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Le traitement judiciaire de la violence internationale depuis la fin du monde bipolaire

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Le traitement judiciaire de la violence internationale depuis la fin du monde bipolaire

Yves Denéchère

Professeur d’histoire contemporaine, CERHIO/HIRES FRE 3004, Université d’Angers

Introduction

Les grandes questions qui se posent aujourd’hui autour de la violence et du judiciaire au niveau international sont souvent la transposition à une autre échelle de problèmes bien identifiés dans les Etats et les sociétés des périodes antérieures. Une réflexion peut montrer en quoi la justice internationale actuelle et ses efforts pour réguler les violences de notre monde permettent de mettre en perspective un certain nombre de problématiques historiques traitées dans les contributions de cet ouvrage.

La difficile définition normative de la violence sur le plan international, la difficulté d’aligner aujourd’hui les normes de la violence d’une aire culturelle sur une autre, d’un pays sur un autre, rappellent des difficultés de même nature concernant les Etats en formation. Le processus international, mais non universel, de judiciarisation de la violence conçu comme un marqueur de modernité ou un progrès de la civilisation renvoie aux problématiques de la modernisation des Etats et au procès de civilisation défini par Norbert Elias. L’avènement de la communauté internationale comme justicière répond à l’instauration de l’Etat justicier par le droit de punir. L’une comme l’autre manifeste ainsi son autorité, son pouvoir et sa prééminence. Sans doute aussi peut-on faire un rapprochement entre les réactions différenciées de l’autorité judiciaire selon le statut social du justiciable dans une société donnée et les attitudes variables des juridictions internationales selon le niveau de puissance des Etats, selon la nationalité des accusés. Lorsque l’on évoque la violence des individus comme moyen stratégique ou stratégie de lutte et la justice comme mode de règlement des conflits, ne peut-on les appliquer aux actions des Etats et transposer ces réflexions à la sphère internationale où ce vocabulaire est fréquemment employé ?

Un autre intérêt d’évoquer la dimension internationale est d’approcher une histoire comparée des attitudes des Etats face au processus d’instauration d’une justice pénale censée réguler les violences, sans oublier les enjeux politiques et les enjeux de souveraineté autour du pouvoir judiciaire. Comment les Etats, dont la construction s’est appuyée sur la souveraineté judiciaire nationale peuvent-ils accepter d’en abandonner une partie au profit d’une justice pénale internationale susceptible de remettre en cause leur monopole de violence légitime ?1 Si le XXIe siècle pourrait être celui d’un nouvel ordre judiciaire international - renvoyant là encore au nouvel ordre judiciaire qui s’impose dans certains Etats à différentes périodes - il reste à inventer concrètement des moyens pour que la communauté internationale organisée puisse jouer au niveau mondial le même rôle de régulateur que l’Etat au niveau national.

Envisagée au niveau des relations internationales du siècle dernier, la violence est d’une intensité et d’une ampleur inouïes. On pense d’abord aux violences de guerres inter ou infra-étatiques, particulièrement étudiées et désormais bien connues pour les deux conflits mondiaux certaines guerres civiles de la première moitié du XXe moins étudiées jusqu’à aujourd’hui pour les guerres de décolonisation ou de libération, pour d’autres conflits armés au Moyen-Orient notamment2. Le terrorisme « international » et les exactions engendrées par

1 Selon Max Weber, l’État moderne se définit comme une institution politique détenant le monopole de la violence physique légitime.

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les grands trafics internationaux peu ou prou mafieux (drogue, prostitution, etc.) sont les autres formes les plus avérées de la violence internationale contre les personnes.

Face à cette violence multiforme, la réponse judiciaire ne va pas de soi, du moins pas à l’échelle internationale. Si le règlement des différends interétatiques peut être assuré par la Cour internationale de Justice de La Haye, c’est-à-dire l’organe judiciaire de l’ONU institué par l’article 33 de la charte des Nations Unies – quand les Etats reconnaissent son autorité –, il a toujours été extrêmement difficile de faire admettre aux Etats qu’une juridiction internationale puisse attenter à leur souveraineté en ayant à connaître et à juger des crimes perpétrés par leurs ressortissants, leurs dirigeants parfois. Pourtant, la demande sociale de justice est forte au sein des nations, des communautés déchirées, traumatisées, meurtries par les violences. Le verdict judiciaire, pouvant s’accompagner du pardon, peut alors avoir dans la sortie des conflits et dans les processus de réconciliation un rôle majeur, sinon une place absolument nécessaire. « No Peace without Justice » est le titre choisi pour la campagne en faveur d’une cour pénale internationale ; « pas de véritable réconciliation sans justice » selon Pierre Hassner, même si parfois l’amnistie ou l’impunité consécutive à l’aveu peut être un chemin possible vers la paix3. C’est bien là l’objectif essentiel d’une justice internationale qui se situe à la confluence de la politique et du judiciaire.

