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Mort médicalisée : la France n’est pas une île

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2410 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 12 décembre 2012

actualité, info

Mort médicalisée : la France n’est pas une île

Voici un document important. Il marque une nouvelle étape dans la réflexion contempo­

raine sur la fin de la vie humaine et ce qu’il est convenu d’appeler sa «médicalisation» ; du moins depuis que le médecin a pris la place du prêtre au chevet des mourants. Pour une fois, la France rompt avec son étrange appétence pour des débats éthiques sans fin d’où les chiffres sont absents. C’est, à ce titre, une étape importante dont on peut espérer qu’elle fera date dans l’Hexagone. On obser­

vera enfin incidemment que cette démarche précède la remise au président de la Répu­

blique française d’un rapport sur ce thème mené au terme d’une enquête décentralisée, menée par le Pr Didier Sicard, interniste protestant, ancien président du Comité na­

tional d’éthique.

Ce document est le fruit d’une enquête de l’Institut national (français) des études dé­

mographiques (INED), menée en lien avec l’Observatoire national (français) de la fin de vie (ONFV). Il conclut que, dans ce pays, près de la moitié des décès (48% en 2010) est précédée d’une décision médicale «ayant pu hâter la mort du patient en fin de vie». «Le plus souvent, les traitements n’ont pas été administrés dans l’intention de provoquer la mort, résument ses auteurs. Il s’agit de décisions destinées à intensifier le traitement de la douleur (27%), à ne pas instaurer un traitement susceptible de prolonger la vie (14%) ou à arrêter un tel traitement (3%) jusqu’alors dispensé. Des médicaments ont été donnés afin de mettre délibérément fin à la vie dans seulement moins de 1% des cas.»

Les résultats de cette étude sont publiés dans une revue spécialisée 1 et, pour un plus large auditoire, repris dans celle de l’INED.2 Elle a porté sur un échantillon de 14 999 dé­

cès de personnes âgées de 18 ans et plus, représentatif des 47 872 décès survenus en France en décembre 2009. L’enquête a con­

sisté à interroger dans chaque cas le méde­

cin ayant rempli le certificat de décès. Le questionnaire comportait une centaine de questions sur les conditions dans lesquelles la personne avait fini sa vie : décisions prises en fin de vie, recours ou non aux soins pal­

liatifs, mise en œuvre des dispositions rela­

tives à la personne de confiance, etc.

Au total, 14 080 questionnaires ont été en­

voyés à 11 828 médecins certificateurs, 5217 questionnaires ont été reçus en retour, soit point de vue

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… Les décisions de fin de vie ne sont pas suffisamment discutées avec les patients …

Mort médicalisée : la France n’est pas une île

un taux global de participation de 40%. Un contrôle a vérifié l’absence de biais. Au final, les résultats de l’étude reposent sur 4891 dé­

cès. «Les décisions prises s’appuient donc dans leur grande majorité sur les dispositions de la loi Leonetti qui permet, sous certaines conditions, de limiter ou d’arrêter un trai­

tement, ou d’administrer des médicaments afin de soulager les souffrances du patient», soulignent les auteurs de ce travail, dirigés par le Dr Régis Aubry, président de l’ONFV.

Il faut ici rappeler qu’en France, la loi du 22 avril 2005 «relative aux droits des malades et à la fin de vie» (dite «loi Leonetti») a intro­

duit plusieurs dispositions essentielles dans ce domaine controversé depuis une trentaine d’années.

Cette loi reconnaît le droit pour une per­

sonne malade et soignée de refuser un trai­

tement qu’elle estime «déraisonnable» au vu des bénéfices à en attendre. Elle reconnaît aussi le droit au médecin de suspendre ou de ne pas entreprendre des «traitements inu­

tiles, disproportionnés, ou n’ayant d’autre objet que le maintien artificiel de la vie». Sur

le fond, elle renforce le principe «d’autono­

mie de la personne malade» : en pratique, un patient en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, considéré comme capable d’exprimer sa volonté, peut refuser tout traitement et le médecin a l’obli­

gation de respecter ce refus. Dans la situa­

tion où la personne malade et soignée n’est pas en état d’exprimer sa volonté, le méde­

cin peut limiter ou arrêter un traitement mais

il doit prendre en compte les directives anti­

cipées éventuelles, recueillir l’avis de la per­

sonne de confiance (si elle a été désignée) ou, à défaut, de la famille ou des proches, se concerter avec l’équipe de soins et obtenir l’avis motivé d’un autre médecin. Au final une loi d’un humanisme pragmatique mais que certains tiennent pour insuffisante.

