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La chimie: son développement à Genève aux XVIII<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècles

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La chimie: son développement à Genève aux XVIII

e

et XIX

e

siècles

BUCHS, Armand

BUCHS, Armand. La chimie: son développement à Genève aux XVIIIe et XIXe siècles. In:

Trembley, Jacques. Les savants genevois dans l'Europe intellectuelle du XVIIe au milieu du XIXe siècle. Genève : Ed. du Journal de Genève, 1987. p. 159-202

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:154447

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CHAPITRE V

La chimie

Son développement à Genève aux XVIIIe et XIXe siècles

par Armand BucHS

Les débuts de l'enseignement de la chimie à Genève remontent à 1776, année de la fondation de la Société des Arts par H orace-Bénédict de Saussure et l'horloger Louis Faizan. A cette occasion il fut créé trois postes de pl,"ofesseurs, qu'on appela démonsrrateurs afin de ne pas usurper un titre réservé à l'Académie (1). Ces démonstrateurs devaient donner aux artisans des cours gratuits comprenant le dessin d'après nature, la mécani- que appliquée à l'horlogerie et la chimie des métaux. Saussure demanda à Pierre-François Tingry (1743-1821) de se charger du cours de chimie (Figure 1). Tjngry, originaire de Soissons, avait étudié la chimie à Paris ou il avait suivi les cours de Guillaume-François Rouelle (1703-1770), qui enseignait au Jardin du Roi et qui eut notamment comme éleve, en 1763, Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794). Etant venu · 'installer à Genève en 1770, Tingry s'était associé au pharmacien Abraham Le Royer et consacrait une partie de son temps à des travaux de chimie. La pharmacie Le Royer & Tingry, située a la rue Basse des Allemands, l'actuelle rue de la Confédération, devint peu à peu un lieu de rencontre pour les savants genevois qui venaient s'y entretenir de leurs travaux et écbanger leurs idées sur ceux de leurs collègues étrangers.

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PROSPECTUS

D" UN

COURS GRATUIT

DE CHYMIE

TH!::ORIQUE ET EXl'tRIMENTALE.

DES ARTiSTES,

r1<.ora~t

r.u Il SoCltTt éublic 1t-0ur l"cncaur~Gcmcnt d(s Ans <b.ns b Ville ix. le Territoire de b

H.i:pul.J1iquc de Gt:.~E\'f.

[ r S ]

Je m'dlimcrai crès-heureux, G. par mon zélc tx_ mes foins à remplir uuc ctchc auffi honora- ble que pénible, j'ancins au but auquel j'afpire depuis {i. long-rems , au bonheur de me reodrc urilc; & {i., en répondanr aux vues de la So-

CIËTË DES ARTS 1 je parviens.~ répandre fur la claffc nombrcufc dcç Arcirtcs , les influences de la vériiable Chymic , & les pui(faa(cs re!Tour- ce.s qu'elle offre à ceux qui la culriveor.

TlNGR Y, i\:'frre. en Pharmacie &

Démor.jfratwr en Chymîc.

FIGURE 1. Première et dernière page d'un prospectus de 1776 annonçant le cours de chimie de Tingry.

La chimie à la fin du XVIIe siècle

A cette époque la chimie ne s'était pas encore libérée de la doctrine du phlogistique. Les chimistes du XVIIe siècle croyaient à l'existence d'un agent universel, responsable de toutes les transformations chimiques de la matière. L'idée que cet agent était le principe du feu a été exprimée pour la première fois par le chimiste allemand Johann Joachim Becher (1635- 1682). Il pensait que tout corps combustible contient en lui-même la cause de sa combustibilité, un principe qu'il appelait «terra pinguis», c'est-à-dire terre grasse, huileuse. En 1546, le minéralogiste Georg Bauer (1494-1555), connu sous le nom d' Agricola, avait déjà utilisé cette expression pour caractériser les matières bitumineuses. L'idée de Becher fut reprise tout à la fin du XVIIe siècle par Georg Ernst Stahl (1660-1734), un autre chimiste allemand, qui était aussi médecin. Il donna à ce principe le nom grec

«phlogiston», qui signifie inflammable et développa une théorie que les chimistes accueillirent avec enthousiasme. La théorie du phlogistique connut un succès tel qu'elle finit par dominer complètement la chimie du XVIIIe siècle; on l'appelait la «sublime théorie ». Le phlogistique était considéré comme un élément insaisissable, contenu dans tous les corps combustibles, comme par exemple le soufre et le charbon, ainsi que les métaux, et qui s'échappait lors de la combustion. Ainsi, lorsqu'un métal était calciné, il perdait du phlogistique et devenait une chaux, c'est-à-dire un oxyde. Inversement, en fournissant du phlogistique à un oxyde on régénérait le métal. Le noir de fumée était considéré comme le corps le plus riche en phlogistique puisque sa combustion ne laissait pratiquement aucun résidu. Au cours du XVIIIe siècle, la théorie du phlogistique devint progressivement plus complexe, contrainte qu'elle fut d'incorporer les nouveaux faits expérimentaux qui s'accumulaient à un rythme croissant.

Gabriel-François Venel (1723-1775), l'auteur de l'article sur la chimie dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, écrivait en 1753 que cette science était peu appréciée en France et que les «chymistes forment un peuple distinct, très peu nombreux, ayant sa langue, ses loix, ses mystères, et vivant presque isolés». Il était un admirateur inconditionnel de la théorie du phlogistique et souhaitait qu'apparaisse en France un savant enthou- siaste et audacieux qui élèverait la chimie au rang qu'elle méritait et la placerait au niveau de la physique et des mathématiques (2). Il ne pouvait évidemment pas prévoir que ce savant serait Lavoisier, qui allait, par des travaux entrepris quelque vingt ans plus tard, renverser la doctrine du phlogistique et poser les fondements de la chimie moderne.

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162 ARMAND BUCHS

On connaissait alor une vingtaine de corp simples (3) dont certains depuis l' Antiquité, comme le oufre, le carbone, l'or, l'argent, le cuivre, le fer, l'étain, le plomb, le mercure et l'antimoine. Le zinc avait été cité pour la première fois ous a dénomination actuelle par Paracelse (1493- 1541) au début du XVIe siècle etle bismuth, connu depuis l' Antiquité mais qui était considéré comme une variété de plomb, avait été distingué en tant que métal particulier en 1558. Les découvertes du phosphore de l'arsenic, du cobalt, du nickel du manganèse, du platine et du chlore étaient plus récentes. Dans son Dictionnaire de chymie publié à Paris en 1766, Pierre- Joseph Macquer (1718-1784) con idérait encore le feu, l'air, l'eau et la terre comme des élément , c'est-à-dire comme des corp «d'une simplicité telle qu'ils ne peuvent pas être décomposés ». On connaissait aussi toute une série d'oxydes, qu'on appelait chaux métalliques ainsi que l'alumine et la- chaux elle-même. On avait faire

la

distinction entre les alcalis caustiques, c'est-à-dire les hydroxydes, et les carbonate , qu'on désignait sous le nom d'alcalis doux. Parmi le acides qui étaient connus, on peut citer les acides chlorhydrique, nitrique, sulfurique, ainsi que l'acide acétique et divers autres acides organiques· on dispo ait donc aussi d'un nombre considérable de sels.

L'analyse des gaz allait révolutionner la chimie. Avant de pouvoÎl: les étudier, il avait fallu attendre que Stephen Hales (1677-1761) inventât, au début du XVIIIe siècle, la cuve à eau, ce qui permit de le manipuler. Le C02 qu'on appelait «air fixe », avait été reconnu pour la première fois vers 1752 par Joseph Black (1728-1799) et l'hydrogène, ou «air inflamma- ble», en 1766, par Henry Cavendish (1731-1810)· comme L'eau de la cuve de Hales dissolvait une partie des gaz, Cavendish l'avait remplacée par du mercure.

