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Vers un nouveau droit du licenciement

AUBERT, Gabriel

AUBERT, Gabriel. Vers un nouveau droit du licenciement. In: de Reynier, Michel.. et al. Quelles protections pour les employés et les locataires? . Lausanne : RN-Association pour la liberté, le fédéralisme et le droit, 1984. p. 15-24

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14287

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Vers un nouveau droit du licenciement

Gabriel Aubert, cbef de travaux à l'Université de Genève, chargé de cours à l'Université de Fribourg

1. Introduction

1. Le 26 octobre 1981, les syndicats chrétiens déposaient une initiative populaire pour la protection des travailleurs contre les licenciements. En guise de contre-projet indirect à cette initiative, le Conseil fédéral a adopté, le 9 mai 1984, un projet de loi modifiant le titre X du Code des obligations relatif au contrat de travail. Ce projet est actuellement étudié par les Chambres. Le but des lignes qui suivent est de présenter, à grands traits, les objectifs fondamentaux du projet du Conseil fédéral et de l'initiative des syndicats chrétiens. Destinée à alimenter un débat organisé par le Redressement national, notre présentation s'accompagnera d'une prise de position personnelle.

2. On peut rappeler, en quelques mots, la portée de la protection des travailleurs contre le licenciement dans le cadre du droit actuellement en vigueur. Outre l'institution de délais de congé, la loi, aujourd'hui, renfer- me deux types de protection. La première catégorie concerne les licencie- ments effectués en temps inopportun. Ainsi, le congé donné par l'em- ployeur est invalide s'il intervient:

a) au cours des quatre premières semaines d'une incapacité de travail résultant d'une maladie ou d'un accident dont le travailleur est victime sans sa faute, cette période étant portée à huit semaines dès la deuxième année de service;

b) au cours des huit semaines qui précèdent ou suivent l'accouchement d'une travailleuse;

c) au cours d'une période de service militaire ou de protection civile obligatoire et, dans la mesure où ce service a duré plus de douze jours, durant les quatre semaines qui le précèdent et qui le suivent.

Le congé donné pendant une de ces périodes de protection est nul.

Toutefois, lorsque la période a expiré, l'employeur peut résilier le contrat nonobstant la maladie, l'accident ou l'accouchement de la personne à son service.

Une protection renforcèe (c'est la deuxième catégorie, soit celle touchant le licenciement fondé sur un motif déterminé) se trouve prévue en cas de service militaire ou de protection civile: si le contrat est résilié en raison d'un tel service, le travailleur peut s'opposer à la résiliation; lorsque l'employeur maintient sa décision, le salarié a droit à une indemnité correspondant à six mois de salaire au maximum.

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Enfin, chacune des parties peut résilier le contrat de travail avec effet immédiat pour de justes motifs. Si la résiliation effectuée par l'employeur est injustifiée, le travailleur a droit au salaire normalement dû jusqu'à l'expiration régulière du contrat (sous réserve de certaines imputations).

3. La réglementation sommairement résumée ci-dessus date de 1971; elle est entrée en vigueur le l~ janvier 1972. D'aucuns diront que la législation en la matière ayant été repensée dans un passé relativement récent, une modification ne saurait s'imposer aujourd'hui. Cette manière de voir nous paraît mal fondée. Ce qui importe en effet, c'est de savoir si la loi est bonne et s'il faut, le cas échéant, l'améliorer; le simple fait qu'elle existe depuis relativement peu de temps ne saurait militer, à lui seul, en faveur du statu quo. De plus, le titre X du Code des obligations, revu en 1971, a déjà fait l'objet de retouches, s'agissant notamment des vacances. C'est bien dire que le droit doit s'adapter aux exigences contemporaines. Enfin et surtout, on ne saurait oublier que les dispositions sur le contrat de travail ont été élaborées pendant une période de haute conjoncture, dont elles portent clairement la marque. Depuis 1974, la tendance s'est inver- sée. Le chômage, quoique fort modeste par rapport à celui que connais- sent les pays voisins, est devenu une réalité quotidienne: la position des salariés, sur le marché du travail, a profondément changé.

