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DROIT DE LA VILLE ET DROIT DANS LA VILLE

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DROIT DE LA VILLE ET DROIT DANS LA VILLE Yves Jégouzo

La Documentation française | « Revue française des affaires sociales » 2001/3 | pages 55 à 70

ISSN 0035-2985

DOI 10.3917/rfas.013.0055

Article disponible en ligne à l'adresse :

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(2)

La politique

de la ville et le droit

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(3)

Dnorr DE mvtrrn

Droit delnville et droit dans la ville '

Yves Jegouzo*

Droit

de la ville et

droit

dans la ville ?

Droit

des territoires et

droit

des citoyens ? Ces questions

qui sont au

cceur de certaines réflexions

-aieures en

cours appellent plusieurs précisions préliminaires.

la

première concerne le terme ville.

ljsmploi

de ce terme fait actuellement I'objet

d'un

certain nombre d'ambiguïtés. mot ville est employe dans plusieurs sens. Le premier est le plus ancien et

il

est obiectivement celui

qui doit

être privilégié.

Ia ville

c'est le

territoire

urbanisé

ou plus

exactemeng c'est

le territoire non rural. Ce

sens est historiquement connoté de manière positive

:

la

ville

symbolise

la

civilisation, les libertés par opposition au territoire rural et naturel. La ville est également synonyme de dweloppement économique. Jusqu'à ce que I'observation des processus en cours dans les paln du Tiers-monde ait ébranlé cette certitude, on établissait un parallèle très exact entre urbanisation et niveau de dweloppement économique.

Ia Ville,

enfin, depuis la

fin

du Haut Moyen Âge sfmbolise le pouvoir dont elle devient vite le centre.

C'est plus récemment, que

I'on

a pris le

mot

ville au sens pathologique.

Ia

" ville

"

serait la

ville

malade

ou

plus exactement ceux de ses quartiers

qui

le sont. Ceci a commencé avec la

loi

d'orientation pour la ville

du lll juillet I9n. Ia

proposition de

loi

initiale préparée par

M.

Malandain était initialement intitulée u

loi

antighettos

".

Ce n'est qu'ultérieurement qu'elle est devenue la

loi

d'orientation pour la ville mais en gardant ses objectifs initiaux. Depuis, en Francg la politique de la ville est celle qui vise à en soigner les mau& la violence urbaine, la ségregation sociale, l'exclusion.

Et s'est dweloppé dans

l'opinion,

le sentiment que la ville accroissait des problèmes

qui,

en

faig

sont ceux de

la

société eg par exemplg que les exclus seraient moins malheureux dans le Larzac que dans les banlieues.

Il

faut émettre des réserves sur cette qualification mais ce postulat sera retenu

ici

: la ville sera prise, dans cette réflexion, au sens de la ville en

difficulté.

Une seconde précision concerne l'approche du problème de la " ville " ainsi entendue.

Celle<i sera territoriale.

' Profesro agrégé de droit public; prêsident honorùe de l'mivenité Paris 1 (Pmthém-Soôome).

I C:t anide reprend et dÉveloppe la æmuication orale au ælloque

" Droit de la ville et droit dms la ville "

orgmisé pu la dé,légation intministérielle à laVlle - rm 2001.

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(4)

RETIJE TRÂNçAISE DES AFTAIRIS SOCIAI.ES N" 3 JUU.E',r-SEPTEMBRE 2001

Il

est bien évident que la politique dite de la ville est avant tout une politique sociale :

il

ne serait pas nécessaire de mettre en place une

politique

de

la ville si toute

la population était bien intégrée dans la société moderne que ce soit sur le plan culturel ey'ou sociologique, si elle disposait d'emplois,

d'un

niveau de

formation

développé, etc.

Il

est donc êvident que la solution au problème posé passe d'abord par des mesures générales de

lutte

contre I'exclusion, d'insertion des populations en

difficulté

telles que les

minimums

sociaux,

la

mise en ceuvre des

droits

fondamentaux

(droit

au logement,

droit

à I'eau, etc.).

Mais, à

pârtir

du moment où I'exclusion, les problèmes sociaux, d'intêgration, etc., se concentrent sur certains qr"

r..iers,

le problème devient territorial. Les populations en

difficultê

s'identifient à des quartiers, à des territoires et c'est sous cet angle que la question du rapport du

droit

à la ville sera analysêe.

Ces précisions données,

il

est bien êvident que le problème de la politique de la ville

ne

se pose pas

d'abord, en

termes

de droit mais prioritairement sur le

terrain sociologique, économique,

culturel. Dire

cela

ne signifie

pas

qu'il ne faille

pas êgalement examiner

la

question en en termes juridiques. Avec

ici

une alternative : s'agit-il d'analyser le

droit

de la ville ou

plutôt

le

droit

dans la ville ?

Cette seconde branche de la question ne doit pas être surestimée. Certes, le dêbat sur le développement de zones de

nondroit

dans certains secteurs de la ville pourrait faire croire

qu'il

y a là

un

sujet prioritaire pour le iuriste. Cela n'est nullement certain.

Il

n'existe pas de zones de

nondroit. Tout au plus

pourrait-on parler de zones

qui

échapperaient partiellement à I'emprise de la régulation par le droit. Dans les quartiers

qui

semblent le plus êchapper à

I'application du droit,

ceux

qui

contestent le plus I'ordre social continuent à se placer dans une situation juridique pour nombre d'actes de leur vie,

qu'il

s'agisse de I'accès à certains services publics, des prestations sociales, des assurances, voire de la demande de règlement

juridictionnel

des litiges-

De surcroît, les situations de

nondroit

ne sont pas spécifiques à la

ville

[æs " hors la

loi '

vivaient autrefois dans les campagnes plus que dans les villes.

Ils

continuent à

proliférer

dans des endroits aussi différents des quartiers en

difficultê

que les îles Caiman ou le Lichtenstein. Ce n'est pas la

ville qui

crée des situations de

nondroit.

la

question de

l'application du droit

dans la

ville

n'est pas liêe à la po.litique de la

ville

: elle

.on..rrr.

plus gênéralement l'É,tat. Le critère

principal

de

l'État

résidant dans sa capacité à maintenir un ordre social, le problème est de savoir si I'Etat

remplit

ses fonctions premières ? Et cette question concerne aussi bien les chasseurs de Picardie

qui

refusent d'appliquer la réglementation que les petits dêlinquants des banlieues.