En 1772, Joseph Priestley (1733-1804) découvrit successiven~entles oxydes d'azote NO et N20, puis en 1774 l'oxygène, qu'il appela «air déphlogistiqué» l'anhydride sulfureux (S02), le gaz chlorhydrique et l'ammoniac. Le Suédois Carl Wilhelm Scheele (1742-1786), qui avait le premier séparé l'azote de l'air en 1771-1772, en même temps que 1 Ecossais Daniel Rutherford (1749-1819), avait obtenu de l'oxygène une année avant Priestley, mais il ne l'annonça qu'en 1777.

C'est après avoir lui aussi préparé de l'oxygène par chauffage de l'oxyde de mercure HgO, comme Priestley l'avait fait le 1er août 1774, et apres avoir refait de nombreuses expériences de calcinatioll, mesurant chaque fois soigneusement les changements de poid et de volumes, que Lavoisier comprit qu'il n'avait plus besoin du phlogistique pour expliquer ses observations. Ses expériences confirmaient ce qu'il soupçonnait depuis 1772, à savoir que toute combustion résulte d'une combinaison du corps

LA CHLMIE 163

calciné avec la partie «éminemment respirable» de l'air, laissant dans ce dernier une «mofette résiduaire ». Il ne remplacera ces termes par oxygène, ou plutôt «principe oxigène», et azote qu'en 1787 environ. Lavoisier pensait en effet que le «principe oxigène» ne devenait de l'oxygène qu'une fois uni au calorique.

Après l'air, ce fut au tour de l'eau .de perdre son caractère d'élément.

Cavendish en avait préparé à partir d'hydrogène et d'oxygène et Lavoisier, assisté du général Meusnier de la Place, à qui l'armée avait demandé de perfectionner les montgolfières, en avait décomposé en 1783 au cours d'une expérience publique, précisément pour fournir de l'hydrogène aux frères Montgolfier (4). Le Traité élémentaire de chimie de Lavoisier parut en 1789, mais il fallut encore attendre de nombreuses années avant que l'ancienne chimie des principes ne fût totalement abandonnée, notamment en Allemagne.

Les pharmaciens genevois et la chimie

Les travaux de Tingry, consacrés surtout à des problèmes de chimie appliquée, n'ont pàs laissé de traces dans l'histoire de la chimie, pas plus d'ailleurs que ceux de deux autres pharmaciens genevois nés quelque dix ans après lui, Henri Albert Gosse (1753-1816) et Jean-Antoine Colladon (1755-1830), qui furent avant tout des pharmaciens de renom.

Tingry et Colladon étaient restés attachés à la chimie qu'ils avaient apprise, celle de Stahl, et tous deux semblent avoir été trop occupés pour suivre les progrès de la chimie post-lavoisienne. Parmi les travaux de Tingry on peut citer un traité sur L'art de faire et d'appliquer les vernis, une étude sur la nature des remèdes antiscorbutiques de la famille des crucifères, ainsi qu'un mémoire dans lequel il décrit un four propre à protéger les doreurs de l'atteinte des vapeurs de mercure (Figure 2). Ce sujet avait fait l'objet d'un concours, mis sur pied par la Société des Arts, et ce fut le travail de Tingry qui l'emp"orta. Il fit également des analyses de l'eau du Rhône et de quelques sources minérales des environs de Genève.

Gosse, qui a fondé la Société helvétique des sciences naturelles en 1815, avait étudié à Paris. Revenu à Genève en 1788, il y avait ouvert une pharmacie et consacrait ses loisirs à des travaux scientifiques. Il avait lui aussi participé au concours de la Société des Arts; son mémoire n'y fut pas primé mais lui valut plus tard un prix de l'Académie des sciences de Paris. Il avait créé aux Pâquis, avec son ami Marc-Auguste Pictet, une

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164 ARMAND BUCHS

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MÉMO[RJE

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tU fo <;JJortllrJ ett r;ea.J 'de:_, cJ1io11ttc, c:iecJ rr..nwcitux c({a.i ";),, cJ1icicurO

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De.< Regiflres de la Sontrf.' i1iaMie pour l'encouragement des Arts dans la Ville & le Territoire de la RipuMique

de GENEVE.

FIGURE 2. Ai;>pareil imaginé P_ar Ting~-y pour protég~r les doreurs contre les vapeurs de mercure et titre du mémoire dans lequel Tmgry decnt cet appareil.

T

LA CHIMIE 165

fabrique de poterie et avait déterminé la composition de la terre qu'on y utilisait: Il avait aussi analysé les eaux minérales de différentes sources, qu'il avait ensuite reconstituées pour les vendre à ses clients. Frédéric Reverdin (1849-1931) rapporte que Gosse avait la faculté de vomir à volonté et qu'il en profitait pour étudier le suc gastrique et son effet sur divers aliments (5). Ces recherches avaient attiré l'attention du célèbre chimiste français Antoine-François de Fourcroy (1755-1809), qui l'invita à pubüer es ob ervations dans les Annales de chimie; Gosse ne le fit pas.

En 1804, il devint membre correspondant de l'Académie des sciences de Paris.

Jean-Antoine Colladon a peu publié en chimie. Il s'est surtout intéressé à des problèmes en relation avec les végétaux; il a par exemple analysé la terre de Sauvabelin, qui avait la propriété de bleuir les hortensias. Colladon fut en 1791 l'un des membres fondateurs de la Société de Physique et d'Histoire naturelle et son premier trésorier. Il n'a cependant rien publié dans les Mémoires de cette société, dont le premier volume remonte à 1821 ni semble-t-il dans la Bibliothèque Britannique et la Bibliothèque Univer- selle qui lui fait suite. Des recherches faites par de Morsier ( 6) établissent que Colladon a découvert la loi de l'hybridation, par des expériences de croisements entre des souris grises et d'autres blanches, plus de quarante ans avant le botaniste Johann Gregor Mendel (1822-1884). Ces travaux sont cependant passés totalement inaperçus et lui-même ne pouvait pas comprendre leur importance à une époque où la génétique n'existait pas.

Tingry fut nommé professeur honoraire de chimie appliquée aux arts en 1802, mais il n'a jamais rempli cette fonction, dont il a cependant gardé le titre. Il fut en effet appelé à suppléer le zoologiste et paléontologiste Georges Cuvier (1769-1832) au Collège de France et ne revint à Genève que vers la fin de sa vie. Il est mort à Cologny, dans sa propriété de Bellefontaine, le 21 mar 1821 . Le poète Petit-Senn, son neveu, évoque dans son livre Le p ortefeuille (7) comment, alors qu'il était un jeune homme, il dut se rendre avec ses parents, à pied, des Eaux-Vives à Cologny, par une nuit de bise, à la demande de Tingry qui était mourant et désirait leur faire ses adieux.

En plus de celle de Tingry, l'Académie avait été dotée en 1802 de six autres chaires honoraires pour les sciences. Deux d'entre elles étaient réservées à la chimie. Henri Baissier (1762-1845), professeur honoraire de belles-lettres depuis 1784 et recteur del' Académie depuis deux ans, s'attri- bua la chaire d'histoire naturelle et de chimie tandis que celle de chimie pharmaceutique était confiée à Charles-Gaspard De la Rive (1770-1834) et que Nicolas-Théodore de Saussure (1767-1845) était nommé professeur honoraire de minéralogie et géologie; Saussure fut fort mécontent, car dans

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166 ARMAND BUCHS

le projet de création d'une Ecole centrale du Léman qui datait de 1798, les autorités françaises l'avaient pressenti pour enseigner la chimie, disci- pline pour laq nelle il s'était préparé depuis longtemps. Il accepta néanmoins cette nomination, mais demanda un congé de dix-huit mois pour préparer ce nouvel enseignement et terminer des travaux qui devaient aboutir en 1804 à la publication d'un magnifique ouvrage intitulé Recherches chimi- ques sur la végétation (8).

