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Le tramway en France : de la saga d une réussite au développement tortueux d un réseau dans l agglomération lyonnaise

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Revue d’histoire des chemins de fer 

53 | 2020

180 ans d'histoires ferroviaires

Le tramway en France : de la saga d’une réussite au développement tortueux d’un réseau dans

l’agglomération lyonnaise

The tramway in France: From the saga of a success story to the tortuous development of a network in the Lyon conurbation

Sébastien Gardon

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/rhcf/2717 DOI : 10.4000/rhcf.2717

Éditeur Rails & histoire Édition imprimée

Date de publication : 1 février 2020 Pagination : 131-146

ISSN : 0996-9403 Référence électronique

Sébastien Gardon, « Le tramway en France : de la saga d’une réussite au développement tortueux d’un réseau dans l’agglomération lyonnaise », Revue d’histoire des chemins de fer [En ligne], 53 | 2020, mis en ligne le 01 avril 2022, consulté le 24 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/rhcf/2717 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhcf.2717

Tous droits réservés

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131 Sébastien GARDON

ésumé : En France, c’est à partir des années 1970 que les décideurs nationaux et locaux commencent à mettre en place des politiques en faveur des transports collectifs, allant jusqu’à envisager la « solution tramway » avec plus de consistance. Cet article revient sur la manière dont le tramway a progressivement rallié les suffrages des élus, des experts, des professionnels du transport. Il présente les acteurs qui, de ville en ville, ont favorisé son retour en grâce, en revenant sur les atouts des options techniques choisies. En insistant sur les problématiques d’aménagement urbain qui ont progressivement pris le pas sur les projets de transport stricto sensu, il révèle les logiques professionnelles qui sous-tendent la construction et l’exploitation des réseaux de tramway. Enfin, à partir du cas de la construction d’un grand réseau de tramway dans une métropole de province (Lyon), cet article retrace l’histoire tortueuse de ce mode de transport en soulignant ses impasses et ses perspectives de développement dans des contextes urbains de plus en plus complexes.

Abstract: In France, it was in the 1970s that national and local decision- makers began to implement policies in favour of public transport, going so far as to consider the «tramway solution» with greater consistency.

This article looks back at how the tramway has gradually won the votes of elected representatives, experts and transport professionals. It presents Sébastien GARDON

sebastiengardon11@gmail.com

UMR Territoires

LE TRAMWAY EN FRANCE : DE LA SAGA D’UNE RÉUSSITE AU DÉVELOPPEMENT TORTUEUX D’UN RÉSEAU DANS L’AGGLOMÉRATION LYONNAISE THE TRAMWAY IN FRANCE: FROM THE SAGA OF A SUCCESS

STORY TO THE TORTUOUS DEVELOPMENT OF A NETWORK IN THE LYON CONURBATION

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the actors, who from city to city, have favoured its return to grace, by reviewing the advantages of the technical options chosen. By insisting on the urban development issues that have gradually taken precedence over transport projects in the strict sense of the term, it reveals the professional rationale behind the construction and operation of tramway networks.

Finally, based on the case of the construction of a large tramway network in a provincial metropolis (Lyon) this article traces the tortuous history of this mode of transport by highlighting its impasses and its development prospects in increasingly complex urban contexts.

Mots-clés : tramways, projets urbains, innovations, modèle d’action publique.

Keywords: tramways, urban projects, innovations, public policy model.

En France, 29 réseaux de tramway fonctionnent aujourd’hui dans la plupart des grandes agglomérations 1. Quels sont les facteurs qui expliquent cet engouement pour le tramway qu’ont connu les villes françaises au cours des dernières décennies ? Jusqu’au début des années 1970, le développement des transports en ville s’organise autour de l’automobile et des voiries routières et autoroutières. Alors que le démantèlement des derniers anciens réseaux de tramways, commencé dans les villes françaises dès les années 1930, se poursuivait dans les années 1950 (hormis à Saint- Étienne, Lille et Marseille) (Emmangard, 2012), il faut attendre les années 1970 pour constater enfin un regain d’intérêt pour les transports collectifs (Lefèvre et Offner, 1990).

