• Aucun résultat trouvé

Quelques remarques sur l emploi des probabilités dans le domaine des risques naturels

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Quelques remarques sur l emploi des probabilités dans le domaine des risques naturels"

Copied!
15
0
0

Texte intégral

(1)

3

Quelques remarques sur l’emploi des probabilités dans

le domaine des risques naturels

Cas des mouvements de terrain

Jean-Louis DURVILLE

Centre d’études techniques de l’Équipement de Lyon

Il n’y a pas de probabilités en soi, il n’y a que des modèles probabilistes.

G. MATHERON RÉSUMÉ

Les applications possibles des méthodes probabilistes à l’étude des mouvements de terrain sont examinées. Les dates d’occurrence de glissements de terrain peuvent être assimilées à un processus de renouvellement et, pour une région homogène donnée, à un processus de Poisson.

L’estimation des paramètres des lois de probabilité se heurte au manque de données historiques, et l’extrapolation aux événements de grande ampleur est très délicate. Pour les chutes de blocs, il faut ajouter la difficulté d’évaluer la probabilité qu’un bloc atteigne un ouvrage donné.

La gestion probabiliste du risque, prenant en compte aléa et enjeux, est performante dans les rares cas où l’on dispose de données suffisantes pour construire des lois de probabilité pertinentes. Dans la majorité des cas cependant, il est illusoire de vouloir fournir des probabilités d’occurrence de mouvements de terrain ; en tout état de cause, il faut évaluer le poids des incertitudes du modèle sur les résultats obtenus.

DOMAINE:Géotechnique et risques naturels.

REMARKS ON THE USE OF PROBABILITY TECHNIQUES IN THE FIELD OF NATURAL HAZARDS: THE CASE OF LANDSLIDES

Possible applications of probabilistic methods to the study of landslides are examined herein. The dates of landslide occurrences may be assimilated to a renewal process and, for a given homogeneous region, to a Poisson’s process. The estimation of probability law parameters is constrained by the lack of historical data and extrapolation to large-scale events proves very complicated. As regards the occurrence of rock falls, an added difficulty lies in evaluating the probability that a block reaches a particular civil engineering structure.

Probabilistic risk management, which takes into account both the hazards and the stakes involved, performs well in those rare cases where an adequate data series is available to allow building pertinent probability laws. In the majority of cases however, it is unrealistic to seek to provide probabilities of landslide occurrence; in any event, the weight of model uncertainties on the results obtained must be assessed.

FIELD:Geotechnical engineering and natural hazards.

RÉSUMÉ ABSTRACT

L’étude scientifique, la prévention et la gestion des différents risques naturels – éruptions volcani- ques, séismes, inondations, etc. – répondent à certains principes généraux communs, mais les carac- téristiques propres de chacun des phénomènes rendent impossible une utilisation systématique de raisonnements ou de procédures identiques. Les mouvements de terrain, qui constituent un des ris- ques naturels les plus répandus dans le monde, présentent dès l’abord quelques spécificités telles que :

¾ chaque événement affecte une zone limitée, à la différence par exemple d’un séisme qui frappe des aires se mesurant en centaines ou milliers de kilomètres carrés ;

¾ certains événements sont parfaitement identifiés à l’avance, par exemple lorsqu’il s’agit du basculement d’une colonne rocheuse bien individualisée ; d’autres en revanche sont supposés pouvoir survenir à un emplacement quelconque d’une formation géologique donnée ;

¾ chaque événement est unique, par opposition aux pluies extrêmes, aux crues ou aux avalanches qui peuvent se reproduire quasiment à l’identique plusieurs fois au même endroit.

L’approche probabiliste est assez naturelle puisqu’il s’agit de domaines où le poids de l’incertain est évident [Favre et al., 1998]. De fait, la demande de « probabilisme » et de quantification des risques est de plus en plus pressante, dans le domaine des mouvements de terrain comme pour tous les

I NTRODUCTION

(2)

4

autres risques. Si l’utilisation des probabilités en génie sismique ou en hydrologie a déjà une longue histoire, il n’en est pas de même pour ce qui concerne les mouvements de terrain. L’objet de cet article est d’examiner certains aspects de l’emploi des probabilités dans le domaine des glissements, ébou- lements, effondrements et autres mouvements de terrain, et plus particulièrement d’apprécier l’aide que celles-ci peuvent apporter pour répondre aux premières questions posées au spécialiste : quand ? où ? La prévision de l’occurrence temporelle est sans doute l’exercice le plus difficile, si l’on met à part les quelques cas où une prédiction de rupture a pu être fournie, avec un préavis de quel- ques jours, par extrapolation de mesures de déplacement.

Selon la terminologie habituelle des risques naturels, nous réserverons le terme d’aléa à l’occurrence du phénomène naturel, le terme de risque incluant les conséquences sur les personnes et sur les biens.

Un mouvement de terrain d’origine naturelle est l’aboutissement d’un processus de préparation et de développement de la rupture qui peut prendre plusieurs décennies, plusieurs siècles ou plusieurs milliers d’années. Les mouvements de terrain constituent en effet un des mécanismes de « l’érosion » qui assure le démantèlement progressif des terres émergées.

En ce sens, on peut bien souvent considérer que la mise en mouvement, en un point donné d’un ver- sant, de tranches successives de terrain (à l’échelle du temps géologique), sous forme de glissements de sol meuble ou d’éboulements rocheux, se produit suivant un processus de renouvellement: les dates d’occurrence se répartissent suivant un modèle aléatoire analogue à celui utilisé pour les pannes de lampes électriques par exemple, chaque occurrence « ramenant le compteur à zéro ». En effet, le départ d’une portion de terrain met à nu une nouvelle surface, qui va progressivement être dégradée (altération météorique, fatigue mécanique, érosion de pied par un cours d’eau, etc.) jusqu’à ce qu’une nouvelle rupture se produise, et ainsi de suite. Dans ce type de modèle, le « temps d’attente avant rupture » que l’on peut estimer (aujourd’hui et pour un point précis du versant) n’est pas une donnée universelle, mais dépend du stade de mûrissement du processus de dégradation de ce point. Le relevé des événements survenant au même endroit sur une durée suffisamment longue permettrait d’estimer, à l’aide de la loi des grands nombres, l’intervalle moyen entre deux événements, c’est-à- dire leur période de retour.

Les processus de renouvellement sont aussi évoqués dans le domaine des failles actives, pour les- quelles l’absence prolongée de séisme sur un tronçon donné de la faille est un facteur d’aggravation de l’aléa, les contraintes s’accumulant inexorablement par suite du déplacement des plaques lithos- phériques.