En 1802, Humphry Davy (1778-1829), John Dalton (1766-1844) et Jons Jacob Berzeliu (1779-1848) qui, tous les trois, allaient bientôt mar- quer l'histoire de la chimie étaient encore au début de leur carrière. Davy était depuis 1798 à Bristol où il s'initiait à la recherche en étudiant les oxydes d'azote. li avait entre autres montré qu'il n'était pas dangereux de respirer du N20, mais qu'au contraire, son inhalation produis<'!it une sensation d'euphorie. Un médecin américain, Samuel Latham Mitchill (1764-1831), profe eur de chjmie, d'histoi.re naturelle et d'agriculture au Columbia College de New York, prétendait en effet que ce gaz était toxique et qu'il était l'agent de la contagion de la peste. Notons en passant que c'est Mitcrull qui a le premier fait connaître les travaux de Lavoisier en Amérique. John Dalton dont les idées allaient également révolutionner la chimie, était encore un inconnu. C'est en septembre de l'année suivante qu'il a in crit pour la première fois dans son cahier de laboratoire les masses atomiques de cioq élément , l'oxygène, l'azote, le carbone, le soufre et l'hydrogène pour lequel il avait arbitrairement fixé la masse atomique à 1. Jusqu'?i. cette date, la notion d'atome n'avait été qu'un concept métaphy- sique. Quant à Berzelius, il venait d'obtenir un doctorat en médecine à l'Université d'Upp ala. En France, Claude-Louis Berthollet (1748-1822), qui était né à Talloires, allait publier une année plu tard son célèbre traité Essai de statique chimique. B rthollet était l'uo des plus brillants représen-

tants français de la nouvelle chimie et un trè proche ami de Théodore Tronchin (1709-1781), médecin du duc d'Orléans, qui avait été professeur honoraire de médecine à Genève de 1755 à 1766. C'est donc à l'aube du développement extraordinaire qu'allait bientôt connaître la chimie, grâce aux travaux des Davy, Dalton, Berzelius, Gay-Lussac, Avogadro, Wollas- ton - pour ne citer que les plus grands - que cette science fit son entrée officielle à l'Académie de Genève.

Baissier, qui fut recteur de 1800 à 1818, a peu publié en chimie. Il a présenté quelqu s communications à la Société de physique et d'histoire naturelle, notamment sur la décomposition de l'eau mais ces travaux sont restés inédits. En 1829 il abandonna l'enseignement de la chimie pour retourner à ceux de littérature et d'archéologie.

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LA CHIMIE 167

La didactique des sciences: Charles-Gaspard De la Rive

Charles-Gaspard De la Rive était avant tout un professeur et un magistrat, soucieux du renom scientifique de Genève et de son Académie.

Il s'est continuellement efforcé de faire partager à ses étudiants son enthou- iame pour les découvertes des grands chimistes et physiciens étrangeTs, avec le quels il était souvent lié d'amitié et dont il connaissait parfaitement le travaux.

Il avait été l'un des 264 citoyens de Genève condamné par le tribunal révolutionnaire à la «détention domestique». Libéré peu aprè le 9 thermi- dor 1794, jour de l'exécution de Robespierre, il fut exilé et se renrut à Edimbourg avec son ami Alexandre-John Gaspard Marcet (1770-1822), qui devint plu tard professeur de chimie à Londres. En 1806 la femme de Marcet a publié, sans mentionner qu'elle en était l'auteur, un livre très populaire incirulé Conversations on Chemistry (9). Son nom n'apparut qu'en 1837 dan la J3e édition. C'est par ce livre que le grand avant Michael Faraday (1791-1 67), qui était alors apprenti relieur, fut attiré vers l'étude de la chimie. A Edimbourg, De la Rive couronna trois ans d'études de médecine par une thèse de doctorat sur les causes de la chaleur animale.

Malgré la brieveté de son séjour, il devint président de la ociété royale de médecine de cette ville qu'il quitta, aprè y avoir vécu pendant quatre an , pour se rendre a Londres ou il se lia d'amitié avec quelques-un de ceux qui allaient devenir plus tard des savants renommés. Il y fut nommé membre de la Société royale.

De retour à Genève, De la Rive s'occupa d'abord de la direction de l'hospice des aliénés, donna des cours de chimie, participa activement aux réunions de la Société de Arts et de celles de Phy ique et d'Histoire naturelle et collabora à la rédaction de la Bibliothèque Britannique. Il avait aménagé dan sa maison de Pre inge un laboratoire dan lequel il accueillit de savant étrangers de grande renommée, comme par exemple Davy, Faraday, Berzelius Dumas, puis plu tard Ampère Arago et Sainte-Claire Deville. C'est d'ailleurs en souvenir de l'accueil amical qu'elle et son mari avaient toujours reçu chez les De la Rive et à l'Académie que Mme Davy constitua le «Prix Davy» qui, aujourd'hui encore, récompense tous les deux ans un étudiant de la Faculté des ciences. Davy e t mort à Genève au retour d'un voyage; sa tombe se trouve au cimetière de Plainpalais.

De 1810 à 1814, De la Rive a publié une quinzaine de mémoires; ce sont essentiellement des traductions ou des commentaires de certaines publications de Dalton, Davy, Murray (1778-1820), Wollaston, Henry (1774-1836), Marcet et Berzelius.

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En 1811, De la Rive a publié un mémoire sur la théorie atomique de Dalton. Comme beaucoup de ses collègues, il n'était pas encore le défenseur enthousiaste des idées de Dalton qu'il devint dix an plus tard. Il écrit (10):

La théorie de Dalton, quoique encore bien éloignée de la pe,fection à laquelle elle pourra peut-être un jour atteindre, ne laisse pas cependant d'être intéressante sous plus d'un rapport; elle peut nous inspirer des doutes sur quelques analyses, et par là engager les chimistes a les rectifier, s'il y a.

lieu; elle présente les faits chimiques sous un nouvea1-t jour, elle nous fait entrevoir qiœlques nouvelles lois 'générales et peut nous faire concevoir l'espérance q1-t~on n'estpeut-êtrepas éloigné de l'époque à laquelle on pourra soumettre au calcul la plupart des phénomènes chimiques.

En décembre 1813, De la Rive a participé à la formation du Conseil provisoire, qui fut transformé quelques mois plus tard en un Conseil d'Etat. TI fut premier syndic pendant l'année 1817 et démissionna de sa fonction de cons~iller d'Etat en juin 1818 après un congé de quelques mois qu'il avait sollicité pour raison de santé. Nommé professeur honoraire d chimie générale dans la chaire que Tingry avait occupée sans en remplir les fonctions, car il avait été nommé sans obligation d'enseigner, De la Rive reprit aussitôt son activité scientifique qu'il avait délaissée depuis 1814. En 1819, il a publié dans la Bibliothèque Universelle (11) l'un de ses derniers mémoires consacrés à la chimie. Il s'agit d'une traduction complète, avec commentaires, du fameux mémoire de Berzelius ur la théorie des proportions chimiques et sur l'influence chimique de l'électri- cité. Entre 1800 et 1818 l'électricité avait fait faire à la chimie des progrès spectaculaires, grâce aux travaux de Davy, Berzelius, Gay-Lussac et The- nard, pour ne citer que les principaux. Berthollet l'avait pressenti; on trouve dans son livre Essai de statique chimique la phrase suivante (12):

Avec L'électricité la chimie a acquis ... un agent dont l'énergie sera peut-être portée à un degré qu'on ne fait qu'entrevoir, et qui donnera le moyen de produire dans la formation et la décomposition des combinaisons chimiques des effets inattendus.

