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L’applicabilité directe de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme au secours de l’échec d’une adoption plénière, note sous Civ. Liège, 8 octobre 2008

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University of Namur

L’applicabilité directe de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme

au secours de l’échec d’une adoption plénière, note sous Civ. Liège, 8 octobre 2008

Beague, Maïté; Cap, Sylvie

Published in:

Revue trimestrielle de Droit familial

Publication date:

2009

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Beague, M & Cap, S 2009, 'L’applicabilité directe de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme au secours de l’échec d’une adoption plénière, note sous Civ. Liège, 8 octobre 2008', Revue

trimestrielle de Droit familial, Numéro 3, p. 804-827.

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Note

L’applicabilité directe de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme au secours de l’échec

d’une adoption plénière

1. Le jugement publié ci-dessus est intéressant à plus d’un titre. D’une part, parce qu’il donne l’opportunité de se pencher sur les solutions juridiques offertes en cas d’échec d’une adoption plénière, ou plutôt sur les «limites» des dispositions du droit belge à ce sujet. D’autre part, parce qu’il constitue une application inventive de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui ne manque pas d’interpeller la théorie de l’applicabilité directe des dispositions internationales. C’est en effet par le détour — audacieux — des garanties prévues par ladite Convention que les demandeurs se voient entendus par le tribunal de première instance de Liège dans leur demande de rétablissement de leur filiation paternelle d’origine. Si le jugement pose de vastes questions ne concernant pas uniquement la discipline juridique(1) — bien qu’au regard de celle-ci, les questions

sont déjà nombreuses —, nous limitons nos réflexions à l’examen des dispositions pertinentes du droit belge en cas d’échec d’une adoption plénière d’une part et à l’analyse du recours à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme d’autre part.

2. Avant de développer ces deux points, synthétisons brièvement les faits de la cause. Un homme remarié avec une femme divorcée décide d’adopter les deux enfants de celle-ci, enfants retenus de deux précédentes unions. Chacun des deux enfants avait une filiation paternelle établie à l’égard de son père biologique. En 1990, la mère des enfants contracte un troisième mariage. Le troisième époux de Madame adopte donc plénièrement ses deux beaux-enfants par actes passés devant le juge de paix, actes tous deux homologués par un jugement du tribunal de la jeunesse de Namur du 7 mai 1992. L’aîné des enfants est âgé de douze ans et le plus jeune de près de sept ans au moment de l’homologation de leur adoption plénière. Après neuf ans de mariage, le couple divorce et l’ordonnance du juge des référés du 23 juin 1999, prononcée de l’accord des parties, confie l’autorité parentale conjointe à la mère et au père (adoptif) sur le deuxième enfant, l’aîné des enfants étant devenu majeur au moment du divorce. L’héberge-ment principal de l’enfant est par contre confié à la mère. Par jugeL’héberge-ment postérieur du tribunal de la jeunesse de Huy, rendu le 19 novembre 2001, l’autorité parentale exclusive sur l’enfant est confiée à la mère, sans prévoir d’hébergement secondaire au père, ce dernier ne contestant pas que les liens entre

(1)Des questions se posent en effet au regard des disciplines sociologique, historique et

psychologique. La parenté ne cesse d’interroger le droit belge actuel. Ceux qui contribuent à sa modification se doivent de tenir compte des impacts sociologiques produits par une réforme, ou à l’inverse, se trouvent souvent confrontés à la demande insistante d’acter une réalité sociologique en évolution.

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lui et ses fils n’ont pas survécu au divorce. Les liens avec les pères biologiques respectifs des deux «enfants» se sont par contre retissés, dès après le divorce de leur mère d’avec leur père adoptif.

Les deux demandeurs à la cause sont les deux enfants ayant été adoptés plénièrement en 1992. Ils sont majeurs au moment de l’introduction de leur demande et souhaitent tous deux que l’échec de l’adoption plénière d’une part, et le rétablissement des liens affectifs avec leur père d’origine d’autre part, aboutis-sent à la suppression des effets produits par l’adoption plénière, au rétablissement de leur filiation paternelle d’origine et au port de leur nom patronymique d’ori-gine. Le jugement rendu par le tribunal de première instance de Liège déclare la demande recevable et fondée et ordonne ainsi que les deux demandeurs n’auront à nouveau de filiation paternelle qu’à l’égard de leur père d’origine et qu’ils porte-ront à nouveau leur nom patronymique d’origine.

3. Constatant l’impossibilité de rétablir une filiation d’origine après une adoption plénière au regard du droit belge, le tribunal prend toutefois acte de ce que les liens entre les demandeurs et leur père adoptif n’ont pas survécu au divorce, alors que les liens avec leurs pères biologiques respectifs se sont retissés, et décide qu’il y a lieu, de manière à assurer le respect des engagements internationaux de la Belgique au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, de supprimer les effets de l’adoption plénière.

Nous ne pouvons manquer d’être surpris à la première lecture du jugement annoté. Ce n’est pas tant la décision en elle-même qui suscite l’intérêt de la présente note. À l’analyse, elle apparaît en effet comme étant la plus respectueuse des personnes concernées(2). Le jugement du tribunal de première instance de Liège du

10 octobre 2008 frappe surtout par l’originalité de son dispositif, qui passe outre le droit interne au nom du droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale. Cette décision impose d’abord de s’interroger sur les limites du droit belge en ce qui concerne les possibilités de remise en cause d’une adoption plénière (I). Le raisonnement juridique — très succinct — suivi par le tribunal sur pied de l’article 8 de la Convention mérite ensuite que l’on s’y attarde (II). Il s’agira, pour conclure, de pointer la question fondamentale que soulève, à nos yeux, la décision commentée, à savoir celle de l’opportunité du recours à l’adoption plénière par le nouveau partenaire de l’un des parents (III).

(2)Et ce, eu égard au constat d’échec complet de l’adoption plénière, du rétablissement

des liens familiaux d’origine, et du consentement de toutes les parties en présence à la suppression des effets de l’adoption. La question se pose toutefois de savoir si le juge pouvait effectivement faire droit à la demande sur la base de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ou s’il eût été nécessaire d’interpeller le législateur belge au regard des droits découlant dudit article et de l’absence de dispositions, dans le droit interne belge, permettant de rencontrer cette demande (infra, II et III).

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I. L’échec d’une adoption endofamiliale(3) plénière

au regard des dispositions du droit interne belge(4)

4. La réforme du droit belge de l’adoption opérée par la loi du 24 avril 2003(5)

a maintenu la distinction existant dans le droit belge entre l’adoption simple et l’adoption plénière(6). L’adoption plénière a pour effet de rompre tous les liens

entre l’adopté et sa famille d’origine pour l’intégrer pleinement dans la famille adoptive élargie(7). L’article 356-4 du Code civil stipule que «l’adoption plénière

est irrévocable. La révision est possible conformément à l’article 351». Le fonde-ment de l’irrévocabilité de l’adoption plénière réside dans «le souci d’éviter un abandon de l’adopté : après la rupture totale avec sa famille d’origine opérée par l’adoption plénière, la révocation de celle-ci risquerait en effet de laisser l’adopté sans aucune famille»(8). L’irrévocabilité se justifie donc par «le souci de la paix des

familles et de la stabilité de l’état des personnes, ainsi que par l’analogie avec la filiation par le sang»(9). Cette irrévocabilité a cependant été critiquée «comme

étant en opposition avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. Certains ont soutenu qu’elle était contraire à l’intérêt de l’enfant puisqu’en cas d’échec de l’adoption plénière, celui-ci ne pouvait plus être adopté (3)Nous reprenons la signification donnée à ce terme par Y.-H. Leleu : l’adoption

endofamiliale est celle qui est «pratiquée à l’égard d’un enfant éduqué par un de ses parents et le conjoint ou le partenaire de fait de celui-ci, en vue de créer un lien juridique entre l’enfant et cette autre personne, qui remplit, en fait, le rôle parental. Dans une acception plus large, cette notion comprend également l’adoption des parents par le sang (frère, neveu, petit-enfant,…)» : Y.-H. Leleu, «La recomposition familiale par voie d’adoption et la Cour d’arbitrage», obs. sous C.A., 3 mai 2000, J.T., 2000, p. 537, note infrapaginale n° 2. Dans la présente note, le terme «adoption endofamiliale» est utilisé dans son acception étroite. Sur l’ensemble de la question de l’adoption endofamiliale, voy. not. I. Lammerant, L’adoption et les droits de l’homme en droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 202-250.

