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La minorité catholique dans la Rome protestante. : contribution à l'histoire démographique de Genève dans la première moitié du XIXe
siècle
ORIS, Michel, PERROUX, Olivier
ORIS, Michel, PERROUX, Olivier. La minorité catholique dans la Rome protestante. :
contribution à l'histoire démographique de Genève dans la première moitié du XIXe siècle. In:
Poussou, J.P. & Robin-Romero, I. Histoire des familles, de la démographie et des comportements: en hommage à Jean-Pierre Bardet . Paris : Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2007. p. 201-226
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http://archive-ouverte.unige.ch/unige:150920
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1 / 1
LA MINORITÉ CAIHOLIQUE DANS LA ROME PROTESTANTE
coNTRIBUTIoN À lHtstonp oÉIT,IoGRAPHIQUE nn, cgNÈvB DANS I-A PRrVIÈNP VOIUÉ DU XIX. SIÈCTT,'
Michel Oris & Oliuier Perroux
D éltartement d.'Histoire économique, (Jniuersité
d'e GenèueCere contribution aux Mélanges publiés en l'honneur de Jean-Pierre Bardet explore des thèmes qu'il fut I'un des premiers à creuser, en particulier la démographie des populations urbaines,
sesasPects diftrentiels, leurs interactions
avec les
migrations. Le territoire exploré est celui de Genève, une ville qui rime avec dans l'histoire de la démographie historique. Nous nous inscrivons dans
1acontinuité des efforts d'Alfred Perrenoud en reprenant Ie chantier genevois Ià où il
.l'alaissé, àl'orée duxff siècle, plus précisément durant la période qui correspond le retour au pouvoir de la bourgeoisie calviniste (1816) et
(184r-1846). En 1816, Iavieille cité-état devient un canton urbain et rural, mais surtout mêlant désormais Plotestants et catholiques.
de ces derniers met en jeu une identité séculaire. Nous étudions ie cadre dans lequel
sejoue ia confrontation, celui d'une vilie qui hésite croisée des temps, entre archaisme et modernité. Dans un deuxième temps, sources qualitatives diverses montrent comment calvinistes et catholiques Genève se sont perçus et ont vécu leur mise en présence. Il en ressort des contradictoires qui, dans une troisième partie, sont confrontées
àplusieurs de la réalité. Les discriminations sur le marché du travail peuvent être grâce à un dépouillement des recensements genevois de t9r6, t9zz, , t817 et 1843', dont nous avons extrait les quelque rz % d'individus dont le commençait par la lettre B, une stratégie heuristique qui fut inaugurée par Bardet3. Grâce à ces sources, nous poursuivons l'analyse des difftrentiels en les structures démographiques et familiales des protestants et calvinistes
Ce papier a été rendu possible par le
projet
nor:r4-o68t3.oz
du Fonds National de la Recherche Suisse. Nous remercions ce dernier,ainsi
que noscollègues qui contribuent
à cette recherche collective sur lespopulations urbaines
de Suisse romande au xtx" siècle.Le recensement de
r83r
aégalement été dépouilté, mais il est
leseul
à necontenir aucune
information sur lareligion.
iean-Pierre
Bardet,
Rouen aux xw1 et xvrrt" siècles:
lesmutations d'un
espacesocial, Paris,
Sedes-CDU,r983.
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de Genève, leurs origines et leur enracinement progressif dans la Rome calviniste.
Les recensements révèlent également l'étonnante variété et intensité des formes de cohabitation inter-reli gieuses.
UNE VILLE À
N
CNOISÉT DES TEMPS : GENÈVE5OU5
LA RESTAURATIONÀ l" fir, du >on'" siècle, habitanrs er nadfs ont violemment attaqué
1epouvoir détenu par Ie groupe héréditaire des bourgeois' En 1792, u quand le peuple devint roi , a, les vieilles familles bourgeoises calvinistes durent accepter la suppression
d"ustatut bourgeoisial, mais f instauration d'une démocratie censitaire élitiste en r8r5 leur permit, dans la Pratique' de confisquer à nouveau Ie pouvoir' Quelques réseaux familiaux entreiacés peuplaient les cercles dirigeants (Perrorx zooz). Sous la pression dei libérarx, puis des radicaux, les conservateurs Protestants ont peu
àpeu lâché du iest, notamment en réduisant le cens électoral. Mais la restauration, puis la préservation d'un ordre politique, social et religier.rx mphifié, resta I',objectif majeur jusqu aux révolutions radicales de r84r-r842 puis de 1846
5'Les radicaux reprochèrent avec véhémence aux banquiers conservateurs protestanrs d'avoir bridé la modernisation et I'industrialisation de Genève en pl"ç".rt l.rr$ capitaux ailieurs6. En raison de l'étiolement du textile qui disparaît
",ra.rt r83o, ia ville était devenue encore plus dépendante du secteul horloger à forte valeur ajoutée. La < Fabrique > réunissait les joailliers, les bijoutiers et surtout les faiseurs de montres dans un vaste réseau artisanal. Pratiquement toute la production (de l'ordre de roo ooo pièces au milieu du siècle) était
destinée alrx marchés internationaux, ce qui rendait tant cette branche d'activité' que la ville très sensibles aux aléas conjoncturels. Lisolement pesait d'autant
fl,r, qrr. Ie réseau ferroviaire n a atteint Genève qu en i858
7'À cetre économie en demi-teinte répond une croissance démographique modeste' En ryg8, Genève compte zt 327 halitants intra-muros, en 185o, la cité accueille 3I zoo personness. Cette progression' à la fois réeile et modeste dans Ie contexte
4 Éric Golay,
euand
lepeuple devint
roi :mouvement populaire, politique
etrévolution
à Genève dery89
àt7g4,Genève-Paris,
Statkine-H. Champion,zoor'
5 OfivierPerroux,Traditîon,vocatianetprogrès.LesélitesbourgeoisesdeGenève(t8t4-tgt4),
thèse dedoctorat
enHlstoire économique
etsociale, Universitê
de Genève,zooz.
6 tbid.,p.lt.