Incontestablement, la fin de la guerre froide marque un tournant majeur dans la longue et laborieuse quête, tout au long du XXe siècle, d’une justice internationale. L’instauration des TPI (Tribunaux Pénaux Internationaux) pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et pour le Rwanda (TPIR) et surtout de la CPI (Cour Pénale Internationale) constitue des avancées notables. Les Etats ne sont plus les seuls protagonistes, de nouveaux acteurs s’affirment, notamment les ONG (Organisations Non Gouvernementales), et promeuvent une véritable justice internationale souveraine et indépendante reconnaissant les droits des victimes et établissant de nouvelles normes internationales pour définir ces violences et surtout celles engendrées par les guerres.

Violence et judiciaire au regard de la chronologie des relations internationales Une justice internationale inopérante (fin XIXe siècle – années 1930)

Les Conventions internationales de La Haye de 1899 et de 1907 reconnaissaient certaines violences de guerre comme des crimes de guerre, des crimes de nature internationale4. L’article 227 du Traité de Versailles mettant fin à la Grande Guerre, contenait l’intention de traduire en justice le premier responsable du grand affrontement meurtrier à savoir le Kaiser d’Allemagne. Malgré l’importance de la demande de justice dans les sociétés des pays vainqueurs et l’important travail réalisé jusqu’en 1920 par la « Commission intergouvernementale sur la responsabilité des auteurs de la guerre et la mise en œuvre de sanctions », Guillaume II, réfugié aux Pays-Bas, ne sera jamais jugé, pas plus que les responsables turcs des massacres des Arméniens en 1915. Les alliés confièrent cependant à l’Allemagne le soin de juger les responsables des atrocités allemandes commises en Belgique lors de l’invasion de 1914. En 1921, les procès tenus à Leipzig, se soldèrent par un échec car

2 Cf. l’abondante bibliographie de la question d’histoire contemporaine des concours du CAPES et de l’agrégation d’histoire 2003 et 2004. Pour une présentation des formes de violences internationales on peut se reporter à la compilation d’articles de HASSNER Pierre, La violence et la paix, de la bombe atomique au nettoyage ethnique, Paris, Le Seuil, 2000, 2e édition, 371 p.

3 Voir le dossier « Mémoire, justice et réconciliation » réalisé sous la responsabilité de HASSNER Pierre dans Critique internationale, n°5, automne 1999, notamment p.122-124.

4 Réflexions intéressantes dans le dossier constitué par FONTENAUD Daniel, La justice pénale internationale, Paris, La Documentation Française, n°826, 1999, 78 p.

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les accusés furent peu nombreux, les peines prononcées bien légères et loin d’avoir une dimension pédagogique, ils provoquèrent le soutien de la société allemande aux accusés…5

Pendant l’entre-deux-guerres, l’idée d’une juridiction pénale internationale et permanente est défendue par la Fédération internationale des Droits de l’Homme. Des projets très théoriques sont alors élaborés par des spécialistes de droit international (Association internationale de droit pénal), mais la SDN et la Cour permanente de Justice qui lui est attachée demeurent tout aussi impuissantes à faire valoir un traitement judiciaire supranational des violences interétatiques ou infra étatiques qu’à garantir la paix. Une convention signée en novembre 1937 prévoit la mise en place d’une cour pénale internationale apte à juger les auteurs de crimes de terrorisme. Jamais ratifiée, elle ne sera jamais appliquée. Mais après le crime de guerre, le crime de terrorisme est désormais perçu comme le deuxième crime de nature internationale6.