(4)Compte tenu des limites de la présente note, nous nous centrons sur l’échec d’une

adoption endofamiliale plénière même si la question plus générale de l’échec d’une adoption se pose, que l’adoption soit endofamilale ou non et que celle-ci soit simple ou plénière. Il sera toutefois nécessaire d’aborder également, mais de façon moins concise, les dispositions pouvant s’appliquer en cas d’échec d’une adoption simple.

(5)Loi du 24 avril 2003 réformant l’adoption, M.B., 16 mai 2003, p. 26955.

(6)Cette distinction est notamment remise en cause par A.-C. Van Gysel. Voy. audition

de A.-C. Van Gysel, in Rapport fait au nom de la commission de la justice concernant le projet de loi réformant l’adoption par S. Verherstraeten, K. Van Hoorebeke, J. Herzet et K. Lalieux, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2001-2002, n° 1366/011, pp. 220-221.

(7)Article 356-1 du Code civil. Voy. I. Lammerant, A. Ottevaere et M. Verwilghen,

«Le nouveau droit fédéral de l’adoption», Rev. trim. dr. fam., 2006, p. 88. L’adoption plénière des deux demandeurs par le troisième conjoint de la mère a donc eu pour effet de rompre totalement les liens entre ces deux derniers et leur père biologique d’origine, mais également à l’égard de l’ensemble de leur famille paternelle d’origine.

(8)I. Lammerant, «Quelques problèmes actuels soulevés par l’adoption plénière»,

R.G.D.C., 1988, p. 540, n° 40.

(9)I. Lammerant, L’adoption et les droits de l’homme en droit comparé, op. cit., p. 636,

(5)

par d’autres personnes»(10). Ces critiques, datant d’avant la réforme de 2003, ont

été envisagées par le législateur(11). Ce dernier a toutefois maintenu le principe de

l’irrévocabilité de l’adoption plénière, tout en atténuant son intangibilité(12)

puisqu’il a élargi les possibilités de nouvelles adoptions(13). Concernant l’adoption

simple, le législateur a également maintenu le principe selon lequel celle-ci n’est révocable que lorsque des motifs très graves sont invoqués(14). La jurisprudence

s’est toujours montrée très stricte dans l’appréciation du caractère de gravité des motifs invoqués à l’appui d’une demande de révocation, le seul accord des parties ne pouvant, par ailleurs, suffire à révoquer le lien adoptif. N. Verheyden-Jeanmart souligne à ce propos que «l’état des personnes n’étant pas à la discrétion des individus, l’accord des personnes relatif à la révocation d’une adoption reste inefficace»(15). La plupart des demandes en révocation sont fondées sur une faute

qui serait commise par le défendeur à l’action(16). Certaines décisions de

jurispru-(10)G. Mahieu, «L’adoption», Rép. Not., t. I, Les personnes, Bruxelles, Larcier, 1989,

p. 86, n° 106; Fr. Rigaux, «La jurisprudence belge après l’arrêt Marckx», note sous Cass., 3 octobre 1983, R.C.J.B., 1984, p. 617, n° 4. Voy., en jurisprudence, la décision du tribunal de la jeunesse de Bruxelles du 27 novembre 1981 écartant, en vertu de l’«effet direct» des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’application de la loi belge interdisant la légitimation par adoption (ancienne adoption plénière) d’un enfant déjà légitimé par adoption (Trib. jeun. Bruxelles, 27 novembre 1981, R.W., 1982-1983, p. 1861). Cette décision fut réformée en appel (Bruxelles (jeun.), 29 avril 1982, R.W., 1982-1983, p. 1856, note P. Senaeve, «Het E.V.R.M. en de adoptiewetgeving»).

(11)Projet de loi réformant l’adoption, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2000-2001,

n° 1366/001, «Développements», pp. 22-23; I. Lammerant, A. Ottevaere et M. Ve-rwilghen, op. cit., pp. 90 et s.

(12)I. Lammerant, «Quelques problèmes actuels soulevés par l’adoption plénière»,

op. cit., p. 540.

(13)Cfr. n°s6, 7 et 8.

(14)L’alinéa premier de l’article 354-1 du Code civil stipule que «la révocation de

l’adoption simple peut, pour des motifs très graves, être prononcée à la demande de l’adoptant, des adoptants ou de l’un d’eux, de l’adopté ou du procureur du Roi». En cas de révocation de l’adoption simple, l’article 354-2 du Code civil prévoit que la mère et/ou le père peuvent demander que l’enfant soit replacé sous leur autorité parentale. Si cette demande n’est pas formulée (ou si celle-ci est rejetée), le régime de la tutelle est organisé conformément aux dispositions du Code civil. Postérieurement à l’ouverture de la tutelle, le père et la mère ou l’un d’eux peuvent encore demander au tribunal de replacer l’enfant sous leur autorité parentale ce qui mettrait fin au régime de la tutelle. Concernant les effets de la révocation de l’adoption simple : voy. not. G. Mahieu, op. cit., n° 87; I. Lammerant, L’adoption et les droits de l’homme en droit comparé, op. cit., pp. 634-635, n°s704-706.

(15)N. Verheyden-Jeanmart, «Quelques réflexions sur le consentement à l’adoption, le

droit de visite des parents d’origine à l’égard de l’adopté et la révocation de l’adoption», Ann. dr. L., 1970, p. 213.

(16)N. Hustin-Denies souligne à cet égard que «la notion de “motifs très graves” ne fut

illustrée dans les travaux préparatoires des lois du 22 mars 1940 et du 21 mars 1969 que par référence à des comportements manifestement fautifs tels que : “le fait pour l’adoptant d’avoir abusé de l’adopté” ou encore “les brutalités répétées de l’adoptant à l’égard de l’adopté, les menaces, violences ou l’ingratitude révoltante de l’adopté envers l’adoptant”. Pour cette raison sans doute, la révocation apparaît à la lecture d’un grand nombre de décisions de jurispru-dence, comme la sanction d’une faute» : N. Hustin-Denies, «Réflexions sur les causes de révocation de l’adoption et sur la déchéance d’aliments en droit belge», R.G.D.C., 1996, p. 307.

(6)

dence ont cependant fait droit à une demande de révocation motivée par des circonstances indépendantes de la notion de faute(17). Les décisions ayant fait droit

à une demande de révocation sur la base d’une conception de la révocation comme constituant un remède à une situation pénible («révocation-remède») plutôt que sur celle de la sanction d’une faute («révocation-sanction») sont toutefois moins courantes. La doctrine reste par ailleurs «partagée sur la conformité de cette conception avec l’esprit de la loi»(18).

Indépendamment de ces deux conceptions, la doctrine et la jurisprudence précisent que c’est l’intérêt de l’adopté qui doit guider l’appréciation souveraine du juge du fond lorsqu’il est saisi d’une demande de révocation(19). En effet, «la

filiation qu’elle soit biologique ou affective, crée (…) vis-à-vis de l’enfant, des liens d’ordre psychique, affectif et juridique fondamentaux, dont on ne peut accepter la rupture avec les conséquences qu’elle emporterait au gré de celui qui les a créés. (…) Il n’est rien de pire que de n’être le fils de personne, ce qu’entraînera la révocation de l’adoption d’un enfant dont la filiation d’origine n’était pas établie»(20).

5. Sur la base des seules dispositions évoquées ci-dessus, la suppression des effets de l’adoption plénière des demandeurs ne serait pas juridiquement possible, l’adoption plénière étant irrévocable, et la révision de l’adoption n’étant par ailleurs permise que lorsqu’«il résulte d’indices suffisants qu’une adoption a été établie à la suite d’un enlèvement, d’une vente ou d’une traite d’enfant»(21). Il est

néanmoins permis de se demander si le fondement de l’irrévocabilité de l’adoption plénière se justifie en l’espèce, étant donné que chacun des pères biologiques d’origine souhaitait rétablir son lien de filiation à l’égard des deux demandeurs. Peut-on donc affirmer que les demandeurs auraient été laissés sans famille? Il faut à tout le moins constater que l’adoption plénière a eu pour effet de supprimer définitivement le lien de filiation paternelle d’origine des demandeurs. Ce lien de filiation ne se rétablirait a priori pas automatiquement après une révocation de l’adoption plénière. Il faudrait en effet que cela soit expressément prévu par les dispositions du Code civil.