7 Antony
Babel, Lo Fabriquegenevoise,
Paris, V'Attinger'
1938'8
RetoSchumacher,
DeI'analyse classique
àI'analyse différentielle. Nuptialité, fécondité
etmortolité à
Genèvependant
Iapremière moitié du
xrx"siècle, Mémoire de
DEAen
Histoire Ârnnnminrre etcocialp. tlniversité
de Genève.zooz. p.8'9.
d'envolée urbaine qui distingue
lexnf siècle
e,même en Suisse'o, cache, plus qu elle
nerésume, un régime démographique complexe. k taux brut de mortalité
estbas
:il excède rarement les zi pour milie. La mortalité infantile, Qui
sesituait autour de 2oo pour mille entre rTSo ett799, régresse à roo/r3o pour mille dans la première moitié duxnf siècle". Lapression démographique qui résulte de
cesfaibles nivear:x
esr
cependant jugulée par la diffusion du contrôle des naissances, processus dans lequel le rôle pionnier de Genève est farneux. De 6,o7 enfants dans Ia cohorte de mariages rToo -r7o4,Iadescendance finale dtéorique
est passéeà2,9 enfants pour
lesunions conrractées pendant la première décennie du xff siècle ". Parmi les couples formés à Genève entre rSoo et r85o, la valeur moyenne
estde z.32 enfantst3. La régulation des naissances dans le mariage ne suffit cependant pas. Genève est l'un
des
très rares endroits ori, au iieu de
sesuccédet
secumulent
lescontrôles anciens et nouveatx. En effet, par rapport au Xvrl' siècle, l'accès au mariage
serestreint encore
avecun raux de célibat élwé et un fue moyen
àla première union qui recule jusqu à
z8 anspour les femmes et 30 ans pouries hommest4.
cette démographie très contrainte, qui hésite entre modernité et tradidon,
esr
inrimement liée à une écologie urbaine particulièrement densels. En i835,
laville compte en moyenn e zt,7 habitants Par maison'6. C'est qu'au cours des siècles, la
nRûme calviniste
> abâti pour
sasurvie un impressionnant système de fortifications. Ce carcan n'a cessé d'imprimer
àla population le sentiment très fort de constituer un refuge salvateur, constamment menacé par la foi catholique.
Même les conflits brutaux qui opposent natifs, habitants et bourgeois de Genève
à
la fin du xvrrt'siècle, même les Lumières révolutionnaires qui s'imposent en r7gz, fieparviennent pas
àrompre ce sentiment. Les constitutions de ry94puis
ry96 afftrment bien l'égalité de tous les citoyens, à condition cependant qu ils soient protestants
17.Ce sont ces calvinistes, soigneusement encadrés depuis
9
Voir fean-Luc Pinol,Histoire
del'Europe urbaine,
Paris,Seuil'
vo[ .2,2oo3.
ro Cf
FrançoisWalter,lasuisse urbaine, qso-Igso,Carouge-Genève,Êd.Zoé,t994.
11
Reto Schumacher, Del'analyse
classique àI'analyse différentielle..., p.98.
rz Alfred Perrenoud, ( Espacement et arrêt dans le contrô[e des naissances
>>,Annales
de Démographiehistorique,
r9BB, p.6r et p.63.
r3 RetoSchumacher,Del'analyseclassiqueàl'analysedifférentielle...,p.66.
14
Grazyna Ryczl<owsl<a, Accèsau mariage et structures de I'alliance
à Genève,ûoo-788o,
Mémoire de DEA enHistoire économique
etsociale, Université
de Genève,zoo3.
15 RetoSchumacher,Birthcontrolstrategiesandsociologicaldifferentialsinatgthcenturyurban setting.
Geneva,û00-1860, papier présenté
àla
5"Conférence Histoire,
Sciencesociaie, Berlin,z4-27 marc
2oo4.16
ÉdouardMallet,
Rechercheshistoriques
etstatistiques sur
lapopulation de
Genève,son nouvement
onnuel et saIongévité,
depuis Ie xw" siècleiusqu'à
nosiours (t54o-t855),
Genève, Renouard,t837,p.t5.
r7 Archives d'État de Genève, Constitution genevoise sanctionnée par
Lesouverain le
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des siècles par les pasreurs et d.izainiers du consistoire'8, qui voient affluer
lesimmigrés. br, .ff.t, en raison du faible excédent des naissances sur les décès'e, c'est iimmigration qui tient le rôle moteur dans la croissance démographique de la ville. Alors que ia population de Genève ne connaît qu'une progression relativement médiocre dans la première moitié du xtx'siècle, elle est Pourtant
profondément transformée dans ses structures et sa composition, car
lemalthusianisme et néo-malthusianisme des locaux est compensé par des apports migratoires bien plus massifs que ne le donnerait
àpenser la seule évoludon du chiffre giobal de la poPulation.
Cerres, ce n'esr pas exceprionnel pour Genève qui a été littéralement repeuplée par les deux Refuges proresranrs, celui de la Réforme au xvr" siècle
.. ".t,ri qui suirrit la révocation de l'Édit de Nantes en r68J. En 1798,
lesfrontières poiitiques et religieuses qui morcellent Ie petit bassin genevois entre territoires français, savoyafds, suisses et genevois, sont balayées une
première fois par I'occupation française' En 18r6, l'empire napoléonien abattu, les Genevois sonr contraints par les puissances victorieuses de sortir de ieur splendide isolement. c'esr pour préserver au maximum leur autonomie qu'ils optent pour la confédération helvétique. celle-ci refuse cependant d.'accueillir la seule vilie de Genève avec
sestrois îlots ruraux ; elle
.*ig. ,rrr. continuité territoriale. Au terme d'une négociation singulièrement
fr.r.t,r.,rr., la République de Genève devient un canton mixte sur le plan reiigieux grâce à l'adjonction de rz communes de la Savoie sarde et 7 municipalités françaises'o.
c,est donc durant la période française ft7g!-rÏr1)que les catholiques orr, ou s'établir librement dans la cité de Calvin, ouvrant Ia porte à une cohabitation forcée des autochtones avec de nouveaux immigrants. En r8o4, la préfecture compre 4 ooo carholiques, soit 18,6 o/o dela population urbaine", chiffre qui paraît très exagéré auvu des ro,7
o/o(z +9o personnes) recensés en r8t6'2'
r8 olivier Perrouxet Michetoris ,concubinage, illégitimitê,
censure morale etpolice
des mæurs dansla
Genève du xrx" siècle,papier présenté
àla
5çConférence Histoire,
Science sociale,' Berlin,
24-27mats 2oo4.
r9'À peine 557 naissances de ptus que de
décèsentre
1806et
1850pour une population
dezr
ooo à3r ooo habitants.
zo lrène Herrmann,
Genèveentre république et canton.
