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L'Allemagne face à la crise pétrolière : l'écotaxe et la politique énergétique à l'épreuve

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Texte intégral

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Allemagne 2001

Regards sur une économie en mutation IFAEE

L'Allemagne face à la crise pétrolière : l'écotaxe et la politique énergétique à l'épreuve

Isabelle Bourgeois

DOI : 10.4000/books.cirac.856 Éditeur : IFAEE

Lieu d'édition : IFAEE Année d'édition : 2001

Date de mise en ligne : 13 décembre 2017 Collection : Travaux et documents du CIRAC ISBN électronique : 9782905518538

http://books.openedition.org Référence électronique

BOURGEOIS, Isabelle. L'Allemagne face à la crise pétrolière : l'écotaxe et la politique énergétique à l'épreuve In : Allemagne 2001 : Regards sur une économie en mutation [en ligne]. Cergy-Pontoise : IFAEE, 2001 (généré le 02 octobre 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cirac/856>. ISBN : 9782905518538. DOI : https://doi.org/10.4000/books.cirac.856.

Ce document a été généré automatiquement le 2 octobre 2020. Il est issu d'une numérisation par reconnaissance optique de caractères.

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L'Allemagne face à la crise

pétrolière : l'écotaxe et la politique énergétique à l'épreuve

Isabelle Bourgeois

1 En septembre 2000, la crise pétrolière est traitée de façon apparemment paradoxale en Allemagne. Les transporteurs routiers manifestent, exigeant la suppression de l'écotaxe. Or le chancelier ‘répond’ publiquement à l'ensemble des consommateurs qui, s'ils protestent, ne défilent pourtant pas. Aux premiers, à qui il refuse toute subvention sectorielle nationale, il propose de les écouter afin d'alimenter les réflexions européennes sur le secteur des transports et de la logistique. Aux seconds, il propose des mesures fiscales à effet « d'amortisseur social » (soziale Abfederung) pour compenser la baisse de leur pouvoir d'achat à la suite de la flambée des cours du pétrole. Mais sur la question principale en débat, l'écotaxe, le gouvernement fédéral reste ferme, cet impôt sera maintenu comme prévu. Ce qui ressemble à un dialogue de sourds tient en réalité d'un débat par procuration.

L'écotaxe sur la sellette

2 Au niveau le plus immédiat, les termes du débat sont les suivants : la troisième tranche entrera-t-elle en vigueur comme prévu, ainsi que le maintient le gouvernement fédéral ? Sera-t-elle ajournée, comme le souhaitent nombre de consommateurs ? Ou l'écotaxe sera-telle tout simplement supprimée, comme l'exigent l'opposition, les transporteurs ou les fédérations patronales à l'instar du BDI ? Cette question occupe le devant de la scène de l'information. Le premier sondage d'opinion, effectué par l'institut Emnid pour le compte de la chaîne d'information n-tv (groupe von Holtzbrinck, qui édite notamment le quotidien économique Handelsblatt) et publié le 15 septembre, est clair : 81 % des Allemands plaident pour un ajournement de la troisième tranche. Certes, pour 52 % des Allemands, ce n'est pas le gouvernement de coalition SPD/Verts qui est responsable de la flambée des prix à la pompe, mais les compagnies

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pétrolières. Néanmoins, ils en appellent majoritairement à lui (69 % des sondés) pour réduire la taxation des carburants lorsque le prix du baril s'envole. En ce sens, rien ne les distingue des autres Européens.

L'écotaxe, un impôt sur l'énergie avec pour objectif un double dividende La « Loi sur l'entrée dans la réforme écologique de la fiscalité » (Gesetz zum Einstieg in die ökologische Steuerreform) du 24-03-1999 est entrée en vigueur le 1er avril 1999.

Cette fiscalité énergétique a « pour objectif de baisser les cotisations retraites et de rendre ainsi le facteur travail moins cher tout en finançant sur le moyen et le long terme un programme destiné à développer la mise en œuvre d'énergies

renouvelables »*. Autrement dit, il s'agit en premier lieu de réduire de 25 % les émissions de CO2 d'ici 2005, l'année de référence étant 1990 (engagements de Kyoto). Il s'agit aussi de « donner un signal politique »* aux Etats membres dans le cadre des discussions sur une fiscalité énergétique communautaire. Enfin, les taxes prélevées sur la consommation d'énergie sont destinées à dynamiser le marché de l'emploi en abaissant le niveau des cotisations, généralement considérées comme dissuasives. C'est là le « double dividende » escompté.

La Loi sur l'écotaxe (Ökosteuergesetz), telle qu'on l'appelle communément, prend effet en cinq étapes, échelonnées entre le 1er avril 1999 et le 1er janvier 2003. D'un côté, les cotisations retraites sont ramenées de 20,3 % à 19,5 % ; les cotisations sociales passent de 42,3 % à 41,5 %. D'un autre côté, pour financer cet abaissement, la consommation d'énergie est taxée selon les modalités suivantes en ce qui concerne les particuliers. A chaque étape (tranche) de l'écotaxe sont prélevés : 0,06 DM par litre de carburant ; 0,04 DM par litre de fuel domestique ; 0,02 DM par kWh d'électricité (demi-tarif pour le chauffage par accumulation) ; 0,032 DM par kWh de gaz. A l'inverse, la consommation d'électricité produite à partir d'énergies renouvelables est défiscalisée. Pour « ne pas nuire à la compétitivité de l'économie allemande »*, l'industrie et l'agriculture bénéficient de dégrèvements,

généralement de l'ordre de 20 %, et parfois plus. Les chemins de fer, par exemple, ne sont taxés que de 0,004 DM par kWh d'électricité. Enfin, les industries grosses consommatrices d'énergie bénéficient de réductions supplémentaires.