Le vrai problème que pose la relation entre le

droit

et la politique de la ville est Plutôt de savoir s'il existe un

droit

spéciûque pour la ville en difficultê.

Un

premier constat s'impose à cet égard : initialement,

il

n'existait pas de

droit

de la ville,

tout

au moins au sens traditionnel du terme : la politique de la

ville

a été mise en place sous forme de circulaires, d'instructions, voire de pratiques. Ce

fut

le cas

pour

des politiques telles qu'o Habitat et vie sociale

',

n Banlieues 89 ", etc. Elles

ont

reposê sur des processus administratifs

qui n'ont

trouvé place

ni

dans le Code de I'urbanisme,

ni

dans le Code de

la

construction et de I'habitation. Le sentiment a

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Drcit de ville et droit dans Ia ville

prévalu. à I'origine, que la politique de la ville devait se fonder d'abord sur une doctrine admirristrative; elle reposait sur des < projets

" qui

n'avaient pas à sécréter des règles.

Le

droit

serait incapable d'enserrer ces phénomènes.

Cette conception a, depuis, étê totalement remise en cause. Depuis dix ans, on assiste au contraire, à une

multiplication

de textes sur ce sujet. De grandes lois

ont

scandé Ia

politique

de la

ville

depuis 1990. Ce

fut

d'abord

la loi

no

9M49

du 31

mai

1990

visant à la mise en æuvre du

droit

au logementr puis, surtout, la

loi

d'orientation pour la

ville du

13

juillet

1991

qui

peut être considérée comme le texte fondateur du droit de la ville 2. Depuis, les textes se sont succédé à une cadence étonnamment rapide, la

loi n'

95-115 du

4

fêvrier 1995

d'orientation pour

I'amênagement et le développe- ment du territoire puis la

loi

du 14 novembre 1996 dite de relance du pacte de relance

pour la

ville 3,

la loi du

29

juillet

1998

d'orientation

relative

à la lutte

contre les exclusions 4, pour arriver enfin à la

loi

du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain s qui repose sur un objectif prioritaire, fonder les politiques urbaines sur les valeurs de cohésion sociale et territoriale.

Cette inflation

législative

n'est

pas

l'indice obligatoire de ce que [e droit

joue

effectivement un rôle

important

dans la gestion du problème de la ville. Une bonne partie de ces lois n'est pas écrite

pour

recevoir une application directe. Ce sont des

déclarations de principes, des

lois d'orientation,

de

la "soft lau" si on peut

se

permettre cette formule. En outre, la

multiplication

des règles de

droit

ne signifie pas que toutes sont effectives. Cela signifie généralement le contraire et consdrue I'aveu de ce que le

droit

échoue dans ses missions.

Mais, cette

inflation

législative est cependant le signe que quelque chose se passe sur le terrain

juridique.

Ces frémissements

ont

d'ailleurs attiré

l'attention

de nouvelles générations de juristes

qui ont

consacré au problème du

droit

de la ville des travaux de première importance 6.

La question mérite donc d'être posée.

Ou

plus exactement, deux questions, celles de savoir pourquoi le

droit

s'est-il saisi de la politique de la ville et de la conception du

droit qu'il

faut créer pour la ville.

I Cf.G.Vedel,Poraoirslotaw,1990,n"7,85;Y.Jêgouzq"larépanitiondacompêtencesentrel'Êtatetls ollcctivitês læala dms le domaine de l'habitat sæial ", Xp. f. adn. pub, 1990, 586.

2 Cf.H.Jacquot,.Laloid'orientationpourlavilledu13juilletl99l",AJDA1991,892;J.Mormd-Deviller, . L'appon de la loi d'orientation pour la ville

", AJDA 1992,410l' H. Chrles, . Ia loi d'orientation pour la ville et [e droit dc l'urbnisme ",Administrr n" 228, n' 9, p. 78 ;J.-8. Auby, " ta loi d'orimtation pour la ville ", ICP 1992, I, 3546 ; Y. Jégouzo, . Décentralisation de I'urbanisme et solidaritê nationale ', h{d6foîcièle, 1993, 3 Cf.YvcJegouzo,"Laloidu14novembre1996relativeàlamiseencuvredupactederelmcepourlaville et la globalisation des politiques urbaines ù,Auuirefalçais de droit de lhrbanine et de I'babiut,1996, p. 5, Ed.

Dalloz.

4 Cl F. Zitouni,. L'accis au logement des personna défavoriséa dans la loi sur la qclusiom : entre logique d'exæption et droir comun ",Annrairefançais fu droit de I'arbanisme a fu I'hahitat, 1999, p.9, Ed. Dalloa

5 CC numéro s$cial, de ITJDA de janvier 2001. ; numéro spêcîal du BJDU, décembre 2000.

6 CC notment, Emaruelle Dæchmps, b droit public de Ia slgrégation urbaine (1943-1997), LCDJ, L9981 SylvieJoubert, Droa de la ùile, ùoit à la uille, thèse Paris 2, 1997.

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REfl'|E FMNçÂISD DES ÂFÆnES SOCIAI.8S N" 3 JU|IIEI-SEF.IÂ|BRE æ01

Pourquoi un droit pour la ville

?

Iæ dweloppement du

droit

de la ville n'est pas un accident.

Il

résulte de

la

nature même

du droit qui

n'est pas une

religion -

comme

on

I'a

longtemps pensé

ou

laissé penser

-

mais

un

mode de gestion de la vie sociale, un processus de régulation des conflits par réfêrence à des valeurs fondamentales.

Il

résulte egalement de la transformation de la place du droit dans la société. En France,

on

a longtemps privilégié la regulation administrative sous les formes dassiques de la police administrative et du service public,

l'intervention

de I'administration étant légitimée par l'idéologie de

l'État

providence. [.a primauté était donnée à

l'action

administrative éclairée par I'interêt général et la circulaire ou la directive avaient alors une place déterminante puisqu'elles exprimaient la doctrine des autorités publiques et des services.