Lesvicissitudes d'une intégration nationale ft8u-t846), s.
1.,Éditions
PasséPrésent/Presses de t'université
Laval, zoo3,p.25g sqq.,p.5o4.
zr Edmond Ganter, l'Église catholique de Genève. Seize siècles d'histoirel
Genève, 1986, p.354.
zz
D' aprèsOlivier
Perro ux, Traditi o n, vo cati o n et p ro g rè s..., p.39.
le départ des fonctionnaires français ne pouvant celtes pas expliquer un tel recul. Notre échantillon sur la lemre-B est très proche du chiffre officiel tiré
du recensement de la population totale puisque nous comptons 9,86
o/ode catholiques en 1816. Ils progressenr ensuire de manière pr:sque continue
:ry,46
o/oen r8zz, t8,19
o/oen 1828, z4,or
o/oen 1837 et z,8,4
0/oen t843. Leur
nombre absolu a été multiplié par 1,6r (de 287 à t q6 sur l'échantiilop) alors que la population totale de la ville se contente d'un modeste multiplicateur,
à
peine r,25. Les catholiques bondiront encore jusqu'à 4o
o/oen t86o, avant que leurs gains ne tendent à se diluer dans une ville qui, libérée du carcan
.desfortifications, peut enfin connaître une expansion soutenue (46,4o/o de
catholiques en rgoo)'3. La première parrie du siècle esr donc le moment par excellence durant lequel les catholiques s'installent et s'étendent à f intérieur
de Genève.
L'ARRIVÉÊ DES CATHOLIQUES À GENÈVE : P.ERCEPTIONS ET DÉBATS,4
Prétendre que l'enracinement) en moins de 3o ans, d'une forte minorité catholique dans la Rome calviniste a causé quelques remous est un doux
euphémisrne. Les tensions ont été fréquentes et variées. Nous en aborderons ici deux rypès, soit ceiles liées au droit matrimonial d'une part' à la police
des étrangers et au code de la nationalité d'autre part. Pratiquement toutes les confrontations entre les deux religions au début du xrx" siècle à Genève portent latrace, sinon la signature de I'abbé Jean-François Vuarin (t769-r84),
qui s'est introduit dans la ville à la fin du xvrrr" siècie et fut porté à la tête de sa communauté catholique après I'adoption du Concordat de r8or2s' Vuarin
se
désigne lui-même comme un missionnaire et ne cache pas des ambitions conquérantes'6. Personnâge haT des protestants, il se bat sans cesse Pour que I'Église Romaine fasse son grand retour à Genève, avec Ie rêve fou de conquérir
ville.
z3 Michète Cardinaux, Démographie descriptive du canton de Genève au xx" siècle et
Iecomportement des nouvelles communes, mémoire de licence en Histoire êconomique
et sociale,université
de Genève, 1997,p.37'33.
z4
Danscette section, outre les dépouillements d'archives réâlisês par Olivier Perroux
ett'ouvrage de référence que constitue la thèse récente d'lrène Herrmann,
Genèveentre
république etcanfor...,
nous avons pu nous appuyer sur des travaux réatisés par lesétudiants
du séminaire de Pratique de La Rêcherche enHistoire
desPopulaiions,
Université de Genève,durant
[esannées académiques zooz-zo03 et 2oo3'2oo4. Nos remerciements vont
en particulier à Mrr"'.Anita
Lehmann et Birgit Sacker, MM. David Bicchetti,Sébastien
Feliciangeli, Philippe Solmset
Mario Togni.z5 Lerôleessentiel jouéparVuarindansladestinéeducatholicismegenevoisestanalyséen
détait par lrène Herrmann , Genève entrerépublique
etcanton..., p.34-35
elpassim.
z6
Edmond
Ganler, L' Ég ti s e cath o li q u e d e G e n èv e..., p. 39 6 -4ot.
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En matière législative, les tensions causées par l'enracinement catholique ont
étéde deux natures difftrentes. Dès
1816,pour la première fois depuis Ia Réformation, catholiques et protestants ont officiellement les.mêmes droits dans la cité et sont soumis aux mêmes devoirs '7. En pratique, I'ancienne élite conservatrice protestante retrouve le pouvoir et tente de préserver
sadomination religieuse et poiitique sur le nouveau canton. Dans ce contexte, le Code Civil napoléonien, introduit
sousI'Empire et qui resta en vigueur à Genève pendant tout le xuf siècle, n'est
pascontraire aux anciens éd.its calvinistes, spécialement concelnant le mariage civil'8' Ce dernier apparaît comme une solution égalitaire, permettant d'imPoser
àchacun
lesmêmes règles, indépendammenr de la confession. cependant, leTfaité deTirrin du 16 mars 1816 précisait que les populations des anciennes communes
sardesrattachées au nouveau canton de Genève devaient être protégées dans I'exercice
deleur foi 'e. La loi genevoise du zo mars
1816,présentée par
lesélites calvinistes,
seveut un compromis. la cérémonie civile obligatoire
estmaintenue, mais l'union doit êue validée par une
obénédiction nuPdale o, absurde pour les Protestants sur un Plan théologique, mais correspondant pour les catholiques au sacrement du mariage.
Cependant, le gouvernement garde la possibilité de dispenser certains couples
desannonces et de Ia bénédiction. Dans les faits, cela concernait essentieliement
desunions mixtes, que les religieux des deux bords refusaient de bénirro'
llne nouvelle loi, promulguéelezi décembre I82I, remet en cause
cecomprorrus.
EIIe résulte d'un important travail de lobbying de juristes qui obtiennent un retoru à une stricte application du Code Civil, sans obligation de cérémonie religieuse3'' Cette loi peut faciiement apparaître comme une réaction Protestante contre la progression du catholicisme. Elie est en effet contemPoraine du mouvement du
nRéveil >, apparu au milieu des années r8ro. ce dernier, qui eut un écho international, est né de la réaction de quelques étudiants de I'Académie genwoise réclamant un retour à une foi plus intense. Selon eux' Ie calvinisme traditionnel
z7
Archivesd'État
de Genève,Constitutîon
de 1824, Genève,r8z8.
zg
Catvin n'ajamais considéré le mariage comme
unsacrement et
posecette affirmation
dans les ordonnances de 156r. CfAndré
Bieler, L'Homme et la femme dans la moralecalviiiste
: lodoctrine réformée
surl'amour,
Iemariage,
lecélibat,
ledivorce, I'adultère
et laprostitution,
considérée dans son cadrehistorique, Genève,:.963'
p.r34.
zg Antoinetlammer,LeDroitcivîtdeGenève,lesprincipesetsonhistoire,Genève,rB75,p.8o-Br.