Un cas particulier de processus de renouvellement est le processus de Poisson, qui est un processus sans mémoire : dans ce cas, il n’y a pas de dégradation progressive de la situation, et celle-ci n’est pas influencée par le fait que la précédente rupture soit très ancienne ou toute récente. Le temps d’attente moyen en un site donné est le même aujourd’hui qu’hier ou que demain. On voit immédiatement que

„ Fig. 1 Évolutions des probabilités de rupture durant l’année n, conditionnellement à la survie jusqu’à l’année n-1.

L E DÉCLENCHEMENT D UN MOUVEMENT DE TERRAIN

n pn

1

2

3

0

(3)

5 ce modèle, fréquemment employé pour les événements météorologiques ou pour les événements

hydrologiques qui en découlent (l’absence de mémoire d’une année sur l’autre est le plus souvent admissible), n’est en général pas bien adapté aux mouvements de terrain.

Selon les considérations précédentes, si l’on appelle p(n) la probabilité que la rupture d’une masse rocheuse bien identifiée se produise durant l’année n (comptée à partir d’aujourd’hui), conditionnel- lement à sa survie jusqu’au 1erjanvier de cette année n, on peut avoir plusieurs types d’évolution de p(n) avec n, comme l’indique la figure 1. La courbe 1 représente un processus de renouvellement avec dégradation progressive : érosion du pied d’un versant instable (préparation d’un glissement), dissolution d’un niveau gypseux (préparation d’un effondrement), accumulation de matériaux meu- bles dans le bassin de réception d’un torrent (préparation d’une lave torrentielle), etc. La courbe 2 représente un processus de Poisson. La courbe 3 schématise le cas d’un site où un processus naturel viendrait petit à petit améliorer la stabilité (dépôt d’alluvions en pied de versant, constituant progres- sivement une butée, par exemple), ou bien le cas de la mise en place d’une protection à effet différé (plantation d’arbres sur un versant, par exemple). Des évolutions plus complexes peuvent aussi se rencontrer : par exemple, certaines carrières de gypse abandonnées subissent un « vieillissement » qui fait que les fontis apparaissent quelques dizaines d’années après la cessation d’exploitation, se multiplient pendant quelques années et se raréfient ensuite, l’ensemble de la carrière étant effondré.

Les notions couramment employées de « probabilité annuelle » ou de « fréquence annuelle » de rup- ture (implicitement considérées comme constantes) n’ont donc de sens que dans le cas du processus de Poisson.

La notion de couple probabilité/délai utilisée dans le domaine des chutes de blocs permet de bien rendre compte des différents cas de figure : par exemple, dans le cas de la courbe de type 1, la pro- babilité de chute dans les cinq ou dix prochaines années peut être considérée comme assez faible, compte tenu de l’absence d’indices d’évolution actuelle : on n’observe ni traces fraîches de dévelop- pement de ruptures, ni végétation affectée par les mouvements, telle que des racines très tendues au travers d’une fracture ; mais la probabilité de rupture à long terme, d’ici un siècle par exemple, peut être élevée, compte tenu de la présence d’un facteur évolutif défavorable tel qu’un banc rocheux gélif s’érodant petit à petit à la base de l’écaille rocheuse considérée.

Il est clair que, du point de vue de la gestion du risque, les évolutions de type 1 et 2 sont bien diffé- rentes. Dans le cas 1, par exemple, on peut accepter sur le site certains types d’activités ou d’installa- tions, à caractère provisoire, mais on interdira tout aménagement lourd à durée de vie longue.

Dans le cas de ruptures fragiles qui « préviennent » peu (surplomb rocheux avec joint sollicité en traction, par exemple), compte tenu de notre incapacité à percevoir une éventuelle amorce du pro- cessus de rupture (développement de la microfissuration, etc.), nous ne pouvons faire mieux qu’admettre une évolution du type de la courbe 2. Seule une instrumentation avec télémesures exploitées en temps réel permettrait peut-être de gérer le risque de façon plus satisfaisante.

La situation est différente si l’on considère l’occurrence d’événements non plus en un point donné, mais sur un secteur homogène en entier : cas de chutes de blocs provenant d’un linéaire important de falaise, de glissements survenant sur l’ensemble d’un versant marneux régulier, de fontis appa- raissant dans une région de plusieurs kilomètres carrés à substratum gypseux, etc. Le caractère homogène du secteur est essentiel : même formation géologique, mêmes conditions de relief, même climat, etc.

La série temporelle des événements survenant dans un tel secteur peut souvent être assimilée à un processus de Poisson. En effet, dans la mesure où le secteur considéré comprend un grand nombre de sites potentiels et où ces différents sites sont à des stades d’évolution très variables, l’occurrence des événements devient stationnaire et l’on peut parler alors de la période de retour T de l’événe- ment « chute d’un bloc provenant d’un point quelconque de la falaise » par exemple. En moyenne, il tombe donc 1/T bloc(s) par an, si T est exprimée en années, mais on ne peut dire à quel endroit précis.

Un exemple est fourni par la route nationale n° 1 à la Réunion, qui longe sur une dizaine de kilomè- tres le pied d’une falaise constituée de coulées de basalte alternant avec des niveaux pyroclastiques très érodables. La Direction Départementale de l’Équipement (DDE) ayant instauré une patrouille permanente pour le relevé des chutes de blocs, nous disposons de données quotidiennes : 423 chutes

L ES MOUVEMENTS DE TERRAIN À L ÉCHELLE D UNE ZONE

HOMOGÈNE

(4)

6

ont été relevées en 4 ans (1992-1995). La fréquence annuelle est donc de 106 chutes pour l’ensemble de l’itinéraire, ce que l’on peut aussi exprimer, si l’on néglige la variabilité temporelle liée aux pluies, sous la forme d’un intervalle moyen entre deux chutes, qui est de 3,5 jours. Que peut-on en déduire pour un point donné de l’itinéraire ? La falaise possédant une hauteur moyenne de 60 m, la surface de paroi est d’environ 600 000 m2. Si l’on suppose qu’un site d’éboulement typique représente envi- ron 6 m2 de falaise, et que la paroi est globalement homogène, l’ordre de grandeur de la période de retour en un site ponctuel est de 1 000 ans (il s’agit d’une falaise très « active »).

L’évaluation de la fréquence d’événements sur un pays entier ne répond pas à l’exigence d’homogé- néité rappelée plus haut ; une telle estimation, si elle n’apporte guère d’information sur le plan scien- tifique, est cependant utile pour apprécier l’importance du phénomène à l’échelle d’un pays, par exemple pour la puissance publique qui envisage de mener une politique de prévention ou pour les sociétés d’assurance. Citons par exemple l’étude menée par Evans (1997), qui a recensé 40 événements catastrophiques (c’est-à-dire ayant fait au moins trois morts) au Canada entre 1840 et 1996, pour 545 victimes au total, ce qui correspond à un événement tous les 3,9 ans en moyenne.

