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Eradiquer les trisomiques, bien qu’ils soient doux (1)

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868 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 18 avril 2012

actualité, info

Eradiquer les trisomiques, bien qu’ils soient doux (1)

En France, la campagne pour les élections présidentielles aura permis quelques incur- sions publiques dans le champ de l’éthique.

On a ainsi parlé (bien modestement et sans guère soulever les passions) de la médicali- sation (ou non) de la fin de vie. Il en fut de même avec la question – décidément bien rebattue – du mariage ou des couples com- posés de deux hommes ou de deux femmes ; ou encore, corollaire, de l’utilisation des tech- niques de l’assistance médicale à la procréa- tion à des fins autres que le

traitement d’une stérilité pa- thologique. Sur un mode dif- férent, les esprits s’en flam- mèrent pour savoir s’il était bien moral d’égorger des ani- maux dont les viandes sont destinées à la con som mation humaine. Les esprits s’en flam- mè rent avant que l’on tourne, bien vite, la page. C’est que la science ne répond guère aux questions que les religions sou lèvent. C’est aussi que, faute d’être végétariens, on ne souhaite guère rester très

longtemps à table avec – au menu – la ques- tion des souf fran ces comparées de l’assom- moir et du couteau plus ou moins ébréché.

Cette campagne électorale était sur le point de se terminer quand nous tombâmes sur un petit texte publié dans une toute récente livraison (datée 7 avril) du plus que roboratif supplément «Sciences» du Monde. Un point de vue signé Laurent Alexandre, présenté comme chirurgien urologue et président de DNAVision. Un texte titré «Eugénisme 2.0».

Que nous dit le Dr Alexandre ? «Le désir de l’enfant parfait habite la plupart des parents et la société encourage la minimisation des risques obstétricaux. La "techno-maternité"

s’impose progressivement : l’accouchement à domicile sans sécurité et sans péridurale, qui est découragé aujourd’hui par les pou- voirs publics, était la norme il y a moins d’un siècle ; trier les embryons, éliminer les fœtus non conformes deviennent des étapes classiques de toute grossesse "raisonnable".»

«Nous sommes déjà sur un toboggan eugé niste sans nous en être rendu compte, poursuit-il. La trisomie 21 est en train de disparaître sous nos yeux : 97% des triso-

miques "bénéficient" d’une interruption mé- dicale de grossesse. Bien peu de parents ré- sistent à la pression sociale pour "éradiquer"

ce handicap mental. Or, jusqu’à présent, les techniques génétiques ne repéraient qu’une poignée de pathologies. Mais le séquençage intégral de l’ADN du futur bébé – c’est-à- dire des trois milliards de paires de bases chimiques qui constituent son identité géné- tique – va changer radicalement la donne. Il est possible de réaliser, dès à présent, un diag-

nostic génomique complet du fœtus à partir d’une simple prise de sang chez la future maman : plus besoin de prélever de liquide amniotique par amniocentèse.»

On observera l’usage (préventif ?) que l’au- teur fait ici des guillemets. Poursuivons la lecture. «L’un des derniers freins à la géné- ralisation du diagnostic prénatal – la peur d’une fausse couche, qui survient dans 0,5 à 1% des cas après une amniocentèse – dispa- raît ! Un puissant algorithme, mis au point par l’équipe du professeur Dennis Lo (Uni- versité de Hongkong), spécialiste du dépis- tage génétique, permet de différencier les séquences ADN du futur bébé et celles de la mère. Grâce à l’effondrement du coût du sé- quençage ADN, divisé par trois millions en neuf ans, cette technique va se généraliser avant 2020. Des milliers de maladies pour- ront être dépistées systématiquement pen- dant la grossesse sans faire courir de risque à l’enfant.»

Et pour finir : «Nous avons quasiment éra- diqué la trisomie 21 en trente ans, bien que les trisomiques soient doux, aient une espé- rance de vie normale et ne souffrent pas.

Pourquoi ferions-nous demain autrement avec les autres pathologies ? Politiquement, comment empêchera-t-on les parents de pré- férer de "beaux enfants plutôt doués" alors que l’avortement pour convenance person- nelle est libre, quelle que soit la constitution de l’embryon, et que l’avortement pour han- dicap intellectuel (trisomie 21 en tête) est lé- gal, socialement accepté et encouragé par les pouvoirs publics ? Et nous irons proba- blement plus loin : de la prévention du pire à la sélection de l’enfant, il n’y a qu’un pas qui sera allègrement franchi. On offrira bien- tôt aux parents le rêve d’un enfant configuré à la carte. Si le diagnostic prénatal permet l’"élimination du pire" – on supprime le fœ- tus présentant des malformations –, le diag- nostic préimplantatoire, lui, représente la

"sélection des meilleurs" – on trie les em- bryons obtenus par fécondation in vitro.

L’acceptabilité par les parents sera forte dès que les derniers effets secondaires de la fé- condation in vitro seront contrôlés, et il sera moralement moins dérangeant de suppri- mer des embryons en éprouvette qu’un fœ- tus dans le ventre. Le retour de l’eugénisme est une bombe éthique et politique passée complètement inaperçue. D’ailleurs, ni M.

Hollande ni M. Sarkozy n’ont jamais parlé du séquençage ADN !»

Une «bombe éthique et politique passée complètement inaperçue» ? De la campagne présidentielle française sans aucun doute.

C’est également vrai des espaces du débat démocratique en France durant ces deux dernières décennies. Il reste encore à com- prendre pourquoi. Tout s’est ici passé comme si l’on se heurtait à une volonté monoli- thique et collective de ne pas vouloir saisir le phénomène auquel nous étions – auquel nous sommes – collectivement confrontés et auquel nous avons donné – nous donnons – de facto notre assentiment. Votées une pre- mière fois en 1994 après d’infinis palabres, les lois françaises de bioéthique n’ont jamais permis d’aborder le sujet essentiel que traite le Dr Alexandre. Il en fut de même lors des palabres qui précédèrent la promulgation de la loi de 2004 puis celle de 2011. On s’étri- pait sur des questions, tout bien pesé, de dé- tail. On ignorait (on voulait collectivement ignorer) l’essentiel. Et c’est ainsi que les sages du Comité national d’éthique pour les scien- ces de la vie et de la santé laissèrent dans leurs limbes la question du sexe des anges : l’embryon humain est-il une personne poten- tielle ou une potentialité de personne ?

«Un eugénisme démocratique». La formule est du biologiste Jacques Testart. Testart, l’ad- mirateur de Jean Rostand, et dont la France entière a oublié qu’il fut l’un des (trois) pères point de vue

© istockphoto.com/José Antonio Sánchez Poy

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 18 avril 2012 869 du premier enfant né après avoir été conçu

in vitro en France. Par «eugénisme démo- cratique» celui qui ne campait pas encore sur des terrains d’un radicalisme décidé- ment sans espoir voyait dans la légalisation de la pratique du diagnostic préimplanta- toire l’émergence d’une sélection sur des cri- tères génétiques qui serait sans retour . Il est vrai que la proposition généralisée de l’avor- tement des critères chromosomiques avait amplement fait le lit de la suivante.

Une «bombe éthique et politique passée complètement inaperçue» ? Bombe sans au- cun doute. Pour le reste, on aimerait faire observer à l’auteur que les choses ont – ces dernières années – été un peu plus com- plexes et riches que son propos semble le laisser penser. Pour en témoigner, nous re- viendrons (dans ces colonnes et avant la fin de la campagne présidentielle française) sur cette question qui dépasse – et de très loin – l’espace tricolore.

(A suivre)

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

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