*) Bundesministerium der Finanzen, Finanzbericht 2000, p. 154

3 Les automobilistes allemands s'estiment eux aussi soumis à une lourde pression fiscale.

En comparaison européenne, l'Allemagne figure effectivement, après la Grande- Bretagne et la France, dans le peloton de tête des Etats membres où le super sans plomb (eurosuper 95), le carburant le plus répandu en Allemagne, est le plus lourdement taxé proportionnellement au prix à la pompe. Ceux-ci ont en outre franchi le seuil de tolérance des automobilistes allemands depuis que le prix du litre d'eurosuper a atteint 1 €. Les automobilistes en ont tiré les conclusions : la part des véhicules diesel dans les immatriculations enregistrées de janvier à juillet a augmenté de 19 %, alors que celle des véhicules à essence baissait d'autant, selon la Fédération de l'industrie automobile VDA.

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Part des taxes (en %) dans le prix du litre de super sans plomb

Source des données : Erdöl-Energie-Informationsdienst n°37/2000, FAZ (12-09-2000).

4 On peut voir dans la grogne des automobilistes allemands un facteur culturel lié aux habitudes de consommation des ménages, fortement enclins à rechercher systématiquement les prix les plus bas. A moins que ce ne soit un facteur politique de nature conjoncturelle qui ait fait déborder le vase. L'arrivée au gouvernement fédéral de Bündnis 90/Die Grünen a conféré ses lettres de noblesse à un fonds idéologique farouchement hostile à l'automobile. Or les Allemands, à l'instar des Français, effectuent les trois quarts de leurs déplacements individuels en utilisant leur voiture. Si les Allemands, et pas seulement l'électorat vert, partagent très largement une grande sensibilité écologique, ils sont, dans leur vie professionnelle et privée, bien plus largement confrontés aux impératifs de mobilité : le polycentrisme de l'économie, la grande dispersion des activités liée aux restructurations industrielles et à la tertiarisation, s'accompagnant de l'extension des zones urbaines et d'activités, font que les Allemands sont majoritairement tributaires de l'automobile, souvent faute de transports en commun adaptés. Qu'ils fassent le plein ou qu'ils subissent l'augmentation des tarifs par les sociétés de transports collectifs qui répercutent sur leurs clients la hausse des carburants, ils craignent aujourd'hui pour leur pouvoir d'achat.

5 Cette crainte se double de l'exaspération face à l'engorgement du réseau routier et, plus généralement, à l'insuffisance des infrastructures de transport. Certes, il s'agit là d'un problème d'adéquation commun à tous les pays industrialisés ; il s'agit en outre d'un retard imputable à l'unification, puisque l'effort principal en la matière s'est porté ces dix dernières années sur la modernisation des infrastructures est-allemandes et sur le désenclavement des nouveaux Länder. La politique des transports menée depuis plusieurs années par les Verts allemands dans différents Länder de l'Ouest n'est pas étrangère non plus à ces lacunes. Que l'on se souvienne des luttes menées au début des années 80 contre l'extension de l'aéroport de Francfort, plus récemment contre l'aménagement du Danube, ou de l'opposition des membres écologistes de gouvernements régionaux contre l'extension du réseau autoroutier. Enfin, depuis son arrivée au gouvernement en 1998, la coalition fédérale a stoppé plusieurs chantiers, dont le développement de grandes liaisons routières et ferroviaires entre l'Est et l'Ouest. Or si la sensibilité environnementale interdit à nombre d'Allemands de s'en prendre aujourd'hui de front à la coalition fédérale, l'opposition à l'écotaxe permet d'autant plus facilement aux automobilistes d'exprimer un malaise aux causes multiples qu'il s'agit d'un impôt au montant bien identifié par les contribuables. En désignant l'écotaxe, c'est aussi la politique des transports du courant le plus doctrinal ou irréaliste de Bündnis 90/Die Grünen qu'ils visent.

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L'impact des prix pétroliers sur la consommation des ménages

6 Le vaste intérêt porté par les médias au coût des produits pétroliers pour les consommateurs a plusieurs raisons. Certes, les médias informent sur le mouvement des transporteurs routiers. Mais celui-ci est clairement identifié comme la manifestation d'une crise de restructuration que traverse une branche confrontée à une concurrence avivée sur un marché de taille européenne. Et l'on est conscient que, si certaines fédérations ont porté plainte auprès du Tribunal constitutionnel fédéral contre l'écotaxe, aucune mesure nationale ne peut, à elle seule, résoudre les problèmes liés à la trop faible taille de nombre d'entreprises de transport confrontées à des géants, ou liés au dumping social pratiqué par ces transporteurs qui embauchent systématiquement des chauffeurs est-européens. Dans ce contexte de restructuration d'une branche et face à la nécessité de la réglementer à l'échelle du marché intérieur, la grogne des transporteurs allemands contre l'écotaxe est nettement perçue comme la manifestation d'un malaise beaucoup plus général auquel même des subventions sectorielles - que refuse le gouvernement fédéral pour des raisons de droit de la concurrence national et européen - ne pourraient remédier.

7 C'est donc sur la grogne des consommateurs que se concentre l'intérêt des médias. Il traduit l'importance accordée en Allemagne à la protection des consommateurs (Verbraucherschutz). Elle constitue en effet un contrepoids institutionnel au pouvoir économique des entreprises, pratiquement au même titre que la législation anti-cartels.