Désormais, sous la double influence de I'internationalisation et de la décentralisation

qui limitent

par le haut et par le bas la sphère d'intervention de l'É,tat, on privilêgie, au

co.rtr"ir.,

la regulation juridique qui trouve un fondement idéologique dans

l'É'at

de droit. IJexemple de I'immigration est aveuglant à cet egard. Longtemps, ce problème

a

été réglé

par l'administration

seule dans

le

cadre de ses pouvoirs généraux (et largement discrétionnaires) de police. Désormais, le contentieux des éttangers

reprê

sente plus de 50 o/o des afâires dont est saisi le Conseil

d'Éat.

Llémergence

d'un droit

de la

ville

s'inscrit donc dans ce contexte de croissance du droit. Mais, elle s'expligue êgalement et surtout par le fait que la politique de la

ville

implique une

re-ise

en cause partielle

-

ou

tout

au moins

un

reaménagement

-

de

principes juridiques aussi fondamentaux que l'égalité et la

prohibition

des discrimi- nations, le droit de propriêté ou la libre administration des collectivités locales. Dans ces trois hypothàes, la

politique

de la

ville implique

nécessairement

l'intervention

du législateur et du juge et la constitution

d'un

socle juridique sur lequel elle puisse s'appuyer.

Iapoliti4ue

dp

k aillp

et

leprincipe d'égalité

Llun des objectifs de la politique de la ville est d'assurer une meilleure égalité entre les habitants. En soi cela n'a rien de nouveau : l'egalité estun des principes fondamentaux reconnus par la Déclaration des droits de I'homme et du citoyen de 178t égalité devant

l'impôt,

égalité devant les services publics, etc.

Mais,

l'anallne des problèmes de

la ville

démontre dairement que cette égalité de droits, conçue en termes exclusivement juridiques, ne

suffit

pas

ici. D'une

part,

il

existe

une

inégalité objective

au

sein de

la ville,

entre les quartiers

ou

entre les conrmunes d'une même agglomération.

[a

desserte en équipements et en services collectifs,

la

qualitê de I'environnement

urbain y

connaissent des diffêrences de niveaux considérables, étonnants même dans

un

pa)'s qui

vit

depuis deux siècles sur l'idéologie de t'égalité. D'autre parg

la

concentration dans les mêmes quartiers de

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Dmndehville e droit daos lartlle

populations défavorisées accroît encore ces distorsions.

[a

recherche de l'egalité ne peut donc se faire que par l'inégalité.

Ici,

l'analyse marxiste considérant que les libertés traditionnelles (libertés formelles)

êaient

illusoires et ne pouvaient devenir réelles qu'au

prix

de

l'intervention

de l'État,

rejoint

les conceptions nouvelles bâties autour de I'idée des droits fondamentaux. La reconnaissance de droits fondamentaux êconomiques et sociaux puis la légitimation de discriminations positives qu'elles concernent les services publics,

la

fiscalité, le logemeng etc.,

sont

à

la

base même de

la politique

de

la ville. Il

en est ainsi, en

particulier de la discrimination positive définie comme

" une diffêrentiation

juridique

de traitement créée à

tire

temporaire, dont l'autorité normative affirme expressément qu'elle a

pour but

de favoriser une catégorie déterminée

" afin

de compenser des

inégalités préexistantes

I. Or,

ces

discriminations ne

peuvent écarter

le

principe d'égalité

-

même

si

c'est

pour en approfondir la

réalisation

-

sans fondements juridiques précis; elles impliquent I'intervention d'une norme. Et le principe auquel elles

font

exception étant

un principe

constitutionnel

fort,

ces normes doivent se

situer au plus haut niveau de la hiérarchie.

Le Préambule de la

Constitution

de 1946 a

fourni

cette base

juridique

nécessaire. Le

Conseil constitutionnel puis le

législateur

ont pu

s'appuyer

sur

certaines de ses

dispositions concernant les

droits

économiques

et

sociaux

-

dispositions souvent ambiguës et vatues,

il

est vrai

-

pour reconnaître progressivement de nouveaux droits comme le droit au logement, le droit au transport, le droit à la santé, etc. Par là même est reconnue la légitimité des interventions publiques visant à mettre en æuvre ces droits.

Il

ne peut exister de droit au logement sans un service public apte à le satisfaire

ni

de

droit

au transport sans une

politique ariËire qui

permette de compenser les handicaps existant entre les catégories sociales.

Parallèlement a été reconnue

la

possibilité de mettre en

cuvre

des discriminations positives permettant de compenser certaines inégalités persistantes. Le Conseil cons-

titutionnel

a été très

loin

en ce domaine

puisqu'il

a admis

la

constitutionnalité de certaines discriminations positives raciales telles que celles qui ont résulté de la

loi

du 6 septembre 1984 sur la Nouvelle{alédonie et qui accordent

un

traitement privilégié aux populations autochtones en ce

qui

concerne l'accès à

la fonction

publique2.

Il faut

penser que les dérogations instituées dans

le

cadre des quartiers en

difficulté

trouvent

là un

fondement constitutionnel. Cette hypothèse devrait être prochaine.

ment vérifiée à l'occasion de l'examen par le Conseil constitutionnel de

la loi

qui

donne un fondement à la décision de

l'Institut

d'études politiques de Paris de réserver certaines

inscriptions aux

éleves issus des lycées

de

certaines zones d'éducation prioritaire. Aveq toutefois, la réserve que toutes les ZEP n'étant pas traitées de manière egaliaire, le legislateur ait pris

ici

un risque.

I F. Mdin-Souomim, b prircipc d'égalW dzæ lz juispndaæ dt Corsil constiûttiof,re4 Economica, PUAM 1997, p.207.

2 Dêcision n'8zfl78 DC du 30 aott 1984 relative à la loi ponmt statut du territoire de la Nowelle4alêdonie et dépendances, Rec. p. 69.

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(8)

REVIJE F&{NFISE DFs ATTAIRES SOCIAI.ES

N' 3 Iff,I.DT-SEPTEMBRI 2OOI

Il faut

se poser

la

question de savoir

si

ces fondements de

la politique

de

la

ville pourraient être menacés sous I'impact de la construction européenne qui, à l'origine,

a adopté une conception plus juridique du principe d'égalité. droit communautaire est, par principe, hostile à toute discrimination

qui

serait susceptible de remetûe en cause les principes de libre concurrence et de

libre

circulation sur lesquels repose le marché unique.

Or, la politique de la ville conduit à remettre en cause certaines règles de concurrence.