2. Le projet du Conseil fédéral

A. La motivation du congé

Aujourd'hui, l'employeur peut licencier un travailleur sans lui communiquer le motif de sa décision. Le projet du Conseil fédéral prévoit que, à la demande du travailleur, l'employeur doit motiver par écrit le congé.

A notre avis, cette exigence répond à un besoin élémentaire de protection de la personnalité du salarié: le travail d'un individu revêt tant d'importance dans sa vie personnelle que le droit, pour l'employeur, de licencier sans même expliquer sa décision paraît choquant. D'ailleurs, on ne voit pas en quoi l'obligation de motiver le licenciement pourrait représenter une charge trop lourde pour l'employeur: ce dernier, sous réserve de ce que l'on verra ci- dessous, demeure libre de résilier le contrat. Au surplus, de toute façon, dans le cadre de la législation sur l'assurance-chômage, l'employeur est déjà tenu, aujourd'hui, de fournir à l'autorité les informations nécessaires en vue de la fixation du droit à l'indemnité de chômage; parmi ces informations figure, au premier rang, le motif du licenciement.

B. L'interdiction de la résiliation abusive

a) Dans le cadre de notre ordre juridique tout entier, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. La jurisprudence a admis (sur le plan théorique tout au moins) que, selon les circonstances, un licenciement pourrait constituer un abus de droit. Toutefois, la reconnaissance d'un tel

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abus se trouve soumise à des conditions si strictes que, en pratique, l'interdiction de l'abus de droit ne joue aucun rôle dans le domaine du lioenciement.

Pour améliorer la protection du travailleur, le Conseil fédéral propose de considérer comme abusif le congé donné par l'employeur lorsqu'il repose sur oertains motifs considérés comme illégitimes. Ainsi, seraient abusifs par exemple: le congé donné en raison de l'activité politique du travail- leur, sauf si oette dernière porte atteinte aux obligations découlant du contrat de travail; le congé donné paroe que le travailleur fait valoir (de bonne foi) des prétentions contre son employeur, sur la base du contrat de travail; le congé donné en raison de l'appartenance ou de la non- appartenance du travailleur à une organisation de travailleurs ou en raison de l'exercioe conforme au droit d'une activité syndicale.

Dans toutes ces hypotbèses, le lioenciement constituerait un excès de la part de l'employeur; il entraînerait une atteinte inaooeptable à la liberté du salarié. Une telle réglementation ne restreint toutefois pas les pouvoirs de l'employeur s'agissant de la gestion de son entreprise puisque, par définition, n'est jamais abusif un lioenciement fondé sur les besoins économiques de oette dernière. L'objectif visé par le Conseil fédéral est donc d'empêcher l'employeur d'exercer sur le salarié des pressions illégiti- mes, tout en sauvegardant ses prérogatives dans la gestion proprement dite de l'entreprise.

Selon le projet, le licenciement abusif n'est pas nul: il déploie tous ses effets, de telle sorte que le contrat de travail est valablement résilié.

Toutefois, si le caractère abusif du lioenciement se trouve établi, l'em- ployeur doit verser au salarié une indemnité dont le maximum correspond à douze mois de salaire.

Aux yeux de oertains, l'insertion dans le titre X du· Code des obligations d'une règle expresse prohibant le lioenciement abusif serait superflue; il y aurait lieu d'appliquer le principe général de l'interdiction de l'abus de droit. Nous ne partageons pas oe point de vue. En effet, la mise en œuvre de oe principe est laissée à l'appréciation du juge, qui éprouve de la difficulté à intervenir dans un domaine où, manifestement, le législateur devrait prendre ses responsabilités. Il faut d'ailleurs relever que, jusqu'ici, les tribunaux se sont montrés rétifs à déclarer abusif un lioenciement régulier selon le titre X du Code des obligations. De plus, le développe- ment de la jurisprudenoe en la matière risquerait de prendre de nombreu- ses années, pendant lesquelles l'état du droit demeurera gravement inoer- tain. Les exigences de la sécurité juridique resteraient insatisfaites. Enfin, n'oublions pas qu'aujourd'hui la sanction de l'abus de droit est la nu\lité de l'acte juridique abusif. En d'autres termes, le travailleur lioencié abusivement pourrait prétendre à être réintégré dans son emploi (lors de la révision de 1971, l'une des Chambres a expressément exclu l'allocation d'une indemnité en cas de lioenciement abusif). Un droit à la réintégration ne semble point répondre aux vœux des employeurs et susciterait, comme le relève le Conseil fédéral, des difficultés pratiques considérables.

