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Repenser l'anthropologie avec les enfants

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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DANS LE CADRE DU SÉMINAIRE

« ANTHROPOLOGIE DES SAVOIRS EN ASIE » (deuxième semestre) http://www.ehess.fr/fr/enseignement/enseignements/2011/ue/293/

Natacha Collomb (anthropologue, CASE, IrAsia) et Alice Sophie Sarcinelli (anthropologue, doctorante, IRIS) vous invitent à deux journées de séminaire sur le thème :

REPENSER L'ANTHROPOLOGIE AVEC LES ENFANTS

DATES :

14 mai 2012 de 9h à 17h : Autour du Sujet 21 mai 2012 de 9h à 17h : Autour du Corps ADRESSE :

Bâtiment Le France, 190 avenue de France, 75013, métro Quai de la gare

Salle 640, Noyau A, 6ème étage

CONTACTS : natachacollomb@yahoo.fr et sophiealy@yahoo.it

Depuis quelques décennies, l’anthropologie s’est ressaisie à nouveaux frais de la question, déjà ancienne dans la discipline, de l’enfance. Un des aspects prégnants de ce renouveau est le statut accordé aux enfants : partenaires sociaux à part entière et donc interlocuteurs légitimes, ils viennent prendre leur place en tant que sujets aux côtés des institutions (famille, école…) qui participent à leur fabrication comme catégorie et comme personnes.

Par le biais d’une approche critique et réflexive, nous nous proposons de questionner la place et le statut épistémologique des enfants dans l’anthropologie (prétextes, biais, objets, sujets, interlocuteurs) et de nous demander ce que travailler sur l’enfance et/ou avec les enfants permet, plus généralement, à l’anthropologie de penser ou de repenser. Cette démarche participe donc d’une anthropologie des savoirs où les savoirs considérés sont autant ceux des multiples et divers acteurs, sujets de la recherche, que ceux constitués par le chercheur lui-même.

Une large place est faite à l’Asie dans ce séminaire qui s’inscrit dans la mention de master Asie méridionale et occidentale, mais nous avons souhaité conserver une ouverture non régionale pour privilégier des approches thématiques, méthodologiques et théoriques.

14 MAI : AUTOUR DU SUJET

Texte mobilisateur :

L’entrée du Sujet sur la scène anthropologique française est récente, mais résolue. Depuis une petite dizaine d’années les colloques, journées d’études, séminaires et ouvrages qui intègrent le Sujet à leurs intitulés sont de plus en plus nombreux. On peut voir ce phénomène comme une réponse certes tardive à l’anthropologie structurale, ainsi que semble le suggérer par exemple l’ouvrage

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d’Alban Bensa (2010). Il est aussi possible de relier l’intérêt pour le Sujet à une conscience politique qui s’affirme dans sa pratique même de la recherche, voir François Laplantine (2007) et le séminaire Ehess de Bensa pour 2011-12 qui s’intitule « De l’ethnographie politique du sujet à la fabrique de l’anthropologie ». Dans tous ces travaux, on trouve le Sujet accolé à d’autre identifications problématiques comme « individu », « personne » ou encore « agent ». C’est d’ailleurs ce que relève avec ironie Maurice Bloch dans un article intitulé The Blob, le blob en question étant une concaténation de tous ces concepts (I, Self, agent, subject, person, individual, dividual, identity) dont Bloch note qu’il est très difficile, à partir de leurs usages dans la littérature anthropologique, d’en saisir le sens et les distinctions.

Cette réintroduction des Sujets nous semble tout à fait évidente dans le glissement terminologique qui voit « l’anthropologie de l’enfance » s’effacer pour laisser place d’abord à une « anthropologie des enfances », puis une anthropologie « avec les enfants ». Il s’agit là d’un acte – aussi– politique qui fait passer les enfants du statut de « petits sujets », selon l’expression de Suzanne Lallemand (1981), à celui d’acteurs et de sujets de droit. L’idée selon laquelle les enfants sont des acteurs est exploitée en relation avec la notion d’agency. Celle-ci a été introduite entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 par plusieurs auteurs (notamment Bourdieu, Giddens et Sahlins). Ce paradigme a marqué profondément le « paradigm shift » des nouvelles études sur l’enfance, apparu dans les années 1990. L’agency y est définie comme « the ability of an identifiable being to knowingly and deliberately use its willpower to achieve predetermined aims” (Gallacher et Gallagher, 2008, p. 502).