(17)Voy. notamment Civ. Hasselt, 28 novembre 1958, J.T., 1959, p. 96; Trib. Jeun.

Namur, 3 mars 1970, J.T., 1970, p. 575 (N. Hustin-Denies précise que le tribunal de la jeunesse de Namur fut le premier à se prononcer «explicitement en faveur de la thèse de la révocation remède» : N. Hustin-Denies, op. cit., p. 309); Gand, 29 juin 1998, T.G.R., 1999, p. 10; Gand, 14 septembre 2000, T.W.V.R., 2001, liv. 2, p. 75. Cette dernière décision affirme explicitement que «le motif de la révocation de l’adoption est indépendant, d’un point de vue juridico-technique, de la notion de faute, ce qui n’empêche pas qu’un comportement fautif constituera le plus souvent le motif de fait de la révocation».

(18)N. Hustin-Denies, op. cit., p. 309.

(19)Voy. notamment les décisions analysées par N. Gallus : N. Gallus, «L’adoption»,

in J.-P. Masson, G. Hiernaux, N. Gallus, N. Massager, J.-C. Brouwers, S. Degrave, Droit des personnes et des familles. Chronique de jurisprudence 1999-2004, Les dossiers du Journal des tribunaux, Bruxelles, Larcier, 2006, n° 401.

(20)N. Verheyden-Jeanmart, op. cit., p. 214.

(21)Article 351 du Code civil. La révision de l’adoption ne peut, par ailleurs, être

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6. Les articles 347-1 et 347-2 du Code civil envisagent les possibilités de nouvelles adoptions. Il apparaît que le recours des demandeurs au contenu de ces dispositions ne leur permettait pas non plus de voir rétablir leur lien de filiation paternelle d’origine.

Jusqu’à récemment, les adoptions successives étaient strictement limitées au cas de décès des premiers adoptants par adoption simple ou plénière ou si la première adoption simple avait été révoquée(22). La nécessité d’autoriser une

seconde adoption en cas d’échec douloureux d’une première adoption a pourtant été soulignée à maintes reprises par plusieurs auteurs(23). Lors de la réforme de

1987, l’élargissement des possibilités de nouvelles adoptions avait été envisagé, mais n’avait pas abouti. La loi du 24 avril 2003 a comblé cette lacune(24).

7. L’article 347-1 du Code civil envisage les possibilités d’une nouvelle adop-tion, simple ou plénière, d’un enfant. Le projet de loi du 17 juillet 2001 réformant l’adoption précise qu’«il convient de noter que le terme «enfant» est ici employé à dessein, comme désignant une personne de moins de dix-huit ans»(25). En vertu de

cet article, une nouvelle adoption n’est permise que si toutes les conditions requises (22)I. Lammerant, A. Ottevaere et M. Verwilghen, «Le nouveau droit fédéral de

l’adoption», op. cit., p. 92.

(23)P. Senaeve, «Het E.V.R.M. en de adoptiewetgeving», note sous Bruxelles, 29 avril

1982, R.W., 1982-1983, pp. 1858-1861; I. Lammerant, «La réforme de l’adoption en droit interne», J.T., 1987, pp. 519-520, nos89-93; I. Lammerant, «Quelques problèmes actuels

soulevés par l’adoption plénière», op. cit., pp. 540 et s.; Y.-H. Leleu, op. cit., pp. 537-539.

(24)Sur la base des anciens articles 368, §3, alinéas 1er et 2 et 346, alinéas 1er, 2 et 3, du

Code civil, une nouvelle adoption, qu’elle soit simple ou plénière, n’était en effet possible, après une première adoption plénière, que dans deux hypothèses bien précises. Soit l’adop-tion d’un enfant mineur après le décès du ou des adoptants par adopl’adop-tion plénière. Soit l’adoption par le nouveau conjoint de l’adoptant survivant après décès de l’autre adoptant par adoption plénière. Une nouvelle adoption simple ou plénière était par contre légalement possible, sur la base des articles 346, alinéas 1er et 2 et 368, §3, après la révocation d’une

adoption simple. Eu égard à ces principes, une proposition de loi fut déposée en 1999 afin d’introduire la possibilité d’une nouvelle adoption plénière sans révocation préalable de la première adoption. Les auteurs avançaient en effet que «le principe de l’irrévocabilité de l’adoption plénière semble certes adéquat, car la révocation d’une adoption plénière qui a rompu tous les liens de l’adopté avec sa famille d’origine risquerait de créer une nouvelle catégorie d’enfants «sans famille». Par contre, la réalité sociale de l’échec de certaines adoptions plénières milite en faveur de la possibilité d’une nouvelle adoption, sous le contrôle du juge de la jeunesse, lorsque le passage harmonieux de l’enfant d’une famille à l’autre est assuré et confirmé par les faits» (proposition de loi du 20 septembre 1999 modifiant le Code civil en ce qui concerne l’adoption et complétant la loi du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation par un article 121, Doc. parl., Sénat, sess. extraord. 1999, n° 2-66/1, «Développements», p. 6). Les auteurs de cette proposition se référaient également à la réforme de l’adoption opérée en 1987 au cours de laquelle cette possibilité avait été expressément prévue, mais malheureusement abandonnée, l’amendement déposé en ce sens devant la Commission de la justice ayant été retiré (rapport fait au nom de la Commission de la justice du Sénat par Mme Delruelle-Ghobert, Doc. parl., Sénat, sess. ord.

1985-1986, n° 256/2, pp. 83-84). En insérant les articles 347-1 et 347-2 dans le Code civil, la loi du 24 avril 2003 a élargi les possibilités de nouvelles adoptions.

(25)Projet de loi réformant l’adoption, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2000-2001,

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pour l’établissement de la nouvelle adoption sont remplies et que, soit l’adoptant ou les adoptants antérieurs sont décédés, soit l’adoption antérieure a été révisée ou révoquée, ou enfin, des motifs très graves commandent, à la requête du ministère public, qu’une nouvelle adoption soit prononcée(26). Les demandeurs étant

ma-jeurs au moment de l’introduction de leur demande, ils ne pouvaient utilement recourir à l’article 347-1 du Code civil, article prévoyant les possibilités de nouvelle adoption d’un enfant(27).

8. L’article 347-2 du Code civil régit quant à lui les possibilités de nouvelle adoption pour une «personne» adoptée de manière simple ou plénière par deux adoptants. Celle-ci ne peut être adoptée une nouvelle fois de manière simple ou plénière que par le nouveau conjoint ou cohabitant de l’un des adoptants(28). Il

(26)Cette dernière hypothèse constitue la nouveauté ayant été introduite par la réforme

de 2003. Le ministère public est le seul à pouvoir agir afin d’invoquer des motifs graves commandant qu’une nouvelle adoption, simple ou plénière, d’un enfant soit prononcée. Ce dernier agit d’office ou à la demande de tout intéressé. Voy. projet de loi réformant l’adoption, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2000-2001, n° 1366/001, «Développements», p. 23. Le projet précise explicitement que les «motifs que l’on vise sont ceux qui pouvaient justifier la révocation de l’adoption simple (…) et qui ont été dégagés au fil des ans, de façon très restrictive par la jurisprudence. Il s’agit d’une manière générale, d’actes ou de comporte-ments fautifs d’une des parties, ou de circonstances éprouvantes telles que l’impossibilité psychologique de vivre en commun ou l’échec complet de la relation éducative (P. Senaeve, Compendium van het Personen- en Familierecht, vol. II, Acco, Leuven, 1996, p. 102)».

(27)Précisons que l’article 347-1 combiné à l’article 344-2 a pour conséquence qu’un

enfant adopté ne peut ensuite être adopté par sa mère ou par son père. L’article 344-2 stipule qu’«une personne dont la filiation maternelle est établie ne peut pas être adoptée par sa mère. Une personne dont la filiation paternelle est établie ne peut pas être adoptée par son père». Si les demandeurs avaient été mineurs au moment de l’introduction de leur demande, leurs pères biologiques respectifs n’auraient donc pas été fondés, sur la base de l’article 347-1, 3°, à adresser une demande de nouvelle adoption auprès du ministère public.