C’est en effet au cours de cette période que Paris aménage son RER (Réseau Express Régional), que Lyon et Marseille construisent leur réseau de métro (formé respectivement de trois et deux lignes), que Lille prépare la mise en place de son VAL (Véhicule Automatique Léger) et que les

1 Il faut également noter qu’une ligne du réseau de tramway de Bâle (Suisse) pénètre sur un kilomètre jusqu’à la commune française de Leymen (Haut-Rhin), que le réseau de tram-train de Sarrebruck (Allemagne) circule jusqu’à Sarreguemines (Moselle) sur un kilomètre en France, et que le tramway de Genève (Suisse) vient juste d’être prolongé jusqu’à Annemasse (décembre 2019), avec quatre stations en France. Les projets d’Amiens, de Lens et de Toulon ont été abandonnés.

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projets de tramways sont à nouveau étudiés. Le contexte, marqué par la crise économique et énergétique, est favorable à la recherche de nouvelles solutions tant technologiques qu’institutionnelles ou économiques 2.

Pourquoi le « retour » du tramway en France ?

Les mobilisations locales, sociales ou environnementales et le foisonnement des réflexions sur les transports urbains (création du Groupement pour l’Étude des Transports Urbains Modernes (GETUM) en 1967, création de l’Institut de Recherche sur les Transports (IRT) en 1970, colloque de Tours des 25 et 26 mai 1970 qui débouche sur un manifeste pour les transports urbains (Livre Vert, 1970), Rapport du Club de Rome en 1972, étude

« Neuchateau » de la SOFRETU-RATP en 1973-1975) jouent un grand rôle dans cette dynamique (Gérondeau, 1977).

À l’origine de ce renouveau du tramway, on trouve également une initiative du secrétaire d’État aux Transports (gouvernement de Jacques Chirac), Marcel Cavaillé. Le 27 février 1975, il adresse une lettre aux maires de huit villes : Bordeaux, Grenoble, Nancy, Nice, Rouen, Strasbourg, Toulon et Toulouse (Demongeot, 2001), par laquelle il les incite à réfléchir à des choix techniques mobilisant des matériels « comparables à des tramways modernes ». Ce « concours Cavaillé » transformera durablement les projets de transports et d’aménagement des villes françaises au cours des décennies suivantes. Il est souvent considéré comme l’acte de naissance de ce que l’on qualifie rétrospectivement de « tramway français standard », bientôt produit par les usines Alstom. Mais c’est finalement la ville de Nantes (Bigey, 1993), non sollicitée au départ, qui est la première à participer au renouveau du tramway dans les villes françaises, avec la mise en service de la première ligne en 1985 3. Après Nantes, c’est Grenoble qui se lance dans l’aventure, avec un projet pour la première fois validé par un référendum local, qui approuve un tramway beaucoup plus intégré

2 La mise en place progressive du versement transport pour les villes de province, à partir de 1973, donne de nouveaux moyens aux villes pour développer leur réseau de transports en commun.

3 L’extension du tramway au sud de la ville de Saint-Étienne, en 1983, marque les premiers aménagements en faveur du tramway en France depuis la Seconde Guerre mondiale.

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au centre-ville (1987), puis Strasbourg, en 1994, qui développe un projet ambitieux avec, cette fois, un autre constructeur (Bombardier). À partir de cette période, on observe un véritable basculement. Les élus ont conscience du fait qu’on peut gagner une élection avec le tramway. Celui-ci gagne également la région Île-de-France, au nord de Paris, en Seine-Saint-Denis (ligne T1 ouverte en 1992), même s’il faudra attendre encore quelques années pour le voir circuler à nouveau dans les rues de Paris (en 2006) 4. Progressivement, la solution « tramway » (re)devient crédible aux yeux des élus, des experts, des professionnels du transport. Pourtant, elle n’est pas encore envisagée comme le moyen de lutter activement contre la congestion automobile. Le tramway se développe là où existent des opportunités, notamment foncières, comme à Nantes. Il est d’abord aménagé à côté de la circulation automobile. En deçà d’un modèle français, alors encore en construction, les orientations prises successivement par les villes françaises, qui se tournent à nouveau vers le tramway, offrent des perspectives différentes en fonction du contexte d’émergence de chaque projet. Selon les enjeux locaux, sont débattues, avec des réponses parfois différentes, les alternatives techniques (aérien, souterrain, rail, pneus, etc.) (Marconis, 1997) et les grandes options d’aménagement (desserte du centre ou du périurbain, etc.).

Entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980, les controverses sont encore fortement marquées par le désir de mettre en œuvre des solutions technologiques radicalement nouvelles, et le

« vieux » tramway doit (dé)montrer sa « modernité ». Les débats prennent nécessairement une tournure politique à travers le positionnement des élus vis-à-vis du tramway, les enjeux électoraux qu’il représente et les mobilisations locales. Le rythme des projets est alors fortement dépendant du calendrier électoral : débats sur le projet pendant la campagne électorale, lancement des études en début de mandat, travaux en cours de mandat et inauguration souhaitée avant les prochaines élections. Mais, à partir de la fin des années 1990, c’est un véritable engouement, parfois

4 Voir le numéro spécial de la Revue Générale des Chemins de Fer sur les tramways en Ile-de- France, n° 287, novembre 2018.

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peu maîtrisé par les acteurs publics et les élus, car tout le monde veut

« son tramway », sans forcément étudier ou valoriser d’autres modes de transports (tableau 1).

Tableau 1. Les réseaux de tramways dans les villes françaises fin 2019 (source : auteur).

Ville Saint-Étienne Marseille Lille Nantes Grenoble Île-de-France

Strasbourg Rouen Montpellier Nancy Orléans Lyon Caen Bordeaux Clermont- Ferrand Mulhouse

Valenciennes Le Mans Nice Toulouse Reims Angers

Brest Dijon Le Havre Tours

Besançon Aubagne Avignon

Date d’inauguration 1881 (ancien réseau)/1983 1893 (ancien réseau)/2007 1909 (ancien réseau)/1994 1985 1987 1992

1994 1994 2000 2000 2000 2001 2002 2003 2006 2006

2006 2007 2007 2010 2011 2011

2012 2012 2012 2013

2014 2014 2019

Taille du réseau/km 11,7

13 22 44 (et 64 km de tram-train 42,7 101,4 (et 19 km de tram-train) 48 15,2 60,5 11,3 29,3 73 (et 55 km de tram-train) 16,2 77,3 14,7 16,2 (et 22 km de tram-train) 33,8 18,8 27,5 16,7 11,2 12,3

14,3 19 13 14,8

14,5 2,8 5,2

Caractéristiques Voie métrique Aérien et souterrain Aérien et souterrain 2 lignes de tram-train -

Dont 2 lignes de tram-train.

Portions en pneumatique Extension vers l’Allemagne Aérien et souterrain -

Pneumatique Système TVR Portions avec système d’alimentation par le sol Une ligne directe vers l’aéroport et 3 lignes de tram-train Pneumatique Système TVR (remplacé par tramway sur rail) Portions avec système d’alimentation par le sol Pneumatique (transformation en tramway sur rail évoqué) 1 ligne de tram-train

- - -

La ligne 2 relie l’aéroport et sera transformée en Aéroport Express Portions avec système d’alimentation au sol Portions avec système d’alimentation au sol -

-

Aérien et souterrain Portion avec système d’alimentation au sol -

Réseau de transport gratuit -

Nombre de lignes 3 lignes 3 lignes

2 lignes (5 lignes en projet, projet de tram-train) 3 lignes (projets d’extension, 3 nouvelles lignes et projets de tram-train) 5 lignes (projets d’extension et projet de tram-train)

10 lignes (plusieurs extensions ou lignes en projet et 2 lignes de tram-train en projet) 6 lignes (projets d’extension)

2 lignes (projets d’extension)

4 lignes (projets d’extension d’une autre ligne) 1 ligne (prolongement et remplacement par un tramway sur rail)

2 lignes

7 lignes (projets d’extension) 3 lignes (2 autres lignes en projet) 4 lignes (projets d’extension et de nouvelles lignes) 1 ligne

3 lignes (projets d’extension)

2 lignes (projets d’extension) 2 lignes

3 lignes (projets d’extension et de 4e ligne) 2 lignes

2 lignes

1 ligne (2 autres lignes en projet)

1 ligne (projet d’extension et d’une 2e ligne) 2 lignes

2 lignes

1 ligne (Projets d’extension et de 2e ligne)

2 lignes (projets d’extension)

1 ligne (une ligne de tram-train en projet) 1 ligne (projet d’extension et d’une 2e ligne)

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À la conquête des villes : le tramway « cheval de Troie » des projets urbains 5