Plusieurs

lois

récentes

ont

institué des règles discriminatoires en vue de favoriser

l'emploi

dans les quartiers en difficulté.

Il

en est ainsi, par exemple, de la création par la

loi du

14 novembre 1996

d'un

établissement public national pour l'aménagement et la restructuration des espaces commerciaux et artisanaux bênéficiant, notamment, d'une procêdure dêrogatoire au regard de la lêgislation sur l'équipement commercial.

Le problème est encore plus aigu dans les zones franches urbaines qui se voient dotées

d'un

régime

tout à fait discriminatoire. Outre

les avantages déià accordês aux entreprises dans le cadre des zones de redynamisation urbaines et

qui

se situent sur le terrâin assez classique des exonérations de taxe professionnelle, les zones franches se voient dotées

d'un

vêritable statut dérogatoire bénéficiant aux entreprises

qui

s'y implantent. Cela se traduit, notamment, par des exonêrations considêrables concer- nant tant

l'impôt

sur les sociétés que les charges sociales. En outre, les communes de

la

région parisienne

qui

sont situées dans une zone franche urbaine ne

sont

plus soumises

au

régime de l'agrément exigê

au titre

de

I'article L.

51G1

du

Code de I'urbanisme pour

I'implantation

d'activitês êconomiques.

La

portée de ces dérogations est considérable puisque

la

charge des exonêrations accordées en matières fiscale et sociale a pu être evaluée à 13,5 milliards de francs sur

trois

ans. Ce rêgime a même

conduit

certains à considêrer que les zones franches urbaines pouvaient être qualifiées de nouveaux paradis Êscaux r.

Il

y a donc des discriminations indiscutables au regard des principes de concurrence tels qu'ils sont posês par le droit communautaire même si I'article 87 du Traité (ancien

article 92) ouvre certaines possibilités.

Mais, là

encore,

il faut

constater que des evolutions analogues à celles que

l'on

a enregistrées en droit national se font jour au niveau européen. [,e traité de Maastricht a

introduit

dans I'article 2 du traitê une disposition selon laquelle la Communauté a

pour mission de promouvoir "la

cohésion êconomique

et sociale". Larticle

16

reconnaît également " la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de

I'Union ,

et le u rôle qu'ils jouent dans la

promotion

de la cohêsion sociale et territoriale de

I'Union

". La charte des droits fondamentaux adoptée à Nice à la fin de I'année 2000, bien que non encore opposable, pose également des principes qui peuvent servir de fondement à la politique de la ville.

Enfin, il

faut signaler que

l'initiative

communâutaire URBAN 2000-n06 (financêe par le FEDER 2) se 6xe comme objectifs de combattre l'exclusion sociale, d'améliorer

la

qualitê de I'environnement urbain, de promouvoir un " développement urbain durable u et de

I Ct S. Traorê, . Les nouveaux patadis Iiscaux de labanlieue ", É'uletfoncilftt, l" 75' juin 1997

2 FEDER: Fonds européo de dêveloppement économique régional.

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(9)

Droit de laville e dmit dam la ville

favoriser la " régénération économique et sociale des villes et banlieues ".

Il

y a là des objectifs analogues à ceux que

I'on

poursuit depuis plusieurs annêes en France dans le cadre de la politique de la ville. C'est en fonction de ces valeurs de cohêsion sociale et territoriale que le

droit

communautaire devrait, à notre sens, interpréter les marges de manæuvre laissées aux politiques territoriales de la

ville

au regard du

droit

de la concurrence.

Il

y a là un socle juridique sur lequel peut se fonder la politique de la ville pour mettre en Guvre des actions spécifiques en faveur des quartiers en

difficulté

comportant, si nécessaire, des mesures discriminatoires.

In,politi4ue

de

k uille

et le

droit dpprlpriéîé

Un même constat de départ s'impose :

il

est impossible de mettre en æuvre la politique de la ville sans atteinte au

droit

de propriété.

Pour le

démontrer,

il suffit d'analper le

scénario

d'évolution

de

la ville qui

se

dêvelopperait sans encadrement

du droit

de propriété. Tous les observateurs sont unanimes sur ce point, les lois du marché conduisent actuellement à la paupérisation des quartiers en

difficulté.

Le marché

immobilier

est, par nature, ségregationniste : l'environnement social est

un

paramètre majeur dans

la

détermination des valeurs foncières.

laisser libre jeu au

marché

conduirait donc

de manière inéluctable à

renforcer la spécialisation sociale de la ville, les classes aisées se concentrant dans les centres anciens ou certaines communes périphériques " sêcurisées

,,

Ies classes moyen- nes se regroupant dans les zones périurbaines et les quartiers en

difficulté

récents (grands ensembles de I'après6uerre) ou anciens (copropriétés en

difficulté)

ainsi que les friches industrielles étant délaissés compte tenu tant du corit de leur reconquête que de leur faible attractivité pour les investisseurs.

Il

n'est pas nécessaire de s'attarder sur cette analyse

qui

a êté à la base des politiques de la ville depuis quinze ans et que

l'on

retrouve derrière la

loi du

13 décembre 2000.

Lutter contre ces tendances naturelles du marché

immobilier

et de l'évolution sociale spontanée de la ville implique des interventions publiques déterminantes mais aussi

un

encadrement

étroit du droit de

propriêté.

Ce

second

volet a

été longtemps sous<stimé par la

politique

de la

ville

dans

la

mesure où les premières actions

ont

porté sur des grands ensembles dont la propriété était sinon intégralement publique (organismes publics de logement social) tout au moins sous contrôle des collectivitês publiques (autres bailleurs sociaux). Cela explique que

I'on

ait pu faire I'impasse sur le problème juridique posé par la propriétê pdvée dans ce cadre.

Depuis la

loi

d'orientation pour la ville du 13

juillet

1991 puis la

loi du

14 novembre L996 de pacte de relance

pour

la ville,

il

est appâru, par contre, que

I'on

ne pouvait mettre en ceuvre les nouveaux objectifs affirmés sans des interventions qui constituent

autant

de restrictions

au droit

de propriété.