Il faut donc bien distinguer le diagnostic en un point précis (étude spécifique), pour lequel il est indis- pensable d’évaluer d’une façon ou d’une autre le stade de développement actuel de la rupture, et le diagnostic à l’échelle régionale, pour lequel une approche globale de type poissonien peut suffire (fréquence annuelle des événements). Remarquons qu’une évaluation de la fréquence régionale ren- seigne bien peu sur le diagnostic d’un point particulier : face à un phénomène exceptionnel d’insta- bilité comme celui de Séchilienne (Isère), mobilisant plusieurs millions de mètres cubes, il est de peu d’utilité de savoir si la fréquence des éboulements majeurs dans les Alpes est de 1/10, de 1 ou de 10 par siècle.

La cartographie de l’aléa

Dans le domaine des mouvements de terrain, le zonage cartographique d’aléa repose, de façon plus ou moins explicite, sur la méthode dite des facteurs de prédisposition (CFGI- LCPC, 2000). La pré- disposition du site (dans la littérature anglaise : susceptibility), en général évaluée sous forme quali- tative, est considérée comme maximale lorsque tous les facteurs défavorables (pente, nature litholo- gique, régime hydrogéologique, etc.) sont présents ; elle est considérée comme nulle ou négligeable si aucun n’est présent. Des méthodes statistiques peuvent être employées pour quantifier le poids de chacun des facteurs et pour les combiner en un indice de stabilité, à condition que les données soient suffisamment nombreuses et que le site soit très homogène du point de vue géologique et morpho- logique [Leroi et al., 2001] ; le calage du modèle se fait par comparaison avec la répartition des évé- nements connus, actifs ou anciens. Cette prédisposition peut être assimilée à une probabilité ordi- nale, relative, sans que la probabilité d’occurrence dans un laps de temps donné, qui nous préoccupe ici, soit estimée. L’information apportée par un tel zonage, pour intéressante qu’elle soit, ne peut donc satisfaire complètement le décideur.

L’influence des précipitations

L’expérience montre que les précipitations influent fortement sur le déclenchement des instabilités, les- quelles se produisent essentiellement pendant la saison pluvieuse ou à la fonte des neiges. Il en résulte que, si le phénomène peut apparaître comme stationnaire à l’échelle annuelle, il ne l’est pas à l’échelle hebdomadaire ou mensuelle. C’est pourquoi il est correct de dire que la fréquence de chutes de blocs sur la RN 1 à la Réunion est de 106 par année, mais il n’est guère correct de parler de 2 chutes par semaine (encore pourrait-on distinguer les années à fortes pluies tropicales et les années ordinaires).

La dépendance vis-à-vis des précipitations conduit à envisager une probabilité de l’événement con- ditionnellement à une précipitation donnée ; cette approche peut notamment être utilisée à une échelle régionale dans une perspective d’alerte à court terme. L’étude réalisée sur l’île de Hong Kong par Finlay et al. (1997) conduit à une évaluation de la probabilité que se produisent des glissements (ruptures de déblais, de remblais et de murs de soutènements) conditionnellement à une quantité donnée de pluie tombée, par exemple cumulée sur les dernières 24 heures. Il s’avère cependant que l’extrapolation aux événements pluvieux exceptionnels reste très problématique, du fait de sa sensi- bilité au modèle utilisé.

(5)

7 Sur la RN 1 de la Réunion, il est patent que les chutes de blocs sont très nombreuses lors des fortes

pluies tropicales. L’étude statistique montre que le nombre mensuel N de chutes de blocs peut être relié à la hauteur d’eau mensuelle P (mm), la corrélation restant toutefois médiocre :

N = 0,058 P + 4,8 r2= 0,60

Cette corrélation est encore plus floue si l’on affine l’étude à l’échelle journalière (Fig. 2) ; il apparaît qu’un événement pluvieux n’a une influence sensible sur les chutes de blocs que pendant les deux jours qui le suivent. Une analyse plus détaillée [Alfonsi, 1999] montre qu’il semble difficile d’attri- buer plus de la moitié des chutes à un épisode pluvieux bien défini. Toutefois, comme on le verra plus loin, la dépendance vis-à-vis de la pluie, pour limitée qu’elle soit, peut être exploitée pour amé- liorer la gestion du risque à court terme.

L’utilisation d’un modèle probabiliste n’a de sens que s’il est possible d’estimer correctement les paramètres du modèle. De façon générale, on dispose de deux types de méthodes pour évaluer une probabilité : les méthodes indirectes et les méthodes directes.

Les méthodes analytiques ou indirectes sont utilisées notamment dans certains types de risque technologique : la probabilité de ruine du système est évaluée à partir des probabilités de rupture des différents éléments qui composent le système (ceux-ci pouvant par exemple être testés en labora- toire), ou en fonction de caractéristiques dont les lois de probabilité sont elles-mêmes connues. Dans le domaine des instabilités de pente, on peut tenter d’évaluer :

Proba(instabilité) = Proba(R < M) = Proba(F = < 1)

où F représente le coefficient de sécurité, R les efforts résistants maximaux mobilisables et M les efforts moteurs. R et M sont considérés comme des fonctions de variables aléatoires telles que les résistances au cisaillement des sols ou la profondeur du substratum [cf. par exemple Recordon, 1985 ; Abdul Baki et al., 1993 ; Claes, 1998].

Cette approche indirecte n’est pas adaptée aux études d’aléa couvrant un secteur important, notam- ment les études cartographiques ; elle n’est pas utilisable pour des phénomènes de grande ampleur tels que les Ruines de Séchilienne (Isère), dont le mécanisme est très complexe. Toutefois, elle peut être envisagée sur un site où des investigations spécifiques sont réalisées. En pratique, l’emploi de telles méthodes est freiné par la complexité des calculs, si l’on veut prendre en compte la variabilité spatiale des caractéristiques mécaniques ou les corrélations entre celles-ci (cohésion et angle de frot- tement des sols, par exemple), et surtout par l’importance des reconnaissances géotechniques qu’il serait nécessaire d’entreprendre pour pouvoir estimer correctement les paramètres [Magnan et al., 1998]. En outre, la plupart des auteurs qui ont expérimenté cette approche n’ont pas incorporé, dans leur modèle probabiliste, le temps, qui intervient à travers les variations de la hauteur des nappes ou le « vieillissement » des caractéristiques mécaniques (voir cependant van Beck & van Asch, 1998, qui

„Fig. 2

Coefficient de corrélation entre le nombre quotidien de chutes de blocs sur la RN 1 et la quantité de pluie tombée, en fonction du décalage entre pluie et chutes.

