• Aucun résultat trouvé

Article pp.131-134 du Vol.34 n°183 (2008)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article pp.131-134 du Vol.34 n°183 (2008)"

Copied!
4
0
0

Texte intégral

(1)

Dans cet entretien, Peter Wirtz revient sur l’affaire Société Générale. Il suggère que les défaillances sont moins à rechercher au niveau de la gouvernance stricto-sensu qu’au niveau du contrôle interne ; qu’aucun dispositif de contrôle interne, aussi sophistiqué soit-il, n’empêchera la créativité individuelle ; et qu’il serait utile d’étudier plus précisément le rôle des incitations au sein de la profession des traders.

PHILIPPE MONIN EM Lyon

Légitimité,

déviance, délits

Retour sur l’affaire Société Générale

Entretien avec Peter Wirtz 1

DOI : 10.3166/RFG.183.131-134 © 2008 Lavoisier, Paris

E N T R E T I E N

1. Peter Wirtz est professeur à l’université Lyon 2, membre du centre de recherche COACTIS et chercheur associé à l’IFGE. Il est aussi coresponsable du master « Finance », d’où est diplômé le trader de la Société Générale Jérôme Kerviel. Auteur d’ouvrages et d’articles sur la politique financière et la gouvernance d’entreprise, il a publié récem- ment Les meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise(La Découverte).

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

(2)

Philippe Monin. Peter, en quoi ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’affaire Société Générale interpelle-t-elle les débats sur le gouvernement des entreprises ?

Peter Wirtz. Les événements qui concernent l’affaire Société Générale sont récents, et l’état actuel des enquêtes et investigations en cours oblige tous les observateurs à la plus grande prudence dans tout effort d’analyse, même provisoire. Cela dit, on peut faire trois observations.

Quand on parle de gouvernance, on réfère à l’encadrement de la liberté d’action du principal dirigeant : comment sa conduite est-elle gouvernée, afin qu’il prenne des décisions conformes à l’intérêt des divers ayants-droit (dont les actionnaires) ? Dans le fonctionnement d’un mécanisme de gou- vernance, c’est donc le dirigeant au sommet de la hiérarchie organisationnelle qui est le contrôlé. Entre autres mécanismes de gou- vernance, on peut citer le conseil d’admi- nistration, mais également le droit des sociétés, le marché financier, l’audit légal des comptes… Or, l’affaire Société Géné- rale concerne apparemment le comporte- ment déviant d’un subordonné, un trader ayant pris des positions excessives sur des produits dérivés en les masquant. Elle pose le problème du contournement des méca- nismes de contrôle interne, pas un problème de gouvernance. Ici, les acteurs qui sont l’objet des contrôles se situent à des éche- lons inférieurs, dans la ligne hiérarchique.

Le dirigeant n’est pas contrôlé mais contrô- leur. Pour parler dans le langage de la théo- rie positive l’agence, le niveau d’analyse incriminé n’est pas celui de la gouvernance mais celui de l’architecture organisation- nelle (Brickley et al., 2004).

Pourtant, certains observateurs des faits – notamment au plus haut niveau de l’État – ont cherché à mettre en cause la respon- sabilité du dirigeant de la Société Générale, auteur du fameux rapport Bouton sur les

« meilleures pratiques » de gouvernance.

Cette mise en cause se justifie si on considère que l’architecture organisation- nelle relève indirectement de la gouver- nance : dans la mesure où le dirigeant contribue à façonner cette architecture, alors la fiabilité du système de contrôle interne serait aussi de sa responsabilité.

La loi de sécurité financière (LSF, 1er août 2003) plaide d’ailleurs en ce sens : elle oblige le dirigeant d’une entreprise cotée à faire une déclaration annuelle, non seulement sur le fonctionnement des mécanismes de gouvernance stricto sensu, mais également sur le contrôle interne.

Pour conclure sur cette question, le rapport Bouton confie aux comités d’audit – l’un des mécanismes de gouvernance phares des codes de bonne conduite – le soin d’exami- ner les risques et engagements hors bilan significatifs, entendre le responsable de l’audit interne, donner leur avis sur l’orga- nisation de son service et être informés de son programme de travail. Ils devraient être destinataires des rapports d’audit interne ou d’une synthèse périodique de ces rap- ports(Bouton, 2002, p. 12). Si le contrôle interne de la Société Générale était défaillant, une « meilleure » gouvernance aurait-elle pu y remédier ? Rien n’est moins sûr, du moins si l’on fait des codes de

« meilleures pratiques » de gouvernance l’unique étalon de mesure de la qualité d’une pratique de gouvernance.

132 Revue française de gestion – N° 183/2008

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

(3)

Dans cette affaire, doit-on incriminer le système ou la personne ?

Il y aura toujours des individus qui adoptent des comportements déviants – qu’ils recherchent ou non leur intérêt personnel –, et tous les meilleurs codes de bonne conduite n’y changeront rien. C’est d’ailleurs l’un des enseignements fonda- mentaux de la théorie de l’agence, qui fait du comportement potentiellement intéressé un postulat de base, et justifie donc de mettre en place des systèmes de sur- veillance. Ceci concerne les différents niveaux de délégation du pouvoir décision- nel au sein des organisations, que ce soit au niveau de la gouvernance (encadrement de l’espace de liberté du principal dirigeant) ou du contrôle interne (surveillance des comportements à l’intérieur de l’organisa- tion par le dirigeant lui-même).

