0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 29 janvier 2014 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 29 janvier 2014 245 présentation clinique
Une femme de 38 ans, atteinte d’un can
cer du sein diagnostiqué trois ans plus tôt, métastatique au niveau osseux, est actuellement traitée par chimiothérapie hebdomadaire de Taxol. Elle se plaint de douleurs lombaires d’apparition récente, évaluées à 45/10 sur l’échelle visuelle analogique, sans irradiation. L’anamnèse révèle également des brûlures au niveau des doigts, à 3/10. L’examen clinique met en évidence une douleur à l’ébranle
ment de L3, une hypoesthésie et une allodynie de l’extrémité des doigts. Le bilan scanographi que révèle une nouvelle métastase localisée au niveau de L3.
Jusqu’ici asymptomatique, la patiente ne prenait aucun antalgi que. Elle est sous traitement de duloxétine pour un état anxiodépressif.
Quel(s) médicament(s) antalgique(s) pres crivezvous à cette patiente ?
commentaires
Comme souvent lors de cancer métasta
tique, les douleurs de cette patiente sont mixtes, inflammatoires et neuropathiques, ces dernières dans un contexte de polyneu
ropathie périphérique chimioinduite.
Douleurs inflammatoires
Les douleurs inflammatoires répondent bien aux trois paliers de l’OMS, largement validés.1 Compte tenu de leur caractère modéré chez cette patiente, un palier deux ou trois (figure 1) peut être envisagé. A doses équianalgésiques, aucun opioïde n’est su
périeur à un autre en termes d’antalgie ou d’effets secondaires. Le médicament sera donc choisi sur la base de ses propriétés pharmacocinétiques.2 Chez cette patiente, le tramadol est déconseillé au vu d’un risque accru de syndrome sérotoninergique, lié à la prise concomitante de duloxétine.3 Les antalgiques sont associés à un bisphospho
nate ou au dénosumab, qui ont démontré
un effet antalgique modeste à modéré en plus de leur action préventive sur les acci
dents osseux.4 Enfin, les approches non pharmacologiques, notamment la radiothé
rapie et la cimentoplastie, doivent être con
sidérées.
Douleurs neuropathiques
Les douleurs neuropathiques toutes ori
gines confondues sont difficiles à soulager, 30% d’entre elles ne répondant pas à l’ap
proche pharmacologique. Elles nécessitent le recours aux opioïdes forts à doses éle
vées et/ou à divers coanalgésiques, notam
ment les anticonvulsivants, les antidépres
seurs tricycliques, les inhibiteurs de la re
capture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA), la lidocaïne, les corticostéroïdes 5 et, lors de douleurs réfractaires, à l’antalgie interventionnelle. A ce jour, aucun médica
ment n’a démontré une efficacité avérée sur les douleurs consécutives à une poly
neuropathie périphérique chimioinduite.6 La combinaison de divers agents, y compris topiques tels que la lidocaïne, est souvent nécessaire.
implicationspratiques
• Une évaluation rigoureuse des diverses douleurs et de leurs mécanismes est la pierre angulaire d’une bonne antalgie. Cette évaluation doit se répéter régulièrement tant que l’antalgie n’est pas satisfaisante ou les effets secondaires insuffisamment contrôlés
• La grande majorité des douleurs secon
daires à un cancer avancé nécessitent des opioïdes forts. Il n’existe pas un opioïde su
périeur à un autre en termes d’antalgie ou d’effets secondaires. Il s’agit de trouver le médicament le plus efficace avec le meilleur profil de tolérance. Cela peut nécessiter divers essais thérapeutiques (rotation)
• La réponse aux opioïdes forts est varia
Cancer, douleur et traitement
Quadrimed 2014
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 245-6
C. Mazzocato
Dr Claudia Mazzocato Service de soins palliatifs Département de médecine interne CHUV, 1011 Lausanne
claudia.mazzocato@chuv.ch
Figure 1. Traitement de la douleur cancéreuse
(Modifiée sur la base des recommandations du groupe ESMO : gestion de la douleur cancéreuse7).