A l'instar des branches, les consommateurs ont, eux aussi, de puissants lobbies organisés ; les automobilistes, par exemple, l'Automobile-Club allemand ADAC, dont le magazine (et organe) ADAC Motorwelt, qui tire à plus de 13 millions d'exemplaires, est le titre de loin le plus lu d'Allemagne. Mais l'intérêt des médias traduit également la crainte, formulée par les experts économiques, que les ménages, contraints d'augmenter leur budget automobile, ne réduisent en proportion les autres postes de leurs dépenses. Cela aurait un effet inhibiteur certain sur la relance tant attendue de la consommation privée et freinerait d'autant le démarrage du second moteur de la reprise conjoncturelle. A l'horizon se profile aussi le risque que l'inflation induite ne brise, à terme, l'élan de modération salariale qui avait contribué à activer la croissance.

8 Pourtant, il s'agit d'un impôt relativement modique. Depuis son entrée en vigueur, l'écotaxe n'a par exemple renchéri le litre de carburant que de 0,12 DM (0,06 €) au total.

Le litre de fuel domestique subissait la même augmentation. Dans le même temps, la réforme fiscale lancée par Hans Eichel au début de l'année s'est traduite par un allégement de la pression fiscale sur les ménages, principalement des familles avec enfants. Selon les estimations du Conseil des Sages (rapport de novembre 1999), le revenu disponible des ménages devait ainsi croître cette année de 3,7 % dans l'ensemble, soit près de deux fois plus vite qu'en 1999, les effets de l'écotaxe étant largement contrebalancés par la réforme fiscale. Cela étant, ce constat global n'empêche pas les familles nombreuses de se sentir défavorisées ; l'une d'entre elles a déposé plainte cet été auprès du Tribunal constitutionnel fédéral.

9 Mais l'évolution du coût de la vie était « difficile à prévoir » dès la fin 1999, à cause notamment du renchérissement des importations de produits pétroliers, avançaient prudemment les Cinq Sages. Et de fait, à la mi-septembre 2000, à en croire le quotidien

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Frankfurter Allgemeine Zeitung (édition du 14-09), les ménages allemands auront déboursé en moyenne 1 100 DM (562 €) de plus en carburants et fuel domestique que l'an dernier. Pour les seuls automobilistes, soit les trois quarts des Allemands, la facture de carburant aura augmenté de 700 DM (358 €) en un an, avance l'ADAC. Le ministre fédéral des Finances, pour sa part, a estimé au cours des débats budgétaires de septembre que le pouvoir d'achat des ménages s'en trouvera réduit de quelque 20 milliards de DM. L'opposition, quant à elle, avance le chiffre de 40 milliards. Question de calcul : si l'effet direct de la hausse des prix à la pompe sur le budget des ménages peut être évalué assez facilement, l'incertitude en revanche pèse sur le comportement des entreprises. Celles-ci devraient répercuter la hausse sur le prix de vente des produits, mais reste à savoir dans quelle proportion et dans quels délais.

Le poids des dépenses de mobilité

10 Les ménages allemands consacrent une part importante de leur budget aux transports en général et à l'automobile en particulier. Alors que voici cinquante ans, ce poste ne venait qu'en sixième position dans les dépenses des ménages, il figurait en troisième position en 1998 (dernières statistiques officielles). De 1950 à 1998, les dépenses de mobilité ont presque triplé, passant de 6,4 % du budget à 15,2 %. Cette augmentation est imputable essentiellement à l'essor des transports individuels. Plus des trois quarts des ménages allemands possèdent désormais au moins une voiture ; un cinquième des ménages ouest-allemands ont au moins deux voitures, ce sont ceux qui disposent d'un revenu moyen et élevé. En moyenne, les Allemands consacrent en 1998 à l'automobile 690 DM par mois (340 €) à l'Ouest et 590 DM (290 €) à l'Est, où le niveau d'équipement est encore légèrement inférieur.

11 Cela étant, la structure des dépenses consacrées à l'automobile est identique dans les anciens et les nouveaux Länder : plus les revenus des ménages sont élevés, plus le budget consacré à l'automobile est important. Cela s'explique notamment par l'habitat périphérique des familles aux revenus les plus élevés. Mais tous les foyers accordent la priorité au budget automobile dès lors que les besoins de première nécessité sont couverts. La seule distinction entre revenus faibles et plus élevés se manifeste dans le choix entre un véhicule neuf ou d'occasion, ainsi que le haut ou le bas de gamme, et le nombre de véhicules achetés. La limite de revenus mensuels, par exemple, à partir de laquelle les ménages acquièrent un second véhicule était de 3 000 DM en 1998 - dans les anciens comme dans les nouveaux Länder.

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Structure des dépenses des ménages ( %) - évolution 1950-19982

Source des données : Statistisches Bundesamt, calculs du DIW, DIW-Wochenbericht 9/2000.