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On pourrait objecter, également, que la réglementation du licenciement abusif devrait être instituée par la voie des conventions collectives;

l'intervention du législateur ne serait pas nécessaire. Nous ne sommes pas de cet avis. Certes, plusieurs conventions importantes renferment des prescriptions sur le licenciement et, en particulier, sur la protection contre le congé fondé sur l'appartenance ou la non-appartenance du travailleur à une organisation de travailleurs ou sur l'exercice conforme au droit d'une activité syndicale. Mais cela ne suffit pas. Indépendamment des problèmes posés par la portée juridique de telles prescriptions, il importe de relever qu'elles ne s'appliquent qu'aussi longtemps que la convention collective reste en vigueur: toute protection fait défaut après l'échéance de l'accord, c'est-à-dire, précisément, au moment où sa nécessité s'impose le plus fortement. En outre, dans les branches où les employeurs refusent de conclure des conventions collectives, les salariés sont particulièrement démunis. Seule la loi peut protéger leur liberté syndicale, sans laquelle la négociation et la conclusion de conventions collectives apparaissent com- me illusoires. On sait que dans certaines entreprises (nous pensons notamment à quelques chaînes de grands magasins) les employeurs s'efforcent d'empécher leurs salariés de se syndiquer, afin, précisément d'éviter de devoir négocier la conclusion d'une convention collective.

b) Le projet du Conseil fédéral maintient la protection du travailleur contre le licenciement pour cause de service militaire ou de protection civile, en l'élargissant sensiblement. Nous n'entrons pas ici dans les détails.

c) D'après le texte du gouvernement, le juge établit d'office les faits et apprécie librement les preuves. On ne saurait perdre de vue que, dans ce domaine, l'apport des preuves par le salarié se heurte à des difficultés manifestes, dès lors que c'est l'employeur qui possède, en ses mains, l'essentiel des données. Il apparaît donc nécessaire que, compte tenu de toutes les circonstances (et en particulier de l'attitude de l'employeur lors de l'administration des preuves), le juge puisse former librement sa conviction.

C. La protection contre le licenciement en temps inopportun

Comme nous l'avons vu daus l'iutroduction, l'essentiel de la protection contre le licenciement, aujourd'hui, réside dans les dispositions concernant le congé donné pendant une période de service militaire ou d'incapacité de travail due à une maladie, à un accident ou à la grossesse. Le projet du Conseil fédéral améliore cette protection sur plusieurs points.

En cas de maladie ou d'accident, la période de protection est portée à nonante jours au cours de la première année de service; à cent quatre-vingts jours au cours de la deuxième année de service; à deux cent septante jours au cours de la troisième année de service et à trois cent soixante jours à partir de la quatrième année de service, ces périodes étant calculées dans un délai éadre de trois ans. Selon le Conseil fédéral, seules 1,74% des absences dues

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à une maladie ou à un accident durent plus de soixante jours; seules 0,6%

durent plus de trois cent soixante jours. L'extension de la protection doit faciliter le rétablissement du travailleur (avec des efTets positifs dans le domaine de la sécurité sociale) et devrait lui garantir, lorsqu'elle est de trois cent soixante jours, sa place de travail jusqu'à une décision éventuelle de l'assurance-invalidité.