(28)L’article 347-2 vise les possibilités de nouvelles adoptions d’une «personne». Une

nouvelle adoption est ici permise quel que soit l’âge de l’adopté. Précisons néanmoins que si les conditions de l’article 347-2 du Code civil sont remplies, une personne majeure ne peut être adoptée une nouvelle fois que par le nouveau conjoint ou cohabitant de l’un de ses adoptants, et, a fortiori, que de manière simple, l’adoption plénière n’étant permise qu’à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans (article 355 C. civ.). Dès avant la réforme du droit de l’adoption, une question préjudicielle a été posée à la Cour constitution-nelle (anciennement Cour d’arbitrage), concernant la conformité des alinéas 2 et 3 de l’article 346 ancien du Code civil aux articles 10 et 11 de la Constitution : C.A., 22 janvier 2003, Rev. trim. dr. fam., p. 550. La question préjudicielle comportait deux parties. La Cour n’a cependant pas examiné la deuxième partie de la question, la réponse à celle-ci n’étant pas utile au règlement du litige pendant devant le juge a quo.

La Cour a par contre apporté une réponse à la première partie de la question formulée comme suit : «Les alinéas 2 et 3 de l’article 346 du Code civil ne violent-ils pas les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu’ils ont pour effets (…) qu’en cas de révocation de l’adoption en ce qui concerne l’adoptant ou les deux époux adoptants ou en cas de décès de l’adoptant ou des deux époux adoptants ayant fait l’adoption ou l’adoption plénière, une nouvelle adoption n’est permise que si l’adopté est mineur». Cette différence de traitement n’a pas été jugée comme étant inconstitutionnelle par la Cour. Voy. spécifique-ment le considérant B.6 de la Cour : «En excluant des articles 346 et 368, §3, du Code civil les adoptions successives, le législateur a voulu garantir la stabilité des liens de parenté et de

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faut par ailleurs que toutes les conditions requises pour une nouvelle adoption soient remplies et que, soit l’autre adoptant antérieur soit décédé, soit l’adoption simple antérieure ait été révoquée à l’égard de l’autre adoptant, soit, enfin, que des motifs très graves commandent qu’une nouvelle adoption soit prononcée à la requête du ministère public. Il faut constater, à nouveau, que cette disposition du droit interne belge ne pouvait offrir de solution aux demandeurs. Ces derniers n’avaient effectivement pas été adoptés par deux adoptants, comme cela est explicitement prévu par l’article 347-2 du Code civil. Cette disposition n’est par ailleurs pas applicable car il ne s’agissait pas en l’espèce d’une adoption par le nouveau conjoint ou cohabitant de la mère des demandeurs(29), (30).

9. À l’issue de l’analyse des dispositions du droit interne, nous ne pouvons que rejoindre le juge lorsqu’il affirme qu’il apparaît ainsi qu’en droit belge, «le rétablissement de la filiation d’origine après une adoption plénière est impossible». Aucune disposition du droit interne ne permettait aux demandeurs d’obtenir le rétablissement de leurs filiations paternelles d’origine, malgré l’accord de toutes les personnes concernées.

Il faut toutefois souligner que l’adoptant est a priori informé, et donc conscient, des effets attachés à l’adoption plénière, qui supprime tous les liens entre l’adopté et sa famille d’origine. Les pères biologiques ont par ailleurs consenti à cette adoption, et par conséquent, à la suppression définitive de leurs liens avec leurs fils respectifs. On peut à cet égard se demander pourquoi il n’avait pas été recouru à une adoption simple plutôt qu’à une adoption plénière dans le cas d’espèce. Celle-ci est en effet révocable lorsque des motifs très graves sont

avan-(29)Les demandeurs ont fait l’objet d’une adoption plénière par le troisième conjoint de

leur mère et souhaitent rétablir leur filiation paternelle d’origine.

(30)Si depuis la loi du 24 avril 2003, il est désormais permis au ministère public

d’invoquer des motifs graves afin qu’une nouvelle adoption soit prononcée, les travaux préparatoires de la loi du 24 avril 2003 ont précisé que «l’on pourrait objecter qu’il y a encore ici une discrimination entre les enfants biologiques et les enfants adoptifs dans la mesure où ces derniers ne pourraient être adoptés que lorsque des motifs très graves le justifient. Au contraire, cette prétendue discrimination s’appuie sur un objectif raisonnable qui est d’éviter les abus et les adoptions à l’essai» (projet de loi réformant l’adoption, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord., 2000-2001, n° 1366/001, «Développements», p. 23). Il faut constater que les possibilités de nouvelles adoptions ne sont pas à l’abri de la critique et qu’il faut sans doute s’attendre à ce que cette question fasse «encore» l’objet de différents recours que ce soit devant le juge interne ou devant la Cour constitutionnelle.

l’entourage familial de l’adopté. Il a entendu que l’adoption permette à l’enfant de “faire son entrée dans un milieu qui garantit la réalisation d’une filiation ressemblant à la filiation biologique” (Doc. parl., Sénat, 1985-1986, n° 256-2, p. 65) et a considéré qu’elle n’était pas destinée à permettre à des adultes de pénétrer successivement dans plusieurs familles (Doc. parl., Sénat, 1966-1967, n° 358, pp. 69-70)». N. Gallus précise que «la limitation des adoptions successives pour des majeurs est (…) conforme à la jurisprudence de la Cour d’arbitrage qui a retenu la volonté légitime du législateur de ne pas permettre à des adultes de pénétrer successivement dans plusieurs familles, et ce, afin d’interdire les spéculations successorales» : N. Gallus, «La nouvelle loi sur l’adoption», in J. Franeau, N. Massager, N. Gallus, D. Pire, J. Bours, I. Colienne, S. Pfeiff, P. Wautelet, Droit des familles, Liège, Anthemis, C.U.P., n° 92, 2007, p. 140.

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cés(31). Nous pensons que la décision annotée suscite une réflexion globale sur les

particularités de l’adoption endofamiliale en cas de recomposition familiale, paral-lèlement à la réflexion concernant les solutions concrètes devant être offertes en droit belge en cas d’échec d’une adoption endofamiliale plénière. Ces questions ont été prises en considération par la réforme du 24 avril 2003. Nous y reviendrons ci-après(32).

Comme nous l’avons souligné supra, l’irrévocabilité de l’adoption plénière a parfois été critiquée comme étant en opposition avec les dispositions de la Conven-tion européenne des droits de l’homme(33). C’est en partie sur ce raisonnement que

le juge se base, en l’espèce, afin de rétablir la filiation d’origine des demandeurs(34).

II. L’échec d’une adoption endofamiliale plénière au regard de l’article 8 de la Convention européenne

des droits de l’homme

10. Le terrain du droit positif belge n’étant pas praticable, le tribunal de première instance de Liège s’est engagé, comme le lui avaient demandé les parties, sur la voie de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, siège du droit au respect de la vie privée et familiale.

Après avoir constaté que le droit belge n’offrait pas de possibilité de faire droit à la demande, le tribunal de première instance considère en effet que «cependant, le juge belge est tenu d’appliquer la Convention européenne des droits de l’homme et de se conformer aux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme». Affirmant que l’article 8 de la Convention «ne permet pas que des individus soient privés de leur identité et de leurs liens familiaux d’origine», il décide, «de manière à assurer le respect des engagements internationaux de la Belgique» au regard de cette disposition, de «supprimer les effets de l’adoption plénière des demandeurs par le défendeur et de rétablir les liens de filiation d’origine (…)».

La juridiction liégeoise contourne donc l’impossibilité de satisfaire la préten-tion légitime des demandeurs sur pied du droit interne en déduisant de l’article 8 de la Convention européenne le droit des demandeurs à voir rétablie leur filiation paternelle d’origine. Le jugement soulève ainsi la question délicate de l’applicabi-lité directe des dispositions internationales; question indissociable, on le verra, d’une réflexion autour de la séparation des pouvoirs.

(31)Cfr supra, n° 4. (32)Cfr infra, III. (33)Cfr supra, note 10.

(34)Précisons, comme cela a été développé supra, que les critiques du principe de

l’irrévocabilité de l’adoption plénière au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme datent d’avant la réforme de 2003 et que le législateur a décidé, lors de celle-ci, de maintenir ce principe.

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Le regard que l’on peut porter sur cette décision diffère selon que l’on se place dans la perspective de la doctrine classique de l’applicabilité directe (A) ou que l’on adopte le point de vue d’une thèse moderne de l’applicabilité directe (B). Notre analyse envisagera successivement ces deux angles d’approche.

