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Peut-on réinventer technologiquement la confiance ? La blockchain ou les ambiguïtés de la transaction dématérialisée

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: halshs-01824530

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01824530

Submitted on 27 Jun 2018

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Peut-on réinventer technologiquement la confiance ? La blockchain ou les ambiguïtés de la transaction

dématérialisée

Thierry Ménissier

To cite this version:

Thierry Ménissier. Peut-on réinventer technologiquement la confiance ? La blockchain ou les am- biguïtés de la transaction dématérialisée. 2018, pp.93693. �halshs-01824530�

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Peut-on réinventer technologiquement la confiance ? La blockchain ou les ambiguïtés de la transaction dématérialisée

Version papier d’un texte paru dans The Conversation le 3 mai 2018

https://theconversation.com/la-blockchain-peut-on-reinventer-technologiquement-la- confiance-93693

Thierry Ménissier

Sur le Net, on reconnaît une innovation socialement prometteuse à ceci qu’elle engendre de nouvelles images, et laisse espérer l’émergence d’un nouvel imaginaire pertinent pour encadrer nos usages désorientés. A cet égard, l’essor de la blockchain ravit l’observateur au vu des efforts réalisés pour imager ce dont il est question, à savoir un transfert de confiance. Et d’ailleurs, la difficulté est réelle, car comment imager une relation psychologique et sociale aussi fondamentale – et à plus forte raison comment imager sa ré-institution par une nouvelle technologie ?

Par blockchain, on entend une technologie de stockage et de transmission d’informations transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle, et, par extension, une base de données qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création, sécurisée et distribuée, partagée par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire, ce qui permet à chacun de vérifier la validité de la chaîne, apparue en 2008. Les transactions se trouvent donc validées par une chaine numérique. La blockchain peut être publique ; chacun peut la lire et l’utiliser pour réaliser des transactions ou encore participer au processus de création du consensus. Il n’y a donc pas de registre central, ni de tiers de confiance, et les nœuds du réseau valident les choix discutés et initiés par les développeurs en décidant d’intégrer ou non les modifications proposées. Ou bien elle peut être privée (ou semi-privée) : le processus de consensus ne peut être réalisé que par un nombre limité et prédéfini de participants, et l’accès d’écriture se trouve délivré par une organisation où les autorisations de lecture peuvent être publiques ou restreintes

Pour de nombreux observateurs, ces innovations paraissent tellement radicales (on parle d’une révolution dans les échanges comparable à celle qu’on a connu, pour la communication, lors de l’invention d’Internet) qu’elles conduisent vers l’idée que quelque chose d’aussi important pour l’humain que la confiance se trouverait réinventée, ou rénovée, réanimée. Tâche cardinale s’il en est à une époque où elle paraît en souffrance. A cet égard, la promesse qui se trouve miroitée s’avère en effet considérable.

Deux transformations, ou une seule ?

Si l’essor de la blockchain semble à ce point bouleversant, c’est qu’elle vient bien transformer deux ordres de faits d’une importance considérable pour toute société humaine. La première transformation, économique, est celle des modes matériels de

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transaction ; la seconde, politique, est celle qui voit des réseaux privés se substituer l’action des institutions, qui auparavant proposaient une régulation à la fois publique et centralisée.

Concernant la première transformation, la blockchain, qui sert notamment de ressort à l diffusion du bitcoin, achève le processus de dématérialisation de la monnaie débuté il y a très longtemps, et du coup elle interroge les raisons d’être et les fondements de cette dernière. Revenons en arrière, on se souvient que la question de l’apparition des échanges monétaires est classiquement discutée à partir d’une alternative célèbre sur le plan philosophique : la monnaie se serait imposée comme outil de transaction privilégiée ou bien du fait de la volonté de simplifier les échanges par rapport au troc (c’est la thèse émise par John Locke à la fin du XVIIème siècle), ou bien dans le but d’imposer une souveraineté politique (c’est ce que suggérait Aristote dans l’Antiquité).