Définir et juger de nouveaux crimes : les Tribunaux Militaires Internationaux et les tentatives de l’ONU

A partir de 1942, la traduction devant un tribunal international des crimes de guerre perpétrés par les nazis devient un des buts de guerre avancés par les alliés. Les procès de Nuremberg (novembre 1945-octobre 1946) et de Tokyo (mai 1946-novembre 1948) organisés au lendemain des capitulations allemande et japonaise sont les références obligées puisqu’ils vont avoir une dimension jurisprudentielle pendant des décennies, notamment pour la définition du crime contre l’humanité contenue dans l’article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 19457.

Dès la tenue de ces procès, des voix s’élèvent pour dénoncer les contingences de politique internationale qui pèsent sur le procès des responsables nazis et japonais, sur les inégalités de la dénazification dans les zones d’occupation en Allemagne et la toute puissance américaine au Japon. Depuis les événements, juristes et historiens sont tombés d’accord pour dire que les Tribunaux Militaires Internationaux (TMI) ad hoc ont exercé une justice de vainqueurs, et même du vainqueur pour le procès de Tokyo. Les critiques se focalisent surtout sur le non-respect du principe Nulla poena sine lege qui interdit de condamner quiconque pour une infraction qui n’est pas préalablement incriminée par un texte précis. Or, le crime contre l’humanité n’existait pas avant sa définition à Nuremberg. Par ailleurs, les victimes n’ont pas pu se constituer en partie civile ce qui n’a pas comblé la demande sociale de justice.

Enfin, il est choquant de vouloir juger les accusés pour des faits que les alliés avaient également commis : c’est le principe du Tu Quoque qui permet à l’amiral Donitz de ne pas être condamné pour les actes de guerre sous-marine qu’il a perpétrés… à l’instar de l’Amiral Nimitz.

Pour autant, les TMI ont constitué une expérience essentielle qui ne saurait être rejetée au seul motif qu’il s’agissait d’une justice de vainqueurs. Le procès dit « des médecins » tenu

5 DEPERCHIN-GOUILLARD Annie, « Responsabilité et violation du droit des gens pendant la Première Guerre mondiale : volonté politique et impuissance juridique » et BECKER Jean-Jacques, « Les procès de Leipzig », in WIEVORKA Annette (dir.), Les procès de Nuremberg et de Tokyo, Bruxelles, Editions Complexe, 1996, p.25-49 et 51-60.

6 Sur ces différents projets et tentatives, voir l’introduction de BOURDON William intitulée « La genèse de la Cour » dans La Cour pénale internationale. Le statut de Rome, Paris, Le Seuil, 2000, p.13-24 ; ASCENSIO Hervé,

« La justice pénale internationale de Nuremberg à La Haye », in GABORIAU Simone et POULIAT Hélène (dir.), La justice pénale internationale, Limoges, PULIM, 2002, p. 29-44.

7 Les ouvrages et les actes de colloque récents suscités par la mise en place de la Cour pénale internationale insistent tous sur cette filiation, notamment : BAZELAIRE Jean-Paul et CRETIN Thierry, La justice pénale internationale, Paris, PUF, 2000, 261 p. ; CHIAVARIO Maria (dir.), La justice pénale internationale entre passé et avenir, Milan, Dalloz, 2003, 398 p. Pour des connaissances précises sur les procès, voir WIEVORKA Annette (dir.), op. cit.

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à Nuremberg en août 1947 devant un tribunal militaire exclusivement américain a posé les premiers principes de bioéthique, notamment en matière d’expérimentations médicales8. Plus généralement, avec Antoine Garapon, il faut dire que la dénonciation d’une justice de vainqueurs doit être relativisée. Au XXe siècle, tous les vainqueurs n’ont pas fait de procès ; parmi ceux qui en ont fait, beaucoup n’ont mis sur pied que des procès pour seulement justifier leurs propres violences a posteriori ; aucun pays non démocratique n’a tenu un procès loyal pour crimes de guerre9. Les TMI ne doivent donc pas être réduits au dernier acte de la Seconde Guerre mondiale posé par les vainqueurs, ils constituent aussi un premier acte de droit international, une innovation juridictionnelle qui impose le concept de responsabilité individuelle et imprescriptible des criminels10.

Suivront de grandes conventions dont l’objectif est de définir les crimes internationaux, dont le crime contre l’humanité (convention du 9 décembre 1948).