Au-delà des problématiques de transports stricto sensu, la question des aménagements et des projets urbains (requalification des espaces, insertion paysagère, standardisation des projets, design des stations et des véhicules, préoccupations artistiques) prend de plus en plus de place (Hamman, 2011). Une grande variété de métiers se trouve donc impliquée dans la conduite des projets : concepteurs, ingénieurs, urbanistes, architectes, paysagistes, industriels, administrateurs, conducteurs, designers, voire artistes. Au-delà des rôles répartis entre maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage, les services techniques des villes et les agences d’urbanisme participent activement à cette dynamique. Au fur et à mesure de leur développement, les projets de tramway tiennent compte davantage des enjeux intercommunaux et des relations entre le centre et les quartiers ou communes périphériques. D’autres questions viennent se greffer sur cette problématique qui peut également prendre une tournure sociale, à travers les publics visés et la tarification, ou à partir de la capacité du tramway à réduire les inégalités urbaines. Les enjeux économiques et fonciers sont également perceptibles, en particulier à travers le rôle que peuvent jouer les commerçants ou promoteurs immobiliers.

En complément des dynamiques locales se joue également un pilotage national, voire européen, des projets, à travers notamment la recherche de financements. Se pose alors la question des échelles de gouvernement et des relations entre les niveaux institutionnels impliqués au niveau local, national, européen. À travers ses appels à projet et les financements correspondants (en moyenne 17 à 18 % des projets sélectionnés), l’État a en effet contribué, via l’implantation du tramway dans certaines villes, au développement d’une véritable filière économique et industrielle autour de certains opérateurs. Cette filière, qui s’appuie sur le « tramway français standard » élaboré par Alstom, devient alors de plus en plus exportatrice à l’étranger (Europe, Afrique du Nord, Moyen-Orient). À la différence des réseaux français, où aménagements et matériels roulants sont découplés,

5 Pour un panorama complet de ce développement, voir Gardon (2018).

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à l’étranger ce sont plutôt des projets « clés en main » qui se négocient (où le matériel roulant ne compte que pour 15 % de la facture totale). Ainsi, ce tramway « à la française » qui s’exporte est l’emblème du réaménagement de façade à façade, au-delà du strict projet de transport.

En France, ce succès ne s’est pas appuyé paradoxalement sur un véritable programme national. Il s’agit plutôt d’une « contagion positive » de ville à ville, d’initiatives locales, qui ont souvent rendu les élus prisonniers de ce type de projet urbain, pour un gain politique parfois aléatoire : certains maires ont, semble-t-il, gagné des élections avec le tramway, d’autres les ont perdues. Le contexte législatif et financier français (versement transport, mise en place des plans de déplacements urbains, déclaration d’utilité publique, appels à projets et subventions de l’État) a souvent suscité des jalousies de la part de nos voisins européens, qui étaient à la fois surpris de la rapidité avec laquelle le réseau de tramway français a été démantelé puis de l’ampleur qu’a pris son « retour » ces dernières années. Ces projets de tramway ont véritablement transformé les mobilités urbaines. Ils ont revitalisé les centres-villes (photo 1) et désenclavé certaines banlieues (Laisney, 2011). Ils ont aussi réussi à changer l’image et l’attractivité des villes. Certains parlent donc d’une « école française du tramway », qui s’est appuyée sur des savoir-faire originaux, désormais exportables. Cette French touch du tramway français constitue aujourd’hui un modèle en circulation, qui s’appuie sur des expertises métiers variées, dépassant largement le cadre des problématiques transports (design, architecture, urbanisme, etc.).

Photo 1.Le tramway de Saint-Étienne, place du Peuple (source : auteur).

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Ces différents succès masquent aussi parfois d’autres choix faits et des échecs dans des villes où le tramway n’a pas pu encore s’implanter (comme à Amiens, Dunkerque, Lens, Nîmes ou Toulon) ou a connu quelques difficultés et retards (comme à Caen, Reims ou Nancy). Si la plupart des grandes villes françaises sont aujourd’hui dotées d’un réseau de tramway, le développement de celui-ci passe à présent par les villes moyennes, comme en témoigne l’ouverture en 2014 d’un tramway à Aubagne (nouvelle génération Citadis avec des rames de 22 mètres), par l’essor encore timide en France des lignes de tram-train (à Mulhouse, Nantes, Paris ou Lyon) 6, en développant des modèles low cost (Besançon) ou de nouveaux projets (permettant une extension des usages comme pour les livraisons), sans oublier les perspectives internationales. Cette aventure du tramway en France rencontre donc aujourd’hui quelques limites et renvoie à une forme de saturation des potentialités d’équipement des villes françaises. Ainsi, dans les grandes villes, les principales lignes sont dessinées, les prolongements sont plus aléatoires et plus coûteux, non pas en termes d’investissement mais de rentabilité d’exploitation.