Or, considérons la numismatique : cet examen ne permet pas de trancher l’alternative, il consacre même l’ambigüité. En effet, dans leur très grande diversité, les monnaies apparaissent à la fois comme un instrument de paiement et un moyen d’échange (la conversion monétaire constituant une des bases de la relation entre étrangers et de la diplomatie informelle courante), comme l’étalon de l’échange, comme l’expression du pouvoir (car toutes les souverainetés ont frappé monnaie, assurant ainsi leurs conquêtes territoriales), enfin comme marqueur civilisationnel (quoi de mieux qu’une devise pour identifier les valeurs partagées par un groupe humain ?).

La blockchain paraît simplifier de telles ambigüités autrefois indépassables, en se constituant comme le ressort pour des monnaies électroniques qui se situent littéralement au-delà d’elles. Mais elle vaut également comme un principe possible pour toutes les transactions contractuelles qu’on veut les plus sécurisées possibles. Ainsi, les smart contracts, ces protocoles informatiques qui exécutent automatiquement les termes d’un contrat ; l’objectif de ces dispositifs est de satisfaire les conditions contractuelles, comme les termes du paiement ou ceux de la livraison, mais aussi ceux de la confidentialité, et même de l’exécution des obligations réciproques. Par suite, le caractère numérique et automatisé du contrat permet à deux partenaires de nouer une relation commerciale sans qu’ils aient besoin de se faire confiance au préalable, sans autorité ou intervention centrale. C’est le système lui-même, et non ses agents, qui garantit l’honnêteté de la transaction. Incorporés dans des objets physiques, ces contrats offriraient la possibilité, par exemple, de rendre le contrôle à la banque d’un véhicule acheté avec un crédit si l’emprunteur ne payait pas une mensualité.

Ainsi entendu, la blockchain constitue un système qui contraint les sociétés à accélérer un processus de dématérialisation et d’automatisation des transactions débuté il y a très longtemps. Mais en tant que telle, elle induit un effet aggravant sur la seconde transformation, la transformation politique, puisque de tels procédés engendrent par exemple une déterritorialisation des monnaies souveraines qui provoque de sérieuses brèches dans le monopole des Etats. Ainsi que le prédisait dès 2002 Benjamin Cohen avec une certaine justesse, bientôt « le monde [peut revenir] à l’époque où les monnaies

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circulaient largement sans tenir compte des frontières et où les monnaies privées étaient courantes. Que cela leur plaise ou non, les gouvernements n’auront guère le choix, et ils devront envisager de nouveaux instruments de politique, s’ils souhaitent continuer à pouvoir influencer la situation macroéconomique de leur pays. » (« Monnaie électronique : un jour nouveau ou une aube trompeuse ? », L'Économie politique 2002/2, n° 14).

Quels changements pour l’économie psychique ?

Plus récemment, on a pu souligner les conditions ambiguës de ce dépassement, ainsi Sandra Moatti déclare-t-elle à propos d’une des monnaies virtuelles : « Dans l’idéologie libertarienne qui anime nombre de promoteurs du bitcoin, la défiance généralisée envers les lois et les institutions a pour contrepartie une confiance aveugle dans le code » (« Technologies de la confiance », L'Économie politique 2017/3, n° 75).

Il existe un lien étroit entre ces trois sphères que sont les modalités concrètes de l’échange marchand (troc, monnaies en métal précieux, papier-monnaie, enfin dématérialisation des transactions), les effets socio-politiques de l’échange, et enfin la qualité humaine de cet échange, sa valeur en termes de civilisation ou de civilité (oui, la civilité commerciale est possible !). Dans le système monétaire qui était le nôtre et qui est en voie de dépassement, l’échange monétaire en espèces sonnantes et trébuchantes puis en papier-monnaie était devenu le lien social primordial ; c’est à partir de lui qu’on organisa les rapports politiques interpersonnels dans un cadre contractuel. Il faut faire l’hypothèse que les changements en cours dans notre économie matérielle correspondent à des changements dans l’économie libidinale et par suite pour notre santé psychique.