Il faut reconnaître que, bien que rares, de telles absences risquent d'introdui- re des facteurs de rigidité dans la gestion de l'entreprise, l'employeur demeu- rant toutefois libre d'engager du personnel de remplacement. Néanmoins, on ne confondra pas la période de protection contre le licenciement avec celle durant laquelle l'employeur est tenu de verser le salaire. La seconde reste régie par les dispositions actuellement en vigueur. D'ailleurs, dans ce domai- ne, l'assurance de l'indemnité journalière en cas de maladie prend souvent le relais de l'employeur et libère ce dernier de ses obligations.

En outre, la travailleuse bénéficie d'une protection accrue en cas de grosses- se: l'employeur ne peut la licencier pendant toute la durée de la grossesse et au cours des seize semaines qui suivent l'accouchement. Cette solution concorde avec celle proposée aux Chambres dans le cadre de la révision partielle de l'assurance-maladie.

La protection proposée par le Conseil fédéral en cas de maladie, d'accident ou de grossesse va, de manière générale, plus loin que celle sollicitée par les auteurs de l'initiative constitutionnelle.

D. La protection des représentants des travailleurs dans l'entreprise

Un projet de loi fédérale sur la participation des travailleurs dans l'entrepri- se, actuellement étudié par le Parlement, prévoit la création, dans les entre- prises, d'organes de représentation des travailleurs. De tels organes existent d'ailleurs déjà dans beaucoup d'entreprises importantes, en vertu de disposi- tions contenues dans les conventions collectives de travail. Selon le projet du Conseil fédéral, les membres de représentations de travailleurs dans l'entre- prise jouissent d'un statut particulier: l'employeur ne peut résilier leur contrat que pour un motif justifié. La preuve du caractère justifié de la résiliation lui incombe.

Il s'agit de faire en sorte que les travailleurs qui acceptent des fonctions de représentation ne s'exposent pas à des représailles de la part de l'employeur s'ils contredisent ou critiquent ce dernier. Sans cette protection, l'objectif visé par la participation serait compromis. Les praticiens du droit du travail savent que les risques courus par les représentants des travailleurs ne sont pas négligeables.

Le licenciement injustifié d'un représentant du personnel ne sera pas nul. Il déploiera ses efTets, de telle sorte que le travailleur devra quitter l'entreprise.

Toutefois, l'employeur sera tenu de lui verser une indemnité, dont le montant maximum correspond à douze mois de salaire.

Nous avons dit, plus haut, que le Conseil fédéral propose de considérer expressément comme abusif le licenciement donné par l'employeur en raison

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de l'appartenance ou de la non-appartenance du travailleur à une organisa- tion de travailleurs ou en raison de l'exercice conforme au droit d'une activité syndicale. La protection des représentants des travailleurs dans l'entreprise, qui va plus loin, répond au même souci.

En Suisse, depuis la convention de paix dans la métallurgie, de 1937, les syndicats sont reconnus comme interlocuteurs des employeurs. Cette recon- naissance a entrainé un fort développement des conventions collectives; elle a assuré, pendant des décennies, une paix du travail que de nombreux pays nous envient. Or, on ne peut pas, d'un côté, admettre l'existence de syndicats, conclure avec eux des accords en leur demandant de les respecter scrupuleu- sement; et, simultanément, miner l'activité de ces organisations en réprimant l'appartenance ou l'activité syndicales, ou encore l'exercice des droits de représentation au sein des organes de participation. C'est une question de bonne foi.

Pendant de longues années, peu de problèmes semblent avoir surgi. Néan- moins, depuis la récession, certains employeurs succombent à la tentation, là même où existent des conventions collectives fort anciennes et respectées, de supprimer la contestation en licenciant des militants syndicaux et, par conséquent, en supprimant le dialogue. La situation économique que nous connaissons et le surplus d'offre de main-d'œuvre, dans certaines branches, affaiblissent la position des salariés. Il se justifie de renforcer la protection de l'appartenance et de l'activité syndicales, faute de quoi des conflits pour- raient éclater, qui compromettraient, à moyen terme, la paix du travail. Cette dernière reposant essentiellement sur le respect mutuel des partenaires sociaux, le refus, par les employeurs, de l'institution d'une protection légale des militants syndicaux risquerait d'être compris comme une atteinte aux conditions du maintien de cette paix.