Un grand réseau dans une ville de province : le tram- way lyonnais complémentaire du métro ?

Lyon n’a pas été parmi les premières villes françaises à remettre dans ses rues des tramways modernes. Depuis les années 1960, les décideurs lyonnais avaient plutôt fait le choix de développer son réseau de transports en commun autour du métro (ligne C ouverte en 1974, puis lignes A et B en 1978, et enfin ligne D en 1991, ligne E en étude). Ce réseau s’est construit à partir du travail mené à l’échelle intercommunale par la communauté urbaine de Lyon, le SYTRAL (Syndicat mixte des Transports de l’Agglomération Lyonnaise et du département du Rhône) et le conseil général du Rhône (Gardon, 2011). Alors que des choix politiques forts ont été faits, de gros efforts financiers ont été réalisés, des orientations urbanistiques et techniques importantes ont été prises (Waldmann, 1991), l’agglomération lyonnaise se trouve pourtant, au milieu des années 1990,

6 Voir sur ce point le n° 119 de Transports urbains sur « Tram-train et territoires », octobre 2011.

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7 Le projet Hippocampe avait pour objectif de relier Les Minguettes, Gerland et la Cité internationale par l’avenue de l’Europe, et comprenait deux fourches indépendantes au nord et au sud.

dans une impasse. Malgré un réseau en développement depuis 30 ans, Lyon a la particularité de n’avoir aucune de ses banlieues, ni aucun de ses campus universitaires desservi par le métro, en dehors de la Manufacture des Tabacs, récemment réhabilitée à l’entrée du 8e arrondissement, et où se trouve l’université Lyon 3. Cette période est marquée par une lente inflexion dans les réflexions concernant les déplacements urbains lyonnais. En effet, le développement du réseau est sérieusement ralenti.

Les projets de prolongement du métro ne se concrétisent pas, que ce soit au nord, sur Caluire (ligne B au-delà du parc de la Tête d’Or et ligne C en empruntant la voie de chemin de fer existante), au sud, sur la Confluence (ligne A), au nord-ouest, sur La Duchère (ligne D), et au sud- est, sur Vénissieux (ligne D). Seul le prolongement de la ligne B au sud, sur Gerland, est réalisé, dans la perspective du développement de ce quartier et de l’accueil de la coupe du monde de football en 1998, bien qu’il ne fut inauguré qu’après l’événement.

Dans l’esprit des aménageurs et décideurs lyonnais, deux visions s’opposent alors, sans que les clivages recoupent l’échiquier politique. D’un côté, il y a les tenants du métro, de l’autre, ceux qui commencent à réfléchir à un retour du tramway. Ces deux tendances se retrouvent parmi les proches du maire de l’époque, Michel Noir (RPR). En effet, tandis que le métro est mis en avant dans la politique de reconquête des espaces publics (plan Presqu’île, parcs de stationnement, etc.), émerge parallèlement au sein de cette même équipe un projet ambitieux de lignes de tramways : le projet Hippocampe, qui se veut très complémentaire du réseau de métro 7. Les partisans du métro l’emportent mais cette victoire est de courte durée puisqu’elle conduit au statu quo, étant donné que les prolongements de ligne ne sont pas réalisés. Raymond Barre (apparenté UDF) succède à Michel Noir en 1995. Son premier adjoint, Christian Philip, espère renforcer sa notoriété en se fondant sur le secteur des transports urbains, en vue des élections municipales de 2001. Il convient donc d’avancer rapidement, ce qui condamne tout prolongement de métro – trop long –

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et le projet Hippocampe – trop ambitieux. L’équipe de Christian Philip se lance donc dans la mise en place d’un PDU nouvelle mouture – selon la LAURE de 1996 – dont l’axe principal est la création de deux lignes de tramways. Le document est signé en 1997.

Les deux lignes de tramway ouvertes en 2001 permettent de restructurer le réseau des transports collectifs en centre-ville et de proposer des extensions en périphérie. Surtout, pour la première fois, elles offrent des solutions de connexion avec les campus universitaires lyonnais (Lyon 1 à La Doua et Lyon 2 à Bron). Néanmoins, la dynamique choisie ne résout que de manière insatisfaisante les objectifs défendus par les aménageurs.