3o
'Archivesd'État
de Genève,Procès-verbaux du Consistoire,
séancedu z9 septembre r$z5
;tlrèneHerrmann,Genèveentrerépubliqueetcanton...,p.230-23!;AlfredDufoul<Mariages civils et Restauration.
Les aléas et tesimplications juridiques et politiques
del'introduction
du mariage civitobligatoire
à Genève sous [aRestauration
(1816-182 4) >>, Zur Geschichte des Familien-und Erbrechts. Potitîschetmplikationen
u.nd PerspektÎven, Franl<fut-am-Main,t987,p.239.
3r Voir Atain Zogmat, Pierre-François Bettot (t776-tBS6) et le code civil. Conservatisme
etinnovation
dans talégislation genevoise
de larestauration,
Genève, 7998, p- 227-est
trop rationnel, trop froid. Influencé par l'encerclement catholique de Ia cité,
lemouvement prône avant tout un renforcement de l'érude des Saintes Écritures.
il contribue aussi
àexacerber
lestensions inter-religieuses et
àexpliquer
lestentations
de
larciser le droit matrimonial genevois jusqu enr8z432. Du côté catholique, l'abbé Vuarin réagitviolemment en lançant une campagne de pamphlets contre
cequi lui
apparaît comme une offense intolérable
àIa sainteté du sacrement du mariage33.
Pressé
de tous côtés par ia Confedération, le Vatican et le Piémont-Sardaigne -
qui menace même, plus ou moins sérieusement, d'engager un conflit armé pour protéger ses anciens sujets -, le gouvernement genevois est obligé d'adapter une nouvelle fois sa législation pour respecter les traités conclus.
La loi du z4 janvier t8z4 prevoit un régime spécial pour
1esseules communes anciennement sardes, qui pourront exiger une cérémonie religieuse pour
sanctionner les unions. À partir de cette date, et jusqu en 186r, deux régimes matrimoniaux coexistent sur le territoire cantonal34.
Ces fortes tensions, qui révèlent tant les tentations des protestants que l'esprit militant des catholiques, ne couvrent quand même qu'une brève période.
Dès r824, Ies tensions confessionnelles déclinent autânt que Ia présence catholique âggmente. Un esprit de tolérance domine Ia vie genevoise. II ny
a
que Ie Jubilé de la Réforme en r83i et I'inauguration la même année d'une statue de Jean-Jacques Rousseau, pour réveiller les antagonistes, mais sans excès35. Labbé Vuarin a beau user de la provocation jusque dans sa tombe, en demandant à ce que son enterrement, le 13 septembre 1843, soit entouré d'une grande pompe ouvertement destinée
àexciter les protestants, les attaques
n
vuarines
))ont largement frappé dans le vide36.
3z 0livier Perroux, Tradition, vocation et progrès..., p. 4o ; lrène Herrmann,
Genèveentre
république etconton...,
p.93.
33 Jean-FrançoisVuatin,Discoursprononcêle3tdécembretSzo,jourdelafêtedelaRestauration,
Genève,rSzo
; IPar un Vicairegénéral],
De lajuridiction
del'église
suy lecontrat
dumoriage
considéré commematière
dusocrement,
Lyon, Russand, 1823.Voir aussi
Edmond Ganter, L'Églisecatholique
de Genève...,p.
3g5sgq., et
lrène Herrma nn, Genève entrerépublique et
canton..., p.229-234.
34
Antoine Flammer, LeDroit civil
de Genève..., p. 81-82.35 Jean-FrançoisVuarinetalii,Mémoireprésentéàmonseigneurl'EvêquedeLousanneetGenève
par Ie clergécatholique du canton de
Genèvesur
lespièges tendus par I'hérésie
à lafoi
dela
populotion catholique,
Genève,rB35 ; 0livier Fa|io,
Genèveprotestonte
entB34 actes
ducolloque tenu
encommémoration
des 75o ans dela création
de laSociété évangélique
de Genève, Genève,r9B3
;Mireille
Lador, < Le Jubitéde la Rêformation
de 1835 à Genève :retigion-patrie-tolérance
>,Bulletin de la Sociêté d'Histoire et d'Archéologiè de
Genève, t. XXV, 1995, p.g7-rto
; I rène Herrman n, Genève entrerépublique
et canton...,p.372
sqq.36
lrène Herrmann, Genève entrerépublique
et canton...,p.234-24r.
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208
Dans
Iapolémique autour du mariage, la question
descouples mixtes
estcentrale.
Elle
aété employée par les protestants pour justifier les exceptions prémes
àla ioi de 1816, puis ia législarion de r8zr. Du côté catholique, l'abbé Vuarin perçoit
lesunions mixtes comme une source de troubles moraux et sociaux, parce qu
ellesprésupposent une trahison .rrrr.r, l" communauté, I'éducation future perturbée des enfants et I'instabilité de I'amour conjugal. Vuarin affirme également que les couples mixtes ne peuvent s'unir qr/avec le concours de l'État (puisque c'est
lui qLri accorde les dispenses de bénédiction) et assure que ies fonctionnaires exigeraient en conûepartie l'assurance que les futurs enfants seraient élevés dans Ia foi protestante3T. Du côté protestant, le Consistoire genevois se préoccupe avant tout de la lutte conûe Ie concubinage, mais il intervient quand même
enr8z5 pour demander aux pasteurs d'accepter de bénir les unions mixtes, ( vu que Ia très grande majorité des enfants provenant de ces mariages sonr élevés dans la religion protestante, de la situation actuelle de l'État composé en grande partie de catholiques u3s. Après r8z5 cepenâanr, nous riavon! plus trouvé de telles manifestations de prosélpisme défensif dans les archives de l'église genevoise.