**) 1950-90 : RFA dans sa configuration d'avant l'unification.

12 Au cours des années 90, le carburant s'est considérablement renchéri. Le prix de l'eurosuper a augmenté de 33 % entre 1990 et 1998, dépassant de 9 points l'augmentation du coût de la vie. Cette hausse est pour l'essentiel imputable à une forte taxation, rappelle l'institut DIW dans une étude publiée début mars 2000 (DIW- Wochenbericht 9/2000) et consacrée à la prévision à moyen terme des dépenses automobiles des ménages. Entre 1991 et 1994, le litre de super sans plomb avait été taxé de 0,41 DM supplémentaires, remarque le DIW sans toutefois en rappeler les raisons : il s'agissait alors de financer l'unification. A cette hausse sont venus s'ajouter depuis les 0,12 DM des deux premières tranches de l'écotaxe. Si l'augmentation du prix à la pompe est imputable en partie à la fiscalité, elle dépend pour l'essentiel du marché pétrolier, rappelle l'institut, proche de la coalition fédérale. Au total, l'écotaxe devrait se traduire d'ici 2003 par une augmentation de 23 % du budget carburant des ménages en comparaison de 1998 - hors variations des prix pétroliers. En moyenne toutefois, cela ne devrait accroître les dépenses des ménages que de 0,9 %. L'écotaxe, d'un montant inférieur aux mesures fiscales du gouvernement précédent, argumente l'institut, ne devrait pas amener les ménages à moins utiliser leur véhicule. En effet, la demande de carburant n'évolue pas en fonction du prix à la pompe. Tout au plus, une taxation plus élevée devrait-elle inciter les ménages à acheter des véhicules à consommation réduite - mais ces effets ne se feront sentir qu'à moyen terme, lors du remplacement du parc automobile. Dans l'immédiat, en tout cas, conclut l'étude, kilométrage effectué et ventes de carburant ne devraient reculer que faiblement.

13 Cette étude, publiée en mars dernier et destinée au fond à étayer la politique de la coalition fédérale en démontrant le faible impact de l'écotaxe sur le budget mobilité des ménages, permet aussi de mieux comprendre à quel point l'évolution des prix à la pompe est sensible. Ce n'était certes pas son objectif, mais la série de statistiques sur le long terme révèle le poids du budget consacré à la mobilité - qu'il s'agisse du parc automobile ou des transports collectifs. Elle permet de constater a contrario que le choc pétrolier de 1973, pourtant douloureux, n'a pas modifié significativement le comportement des ménages en matière de mobilité bien qu'il ait gonflé le poste afférent. Au contraire, le volume du trafic routier n'a cessé d'augmenter. Et sa croissance devrait se poursuivre dans la décennie à venir, en Allemagne comme dans l'ensemble de l'Europe, estime l'institut Prognos de Bâle. Dans une étude sur l'évolution prévisionnelle des transports en Europe (European Transport Report) publiée à la mi- septembre 2000, l'institut s'attend d'ici 2010 à une augmentation de 19 % des transports

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individuels en Europe par rapport à 1998 ; de 13 % en Allemagne. Quant au transport routier de marchandises, il devrait croître de 40 % dans l'Union. Cette évolution est indépendante des prix des carburants, argumente l'étude, qui plaide par ailleurs pour augmenter drastiquement les taxes sur les carburants (au moins 1,40 DM en Allemagne, soit 0,7 €) afin de réduire le niveau d'émissions.

14 L'augmentation du trafic routier des particuliers, si elle est liée aux exigences de mobilité de la tertiarisation et des loisirs, est, par ailleurs, encouragée en Allemagne par la fiscalité des revenus, qui privilégie le recours à l'automobile pour les déplacements professionnels. Les contribuables allemands sont majoritairement au régime des frais réels ; or l'indemnité kilométrique automobile (0,70 DM par km) est plus avantageuse que celle relative au vélo (0,14 DM), à la mobylette (0,28 DM) ou à la moto (0,33 DM). Quant aux contribuables qui prennent les transports en commun, ils ne peuvent déduire leur carte d'abonnement que sur justificatif. Ils sont perdants en comparaison, affirment les Verts. A l'opposé, l'ADAC estime que le coût réel de l'automobile, tous postes confondus, ayant considérablement augmenté, l'automobiliste se trouve en réalité défavorisé par rapport à l'usager des transports en commun. L'administration fiscale, pour sa part, estime que l'indemnité kilométrique incite à pratiquer le sport national : la fraude fiscale. C'est pour toutes ces raisons que la coalition fédérale est divisée en ce mois de septembre 2000 sur l'une des mesures fiscales débattues pour pacifier le climat, à savoir l'augmentation de l'indemnité kilométrique, plutôt prônée par le SPD ou, alternativement, la création d'une indemnité forfaitaire de transport, défendue par les Verts allemands. Ceux-ci s'opposent en effet à l'indemnité kilométrique (donc automobile), qu'ils considèrent comme une incitation à l'urbanisme forcené. Le compromis devrait aboutir à la création d'un « forfait d'éloignement », c'est-à-dire d'une indemnité de transport calculée sur la distance entre le lieu de travail et le domicile. Cette mesure, dont le coût est estimé à 900 millions d'€, pourrait entrer en vigueur dès la fin de cette année, si Länder et communes acceptent de ratifier le projet de loi que compte déposer le gouvernement fédéral. Les transferts de cette nature relèvent en effet des compétences de ces trois échelons dans le cadre du fédéralisme financier. Or actuellement, ce Finanzausgleich est en cours de révision, ainsi que l'a exigé le Tribunal constitutionnel fédéral. Les discussions budgétaires s'annoncent âpres.

Risque inflationniste

15 Largement moins médiatisée pour l'instant, une autre question se profile à l'approche de l'hiver : le coût du fuel domestique. Les Allemands ont en effet retardé le moment de remplir leurs cuves, pour deux raisons principalement : l'écotaxe et la flambée des prix.

L'introduction de la première tranche de l'écotaxe sur le fuel domestique (0,04 DM par litre) au 1er avril 1999 les avait incités à se réapprovisionner avant cette date, puis à n'acheter que de faibles quantités. Selon la Fédération des pétroliers Mineralölwirtschaftsverband (MWV), les ventes de mazout ont chuté de 15 % sur l'ensemble de l'année 1999, puis encore de 21 % au cours du premier semestre 2000.