Parallèlement, est émise l’idée d’une Cour pénale internationale. La Commission du Droit International (CDI) élabore dans les années 1950 plusieurs projets… sans succès. En pleine guerre froide, aucune des deux super-puissances ne veut d’une justice internationale bridant sa marge de manœuvre et risquer de se voir accuser11. La guerre froide apparaît ainsi rétrospectivement comme une parenthèse limitant peut-être l’expression des violences internationales (moins de conflits ouverts entre Etats ?) mais entravant sûrement les progrès vers une justice internationale.

La nouvelle donne internationale des années 1990 et l’impérieuse nécessité judiciaire

La question d’une juridiction pénale internationale et permanente resurgit au début des années 1990, quand la guerre froide s’évanouit. En décembre 1989, la « révolution » roumaine offre au monde, presque en direct, les images de l’exécution sommaire du couple Ceausescu après un simulacre de procès. C’est un déni de justice avéré, compensé par une autre violence provoquée par les images des crimes du régime abattu. Qui ? Quel tribunal aurait pu juger Ceausescu ? Pendant la guerre d’Irak de 1991, l’idée de juger Saddam Hussein pour tous les crimes perpétrés sous son autorité est avancée par les Américains… Mais là encore, devant quel tribunal ?12 D’où, la floraison au début de ces années 1990, de projets relatifs à l’instauration d’une juridiction pénale internationale dont la presse se fait alors l’écho13. Mais, ce sont encore une fois les événements qui vont déterminer la voix à suivre.

En application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et par les résolutions 808 et 827 des 22 février et 25 mai 1993, le Conseil de sécurité de l’ONU institue « un tribunal international pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 »14.

8 ASCENSIO Hervé, « La justice pénale internationale de Nuremberg à La Haye », in op. cit., p.29.

9 Pages éclairantes dans GARAPON Antoine, Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner, pour une justice internationale, Paris, Odile Jacob, 2002, 348 p., p.24-25 et 74-78.

10 En décembre 2006, s’est tenu à l’Ecole nationale de la magistrature (Paris) un colloque organisé par l’Association française pour l’histoire de la justice et intitulé : Juger la guerre, à propos du soixantième anniversaire du Procès de Nuremberg. Un des thèmes de cette rencontre portait sur le sens à accorder à ce moment fondateur de la justice mondiale.

11 BOURDON William, « La genèse de la Cour » in op. cit., p.19-20.

12 Après la guerre d’Irak de 2003, Saddam Hussein a été jugé par un Tribunal spécial irakien (TSI) mis en place par les Etats-Unis. Condamné à mort par pendaison, il est exécuté en décembre 2006.

13Le Monde, « Vers une cour pénale internationale ? », 24 janvier 1990 et « Les crimes de Saddam Hussein réveillent "un éternel projet" : la cour pénale internationale », 13 avril 1991.

14 Pour l’historique du TPIY : LESCURE Karine, Le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Paris, Montchrestien, 1993 ; GETTI Jean-Paul et LESCURE Karine, « Historique du fonctionnement du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie », Revue Internationale de Droit Pénal, 1996, n°1/2, p.223-266.

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Le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), siégeant à La Haye, aura à connaître des massacres, déplacements de populations, viols et autres actions perpétrés à des fins de purification ethnique15. La résolution du Conseil de sécurité 955 du 8 novembre 1994 institue un Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) siégeant à Arusha (Tanzanie).

Il s’agit d’une réponse judiciaire aux massacres génocidaires dont ont été victimes les Tutsis et qui se sont déroulés dans le pays entre avril et juillet 1994.

Malgré toutes les difficultés et les critiques, le travail des TPI régionaux ad hoc qui se poursuit actuellement constitue une expérimentation qui met en lumière les limites de l’action judiciaire internationale face aux violences16. Mais il ne faut pas minimiser le rôle qu’ils ont joué, en tant que tournant majeur, vers l’instauration d’une juridiction permanente. Leur fonctionnement va peu à peu amener la communauté internationale à envisager le passage d’une compétence ad hoc et spatialement limitée à une cour permanente dont le ressort serait le monde entier.

Le statut de Rome, laborieusement négocié par les Etats en juillet 1998, permet l’instauration d’une Cour Pénale Internationale (CPI) qui est entrée en vigueur en juillet 2002 après la ratification du statut par 60 Etats. La fin de la guerre froide a donc permis de mettre en place en moins d’une décennie une juridiction internationale. Mais en même temps, les conflits ont évolué. Très peu d’entre eux peuvent être considérés comme des guerres interétatiques stricto sensu. La violence internationale prenant de multiples formes internes aux Etats, comment une justice internationale peut-elle traiter ces violences ?