Toutefois, les Childhood Studies, la sociologie des cultures enfantines, l’anthropologie cognitive ont toutes à leur manière défendu l’idée d’une certaine incommensurabilité des mondes enfantins et adultes, et prôné l’étude des enfants pour eux-mêmes (et non comme êtres en devenir adultes). Les effets pervers de ces démarches salutaires ne manquent pourtant pas de se faire sentir. Le risque est qu’au cours de ce processus les enfants ne soient construits comme minorité. Alors que la critique de l’ethnicisation est par ailleurs bien ancrée et que le déconstructivisme a pointé la nature culturelle de catégories pensées comme « naturelles » (l’enfance, les femmes, etc.), on en viendrait à faire des enfants un groupe aux mœurs, aux représentations, aux modes de penser spécifiques et exotiques au regard de ceux des adultes. Or on a bien affaire à une population dont les contours et les particularités sont flous et variables, à travers les époques, les lieux, les catégories sociales, les âges, le sexe, et, ne l’oublions pas, les trajectoires personnelles.

Nous avons proposé aux intervenants plusieurs pistes de réflexion sur lesquelles ils pourront s’appuyer, mais qu’ils peuvent aussi contester pour éventuellement en introduire de nouvelles.

L’objectif est ici d’interroger conjointement les thèmes du Sujet (des sujets de l’anthropologie) et de l’enfance (ou des enfances, des enfants) :

1. Après avoir pris acte de la disparition des Sujets dans une certaine anthropologie, d’autres questions doivent suivre : où étaient-ils donc passés (voire sous quelles guises se cachaient- ils) ? Sur quels fondements théoriques les réintroduisons-nous (voir la longue tradition philosophique qui traite du Sujet)? Quel(s) Sujet(s) fabriquons-nous dans le processus ? Mais aussi que doit cette réintroduction/fabrication à une philosophie et à une ontologie locales du Sujet ? Par ailleurs, toujours animés de bonnes intentions à l’égard des Sujets oubliés de l’anthropologie, il ne faudrait pas oublier de nous demander quels sujets les enfants (dans leurs diversités) sont dans les différents contextes où nous menons nos recherches ?

2. Un deuxième questionnement est méthodologique : si les enfants sont des sujets-acteurs, doués de droits, porteurs d’opinions, quelles sortes d’interlocuteurs peuvent-ils être pour les chercheurs ? Quelles relations ethnographiques peuvent-elle ou doivent-elles être nouées, d’un point de vue non seulement pratique ou méthodologique, mais aussi éthique ? L’enfant est-il un informateur, quelle sorte d’informateur, sur quels objets ?

3. Nous proposons d’interroger de façon critique la définition et l’usage de l’agency, mais aussi les conséquences de ce paradigme sur le développement des méthodes de recherche

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avec les enfants, notamment la création de hiérarchies entre des méthodes plus ou moins participantes (Gallacher et Gallagher, 2008).

BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES CITÉS

Bensa, A., 2010, Après Lévi-Strauss, pour une anthropologie à taille humaine, Paris : Textuel Bloch M., 2011, « The Blob », Current Issue, Issue 1 : http://aotcpress.com/articles/blob/

Bourdieu P., 1981, Questions de sociologie, Paris, Minuit.

Gallacher L.A. et Gallagher M., 2008, « Methodological Immaturity in Childhood Research? : Thinking through `participatory methods'», Childhood, Vol.15 n°4, SAGE Publications. Los Angeles, London, New Delhi and Singapore 499–516.

Giddens, A., 1979, Central Problems in Social Theory: Action, Structure and Contradiction in Social Analysis, Berkeley, University of California Press.

Lallemand, S. & Le Moal, G., 1981, « Un petit sujet. » Journal des Africanistes, tome 51, fascicule 1-2, pp. 5-21.

Laplantine F., 2007, Le sujet. Essai d’anthropologie politique, Paris, Téraèdre.

Sahlins M., 1989, Des îles dans l'histoire, Paris, EHESS.

PROGRAMME :

Discutants : Dorothée Dussy (Anthropologue, chargée de recherche, CNRS-Iris) et Gilles Deles (psychanalyste et philosophe)

9h-12h30

Elodie Razy (Anthropologue, Institut des Sciences Humaines et Sociales, LASC, Université de Liège/LAU-IIAC, UMR 8177, CNRS-EHESS)

Quand commence l’anthropologie du sujet ?