C'est alors la flambée des prix qui a incité les consommateurs à l'attentisme. En un an, le litre de fuel domestique a presque doublé. Au total, à l'automne 2000, les foyers allemands vont devoir massivement se réapprovisionner ; cette situation pourrait se révéler explosive pour le climat social. Le seul fuel domestique représente en effet près d'un tiers (30,9 %) des sources d'énergie consommées par les ménages, selon les

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données provisoires pour 1999 (arrêtées au 31 juillet 2000) publiées par la fédération MWV et le quotidien Süddeutsche Zeitung (14-09-2000). C'est là la raison pour laquelle le chancelier a annoncé l'étude de mesures visant à « amortir » les conséquences sociales de la hausse du mazout. Il pourrait s'agir de la création d'une indemnité-chauffage supplémentaire destinée aux plus bas revenus ainsi qu'aux Rmistes (Sozialhilfeempfänger). Cette mesure, au coût estimé à 600 millions de DM, pourrait également entrer en vigueur dès l'hiver, à condition que les Länder, qui en supportent la charge pour moitié, acceptent le projet. Rien n'est moins sûr dans le contexte de la révision du fédéralisme financier.

16 La hausse subite des deux postes les plus importants des budgets des ménages (transports et chauffage) avive les craintes quant aux risques inhérents à l'augmentation du coût de la vie, l'inflation, les dérives salariales ou le tassement de la croissance. Selon l'Office fédéral des Statistiques (et Eurostat), l'index du coût de la vie avait augmenté de 1,8 % en août 2000 par rapport à août 1999. Cette hausse reflète largement la flambée des prix des produits pétroliers. Au cours de la même période, le fuel domestique s'est ainsi renchéri de 44,1 %, le gaz, de 19,1 % ; quant au coût du chauffage (dont le chauffage urbain), il a progressé de 24 %. Les carburants ont, eux, augmenté de 14,9 %. « Hors fuel domestique et carburants, l'index n'aurait crû que de 1,0 % d'août 1999 à août 2000 », conclut le communiqué de l'Office (07-09-2000). Ces estimations provisoires, calculées à partir de données communiquées par six Länder, de même que la hausse du taux d'inflation, compris entre 2,2 % et 2,6 % en septembre (en glissement annuel) dans cinq Länder, contribuent à expliquer la vigueur des débats que suscite la flambée des prix pétroliers qui frappe de plein fouet les ménages allemands, largement plus dépendants des importations de produits pétroliers que la France par exemple.

Ecotaxe- un débat en trompe-l'œil

17 Depuis l'ouverture des débats parlementaires sur la loi de finances 2001 au début du mois de septembre, l'écotaxe occupe le devant de la scène. En réalité, il s'agit d'un débat en trompe-l'œil. « En ce qui concerne la rapidité des effets bénéfiques à attendre de cet instrument sur l'environnement, la notion d'écotaxe est grandiloquente et elle induit en erreur » concluait, tranchant, un éditorial politique du quotidien Suddeutsche Zeitung (19-09-2000). C'est bien là en effet le cœur, larvé, du débat : quel est l'objectif réel de cet impôt énergétique ? Or cette question renvoie à une autre, objet de vifs affrontements à l'arrière-plan : la mise en chantier de ces « réformes structurelles de fond » que le Conseil des Sages et d'autres instances indépendantes ne se lassent de réclamer depuis de longues années. C'est en cela que la discussion actuelle sur l'écotaxe relève du trompe-l'œil : politiquement, on oppose abandon de l'écotaxe et

« amortisseur social », alors que c'est l'approche de la loi et de la politique économique qu'elle implique qui se trouvent en débat. Un débat qui commence tout juste à se dessiner...

L'écotaxe, « un bâtard en matière de politique environnementale »

18 Parmi les différents axes de débat que révèle ainsi la crise pétrolière, le premier porte sur l'objectif déclaré de la loi sur l'écotaxe qui se veut un outil de politique

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environnementale. Son objectif véritable ne serait-il pas plutôt d'accroître les recettes fiscales, se demande Otto Schlecht dans un article qu'il publie dans le quotidien Handelsblatt (21-09-2000) ? Il ne s'agit pas de « jeter le bébé avec l'eau du bain », mais de

« mettre à plat le principe même de l'écotaxe », plaide le président de la Fondation Ludwig Erhard. Otto Schlecht, qui n'est membre d'aucun parti politique, prend parole en tant qu'expert indépendant. Et dans l'état actuel du débat, selon les règles qui président aux prises de décisions en Allemagne, il se doit même de le faire en sa qualité de gardien des principes de l'ordo-libéralisme qui fondent la politique économique allemande quelle que soit la majorité. Sa voix ne peut être suspectée de partialité. Cet ancien secrétaire d'Etat au ministère fédéral de l'Economie a joué - de 1962 à 1991, c'est-à-dire sous diverses majorités - un rôle déterminant dans la définition des grandes orientations de politique économique et des réformes structurelles : de l'épargne salariale à la libéralisation des services publics, du Traité de l'unification au Traité de Maastricht.

19 Son diagnostic est brutal : l'écotaxe « est un bâtard en matière de politique environnementale, aussi bien qu'au regard des principes de régulation économique ; elle est aussi un monstre en termes de cohérence fiscale, parce qu'elle ne permet justement pas de mener une politique environnementale au moyen de la fiscalité ». Elle vise en effet la seule consommation d'énergie, argumente-t-il, alors qu'elle devrait avoir pour objectif de réduire les émissions polluantes ; le charbon par exemple, particulièrement polluant, n'est non seulement pas taxé, mais au contraire, se trouve subventionné, à l'inverse du gaz, plus propre, mais soumis à l'écotaxe. En outre, pour des raisons de compétitivité, nombre de secteurs d'activité sont favorisés, voire exemptés, ce qui se révèle problématique notamment du point de vue européen. Enfin, alors que la finalité première d'un impôt écologique devrait être de générer des recettes qui s'amenuisent au fil des années, les contribuables étant incités à se détourner des produits polluants ainsi renchéris, « l'objectif premier de la coalition rouge-verte est d'augmenter les recettes fiscales afin de réduire les dépenses des caisses de retraites ». Au fond, conclut-il, ce jeu des vases communicants « camoufle le coût réel de l'assurance retraite et retarde une réforme conséquente du système des retraites, à laquelle il ôte toute substance ». Voilà, résumés en quelques formules-choc, les principaux griefs formulés à l'encontre de l'écotaxe par le gardien de l'orthodoxie ordo-libérale.