De la Rive s'intéres ait beaucoup aux phénomènes chimiques produits par l'électricité, dont il avait été témoin dans le laboratoire de son ami Davy. li avait fait construire dans a maison de Presinge une pile de Volta de cinq cents éléments sur le modèle de celle de deux mille éléments qu'il avait vue chez Davy, en Angleterre. Ce n'était pas comme l'a dit Dumas, la plus puissante du continent. En 1811, Napoléon en avait fait construire

une de six cents éléments, à !'Ecole polytechnique de Paris, pour permettre à Thenard et Gay-Lussac de rivaliser avec Davy, ce qu'il souhaitait d'autant plus qu'il était en guerre avec l'Angleterre. On raconte que lors de l'inau- guration, Napoléon, impatient, avait mis les fils terminaux à la bouche avant qu'on ait pu l'en empêcher; il paraît qu'il reçut une terrible décharge et qu'il partit aussitôt sans dire un mot. A l'époque, De la Rive n'était pas convaincu de la valeur de la théorie de Berzelius. Comme pour celle de Dalton, il restait sur une prudente réserve et terminait sa traduction par le commentaire suivant (13):

En terminant ici l'exposé de la théorie électrochimique, je ne hasarderai

qu'un~ réflexion. Fonder une théorie des affinités chimiques sur ce que nous connaissons des phénomènes électriques, n'est-cepoint donner à cette théorie une base peu solide et surtout peu connue?

Puis il conclut (14):

Il y a dans cette classe de faits que l'on désigne tous, peut-être à tort, sous le nom de phénomènes électriques, il y a, dis-je, tellement d'obscurité, tant de points essentiels à éclaircir, que prendre ce que nous savons actuel- lement à cet égard pour la base d'une théorie chimique, c'est peut-être hasarder beaucoup pour sa solidité et sa durée.

Si l'on en croit son élève le plus illustre, le chimiste et homme d'Etat français Jean-Baptiste André Dumas (1800-1884), l'en eignement dispensé par De la Rive était apprécié. En 1816, Duma était venu, à pied, d'Alès à Genève, où il fut engagé comme apprenti à la pharmacie Le Royer.

Passionné pour les sciences, il assistait, dit-on, avec assiduité aux cours donnés par De la Rive et son ami Marcet, qui enseignait parfois dans la chaire du premier. Marcet était revenu à Genève en 1818 pour occuper une chaire honoraire de médecine et reprendre l'enseignement de la chimie pharmaceutique que De la Rive avait abandonné lorsqu'il fut nommé pour celui de chimie générale. D'après le programme des cours de l'année académique 1821-1822, De la Rive donnait un cours de base et un cours avancé. Dans ce dernier, il exposait les idées de Dalton Wollaston, Berzelius, ainsi que celles de Berthollet et des autres chimistes français, sur les théories les plus récentes et souvent encore controver ées de la chimie. C'est à Genève que Dumas a publié le premier mémoire de sa carrière, avec le fils Le Royer, sur la manière d'utiliser l'iode en thérapeu- tique. L'article était signé «A. Le Royer, pharmacien et

J.

B. Dumas, son élève» (15). Il a ensuite publié à Genève les ré ultats de plusieurs travaux

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170 ARMAND BUCHS

faits avec le physiologiste Jean-Louis Prévost .. Sur les conseils d' Ale~andre von Humboldt, il a quitté Genève pour Pans en 1823. L'apprenti de la pharmacie Le Royer & Tingry devint ensuite

n?o

seulemen.t .l'un des chimistes les plus éminents de on époque ma1s enco~e numst~e, de

I' Agriculture et de 1 Economie d'abord, puis de l'Educatton et enfin, en 1868, secrétaire perpétuel del' Académie des sciences. C'est à ce titre qu'en 1874 il lut devant cette as emblée une notice nécrologique à la mémoire d'Auguste De la Rive, le fils de Gaspard, dans laquelle il rappelait des souvenirs de son passage à Genève ( 16):

Gaspard De la Rive professait la chimie avec clarté et simplicité. Des expériences nombre1-tses et choisies rendaient son ens~ignement utile, à. la fois aux jeunes gens qui voulaient pénétrer les théones et aux ind1.estn~ls

qui en recherchaient les applications. Il s'était proposé, de plus, de faire entre1' l'étude sérieuse de la chimie dans l'éducation de L'homme bien élevé, qu'il attirait par l'éclat des phénomènes don~ il l<~ re_n.dait témoin, CfU:'il retenait en conduisant son esprit de ces réactions infeneures du pratic1.en aux conceptions Les plus bau.tes ou les plus délicates de la phil?sophie naturelle. Personne n,a mieux contribué à populariser sur le continent la doctrine atomique de Dalton qu'il considér<!it comn:e une keiereu:e hypothèse. Ayant fait ses études en. Angleterr~, il en avait ;o.nserve le gout des grands appareils; sa fortune lu.z permettait de. les acquenr; son {abora- toire était anglais, et ~es piles de Vol~a, par leur impor~a~ce, n_'avazent p~.s de rivales sur le continent. Les habitudes de son esprit l avaient conduit, au contraire, à adopter les idées de Lavoisier et les ~octrines de notre Académie; son enseignement était completement f~ança.is. . .

Son compatriote et ami, Le docteur Marcet, qui habitazt Londres et _qui s'occupait de chimie avec une grande distinction, étant venu passer. u': hiver en Suisse, supportait difficilement cette préférence pour les opinions de l'école de Paris, et prétendait ramener l'auditoire d'élite, que Gaspard De la Rive réuni:ssait autour de sa chaire, aux idées de l'école de Londres, à celles de Davy, dont la renommée était alors immense. Les éleves du cours de chimie eurent ainsi la fortune singu.lière d'assister à des leçons faites par deu.x professeurs, venant exposer, tour à tour, sur les mêmes suje~s, les vues auxq1-telles ils donnaient la préférence. Les deux rn:aîtr~s s'él;vazent, peu à peu, des régions de L'enseignement convenu et clamqu.e 1u.squ à ces hauteurs où la pensée flottante commence à habiter. De telles leçons, devenues des séances académiques, faisaient toucher du doigt les p~·oblèn_ies ~· '.é:oudre;

elles tenaient la curiosité en éveil, l' a.uditoire se passionnait, divise sur les opinions, toujours d'accord pour applaudir les deux amis.

LA CHIMIE 171

Dès 1823, G~spard De la Rive délaissa la chimie pour suivre les recherches de. son fils Auguste, nommé dans la chaire de phy ique générale.

~lu recteur, il resta à la tête de l'Académie ju qu'en 1826 usant de soo mfluen~e ~our con oli?er la Fa~ulté des sciences par un nouveau règlement et la creation de plusieurs chaire . Grâce à son influence, l'Etat ver era pour la première fois des subventions à l'Académie pour améliorer les traitements des professeurs.

. En 18?2 De .. la ~ve se vit .offri1~ la chaire de chimie rétribuée qu'on avait pu cre.er ~race a la Fondaaon Tmgry. Il renonça et proposa qu'on y appelle ~enJamrn de la Planche; ce dernied'occupera jusqu'a la nomination de Mangnac en 1841. L'origine du Fonds Tingry remonte à 1794; cette année-là le gouvernement avait décidé d'acheter les cabinets d'histoire nacur~lle de Tingry et de Marc-Auguste Eictet pour le mu ée que devait devenu- l'f-1:ôtel de l'ancienne résidence de France. Le prix con enu était

~e 15 000 livres. Quatre ans. plus tard, Tingry n'avait encore reçu que

le

tiers de cette omme et le proJet de créer un musée avait dû être abandonné

~ cause de l'occupation; Tingry resta donc prnpriétaire de son cabinet et

11

fut c~nvenu en 1810 qu'il restituerait l'acompte reçu de la Société

~conolillq·~e par. une donatiou qui prendrait effet apres le décès de on eI?o:ise, qu~ surv!nt ,en ~ 831; Entre-temps Tingry avait été beaucoup plus ge~ere~x: rl a;a,ir legue a 1 Etat sa propriété de B~llefontai~1e, tipulant qu apres le deces de sa femme, les revenus devaient servir à. créer et entretenir une chaire de chimie expérimentale. Le traitement affecté au profes eur, qui pouvait habiter la maison de Bellefontaine, était de 3500 f!orins par an. Ce professeur, ajoutait le testament, devait donner

~ent dix leçon de chimie par année avec des démonstrations (17). Au- JOUrd'hu~ encore,. l'Ecole de chimie reçoit haque année les re enus du Fonds Tmgry qm er"1enr maintenant à enrichir sa bibliothèque. L'anné de la mort de Ga pard De la Rive, un laboratoire construit dans la cour du musée de l Académie vim compléter l'installation de cette chaire la première qui soit due à la générosité d'un particulier. '

La chin1ie des végétaux : Nicolas-Théodore de Saussure

Nicolas-Théodore de Saussure était le fils du célèbre Horace-Bénédict de Saussure (17~0-1799). Au contraire de Gaspatd De la Rive, qui aimait s'entourer d'amis et de collègues, Théodore de Saussure était d'un naturel

(9)

réservé, timide. Son pere .'étant fait l'instituteur de sa famille, il n'a pas fréquenté le Collège et eut de ce fait peu de contact avec les enfants de son âge. Il prit ainsi l'habitude de travailler et de méditer en solitaire.