Réflexions à partir de la petite enfance en Pays soninké (Mali)

Marie-Eve Gachelin (Pédopsychiatre, docteur en psychologie, Chercheur à l'unité Insem 669, Université Paris V)

Espace culturel de la construction de la vie psychique du tout petit. Place des pratiques de maternage, place du corps.

Marie-France Morel (Historienne, Présidente de la Société d'Histoire de la Naissance, Ancienne maître de conférences d'histoire à l'ENS)

Ange, bête ou personne ? l'ambivalence du petit enfant dans l'histoire occidentale.

14h-17h

Aude Michelet (Anthropologue, doctorante à London School of Economics) Assujettir son ‘agency’ pour devenir aîné en Mongolie méridionale.

Michèle Coquet (Anthropologue, chargée de recherche CNRS, HDR)

Un monde à soi : expérimentation, invention et perception. Le journal d'enfance d'Opal Whiteley.

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RÉSUMÉSDISPONIBLES:

Quand commence l’anthropologie du sujet ?

Réflexions à partir de la petite enfance en Pays soninké (Mali)

Elodie Razy (Anthropologue, Institut des Sciences Humaines et Sociales, LASC, Université de Liège/LAU-IIAC, UMR 8177, CNRS-EHESS)

Après avoir décliné la question « quand commence l’anthropologie du sujet ? » sur le plan des idées (histoire sociale et histoire de l’anthropologie, etc.) et sur celui du cycle de vie (pré-conception, naissance, grossesse, etc.), je m’intéresserai aux différentes conceptions du sujet, le plus souvent implicites, qui sous-tendent l’usage des notions d’agency et d’enfant-acteur. Sur ces bases, la dichotomie entre enfant-réceptacle (ou adulte en devenir) et enfant-acteur pourra être discutée et la question du sujet posée pour ce qui concerne la petite enfance. C’est alors que l’exemple du Pays Soninké (Mali) sera développé pour identifier les axes d’une anthropologie de la petite enfance articulée autour des notions de corps, de personne et de sujet et évoquer quelques considérations méthodologiques et éthiques.

Espace culturel de la construction de la vie psychique du tout-petit.

Place des pratiques de maternage, place du corps.

Marie-Eve Gachelin (Pédopsychiatre, docteur en psychologie, Chercheur à l'unité Insem 669, Université Paris V)

Le maternage accompagne la première étape de la construction de la vie psychique du tout-petit par l'incorporation d'un sens ou d'une intentionnalité véhiculés par ses pratiques. Selon le pédiatre Brazelton, le nouveau-né réagit très vite aux sollicitations qui lui sont proposées. Les études sur les interactions adultes/bébé, en donnant une place centrale aux émotions, permettent de mieux comprendre la part de chacun dans ces interactions qui mènent à la vie psychique.

1) Mon questionnement, en tant qu'ethnopsychanalyste, porte sur les effets des pratiques de maternage sur les tout-petits, c'est-à-dire sur ce qu'ils manifestent au travers des interactions.

2) Recueil du matériel : mes recherches se situent au Vietnam. J'ai choisi la méthode d'observation de bébé de la psychanalyste Esther Bick : on observe une heure par semaine, pendant deux ans, les interactions du bébé avec sa mère au domicile de celle-ci de la façon la plus neutre possible, ce qui nécessite une supervision régulière de l'observateur. Cette méthode permet d'avoir accès aux réponses du bébé face aux comportements de ceux qui s'occupent de lui. Les observations ont été faites par deux psychologues vietnamiennes à la formation desquelles j'avais participée.

3) La lecture du matériel : la lecture est complémentariste selon l'anthropologue psychanalyste G.

Devereux, c'est-à-dire utilisant une interprétation psychanalytique et une interprétation anthropologique de façon complémentaire et non simultanée. L'interprétation anthropologique utilise les travaux faits en France sur le maternage des bébés, par exemple le livre "L'art d'accommoder les bébés" de G. Delaisi de Perceval et S. Lallemand. Pour le Vietnam, je m’appuie sur ce que dit Confucius de l’éducation par le corps, et sur la lecture qu’en font des linguistes et des anthropologues, en particulier Léon Vandermeersh et Le Huu Khoa. Ils s'intéressent particulièrement à la civilité qui a un rôle dans le contrôle des émotions, et à la recherche de l'harmonie dans les relations. Les rites de civilité passent par le corps et façonnent la personnalité sociale. On les retrouve dans l'apprentissage de la langue. L'ensemble de ces données permet une lecture comparative.