20 Les termes de cette volée de bois vert à l'attention de la coalition fédérale traduisent la dimension du débat déclenché en Allemagne par la crise pétrolière. Si leur verdeur peut heurter un Français, habitué à des controverses plus feutrées, elle relève de la normalité en Allemagne et s'accompagne toujours d'arguments constructifs. Le premier prend la forme d'une critique à l'adresse du CDU/CSU : la campagne pour l'abandon de l'écotaxe « est par trop populiste », écrit Otto Schlecht. Mais le chancelier pourrait ajourner la troisième tranche, propose-t-il, et dans le même temps, entre autres mesures sociales, abolir la taxe sur les véhicules (l'équivalent de notre vignette) ou la moduler en fonction de leur degré de pollution. Surtout, il faut relancer les dossiers européens de l'harmonisation de la taxation de l'énergie et de la création d'un impôt climatique. Enfin, conclut-il son analyse : le moment devrait être « mis à profit pour réfléchir à un concept global qui soit à la fois consistant en matière de politique environnementale comme d'ordre économique, et concerté au niveau de l'Europe ».

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21 Ce rappel des principes fondateurs de la politique économique (Ordnungspolitik, en allemand) a pour but de thématiser les vices de conception inhérents à la loi sur l'écotaxe, car ce sont eux qui, en resurgissant, alimentent les débats. Il a pour but également de rappeler l'urgence d'une réforme de fond du régime des retraites, à l'instar des instituts de conjoncture. Willi Leibfritz, par exemple, chef-conjoncturiste de l'institut ifo (Munich), estime « problématique » dans l'architecture de l'écotaxe que

« les véritables coûts de l'assurance retraite ne soient plus transparents » ; lui aussi plaide pour une remise à plat de l'ensemble du dossier, ainsi que pour « une approche plus énergique » de la réforme des retraites (Süddeutsche Zeitung, 13-09-2000).

22 Quant aux fédérations professionnelles des transporteurs routiers et ferroviaires, ainsi que des gestionnaires d'entrepôts frigorifiques, elles avaient été jusqu'à saisir au printemps dernier le Tribunal constitutionnel fédéral, considérant comme anticonstitutionnel le financement des retraites grâce à l'impôt énergétique. Si la date à laquelle les juges de Karlsruhe rendront leur verdict dans cette affaire et d'autres, relatives aux retraites, est encore inconnue, la seule perspective des recours constitutionnels suffirait à presser le gouvernement de rétablir une certaine orthodoxie s'il veut éviter une déconvenue analogue à celle que lui avait infligée la Cour suprême en janvier 1999 sur le régime fiscal des familles. De son côté, le Conseil des Sages ne cesse de réitérer depuis plusieurs années à l'adresse des gouvernements fédéraux son appel à engager enfin les réformes structurelles. Si l'objet du rapport annuel du Conseil des Sages n'est pas de dispenser des conseils sur la marche concrète à suivre, il est d'étudier la conformité de la politique menée avec les principes généraux de politique économique. Or, dans son dernier rapport (Sachverständigenrat, 1999), le Conseil a appelé le gouvernement fédéral à trancher quant au système à adopter : fiscalisation, capitalisation ou un mélange des deux. Aucun des modèles n'a leur préférence, pourvu que le choix soit cohérent, prévisible, adapté à l'évolution de la démographie et du marché de l'emploi. La Commission européenne, la BCE, somment elles aussi les Etats membres, dont l'Allemagne, de prendre les mesures qui s'imposent face au vieillissement de la population. Plus efficaces que tous ces appels, ce sont maintenant la flambée des cours du pétrole et le haro sur l'écotaxe qui mettent le gouvernement fédéral en demeure d'agir : le 27 septembre, Walter Riester, ministre fédéral du Travail, dévoilait un ambitieux projet de réforme du régime des retraites.

La politique énergétique allemande en question

23 En arrière-fond de ce dossier complexe où l'écotaxe cache la question des retraites se joue encore une autre partie, tout aussi délicate. Elle explique pourquoi la coalition fédérale ne peut donner satisfaction à l'opinion en reculant sur l'écotaxe : certes, le gouvernement est dans l'impossibilité de réaménager cette taxe à moins de mettre en danger la consolidation des finances publiques engagée par Hans Eichel. Son produit s'élève après tout jusqu'ici à 13,7 milliards d'€. En outre, l'écotaxe constitue le pivot même de la coalition. Au même titre que l'abandon du nucléaire, arraché de haute lutte aux principaux électriciens. Céder sur le premier point compromettrait l'accord, qui n'a nullement force de loi pour l'instant. Or le gouvernement fédéral s'apprête à introduire au Bundestag son projet de loi sur l'abandon du nucléaire. Surgira alors, dans un contexte de crispation général, les Länder menaçant de saisir le Tribunal constitutionnel fédéral, la seconde question que soulève la flambée des prix du pétrole

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et que le débat sur l'écotaxe permet encore d'écarter quelque temps : celle des choix énergétiques de l'Allemagne.

