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Quand le «capital santé» est menacé

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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ans une société où un individu acquiert la légitimation de son existence par le seul fait qu’il ne pose pas de problème et que dans sa poursuite du «bien-être» il peut montrer aux yeux de tous – et par-là conforter en lui-même – l’assurance de la bonne «gestion»

de ses affaires et donc de son «capital santé», nous sommes dans l’illu- sion, la duperie, le mensonge. Enfin appelez-le comme vous voulez mais cet individu n’a qu’une option : le maintien de cet état de fait par l’évite- ment, l’oubli, le refoulement. Alors quand le tragique improbable et tou- jours injuste fait irruption dans sa vie, on peut imaginer l’ampleur de son bouleverse- ment. D’aucuns lui diront, ou il réalisera de lui-même, que c’est le moment de reconsi- dérer, voire de penser pour la première fois les fondements de la poursuite de cette réussite, que le moment est venu de découvrir d’autres horizons à sa vie, de renouer avec lui-même et avec les autres, d’exister enfin.

Quand le tragique est la perte de ce «capital santé», il revient donc à nous les soignants de combattre la maladie puis de soutenir le patient dans sa rééducation existentielle, s’il le souhaite – ou si sa souffrance psy- chique est trop intense et qu’il présente des symptômes qui auront alarmé sa famille, ses amis ou son médecin. Le spectre de la dépression et autres décompensations rôde.

Pour cela, le médecin a des outils pour procéder à une évaluation des

«troubles» (dis-orders) psychiatriques afin de poser un diagnostic. A cha- que expression manifeste d’un symptôme correspond une classification.

Par exemple, il n’est pas étonnant qu’un individu, abattu, désintéressé, sans énergie et se sentant insuffisant, se voit classifié de dépressif – un diagnostic en constante augmentation – et de suite on lui prescrira des psychotropes pour le «re-dynamiser». En vérité, pour le patient rien n’a changé. Il risquera seulement de devoir prendre ces médicaments à vie puisque dans le cas d’un effet positif sur son humeur et donc sur son com- portement, ils lui permettront de soutenir sa capacité à contrôler ses symptômes sans devoir changer. Il en résulte que la souffrance psychique est ainsi rendue chronique et la prescription des psychotropes, eux aussi, en constante augmentation.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Une approche devant la plainte se limitant aux expressions manifestes d’un symptôme, ignorant l’origine, le contexte et la fonction de celui-ci ex- clut la personne de son univers relationnel et de son histoire et l’identifie à sa maladie, c’est-à-dire à sa «perte de santé», la réduit à son «échec», la conforte dans son état «en rupture». La conséquence est une pathologi- sation et une médicalisation d’un grand nombre de personnes qui se re- trouvent classifiées comme cet exemple, dans un diagnostic fourre-tout qu’on dénomme dépression. Or les symptômes peuvent se ressembler mais leurs origines être fort différentes et, à l’inverse, les symptômes peuvent ne pas se ressembler mais les origines être les mêmes. Si on

Quand le «capital santé»

est menacé

«… nous sommes dans l’illusion, la duperie, le mensonge …»

éditorial

Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 15 février 2012 347

Editorial

F. Stiefel

du professeur

Friedrich Stiefel

Service de psychiatrie de liaison CHUV, lausanne

et du docteur

Alessandra Canuto

Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise HUG, Genève

Articles publiés sous la direction

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ignore le contexte social et anthropologique dans la fabrication de la clas- sification psychiatrique définissant le périmètre du normal et du patholo- gique, on ne mesure pas les effets pervers de ce système de soins classi- ficateur, ni ceux de ce contexte social et anthropologique sur la souffrance psychique des individus. A l’école, en famille, au travail – à travers un monde ultra-compétitif et soumis à la concurrence économique sans pitié –, il ne faut pas s’étonner que des individus qui se perçoivent comme in- suffisants, par exemple en ayant perdu leur «capital santé», soient classifiés

parmi les catégories du «trouble mental».

Face à une époque qui produit l’inflation des dispositifs gestionnaires, l’évaluation per- manente à tous azimuts dans une folie pro- tocolaire se proclamant scientifique et evi- dence-based, notre devoir de méde cin est de défendre une clinique du sujet.

Une clinique du sujet implique que le médecin essaie de comprendre l’ori- gine et la fonction des symptômes psychiques, de situer le patient dans son univers relationnel et professionnel et de lier sa plainte à son dévelop- pement et parcours de vie. Ceci nécessite une compétence profession- nelle et humaine ainsi qu’une indépendance d’esprit dans le sens politi- que du mot. Il est à espérer que la résistance à l’intérieur et à l’extérieur de la médecine qui se manifeste aujourd’hui parmi certains de nos collè- gues ainsi que le combat pour une médecine véritablement scientifi que et humaniste ne soient peut-être pas perdus.1-3

348 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 15 février 2012

«… notre devoir de médecin est de défendre une clinique du sujet …»

Bibliographie

1 Abelhauser A, Gori R, Sauret MJ. La folie Evaluation. Les nouvelles fabriques de la servitude.

Paris : Mille et une nuits, 2011.

2 Corcos M. L’homme selon le DSM. Le nouvel

ordre psychiatrique. Paris : Albin Michel, 2011.

3 Ehrenberg A. La fatigue d’être soi : dépression et société. Paris : Odile Jacob, 1998, 2000.

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