5) La discussion portera sur l'étayage qu'apporte les écrits des anthropologues aux observations de bébé pour dégager les effets de la culture sur la construction de la vie psychique.

6) Conclusion : la gestion du corps, lieu d'expression des émotions, est fondamentale pour la construction de la personne. Elle dépend de la représentation que ce fait chaque culture du sujet à

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faire advenir. Il n'y a pas de développement naturel holistique d'un tout-petit. Le modelage du corps depuis les pratiques de maternage et donc selon les cultures a sa place dans la construction du sujet.

Assujettir son ‘agency’ pour devenir aîné en Mongolie méridionale.

Aude Michelet (Anthropologue, doctorante à London School of Economics)

L’observation des rituels thérapeutiques sous forme d’exorcisme des adolescentes au Garhwal dévoile à quel point le corps de l’adolescent est sujet, par le moyen du rituel, à une action de production culturelle. L’exorcisme de Rurci, qui fera l’objet de cet exposé, fait apparaître les mécanismes subtiles selon lesquels la restitution à l’adolescente « malade » d’un corps « normal » et d’un soi intégré implique l’expérience de perméabilité du soi, d’un “soi étendu” au-delà du corps, et d’un corps envahi par des influences externes. C’est en faisant vivre à l’adolescente cette expérience que les rituels thérapeutiques construisent des corps et des sois à la fois inscrits dans une communauté localisée mais aussi dans une collectivité élargie. La performance rituelle constitue ainsi un instrument puissant permettant de produire des modalités de “sensation” et d’ appartenance, et utilisé pour structurer une idée et une expérience de son corps comme constitué par les effets de transactions continues entre personnes, territoire, collectivité familiale et communauté de village.

"Un monde à soi : expérimentation, invention et perception. Le journal d'enfance d'Opal Whiteley".

Michèle Coquet (anthropologue, CNRS)

L’enfance est le temps et le lieu des expériences premières et de l’instauration de relations nouvelles avec l’univers des choses, relations changeantes, toutes entières conjuguées au présent, où rien n’est encore figé par l’habitude et la contrainte, où le monde s’offre librement à la transformation et à l’imagination.

C’est ce que révèle le journal d’une fillette, écrit dans les années 1904-1905 durant ses sixième et septième années, nommée Opal Whiteley. Redécouvert dans les années 1980 après avoir été publié une première fois en 1920 aux Etats-Unis, il fut traduit en français en 2006. Ce document est exceptionnel à la fois par sa rareté et par la singularité de son auteur qui, malgré son jeune âge, décrit avec une grande précision son existence parmi les siens, ses pensées et ses émotions. Il permet de pénétrer dans l’intimité des actes et des sensations d’une enfant de 7 ans et d’approcher quelques-uns des procédés par lesquels les enfants, tout en s’appropriant des pans entiers de la culture dans laquelle ils grandissent, les détournent pour bricoler et inventer des mondes singuliers, régis par des règles propres, dont ils sont les seuls à connaître les usages.

21 MAI : AUTOUR DU CORPS Texte mobilisateur

Le corps sert depuis bien longtemps à l’anthropologie, sous des modalités diverses, d’opérateur de pensée de la relation entre individus et monde social. Compte tenu de l’histoire longue et mouvementée de l’anthropologie du corps, nous avons choisi de privilégier ici, parmi les approches les plus récentes, celles qui permettent de penser conjointement le corps et l’enfance. Il ne faut cependant pas oublier que, dès les années 1930, en France comme Outre-Atlantique, ces deux thèmes ont été réfléchis en synchronie. On peut notamment citer l’article programmatique de Marcel Mauss sur les techniques du corps (1934), dans lequel les questions de la transmission et des

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âges de la vie étaient abordées, et bien sûr l’école culturaliste, qui s’est attachée à dévoiler le processus d’incorporation, au cours de l’enfance, de la culture.