0 0 ,1 0 ,2 0 ,3 0 ,4

0 1 2 3 4

Jours r

L A DIFFICULTÉ DE L ESTIMATION

R M---

(6)

8

prennent en compte la période de retour de pluies extrêmes). Leurs résultats ne permettent donc pas d’évaluer une probabilité de rupture au cours d’un laps de temps donné.

Les méthodes directes d’estimation reposent sur la fréquence empirique des événements. L’hypo- thèse implicite est que les conditions générales futures seront les mêmes que par le passé ; elle est en général justifiée pour les phénomènes tels que les mouvements de terrain, même si les changements climatiques peuvent perturber l’analyse sur de longues durées. Dans le cas des inondations ou des pluies extrêmes, on dispose de séries historiques de données qui permettent d’estimer des périodes de retour décennales ou centennales satisfaisantes. Dans le cas des séismes, les études néotectoniques du Quaternaire permettent de rallonger la série des observations et la plupart des zonages d’aléa des pays sismiques sont directement issus d’approches probabilistes. En ce qui concerne les mouvements de terrain susceptibles de se produire dans une région considérée comme homogène, il est très rare de disposer de données suffisantes, le cas de la RN 1 cité plus haut restant exceptionnel. Cette lacune montre l’intérêt du développement de banques de données alimentées régulièrement.

Dans le cadre d’une étude récente consacrée aux corniches calcaires des environs de Grenoble (Ven- geon et al., 2001), pour une centaine de kilomètres de linéaire de falaise, 45 événements de volumes supérieurs à 100 m3 ont été recensés au cours du XXesiècle, ce qui conduit logiquement à une esti- mation du paramètre de la loi de Poisson O |0,45/an. Notons qu’un raisonnement analogue à celui effectué pour la RN 1 fournirait ici une période de retour en un site donné de l’ordre de 100 000 ans (hauteur moyenne de falaise de 100 m, éboulement type affectant 200 m2), ce qui peut paraître élevé, mais, pour une durée de cet ordre, la condition de permanence des conditions climatiques, et donc de vitesse d’érosion, n’est pas respectée [Baynes, 1997].

S. Brochot et al. (2000) ont étudié les laves torrentielles du torrent du Poucet (Savoie), pour lesquelles on dispose de données fiables depuis 1860 environ (31 événements). Un modèle poissonien peut être calé avec une période de retour de 4,5 ans environ. Le faible nombre d’événements recensés ne per- met sans doute pas de proposer un autre modèle avec effet mémoire, mais on peut penser qu’un évé- nement majeur, tel que la lave de 1740 évaluée à plus de 100 000 m3, a sans doute eu un « effet de purge » sensible pendant plusieurs années.

C’est une observation de portée générale que les phénomènes de grande ampleur sont (heureuse- ment) moins fréquents que ceux de faible ampleur, qu’il s’agisse de chutes de météorites, de séis- mes, de crues torrentielles ou de mouvements de terrain. Deux questions se posent alors : quelles sont les intensités maximales envisageables en un lieu donné ? quelles sont les probabilités correspondantes ?

C’est en général le contexte morphologique et géologique qui permet de donner une dimension maximale aux mouvements de terrain pouvant se produire sur un site donné : pour un glissement par exemple, la longueur de la pente, l’épaisseur des formations superficielles mobilisables, etc.

Les données statistiques disponibles pour les événements de grande ampleur, donc rares, sont insuf- fisantes pour caler correctement un modèle probabiliste. On a recours alors le plus souvent à une extrapolation à partir des petites intensités : dans le cas des crues, diverses méthodes ont été propo- sées [Duband, 2000] ; dans le cas des séismes, la loi de Gutenberg-Richter reliant la fréquence et la magnitude est couramment employée :

LogN = a – bM

N étant le nombre d’événements, par siècle par exemple, de magnitude supérieure à M, a et b étant deux constantes empiriques.

Qu’en est-il pour les mouvements de terrain ? On peut admettre qu’une extrapolation est valable tant que les phénomènes répondent aux mêmes mécanismes et aux mêmes causes, ce qui n’est pas néces- sairement le cas pour l’ensemble des mouvements de terrain : on ne peut guère comparer un glisse- ment de talus de route (quelques centaines de mètres cubes) et le glissement de La Clapière près de Saint-Étienne-de-Tinée (de l’ordre de 50 hm3, Fig. 3). Sur la RN 1 à la Réunion par exemple, la décroissance de la fréquence selon la masse éboulée est manifeste (Fig. 4), mais aucun phénomène majeur, impliquant des volumes de l’ordre de la dizaine de milliers de mètres cubes (comme l’ébou- lement de 1980), ne s’est produit au cours des quatre années de relevés. Un tel phénomène s’analyse comme l’éboulement d’une tranche de falaise ayant une épaisseur de plusieurs mètres, avec une lar- geur et une hauteur de quelques dizaines de mètres, c’est-à-dire un mécanisme très différent des

L A QUESTION DE L INTENSITÉ

(7)

9 chutes de blocs courantes liées à la mise en déséquilibre d’un niveau de coulée basaltique reposant

sur des scories érodables. Il n’y a donc pas de raison objective d’extrapoler les fréquences de la figure 4 à ces éboulements majeurs.

Dans le cas du « Y » grenoblois, la loi suivante est proposée par Vengeon et al. (2001) : N = 353 V-0,45

avec

V : volume en mètres cubes (compris entre 100 m3 et 10 hm3) ;

N : nombre d’éboulements par siècle, dont le volume est supérieur à V.

Les auteurs mentionnent deux événements relevés en deux siècles dans la catégorie 0,1 à 1 hm3, trois événements relevés en quatre siècles dans la catégorie 1 à 10 hm3, ce qui est une bien faible popula- tion statistique. Autrement dit, si cette « loi » semble établie pour 100 < V < 100 000 m3, son extrapo- lation à des volumes plus élevés est fragile. Il est possible que dans ces parois rocheuses, compte tenu de l’intervalle moyen entre les fractures, de la structure sédimentaire, etc., la distribution des volu- mes d’éboulements, en bonne partie contrôlée par le réseau de ces discontinuités, ne suive pas une

„Fig. 3

Vue du glissement de La Clapière près de Saint-Étienne-de-Tinée (Département des Alpes-Maritimes), en 1993.

„Fig. 4

Histogramme des chutes de blocs sur la RN 1, selon la masse éboulée.

0 20 40 60 80 100 120

0 - 0,1 0,1 - 0,5 0,5 - 1 1 - 2 2 - 5 5 - 10 > 10 Nombre moyen annuel

Masse (t)

(8)

10

loi régulière. Notons que l’analyse approfondie de Hantz et al. (2002) aboutit à un taux de recul moyen de l’ordre de 15 cm par siècle, nettement plus rapide que ce à quoi notre calcul sommaire pré- senté plus haut pourrait conduire.