11. Il convient au préalable de rappeler qu’au nom du principe — posé par la Cour de cassation dans son célèbre arrêt Le Ski du 27 mai 1971(35) — de la

suprématie des dispositions internationales ayant un effet direct sur les règles de droit interne, le juge belge doit refuser d’appliquer les dispositions internes incom-patibles avec les normes internationales qui sont directement applicables. Selon la définition la plus communément admise(36), est directement applicable «la norme

conventionnelle qui peut être appliquée par une juridiction sans qu’il soit néces-saire d’adopter au préalable des mesures d’exécution»(37). Autrement dit, la règle

internationale a effet direct si elle peut être mobilisée par le juge pour trancher le litige dont il est saisi.

Aux termes d’un critère objectif(38), utilisé par ce que nous nous sommes

permises d’appeler la doctrine classique, possède ce caractère la disposition qui est suffisamment précise et complète. Il s’agit donc pour le juge d’examiner le contenu de la règle : la précision et la complétude du texte impliquent son applicabilité directe.

A. Analyse de la décision du point de vue de la doctrine classique de l’applicabilité directe

12. Selon la doctrine traditionnelle, la précision et la complétude de la règle — et, partant, son applicabilité directe — sont fonction de la nature, positive ou négative, de l’obligation mise à charge de l’État par la disposition concernée. Il y aurait ainsi «deux niveaux d’applicabilité dans l’ordre interne»(39) de l’article 8 de

la Convention européenne des droits de l’homme(40).

(35)Cass., 27 mai 1971, Pas., 1971, I, p. 886.

(36)Sur les difficultés de définition du concept d’applicabilité directe, voy. C.

Sciotti-Lam, L’applicabilité des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme en droit interne, Bruxelles, Bruylant, 2004, sp. nos565-566.

(37)Ibidem, n° 748.

(38)Le critère objectif, que la doctrine dominante continue de cumuler avec un critère

subjectif, fondant l’applicabilité directe sur l’intention des États parties au traité (J. Pieret, «L’influence du juge belge sur l’effectivité de la Convention : retour doctrinal et jurispruden-tiel sur le concept d’effet direct», in Entre ombres et lumières. Cinquante ans d’application de la Convention européenne des droits de l’homme en Belgique, Actes du colloque des 20 et 21 octobre 2005 organisé par le Centre de droit public de l’ULB, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 91), semble devoir être privilégié par rapport à ce dernier, qui a révélé ses limites, tant en théorie qu’à l’épreuve de la pratique judiciaire. Voy. C. Sciotti-Lam, op. cit., pp. 357-437 et J. Pieret, op. cit., pp. 87-89.

(39)Fr. Rigaux, «Le partage d’attribution entre le législateur et le juge», note sous

Cass., 6 mars 1986, R.C.J.B., 1987, p. 22.

(40)Ces deux catégories d’effets, qui se fondent sur une distinction — entre obligations

positives et négatives — pratiquée par la Cour européenne des droits de l’homme, ont été posées par la Cour de cassation belge dans ses arrêts des 10 mai 1985 et 6 mars 1986

(12)

Cette disposition impose au premier chef aux États un devoir d’abstention : elle interdit aux autorités de s’immiscer dans la jouissance des droits garantis. L’effet direct de ce type de règle se laisse aisément percevoir. Elle constitue bien une règle suffisamment précise et complète pouvant être appliquée directement par le juge devant lequel elle est invoquée.

À cet engagement plutôt négatif, la Cour européenne des droits de l’homme, par l’interprétation dynamique qu’elle donne au texte conventionnel, ajoute des obligations positives, de nature à assurer l’effectivité du droit au respect de la vie privée et familiale(41). L’État, pour garantir la pleine réalisation des droits

consa-crés par la Convention, ne doit en effet pas se contenter de ne pas s’ingérer dans les droits, mais doit permettre aux individus, à travers l’adoption de mesures adé-quates, de mener une vie familiale normale. En ce qu’elles exigent de l’État une «obligation de faire», laissant aux autorités le libre choix des moyens pour réaliser l’objectif prescrit, ce second type de règles dégagées de l’article 8 peut difficilement se voir reconnaître la précision et la complétude qui commanderaient leur applica-tion directe. Elles ne peuvent dès lors recevoir applicaapplica-tion devant le juge : c’est au législateur que revient la tâche d’exécuter les obligations positives, en adaptant le droit pour le mettre en conformité avec les obligations assumées par l’État au regard des dispositions de la Convention, telles qu’elles sont interprétées par la Cour de Strasbourg.

13. Si on analyse la décision commentée à la lumière de cette théorie classique, la réponse à la question de savoir si le juge pouvait, comme il l’a fait, mobiliser la règle internationale pour faire droit à la demande et ainsi écarter le droit belge — autrement dit, la question de l’applicabilité directe de l’article 8 en l’espèce — dépendra de l’examen du contenu de la disposition conventionnelle.

Le juge avait-il à sa disposition une règle suffisamment précise et complète, permettant à l’individu d’obtenir la suppression des effets du lien adoptif devenu factice et la restauration de son lien de filiation d’origine? Ou bien la norme internationale contenait-elle des obligations positives, imposant dès lors des adap-tations législatives?

Les interprétations données par la Cour européenne des droits de l’homme s’incorporant à la disposition de la Convention(42), la démarche sera de rechercher,

(41)Voy. F. Sudre, «Les “obligations positives” dans la jurisprudence européenne des

droits de l’homme», Rev. trim. D.H., 1995, p. 363, et les références y citées.

(42)Fr. Rigaux, «Le partage d’attribution entre le législateur et le juge», op. cit., p. 22.

(R.C.J.B., 1987, p. 5, note Fr. Rigaux), dans lesquels notre Cour suprême se prononce sur la question de l’applicabilité directe de l’article 8 de la Convention suite à la condamnation de la Belgique par la Cour de Strasbourg dans l’arrêt Marckx. Voy., parmi les auteurs qui adoptent la théorie développée par ces arrêts, Fr. Rigaux, «Le partage d’attribution entre le législateur et le juge», op. cit., p. 23; J. Velu et R. Ergec, La Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1990, pp. 531-532 et pp. 1083-1084; Fr. Rigaux, «Le droit successoral des enfants naturels devant le juge international et le juge constitutionnel», Rev. trim. D.H., 1992, sp. p. 220; Y.-H. Leleu, «Les actions en recherche de paternité tardives», note sous Cass., 19 septembre 1997, R.G.D.C., 1999, p. 57.

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à travers la jurisprudence strasbourgeoise, si l’article 8 avait bien la portée qui lui a été conférée par le jugement annoté(43).

14. Après avoir rappelé quelques principes dégagés par la Cour européenne — dont, de façon tout à fait paradoxale, l’existence «d’obligations positives», qui peuvent impliquer «l’adoption de mesures jusque dans les relations des individus entre eux» —, la juridiction liégeoise, de manière relativement laconique, estime que le respect de la vie privée et familiale «ne permet pas que des individus soient privés de leur identité et de leurs liens familiaux d’origine».

Pour poser cette affirmation, le juge s’appuie notamment(44) sur l’arrêt

Mikulic contre la Croatie(45), rendu le 7 février 2002. Dans cette affaire, la Cour

européenne avait condamné la Croatie pour avoir porté atteinte au droit à la vie privée de la requérante en la maintenant dans un état d’incertitude prolongée quant à son identité personnelle à cause de la longueur de la procédure de recherche de paternité. En n’offrant aucune possibilité de contraindre le défendeur à se soumettre à des tests ADN ordonnés judiciairement, et en ne fournissant aucune solution alternative afin de faire droit à la demande, le système croate avait en effet manqué de ménager un juste équilibre entre l’intérêt de la requérante à voir dissiper son incertitude identitaire et l’intérêt du père présumé à ne pas subir l’examen médical. A ainsi été consacré le droit d’accès aux origines paternelles et, par extension, le droit pour un enfant de voir établir juridiquement une filiation conforme à la réalité biologique(46).

(43)Précisons que l’autorité de chose interprétée qui s’attache à la jurisprudence de la

Cour européenne est reconnue quel que soit l’État mis en cause à Strasbourg. Les juridictions belges, tout comme d’ailleurs les autres autorités étatiques, et notamment le législateur, tiendront donc compte de l’ensemble des arrêts de la Cour, et non exclusivement de ceux constatant un manquement de la Belgique. Voy. sur ce point J. Velu et R. Ergec, op. cit., n° 1241.