Une nouvelle fois, le parti pris est celui de lignes indépendantes avec une seule destination dans chaque sens ; de même, la ligne T1 recoupe sur une grande partie de son itinéraire le trajet de la ligne B du métro. Elle supprime aussi les possibilités de prolongement du métro B au nord vers Villeurbanne, le long du parc de la Tête d’Or, et le quartier Saint-Clair de Caluire ou du métro A, au sud, vers la Confluence. D’autres problèmes sont rencontrés lors des choix d’itinéraires de la ligne T2, car il s’agit de résoudre plusieurs enjeux difficilement conciliables : relier le campus universitaire de Lyon 2, le centre-ville de Bron, le parc technologique de la Porte des Alpes et Saint-Priest, tout en offrant des connexions avec les autres lignes existantes (lignes A, B et D du métro, ligne T1 du tramway).

Si bien que le tracé retenu traverse effectivement ces différentes zones mais ne répond pas à toutes les attentes en termes d’efficacité et de distances parcourues 8. De même, une grande partie des hôpitaux Est ainsi qu’Eurexpo ne sont pas encore reliés par cette nouvelle ligne de transport en site propre de l’agglomération.

8 La ligne réalise une première boucle pour rejoindre Grange Blanche et la ligne D, puis une seconde boucle pour rejoindre le campus de Lyon 2, si bien que la liaison avec ce site n’est pas très efficace.

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Quand le tramway se montre efficace… pour l’est de l’agglomération

À l’inverse, la ligne de tramway T3, ouverte en décembre 2006 (photo 2), propose une alternative importante pour relier une partie de la banlieue au centre-ville à partir de l’utilisation de l’ancienne voie de chemin de fer de l’est. Surtout, contrairement à la ligne T2, sur un parcours très long elle comprend peu de stations et permet donc des temps de parcours très efficaces, associés à un bon fonctionnement de parcs-relais. Son utilisation est renforcée par le prolongement de la ligne A du métro jusqu’à Vaulx- en-Velin La Soie (ouvert en octobre 2007) et la mise en service, en 2011, de la ligne TramExpress reliant la Part-Dieu à l’aéroport Saint-Exupéry (photo 3).

Photo 2. La ligne T3 à Dauphine-Lacassagne (source : auteur).

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Néanmoins, il restait encore une grande partie de l’agglomération, à l’est, qui ne se trouve toujours pas connectée à une ligne forte de transport : Montchat, les hôpitaux est, une partie des quartiers d’habitation de Bron, Eurexpo, Chassieu, Genas... Les enjeux forts de développement du grand Est (Porte des Alpes, Eurexpo, Carré de Soie, Grand Stade prévu à Décines) ont conduit le SYTRAL à adopter dans son plan de mandat (2008-2014) le raccordement de la ligne du tramway T2 à Eurexpo (nouvelle ligne T5) puis la mise en place d’une connexion jusqu’au projet de grand stade à Décines et la ligne de tramway T3, elle-même débranchée en direction du stade sur un kilomètre. La ligne T5, ouverte en novembre 2012, introduit pour la première fois la possibilité d’une double destination (fourche) pour une ligne de transport en site propre à Lyon (T2 reliant à l’est soit Saint- Priest, soit Chassieu et Eurexpo via le T5).

De son côté, la ligne de tramway T4 (ouverte en avril 2009) s’attache à résoudre la difficile problématique de la liaison vers Vénissieux. À partir de l’axe du boulevard des États-Unis (photo 4), elle complète au sud- est la ligne D du métro en permettant cette fois de relier le plateau des Photo 3. Le Rhonexpress et la ligne T3 (source : auteur).

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9 La ligne débouche ensuite sur quelques mètres sur le territoire de la commune de Feyzin.

10 Commune aux lignes de tramway T2 et T4.

11 Les lignes de tramway T1 et T2 partagent également depuis 2001 quelques centaines de mètres de voie entre le centre d’échanges de Perrache et le quai de la rive gauche du Rhône.

12 Si l’on excepte la ligne C reliant l’hôtel de ville de Lyon à Caluire.

13 Proche du modèle de tramway Hippocampe envisagé avant la mise en place des deux premières lignes de tramway du PDU de 1997.