Fortement recommandé
Fortement recommandé
Réévaluation régulière de la douleur cancéreuse. Utiliser des doses de réserve (entredoses). Si douleur non contrôlée, passer au prochain palier
Réévaluation régulière de la douleur cancéreuse. Utiliser des doses de réserve (entredoses). Si douleur non contrôlée, passer au prochain palier
Augmenter les doses d’opioïde chaque jour sur la base des réserves utilisées jusqu’au contrôle de la douleur ou l’apparition d’effets secondaires Modification de la voie d’administra-
tion ou rotation à un autre opioïde, à doses équi-analgésiques.
Traitement symptomatique des effets secondaires
• Réévaluer l’intensité de la douleur et ses causes
• Considérer le type et/ou doses des coanalgésiques
• Considérer une rotation opioïde (type d’opioïde ou modalité d’administration)
• Considérer une antalgie interventionnelle
Considérer les coanalgésiques, tels que les corticostéroïdes, les anticonvulsivants, les antidépresseurs, les bisphos- phonates, etc., à tous les paliers au besoin
Considérer les autres approches :
• Traitement anticancéreux : chimiothérapie, hormonothérapie, radiothérapie externe, radio-isotopes, chirurgie
• Techniques anesthésiologiques, neurolytiques, neurochirurgicales
• Thérapies physiques : vertébroplastie, stimulation électrique transcutanée (TENS), acupuncture, réhabilitation, physiothérapie
• Prise en charge des autres aspects de la souffrance susceptibles d’aggraver la douleur : autres symptômes physiques, détresse psychologique, problématiques familiales, sociales, financières, légales, facteurs culturels, détresse existentielle, spirituelle
Toujours utiliser les doses de réserve pour les douleurs incidentes
Opioïdes faibles w paracétamol/AINS Faiblement recommandé
Paracétamol/AINS
Douleurs légères/
modérées Douleurs légères
Douleurs modérées/fortes
Palier 1
Palier 3
Effets secondaires
Douleurs persistantes Palier 2
Opioïdes forts w paracétamol/AINS
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246 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 29 janvier 2014 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 29 janvier 2014 0 ble d’un individu à un autre, indépendamment
de la gravité des lésions et du pronostic de la maladie. Il n’y a pas de «dosage standard»
• Les douleurs neuropathiques sont diffi
ciles à soulager. En cas d’échec thérapeu
tique, il est important de référer rapidement le patient à une équipe de soins palliatifs ou d’antalgie interventionnelle. Le risque de chronicisation de ce type de douleurs est élevé
• Si la douleur oncologique répond géné
ralement de manière satisfaisante aux trois paliers recommandés par l’OMS, il ne faut pas oublier l’apport des coanalgésiques et des approches non pharmacologiques
• Douleur et souffrance sont étroitement intriquées. De nombreux autres symptômes physiques et psychologiques, difficultés fa
miliales, financières et existentielles peuvent amplifier l’intensité de la douleur. Il ne s’agit pas pour autant de psychologiser la dou
leur mais de prendre en compte les autres facteurs qui peuvent y contribuer
point controversé
Le palier 2 de l’OMS, faisant appel aux opioïdes faibles tels que la codéine et le tra
madol, est controversé :7
• Des métaanalyses comparant le para
cétamol ou les AINS aux opioïdes faibles montrent une différence nulle ou modeste en termes d’efficacité antalgique
• Des études non contrôlées montrent que la durée de traitement par opioïdes faibles ne dépasse pas 30 à 40 jours du fait d’une antalgie insuffisante. Les opioïdes forts à faibles doses seraient plus efficaces et tout aussi bien tolérés en termes d’effets secon
daires que les opioïdes faibles
• Plusieurs études pointent sur les effets secondaires du tramadol et ses interactions médicamenteuses
• L’effet antalgique de la codéine est lié à sa biotransformation hépatique en morphine par le cytochrome 2D6. Si celuici est inhibé par des inhibiteurs du CYP ou génétique
ment absent (7% de la population cauca
sienne), la codéine est inefficace
Bibliographie
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7 Ripamonti CI, Santini D, Maranzano E, Berti M, Roila F, on behalf of the ESMO Guidelines Working Group.
Management of cancer pain : ESMO clinical practice gui- delines. Ann Oncol 2012;23(Suppl. 7) :vii139-54.
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