(44)Le tribunal fonde également sa décision sur des arrêts rendus par la Cour

euro-péenne relativement au nom patronymique. La demande tendait en effet également à ce que soient restitués les noms d’origine, ensuite du rétablissement du lien de filiation. Il ressort de la jurisprudence européenne que le nom, «en tant que moyen d’identification personnelle et de rattachement à une famille», relève de la vie privée et familiale, et se voit à ce titre protégé en tant que composante du «droit à l’identité» (Cour eur. D.H., Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, Rev. trim. D.H., 1995, p. 53, note P. Georgin; Cour eur. D.H., Stjerna c. Finlande, 25 novembre 1994, disponible en ligne dans la base de données HUDOC (www.echr.coe.int); Cour eur. D.H., Guillot c. France, 24 octobre 1996, Rev. trim. dr. fam., 1997, p. 163; Cour eur. D.H., Unal Tekeli c. Turquie, 16 novembre 2004, Journ. dr. jeun., 2005, liv. 243, p. 41. Voy. F. Granet-Lambrechts, «Le droit à l’identité», in Le droit au respect de la vie privée au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., pp. 193 et s.).

(45)Cour eur. D.H., Mikulic c. Croatie, 7 février 2002, Rev. trim. dr. civ., 2002, p. 866. (46)Voy. J.-L. Renchon, F. Reusens et G. Willems, «Le droit au respect de la vie privée

dans les relations familiales», in Les droits de la personnalité, Xe colloque de l’Association

Famille et Droit, Faculté de Droit de l’UCL, 30 novembre 2007 (à paraître); S. van Drooghenbroeck, La Convention européenne des droits de l’homme. Trois années de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 2002-2004, vol. 2, Les dossiers du Journal des tribunaux, Bruxelles, Larcier, 2006, p. 37.

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Ce principe dégagé de l’article 8 de la Convention ne constitue pas pour autant, dans la perspective qui est celle de la doctrine classique, une règle suffisam-ment précise et complète pour être appliquée directesuffisam-ment au cas d’espèce et permettre le rétablissement de la filiation paternelle d’origine des demandeurs. Encore faut-il que la nature de l’obligation autorise l’application directe. Or, l’arrêt Mikulic précise qu’il condamne l’État croate pour n’avoir pas organisé de procé-dure permettant de statuer sur la demande de la requérante, manquant de la sorte à ses obligations positives. La règle ainsi déduite de l’article 8 ne pouvait dès lors pas être invoquée devant le juge comme source d’un droit subjectif au rétablissement de la filiation d’origine : imposant des obligations positives, elle manque de la préci-sion et de la complétude qui justifieraient son applicabilité directe.

15. D’autres arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme nous semblent s’inscrire (plus) opportunément dans la ligne des faits particuliers de l’espèce ayant donné lieu au jugement commenté. Il s’agit de la jurisprudence relative à la remise en cause d’une présomption légale de paternité, initiée par l’arrêt Kroon contre les Pays-Bas(47). Les faits à l’origine de cette affaire sont

simples : la mère et le père biologique d’un enfant souhaitent contester la paternité du mari de la mère et établir la paternité du père biologique, mais se heurtent au refus des autorités néerlandaises : la mère étant toujours mariée au moment de la naissance de l’enfant, seul le père légal pouvait, selon la législation en vigueur à l’époque, agir en désaveu de paternité.

Dans une formulation de principe — qu’elle reprendra par la suite dans plusieurs autres arrêts(48) —, la Cour affirme, pour conclure à la violation par

l’État de l’article 8, que «le ‘‘respect’’ de la ‘‘vie familiale’’ exige que la réalité biologique et sociale prévale sur une présomption légale heurtant de front tant les faits établis que les vœux des personnes concernées, sans réellement profiter à personne».(49) Le juge européen marque par là sa volonté de ne pas figer

artificiel-lement une filiation juridique qui contredit le sang et les sentiments sans que cela ne bénéficie à personne. La faveur est ainsi donnée au lien biologique et socio-affectif par rapport au lien légal fictif.

Bien que la présomption de paternité et l’adoption plénière soient deux institutions radicalement différentes, fondées sur des principes opposés(50), il nous

(47)Cour eur. D.H., Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, Rev. trim. D.H., 1996,

p. 183, note P. Georgin, Rev. trim. dr. fam., 1995, p. 213.

(48)Cour eur. D.H., Znamenskaya c. Russie, 2 juin 2005, Rev. trim. dr. fam., 2008,

p. 867, note M. Demaret (§31) (concernant l’impossibilité pour une mère de contester la paternité légale de son ex-mari et de faire établir la paternité du père biologique de son enfant mort-né); Cour eur. D.H., Mizzi c. Malte, 12 janvier 2006, disponible en ligne dans la base de données HUDOC (www.echr.coe.int) (§113) (concernant l’impossibilité pour un père légal ayant acquis la preuve qu’il n’était pas le père biologique de contester sa paternité); Cour eur. D.H., Paulik c. Slovaquie, 10 octobre 2006, disponible en ligne dans la base de données HUDOC (www.echr.coe.int) (§46) (concernant la contestation d’une paternité établie judi-ciairement suite à de nouvelles preuves que le requérant n’était pas le père biologique).

(49)Cour eur. D.H., Kroon et autres c. Pays-Bas, §40.

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semble permis de transposer ce raisonnement à la demande de rétablissement de la filiation d’origine face à un lien adoptif devenu factice dont personne n’a d’intérêt à ce qu’il soit maintenu, des liens profonds s’étant par ailleurs renoués à l’égard des pères biologiques : «la réalité sociale jointe à la véracité biologique doit être tenue pour supérieure au titre légal nu»(51). Une telle jurisprudence permet selon nous de

remettre en cause l’adoption plénière lorsqu’elle a perdu sa signification au point de n’être plus qu’un lien formel reliant artificiellement deux êtres qui ne partagent plus l’affection qui les liait.

Reste à savoir si cette règle dégagée de l’article 8 peut recevoir un effet direct, autrement dit, si la Cour s’est placée sur le terrain de la non-ingérence ou des obligations positives. Et il apparaît clairement, à la lecture de ces arrêts(52), que la

Cour de Strasbourg condamne les États défendeurs pour avoir manqué à leurs obligations positives d’offrir aux requérants un moyen de contester la paternité légale contredite par la réalité biologique.

De cette jurisprudence, l’on ne peut donc déduire — si encore on veut bien admettre le parallèle que nous proposons entre les affaires évoquées ici et l’espèce commentée — le droit subjectif, invocable devant le juge, de voir disparaître le lien adoptif devenu factice et rétablir le lien de filiation d’origine. On peut par contre y voir une invitation pour l’État belge à tenir compte de cette jurisprudence et à adapter sa législation de manière à instaurer une action rendant possible le rétablissement de la filiation d’origine, lorsque celle-ci est redevenue le seul lien socio-affectif de l’enfant avec un père, le lien adoptif n’étant plus qu’une coquille vide.

16. À suivre la doctrine classique, la nature des obligations que dégage de l’article 8 la jurisprudence européenne pertinente en la matière ne permet donc pas de considérer cette disposition comme pouvant s’appliquer directement au cas d’espèce. Positives, elles manquent de la complétude et de la précision qu’exige l’applicabilité directe. Aussi leur exécution relève-t-elle du législateur et non du juge.

Si on analyse la décision commentée sous cet angle, force est donc de constater que le tribunal de première instance de Liège a méconnu — et du reste n’a aucunement cherché à mettre en œuvre — les règles présidant à l’examen de la question de l’application directe de l’article 8. Cette disposition imposant des obligations positives, il ne pouvait valablement en déduire le droit subjectif des demandeurs à voir leur filiation d’origine rétablie.

17. On l’aperçoit, la question de l’applicabilité directe est intimement liée à celle de la répartition des compétences entre juge et législateur. Dans la doctrine traditionnelle, la référence à la séparation des pouvoirs découle de la distinction (51)P. Murat, «Filiation et vie familiale», in Le droit au respect de la vie familiale au

sens de la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 181, à propos de l’arrêt Kroon.