24 Malgré une consommation relativement élevée en comparaison européenne, qui s'explique par le poids du secteur industriel dans la structure des activités, l'Allemagne, principal site industriel d'Europe, a considérablement réduit sa consommation d'énergie dès avant même le premier choc pétrolier. Alors qu'en 1960, la consommation finale d'énergie atteignait encore 145,6 tonnes équivalent charbon (TEC) pour 1 000 DM de PIB réel (aux prix de 1991), elle était tombée à 96,5 TEC en 1999, estime une étude de l'Institut der deutschen Wirtschaft (iwTrends 3/2000) qui se fonde notamment sur les données de l'OCDE. Cette baisse est imputable principalement à l'industrie et à ses restructurations au fil du temps. Les industries lourdes, fortement consommatrices, ont largement cédé le pas à d'autres secteurs ; dans le même temps, la production se faisait de plus en plus économe. Ce sont aujourd'hui les transports et les ménages qui se montrent les plus gourmands : à eux deux, ils consomment 57 % de l'énergie.

Chauffage et transports : les principaux consommateurs d'énergie Consommation d'énergie en TEC pour 1000 DM de PIB réel3)

Source des données : Statistisches Bundesamt, iw-Trends 3/2000. ; a) Allemagne réunifiée ; b) Commerce, artisanat, forces armées. TEC : tonnes équivalent charbon.

25 L'Allemagne, depuis le premier choc pétrolier, a cherché à diversifier ses sources d'approvisionnement en énergie, développant notamment le nucléaire. Cela étant, la consommation d'énergie primaire reste fortement tributaire du pétrole brut, dont la quasi-totalité est importée. L'Allemagne a ainsi consommé 130,4 millions de tonnes de produits pétroliers en 1999. Or la flambée persistante des prix pétroliers dans le contexte du projet d'abandon du nucléaire repose avec une acuité particulière la question de l'Energiemix allemand. D'autant que, du seul point de vue de la consommation d'électricité, l'Allemagne est, avec la France, le plus gros consommateur d'Europe. Or l'Allemagne importe (40,5 milliards de kWh) un peu plus d'électricité qu'elle n'en exporte (39,5 milliards de kWh). La production nationale d'électricité s'élevait, toujours en 1999, à 520 milliards de kWh selon Eurostat et la Fédération des électriciens allemands VDEW, dont un tiers environ d'origine nucléaire.

Structure (en %) de la production brute d'électricité en Allemagne

Source des données : Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie, Vereinigung deutscher Elektrizitâtswerke e.V. (VDEW), Statistik der Kohlenwirtschaft e.V., calculs de l'institut DIW, DIW-Wochenbericht n° 4-5/2000. a) les variations s'expliquent par les arrondis ; b) données provisoires.

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26 Après le nucléaire, la seconde source d'approvisionnement en électricité est le charbon, dont l'exploitation est cependant de moins en moins rentable. Pour des raisons de politique structurelle et d'emploi, il est de surcroît fortement subventionné. Depuis 1997, les aides, versées par le Bund et le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie (principal site houiller) ont certes été réduites : après avoir atteint 12 milliards de DM en 1995, elles sont passées à 8,9 milliards de DM pour être ramenées à 5,3 milliards de DM en 2005. Mais le 21 septembre 2000, la vice-présidente de la Commission européenne, Loyola de Palacio, a annoncé au ministre fédéral de l'Economie, Werner Müller, ainsi qu'au ministre-président de Rhénanie du Nord-Westphalie, Wolfgang Clement, que la Commission suspendait son autorisation pour la subvention 2000 (8,5 milliards de DM) à la preuve, à apporter par l'Allemagne, de la rentabilité des activités houillères et de l'état d'avancement de sa rationalisation. Cette décision, apporte un nouvel élément dans le débat sur la sortie du nucléaire et d'une manière plus générale, sur les choix énergétiques de l'avenir.

27 La douloureuse (re)découverte par l'Allemagne de sa dépendance des importations de pétrole, le choix d'abandonner le nucléaire d'ici une trentaine d'années, posent enfin la question de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Lors du Sommet de Kyoto, le gouvernement fédéral s'était engagé à réduire de 25 %, d'ici 2005, les émissions de CO2 par rapport à leur niveau de 1990. Or cet objectif ne peut être atteint qu'à condition de réduire d'autant la consommation des ressources énergétiques fossiles. Mais comment y parvenir, s'interroge l'Institut der deutschen Wirtschaft, proche du BDI (iw-Trends, 3/2000) ? Les technologies permettant d'économiser l'énergie, qui ont fait des progrès fulgurants après 1973, se développent aujourd'hui à un rythme nécessairement moins soutenu. Les sources énergétiques alternatives sont soit en passe d'être abandonnées (nucléaire), soit disponibles en trop faible quantité ou non rentables. Enfin, plus généralement, toute réduction des activités gourmandes en énergie serait dommageable à la croissance. L'objectif de politique climatique que s'est fixé l'Allemagne se révèle donc « peu adapté à la poursuite des processus de développement durable », conclut l'étude qui se fonde sur les travaux menés en la matière par l'institut DIW (émissions de CO2 en 1999, DIW-Wochenbericht 6/2000) et l'OCDE (OCDE, 1999). L'Allemagne se trouve donc bien confrontée, aujourd'hui, à une nouvelle réflexion écologique sur ses choix énergétiques. Mais cette question-là est la grande absente des débats qui animent l'espace public au mois de septembre 2000.