Ijobjectif

lêgal de

mixité

sociale de l'habitat, notamment, â

pour

conséquence

qu'il

convient de réaliser des logements sociaux dans les communes

ou

dans les quartiers

qui en sont

dépourvus. Cela nêcessitera souvent le recours à I'expropriation ou au

droit

de préemption

dont

on sait que I'extension a constitué l'une des mesures les plus contestées de la

loi

de 1991.

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(10)

REVUD TNANçAISE DEi ÂMURES SOqAITS N" 3 IJIUDI-SPImdBIE 2001

La

loi du

14 novembre 1996 tire les conséquences de ceci en ajoutant la " restructura-

tion

sociale

" aux objectifs qui permettent de définir I'amênagement au sens de I'article L. 30Gl du Code de l'urbanisme puis la

loi du

L! dêcembre 2000 en substituant dans

le

même

article le

concept

plus

large

du

renouvellement

urbain à celui de

la restructuration. Larticle L. 30Gl définissant I'objet légal du droit de préemption, cela

a pour

consêquence

d'en

faire

un instrument

de

la politique

de

la ville

sans que

I'atteinte au droit de propriété qui en

résulte

ait

été considérée

par le

Conseil constitutionnel comme une atteinte excessive l.

la

remise en cause partielle du droit de propriétê s'est imposée également dans le cadre des interventions sur les copropriétés en

difficulté.

Le problème que pose celles<i réside dans I'incapacité de

la

propriêté privêe laissée

à

elle-même de

freiner un

processus de dégénérescence de

l'habiat

lorsque

celui<i

se trouve dans

un

certain contexte économique et social

ftabitat

dégradé, propriêté morcelée, faibles rapports locatifs, etc.). Cela a justifié des interventions publiques dans le fonctionnement des copropriétês. fusez timides dans un premier temps (loi du 14 novembrcl996), celles<i

ont

étê renforcées par la

loi du

13 décembre 2000 sans que

l'on

puisse exclure

-

bien

au contraire

-

que cette evolution ne se poursuive.

Il

est

bien

évident que ces restrictions au

droit

de propriétê

impliquent là

encore

I'intervention du

législateur

qui

seul

peut limiter

ce

droit

constitutionnellement

protété.

droit

de

la ville

comporte désormais

un volet immobilier

fortement juridicisé.

Ia,

politi4ue

d,e

la uille

et

la libre administration

des

collectiuilés localæ

La politique de la ville, enfin, touche un dernier principe constitutionnel, celui de la libre administration des collectivités locales garanti par l'article 72 dela

Constitution

de 1958. I;à résident sans doute les problèmes juridiques les plus aigus.

Cette

difficulté

tient à la contradiction de principe qui existe entre la décentralisation et f idée de solidarité.

fautonomie

génère automatiquement des inêgalités

èt il

est

certain que la

dêcentralisation

a

accentué les

discriminations

sociales

entre

les communes. À la distinction faite traditionnellement entre beaux quartiers et quartiers en

difficultê

s'est superposée

l'opposition

entre villes riches et villes pauvres. Celle-ci n'est certes pas nouvelle mais une dêcentralisation sans contrepoids conduit à coup

sûr à

I'accentuation de ces diffêrenciations

: il

n'existe

aucun intérêt Pour

une commune ayânt une population aisée à accueillir des catêgories sociales en

difficulté.

Ce serait contre-productif à

la

fois sur le

plan

électoral et sur le

plan

financier, les populations en

difficulté

générant des corits supérieurs (services sociaux, etc.) alors qu'elles représentent une base

d'imposition

plus faible (exonérations diverses de taxe d'habitation, etc.). Lr modèle ideal en termes de gestion décentralisée est la commune résidentielle

abriant

de nombreuses activités de services. [æ modèle repoussoir est celui du grand ensemble bordé d'une friche industrielle.

I

Décision. n" 2@(H36 DC du 7 décembre Ztrl'Jmnat offtid du 14 décmbre, p. 19841.

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(11)

Dmil debville d droit dans lavtlle

[,a décentralisation dans sa logique apparaissant en opposition avec les objectifs de la politique de la ville qui reposent sur des principes de solidarité, de mixité sociale, etc., la politique de la ville n'a pu se dwelopper qu'au prix d'une correction

-

certains

ont pu

parler de recentralisation

-

par le législateur des effets pervers des réformes de 1918/-19.83 sur la cohésion sociale et territoriale. Ces inflexions se sont developpêes dans deux directions.

la

première est la péréquation financière entre collectivités locales. La

loi du Ll

mai

1991 sur la dotation de solidarité urbaine en

fournit

I'exemple même en modulant les

dotations en

fonction du

potentiel fiscal et de I'occupation sociale des communes.

Ia solution

est classique

: elle a

été

utilisée

dans

la plupart

des

pap à

forte décentralisation ou fêdéraux

qui ont

dri mettre en place de tels mécanismes en vue de

limiter

les écarts de richesse entre les diffêrentes parties

du

territoire, écarts

qui

pourraient, à terme, mettre en cause la cohésion de la Nation.

[a

seconde correction est plus originale. Elle a consistê à fixer des normes imposant aux collectivités locales la realisation de certains objectifs de la ville.

Il

en est ainsi, tout particulièremeng des quotas de logements sociaux apparus dans la

loi

d'orienta-

tion pour

la

ville

et redéfinis par

la loi du

13 décembre 2000 sur

la

solidarité et le renouvellement

urbain. Cette solution va plus loin et peut

remettre

en

cause

l'autonomie

des collectivités locales.

Elle conduit, a

minima,

à

des pénalisations financières des collectivités

qui

ne peuvent mettre en ceuvre ces normes.

Mais,

la logique de ce dispositif doit aller au{elà et conduire à substituer l'É,tat aux collectivités locales défaillantes dans la réalisation des objectifs de mixité sociale. C'est ce qu'avait prévu la

loi

d'orientation pour la ville en disposant que dans les communes possédant moins de 20 0/o de logement sociaux, le préfet pouvait se substituer à la commune dans l'exercice

du droit

de préemption

urbain afin

de dégager

I'offre

fonciere nécessaire pour réaliser les constructions sociales manquântes. Ce mécanisme âyant êchoué l, la Ioi

du

13 décembre 2000 s'est à nouveau engagée sur cette voie en disposant que dans les communes déficiaires en logements sociaux qui ne tiendraient pas les engagements qu'elles ont pris, notamment, dans le progremme local de

l'habiat,

le préfet pourrait passer

une

convention avec

un

organisme de logement social en

vue

de réaliser l'objectifdes 20 0/o prévu par la

loi. Il

est flagrant

qu'ici

la politique de la

ville

entre frontalement

en conflit

avec

le principe

de

libre administration

des collectivités locales.