Les critiques de la théorie de l’agence ont parfois tendance à caricaturer ou à simpli- fier ladite théorie. Jensen et Meckling (1976) insistent sur le fait qu’il y aura tou- jours une part de frictions incompressibles due à des conflits d’intérêts malgré la sur- veillance, et ils l’appellent coût d’agence résiduel. Ce coût d’agence résiduel est le prix à payer pour tout effort de coopération.

Les codes de « meilleures pratiques » et autres documents sur les procédures de sur- veillance, qui font aujourd’hui partie inté- grante des systèmes de contrôle, peuvent donc au mieux servir de guides pour attirer l’attention sur certaines zones à risque, mais ne prétendent pas les éliminer complè- tement, et cela est vrai tant pour les codes de gouvernance que pour les procédures de contrôle interne, comme celles rendues obligatoires par la loi SOX. Bref, ne faisons pas porter à la théorie un chapeau trop

grand pour elle, et la question est celle de ce coût d’agence dit résiduel.

Dans ce cas, que faut-il attendre des systèmes de contrôle, notamment des codes de bonne conduite ?

Attention : mon propos n’est pas de dire qu’il n’y a pas de marge de progression possible dans la formalisation des systèmes de contrôle, mais plutôt d’observer que le risque qui guette une telle codification des pratiques est celui d’obtenir le résultat inverse de celui escompté. C’est le cas, notamment, si les codes de bonne conduite sont utilisés comme une check-list. En cochant simplement un ensemble de cri- tères et en perdant de vue l’esprit qui les anime, on se donne bonne conscience – ce qui n’est certes pas si grave ! – mais on se donne aussi l’illusion d’avoir fait le néces- saire en passant ainsi à coté de certains vrais enjeux qui ne rentrent pas directement dans les catégories prédéfinies par les codes et procédures – et là, la gravité s’accroît.

Tu évoques le fait qu’aucun système n’empêchera totalement les comportements déviants. Que t’inspire l’affaire Société Généralesur ce sujet ?

Je crois qu’il faut postuler que les acteurs peuvent être très créatifs lorsqu’il s’agit d’inventer des stratégies de contournement des contraintes qu’on leur impose, et ce cas l’illustre à l’excès. Le traderincriminé avait commencé sa carrière au sein de l’établisse- ment dans les services de middle-office(le middle-office gère les risques et les sys- tèmes d’information et exerce, donc, une fonction de surveillance, alors que les tran- sactions sont initiées par les traders au front-office, c’est-à-dire dans la salle de marché). À ce titre, il connaissait parfaite- Légitimité, déviance, délits 133

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

(4)

ment les différentes procédures de contrôle interne. Il lui était donc facile d’en

« jouer », et les prises de position officielles et répétées de sa hiérarchie – révélées au cours des investigations – soulignent l’ingé- niosité des stratégies de contournement mises en œuvre.

Il n’est donc pas certain qu’il faille à tout prix chercher à concevoir des codes et pro- cédures de surveillance formalisés de plus en plus détaillés et de plus en plus strictes.

Peut-être faudrait-il plutôt regarder du côté de la structure des incitations : de quels cri- tères dépendent la rémunération, la recon-

naissance et l’avancement de carrière des traders et de leur hiérarchie ? Selon la théo- rie de l’architecture organisationnelle, le risque de comportement déviant est fonc- tion de trois variables : le degré de déléga- tion du pouvoir décisionnel, les méca- nismes de surveillance, et la structure des incitations. L’architecture organisationnelle devrait traiter ces trois variables de manière cohérente et intégrée… et je pense que l’affaire Société Générale, in fine, nous ren- voie vers l’ensemble des trois, alors que le débat s’est beaucoup focalisé sur la seule défaillance des systèmes de surveillance.

134 Revue française de gestion – N° 183/2008

BIBLIOGRAPHIE

Bouton D., « Pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées », AFEP/MEDEF, 2002.

Brickley J., Smith C., Zimmerman J., Managerial Economics and Organizational Architec- ture, 3rdedition, McGraw Hill, 2004.

Jensen M., Meckling W., “Theory of the Firm : Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership Structure”, Journal of Financial Economics, vol. 3, 1976, p. 305-360.

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

Références

Documents relatifs

C ela fait maintenant six ans qu’il existe une convention de partenariat entre la Revue fran- çaise de gestion et l’Association internationale de management stratégique ayant pour

Dans tout système social, la réalité sociale des règles est une réalité vivante : « a réa- lité sociale que nous constatons, ce n’est pas la présence de règles,

Ainsi, certains administrateurs représentant les actionnaires salariés, pour- tant élus par les actionnaires salariés, repré- sentent un administrateur salarié addition- nel, du fait

Conformément à nos attentes, l’analyse chronologique des différents codes de gou- vernance français révèle un changement du statut et/ou de l’intensité des facteurs

Car si les pres- criptions de gouvernance disciplinaires déduites d’un cadre théorique contractuel comme celui de la TPA puisent depuis long- temps leur légitimité dans la

– l’entreprise est « en société » et pas seu- lement « en marché » et les parties pre- nantes à ses dynamiques sont en transac- tions économiques mais aussi en

Dans cet article, les auteurs utilisent leurs recherches récentes pour montrer que : l’entreprise n’est pas viable si elle se focalise seulement sur l’intérêt des actionnaires

Que cette place soit liée à des dispositions institutionnelles (en Allemagne et en France par exemple) ou à un fort taux d’adhésion syndicale (au Danemark, en Finlande, en Norvège