I-a seconde tension liée au système législatif concerne moins directement
lescatholiques, mais plus généralement les étrangers. C'est dans ces débats que se manifeste le mieux le portrait mythifiée d'une Genève ancienne dont I'âme patriotique apparaît menacée par l'afflux des n étrangers
> 3e,une catégorie qui inciuait ies Conftdérés non-genevois. La tentation du repli sur soi
aexisté,
sansconteste40, mais les gouvernements conservateurs ont rappelé les contraintes du Concordat intercantonal du lo juillet r8r9, qui accorde Ie droit de libre établissement aux Suisses, et du Tiaité franco,suisse du 3o mai tBzT qui ocroie le même privilège aux Français sur I'ensemble du territoi reféd.éraI,sous réserve de réciprocité. Dès lors, seuls les Savoyards du royaume de Piémont-Sardaigne auraient pu êue visés par des mesures restrictives, mais la discrimination aurait été singulièrement évidente. Laction ne pouvait dès lors que viser les étrangers présents, en se donnant les moyens de les rejeter ou de les intégrer.
En r8+3, un projet de
opolice des étrangers ) est en discussion, avanr d'êrre accepté en février t8444". Les allusions directes aux catholiques sont rares.
37
Jean-François Vuarin, et al.,Ménoire présènté...
38 Archivesd'ÉtatdeGenève, Procès-verbauxduCotnsistoire,séancedu29septembre1g25.
39
lrène Herrmann, Genève entrerépublique etcanton...,
passim.4o
Voir ClaudeRaffestin etJean-Ctaude
Favezdans
PaulGuichonnel(di.), Histoire
de Genève, Toutouse, Privat,i974,
p.3oo.
4r Archives d'État de Genève, Procès-verbaux du Consistoire, p. 937-959 (rapport
decommission),
p. 1186sqq.
(1",et 2"débat),
7239sqq.
(suite z"débat),
p. 1489(adoption).
Les
craintes sont classiques et globales, visant les risques de troubles de l'ordre public, de voir de pauvres immigrés tomber à charge de l'assistance pubiique, d'accueillir des femmes enceintes qui fuient leur famille et donneront naissance
àdes
oheimatlos >, erc. La surveillance des femmes domestiques préoccupe de nombreux députés du Grand conseil genevoisa'. Lun des'enjeux de la loi, la possibilité pour une police des étrangers d'expulser ceux qui manquent
de
nbonne conduite ), est directement lié au problème de I'intégration et de
sadéfinitiona3. C'est sur ce point qu'attaque ie leader radical James Fazy:
u
Une loi sur la police des étrangers ne doit pas avoir pour but de se garder de telle ou telle catégorie d'individus, de protéger ou d'exciure telle ou telle idée philosophique, religieuse, politique ou sociale. ce serait une loi intolérante.
Mais supposons qu il en soit ainsi et que les dispositions arbitraires de la loi
cachent Ie but secret de protéger ies idées religieuses de I'ancienne Genève. [...]
nous devons admettre tout étranger s'il est probe et honnête, et ne jamais Ie repousser par des considérations reiigieuses ou poiitiques
o.aa.Il y a peu de doute que James Fazy fait implicitement référence aux menées anri-catholiques de l'Union protestante, sur iesquelles nous reviendrons.
Cependant, une fois encore, il ne faut Pas sous-estimer Ia force du courant tolérant et intégrateur. Ii s'incarne dans un de ces Personnages polyvalents que Ie xrx" siècie a produit en grand nombre : Édouard Mallet (18o5-1856), issu d'une vieille lignée de bourgeois calvinistes, fut avocat' juge, historien et statisticien. Dans
sesrecherches sur lapopulation genevoise dont il met en avant quelques-uns des traits les plus modernes, les pius originaux, il produit des analyses étonnantes qui annoncent Notestein ou Landry et leur formulation
classique de Ia loi de la transition démographique, cent ans Plus tard45. Comme député au Grand Conseil, il fut le rapporteur de la loi du
18septembre 1839 sur la naturalisation des individus nés sur le territoire du canton de Genève de père suisse. Grâce au recenseme nt de t837,le gouvernement s'est rendu comPte que
85 o/ode l'accroissement de ia population cantonale depuis 1828, étaient dus à des apports extérieurs. Il craint de voir détruit
ol'équilibre nécessaire pour la manquillité de tout le pays, entre les nationaux et étrangers
o +6.Édouard Mallet, député de û16 àrï4z, est de ceux qui veulent sauver la nationalité genevoise en recourant aux naturalisations de manière systématique, c'est-à-dire selon des
4z lbid.,p.tt87.
ç lbid.,p.7240.
44 lbid.,p.r24r-124z.
45
Reto Schumacher, Del'analyse
classique à I'analysedifférentielle...,
p.tt9.
46
Jean-.facquesRigaud,RapportfaitauConsei! représentatif, leBmai û3g,porMonsieurle
Premier Syndic Rigaud,rapporteur
du Conseit d'Éraf, Genève, Peltetier, 1839.209
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270
règles fixées par la loi
: <Il serait injuste de ne pas reconnaître qu'un bon nombre de ces étrangers ont payé l'hospitalité qu'ils ont rencontrée, en contribuant à développer notre bien-Qtre, à accroître notre prospérité. t...] il ne faut
pass'effrayer de l'adjonction de quelques nouveaux citoyens, qu'il serait chimérique de croire qu elle pût dénationaliser Genève. Notre pays
atoujours eu une grande puissance
d'assimilation [.
..] il
asu s'attacher promptement et sans retour
cettemultitude d'étrangers qui, depuis trois siècles, ont afflué dans Genève
> a7.La loi de 1839 ne sera qu'un modeste premier pas. Ces quesdons vont
resterrécurrentes, à tel point qu'un concours est lancé en 185r par la très calviniste Société d'Utilité Publique pour y répondreas. Édouard Mallet en est le lauréat.
Dans son mémoire intitulé Da recratement
d.e Ia?oPulation dans
lespetits
étatsdémocratiques,il développe savision positive etintégrative et évoque explicitement la question des catholiques. Reconnaissant que Genève se dépeuplerait
sansI'apport de sang neuf, il considère essentiel d'intégrer les immigrants et d'en faire des citoyens, afin de préserver l'identité et ie patriotisrne genevois. Dans cet esprit,
àl'objectif noble de l'homo généité sociale (sous-entendu, religieuse),
il oppose un
<principe plus élevé encore, celui de la charité, de la tolérance r, et de reconnaître aux autres le droit à avoir < eux aussi des convictions et une
foi sincères, quoique différentes des nôtres uae. Dès lors, Iorsque surviennent des polémiques aiimentées par les émules de l'abbé Vuarin, il faut s'abstenir de réagir. Pour Mallet, lorsque ces attaques demeurent sans réaction, elles
nepeuvent que s'éteindre d'elles-mêmes5o. Malgré Ia bonhomie du propos,
lemépris du protestant, qui
sejuge rationnel et apte
àla tolérance, envers certains catholiques qu il perçoit comme des fanatiques imperméables à Ia raison,
es[transparent.