Le Conseil constitutionnel à

dri

rechercher

un

équilibre entre la décentralisation et les objectifs de la politique de la

ville dont il

admet d'ailleurs la constitutionnalité.

Ainsi, dans sa décision du 7 décembre 2000 rendue sur la

loi

solidarité et renouvelle- ment urbain,

il

a considéré successivement que

I'objectif

de?-}0/o de logement sociaux imposé aux communes et les mécanismes de pénalisation financière

qui

l'assortis- saient "

n'a

pas

pour

effet de réduire les ressources globales des communes

ni

de

diminuer

leurs ressources financières au

point

d'entraver leur libre administration

"

mais que les pénalités supplémentaires et les mécanismes de substitution prévus en cas

de

non-respect des engagements

pris par

les communes constituaient < une

1 Cf. E. Dachanps, op. cit, p. 147

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(12)

REÏUD FRANç{ISE DFS AffAIRES SOCIâTFS N" 3 JUII^E'T-SEPTEMBNE 2OOI

sanction incompatible avec I'article 72 dela Constitution

"

t. [^a décision du Conseil ne doit, certes, pas être interprêtée comme condamnant toute mesure de substitution fondée sur les objectifs de la politique de la ville. La censure prononcée est

motMe

principalement, par le caractère automatique des sanctions prévues et le fait qu'elles ne les distinguent pas u selon la narure ou la valeur des raisons qui sont à I'origine du retard de la commune défaillante ".

Ce

dêbat

et

les

difficultés qu'il

soulève

ont

cependant eu

le

mérite de souligner I'importance qu'a pris le

droit

dans la politique de la ville. Dans la mesure où celleci conduit à bousculer certains principes fondamentaux du

droit, il

ne pouvait en être qu'ainsi.

Il

existe, désormais, et au plus haut niveau des normes juridiques, commu- nautaires, constitutionnelles et législatives, un

droit

de la ville.

Quel droit pour laville

?

La question se pose alors de savoir comment concevoir le

droit

de la

ville. Il âut

souligner que le

droit

français semble hêsiter entre deux conceptions

qui

traduisent d'ailleurs deux visions des villes plus ou moins ambitieuses. La première a consistê à

mettre en place

un droit

spécifique

pour

les quartiers en

difficulté qui

permette d'apporter les remèdes les

plus

nécessaires

et

les plus urgents

aux

maux

dont

ils souffrent.

fa

seconde, plus complexe, consiste à traiter ces maux à l'échelle globale de la ville. Bien qu'elles ne s'excluent pas à court terme, ces deux orientations apparaissent à long terme en contradiction.

Un droit

des

quarti,ers

en

dfficulté

Ic

modèle operationnel rebnu

Une analpe approfondie du système mis en place depuis 1995 pour traiter le problème des quartiers

en difficultê fait

apparaître

la mise en

place

d'un

véritable

droit

opérationnel de la ville qui a pris d'ailleurs une forme juridiquement organisée autour

du

concept de restructuration sociale. Ce gue

I'on

pourrait qualiÊer

d'"

opérations de la ville

"

présente toutes les composântes du

droit

de l'opérationnel, le périmètre, la désignation

d'un

maître d'ouvrage unique, le programme et

un

slntème

iuridique

autonome.

Bien que présente antérieurement, la territorialisation de la politique de la

ville

s'est affirmée nettement avec la

loi

n" 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aména- gement et le developpement

du

territoire. t"a

loi du

14 novembre 1996

a

êtê encore plus

loin

sur cette voie en dessinant ce que le rapport Bédier appelle ( une nouvelle gêographie urbaine prioritaire

". ta politique

de la

ville

s'effectue dans le cadre de périmètres bien définis et faisant l'objet de procédures de reconnaissance. Et

il

existe

une

hiérarchisation

forte entre

les différentes zones

qui

servent

de

cadre aux I Dæision du 7 drcembre 2000 précitée.

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(13)

Dmit de lz ville d droit dans la ville

interventions publiques, les zones urbaines sensibles, les zones franches urbaines et les zones de redynamisation urbaine.

La maîtrise d'ouvrage, la gestion des opérations de la

ville

par

un

même opérateur figurent êgalement dans le modèle opérationnel.

Ainsi

que

l'a

bien analpé Etienne Fatôme

r, la loi du

14 novembre 1996

institue un

nouveau

type d'opération,

la restructuration sociale,

qui

a

l'originalité

d'associer les missions classiques de l'amé- natement (maltrise foncière, réalisation d'équipements, gestion du programme, etc.) aux interventions sociales (actions sur l'emploi, développement économique, préven-

tion

de la délinquance, etc.). Ces opérations peuvent faire I'objet de conventions. Par contre, la recherche

d'un

opérateur unique a soulevé des problèmes bien prévisibles.

Si cet objectif est légitime compte tenu du caractère global des politiques des quartiers,

il

faut le concilier avec la multiplicité des compêtences mises en cause. Lss " opérations de la ville > concernent à la fois I'urbanisme,

l'action

sociale, le logement, la sécurité publique, l'éducation, le developpement économique, etc.

Or,

depuis la décentralisa-

tion,

ces compêtences sont réparties entre l'É,tat, les départements, les communes, leurs groupements, leurs établissements

publics

(organismes de logement social, établissements scolaires, etc.).

Un

pilotage compact de ces opérations ne

peut

se

concilier avec cette dispersion des responsabilités juridiques et financières qu'au

prix d'un

recours sptêmatique

au contrat. Ce n'est

pas

un

hasard

si

les techniques contrâctuelles ont pris une telle place dans ce domaine depuis les opérations " Habitat et vie sociale

"

(HVS) en 1977 jusqu'aux contrats de ville.