En ce qui concerne les laves torrentielles du torrent du Poucet, S. Brochot et al. (2002) proposent pour les intensités une loi exponentielle. La probabilité qu’une coulée ait un volume x supérieur à V est du type :

Proba(x>V) = 1 – exp(– x/a)

Avec l’hypothèse poissonienne mentionnée plus haut, ces auteurs peuvent avancer une estimation du volume centennal autour de 36 000 m3 ; rappelons que la probabilité d’occurrence sur un siècle d’une coulée de volume au moins égale à cette valeur est alors de 0,37. L’importance du choix de la loi de distribution des volumes apparaît clairement si l’on observe que seuls deux événements de volume supérieur à 35 000 m3 apparaissent dans la série historique considérée. Les auteurs ont d’ailleurs jugé nécessaire de confronter cette estimation à celles obtenues par des méthodes non pro- babilistes, géomorphologiques notamment.

C’est une observation courante que la trajectoire d’un bloc dévalant une pente par une succession de rebonds désordonnés est impossible à prévoir précisément. Il paraît donc naturel de présenter les résultats des études trajectographiques sous forme probabiliste. Plusieurs remarques importantes doivent être faites à ce sujet.

Il s’agit de probabilité conditionnellement à l’événement « départ du bloc » : la probabilité d’atteinte d’un objectif (ponctuel ou linéaire), qui est celle qui intéresse le décideur, est donc la composée de la probabilité de départ d’un bloc et de la probabilité que la trajectoire atteigne l’objectif. Dans le cas d’un objectif ponctuel, il faut évaluer l’extension des trajectoires vers l’aval et prendre en compte leur dispersion en plan.

La question se pose de la façon dont on traite un éboulement formé d’une vingtaine ou d’une cin- quantaine de blocs. En première approximation, si l’on néglige l’interaction entre blocs, on peut con- sidérer qu’il s’agit d’une succession de 20 ou 50 événements indépendants au sens probabiliste. Si p est la probabilité qu’un bloc dépasse une limite aval donnée par exemple (conditionnellement au départ du bloc), alors la probabilité pN qu’un bloc au moins la dépasse, lors d’un éboulement de N blocs, est de :

pN= 1 – (1 – p)N

Il ne faut donc pas confondre la probabilité (de dépassement de la limite) attribuée à un bloc et celle attribuée à un éboulement (Fig. 5).

„ Fig. 5 Probabilité pN qu’un éboulement de N blocs atteigne une limite dont la probabilité d’atteinte par un bloc isolé est p.

L A TRAJECTOGRAPHIE

0 ,0 0 ,2 0 ,4 0 ,6 0 ,8 1 ,0

1 10 100 1000

N pN

p = 0 ,01 p = 0 ,001

(9)

11 Comment introduire de façon rationnelle « l’aléatoire » dans la trajectoire ? C’est évidemment au

niveau du rebond que l’incertitude réside : la vitesse réfléchie dépend de la vitesse incidente (en trans- lation et en rotation), de la masse et de la forme du bloc, de son orientation au moment du choc et de la nature du sol. Dans ces conditions, le procédé utilisé dans les approches probabilistes est celui de la méthode de Monte-Carlo, qui consiste à effectuer quelques milliers de calculs de trajectoires, en tirant au sort certains paramètres suivant des lois de probabilité données, et à en déduire la distribu- tion de la distance d’arrêt, de la hauteur de vol à une abscisse fixe, etc. C’est donc un exemple de méthode indirecte d’estimation, suivant la terminologie indiquée plus haut. La difficulté provient du fait qu’il n’y a pratiquement aucune donnée expérimentale permettant de construire des distributions de probabilité fournissant par exemple l’angle de réflexion ou la vitesse réfléchie lors d’un rebond.

Considérons par exemple un versant de forme simple, possédant un replat intermédiaire entre deux parties plus pentues (Fig. 6a). Les calculs de trajectographie sont réalisés avec le logiciel PROPAG du Laboratoire régional des Ponts et Chaussées de Lyon. Le paramètre que l’on fait varier de façon aléa- toire est la forme du bloc caractérisée par l’élancement e. Quatre lois de probabilité « plausibles » ont été utilisées, ayant toutes les quatre la même moyenne supposée estimée a priori par le géologue : une loi uniforme entre deux bornes (1,10 et 1,25), une distribution triangulaire ayant la même étendue, une distribution triangulaire de même écart-type que la loi uniforme et une loi bêta en forme de clo- che symétrique (tableau I). La figure 6b montre que les quatre histogrammes des distances d’arrêt sont d’allure bimodale, comme on pouvait s’y attendre vu le profil choisi ; ils sont toutefois sensible-

„Fig. 6a

Profil utilisé pour les calculs de trajectographie (distances en mètres). Le point de départ est à l’abscisse 0 au sommet de la pente.

„Fig. 6b

Histogrammes des distances d’arrêt des blocs (population de 200 blocs).

0 10 20 30 40

0 10 20 30 40 50 60

x y

0 20 40 60 80 100 120

15 -20 20 -25 25 -30 30 -35 35 -40 40 -45 45 -50

Nombre

Uniforme 1 ,10 -1 ,25 Triangulaire 1 ,10 -1 ,25 Triangulaire 1 ,069 -1 ,281 Beta (3 ,3 ) 1 ,10 -1 ,25

Classes d'abscisse d'arrêt (m)

(10)

12

ment différents : par exemple, les probabilités de dépassement de l’abscisse 45 m sont de 5,6 %, 0,8 %, 3 % et 0,3 % respectivement. Les résultats sont donc dans un rapport supérieur à 15 suivant la loi choisie. Il serait encore plus difficile d’évaluer de façon univoque des probabilités extrêmement fai- bles (10-6 par exemple).

Un tel exemple confirme la nécessité de vérifier la stabilité des résultats par rapport aux distributions de probabilité initiales, rarement bien établies, lorsque l’on utilise une méthode indirecte d’évalua- tion des probabilités. Dans le cas de la trajectographie, les Laboratoires des Ponts et Chaussées ont jusqu’à présent préféré utiliser une approche déterministe, à l’aide d’un modèle dit à trajectoires enveloppes, c’est-à-dire fournissant des trajectoires « raisonnablement pessimistes » : le logiciel PROPAG, de type empirique, est calé pour produire des trajectoires dont la distance de propagation est la plus grande. Les résultats en sont donc directement utilisables pour définir des limites de pro- pagation.

Le gestionnaire d’un ouvrage menacé ou le maire d’une commune inquiet pour la sécurité des habi- tants ont à prendre une décision relative à l’évacuation d’une maison, à la dépense pour un ouvrage de protection, etc. Ce n’est pas seulement l’aléa, qui concerne uniquement le phénomène naturel, mais plutôt le risque, prenant en compte les conséquences pour les personnes et pour les biens, qui intéresse les décideurs.