Nouveaux rôles des acteurs de la justice internationale Les Etats omniprésents mais plus omnipotents

Sans attendre la mise en place d’une justice internationale, des Etats ont accordé à leur justice nationale compétence universelle pour juger les auteurs présumés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité commis à l’étranger et quelle que soit la nationalité des accusés et des victimes. C’est le cas de la Belgique par une loi de 1993 ; on a pu parler de diplomatie « éthique » menée par ce pays17. D’autres Etats ont également accordé la compétence universelle mais l’ont mise en œuvre d’une manière moins ambitieuse : la Suisse, l’Allemagne, les Etats-Unis, la France…

Vis-à-vis d’une justice véritablement internationale, les Etats sont responsables de nombreuses pressions. Les multiples difficultés inhérentes au travail des deux TPI leurs sont largement imputables en raison de leur refus de collaborer, des laborieuses exécutions des mandats d’arrêt etc.18 Les Etats disposent également du levier financier pour ralentir les travaux des TPI - le manque de moyens matériels du TPIR a été souvent dénoncé19 - puisque ce sont eux qui les financent comme toutes les autres cours internationales. Par ailleurs, dans les TPI et la CPI les Etats ont tenu à faire sinon prévaloir du moins reconnaître le modèle de

15 Récit des violences dans l’ouvrage collectif de Juristes sans Frontières : Le tribunal international de La Haye, le droit à l’épreuve de la « purification ethnique », chapitre 1 par ASCENSIO Hervé : « le temps des horreurs ».

16 Un colloque a été consacré en 2002 au travail du TPIR, les actes ont été publiés : BURGOGNE-LARSEN

Laurence (dir.), La répression internationale du génocide rwandais, Bruxelles, Bruylant, 2003, 347 p.

17 ROSOUX Valérie, « La Belgique et la diplomatie "éthique" : forces et limites d’une image », Esprit, n°280, décembre 2001, p.198-205.

18 Louise Arbour, procureur général du TPIY de 1996 à 1999, fait le point sur toutes ces difficultés dans un entretien accordé en 1998 : « Un procureur contre la raison d’Etat », Politique Internationale, printemps 1998, n°79, p.305-315.

19 KAMA Laïty (Président du TPIR), « L’expérience du Tribunal pénal international pour le Rwanda dans la perspective de l’institution de la Cour pénale internationale », in Campagne internationale pour l’établissement de la cour pénale internationale en 1998 : No Peace without Justice, p. 41-44.

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procédure judiciaire qui est le leur. D’où une procédure pénale internationale hybride ou mixte qui allie « l’efficacité du modèle inquisitoire aux garanties du modèle accusatoire, l’ensemble formant une dynamique faisant l’objet d’ajustement incessant par la pratique »20.

Les négociations qui ont abouti au statut de la CPI et le processus de ratification ont mis en lumière les attitudes très diverses des Etats : « Etats maîtres du jeu », « Etats pilotes », Chine et Etats-Unis ne ratifiant pas le traité21. Certains Etats voient en la justice internationale une atteinte à leur souveraineté et à leur monopole de violence légitime y compris dans le cadre d’opérations internationales, d’où le refus de se plier à cette justice. La France a réussi à obtenir l’article 124 selon lequel un pays a le droit de ne pas reconnaître la compétence de la CPI pendant une durée de 7 années en matière de crimes de guerre. En 2002, les Etats-Unis ont obtenu du Conseil de Sécurité le vote de la résolution 1422 qui soustrait à la CPI les civils et militaires engagés dans des opérations de paix mandatées par l’ONU. En août 2002, ils ont par ailleurs signé avec la Roumanie un accord bilatéral par lequel les deux pays s’engagent à ne pas extrader leurs ressortissants respectifs devant la CPI et ils ont menacé les pays non- membres de l’OTAN qui adhéreraient à la CPI sans s’engager à protéger les ressortissants américains de suspendre toute assistance militaire22. Ces prises de précautions montrent certes les limites de la justice internationale mais aussi ses progrès, puisque les Etats, omniprésents mais plus omnipotents, ressentent la nécessité de se prémunir contre elle.

