

(29)

à bout par mille lenteurs et mille postures. Son slip, elle avait voulu que je le lui arrache avec les lèvres, à genoux, les mains au dos. Sur le point d'ôter son collier, devançant ma pensée, elle avait dit :

— Tu veux que je le garde, lui ? Dis, tu veux ? Enfin, à bout de désir, à bout de luxure, Marie- Laure me criait d'une voix de bête :

— Viens. Viens vite ! A fond. Baise-moi à fond ! Et je prenais ma revanche, et je la faisais atten- dre, jouant à l'orée d'elle-même, lentement, d'un va- et-vient rythmé, de droite à gauche et de gauche à droite, de haut en bas et de bas en haut, m'appro- chant, me reculant, revenant ensuite en cercles concentriques précipités, lentement, violemment, brutalement, tandis que ses cuisses écartelées bat- taient mon torse.

Et d'un seul coup je m'engouffrais, d'un seul coup son con m'enveloppait et m'avalait, avide, agile, affamé, onctueux, impérieux, élastique et doux comme une bouche.

— Attends, murmurait-elle, ses ongles violets plantés dans mes reins. Oui. Attends, attends. Ah...

oui. Oh ! OUI ! Encore. Oui. Attends. Oui ! Oh ! Oui ! Jamais, Laurent, tu entends, tu me crois, ja- mais... Oh ! Oh ! Enc... Oui, OUI !

OUIII !...

Et nous jouissions à en crier, à fond, à la même seconde, comme des baleines, tandis que le collier volait en éclats et qu'une cascade de perles oran- gées rebondissait sur le sol.

(30)

Ensuite Marie-Laure s'effondrait sur moi, moite, muette, palpitante, gémissant encore, cœur cognant.

Elle recouvrait peu à peu sa respiration. Elle se mettait à lâcher de petites phrases humides.

— Oh ! Laurent... Oh...

Et je lui disais, bégayant aussi, qu'elle aussi était bonne, bonne, bonne... Elle s'étonnait : je ne m'étais pas rendu compte auparavant ? Je n'avais pas deviné ? Je n'avais pas compris que, depuis si longtemps, du fond des temps, de cela, exactement comme cela, elle... Mais elle ? Elle n'avait pas deviné non plus? Moi aussi, depuis si longtemps, du fond des temps, de cela, exactement comme cela, je... Je le savais, je le savais bien, de toute éter- nité, qu'elle avait ce con enveloppant, avide, agile, affamé, onctueux, impérieux, élastique et doux comme une bouche. Je le savais bien que nous étions faits pour faire l'amour tous les deux, jusqu'à en . mourir. Enfin, elle était venue, elle avait sonné, elle était entrée, elle s'était accoudée à ce bureau, elle avait feint de chercher ce livre sur un rayon et rien, désormais, ne serait plus jamais comme avant.

— Mais tu n'avais pas compris, Laurent ? Oh, oh !... Tu ne... ?

Il suffirait, désormais, de se souvenir, de se rappe- ler. Dehors, le palmier continuait à faire crisser ses feuilles raides, et les immeubles à tasser leurs cubes morts les uns contre les autres. Elle était, elle serait, désormais, ma salope royale, ma salope à moi, unique et royale, ma pute royale pour l'éter- nité.

(31)

Un professeur quadragénaire, célibataire mais aimé depuis huit ans par Constance, est heureux. Plutôt, il croit l'être jusqu'au jour où il ne supporte plus le bruit de mitraillette que fait un des robinets de sa salle de bains. Il demande à son copain de village, Arnaldo, qui est plombier, de venir le changer quand il en aura le temps. Arnaldo débarque un matin avec sa camionnette. Il change, bien sûr, le robinet défail- lant, mais aussi, le lavabo, la baignoire, la tuyauterie, la faïence et, pour finir, le professeur lui-même. Au point que ce dernier ne s'en remettra jamais et qu'il en mourra.

La salle de bains, elle, restera comme le témoi- gnage glacé et incongru d'une déclaration d'amour trop pudique pour être entendue ; elle restera aussi, dans la mémoire de qui voudra, comme le lieu privi- légié d'une amitié incommunicable parce qu'elle vient trop tard. Mais il est possible, tous comptes faits, qu'elle n'ait été que le prétexte amusé d'une démons- tration de style. Le style d'un écrivain au ton tout à fait neuf, qui spontanément, insolemment, mêle la langue crue, argotique et elliptique, la langue franche que nous parlons tous, tous les jours, à celle, plus élaborée, toute de finesse et de rigueur, pour tout dire « littéraire ». Le résultat : un mélange détonant qui provoque l'émotion de la vie enfin captée et qui fait tourner un peu plus vite... beaucoup plus vite...

les pages... jusqu'à la fin...

(32)

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia

‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

Références

Documents relatifs

Noether considère une symétrie infinité- simale d’une intégrale d’action, c’est-à-dire une symétrie du lagrangien à une diver- gence près, et détermine la loi de

Ceci est vrai dès le Tome II, mais va devenir caricatural dans les derniers volumes, surtout sous la plume du chevalier de Jaucourt, comme nous le verrons un peu plus loin.. Nous

Après son câlin, il ne regardait plus Emma comme un bon repas mais comme une personne très importante pour lui.. Emma avait

L’ananas est également un fruit composé de plusieurs fleurs qui évoluent en fruits à chair tendre, des baies, qui se regroupent autour d’une tige. Le tout est surmonté

Dans le domaine éducatif, des libertaires qui rejettent en bloc toute forme d’autorité au nom d’une hypothétique spontanéité individuelle, comme Georges Mendel 3 , aux

Dans le domaine éducatif, des libertaires qui rejettent en bloc toute forme d’autorité au nom d’une hypothétique spontanéité individuelle, comme Georges Mendel 2 , aux

Pour tout entier n, on note a n le nombre de logements sociaux dans cette ville en (2012 + n).. La ville souhaite au moins doubler le nombre de ses

Existe-t-il quelque chose comme une république romaine, non au sens d’un simple système politique, mais au sens plus profond de ce que sous-entend le vocable de république dans