La généralisation du papier monnaie a été rendu possible par une armature de confiance liant la croyance en un signe (le billet de banque), c’est-à-dire l’adhésion à une valeur purement symbolique et le cadre politique de l’Etat. Selon la psychanalyste Ilana Reiss- Schimmel, « accepter ce que représente le signe et lui faire confiance – on parle à juste titre de monnaie fiduciaire – suppose que soit acquise une qualité de travail psychique où la représentation des bons objets internes est fiable, sans quoi la suspicion et la méfiance empêcheraient le fonctionnement du système. Dans une perspective psychanalytique, le fait d’évoluer vers ce système et de pouvoir s’y inscrire exige une structure du Moi souple et solide à la fois. Le recul historique de la nécessité de lier l’être à son avoir, de la nécessité d’affecter à l’argent un support de valeur propre sous forme de substance précieuse, n’aurait pu se faire sans que la sphère psychique évolue.

L’avènement d’un tel système requiert par exemple que soit bien établie la représentation de l’absence. Il faut en effet que l’appareil psychique soit en mesure de supporter un système moins sécurisé, susceptible de provoquer des sentiments de précarité et d’incertitude, où ce qui a été tenu pour inébranlable devient aléatoire et où la relativité est le seul absolu puisque la valeur de la marchandise ne se mesure que par rapport à une autre. » (« La fonction symbolique de l'argent », Dialogue 2008/3, n° 181).

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Les promesses de la blockchain, l’émotion engendrée par cette innovation apparaissent comme le revers d’une défiance envers les autorités traditionnelles de régulation monétaire (Etat, banques), détrônant même les tiers de confiance (tels que les notaires).

Pour que ce type de sentiment soit possible, un autre étayage s’avère nécessaire, et c’est celui proposé par la machine. The Economist titrait récemment que la blockchain est synonyme de « Trust Machine », machine de confiance ou machine à confiance, ce que Sandra Moatti dans l’article cité plus hait interprétait comme l’apparition de

« Technologies de la confiance ».

Réinvention de la confiance ou projection fantasmatique dans l’illusion moderne ? Dans une contribution importante, le sociologue Louis Quéré estimait qu’« il n’est pas sûr qu’il y ait un sens à parler de confiance lorsqu’il s’agit de se fier à la stabilité de l’environnement ou à la régularité de comportement de ses objets. En effet, le cas paradigmatique de la confiance est celui d’une relation de confiance entre deux personnes. Les traits caractéristiques de la confiance se maintiennent-ils hors de ce contexte ? Il est possible que nous commettions un abus de langage lorsque nous parlons de faire confiance à un objet ou à une institution. » (« La structure cognitive et normative de la confiance », Réseaux 2001/4, n°108). A plus forte raison, peut-on parler de confiance lorsqu’on se fie à un ensemble de machines coordonnées ? Avec la blockchain, derrière la supposée réinvention de la confiance, n’est-on pas en train de verser une nouvelle fois dans l’illusion moderniste par excellence – l’humain cède sa place à la machine, avec d’autant plus d’enthousiasme que celle-ci paraît le soulager de ses rôles embarrassants (administrateur et politique, banquier et notaire – autant de rôles de fait à forte contrainte en termes de responsabilité) ? Illusion tentante, mais extrêmement périlleuse, car, sous couvert de gains en efficacité et en confort, elle fait courir le risque aux humains de perdre la main sur leur destin.