Les ONG, aiguillons de la justice internationale

La mondialisation des images des violences commises sur tous les continents n’est pas pour rien dans la prise de conscience de la nécessité d’en juger les responsables et la préoccupation éthique des sociétés. L’une des principales originalités de la justice internationale des années 1990 réside dans le rôle tenu par l’opinion publique internationale via les Organisations non gouvernementales. En 1993, les ONG réunies à Vienne rédigent une déclaration appelant à la création d’une Cour criminelle internationale. De 1996 à 1998, les séances de la Commission préparatoire mandatée par l’ONU pour établir un projet de cour internationale sont l’occasion pour les ONG de se faire entendre. Est ainsi créée la Coalition internationale des ONG pour une CPI appuyée par des coalitions régionales. Au total, plus de 2000 ONG (pour les droits de l’homme, contre la torture, Juristes sans frontières…) ont poussé les Etats à s’entendre, en proposant des solutions, en dénonçant les compromissions.

Cette action « a contribué à ce que, dans bien des cas, le pire soit évité »23. Les ONG se sont ensuite imposées comme acteurs à part entière de la justice internationale.

En premier lieu, les ONG ont veillé, lors de la nomination aux postes de la CPI, à ce que le personnel de la Cour soit désigné en fonction des critères de compétence édictés par le statut de Rome et non pour des raisons politiques. Elles ont obtenu certains retraits24. On peut d’ailleurs noter que s’il y a eu 45 candidats pour 18 postes de juges, il n’y avait pas beaucoup de candidats pour le poste de procureur qui nécessitait une certaine unanimité pour asseoir son autorité. En 2003, c’est l’Argentin Luis Moreno-Ocampo qui a été élu pour neuf ans. Certains

20 Cf. l’article éclairant de CHAMPY Guillaume, « Inquisitoire – accusatoire devant les juridictions pénales internationales », Revue Internationale de Droit Pénal, vol. 68, n°1-2, 1997, p.149-193, p.150.

21 Au début 2006, ce sont plus de 100 Etats qui ont désormais ratifié le statut de Rome. Les Etats-Unis qui ont signé le traité à la toute fin du dernier mandat de Bill Clinton ne l’ont pas ratifié.

22 Le Monde, « Cour pénale internationale : la Roumanie n’extradera pas les ressortissants américains », 14 août 2002.

23 BOURDON William, « La genèse de la Cour » in op. cit., p.23.

24 Le Monde, « Les nominations à la Cour pénale internationale sous le regard des ONG », 5 décembre 2002. La France a un temps voulu imposer le conseiller juridique du Président de la République avant de se raviser et de proposer Claude Jorda qui était président des TPIY et TPIR.

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des juges sont des transfuges des TPI, il y aurait là à mener une intéressante étude prosopographique des praticiens de la justice internationale.

Les ONG apparaissent comme partie prenante de la procédure judiciaire internationale en représentant les victimes de violences. L’image, déjà évoquée, est le meilleur vecteur pour provoquer la compassion et la mobilisation de l’opinion, sinon pour apporter la preuve des crimes perpétrés… Les ONG alarment aussi régulièrement sur des tragédies qui se produisent loin des caméras et des journalistes et qui demeurent ou tombent dans l’oubli. Elles luttent pour que les victimes obtiennent des droits nouveaux dans les procédures engagées par la CPI.

En janvier 2006, la Cour a reconnu que six victimes avaient le droit de participer aux procédures lancées à propos de la République Démocratique du Congo. Cette décision a été saluée par les ONG, notamment la FIDH, comme un progrès significatif25. Ayant le droit d’être représentées, les victimes peuvent obtenir réparation de leurs souffrances. Selon les ONG, seule une meilleure prise en compte des victimes peut permettre la réconciliation espérée. Mais la justice internationale est une génératrice objective de violences car les accusés ont intérêt à faire disparaître les traces, à intimider les témoins. Le TPIY s’est heurté à l’effacement des preuves, à la destruction des pièces, à la rétractation des témoins… Même les morts sont (de nouveau) victimes de violence : des corps de victimes sont cachés, déplacés de « charnier primaire » vers des « charniers secondaires »… pour brouiller les pistes, et même la médecine légale s’y perd26. D’où la diffusion d’écrits sensationnels accréditant l’idée d’une justice internationale impossible et inefficace27. Pour éviter le risque d’une désaffection de l’opinion publique, la justice internationale doit montrer qu’elle apporte une contribution décisive, non seulement dans la répression mais aussi dans la prévention des violences.