Depuis, les points de contact entre l’anthropologie du corps et l’anthropologie de l’enfance sont restés insuffisamment nombreux, bien que les deux domaines aient adopté l’approche du constructivisme social. Ainsi, le fait que les enfants aient été pensés dans le développement des New Childhood Studies comme des acteurs dont les voix devaient être entendues, a conduit à négliger la dimension corporelle de l’expérience enfantine. Komulainen (2007) et Lewis(2010)ont par ailleurs relevé la dimension morale de l’affirmation du droit des enfants à la parole ainsi que l’ambigüité et la complexité de la communication avec les enfants. Le questionnement est également empirique et méthodologique : quels outils permettent d’appréhender les enfants dans leur dimension corporelle ? Car, en effet, le corps est aussi un médium d’expression. Mettre l’accent à la fois sur le corps et sur le langage permet d’interroger simultanément l’expression et l’incorporation de l’expérience. Si pendant longtemps le corps des enfants a été appréhendé uniquement comme un objet naturel sans aucun lien entre l’expérience corporelle et cognitive que les enfants font de leur propre corps, les développements récents de l’anthropologie médicale anglo-saxonne (qui doit d’ailleurs beaucoup aux travaux de Foucault sur le corps comme lieu où s’exerce le pouvoir, mais aussi au développement de la notion d’habitus par Bourdieu), ouvre la voie à une articulation fructueuse entre anthropologie de l’enfance et anthropologie du corps. La notion d’incorporation (embodiment) s’est notamment affirmée comme outil conceptuel permettant de surmonter le dualisme cartésien qui reléguait le corps au statut de récepteur passif (Csordas, 1994). Elle permet par exemple d’aborder un corps traversé par l’émotionnel (Scheper-Hughes, 1992), ou encore de penser la perception que les enfants ont de leur propre corps en tant que processus social et centre propulseur de l’élaboration du savoir, comme des processus de formation du soi, afin de pouvoir localiser l’expérience incorporée des sujets comme la genèse des processus historiques et culturels.

La manière dont l’anthropologie de l’enfance permet de repenser l’anthropologie du corps, et vice versa, peut être explorée à travers les pistes suivantes :

1. Le corps constitue un capital symbolique et un « instrument » dont les enfants eux- mêmes peuvent se servir. On peut interroger l’agency des enfants dans les processus d’interprétation, de négociation et d’utilisation qu’ils font de leur propres corps.

2. Le corps des enfants est un médiateur de la construction de relations sociales, de mondes de signification et d’expérience impliquant des enfants, des adultes, des pairs (Prout, 2007).

3. Le corps est le site de rapports de pouvoir qui façonnent les expériences enfantines, mais il est aussi « civilisé » afin de participer aux mondes sociaux. On peut interroger notamment les pratiques qui visent à inscrire le statut et le genre des enfants dans leur corps.

4. Le corps peut également être appréhendé comme simultanément médium et objet d'apprentissages. Techniques du corps, savoir-faire techniques, et savoirs relationnels mobilisent le corps dans ses mouvements, sa gestualité, ses positionnements, tant et si bien qu’on peut se demander si le paradigme de l’incorporation (ou de l’embodiment) ne permet pas de repenser différemment ceux de savoir et d’apprentissage notamment dans leurs dimensions tacites, implicites.

5. On peut réfléchir au processus de production de la connaissance sur les enfants comme expérience concrète, matérielle, de la rencontre entre deux personnes incorporées (Turner, 2000) : le chercheur et ses jeunes interlocuteurs. Ceci peut permettre de problématiser la question de la relation d’enquête, qui est aussi relation de pouvoir.

Quels sont en effet les enjeux liés à l’expérience incorporée de la rencontre ethnographique avec des enfants ? La différence de statut entre le chercheur et les enfants est-elle tellement dissemblable de celle qui prévaut avec ses enquêtés adultes,

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qu’il faille penser des modalités relationnelles différentes et surtout spécifiques (à la catégorie « enfants ») ? L’ethnographe doit-il pour cela incarner une posture spécifique, se mettre au niveau des enfants ? Cela est-il même possible ? Est-ce que poser le corps comme un intervenant dans la relation ethnographique avec les enfants implique un positionnement moral (lié aux débats sur la pédophilie, par exemple), impliquant l’adoption d’une éthique de comportement ? Quelles en seraient alors les normes ? BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES CITÉS

Csordas T., 1994, Embodiment and Experience, Cambridge, Cambridge University Press.

Komulainen S., 2007, « The ambiguity of the child’s ‘voice’ in social research », Childhood, Vol.

14(1), SAGE Publications, London, Thousand Oaks and New Delhi, pp. 11–28.