Tel n’est peut-être pas le cas. Dans un rapport paru en juin 2016, commandé par la Fondapol et intitulé « La blockchain, ou la confiance distribuée », Yves Caseau et Serge Soudoplatoff estiment que « le troisième et dernier pilier de la blockchain, le consensus distribué, est un algorithme qui est en fait la solution d’un problème amusant : celui des généraux byzantins. » Ce problème, classique, évoque l’attaque coordonnée d’une place- forte par plusieurs armées séparées, et traite de la coordination de l’information – étant entendu que l’action de « traitres » peut entraver cette dernière. « Jusqu’à l’invention de la blockchain, la doxa disait que le consensus entre les généraux ne pouvait être obtenu qu’avec l’aide d’une autorité centrale qui coordonnait l’ensemble : autorité supérieure ou tiers de confiance. La grande nouveauté algorithmique de la blockchain est de proposer une solution pour obtenir un consensus sans avoir besoin de cette autorité. La solution, trouvée par l’inventeur du bitcoin, est la suivante : chaque général ne peut envoyer qu’un seul ordre à la fois, qui est horodaté. Mais, surtout, les ordres sont concaténés les uns aux autres, puis cryptés, formant une chaîne stockée dans un « grand livre de transactions », lequel est redistribué à tous les généraux. » (p. 18). En d’autres termes, dans la blockchain, il y a bel et bien réinvention de la confiance, puisque la

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validité d’une transaction dépend du « consensus distribué », c’est-à-dire de l’activité de chaque « mineur » qui code les transactions.

Au final, l’apparition de la blockchain déplace (et ne règle nullement) les difficultés classiques du monde moderne : il s’agit en même temps d’assumer le besoin d’accélérer toujours davantage les transactions financières, celui d’assurer la traçabilité et la pérennité des contrats et de la certification des produits et des services, enfin celui de gérer les informations sensibles. Equation toujours complexe, rendue encore plus ardue par la dimension non-officielle des transactions…qui peut favoriser le trafic maffieux, comme on l’a par exemple constaté à l’automne 2013 avec la fermeture du site Silk road, qui recouvrait un marché noir sur Internet assurant l'anonymat à la fois des acheteurs et des vendeurs dans le cadre de vente de produits dangereux et illicites, notamment des stupéfiants (voir Alan Ouakrat, « Une analyse sociotechnique d’un type d’usage du bitcoin : le crypto-marché SilkRoad », Revue Banque & Droit, 2015, n°159).

La question de la valeur réelle de cette nouvelle technologie peut donc se reposer en des termes éthiques et politiques plutôt que technologiques. Mais qu’est-ce qui garantit à une institution d’être réellement juste ? Le débat est ouvert depuis longtemps, ainsi que le soulignait avec justesse (et finalement aussi avec une forme d’impertinence) quelqu’un d’assez autorisé pour poser ce genre de question, à savoir, Augustin d’Hippone – qui fut tout de même, un des Pères fondateurs de l’Eglise catholique. Vers 400 après J.C., le philosophe signalait dans une page célèbre que le défi ici proposé revient à pouvoir déterminer en quoi les dispositions internes qu’adopte une bande de brigands sont éthiquement inférieures à celles prônées par une souveraineté établie comme celle de l’empereur Alexandre. Question au demeurant toujours ouverte dans le cadre des Etats de droit d’aujourd’hui, et que les citoyens actifs auront à cœur d’interpréter comme cruciale pour leurs libertés.

« Que sont les empires sans la justice, sinon de grandes bandes de brigands ? De même, une bande de brigands est-elle autre chose qu’un petit empire, puisqu’elle forme une espèce de société gouvernée par un chef, liée par un contrat, et où le partage du butin se fait suivant certaines règles convenues? Que cette troupe malfaisante vienne à augmenter en se recrutant d’hommes perdus, qu’elle s’empare de places pour y fixer sa domination, qu’elle prenne des villes, qu’elle subjugue des peuples, la voilà qui reçoit le nom de royaume, non parce qu’elle a dépouillé sa cupidité, mais parce qu’elle a su accroître son impunité. C’est ce qu’un pirate, tombé au pouvoir d’Alexandre le Grand, sut fort bien lui dire avec beaucoup de raison et d’esprit. Le roi lui ayant demandé pourquoi il troublait ainsi la mer, il lui repartit fièrement « Du même droit que tu troubles la terre.

Mais comme je n’ai qu’un petit navire, on m’appelle pirate, et parce que tu as une grande flotte, on t’appelle conquérant ». »

Augustin d’Hippone, La Cité de Dieu, livre IV, chap. 9.

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