E. La parité de la proleclion

Comme on l'a vu, la révision du titre X du Code des obligations tend à améliorer la protection des travailleurs contre les licenciements. Cet objectif est conforme au rôle fondamental du droit du travail, qui est précisément un droit de protection des salariés.

D'aucuns soutiennent que, en matière de résiliation du contrat de travail, l'employeur mérite la même protection que le salarié. Cette opinion va trop loin. Certes, pour organiser son entreprise, l'employeur a un intérêt légitime à ce que le salarié respecte les délais de congé fixés par la loi. Dans certaines circonstances, ces délais doivent même pouvoir être prolongés: nous son·

geons à l'hypothèse, déjà prévue par le droit actuel, où l'employeur retenu au service militaire compte sur la présence d'un travailleur qui le remplace et qui, pendant une certaine période tout au moins, se voit privé du droit de résilier son contrat. Mais le principe ne saurait être absolu. On ne voit pas pourquoi l'employeur ne pourrait pas librement convenir d'un délai de congé plus long pour lui que pour le salarié. D'une manière générale, les

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employeurs se trouvent dans une position assez forte: ils n'ont pas besoin, dans ce domaine, de la protection qu'aujourd'hui déjà la loi leur assure.

Le Conseil fëdéral déclare que son projet, dans toute la mesure du possible, s'inspire de l'idée de la parité. En réalité, compte tenu de la nature même des choses, cette parité relève de la fausse symétrie et du trompe-l'œil. Le congé abusif fondé sur l'exercice d'un droit constitutionnel; sur l'appartenance ou l'activité syndicales; sur l'accomplissement du service militaire; le congé en temps inopportun en cas de maladie ou d'accident concernent essentielle- ment le fait de l'employeur. Sauf à sombrer dans un dogmatisme peu conforme aux traditions helvétiques, il faut reconnaître que l'idée de parité est étrangère à la fonction même du droit du travail.

Les effets choquants du principe de la parité sont manifestes, en particulier, dans la situation suivante, qui se veut pourtant une dérogation à la règle.

Selon le projet du Conseil fédéral, les délais de congé doivent être identiques pour les deux parties; si un accord prévoit des délais différents, le plus long est applicable au travailleur comme à l'employeur. Toutefois, dans le cadre de licenciements collectifs, le texte autorise une exception. Ainsi, lorsque l'employeur a manifesté son intention de résilier ou qu'il a résilié le contrat de travail pour des motifs de nature économique, technologique, structurelle ou similaires, des délais de congé plus courts peuvent être prévus en faveur du travailleur.

Une telle règle paraît curieuse. D'abord, pourquoi n'est-il possible de prévoir des délais plus courts que lorsque le licenciement est imminent ou qu'il a déjà eu lieu? Aujourd'hui déjà, quelques conventions collectives prévoient le raccourcissement du délai de congé en cas de licenciements économiques. Or, à suivre le Conseil fédéral, ces clauses conventionnelles seraient nulles; seuls pourraient être reconnus comme valables des accords passés immédiatement avant les licenciements. En outre et surtout, certaines conventions disposent que, si l'employeur procède à un licenciement en masse, les délais de congé peuvent être prolongés au bénéfice du salarié. Pourquoi mettre en danger la validité de tels accords, alors même qu'ils donnent satisfaction dans la pratique et que, d'ailleurs, les employeurs y souscrivent volontiers, sans se sentir contraints et forcés au point d'avoir eux-mêmes besoin de la protection du législateur?

F. La sanction du licenciement avec effet immédiat injustifié

Aujourd'hui, lorsque l'employeur résilie le contrat avec effet immédiat sans justes motifs, le travailleur a droit au salaire qui lui eût été versé jusqu'à l'échéance normale du contrat. Le projet du Conseil fédéral innove: le travailleur aura droit à une indemnité supplémentaire, fixée librement par le juge, compte tenu de toutes les circonstances. Cette indemnité ne dépassera pas toutefois le montant correspondant à douze mois de salaire.