Macaire (18) raconte qu'il ne ressentait nullement le besoin de s'entretenir de ses travaux avec les autres et que, quand il venait le présenter aux séances de la Société de physique et d'histoire naturelle, personne n en connaissait le sujet à l'avance. Le jeune Saussure avait déjà été initié à la physique, la minéralogie et la chimie avant d'entrer à l'Académie.

Lors de la révolution, Saussure, comme beaucoup de fils de patriciens, quitta Genève. Il parcourut l'Ecosse et l'Angleterre, tout en complétant ses connaissances de chimie. Revenu à Genève il consacra désormais pendant sept ans toute son activité à un seul projet, une étude rigoureuse des rôles de l'eau, de l'air, de la lumière, du terreau de l'anhydride carbonique et de différents autres gaz ur la nutrition et le développement des végétaux. Ces recherches furent publi.ées en 1804 dans un magnifique ouvrage intitulé Recherches chimiques sur la végétation (Figure 3), qui a immortalisé le nom de Théodore de Saussure. Dans ce travail, admirable de rigueur et présenté dans un style concis, Saussure a d'emblée placé l'expérience, et elle seule, au centre de sa démarche scientifique. Il écrit par exemple (19):

Les recherches dont je m'occupe dans cet Ouvrage, ont pour objet l'infiHence de l'eau, de ['air, du terreau., sur la végétation. Je ne prétends point cependant pénétrer dans toutes les parties de cet immense sujet.

j'aborde les questions qui peuvent êtres décidées par l'expérience, et j'aban- donne celles qui ne peuvent donner liet' qu'à des conjectures. Les faits, en histoire naturelle, conduisent seuls à la vérité ...

Plus loin il poursuit (20):

je m'occupe encore d'un sujet qui n'a donné lieu q1"'à des hypothèses:

c est celui qui a pour objet l'origine des cendres. Je recherche, par des expériences nombreuses, les principes suivant lesquels ces cendres varient, soit dans leur quantité, soit dans leur composition, suivant la saison, la nature des végétaux et leurs différentes parties. Ce travail m'a valu plusieurs obse1°vations nouvelles, qui prouvent que tau.tes les questions que je viens d'énoncer peuvent être résolues, sans attribu.er à la végétation des forces créatrices et des transmutations en opposition avec les observations connues.

Co~me Abraham Trembley (1710-1784) avant lui (21), il estimait qu'il ne suffisait pas de présenter et d'interpréter des résultats, mais

RECI-IERCHES

CHIMIQUES

SUR LA VEGÉTATION;

PAR THÉOD.

DE SAUSSURE.

In no\•a fert animus mutalas dicere formas Corpora. Di 1 cœplis ( nam vos mutastiset iilas) A.spirate m~is.

Ovrn. lih. r, Met.

A PARIS,

Chei:la V.' NYON, Libraire, rue du Jardinet, n• 2, A N X I I. :::::; r 804.

FIGURE 3. Page de titre de l'ouvrage le plus célèbre de Nicolas-Théodore de Saussure.

(10)

174 ARMAND BUCHS

qu'il fallait décrire en détail comment ils avaient été obtenus. Il écrit à ce propos (22):

Dans les expériences sur la végétation, tant de causes diverses et imprévués tendent à influer sur les résultats, que l'on ne doit jamais se dispenser d'exposer toutes les circonstances qui les accompagnent. Les détails dans lesquels j'entrerai à ce sujet, serviront à déterminer le degré de confiance que l'on peut donner à mes recherches; ils préviendront les contradictions qui naissent de la différence des procédés; ils expliqueront les erreurs auxquelles je ne puis me flatter d'avoir échappé dans une suite d'expériences longues, difficiles, et qui ne sont peut-être applicables dans leurs résultats, qu'aux espèces de plantes soumises à mon examen.

A la fin du XVIIIe siècle, quand Saussure entreprit ses travaux, les idées sur les rôles de l'eau, de l'air et du sol sur la croissance des plantes étaient confuses. On avait certes progressé depuis 1761, quand Marcello Malpighi (1628-1694) avait suggéré que les feuilles prélèvent leur substance dans l'atmosphère (23). Cinquante ans plus tard, Hales dit que l'air se condense dans la substance des plantes et reconnut pour la première fois l'intervention de la lumière. Influencé par Newton et sa théorie corpuscu- laire de la lumière, Hales pensait qu'elle pénétrait dans les feuilles et les fleurs sous forme de grains. Avant eux, Jan Baptist Van Helmont (1579- 1644), Robert Boyle (1627-1691) et Johan Gotschalk Wallerius (1709-1785) croyaient que l'eau seule suffisait à l'alimentation des plantes. Il fallut ensuite attendre à nouveau une cinquantaine d'années avant que les obser- vations de Priestley, du naturaliste hollandais Jan Ingen-Housz (1730-1799) et du pasteur genevois Jean Sénebier (1742-1809) apportent quelques éclaircissements sur la nature et le rôle des échanges gazeux entre les plantes et leur environnement.

A cette époque on invoquait encore un principe vital, «l'ouvrage de la nature», pour expliquer la présence de composés minéraux dans les plantes. Sur ce point, les idées n'avaient donc guère changé depuis qu'un demi-siècle plus tôt Wallerius, professeur de .chimie à Uppsala, avait prétendu que les sels contenus dans les plantes provenaient d'une trans- mutation de l'eau.

Après sept ans de travail, au cours desquels il avait écarté de sa démarche toute méthode qui ne relevait pas del' expérience et tout jugement qui ne se fondait pas exclusivement sur la raison, Saussure apporta en 1804 des réponses précises et irréfutables à toutes ces questions. Il montra d'abord que pour germer une graine a besoin non seulement d'eau mais aussi d'oxygène. Il reconnut que l'oxygène absorbé pendant la période de

LA CHIMIE 175

ge1:n;iination e conven:issait en gaz carbonique et que ce dernier était nu1s1ble au début de la germjnation. Si on ajoute à de l'air des proportions égales d~ Cs:>2, d'hydrogè~e ou d'azote, c'est le premier qui retarde le plus

1:

g~rn~mauo?. Le C02 n e t d~nc utile aux plante que s.i elles peuvent 1 a s1miler

:t

11 conclut que maru~est~ment les gr~ines e? s?nt incapable . Il montra egalement que la germmatton se produit aussi bien à la lumière qu à l'ob curité contrairement à ce qu'affirmaient Sénebier et Ingen- Hou z.

S'occupant. en_suite -d l'action du C02 ur le développement d s pla.n~e. adulte., ~fit de nombreu es expériences avec des mélanges gazeux artif1c1els ennch1s en C02 ec de compo itions exactement connues. Il ob erva que la croi sance 'accélère quand on enrichit l'atmosphère en C02

~t 9u'el.le est a1:rêtée si on enlève ce gaz avec de la chaux vive. Chaque fois il etablic un bilan exact des échanges gazeux et il 'aperçut ainsi que le volume d'oxygène exhalé était légèrement inférieur à celui du C02 absorbé.