Mais, surtout, le

droit

opérationnel de la ville se caractérise par le régime dérogatoire qui est le sien. læ principe de base retenu tant par la

loi

du 4 fêvrier 1995 que par celle

du

14 novembre L996

qui

le pousse à ses conséquences extrêmes est clair. Les zones prioritaires définies bénéficient

d'un

certain nombre de dispositions dérogatoires du

droit

commun <( en rrue de compenser les handicaps économiques et sociaux > qui sont ceux des quartiers en difficultê. Ces pêrimètres dêfinissent le champ d'application de mesures

d'incitations

économiques

et

fiscales destinées

à

favoriser

la

création d'emplois 2 mais aussi la réhabilitation du patrimoine immobilier. Ainsi, les proprié- taires

qui

entreprennent dans les zones franches urbaines des travaux de réamênage- ment et d'amélioration des locaux d'habitation bénéficient

d'un

régime privilégié de déduction des déficits enregistrés sur I'ensemble du revenu imposable analogue à celui

qui est

organisé

par la loi Malraux pour

favoriser

la

restauration des secteurs sauvegardés. Les zones de

la politique

de

la ville

sont également

-

et ceci est plus spécifique

-

des territoires dotés d'un

droit

dérogatoire de I'urbanisme et de l'habitat.

Tânt le Code de l'urbanisme que le Code de la construction et de l'habitat se réftrent à ce zonage spécifique

pour définir

le champ

territorial

de certaines des procédures spéciales qu'ils instituent.

En soi, I'instauration

d'un droit

dérogatoire spécifique à certains secteurs de la ville n'est pas chose nouvelle. Tout le

droit

de l'urbanisme opêrationnel s'est

bâti

sur un I E. Fatôme,. L6 conssiom d'amênagement et la loi du 14 novembre 1996 relative â la mise en mvre du pacte de relmce pour la vrlle,,Annuirefnçzir de ùoit dt I'wbanisne a dc I'babitat, 1996, p. 29, FÂ. Dalloz 2 Cf.sora.

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(14)

REVLE FRAI{çAIS DES ÂITNRES SOCIN^ES

N. 3 JuIISI-SWIEMBRE 2001

modèle consistant à doter des pêrimètres spécifiques d'intervention

d'un

slntème de normes spêcifiques et de procédures dérogeant au droit commun. C'est ce schéma

qui

a présidé au sptème de

la

zone d'amênagement concerté (ZAC) jusqu'à

la loi

du

13 décembre 2000. Et les ZAC se sont partiellement inspirées de l'ancienne procédure des zones à urbaniser en

priorité

(ZUP)

qui éaient

dotées de leurs propres plans et comportaient des procédures dérogatoires

tant

dans le domaine

foncier

que de la construction.

Ia

" zone de restructuration urbaine " (ZRU) êtant souvent plaquée sur le périmètre d'anciennes ZUP, il estassez logiqug en définitive, que pour les < réparer

'

on ait repris des dispositifs juridiques semblables.

Le problème vient de ce que le zonage de la politique de la ville comporte des objectifs beaucoup plus ambitieux.

Il

ne s'agit pas seulement de construire un nouveau quartier mais de restructurer une population exisante (restructuration sociale ou urbaine) avec des objectifs sociaux, scolaires, économiques, de sécurité.

réside l'une des limites de ce dispositif mais ce n'est pas la seule.

tes limites du modèle

[æ postulat selon lequel

il

est possible de

délimiter

très exactement les territoires urbains en difficulté, la territorialisation extrêmement prêcise de

l'action

publique à laquelle

il

conduit, ne sont pas sans poser quelques questions dans la mesure où le risque existe de disparités de traitement

trop

fortes enûe des activités contiguës dès lors qu'elles seraient situêes de part et d'autre de la " frontière sociale

" de la zone. Or, si

l'on

excepte certaines hypothèses où la limite d'un quartier en difficulté correspond à une séparation

phpique

assez nette, ligrre de chemin de fer, rocade urbaine, etc., la réalitê urbaine est gênéralement autre, le sectionnement de la

ville

se revèle imprécis

et

progressif. Certes, I'existence de

uois

catétories de zones

perme! en théorig

d'aménager des

transitions entre la

"

ville de droit

commun

> et les

territoires dérogatoires,

une zone franche urbaine pouvant être

cernêe

par une zone

de dynamisation urbaine elle-même incluse dans une zone sensible urbaine. Mais, outre la complexitê du qntème alors

insauri il

est à penser que ce dispositif progressif ne sera pas toujours realisable. Et les risques sont grands de voir les entreprises situées en

limite

de zones franches s'y déporter pour bénéficier des avantages fiscaux sans créer des emplois nouveaux.

Il y

a

là un

des reproches adressés

par Martine Aubry

au dispositif institué par la

loi

du

4

fêvrier 1995 et la

loi du

14 novembre 1996 de pacte de relance pour la ville.

Surtout, la mise en place d'un

droit

de la ville trop territorialisê risque de

rigidifier

la cartographie des difficultês. Iæs quartiers bênéficiant de ce

droit

dérogatoire seront davantage aidés mais ils risquent de rester longtemps encore des quartiers en difficulté.

Si ce dispositif paraît pertinent s'agissant du maintien ou de la réinstallation dans ces

quartiers des activités commerciales

ou

artisanales

qui contribuent à en

assurer

I'animation

économique et à les doter des services marchands

qui sont l'une

des

fonctions normales de la ville, en est-il de même pour les autres activités ? Lidée selon laquelle

l'implanation

massive d'entreprises dans les zones prioritaires les conduira

à embaucher la population qui y réside et donc à mettre

fin

à l'exclusion êconomique paraît quelque peu illusoire. Les caractéristiques du marché de I'emploi, la nécessité pour les entreprises modernes de recruter une maind'ceuvre de plus en plus spêcialisée

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(15)

Dron de h rine d dmit dans la ville

sont telles que les solutions au problème du chômage

qui

touche les populations de ces quartiers ne peuvent être circonscrites à ces pêrimètres. Elles se situent beaucoup plus à l'échelle des agglomérations, de bassins d'emplois plus êtendus qu'à celui du quartier.

Il y

a

certaines des questions majeures que pose le modèle

d'un droit

dérogatoire pour les seules zones prioritaires. Elles conduisent à penser

qu'il

faut rechercher une

solution

aux problèmes posês dans

un

cadre plus large que le quartier en

difficulté,

celui de I'agglomération.