Dans le cas d’une route située en pied de falaise par exemple, l’accident se produit si un bloc atteint la route au moment du passage d’un véhicule, conjonction heureusement beaucoup moins probable que la seule chute (il faudrait aussi analyser la possibilité d’accident lié à la présence d’un bloc tombé avant le passage d’un véhicule). Pour un aléa donné, le risque de « coup au but » sera d’autant plus élevé que le temps de séjour des véhicules dans la zone exposée sera long ; ce temps d’exposition est une fonction du trafic et de la fluidité de la circulation (en supposant qu’il n’y a pas d’aire de station- nement sous la falaise !). Bunce et al. (1997) ont pu ainsi estimer la probabilité annuelle d’accident mortel sur une route exposée aux chutes de blocs.

Dans un premier temps, à supposer que l’on sache estimer le risque correctement, celui-ci est com- paré au risque considéré comme acceptable [Fell et Hartford, 1997]. De façon générale, celui-ci peut s’exprimer sous la forme d’un nombre moyen annuel de victimes, ou d’un coût moyen annuel des dommages. Un gestionnaire d’ouvrage se référera plus pragmatiquement à une norme établie. Par exemple, pour les glissements de terrain, dans l’approche traditionnelle des calculs de stabilité de type déterministe, on utilise un facteur de sécurité F, dont la valeur recherchée (entre 1,3 et 1,5 le plus souvent) peut dépendre des enjeux. Dans une perspective probabiliste, Chowdhury et Fletje (2003) suggèrent d’utiliser l’indice de fiabilité :

E et V désignant respectivement l’espérance mathématique et l’écart-type du coefficient de sécurité F. Ils proposent des valeurs de E à respecter dans divers types de circonstances, définies à la fois sur le plan géologique et morphologique et sur le plan des enjeux menacés ; à titre d’exemple, pour des versants naturels, ils suggèrent des valeurs minimales allant de 1 à 3 suivant qu’il s’agit de zones vierges ou d’espaces urbanisés (pour des ouvrages tels que déblais ou remblais, ces valeurs seuils de

TABLEAU I

Lois de probabilités utilisées pour les calculs de trajectographie

Loi de probabilité Moyenne Écart-type Étendue

Uniforme 1,175 0,043 1,10-1,25

Triangulaire 1,175 0,031 1,10-1,25

Triangulaire 1,175 0,043 1,07-1,28

Bêta (3,3) 1,175 0,028 1,10-1,25

L A GESTION DU RISQUE À L AIDE DE L APPROCHE PROBABILISTE

(11)

13 E seraient plus élevées). Remarquons là encore que cette approche n’intègre pas la composante tem-

porelle (fluctuations de la nappe).

Si le risque est considéré comme inacceptable, il faut alors mettre en balance d’une part le coût (éco- nomique, social, environnemental) des diverses mesures de prévention, et d’autre part les risques résiduels correspondants. La mise en sécurité absolue étant rarement possible, une stratégie de pro- tection doit être choisie en évitant deux types d’excès : l’excès d’optimisme, laissant une trop grande possibilité d’accident, et l’excès de pessimisme, entraînant des coûts injustifiés pour la collectivité (surprotection).

Dans le cas de la RN 1 à la Réunion, un mode de gestion du risque à court terme, tenant compte de la relation statistique entre pluies intenses et chutes de blocs, a été défini de la façon suivante : dès qu’un seuil S de pluie tombée en 24 h est dépassé, la chaussée côté falaise, de loin la plus exposée, est fermée pendant une durée D (bien entendu prolongée si le seuil est de nouveau dépassé). Les don- nées sur le site étant nombreuses et représentatives, une optimisation de cette stratégie de prévention a pu être effectuée, en cherchant à minimiser deux critères :

¾ un critère sur l’aléa résiduel, évalué par la proportion D de chutes qui surviennent alors que la route est ouverte au trafic,

¾ un critère sur le coût (l’impact socio-économique de la fermeture partielle de la route est très important), mesuré à l’aide de la proportion p de jours de fermeture, évalué à partir des données pluviométriques.

Plus le seuil pluviométrique S est bas, plus l’aléa résiduel (D) est important et plus p est faible ; plus la durée de fermeture D est longue, plus D est faible et plus l’impact économique (p) est grand. Les points de la figure 7 représentent diverses stratégies de fermeture (couples S, D) dans le diagramme (D, p). Ce diagramme montre que les stratégies optimales se situent en première approximation sur la courbe : les points situés au-dessus représentent des stratégies qui ne sont pas optimales. En revan- che, deux stratégies dont les points sont situés sur la courbe ne sont pas comparables pour les critères retenus : il revient au politique de décider in fine de la stratégie à adopter, choisie parmi l’ensemble des stratégies optimales (une autre stratégie – celle qui est aussi mise en œuvre progressivement – est de mettre en place des protections).

Confronté à la gestion des risques liés aux mouvements de terrain, et donc à des incertitudes nom- breuses et variées, l’ingénieur ou le géologue dispose de plusieurs approches pour évaluer le « degré de sécurité » du site, telles que : modèle empirique reposant sur des mesures cinématiques; modèle

„ Fig. 7

Représentation graphique des différentes stratégies de fermeture de la RN 1 à la Réunion : chaque point correspond à une stratégie définie par un seuil de pluie S (5-10-15 - … mm/j) et une durée de fermeture D (indiquée dans la légende).

25 30 35 40 45 50 55

10 15 20 25 30 35 40

p (%) α (%)

72 h 48 h 96 h

D ISCUSSION

(12)

14

mécanique déterministe, avec utilisation d’un coefficient de sécurité ou de plusieurs coefficients de sécurité partiels ; étude de sensibilité des résultats aux variations des données d’entrée ; théorie de la possibilité (ensembles flous) ; modèle probabiliste. Les résultats et les possibilités d’exploitation de ces résultats sont a priori de plus en plus riches quand on passe de la première méthode à la dernière, comme le souligne Duncan (2000). Cette affirmation n’est-elle pas cependant trompeuse ?

L’utilisation opérationnelle d’un modèle probabiliste est confrontée à deux difficultés principales (Fig. 8), l’une dans la phase de construction du modèle (réalitéomodèle), l’autre dans la phase de décision au vu des résultats issus du modèle (modèleoréalité). La première est liée principalement au manque de données permettant un calage fiable du modèle ; la seconde se résout d’autant mieux que les résultats finaux à exploiter sont robustes et bien tranchés : événements de probabilité très voi- sine de 0 ou de 1, distributions de probabilités à faible coefficient de variation, etc. Les autres types de modélisation, comme l’approche possibiliste [Maïolino et Faure, 2002], n’échappent pas à ces deux difficultés.