~ en conclut fort logiq~ement que les plantes s as imilent une partie de l oxygenc du gaz carboruque qu'elles décomposent. Il en fit la démonstra- tion dans de atmosphères exactement connues avec cinq plantes diffé- rence , des pervenches, de menthes aquatiques des salicaires un pin de 24 cm de hauteur er une cactée.

P~rnr donner. une. idée du oin avec lequel ces expériences étaient conduites et décrites, 11 vaut la peine de laisser Saussure s'exprimer lui- même (24):

Jre EXPÉRIENCE

Sur la Pervenche, (Vinca minor, L.)

J'ai composé avec du gaz carbonique et de l'air commun où l'eudio- mèt;i·~ . à phosphore ù~diquait 21/ 100 de gaz oxygène, une atmosphère ar!ifû:iel~e qttt occup_a.tt 5,746 litres (290 pouces cubes). L'eau de chaux)' denonça~t 1,5 centie,m_e~ de gaz c_arbonique. le mélange aériforme était renferme dans un reczpzent ferme par du merettre humecté, o~t recou.vert d'u_ne t~ès mince couche d'ea.u pour empêcher le contact de ce métal avec l'air quz environnait les plantes; car j'ai bien constaté qiee ce contact ainsi que l'ont annoncé les chimistes hollandais, est nuisible à la végétatio~ dans des expériences prnlongées.

] ai introd1ût sous ce récipient sept plantes de pervenche, hautes chacune de deux décimètres (8 pouces), elles déplaçaient en tout 10 centimètres cubes (0,5 pou.ce cube): leu?'S racines plongeaient dans un vase séparé, qui contenait 15 centimètres ntbes (314 de pouce cube) d'eau; /.a q1-tantité de ce liquide

(11)

sous le récipient, était insuffisante pour absorber une quantité sensible de gaz àcide, surtout à la température du lieu, qui n'était ja.mais moindre que + 17 degrés de Réaumur.

Cet appareil a été exposé pendant six j?11ws de suite,. depui~ ci_nq heure.s du rn:atin jusqu'à onze heures, aux rayons directs du soleil, aff aiblts toutefois losqu'ils a·vaient trop d)intensité. Le septième jm.tr, j'ai retiré les plantes 1ui n'avaient pas subi la moindre altération. Le1.tr atmosphère, toute correction faite, n avai:t pas changé de valu.me, du moins au.tant qu'on peu.t en juger dans un récipient de 1,3 décimètres (5 pouces) de diamèt;_e, où un~ différenc~

de 20 centimètres cubes (im pouce cuhe) est presqu inapp,·éaable; ma1s l'erreur ne peu.taller au-delà.

L'eau de chaux n'y a plus démontré de gaz carbonique: l'eudiomètre y a indiqué 24,5 centièmes de gaz oxygène.]' ai établi un appareil semblable, avec de l'air atmosphérique pur, et le même nombre de plantes à la même exposition; celui-ci n'a changé ni en pureté, ni en volume.

Il résulte des observations eudiométriques énoncées ci-dessus, que le mêlange d'air commun et de gaz acide contenait avant eexpérience:

4199 centim. cub. ou (211,92 pouces cubes) de gaz azote 1116 « « « ( 5 6,33 « « ) de gaz oxygène

431 « « « ( 21,75 « « ) de gaz acide carbonique 5 7 46 « « « (290 « « )

Le même air contenait après l'expérience:

4338 centim. cub. ou (218,95 pouces cubes) de gaz azote 1408 « « « ( 71,05 « « ) de gaz oxygène

O « « « ( 0 « « ) de gaz carbonique 5746 « «

Les pervenches ont donc élaboré ou fait disparaître 431 centimètres cubes (21,75 pouces cubes) de gaz carbonique; -si elles en eussent éliminé tout le gaz oxygène, elles en au,raient produit un volume ég'!'l à celui du gaz acide qui a disparu; mais elles n'ont dégagé que 292 centr.mètres cubes (7 pouces cubes) de gaz oxygène; elles se sont donc assimilés 139 centimètres cubes (7 pou.ces) de gaz oxygène dans la décomposition du gaz acide, et elles ont produit 139 centimètres cubes (7 pouces cubes) de gaz azote.

Une expérience comparative m'a prou.vé que les sept plantes de perven- che que j'avais employées pesaient sèches, avant la décomposition dr-t gaz acide, 2,707 grammes (51 grains), et qu'elles fournissaient par la carbonisa-

tion au feu_ en ~ase clos, 528 milligrammes (9,95 grains) de charbon. Les plantes q':!i ava1.ent décomposé le gaz acide, ont été séchées et carbonisées par le meme proc~dé, et ~l~es ont fourni 649 milligrammes (12,23 grains) de charbon. La de composition du gaz acide a donc fait obtenir 120 milli- grammes ou 2,28 grains de charbon.

, . J'ai fait ~g~.lemen-,t ca~boniser les pervenches qui avaient végété dans l air atmosphenque .depo1-f.illé .de_ gaz acide et j'ai trouvé que la proportion de le,"?· ~arbone avait plutôt diminué qu'augmenté pendant leur séjou:r sous le recipient.

. L~ précision de ses mesures permit à Saussure de mettre en évidence la fixanon des _éléments, de l'eau par les plantes, gui avait été postulée par Berthollet ma~s p~s d.emontrée. Revenant sur ses expériences avec les pervenches qu1 cr01ssa1em dans une atmosphère contenant 7 5% de CO

·1 d, 1 '

2'

l ~i::iontra que . e~ sept plantes avaient <(fixé ou solidifié» dans cette expenence 315 milligrammes (5,8 grains) d'eau (25). Pour lui l'eau fixée par les végétaux ne ~erdait sc:rn oxygène sous forme de gaz qu'après la mort. de la pl~me. Au1ourd'hu1 on sait que l'oxygène expiré par les plantes provient de 1 eau et non du C02.

Saussure se livra ensuite à une étud~ de. la com?osition chimique du ter~eau . Il montra notamment que sous 1 actJ.on conJUguée de l'air et de la plu te, l~ terreau ~st to~alement destructible, on dirait aujourd'hui biodégra-

~able, a l'ex~epnon ?ien entendu des sels minéraux qu'il contient. Il étudia

~g,alement l_a~sorpuon, de ces sels par les plantes et démontra que les elemen~s rwne:aux qu on tr~uve dans les ~encires des plantes ont été abso~bes avec L. eau par les racines et ne proviennent pas, comme l'avaient pense Van. Helmont, Wallerius et Charles Bonnet (1720-1793), d'une transmutation de l'eau provoquée par une force vitale. Il écrit à ce sujet (26):

Avant ~~avoir recours à des transmutations inintelligibles, miraculevtses et en .opposztzon avec toutes Les observations connu.es, il faut s'assurer avec exact:tude que les p~antes ne puisent et ne trouvent point ces principes tout formes dans Les milieux où elles se dév.eloppent.

_En 1804, les pr?J:>~èmes de la nut~ition des végétaux se trouvaient ainsi adnurable~.ent clanfies. Le 30 germmal de l'an XII, Berthollet a lu un la~ge extrait de~Recherches chimiques sitr la végétation à l'Académie des sciences de Pans, _do_nt Sauss~re fut nommé plus tard membre correspon- dant. Le gr~n~ clum1ste Loms-Jacques Thenard (1777-1857), qui avait été professe,ur a 1 Ecole polytechmque de Paris de 1804 à 1837, et plus tard au College de France, nommé baron en 1824 et pair de France en 1833,

(12)

178 ARMAND BUCHS

écrit dans son traité général de chimie, en guise d'introduction au chapitre traitant de la nutrition et de la croissance des plantes, la phrase suivante:

Presque tout ce que nous allons dire sera tiré de l'excellent ouvrage de Mr. Th. de Saussure, qui a fait, sur ces sujets, des expériences qui ne laissent rien à désirer.