Un droit

dp

la uille

Un modèle global

Le grand mérite de la

loi

d'orientation pour la ville du 13

juillet

1991 est d'avoir défini

un

modèle beaucoup plus ambitieux

pour la politique

que

la ville. Celui<i,

pour I'essentiel, consiste à considérer que les difficultés de certains quartiers doivent être traitées à l'échelle de I'ensemble de la

ville

et

non

seulement dans le périmètre de ceux<i.

Il y

a

une des conséquences directes

d'un principe

de

mixité

sociale de I'habitat

qui

signifie

qu'il

faut à la fois améliorer la qualité de certaines banlieues et réaliser des logements sociaux dans les autres quartiers, construire des bureaux et des centres d'affaires dans

la

Plaine de Saint-Denis (ce

qui

est en cours) et réaliser des logements sociaux à Neuilly, Auteuil et Passy (ce qui semble autrement plus

difficile

!).

Si

on

retient ce modèle globa[ les objectifs de la politique de la ville doivent inspirer l'ensemble des

drois

qui organisent une

"gglomération : le droit de I'urbanisme, le

droit

de I'environnement, le droit de l'équipement commercial, le droit des transports, etc.

["a

loi

solidarité et renouvellement urbain

du

13

juillet

1991 s'inscrit assez nettement

dans cette logique.

Larticle L. IA-2 du

Code de l'urbanisme en disposant que les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme et les cartes commu- nales déterminent les

conditions

permettant d'assurer "

la

diversité des fonctions urbaines et la mixité sociale dans

l'habiat

urbain et dans

l'habiat

rural, en prévoyant des capacités de construction et de

réhabiliation

suffisantes pour la satisfaction, sans discrimination, des besoins présents et futurs en matière d'habitat, d'activités écono- miques, notamment commerciales, d'activités sportives

ou

culturelles

et

d'intérêt général ainsi que d'équipements publics, en tenant compte en particulier de l'équilibre entre emploi et habitat ainsi que des moyens de transport " élève au rang des principes généraux du

droit

de I'urbanisme la

plupart

des objectifs de la politique de la ville.

Certes, le Conseil constitutionnel a

limitê

la portée de ces principes en considêrant

d'une part,

..

qu'eu

égard

à l'imprécision

des objectifs qu'elles mentionnent

"

les

dispositions de

I'article L. 1A-l

méconnâîtraient

I'article 34 et I'article

72 de la

Constitution

" si elles soumettaient les collectivités territoriales à une obligation de résultat

"

et, d'autre

par!

que ces principes ne pouvaient

âire

I'objet que

d'un

simple conûôle de compatibilité.

Mais, le contrôle de compatibilité reste un contrôle !

Il

permettra de se fonder sur les

nouvqrux principes

du droit

de I'urbanisme

pour

veiller à ce que les schémas de cohérence

teritoriale,

les nouveaux PLH ou le programme d'une ZAC prennent en

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(16)

REÏUD FRANçÀISE DESAITAIRDS SOCIAI^ES N" 3 JUmSI-SEnEi{BRI 200t

compte ces objectifs légaux. Cette hypothèse semble d'autant plus vraisemblable que la

loi du

13 décembre 2000 articule, par ailleurs, les programmes locaux de I'habitat, les plans de déplacement urbains et les schémas d'équipement commercial avec les nouveaux documents d'urbanisme. [æ

droit

de l'urbanisme

et le droit

de

la

ville s'interpênètrent de plus en plus. Le

droit

de la

ville y

perd

un

peu de sa spécificité mais

il

devrait gagner en efficacité par la mise en æuvre de solutions plus globales aux maux de la ville. Têl est, tout au moins, le pari engagé.

Ls

limites du modèle

Le défaut principal du modèle de la globalisation du droit de la ville rêside dans son ambition.

Il implique

une

volonté politique

extrêmement

forte

dans

la

mesure

où il va

à

l'encontre tant des logiques du marché qué de celle des financements publics.

Il

est

infiniment

plus facile de " rénover n d'anciennes ZUP au sens que donnait au terme

u rénovation

"

I'ordonnance

de

1958 (destruction-reconstruction)

que de

pênêtrer certains sanctuaires immobiliers où le marché produit de telles valeurs que le coût de

I'intervention

publique

y

apparaît

prohibitif.

Cela impliguerait, par exemple, non seulement une refonte totale des mécanismes de financement du logement social mais

un

accroissement global majeur des crêdits

qui lui

sont affectés par la Nation.

Par ailleurs, replacer la politique de la ville dans un contexte plus global nécessite que

I'on

redéfinisse

le territoire

de

la ville.

Qr'est-ce que

la

ville ? Actuellement c'est principalement

la

commune.

Or, il

paraît

difficile

de régler les problèmes de la politique de la ville à cette échelle puisqu'elle ne permet pas de gêrer les conflits entre communes riches et pauvres, de faire apparaître les solidarités nécessaires.

Il

faut se

situer au niveau de I'agglomération.

En

ce sens,

tant la loi

" Chevènement >

du

12

juillet

1999 que

la loi

" Voynet

"

du

25 juin

1999 marquent des evolutions positives.

La

première hisse

au

niveau des compétences communautaires

la politique de la ville et,

dans certains cas, les programmes locaux de I'habitat (PLH) et d'aubes actions qui se trouvent au cæur de ces interventions.

[a

seconde prévoit la nêgociation de contrats d'agglomêration de nature à

la

fois à globaliser les interventions sur la

ville

et à instaurer au niveau de I'agglomération les solidarités nécessaires.

Cela

dit, l'application

de ces textes se heurte encore à des obstacles nombreux. Les communautés ne se

sont

pas

toujours

créêes à l'échelle des bons territoires de la

politique

de

la ville.

Se dessine parfois, au sein

d'une

même agglomération, une nouvelle cartographie des communautês riches et des communautês pauvres qui laisse entiers les problèmes posés. Dans I'hypothèse même où les bons territoires êmerge- raient, les nouvelles communautés auront-elles le poids nécessaire pour conduire des

interventions aussi volontaristes et lourdes d'enjeux sociaux que

la politique

de Ia ville ? Cela peut-il se faire tant que les établissements de coopération intercommunale

n'ont

pas acquis une plus grande lêgitimité démocratique ?

Tel est sans doute

l'un

des enjeux des réflexions sur la relance de la décentralisation actuellement en cours. Mais, comme

dirait Kipling,

cela est une autre histoire.

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