Qu’il s’agisse de gestion du risque à court terme (par exemple, décision de fermeture d’une route) ou à long terme (par exemple, choix d’un parti d’aménagement sur un versant), ces difficultés se ren- contrent dans les deux situations typiques des études de risques naturels :

¾ cas d’un linéaire de route ou d’une région exposés (donc en l’absence de reconnaissances très détaillées), par exemple pour la réalisation d’un Plan de Prévention des Risques : une approche statistique reposant sur les données historiques d’occurrence des instabilités est possible à condition que ces données soient suffisantes ; elle peut constituer une aide à la décision, par référence en particulier à des critères de risque acceptable et d’opportunité économique, pour mettre en œuvre une stratégie de prévention ;

¾ cas d’un site instable ou d’un ouvrage ponctuel exposé : on réalise en général des reconnaissances géologiques et géotechniques, parfois très développées, mais elles ne sont jamais exhaustives, et l’approche probabiliste est délicate à mettre en œuvre ; la zone « à risque » étant très limitée, elle se prête mal à une vue moyennée des choses ; en tout état de cause, l’observation détaillée et l’étude du site par un spécialiste sont indispensables si l’on veut formuler un diagnostic raisonnable.

Ces deux échelles de travail, relativement distinctes, sont analogues à celles que l’on rencontre dans le domaine médical : d’une part, l’utilisation de statistiques de mortalité liée à une maladie donnée, pour l’ensemble de la population, conduisant par exemple à développer une stratégie de médecine préventive ; d’autre part, le diagnostic d’un patient, qui ne peut s’élaborer qu’après examen et aus- cultation approfondis, même si des données statistiques peuvent apporter une aide significative (influence de facteurs causaux tels que l’hérédité ou l’usage du tabac, par exemple). Sur ce dernier point, l’apport des probabilités est appréciable du fait de l’homogénéité de l’espèce humaine ; pour ce qui concerne les mouvements de terrain, nous pouvons remarquer que la « population » corres- pondante est bien plus hétérogène, de par la morphologie, la dimension, le mécanisme, le rôle de l’eau souterraine, la nature des terrains concernés, etc.

En définitive, à la lumière des quelques exemples présentés, il nous semble qu’une certaine prudence devrait être de règle dans l’application des probabilités au domaine des mouvements de terrain. Sui- vant la remarque de Matheron (1978), nous pouvons rappeler que la « probabilité d’occurrence d’un mouvement de terrain » n’a pas d’existence intrinsèque : elle est construite dans le cadre d’informa- tions connues à une certaine date par un individu pour modéliser la part d’inconnu subsistant, et sera

„ Fig. 8 Démarche d’une approche probabiliste appliquée aux risques de mouvement de terrain.

Le monde réel

Problème posé par un risque de mouvement(s) de terrain

Le modèle Le monde réel

Décision concernant les mesures de prévention Construction

du modèle (estimation des paramètres)

Exploitation du modèle (évaluation des probabilités)

C ONCLUSION

(13)

15 d’autant plus fiable que ces informations seront nombreuses et de qualité (l’estimation de la proba-

bilité de glissement par le géotechnicien n’est évidemment pas la même avant et après l’exploitation de mesures inclinométriques). Si l’on avait demandé aux principaux experts, chaque année depuis 25 ans, quelle était la probabilité de rupture catastrophique à La Clapière (cf. fig. 3), où une cinquan- taine de millions de mètres cubes sont en mouvement, on pourrait tracer une courbe ressemblant à celle de la figure 9 (le pic principal est lié à l’accélération très marquée de l’année 1987, le second à celle de l’hiver 1996-1997), ce qui met en évidence le caractère éminemment relatif de l’appréciation d’une probabilité de rupture*.

Lorsque l’on ne dispose que de très peu d’informations sur un site, ce qui est malheureusement le cas le plus courant, même si une étude spécifique a été réalisée (avec sondages, essais, etc.), l’outil pro- babiliste ne peut apporter d’aide substantielle. Il est vraisemblable qu’une analyse déterministe est aussi performante, si elle est mise en œuvre par un expert chevronné et si elle intègre toutes les obser- vations de type naturaliste, géologiques ou géomorphologiques notamment. Dans le cas d’une étude ponctuelle, une analyse de stabilité avec évaluation de la sensibilité des résultats aux principaux fac- teurs permet, en général, de faire face aux incertitudes de façon satisfaisante [Londe, 1998]. Il n’est pas sûr que l’apport artificiel de données manquantes à un problème (par exemple, le choix d’une loi de probabilité de la résistance au cisaillement d’une famille de discontinuités, connue en réalité par un ou deux essais), qui est une forme d’invention d’information, enrichisse réellement le résultat de l’analyse de stabilité... L’approche probabiliste conduit bien souvent à fournir des résultats sous une forme quantitative en réalité illusoire : d’après Cruden (1997), la précision dans l’estimation du risque annuel d’accident par chute de blocs dans le déblai « Argillite Cut » au Canada, cas favorable puisque des statistiques existent sur une période de 33 ans, est au mieux de deux ordres de grandeur.

Toutefois, dans les (très rares) cas où l’on a collecté suffisamment de données quantitatives, l’appro- che probabiliste, combinée avec une appréciation des enjeux et de leur vulnérabilité, devient un puis- sant outil d’aide à la décision [Ho et al., 2000], en permettant d’affecter un « poids » à différents scé- narios d’évolution, à différentes stratégies de protection, etc. On peut penser que l’élaboration et l’exploitation de bases de données suffisamment riches permettront progressivement de mieux cerner l’effet défavorable de certains facteurs liés au site, de mieux estimer la variabilité des caracté- ristiques mécaniques des terrains et de rendre ainsi plus opérationnelle l’utilisation des probabilités, le raisonnement probabiliste présentant en tout état de cause un indéniable intérêt sur un plan pédagogique.

Dans le court terme, un progrès significatif dans la gestion et la maîtrise des risques de mouvements de terrain viendra essentiellement, à notre avis, d’une meilleure compréhension des mécanismes d’évolution et de la cinématique de ces phénomènes, ce qui suppose en particulier de recueillir des données nombreuses et précises sur la préparation et le développement de la rupture dans les sols et les massifs rocheux.

„ Fig. 9

Évolution des vitesses annuelles du glissement de La Clapière et évolution parallèle de l’appréciation de l’aléa par les experts.

* Dans ce cas d’ailleurs, il vaudrait mieux parler de probabilité subjective ou de crédibilité [Bernier et al., 2000], point de vue que nous ne développons pas ici.