L’établissement de nouvelles normes internationales des violences de guerre

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, un débat s’est ouvert sur la nature de la violence internationale qui renvoie à la difficulté de définition de la violence. La violence internationale connaît-elle des transformations relatives aux acteurs, aux méthodes, aux objectifs – en d’autres termes, une boîte de Pandore des violences se serait-elle ouverte ? -, ou alors la violence connaît-elle seulement une amplification de phénomènes anciens que sont les violences communautaristes, les violences mafieuses liées à toute sorte de trafics, les violences terroristes ?28 A la difficulté de graduation des violences internationales, très différentes les unes des autres, la justice internationale doit répondre par un effort de définition des crimes et du justiciable.

Violations du droit humanitaire et responsabilité individuelle

Déjà, les conférences de La Haye de 1899 et 1907 se référaient aux « lois de l’humanité » pour limiter les violences de guerre ; aujourd’hui, l’objet de la CPI est de poursuivre les « violations du droit humanitaire ». Contrairement aux TPI institués après les faits, la CPI est dotée d’un rôle préventif, atténué certes par le fait que des individus

25 Site Internet de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH), www.fidh.org, fiche du 19 janvier 2006.

26 Le Monde, « Belgrade-La Haye, la bataille des archives », 29 avril 2006.

27 Dans un de ses ouvrages, le journaliste camerounais Charles Onana affirme que le TPIR a produit lui-même des preuves qui lui manquaient afin de pouvoir condamner certains accusés, innocents selon Onana : Les secrets de la justice internationale, Enquêtes truquées sur le génocide rwandais, 2005. Cet ouvrage peut être considéré comme révisionniste du génocide rwandais.

28 Présentation de ce débat dans MICHAUD Yves, La violence, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2004, chapitre V.

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perpétrant des actes tombant sous le coup de la CPI mais dont les Etats n’auront pas préalablement adhéré au statut ne seront pas poursuivis29.

La question de la responsabilité individuelle dans des violences et crimes collectifs voire de masse est prépondérante. Ce débat, pour être classique, n’en est pas moins déterminant pour cerner les accusés30. Les TPI ont jusqu’à maintenant traduit uniquement des individus-agents de l’Etat, ce qui bien entendu peut susciter beaucoup de critiques et implique la question de la dimension politique des instructions et des procès. Mais depuis 2002, plus de 1000 plaintes ont été déposées auprès de la CPI ce qui pose un autre problème, celui de l’efficacité de la Cour31. En mars 2005, la CPI a ouvert sa première audience à La Haye ; en juin 2005, sur saisine du Conseil de sécurité de l’ONU, le procureur a ouvert une enquête sur les crimes au Darfour et délivré les deux premiers mandats d’arrêt contre deux chefs rebelles ougandais accusés notamment de 25 000 enlèvements d’enfants, utilisés ensuite comme soldats ou esclaves sexuels32.

Les violences spécifiques contre les femmes et contre les enfants

La contribution de la justice internationale à une définition des violences est particulièrement avancée en ce qui concerne les violences contre les femmes et contre les enfants et ce en partie grâce à la mobilisation des ONG. Comme le souligne Amnesty International, le statut de la CPI « pose des principes exigeants en matière de violence contre les femmes ». Le viol, l’esclavage sexuel, la grossesse forcée sont considérés comme des crimes contre l’humanité33. Les ONG voient en la CPI un modèle qui doit inspirer les justices nationales à se réformer en tenant compte des questions de genre. Il faut noter que sur les 18 juges de la CPI, 7 sont des femmes, ce qui représente la plus forte proportion de femmes juges au sein d’un tribunal international ; Louise Arbour et Carla del Ponte ont marqué les TPI en tant que procureur-es.