Pourtant, les calvinistes ont aussi leurs extrémistes qui
seréunissent dans une
Union Protestante fondée enr84z. Cette réaction apparaît bien tardive puisqu
àcette date, comme nous I'avons montré plus haut, la population catholique est déjà fortement enracinée dans la cité. Société secrète, l'Union Protestante avait des objectifs simplistes : < écarter les domestiques catholiques, ne
pas,47 Édouard Mallet, Rapport fait
au Conseilreprésentatif,
à la séance du3o août t8j9,
ounon 'dela,Commissionchargéedel'examenduprojetdeloi
quiconfèrelaqualîtédeGenevoisaux
Suisses nés dans le
canton,
Genève, Peltetier, p.r8-r9.
48 Cf Bernard
Lescaze, LaSociété genevoise d'Utilité publique
enson temps:
1828-1978, Genève, Société genevoised'utilité publique, r978.
49
ÉdouardMaltet,
Durecrutement
de lapopulation dans
lespetits états démocratiques,
ovec esquissestatistique sur I'admission dlétrangers
et lanaturalisatian dans
la République de Genève,Genève, 1851, p. 78.Eo lbid.
chez les marchands catholiques, s'introduire dans les mariages mixtes amener les enfants au protestantisme [...] attirer des protestants étrangers faire concurrence aux catholiques dans certains métiers, entraver par tous moyens l'établissement des catholiques, leur'admission au droit de cité
> 5'quelque crédit aux craintes de Vuarin, Ies membres de I'Union
seaussi de créer une société de patronage pour l'enfance et
1ajeunesse, choix
desjeunes gens aidés devant ( tout particulièrernent tomber, quand les
-le permettraient, sur des enfants catholiques ou issus de mariages qu on pourrait ainsi espérer rattacher au protestantisme mieux que tout
moyen
>5'. Dans un contexte troublé par les révolutions radicales, l'Union
trouvé un certain écho, regroupant jusqu'à un protestant genevois sur sept et quelques succès, comme la commémoration annuelle de l'Escalade des Genevois sur les envahisseurs savoyards en 16oz) qui, aujourd'hui est la fête identitaire genevoise par exceilence53. Mais l'lJnion ne
pas à la prise de pouvoir par les radicaux en r8465a. Les autorités sont restées plutôt distantes, de même que plusieurs personnaiités l'époque, qui se sont clairement opposées au groupement55. Comme les de la République, ils regrettent une tentative de n raviver un antagonisme
heureusement éteint
> 56+
De ce survol des perceptions de I'arrivée des catholiques à Genève ressortent
visions radicalement différentes. La première insiste sur les rudes racé au cæur même bastion séculaire tenu de haute lutte depuis des siècles, et un catholicisme
d'humeur revancharde au lendemain de la Révolution française, s'appuie sur une Savoie piémontaise, bastion, elie, de Ia restauration et source, tout au long duxrx" siècle, d'une dynamique missionnaire
57.
La deuxième vision, cependant, constate que
1amajorité des élites tes ont jugé que la transformation de Genève en un territoire religieux
Manifeste secret du ccimité occulte de
l'Union Protestante publié
par des amis de lapublicité,
Genève, 1844,p.3-4.
lbid., p. 29.
lrène Herrmann, Genève entre
rêpublique
etcanton...,
p.254-257.
P.-A.
Friedti,
<L'Unibn protestante genevoise QB4z-tB4): une organisation de combat
contreI'envahissement
descatholiques
>,Bulletin
de laSociété d'Histoire
etd'Archéologie
deGenève,984, p.369.
Dont le
coloneI Rilliet-Constant,
un libéraItrès influent, qui
sevoit obliger
de sejustifier
par rapport àI'Union.
VoirRilliet-Constant,
Del'Union Protestante,
Genève, 1844.tbid.,p.4.
Sur les missionnaires savoyards,
voir
Paul Guich onnet, Histoire de laSavoie,loulouse,
Privat, 1973,p.375.
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272
mixte n était pæ trop cher payer l'entrée dans la Confédération helvétique.
Les gouvernants genevois sonr encore, entre 1816 er 1846, des conservateurs bourgeois calvinistes. Nous avons montré ailleurs qu'ils se sonr de plus en plu, dès les années r8zo, réfugiés derrière la loi, essentiellement héritée du régime français, pour refuser de donner suite aux admonestations de la Compagnie des Pasteurs 58. C'esr sans doute cette laitisation progressive, cefte rupturc douce du lien séculaire entre
litat
genevois et église prorestante, la résignation évidente du Consistoire face à ce changement, l'impossibilité aussi de bridcr sérieusement lesflu
migraroires sanscondmner
Genève au déclin et violer les traités nationaux et internationaux, c'est cet ensemble qui explique que les cris d'alarme contre la o menace catholique, n'aient pæ vraiment trouvé d'écho. Cette volonté d'âpâisement venue d'en haut a été, dans l,ensemble, en symb.iose avec les réactions populaires. Pour IrèneHerrmmn
: u Le peuple genevois paraît, en règle générale, partager plusieurs senciments qui induisent un rapport particulier à la foi et au sysrème ecclésiastique. IJun des principau, sinon le principal, réside dms la aainte, er donc souvent dans le rejet haineu de tout extrémisme confessionnel > 59. Les recensements de Genève enûe rg16 et 1843 éclairent d'un jour original cefte forme d'ouverture fondée de mmièrembiguê
sur le rejet. ..L'INTÉGRATIoN DEs I NDIVIDUs ET FAMILLES CATHoLIQUES À GENÈVE ENTRE 1816 ET 1843
.