Temps Estimation

de l’aléa

Vitesse mensuelle

(14)

16

.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ABDUL BAKI A., MAGNAN J.-P., POUGET P., Analyse probabiliste de la stabilité de deux remblais sur versant instable (site expérimental de Sallèdes, Puy-de-Dôme). Coll. Études et recherches des LPC, GT 56, 1993, 200 pages.

ALFONSI P., Estimation d’un critère de risque minimal sur la route nationale 1 de l’île de La Réunion. XIIth European Conf. On Soil Mech. and Geot. Eng., Balkema, vol. 1, 1999, pp. 309-314.

BAYNES F., Problems associated with geological characterisation for quantitative lanslide risk assessment. Proc.

of the int. workshop on landslide risk assessment (Honolulu), 1997, pp. 153-163.

BERNIER J., PARENT E., BOREUX J.-J., Statistique pour l’environnement : traitement bayésien de l’incertitude,

TEC & DOC,2000, 363 pages.

BROCHOT S., MARCHI L., LANG M., L’estimation des volumes des laves torrentielles : méthodes disponibles et application au torrent du Poucet (Savoie), Bull. AIGI,61, 2002, pp. 389-402.

BUNCE C. M., CRUDEN D. M., MORGENSTERN N. M., Assessment of the hazard from rockfall on a highway, Can. Geotech. J.,34, 1997, pp. 344-356.

CFGI-LCPC. Guide technique : Caractérisation et cartographie de l’aléa dû aux mouvements de terrain, 2000, 90 pages.

CHOWDHURY R., FLENTJE P., Role of slope reliability analysis in landslide risk management, Bull. AIGI,62, 2003, pp. 41-46.

CLAES A., On probability in geotechnics. Random calculation models exemplified on slope stability analysis and ground-structure interaction, Chalmers university of technology, Göteborg, 1998, 242 pages.

CRUDEN D.M., Estimating the risks from landslides using historical data, Proc. of the int. workshop on lands- lide risk assessment (Honolulu),1997, pp. 177-183.

DUBAND D., Les aléas extrêmes de crues et d’inondations. Colloque Risque et génie civil, Presses de l’ENPC, 2000, pp. 229-254.

DUNCAN J.M., Factors of safety and reliability in geotechnical engineering,o J. of geotechnical and geoenviron- mental engineering, vol. 126, 4, 2000, pp. 307-316.

EVANS S.G., Fatal landslides and landslide risk in Canada, Proc. of the int. workshop on landslide risk assess- ment (Honolulu),1997, pp. 185-196.

FAVRE J.-L., BRUGNOT G., GRÉSILLON J.-M., JAPPIOT M., Évaluation des risques naturels : une approche probabiliste ? Techniques de l’ingénieur,1998, chapitre C 3, 295, 34 pages.

FELL R., HARTFORD D., Landslide risk management, Proc. Int. Workshop on Landslide Risk Assessment (Honolulu),1997, pp. 51-109.

FINLAY P.J., FELL R., MAGUIRE P.K., The relationship between the probability of landslide occurrence and rainfall,Can. Geotech. J.,34, 1997, pp. 811-824.

HANTZ D., DUSSAUGE-PEISSER C., JEANNIN M., VENGEON J.-M., Danger d’éboulement rocheux : de l’opi- nion d’expert à une évaluation quantitative, Symposium Geomorphology : from expert opinion to modelling, Strasbourg, 2002.

HO K., LEROI E., ROBERDS B., Quantitative risk assessment : application, myths and future direction, GeoEng2000, 19-24 November 2000, Melbourne, Australie.

LEROI E., FAVRE J.-L., REZIG S., Cartographie de l’aléa mouvements de terrain par statistique sous SIG, Revue française de géotechnique,95-96, 2001, pp. 155-163.

LONDE P., Évaluation de la stabilité des fondations rocheuses, Actes du colloque Mécanique et géotechnique (Jubilé scientifique de P. Habib), 1998, Paris.

MAGNAN J.-P., SÈVE G., POUGET P., Quelques spécificités de l’analyse de risque pour les ouvrages de géo- technique, Proc. Int. Symp. Hard soils – Soft Rocks, Napoli, Balkema, vol. 2, 1998, pp. 1109-1116.

MAÏOLINO S., FAURE R.M., Utilisation des ensembles flous en géotechnique, Actes des Journées nationales de géotechnique et de géologie de l’ingénieur (JNGG 2002), Nancy. 2002, CD-Rom édité par l’Institut polytechnique de Lorraine.

MATHERON G., Estimer et choisir, Cahier du Centre de morphologie mathématique de Fontainebleau, fascicule7,1978, 175 pages.

Remerciements : l’auteur remercie M. Pruvost et M. Viktorovitch, du CETE de Lyon, pour leurs remarques et critiques sur le texte, et J.-C. Romagny, du CETE de Lyon, pour la réalisation des calculs de trajectographie.

(15)

17 RECORDON E., Méthodes probabilistes en géotechnique, Publications de la Société suisse de mécanique des

sols et des roches, Journée d’étude, 4/5 oct. 1985, Lausanne. pp. 25-30.

VAN BECK L.P.H., VAN ASCH T.W.J., Quantification of diffuse landsliding by derivation of a general hyrolo- gical slope instability threshold, 8e Congrès international de l’AIGI, Vancouver. Balkema, 1998, pp. 899-906.

VENGEON J.-M., HANTZ D., DUSSAUGE C., Prévisibilité des éboulements rocheux. Approche probabiliste par combinaison d’études historiques et géomécaniques, Revue française de géotechnique,95/96, 2001, pp. 143-154.

Références

Documents relatifs

- une activité dans laquelle les états mentaux comme les intentions, les représentations, les croyances, les différentes émotions des enseignants et des

Cette , étude nou:s fait prendre clairement conscience de principales attentes des sujets enquêtés lors de P usage du dictionnaire de langue dans l'apprentissage

Le recours à l’interprétariat linguistique dans le domaine de la santé garantit, d’une part, aux patients/usagers les moyens de communication leur permettant

Cette tendance générale à « l’agencification », pour reprendre ici le néolo- gisme proposé par le Professeur Jacques Chevalier, est le fruit d’un mouve- ment d’idées né dans

Au début de l'année 1987, les entreprises ci-après désignées ont appliqué le tarif de 140 F : Auto- école Burlion, Auto-école Buffalo, Auto-école Butte-Rouge

Considérant, dès lors, que les pièces irrégulièrement saisies ne sauraient être retenues comme moyens de preuve des concertations relevées dans le rapport d'enquête administrative

Considérant que, par la lettre susvisée, le ministre chargé de l'économie a saisi le Conseil de la concurrence de la situation de la concurrence dans le secteur de la conduite

Considérant, ainsi que le font valoir les sociétés Carrefour France, Comptoirs modernes et Sodichar que les enquêteurs, qui avaient présenté l'objet de leur visite dans les