Depuis mars 2006, Thomas Lubanga, chef de guerre de l’Union des Patriotes Congolais, est le premier détenu de la CPI. Il est accusé de crimes de guerre, notamment d’avoir enrôlé des enfants de moins de quinze ans et de les avoir fait participer activement aux hostilités34. Après avoir indiqué dans son préambule qu’au XXe siècle, « des millions d’enfants […] ont été victimes d’atrocités qui défient l’imagination et heurtent profondément la conscience humaine », le statut de Rome précise que la CPI exercera sa compétence à l’égard de trois crimes qui concernent particulièrement les enfants : le génocide par « le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe », le crime contre l’humanité constitué par la traite des enfants et l’enrôlement d’enfants ou leur utilisation dans le cadre d’un conflit armé. Pour cette dernière disposition, il s’agit d’une avancée significative dans le traitement judiciaire des violences contre les enfants puisque ce crime de guerre est pour la première fois introduit dans le droit international (article 8-2-b-xxxvi)35. Les articles 42-9 et 44-1 prévoient que le procureur et le greffier de la CPI doivent s’entourer de spécialistes des violences contre

29 CONDORELLI Luigi, « La Cour pénale Internationale : un pas de géant pourvu qu’il soit accompli », Revue Générale de Droit International Public, tome 103, 199, n°1, 15 p.

30 Chapitre 5 de l’ouvrage collectif Le tribunal international de La Haye op. cit., par ASCENSIO Hervé, « Crime de masse et responsabilité individuelle », p. 124.

31 Libération, « La justice internationale frappe les trois coups », 11 mars 2003. Il est possible de suivre au jour le jour l’avancée des travaux de la CPI sur son site Internet : http://www.icc-cpi.int

32 Le Monde, « Le procureur de la Cour pénale internationales veut inculper deux chefs rebelles ougandais », 12 juin 2005.

33 En 1998, lors du procès Akayesu, le TPIR avait reconnu le viol comme un acte génocidaire et en 2001, le TPIY a qualifié le viol comme crime contre l’humanité.

34 Le Monde, « Le Congolais Lubanga, premier détenu de la CPI », 19 mars 2006.

35 En revanche, la CPI n’a pas compétence à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans au moment où elle a commis un crime. Ce qui n’empêche pas un Etat d’engager des poursuites de son côté.

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les enfants. C’est donc de par son statut et dans son fonctionnement que la CPI participe à la définition et au traitement judicaire de la violence.

Conclusion :

Le poids des circonstances et des événements internationaux a pesé lourdement sur les échecs puis les tentatives plus ou moins développées d’établir une justice internationale capable de réguler la violence. La fin d’un monde bipolaire, l’évolution des formes de la violence internationale et sa plus grande visibilité ont contribué dans les années 1990 à enfin mettre en œuvre des principes longtemps refoulés. En ce sens, la CPI constitue un progrès indéniable, une étape décisive dans le traitement judiciaire de la violence internationale.

Comme pour les TMI de Nuremberg et de Tokyo et les TPI pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, le rôle déterminant des Etats jaloux de leur souveraineté en matière judiciaire constitue une limite à la justice internationale. En même temps, ce sont les Etats eux-mêmes - et ils étaient les seuls à pouvoir le faire car seuls pouvant se réclamer d’une légitimité démocratique - qui ont créé la CPI. Pour autant, la modification du jeu des acteurs de la justice internationale est bien réelle. Les opinions publiques sont toujours plus vigilantes à l’égard de violences de plus en plus insupportables, les ONG et leurs actions pour un monde plus juste s’imposent comme véritables forces, les victimes ont désormais droit au chapitre.

Dans ses textes constitutifs comme dans sa pratique, la CPI participe à la définition de nouvelles normes de la violence qui pourront peut-être s’imposer comme standards internationaux sinon universels. Pour imparfaite qu’elle soit, la CPI existe. Ne marque-t-elle pas « un pas de géant pourvu qu’il soit accompli »36 dans un procès de civilisation à l’échelle du monde, une réponse à la « décivilisation » d’un XXe siècle violent ? Le but ultime de la justice internationale est bien de dissuader des criminels d’accomplir ou d’ordonner des violences. Ainsi, la société internationale se fondant sur le respect du droit, la violence pourrait cesser d’être une accoucheuse de l’histoire37. En ce domaine et au niveau international, selon l’expression de Robert Badinter : « même en boitant, l’on avance… »38.

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36 Titre d’un article de CONDORELLI Luigi, op. cit.

37 HASSNER Pierre et MARCHAL Roland, Guerres et sociétés. Etat et violence après la Guerre froide, Paris, Karthala, 2003.

38 Préface de Robert Badinter à La Cour pénale internationale. Le statut de Rome, op. cit., p.10.

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