14 Le tramway T3 qui suit les boulevards des maréchaux.

Minguettes 9 au centre-ville de Lyon par une ligne forte. La seconde phase de ce projet comporte la connexion entre la station Jet-d’Eau Mendès- France 10, dans le 8e arrondissement de Lyon, et la Part-Dieu avec un prolongement de l’exploitation de la ligne jusqu’à La Doua à Villeurbanne, en 2013. Pour la première fois, plusieurs lignes de tramway (les lignes T3 et T4, puis les lignes T1 et T4) circuleront sur la même infrastructure 11. Photo 4. La ligne T4 : 80 ans après le projet initial de Tony Garnier, un tramway circule enfin sur le boulevard des États-Unis (source : auteur).

Enfin, les prolongements du métro (ligne B jusqu’à Oullins, puis jusqu’au pôle hospitalier de Lyon Sud à Saint-Genis-Laval) et du tramway (ligne T1 jusqu’à la Confluence (photo 5) puis jusqu’à Debourg, qui devient la ligne T6 jusqu’aux hôpitaux Est) permettent une nouvelle dynamique de développement pour la ligne B, la moins fréquentée des grandes lignes de métro 12. Ces projets offrent enfin un maillage plus complet du réseau, qui permet de constituer l’armature d’une boucle périphérique constituée par une voie de tramway 13. Sur le modèle parisien 14, l’enjeu est surtout

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de privilégier les relations de banlieues à banlieues et de sortir du schéma pensé uniquement autour de relations centre-périphéries. À partir d’une connexion entre le Sud-Est et le Nord-Est de l’agglomération, il s’agit de favoriser des liens entre des territoires longtemps séparés (Vénissieux, Bron, Vaulx-en-Velin principalement) en permettant de nombreuses correspondances entre les lignes existantes ou projetées (lignes de tramway T1, T2, T3, T4, T6 ; lignes du métro A et D).

Photo 5. Le tramway à Confluence (source : auteur).

À côté de ces perspectives encourageantes, dans un contexte de difficultés financières et face à ces ambitions importantes de rééquilibrage du réseau, le grand stade, réalisé à Décines dans la banlieue est de Lyon, a renforcé les logiques d’opportunités, sans possibilité de réconcilier entre eux les projets construits ou en cours. Alors que ce projet pouvait être l’occasion de mieux réfléchir à la structuration des déplacements urbains à l’est en proposant notamment un axe de transport en site propre (nord-sud) sur les espaces réservés au boulevard urbain est, il limite considérablement la cohérence entre les lignes développées ces dernières années : la ligne de métro D et les lignes de tramway T3 et T2, comme les projets de débranchement de lignes en construction ou prévus T5 et T3bis. À cela s’ajoute le projet encore flou de prolongement du métro A, de Vaulx-en- Velin jusqu’à Décines.

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Au-delà de la réalisation de la première ligne de tramway en rocade (T6 qui vient juste d’être inaugurée en novembre 2019) et de ses prolongements au nord sur Villeurbanne, l’un des principaux chantiers à venir est le retour d’un projet de métro à Lyon. Cette nouvelle ligne relierait le centre- ville (avec l’hypothèse d’un passage à Bellecour voire d’une connexion jusqu’à La Part-Dieu) à l’ouest de l’agglomération jusqu’au quartier d’Alaï (entre les communes de Tassin-la-Demi-Lune et Francheville). Les études sont lancées avec une ouverture à confirmer pour 2030. En effet, la mise en place d’un tram-train en 2012 (photo 6), comportant trois lignes au départ de la gare de Saint-Paul, n’offre pas encore une solution satisfaisante pour des communes qui supportent un trafic automobile très important. Les enjeux tarifaires, la gestion de ces lignes et la compatibilité avec le réseau de tramway de centre-ville ne permettent pas pour l’instant la réalisation d’un vrai « RER à la lyonnaise », pourtant envisagé un temps dans le projet REAL de 2004, à une période où les collaborations entre la région Rhône-Alpes et le Grand Lyon s’annonçaient sur un meilleur jour.

Ainsi, ce projet de métro et l’amélioration de la liaison entre la gare de Saint-Paul et celle de La Part-Dieu avec un bus en site propre tout juste rénové sur la partie du cours Lafayette, empêche à nouveau d’envisager une vraie connexion entre les lignes de l’ouest et le tramway lyonnais, dont le développement s’est jusque-là exclusivement tourné vers l’est, avec plus de 73 kilomètres de réseau.

Photo 6. Le tram-train en gare de Gorge-de-Loup (source : auteur).

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BIBLIOGRAPHIE

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Références

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