28 PERSONNE NE S'Y TROMPE : la question de savoir si l'essence et le mazout augmentent de 20 centimes au 1er janvier ou non constitue un enjeu de façade. Le gouvernement fédéral ne dispose guère de marge de manœuvre pour gérer la crise pétrolière. Qu'il recule sur l'écotaxe, et c'est la coalition fédérale qui implose. Qu'il réduise la fiscalité pétrolière, et c'est le cap de consolidation budgétaire qu'il abandonne. Qu'il subventionne les transporteurs routiers, et c'est ‘Bruxelles’ qui l'épinglera.

29 Mais la question est plus complexe, et la presse allemande, avec une lucidité croissante, découvre la réalité du dilemme que pose la flambée des cours pétroliers : quelles réponses ‘nationales’ apporter à une évolution qui appelle un traitement à ce niveau mais dont les causes, comme les effets, dépassent de loin le contexte strictement national ? A cela s'ajoute une spécificité allemande : la crise ne peut se gérer que collectivement. Sans l'adhésion des collectivités territoriales constitutives de la République fédérale, le gouvernement berlinois est pratiquement réduit à l'impuissance : la fiscalité n'est pas de son ressort exclusif ; quant au pouvoir

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administratif, il lui échappe totalement (sauf les rares domaines de souveraineté comme les affaires étrangères). La crise pétrolière n'implique certes pas une crise du fédéralisme, loin s'en faut, mais elle révèle avec acuité la nécessité d'en adapter les structures au degré croissant d'intégration de l'Union européenne. Elle révèle dans le même temps l'urgence d'une réforme des institutions européennes : sans un concept clairement défini à l'échelon communautaire, la République fédérale ne peut que difficilement réformer les siennes.

30 Dans ce contexte, le gouvernement fédéral, dont les prérogatives sont somme toute résiduelles, risque de se trouver en porte à faux entre l'échelon européen et les Etats souverains que sont les Länder. Or actuellement se négocie la réforme du fédéralisme financier, réclamée par le Tribunal constitutionnel fédéral, et qui doit être achevée en 2003. C'est donc une partie de bras de fer qui s'engage en Allemagne entre les acteurs concernés : collectivités, majorité-opposition, Bundesrat (organe de codécision des Länder) et Bundestag (députés fédéraux). Dans cette négociation aux multiples acteurs, toute décision, à quelque niveau qu'elle soit prise, est versée au fonds argumentaire et servira à équilibrer les compromis d'où naissent finalement les réformes.

31 Sous l'effet de la flambée des cours pétroliers, révision du fédéralisme financier et réforme des institutions européennes se catapultent ainsi avec deux autres dossiers aussi lourds de conséquences que la gestion des âges et des ressources énergétiques. Si personne ne s'y trompe, l'enjeu de façade que constitue au mois de septembre 2000 la crispation sur l'écotaxe offre dans le même temps une opportunité : celle de tester et d'affiner les positions respectives sur les enjeux sous-jacents. Mais cette sorte de

« répétition générale » ne permettra pas à l'Allemagne de différer longtemps encore la mise en chantier des réformes structurelles de fond dont dépend sa croissance. Et celle de l'Europe à la fois. Car s'il est une chose dont la crise pétrolière a fait prendre conscience à l'Allemagne, c'est de la consistance de l'espace européen, avec ses contraintes et son potentiel tout à la fois. En ce sens, la faible tenue de l'euro aura eu un effet accélérateur certain : la première économie régionale européenne n'a plus le droit d'atermoyer.

BIBLIOGRAPHIE

Indications bibliographiques

- « CO2-Emissionen im Jahre 1999 : Rückgang nicht überschätzen », DIW-Wochenbericht n°6/2000 - « Weiter wachsende Bedeutung der privaten Ausgaben für den motorisierten

Individualverkehr », DIW-Wochenbericht n° 9/2000

- « Indikatoren der nachhaltigen Entwicklung, Aussagekraft und Probleme », iw-Trends 3/2000 - « Primärenergieverbrauch im Jahre 1999 rückläufig, DIW-Wochenbericht n°4-5/2000

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- Sachverständigenrat zur Begutachtung der gesamtwirtschaftlichen Entwicklung, Jahresgutachten 1999/2000

- « Allemagne. Pour une croissance écologiquement durable ». Etudes économiques de l'OCDE, 1999

- « Ökosteuer : Nicht wie versprochen », IWD, 3/2000

NOTES DE FIN

1. version initiale de cet article est parue dans Regards sur l'économie allemande n°48 (octobre 2000).

2. données aux prix courants, non encore révisées selon le Système européen des comptes nationaux (SEC 95)

3. aux prix de 1991

RÉSUMÉS

A l'automne 2000, la flambée des cours du brut confronte l'Allemagne à ses enjeux politiques et choix structurels. Les crispations de l'opinion et des milieux économiques se focalisent sur l'écotaxe, le nouvel impôt sur l'énergie créé par le gouvernement Schröder. Mais la crise pétrolière révèle bien d'autres questions. En matière de fiscalité : un impôt sur l'énergie peut-il à la fois garantir l'avenir des retraites et créer des emplois ? En matière de transports : quelles politiques pour les infrastructures, pour le marché européen de la logistique ? En matière de politique énergétique et environnementale : l'Allemagne peut-elle réellement tenir les engagements de Kyoto et se passer du nucléaire ? La manière dont ces questions émergent à l'arrière-fond des protestations contre l'écotaxe permet aussi d'observer le fonctionnement du processus de formation de l'opinion - que ce soit celle du citoyen ou du décideur1.

AUTEUR

ISABELLE BOURGEOIS Chargée de recherches au CIRAC

Rédactrice en chef de Regards sur l'économie allemande - Bulletin économique du CIRAC.

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