A parc ce livre, Saussure a publié une trentaine de travaux la plupart dans la Bibliothèque Britannique, devenue ensuite la Bibliothèque Univer- selle, et quelque -uns dans les Annales de chimie qui avaient été fondées par Lavoisier. En 1830 par exemple, il fit paraître un très intéressant mémoire sur la teneur de l'air en gaz carbonique (27) (Figure 4). Il y présentait les résultats de 225 analy es faites durant l année 1827, 1828 et 1829. Le plus ouvent l'air était prélevé à Chambésy quelquefoi ur le lac, en ville, au Salève, au col de la Faucille ou à la Dôle. Chaque

foi

Saussure notait la température, la pression barométrique, le jour et l'heure du prélevemenr, le temps qu'il faisait ain i que la direction et la force du vent. Il trouva qu'à Chambésy chez lui, la teneur moyenne en C02

calculée à partir de 104 mesures faites de jour et de nuit était de 4,15 volumes de C02 pour 10 000 volumes d'air, le valeurs maxima et minima étant respectivement 5,74 et 3, 15. U constata que la teneur diminuait durant les longues période de plu.ie et qu'elle augmentait en cas de gel ou de séchere se prolongés. L'air prélevé à quatre pieds au-des us du lac en contient moins (4 39 volume pour 10 000), que l'air pris sur le sol le même jour et à la même heure ( 4 60 volum s pom 10 000); à la campagne on en trouve davantage la nuit (4 32) que le jour (3, 98) ces deux valeurs repré- sentant chacune la moyenne de 52 prélèvement effectués à divers moment de l'année, toujour oit a midi, soir la nu.ità 23 heures. Comme on pouvait le prévoir, il observa une différence plu grande en été qu'en hiver. Une analyse statistique des valeuss publiées par Saussure montre que les diffé- rences qu'il a mises en évi.dence ont tout à fait significatives. Dans un de

es derniers mémoires, Saussure toujours soucieux d'améliorer 1. exactitude des dosages d'oxygène dont il se servait pour ses .recherches sur les plante , proposa l'emploi d un nouvel eudiomètre, renfermant de la grenaille de plomb. A'lec cet appareil, il trouva pour une série de 14 analyses de l'air de Genève une valeur moyenn d 21 01 volumes d'oxygène pour 100 volumes d'air les valeurs extrême étant 21,11°/c et 20,94% respecti- vement. Cet écart maximum l.nférieur à 1 % de la valeur moyenne, témoi- gne du soin et de l'habileté avec lesquels Saussure étaidiabitué à travailler.

J'ai déja mentionné que Théodore de Saussure était membre corres- pondant de l'Académie des ciences de Pari . Il était au si l'un des

LA CHIMIE

DE !.'ACIDE CAllBONIQUE AT.MOSl'llÊlllQUE.

Suite du Tableau des Variations de l'acide carbonique atmosphérique.

NUMÉllOS, Tltcrmom. Barom. O.·~ t><J> VE!'iT, Volume Cairlion:aC.e. Po ms <lu adu:miquc. ACIDE

LIEUX ET Êl'OQUE~ à 0°. ~6 d"air <le volume,

..

ccr1ligr. millim. () c

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s: - CIEL, etc.

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baryte. d.,,,

des Obscrvalioos. <> ., litres. mil li gram. - 10000 d"air.

N•• 80. Chambcis,·, .

9.7 août ·s h

+

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du nrnt.'1828:+1G,25cx.t. 7 .. 1,, 94 N. E. médioc1·e,

éclai1·cics. 4,11

8 r. Cltarnbcisv, 2~) août, i~1idi,

+

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, 4 se~t~u~h~·c, muli.

+

2314

33. Chamhcisv

•4 sept., i,' h.

+

20

ap1·ès midi.

84. ChamLcisy

14 septcnÎb;c , 11 li. soir.

+

1 G

85. Chaml1eisy,

26 septcwbre, n1i<li.

+

21, G

86. Lac Léman,

26 seJ>t".mLrc, m1<li.

+

21 ,9 87. Chambcisy,

26 sept. 4 h.

+1

9,

1

après midi.

88. Chambeisy,

26 sept.~ du soir. h. ~

+

13,75 89. Lac Léman,

26 sept., du soir. 8 h. ~

+

13,25

90. Chambeisy, .26sepL, '. du soir. 1 h. t

+

10,9 TOM. IV.

72G, I 8 1 N. E. médiocre, clair.

G 8 81 S. O. failile, voilé, 00

ï2 '1 saison pluvieuse. JJ/3oo r 12,44 4,22 pG,ll 82 S.O. faiLle, couvert. 33,350 1 10 4,2 r 723,2 100 calme, couvert, ro-sée faihle. 3_ G :>,47 140,96 4,91 pS,4 93 N. terre humide. E. faihle, clair, 3 7• '"9 r 123,85 4,14

728,4 95 N. E. faible, clair. 36,o5G 100,63

99 N. E. terre humide. faible, clair, 3 2 • 4 4o 111,63 p8,6 100 N. E. terre humide. faible~ clair, ,- ' 6 684 ro7,55 718,6 100 N. E. forle rosée. faible, clair, 45 ' 2 , I - 158,89 4,.'lo

728,2 100 calme, clair, rosée. 42,088

59

179

FIGU~E 4. U,ne. des pages. d'un tableau ,d.e résultats faisant partie du mémoire de Saussure sur les vanat10ns de 1 acide carbomque atmosphenque (référence 27).

(13)

45 membres correspondants de la Société royale de Londres. De nombreu- ses autres sociétés savantes, comme les Académies royales de aples, de Turin, de Munich les Sociétés Philomatique et Linnéenne de Pari , la Société Wernérienne d'Edimbourg se flattaiem également de pouvoir le compter parmi leurs membres. Sur le plan politique, il avait siégé dans le Conseil législatif de la République de Genève, mais Macaire rapporte que, trop timide sans doute, il n'y prit jamais la parole (28).

Saussure est mort le 18 avril 1845, laissant une œuvre scientifique d'une richesse et d'une rigueur absolument remarquables.

L'unité de la matière:

Jean-Charles Galissard de Marignac

En 1845, l'enseignement de la minéralogie, qui faisait partie de la chaire de Théodore de Saussure, fut confié à Marignac, qui occupait depuis quatre ans celle de chimie générale. Il y avait remplacé BenjamÎl1 de la Planche. Son gendre, Emile Ador (1845-1920), chimiste distingué et auteur d'une notice nécrologique très détaillée sur la vie et les travaux de Marignac (29), nous dit entre autres qu'il était par sa mère Je neveu du pharmacien Le Royer et que la famille Marignac habitait la maison abritant la fameuse pharmacie où Dumas avait fait ses premiers travaux.

Alors qu,il se trouvait en mission en Suède, le gouvernement français l'ayant engagé en qualité d,ingénieur des mines, Marignac fic la connais- sance, en 1839 de Berzelius, qui cinq ans plus tard lui a écrit pour le féliciter de ses premières déterminations de masses atomiques et l prier de continuer dans cette voie. Sa lettre, écrite en français, se terminait ainsi (30):

... Je regrette de ne point avoir pu prévoir, lors de votre visite à Stockholm (1839) que celui q1te je présentais comme un ingénieur des mines devait sitôt occuper une place élevée dans la chimie.

Marignac a en effet consacré l'essentiel de son activité scientifique à déterminer, avec un soin infini et une remarquable compétence, les masses atomiques des éléments. Comme le fait remarquer Ador, presque tous ses travaux s'y rapportent directement ou indirectement. Ses deux premiers mémoires (31, 32) sur ce sujet lui valurent aussitôt une excellente réputa-

tian, à tel point que Berzelius, qui était en général plus enclin à critiquer qu'à louer et considérait que ses propres déterminations de masses atomi- ques ne manquaient pas de précision, dit que celles de Marignac sont meilleures et que personne avant lui n'a atteint un tel degré de précision.