(52)Voy. aussi, pour ce qui concerne l’arrêt Kroon, F. Sudre, «Les “obligations

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entre les deux types d’obligations. Alors que les normes contenant des obligations négatives peuvent recevoir application devant le juge, les règles imposant des obligations positives sont du ressort du législateur.

Cette théorie binaire est remise en cause par une lecture renouvelée(53) de

l’applicabilité directe, qui estime que le critère de précision et de complétude de la règle, combiné à la distinction entre obligations, n’est pas adéquat, et propose précisément de se placer directement dans un questionnement relatif à la sépara-tion des pouvoirs pour apprécier l’applicabilité directe d’une norme internatio-nale.

B. Analyse de la décision à la lumière d’une théorie renouvelée de l’applicabilité directe

18. Le jugement commenté reçoit un éclairage différent si on l’observe à la lumière notamment(54) des travaux du professeur Olivier De Schutter(55). La thèse

développée par l’auteur, empreinte du souci de donner leur plein effet aux droits fondamentaux, conduit à penser et à formuler en d’autres termes la question de l’applicabilité directe. Celle-ci dépendrait non pas du contenu de la règle internatio-nale, mais bien du contexte normatif qu’offre l’ordre juridique dans lequel son application est réclamée(56). Toute règle internationale prétendrait dès lors à

l’applicabilité directe, quels que soient son libellé et la nature des obligations qu’elle impose(57). C’est l’aptitude du système juridique national à la recevoir, dans

l’état actuel de son droit positif, sans modification des textes existants, qui déterminerait son applicabilité directe.

19. C’est ce que traduit bien la notion d’«effet perturbateur»(58) de la norme

internationale sur l’ordre juridique interne. L’applicabilité directe de la règle internationale sera appréciée au regard du plus ou moins grand degré de perturba-tion que l’exécuperturba-tion immédiate de l’obligaperturba-tion qu’elle contient entraînerait sur le droit. S’il devait s’avérer important, la disposition conventionnelle ne pourrait pas

(53)Le terme est emprunté à J. Pieret, op. cit., p. 121.

(54)D’autres auteurs proposent une théorie renouvelée de l’applicabilité directe (voy.

not. E. Claes et A. Vandaele, «L’effet direct des traités internationaux. Une analyse en droit positif et en théorie du droit axée sur les droits de l’homme», Rev. b. dr. int., 2001, pp. 447 et s.; J. Pieret, op. cit.; C. Sciotti-Lam, op. cit.). Dans le cadre limité de cette note, nous avons pris le parti de nous fonder essentiellement sur les réflexions proposées par O. De Schutter, particulièrement éclairantes pour notre propos.

(55)Voy. not. O. De Schutter, «La coopération entre la Cour européenne des droits de

l’homme et le juge national», Rev. b. dr. int., 1997/1, pp. 21 et s., et O. De Schutter, Fonction de juger et droits fondamentaux. Transformation du contrôle juridictionnel dans les ordres juridiques américain et européens, Bruxelles, Bruylant, 1999.

(56)«L’applicabilité directe n’est pas une caractéristique de la règle, mais du rapport que

cette règle entretient avec les autres normes juridiques en vigueur dans l’ordre juridique où elle est reçue» (O. De Schutter, Fonction de juger…, op. cit., pp. 123-124).

(57)O. De Schutter, Fonction de juger…, op. cit., pp. 152-153.

(58)O. De Schutter et S. van Drooghenbroeck, Droit international des droits de

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être appliquée directement : l’exécution de l’obligation internationale relève alors de la tâche du législateur. Si par contre cet effet perturbateur devait être perçu comme minime, l’effet direct de la règle pourrait être reconnu et le juge admis à l’appliquer au litige dont il est saisi.

Selon la doctrine moderne, ce ne sont donc pas les qualités propres de la règle internationale — sa précision et sa complétude, appréciées au regard de l’obliga-tion qu’elle impose — qui en déterminent l’applicabilité directe, mais bien le rapport qu’entretient cette norme internationale avec le système juridique dans lequel elle s’insère(59). L’applicabilité directe d’une règle contenant des obligations

positives ne peut dès lors être rejetée a priori(60).

20. Il appartient au juge à qui l’application de la disposition conventionnelle est réclamée d’évaluer cet effet perturbateur, et ainsi de déterminer s’il peut appliquer la règle directement ou si, en le faisant, il empièterait sur les pouvoirs du législateur. On aperçoit ici ce qui apparaît, du point de vue de la doctrine moderne, comme le véritable enjeu de l’applicabilité directe : le rapport du juge au législateur dans le système de séparation des pouvoirs organisé en droit interne(61).

Le professeur De Schutter propose en effet une nouvelle façon de poser la question de l’applicabilité directe, qui est de l’envisager comme la solution d’un conflit entre deux normes : la règle internationale qui réclame d’être appliquée, d’une part, et les règles qui, dans l’ordre juridique interne, répartissent les compé-tences entre les autorités étatiques, d’autre part(62). L’applicabilité directe émerge

de la mise en balance de ces deux règles en conflit.

Toute la difficulté pour le juge réside dans la position double qui est la sienne : il est à la fois organe de l’État — et à ce titre doit contribuer au respect par l’État de ses engagements internationaux — et pouvoir au sein de cet État, qui doit se limiter à exercer les pouvoirs qui lui ont été attribués(63). La question de

l’applica-bilité directe d’une disposition internationale place ainsi le juge devant un dilemme(64): «Le juge doit-il ne pas faire application de la règle internationale, si

de le faire le conduirait à excéder les pouvoirs que lui reconnaît l’ordre juridique auquel il appartient? Doit-il au contraire écarter ces restrictions qui lui sont imposées, en vertu de l’effet utile que prétend produire la règle internationale et

(59)On dira que l’applicabilité directe d’une règle internationale, de même que la nature

des obligations qui s’imposent à l’État, est relative : elle varie selon le système juridique qui la reçoit. Voy. O. De Schutter, Fonction de juger…, op. cit., pp. 132 et 143.

(60)«L’applicabilité directe n’est nullement à exclure pour le seul motif que cette règle

imposerait des obligations positives dans le chef des autorités publiques, obligations positives dont il ne reviendrait pas au juge d’imposer le respect.»; «Qu’une règle internationale impose des obligations positives dans le chef de l’État, cela ne saurait en aucun cas constituer un motif, pour le juge interne d’en écarter l’applicabilité directe» (O. De Schutter, Fonction de juger…, op. cit., p. 151).

(61)Ibidem, not. p. 161.

(62)Ibidem, not. pp. 26, 37, 119, 128 et 163.

(63)Voy. not. O. De Schutter et S. van Drooghenbroeck, op. cit., p. 16. (64)O. De Schutter, «La coopération…», op. cit., pp. 21-22.

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afin de rencontrer le risque que par une attitude contraire, il engage la responsabi-lité internationale de l’État?»(65).

À suivre la thèse d’Olivier De Schutter, l’effectivité commande de choisir la seconde branche(66). Le juge, afin de conférer un effet utile aux droits

fondamen-taux, peut donc être amené à excéder ses pouvoirs(67). Mais cette extension de

compétences au nom de la garantie à offrir aux droits subjectifs n’est pas sans limites(68). L’auteur propose de recourir à l’épreuve de la proportionnalité,

permet-tant de désigner la «mesure de l’effectivité»(69): «pour autant que, d’une part,

l’excès de pouvoirs qu’il commet, au regard des règles de droit interne relatives à la séparation des pouvoirs, n’excède pas ce qui est strictement nécessaire à assurer le respect par l’État belge de ses obligations internationales; et que, d’autre part, l’excès commis se trouve dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec l’objectif visé — le juge interne doit pouvoir, afin de faire produire à la règle internationale l’effet utile auquel elle prétend, mettre de côté les règles de droit interne qui limitent sa compétence»(70).

Un équilibre est donc à trouver, qui invite le juge à aller aussi loin qu’il peut aller pour contribuer au respect par son État de ses obligations internationales, tout en restant dans les limites de ce qui est acceptable du point de vue de l’organisation des pouvoirs.

21. Quel regard peut-on porter sur le jugement du tribunal de première instance de Liège du 10 octobre 2008 à la lumière de cette théorie renouvelée de l’applicabilité directe?