Pour autant, sept ans après la promulga­

tion de cette loi, tout n’est pas rose en France.

L’ONFV note ainsi, usant d’un euphémis me, que la mise en œuvre de ce dispositif est en­

core très inégale. «Les décisions de fin de vie

ne sont pas suffisamment discutées avec les patients et avec les équipes soignantes : quand les personnes étaient considérées comme ca­

pables de participer à la décision, celle­ci n’a fait l’objet d’aucune discussion avec le ma­

lade dans plus d’un cas sur cinq, expliquent les auteurs. Et lorsque la personne malade était inconsciente, la décision d’arrêt de trai­

tement a été prise par un médecin seul (sans concertation avec d’autres professionnels) dans la moitié des cas. Par ailleurs, la rédac­

tion par les patients de directives anticipées reste une pratique très rare. Seulement 2,5%

des patients concernés les avaient rédigées.»

Mais qu’en est­il précisément des prati ques

d’euthanasie ? Elles sont rares, très rares. D’une part parce que les décisions (quelles qu’elles soient) avec intention de mettre fin à la vie des patients sont peu fréquentes (3,1% des décès, soit 148 cas sur 4723, dont 0,8% soit 38 cas, par administration d’un médicament létal). D’autre part, parce que seul un cin­

quième de ces décisions sont prises à la de­

mande des patients. Les actes d’euthanasie (mettre fin à la vie d’une personne malade à

sa demande) représentent 0,6% du total des décès dont 0,2% est pratiqué en adminis­

trant délibérément une substance pour met­

tre fin à la vie (onze cas). Dans ces derniers cas, trois sont définis par le médecin comme une «euthanasie», les autres étant générale­

ment considérés comme «des sédations pour détresse terminale».

Ce travail permet également de faire un travail intéressant de «retour critique sur ex­

périence médiatique». «Au­delà des quel­

ques cas d’euthanasie faisant l’actualité, qui concernent souvent des personnes jeunes

lourdement handicapées, les mé­

decins et les équipes hospitaliè­

res accompagnent cha que jour la fin de vie de patients âgés.» En d’autres termes, le traitement médiatique de quelques cas très spectaculaires ne sau­

rait résumer la réalité du quotidien. On peut prolonger ce propos : ce traitement média­

tique devrait­il guider la plume du législa­

teur si celui­ci se devait de réécrire la loi Leonetti ? Du moins la réécrire dans le sens réclamé par les militants (toujours très mé­

diatisés) de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité qui soulignent à l’envi le «retard» de la France dans ce domaine.

Retard ? Comparée aux enquêtes European End-ofLife Decision 3 et à celles réalisées plus récemment en Belgique et aux Pays­Bas, la proportion de décès pour lesquels une dé­

cision a (potentiellement ou certainement) avancé le moment de la mort (48% en France en 2010) est dans la moyenne de celle des autres pays européens. Elle est plus élevée qu’en Italie (29% en 2001) mais moins qu’aux Pays­Bas (57% en 2010) et proche de celles de la Suisse (51% en 2001) et de la Belgique (48% en 2007). En France, la pratique de l’in­

tensification du traitement de la douleur est comparable à celle observée en Belgique en 2007, mais plus élevée que dans la plupart des pays enquêtés en 2001 dans l’étude Eu­

reld. Enfin, les décisions de limitation ou d’arrêt de traitements sont aussi fréquentes qu’en Belgique et aux Pays­Bas. Ainsi donc, au bord du Styx, la France ne serait nulle­

ment une île.

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com 1 End­of­life medical decisions in France : A death certifi­

cate follow­up survey 5 years after the 2005 act of par­

liament on patients’ rights and end of life. BMC Palliat Care 2012;11:25.

2 Pennec S, Monnier A, Pontone S, Aubry R. Les déci­

sions médicales en fin de vie en France. Popul Soc 2012;

494.

3 Van der Heide A, Deliens L, Faisst K, et al. End­of­life decision­making in six European countries : Descriptive study. Lancet 2003;362:345­50.

L’Île des morts, Arnold Böcklin

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