Sa lettre de 1844 commençait ainsi:

Je mets le plus haut prix sur vos expériences concernant les poids atomiques, la patience avec laquelle vous répétez chaque expérience un grand nombre de fois, la sagacité avec laquelle vous variez vos méthodes et la manière consciencieuse avec laquelle vous donnez les nombres dictés par la balance, doivent vous assurer de la confiance entière des chimistes.

Mais le but de ma lettre n'est pas de vous faire des compliments si bien mérités, mais de vous prier au nom de la science à laquelle nous sommes tous deux dévoués, de vouloir bien entreprendre le travail difficile, mais du plus haut intérêt pour la science, d'examiner les poids atomiques de tous les corps simples à la même manière consciencieuse qui caractérise les déterminations que vous avez données jusqu'à présent, car il faut bien mettre la couronne à une œuvre que vous avez si bien commencée ...

Vingt-cinq ans plus tard, lorsque Marignac fut nommé membre étran- ger de la Société royale de Londres, son ami le Dr F. Marcet lui écrit:

Non, ce n'est pas à moi que vous devez votre nomination que je n'ai apprise que par votre lettre, mais bien à votre mérite seul, car les chimistes anglais disent en parlant de vos travaux: si ces résultats ont été obtenus par Marignac et qu'il les donne comme certains, cela nous suffit et il est alors inutile de chercher à les contrôler.

C'est essentiellement pour vérifier l'hypothèse de Prout que Marignac entreprit en 1842 ses déterminations de masses atomiques. Le médecin anglais William Prout (1785-1850) pensait que les masses atomiques des éléments étaient des multiples entiers de celle de l'hydrogène. Il considérait ce dernier élément comme la matière primitive (prima materia) des Anciens.

Cette idée d'une unité de la matière séduisait beaucoup Marignac par sa simplicité et sa profonde signification. Il avait de la peine à concevoir que les quelque soixante éléments qu'on connaissait à l'époque fussent autant de matières distinctes, créées individuellement et indépendamment les unes des autres. Prout avait fait connaître ses idées en 1815 et 1816, dans deux publications anonymes. Ce n'est que quelques années plus tard qu'on sut qu'il en était l'auteur. Dans la première (33), Prout montrait, par le calcul, que les densités de divers éléments gazeux, dans des conditions normales,

(14)

182 AR!vlAND BUCHS

étaient des multiples entiers de la densité de l'hydrogène; dans la seconde, il étendait cette relation aux atomes de certains éléments solides. Ne pouvant pa mesi1rer la densité de l'hydrogène, à cause de sa légèreté, il la calcula à partir de celle de l'azote et de l'ammoniac en utilisant la loi établie en 1808 par Gay-Lussac (1778-1850), qui dit que les gaz se combi- nent entre eux suivant d s rapport de volumes imples. On avait à l'époque que la combinai on de trois volume d hydrogene et d'un volume d'azote donnait deux volumes d'ammoniac. Par ce type de mesure , Prout trouva que la densité de l'hydrogène était exactement quatorze fois plu petite que celle de l'azote et eize fois plus petite que ceUe de l'oxygène.

Choisis am alor arbitrairement la valeur 1 pour la masse atomique de l'hydrogène (H2 selon Prout), il trouva pour celles des autres éléments qu'il considérait, des valeurs entières. En 1816 il écrit (34):

... Si les idées que nous avons pris le risque d'avancer sont correctes, nous pouvons considérer l'hydrogene comme la matière primitive unique des anciens, une opinion qui n'est après tout pas absolument nouvelle.

En disant cela Prout faisait probablement allusion à Davy qui avait écrit en 1812 à propos de l'hydrogène (35):

... son extrême légèreté, et les petites quantités avec lesquelles il entre dans les combinaisonsJ rend improbable qu'il puisse être changé en d'autres formes de matière pondérable par les instrr-tments et les méthodes actuelle-

ment à notre disposition; on peut supposer qr.-te les métaux et les co1ps inflammables sont des combinaisons diverses de l'hydrogène avec un autre principe, encore inconnu ... Il n'est pas impossible de supposer que la matière pondéJ-able puisse, dans des éta.ts électriques différents, oit dans des arran- gements différents, constittter des substances chimiquement différentes.

En 1831, Prout suggéra que l'hydrogène lui-même pourrait être formé par la combinaison de particules encore plus petites (still lower in scale) et en 1834 il écrit (36):

Bien qi.-te nous ayons aussi montré qu'il est probable que les molécitles des corps considérés maintenant comme élémentaires sont composées de beaucoup d'autres, leur ressemblant plus ou moins ... il doit exister un point ou celles-ci et d autres éléments existent dans une forme primitive ou u.ltime et au-delà duquel, si on suppose qu'elles peuvent encore se diviser, elles doivent devenir quelque chose de totalement différent ...

T

J

LA CHIMIE 183

L'hypothèse de Prout a donné lieu à de nombreuses et vives contro- verses. L'un de ses premiers et plus ardents défenseurs fut Thomas Thomson (1773-1852), professeur de chimie à Glasgow. Il avait été le premier à présenter en 1807, dans la cinquième édition de son ouvrage A System of Chemistry, la théorie atomique de Dalton dont ce dernier l'avait longuement entretenu en 1804. Dalton ne la publia lui-même qu'en 1808, dans son traité A New System of Chemical Philosophy. En 1821 Thomson pensait que les résultats de ses nombreuses mesures démontraient l'exacti- tude de l'hypothèse de Prout; il alla même jusqu'à corriger les masses atomiques de Berzelius. Ce dernier écrit alors à Gaspard De la Rive (37):

«Thomson n'a aucun sens commun en chimie. je ne sais pas qui de lui ou de Dobereiner en Allemagne est le plus mauvais chimiste qui existe en ce moment. » Dobereiner qui était un ami intime de Goethe, était professeur à Iéna. Commentant lui aussi les masses atomiques de Berzelius, William Henry (1774-1836), connu pour ses travaux sur la solubilité des gaz dans

1 eau, dit qu'il était malheureux que des erreurs d'expérience aient prévalu sur une loi d'une si grande implicité, à savoir que toutes les masses atomiques sont des multiples entiers de celle de l'hydrogène (38).

En 1840, Dumas et son assistant, le chimiste belge Jean-Servais Stas (1813-1891), firent une série de treize mesures de la masse atomique du carbone (39). Ils trouvèrent la valeur 12,000 ± 0,002, pour cette masse atomique, celle de l'oxygène étant prise comme 16. Ce résultat fut confirmé une année plus tard par deux chimistes allemands, Otto Linné Erdmann et Richard Félix Marchand ( 40). Berzelius ayant repris ce problème en 1842, ramena sa valeur de 12,23 à 12,02. La même année, Dumas trouva exactement 1 pour la masse atomique de l'hydrogène et 40 pour celle du calcium, et ces résultats furent à nouveau confirmés par Erdmann et Marchand. Ces expériences ébranlèrent alors quelque peu la confiance qu'on avait dans les valeurs de Berzelius et ramenèrent de nombreux partisans à l'hypothèse de Prout. Dumas était d'avis qu'il fallait revoir attentivement toutes les masses atomiques et dit que sans adopter ou rejeter les opinions de Prout, il devait bien reconnaître qu'elles étaient générale- ment en accord avec ses propres expériences ( 41).

C'est dans ces circonstances que Marignac entreprit le premier des nombreux travaux qui firent de lui l'un des meilleurs spécialistes de la détermination des masses atomiques. Il écrit en 1842 (42):

Depuis les derniers travaux de Mr. Dumas sur les poids atomiques du carbone et de l'hydrogène, l'attention des chimistes s'est reportée sur une hypothèse qui a souvent été mise en avant, à savoir que les poids atomiques de tous les corps sont des multiples simples du plus petit d'entre eux, celui

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