Avant 1835, I'abbé Vuarin affirme de manière récurrenre que les catholiques sont discriminés à Genève6o. La mesure la plus clæsique de la discrimination est celle sur le marché du travail, les immigres tendanr le plus communément.à se concentrer dms des secteurs rejetés
pu
les natifs. Le tablgau r compare la structure professionnelle des catholiques et des protsrants dans nos échmtillons nominatifs. Le contraste dans laproportion
des inactifs, deux fois moinsnombreu
chez les catholiques, montre à quel poinr ces derniers, en rg16, sont encore une population neuve, d'immigrés jeunes et actifs, avec peu d'enfants et de femmes mariées. Cependmt, ce fossé se résorbe nettement dès rgzz,plu
doucement ensuite, et l'écart entre les
deu
communautés religiemes n est plus que de ro points en r843. Un processus semblable-
fort écart inirial, résorptionpertielle
-
s'observe dans le deuième plus gros groupe d,acrivités genevois,celui de la domesticité6'. En 1816, un catholique sur quatre esr domestique, pour moins de 7 0/o des protestants. ?ar la suite, tant en raison du recul de cette spécialisation chez les premiers que d'un lent progrès chez ies seconds
-
liéregain de la tradition de la domestique vaudoise rurale et protestmte
-,
ladisparité se mainrienr mais le contraste s'est quand même nettement amoindri (r7 o/o vs. to o/o).
Iabteau 1. Répartition des catholiques et protestants de Genève par branches d'activité, 18a6-1843
Bâtiment Anisuat Acicultue Indétcrminé Sæ activité Brmches
Eno/o
s,z 2,r o,o
?.I 24,4 r8r6
Catholique
I,O
?.o 12.9
rgù
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?r.8 L817
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Protestmt
z.Ô o.1 2,t 47,O
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I,O t.-G r828
o,8 2,8 2,5 4S,Z 1837
r,o 2,6 o,3 4a,t rSaZ
61 EdouardMallet,Durecrutenentdeldpopulationdonslespetitsétatsdénocratiques...,p.61, notait que les premiers immigrants catholiques arrivés à Genève sous le régime français
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58 0LivierPetrouxetMichelO(is,Concubinage,i!!égitimité,censurenorule..- 59 lrène Herrmann, 6enève entrc république et canton..., p. 93.
60 Cf.PaulGuichonnet,(LecuréVuarinetlessavoyardsàGenève\,Mélangesd,Histoirc économique offerts à A. M. piuz, Geûève, rg89, p. 101 ; Olivier Fatio, Genève protestonte en 1831...,p,27.
totâl Rel.igion - rmeig.-cult.
Foncion publique Prof. Libérales Fhace Commerce Soins oersonnels Dometicité
Irmsporo !
AJimentation Ictilc-habillement Fabrique 3âtimcnt Anisuat bicultue lndéteminé Sms activité
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[nd.iæ dz d.isparité
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Iotal Religion.- enseig.-cult.
Fonaion publique Prof. Libémle Finmce Commerce Soins pcsomels Dometicité TrmsDoÉ Alimentatiol Tevtile-hahillement
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Surl'ensembledesbranchs.**
Sans les inactifs.Lévolution dans la Fabrique, le véritable poumon économique de Genève, vâ dans le même sens. Déjà que dès 1816, 9,+ 7o des catholiques soienr acrifs dans cette branche, conûe r4,5 o/o des protestants, est élonnanl- Létude des mariages genevois de r8oo à r88o a souligné à quel point les horlogers étaienr enracinés dms le ville et se distinguaient
tmt Pil
une forte reProducdon sociale quepil
une endogamie élevée 62. Ën un processus très semblable à celui érudié à Marseillepar'William
Sewell63, ces artisânsont
déveloPPé une id€ntité secrorielle puissânte er formé Ies rrouPes qui onr mené les révolutions radicales des années r84o64. Pour autant, dâns la muhitude des petits âteliers deI
à8 personnes, les nouveauvenus catholiques ont réussi à s'inærer étonnamment bien.
lJne présence catholique supérieure ou équivâlente à celle des protestants est moins surprenant€ dans les artisanats et commerces de l'habillement, I'alimentation, les transports, les soins personnels (lingèra, rePasseusesr etc.),
62 GrazynaRyczkowska,Accès0umariage..;GrazynaRyczkowskaetGilbertRitschard,MobillTés sociales et spatiales. Porcours intergénérationnels d'aprèsles nariages genevois, l83o'1880, papier présenté à la 5" Conférence Histoire, Science sociale, Berlin,24-27 ma$ 2oo4.
63 William SewelL, Stracture dnd nobility: the men qnd women of Maseille: 182a-187o, cambridge, Cambridge university Press et Paris, Maison des Sciences de I'Homme, 1985.
64 Voir Marc Vui ltemier, ( Senteurs et tu multes au Fau bou rg. Saint-Gervais au xfl" siècle : du faubourg révotutionnaire au quartier populaire (183o-1864) D, Faubourg Sdint-Getvois:
I'autre Genève,Genève, Éditions Zoé, 1992, p. 55-87.
tour ce pedt monde du n capitalisme moléculaire > évoqué pu Fernmd Braudel.
En effet, dans des villes traditionnelles, sms secteur industriel neufet en pleine expânsion, c'est bien plus dans ces segments que les migrants trouvent à 3'insérer, que dans les secteurs productifs traditionnels6:. C'est dû au blocage des autochtones
-
encore qu'il soit modéré à Genève, comme nous venons de le voir-,
et à la possibilité pour des migrmtsrurau
de valoriser en partie leur apital humain acquis à la cmpagnedus
ces actiyités urbaines. lJn des vecteurs d'insertion les plus traditionnels qui soit entre rural et urbain est la branche du bâdment. Auru
du tâbleau r, les protestants rejettent totalement cefte acdvité.qu.i occupe 3,5 à 5,5 o/o des catholiques. Ces derniers chiffres sont clairement sous-esdmés. Déjà, auxvrll'siècle, l€s maçons savoyards, recrutés en pârticulier dans la vallée du Giffre dæs le Faucigny, étaient parmi
ls
raes etholiques dont la présence temporaire était tolérée 66. En août 1823, I'abbé Vuarin en compte quelque 4oo à Genève6z. C'est la saisonnâlité des ûevaw du bâtiment et la date des recensements qui expliquent le sous-enregistrement de ce groupe, que les ecdésiastiques catholiques de Genève se sont évertués à encadrer pour protéger leur foi. lévêque d'Annery reconnaissait ladifficulté
de leur tâche en des rermes mbigusqu'unVurin
dut peu apprécier : n J'ai du regret que les maçons s'urêtent à Genève, oir la bonne conduite des Protestmm devient pour eux un piège presqueâussi séduisant que les propos licencieux qu'ils entendent ,68.Au total,
su
bæe de la population recensée, nous avons calculé un indice de dispariré.Il
mesure le pourcenage de catholiques qui aura.ient dû changer de brmdres d'activ.ités pour que leur structue professionnelle devienne semblableà celle des protestants. lJne valeur de jr,5 o/o en 1816 confirme sans fard que les premiers immigrés catholiques à Genève furent fortement discriminés sur le mrché du travail urbain. On ne saurait affirmer qu'i.ls le Âtent plus ou moins que d'auues
flu
d immigrés en d'autres temps et d'autreslieu,
tels par exemple les ælèbres Auvergnats et Bretons du Pais du:of
siècle. ?u conre, ce qui est sûr,iest
que I'indice de discrimination est déjà tombéà21,6 o/o enrSzzetfniràr6,9 o/o en
1843. En excluæt les <
sm
acdvité > qui fausent quelque peu les résultaa, I'indicepasse de 27,4àt5,2 o/o entre 1816 et 1843. Lintégration socioprofessionnelle des eùoliques à Genève reste inachevée, mais en z7 ms, les progrès ont été rapides.