James A., 2007, «Embodied being(s): understanding the self and the body in childhood », in Prout A. (dir.), 2007, The body, childhoods and society, London, MacMillan Press Ltd.

LewisA.,2010,« Silence in the context of ‘child voice’ », Children & Society, Vol. 24, pp. 14–23.

Mayall B., 1996, Children, health and the social order, Buckingam, Open University Press.

Mauss M. 1934, « Les techniques du corps », Article originalement publié Journal de Psychologie, XXXII, ne, 3-4, 15 mars - 15 avril 1936. Communication présentée à la Société de Psychologie le 17 mai 1934.

Prout A. (dir.), 2007, The body, childhoods and society, London, MacMillan Press Ltd.

Scheper-Hughes N., 1992, Death without weeping, the violence of everyday life in Brazil, Berkeley, University of California Press.

Turner A., 2000, « Embodied ethnography. Doing culture», Social Anthropology, vol.8 (1), pp.51- 60.

PROGRAMME:

Discutants : Doris Bonnet (Anthropologue, directrice de recherche à l’IRD) et Alain Epelboin (anthropologue, chargé de recherche, CNRS)

9h-12h30

Nicoletta Diasio (Anthropologue, Professeur, Université de Strasbourg)

L'expérience corporelle des enfants: au-delà de l'opposition entre 'constructivisme' et 'matérialisme'

Charles-Édouard de Suremain (Anthropologue, chargé de recherche, UMR 208 PaLoc

« Patrimoines Locaux », IRD-MNHN)

Emmailloter le nourrisson et apprendre à être femme en Bolivie

Serena Bindi (Anthropologue, post-doctorante Anthropologie Sociale, Université de Nice Sophia Antipolis. Membre associée Centre d'Etudes Himalayennes, CNRS)

Le rituel thérapeutique comme lieu de production culturelle du corps de l’adolescente au Garhwal (Himalaya indien).

14h-17h

Sébastien Roux (Anthropologue, chargé de recherche, CNRS-Cessp) Le visage de la souffrance

Rosario d’Olongapo, victime de l’exploitation sexuelle des enfants

Marion Delpeu (Anthropologue, post-doctorante, ORS UMR 912, Inserm/IRD)

Le corps de l’enfant séropositif : enjeux religieux et médicaux dans une institution catholique en Inde du Sud.

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RÉSUMÉS:

L'expérience corporelle des enfants: au-delà de l'opposition entre 'constructivisme' et 'matérialisme'

Nicoletta Diasio (Anthropologue, Professeur, Université de Strasbourg)

Le concept d'enfant acteur, véhiculé par l'anthropologie de l'enfance, entre en résonance avec des théories et des recherches accordant une importance majeure à la dimension sensible et incarnée de l'action individuelle et des pratiques sociales. L'expérience de l'enfant étant marquée par le changement corporel, et par la réflexivité inhérente à cette condition existentielle d'inachèvement, le corps vécu des enfants est, de manière non séparable, une production discursive et une réalité de transformation (Prout 2000). Ce corps, toutefois, reste une entité ambiguë, difficile à définir et l'essaimage des études sur ce sujet n'a pas pour autant dissipé les flottements sémantiques et conceptuels qui le caractérisent (Warnier 2009). Mon hypothèse est que la recherche avec les enfants peut aider à dépasser, au moins idéalement, une opposition fréquente dans la littérature scientifique entre corps représenté et corporéité, et entre une approche constructiviste et une

« matérialiste » plus centrée sur l'expérience psycho-physio-sociale. Après avoir présenté de quelle manière les enfants, le corps, la culture matérielle ont été au coeur de quelques virages épistémologiques au sein des sciences sociales des trente dernières années (par exemple à travers les différents sens accordés au concept d'incorporation), j'analyserai la fécondité heuristique de ce croisement à partir d'une recherche de terrain menée en Alsace, Lorraine et Vénétie sur l'expérience des changements pubertaires.

