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Les éleveurs ont l’herbe des mauvais jours
Pascal Carrère
To cite this version:
Pascal Carrère. Les éleveurs ont l’herbe des mauvais jours. La Montagne et Alpinisme, Fédération Française des clubs alpins et de montagne, 2013. �hal-02642089�
LA MONTAGNE MARDI 28 MAI 201311
dossier
Pdd
Météo
CONSÉQUENCES■Froid, pluie et neige dégradent la qualité des prairies et compromettent les productions
Les éleveurs ont l’herbe des mauvais jours
Jeanne Bernardon locale@centrefrance.com
L
a neige se met à tournoyer audessus des toits de la ferme. Le chien, moins valeureux sans ses poils d’hiver, s’abrite. Nous sommes le 24 mai. Comme Thierry Barthomeuf, éleveur de bovins à Fontanas, sur la commune d’Orcines, les éleveurs sont tous concer
nés par le mauvais temps qui persiste. « L’an dernier, à cette époque, nous avi
ons déjà fait un tiers du foin », indique le jeune agriculteur.
Piétinement des sols, danger !
En altitude, le froid a tout anesthésié. L’herbe n’y pousse pas. Tandis qu’il neige sur les hau
teurs, plus bas, les terres en pâturage se gorgent d’eau. Trop.
« En plaine, les plantes fourragères ont déjà épié.
Passé ce stade, l’herbe ne vaut plus rien, même pas de la paille », constate Jean Zapata, conseiller fourrager à l’Établissement départemental de l’éleva
ge (EDE) du PuydeDôme et intervenant à la Cham
bre départementale d’agri
culture.
Noyée, l’herbe perd ses vertus nutritionnelles (voir encadré). Pour maintenir
une qualité de production, beaucoup d’éleveurs ont recours aux compléments alimentaires à base de cé
réales, de colza, entre autres, pour nourrir leurs bêtes. Les coûts de pro
duction augmentent en conséquence. « Il est dur d’évaluer combien ça nous coûte car on com
plète au cas par cas. Tout ce que je sais c’est qu’il en faut une bonne quantité pour compenser la piètre qualité de l’herbe », avan
ce Serge Charret, produc
teur laitier à Enval, près de Riom.
La météo de ce prin
temps a d’autres effets pervers sur l’élevage. Par
tout, les vaches sont en train de défoncer les sols.
« À force de piétiner dans la boue, c’est la structure même du sol qu’elles abî
ment. Or si le sol n’est pas abîmé la végétation re
poussera et se régénérera, lorsque les conditions re
deviendront plus sèches.
Même si des zones sont
abîmées, il ne faut surtout pas retourner les prairies mais leur laisser le temps de se refaire », avertit Pas
cal Carrère, directeur de l’Unité de recherche en écosystème prairial, à l’Inra.
Quelle solution ? Rentrer les troupeaux ? « Non, ça ferait trop d’écart de tem
pérature, les veaux tombe
raient malades. J’en ai déjà un qui a pris froid », témoigne Thierry Bartho
meuf. « Dans l’urgence, l’une des solutions est de
faire du déchargement, il faut veiller à ne pas défon
cer la parcelle. Lorsque les conditions permettront la pousse, il faudra exploiter au mieux en consommant l’herbe produite, quitte à isoler une partie de la par
celle pour faire une fauche et constituer les stocks.
Ensuite les animaux pour
ront consommer ces re
pousses », préconise le chercheur.
En montagne, « rien n’est perdu », rassure Jean Za
pata. Les espèces tardives ne sont pas encore mon
tées en épi. Simplement, il ne faudrait pas que la mé
téo persiste dans ses ca
prices. « Si la pluviométrie se maintient, l’herbe trop haute finira par se cou
cher et pourrir au sol », craintil.
Dans le cas contraire, si les températures décollent d’un coup et la végétation explose, les éleveurs de
vront se montrer réactifs au fauchage et à l’ensilage, pour éviter les pertes.■
Le ciel déverse des litres d’eau et c’est toute la filière de l’élevage qui trinque. En montagne comme en plaine, les agriculteurs crai- gnent pour leur activité si la météo ne s’améliore pas.
État des lieux.
INCERTITUDES. Les conditions météo retardent l’activité des éleveurs en montagne. En plaine, les vaches broutent une herbe de bien piètre qualité sur un sol saturé en eau. PHOTO D’ILLUSTRATION PHILIPPE BIGARD
« Quand elles ont les pieds dans l’eau, les plantes s’asphyxient »
Pascal Carrère est directeur de l’Unité de recherche sur l’écosystème prairial, à l’Inra (site de Crouël à Clermont-Ferrand).
Son unité s’attache à la compréhension de l’éco
système prairial et l’inte
raction herbeanimal.
En plaine, l’herbe est pré- sente en quantité. Mais en qualité ? Quand il pleut beaucoup, comme en ce moment, l’herbe pousse bien, si les températures ne sont pas trop basses.
Mais jusqu’à un certain seuil.
Une plante qui a les pieds dans l’eau s’as
phyxie. On appelle ce phé
nomène l’anoxie.
La saturation du sol en eau empêche donc les ra
cines des plantes d’avoir
une bonne activité. C’est
àdire de puiser les matiè
res minérales qui seront
ensuite absorbées par les animaux. Également, avec l’absence de soleil, la
plante manque d’énergie pour la photosynthèse. En montagne s’ajoute un
autre facteur : le froid. Il entraîne des retards de croissance.
Dans quelle mesure la viande et le lait produits s’en trouvent affectés ? L’animal puise ses nutri
ments et son énergie dans l’herbe qu’il ingère. Les éléments nutritifs qu’elle contient déterminent la qualité de la viande et du lait produits.
Concrètement, ce sont les protéines ou les matiè
res grasses qui donnent le goût et la qualité des pro
duits (saveur, flaveur) mais également leur inté
rêt nutritionnel. Or, avec toute cette pluie, la teneur en matière sèche de l’her
be est plus faible.
L’herbe ingérée est trop riche en eau, ce qui peut encombrer la panse des ruminants et les rendre malades.■
NUTRIMENTS. La qualité de la viande et du lait est directement liée à celle de l’herbe. PHOTO D’ILLUSTRATION PHILIPPE BIGARD