En accordant aux demandeurs le rétablissement de leur filiation d’origine sur la seule base de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, alors que le droit belge ne leur offrait aucune solution, la décision annotée s’est assurément inscrite dans une perspective privilégiant l’effectivité des droits(71),

plutôt que le strict respect des règles relatives à la séparation des pouvoirs. Elle constitue ainsi une application inventive de la disposition convention-nelle. Était-elle pour autant proportionnée?

Force est de constater qu’en décidant comme elle l’a fait, la juridiction liégeoise a «créé», sur la base du droit international, une action qui n’existait pas en droit belge, et que le législateur n’avait pas envisagée lors de la réforme de l’adoption de 2003. Ce faisant, s’est-elle substituée au législateur, outrepassant

(65)O. De Schutter, Fonction de juger…, op. cit., p. 128. (66)Ibidem, pp. 37, 128, 164.

(67)Ibidem, p. 164.

(68)Ibidem. Voy. également O. De Schutter et S. van Drooghenbroeck, op. cit.,

p. 475.

(69)Ibidem, p. 1104.

(70)O. De Schutter, «La coopération…», op. cit., p. 51. Adde : O. De Schutter,

Fonction de juger…, op. cit., p. 1104.

(71)C’est d’ailleurs ainsi que l’on comprend le motif selon lequel elle supprime les effets

de l’adoption plénière et rétablit les liens de filiation d’origine «de manière à assurer le respect des engagements internationaux de la Belgique au regard de l’article 8».

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ainsi exagérément ses pouvoirs? Ou bien a-t-elle comblé, dans une situation tout à fait particulière(72) qui n’est pas appelée à se reproduire très souvent, une lacune de

notre droit au regard de la jurisprudence strasbourgeoise, et notamment du principe dégagé par l’arrêt Kroon?

En cette matière délicate, où il est question d’équilibre et de proportionnalité, «le geste qui apparaîtra aux uns constitutif d’un excès de compétences sera interprété par les autres comme l’exercice inventif des compétences qu’implique la mission qu’a reçue le juge, celle de garantir les droits fondamentaux»(73).

22. L’on ne peut manquer d’apercevoir que ce qui est en cause dans la question de l’applicabilité directe — et le jugement annoté en constitue une illustration exemplaire — est la définition même de la fonction de juger. Exercer ses compétences, pour le juge, «est-ce ne point exercer de pouvoirs, au-delà de ceux qui lui sont déjà formellement reconnus? Ou bien est-ce garantir l’entier respect des droits, dont la garantie est invoquée devant lui?»(74).

L’invocation des droits de l’homme devant le juge national a dans cette perspective conduit à une évolution des règles de la séparation des pouvoirs : les juges sont de plus en plus actifs dans la production normative du droit(75).

Dans un tel contexte, la Convention constitue souvent une «carte à jouer»(76)

devant les juridictions internes. Le coup aura ici été gagnant…! III. Conclusions : à l’avenir…?

23. Le jugement annoté, dans une certaine mesure, peut donner l’impression qu’aujourd’hui, la parenté est une «parenté à la carte». La décision d’adopter un enfant constitue un engagement à devenir le père ou la mère de cet enfant. Devenir (72)Le tribunal de première instance appuie sa décision sur les circonstances

particu-lières de l’espèce :

«il en va particulièrement ainsi en l’espèce alors que les personnes dont la filiation a été affectée par la procédure :

- n’ont pu intervenir à aucun stade de celle-ci;

- n’ont aucune possibilité d’en remettre en cause ultérieurement les conséquences; - n’ont maintenu aucun lien familial avec l’adoptant alors qu’elles en ont maintenu avec leurs pères biologiques.»

Il n’est pas interdit de considérer que l’applicabilité directe d’une règle internationale puisse dépendre «d’éléments aussi fluctuants et incertains que les circonstances de l’espèce» : «Le juge ne peut faire abstraction des éléments propres à l’affaire qu’il tranche tels que le statut des parties au procès, le résultat recherché par l’une ou l’autre des parties et l’étendue de la compétence du juge par rapport à leurs attentes», éléments qui «peuvent être déterminants pour l’applicabilité d’un traité relatif aux droits de l’homme» (C. Sciotti-Lam, op. cit., p. 443).

(73)O. De Schutter, Fonction de juger…, op. cit., p. 1106. (74)Ibidem, p. 1105.

(75)J. Allard, «Les effets de la Convention européenne des droits de l’homme sur le

raisonnement du juge interne», in Entre ombres et lumières. Cinquante ans d’application de la Convention européenne des droits de l’homme en Belgique, Actes du colloque des 20 et 21 octobre 2005 organisé par le Centre de droit public de l’ULB, op. cit., p. 155.

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le père ou la mère d’un enfant, c’est un engagement pour l’avenir, ad vitam aeternam. Or, du seul consentement des personnes en présence, le jugement donne le sentiment (effrayant) que l’on devient le père ou la mère d’un enfant, quand on le veut et pour le temps que l’on veut(77). Et inversement, on déciderait d’être ou de

rester l’enfant de tel père et de telle mère… quand on le veut et pour le temps que l’on veut. À cet égard, l’irrévocabilité de l’adoption plénière a encore, selon nous, tout son sens.

24. Bien plus qu’elle ne permet de pointer les «lacunes» du droit belge ou le principe de l’irrévocabilité de l’adoption plénière, la décision commentée met surtout en lumière la question de l’opportunité du recours à l’adoption plénière par le nouveau partenaire de l’un des parents. Les solutions alternatives envisagées en droit belge, afin de reconnaître un beau-parent dans une famille recomposée, ont leur pertinence(78). Le beau-parent peut, par ailleurs, recourir à une adoption

simple, plus respectueuse, dans certains cas, de la famille d’origine de l’enfant(79).

À ce propos, nous pouvons souligner les apports fondamentaux de la réforme opérée par la loi du 24 avril 2003, en ce qu’elle a, d’une part, renforcé les possibilités de prévenir les échecs de l’adoption par l’intermédiaire de la prépara-tion à l’adopprépara-tion, et d’autre part, attiré l’attenprépara-tion sur le choix qui doit être posé entre l’adoption simple et l’adoption plénière. La préparation à l’adoption devrait en effet permettre au beau-parent recourant à l’adoption de poser son choix «en connaissance de cause», étant bien averti des conséquences juridiques de celle-ci(80). Plusieurs dispositions du Code civil et du Code judiciaire imposent par

ailleurs de motiver désormais le choix qui est effectué entre l’adoption simple et l’adoption plénière(81). La réforme a entendu «contribuer à une certaine

revalori-sation de l’adoption simple, en obligeant les parties et le tribunal à motiver le choix qu’ils font entre l’adoption simple et l’adoption plénière d’un enfant. Contraire-(77)La décision invoque la circonstance qu’au moment de l’adoption plénière des

demandeurs, ces derniers n’ont pu donner leur consentement à celle-ci. Avant la loi du 24 avril 2003, le consentement de l’enfant à l’adoption n’était pris en compte qu’à partir de l’âge de quinze ans. L’article 348-1 du Code civil stipule désormais que «toute personne âgée de douze ans lors du prononcé du jugement d’adoption doit consentir ou avoir consenti à son adoption».

(78)Pour une étude approfondie de cette question, voy. M. Beague, «Quel est l’état

actuel et quelles sont les perspectives d’avenir de la reconnaissance juridique du beau-parent dans les familles recomposées?», J.D.J., 2007, n° 268, pp. 3-21.

(79)I. Lammerant, «L’adoption par le beau-parent au travers des législations

euro-péennes comparées. Examen d’un mode (inattendu?) de recomposition familiale», in R. Steichen et P. De Neuter, Les familles recomposées et leurs enfants, Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 221 et s., spéc. pp. 226-227; J. Sosson, «Les familles recomposées et le droit : ruptures et défis», in R. Steichen et P. De Neuter, op. cit., pp. 55-72.

(80)Cet argument a été longuement développé par I. Lammerant. L’auteur a en effet

avancé, bien avant la réforme de 2003, l’utilité d’une préparation à l’adoption, en vue notamment de prévenir les échecs d’adoption : I. Lammerant, L’adoption et les droits de l’homme en droit comparé, op. cit., pp. 624 et s.

(81)Voy. les articles 348-8 du Code civil et 1231-3, 1231-13 et 1231-14 du Code judiciaire,

et I. Lammerant, A. Ottevaere et M. Verwilghen, «Le nouveau droit fédéral de l’adoption», op. cit., p. 97.

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