Emmailloter le nourrisson et apprendre à être femme en Bolivie

Charles-Édouard de Suremain (Anthropologue, chargé de recherche, UMR 208 PaLoc

« Patrimoines Locaux », IRD-MNHN)

Chez les populations aymaraphones et quechuaphones de Bolivie, la période des trois premiers mois de la vie du nourrisson est marquée par la réclusion de sa mère. Celui-ci doit être emmailloté jour et nuit au risque de mettre sa vie en péril et, à plus long terme, de fragiliser son squelette. En tentant de se dégager de la ceinture qui l’entoure, la faja, celui-ci développe à la fois force physique et résistance symbolique face au malheur. Les séances d’emmaillotement permettent également de transmettre aux femmes les droits et les devoirs d’une « mère accomplie » et d’une « épouse dévouée », en somme les ressorts de l’identité féminine. Négliger l’emmaillotement de l’enfant serait ainsi une menace pour la société toute entière. Tandis que l’enfant est un vecteur d’intégration et de reconnaissance sociale pour sa mère, il incarne aussi sa mise à l’écart potentielle de la société.

Alors que l’enfant n’a pas encore le sentiment de sa propre identité, le façonnage de son corps est investi d’une fonction fondamentale : celle de reproduire l’ordre social et les relations entre les hommes et les femmes qui fondent la société.

Le rituel thérapeutique comme lieu de production culturelle du corps de l’adolescente au Garhwal (Himalaya indien).

Serena Bindi (Anthropologue, post-doctorante Anthropologie Sociale, Université de Nice Sophia Antipolis, membre associée Centre d'Etudes Himalayennes, CNRS)

L’observation des rituels thérapeutiques sous forme d’exorcisme des adolescentes au Garhwal dévoile à quel point le corps de l’adolescent est sujet, par le moyen du rituel, à une action de production culturelle. L’exorcisme de Rurci, qui fera l’objet de cet exposé, fait apparaître les mécanismes subtiles selon lesquels la restitution à l’adolescente « malade » d’un corps « normal » et d’un soi intégré implique l’expérience de perméabilité du soi,

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d’un “soi étendu” au-delà du corps, et d’un corps envahi par des influences externes. C’est en faisant vivre à l’adolescente cette expérience que les rituels thérapeutiques construisent des corps et des sois à la fois inscrits dans une communauté localisée mais aussi dans une collectivité élargie. La performance rituelle constitue ainsi un instrument puissant permettant de produire des modalités de “sensation” et d’ appartenance, et utilisé pour structurer une idée et une expérience de son corps comme constitué par les effets de transactions continues entre personnes, territoire, collectivité familiale et communauté de village.

Le visage de la souffrance

Rosario d’Olongapo, victime de l’exploitation sexuelle des enfants Sébastien Roux (Anthropologue, chargé de recherche, CNRS-Cessp)

La lutte contre l’exploitation pédophile dans le tourisme s’est structurée à la fin des années 1980, suite à quelques faits divers particulièrement sordides. Le plus célèbre d’entre eux, le décès d’une enfant philippine prénommée Rosario, a profondément ému les militants engagés dans la criminalisation de la pédophilie internationale. En revenant sur le sort de la fillette – décédée à la suite d’une infection généralisée causée par l’intromission dans son vagin d’un objet par un touriste autrichien – nous montrerons comment et pourquoi le récit de sa souffrance a suscité un sentiment compassionnel apte à la mobilisation. Par une analyse du récit de ses malheurs, de sa mise en circulation et du traitement judiciaire du fait divers, on cherchera à penser les réactions émotionnelles au corps violé de l’enfant et ses implications morales et politiques.

Le corps de l’enfant séropositif : enjeux religieux et médicaux dans une institution catholique en Inde du Sud.

Marion Delpeu (Anthropologue, post-doctorante, ORS UMR 912, Inserm/IRD)

Cette présentation se base sur l’étude ethnographique d’une institution catholique d’accueil de personnes séropositives située en Inde du Sud. Créé il y a plus de dix ans et issu de l’association de deux congrégations, l’une regroupant des religieuses indiennes et l’autre des missionnaires occidentaux, ce centre est le lieu de vie d’une vingtaine d’enfants, âgés de quelques mois à 18 ans, pauvres, de basse caste et principalement hindous.

Nous examinerons comment l’articulation entre le contrôle de l’accès au médicament et aux soins et l’imposition de pratiques religieuses exclusivement catholiques favorise un contrôle permanent et quotidien du corps des enfants, nuancé par les conflits entre les congrégations autour de modèles divergents. J’insisterai sur les tentatives violentes et/ou anodines des enfants et des adolescents visant à se réapproprier son corps par des formes telles que le viol, les conflits, le travail, l’arrêt des médicaments et la mode.

Références

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