65 Nlichel 0ris, ( cultures de I'espace et cultures économiques parmi les populations urbaines liégeoises au xx" siècte. Une retecture de la problématique de I'intégration des immigrants ),
Les Chemins de la nîgration en Belgique et au Québec du xwf au s" siècle, Québec, MNH,
\995,p.77o.
66 Allred Perreroud, I o Po pul1tion de Genève..., p..2a3.
67 Paul Guichonnet, ( Le CuréVuarin et les Savotards à Genève )..., p. 1o4.
68 lbid-,p.ro7.
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276
Ils
s'expliquent certainement par la monrée des premières générations catholiques qui se sentent pleinement genevoises, puisqu'eiles sont nées etont
grmdi
sur place. La part d'inconnue dans la détermination deslieu
de-naissance ou d'origine est très variable de recensement à recensement. Elle est inférieure à ro 7o en rSzz
etû37,
ce qui permet une analyse probante. Siau
deux dates les protestants sont mæsivemenr nadfs de la ville même de Genève (61 à 64 o/o) ou du cmron de Vau d (t+ àtl
Zo), les etholiqueseu
onr des origines plus diverses er qui évoluent au cours du temps.Ea
rgzz, 3o,40/o viennent des actuels déparrements del'Ain,
de l'lsère, de la Savoie et Haute- Savoie, r7 o/o du reste de laFmce,
presque 18 o/o sont nés dans les communes catholiques anciennement sardes et françaises qui furent rattachées au cæton de Genève six ans aupilavant, et enfin un peu moins de 14 %o ont vu le jour dmslaville
de Genève. En 1837, le poids de ces derniers a exploséà27 o/o,ce qui signifie que plus d'un catholique sur quatre est désormais un Genevois de souche- Les apporrs français sonr resrés du même ordre, mais la contribution des campagnes catholiques genevoises s'est effondrée (5,7 o/o).Figure 1. Origines et religions à Genève, 1B2z et 1837
représentées sur la figure z contrstent la
some
des effectifs recenss en 1816, 1822 et 1828 avecceu
de 1837 et 1843, et ce aûn de pouvoir nous bæer sur des nombres suffisants, surtout pour les catholiques en début de période. Selon la méthode classique, les chiffres bruts ont été ramenés à un référent de ro ooo habitants afin que les représentations graphiques soient compuables. En 1816- 1828, le conuæte entre les câtholiqus et les protestmts est évident. Les premiers comptent très peu de personnes âgées de 55 ms et plus (à peine 9 o/o vs. 16,5 o/o chez les protestants) et également peu de jeunes de moins de 15 ans (r5,7 0/o vs.zr,7 7o). Nécessairement, ls.catholiques sont, dès lors, proportionnellementplus nombreu
prmi ls
adultes actifs, particulièrement entre r j et 44 æs, avec despis
p*ticulièremmt nets à z5-29 ans pour leshomes
et zo-29 ms Pour les femmes.C'est le proÊl type que produit un
flu
de travailleurs immigrés, en l'occurenceavec me dominmte féminine qu explique le poids de la domesticité 6e. Le rappon de mæculinité des atholiques de zo-24 ms est à peine de t3 hommes pour Ioo femmes en 1816-1828, de 67 pour roo entre z5 et 34 ms. Ceci dir, Genève est bien une de ces u villes des femmes, typique de l'Europe urbaine pré-industrielle, puisque dms I'ensemble de la population protestanre, le ratio hommes/femmes
est mcore inférieur à celui des erioliques (8r vs. 89). Un tel déséquilibre des sexes, surtour parmi les jeunes adultes, crée dans les deux communautés reiigieuses un marché r:latrimonial très défavorable
au
femmes. Toujours en 1816-1828, à zy-29 ms, à peine 39 0/o des protestantes et 3t yo des cadroliques sont maiées, età 4o-44 ms,
lc
proportions ne sont encore, respectivement, gte de 6z et 54o/o- Le frein malthusien de l'accès au muiage est donc tiré à l'exuême, plus même chezls
n nouveaux o catholiques que cho Ies nvieu
) protestants. C'est ce qui explique que les uns comme les aurres ont des pyramides à la base frêle. C'est cependmt aussi le résultat d'un néo-malùusimisme wident(t'
page suivante), et, de ce point de rue, le comportement des couples catholiques dans la Genève duro{
siècle reste une énigme à déchiffrer.Les structures de t837-1843 présentent'peu de diftrences. Du côté proæsrant, la population rajeunit
tmt
àla bæe qu'au sommet, en raison de la compensation progressive des pertes adultes dans les guerres napoléoniennes et d:une accenruation des apports migratoires en provenance de régions protestantes.Parmi les catholiques, les
flu
resrenr soutenus commei'indiquent
les pics masculins à z5-34 ms er féminins à zo-29 ans. Ces nouveau venus sont encore plus souvent célibataires que leurs homologues de la période précédente, mais ils se surimposent à une population qui s'enracine, comme nous l'a montré69 Antoinette Fauve-Chamoux et Richard Wall, o Nuptialité et fanille ), dans Jean-Pieûe Bardet et Jacques Dupâquier (éd s.), Histoire des papulations de I'Europe,Paris,Fayard,t.l,aggT, p.363.
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Le processus de formation d'une sous-population