Cette nouvelle règle est justifiée par le fait que le licenciement avec effet immédiat constitue souvent un drame dans la vie personnelle du travailleur.

Même en l'absence de justes motifs, il affecte ce dernier d'un handicap qui

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affaiblit ses chances sur le marché du travail. Etant donné que les délais de congé sont en général brefs, le Conseil fédéral désire que les licenciements avec effet immédiat ne constituent que des cas vraiment exceptionnels;

l'employeur qui y recourt sans droit doit être pénalisé: il sera tenu de réparer le tort moral causé.

3. Remarques sur l'initiative constitutionneUe

Le texte de l'initiative constitutionnelle est conçu en termes généraux. Il se borne à poser les principes. Une discussion détaillée de la matière supposerait donc une analyse de toutes les solutions possibles dans le cadre défini par les initiateurs.

Ces derniers proposent que, à la demande du travailleur, l'employeur soit tenu de motiver le licenciement par écrit. Cette revendication a été admise par le Conseil fédéral. Nous n'y reviendrons pas.

Alors que le projet du gouvernement ne prohibe que les licenciements abusifs ou effectués en temps inopportun, l'initiative va plus loin. Selon elle, tout licenciement, pour être valable, doit être justifié. Il ne l'est pas, notamment, s'il intervient à la suite de l'exercice par le travailleur de ses droits fondamen- taux ou s'il ne correspond pas à des intérêts prépondérants et dignes de protection de l'employeur. Bien plus, lorsqu'un licenciement justifié aurait pour le travailleur ou sa famille des conséquences particulièrement rigoureu- ses, le rapport de travail pourrait être prolongé.

Certes, il appartiendrait au législateur d'adopter des régies précises pour concrétiser l'objectif visé par l'initiative. Cette dernière soulève néanmoins quelques problèmes essentiels que, dans le cadre du présent exposé, nous ne pouvons qu'aborder rapidement.

L'initiative ouvre la voie à une modification profonde des prérogatives de l'employeur. Comment pèsera-t-on les intérêts prépondérants et dignes de protection de l'entrepreneur, pour les comparer à ceux du salarié? Faudra- t-il porter un jugement sur les choix économiques de l'employeur? Dans quelle mesure ces choix seront-ils limités par la nécessité de conserver une main-d'œuvre qui pourrait devenir inutile?

La prolongation des rapports de travail, en cas de détresse du travailleur, s'inspire du régime applicable au contrat de bail. Toutefois, les deux situa- tions ne sont guère comparables. Lorsque le propriétaire se voit imposer la prolongation d'un bail, il continue de percevoir le loyer. En d'autres termes, il conserve l'utilité économique de son bien. En revanche, si l'employeur devait prolonger des rapports de travail alors même que le salarié en cause ne pourrait plus recevoir une affectation conforme aux besoins de l'entrepri- se, le salaire continuerait d'être payé sans contrepartie. Le travailleur tombe- rait purement et simplement à la charge de son employeur, qui éprouverait d'autant plus de peine à gérer rationnellement son entreprise. En pratique, la prolongation non pas du contrat de travail, mais du droit au salaire s'opêre dans le cadre de la législation sur l'assurance-chômage, qui permet de mieux

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répartir les risques et d'éviter que la main-d'œuvre en surplus ne vienne grever le budget d'entreprises déjà en difficulté. Cette voie est la bonne.

Quelle sera la sanction du lioenciement injustifié? Une indemnité ou la réintégration? L'initiative paraît, sans le dire clairement, pencher (à titre exclusif ou alternatif) vers la seconde solution. Il ne faut pas oublier, cependant, que même dans les pays où elle est de règle en principe, la réintégration n'intervient que rarement. Comme l'ont montré les statistiques en République fédérale d'Allemagne, en pratique, la réparation ordinaire consiste dans le versement d'une indemnité. Si attrayante qu'elle puisse être en théorie, la réintégration s'impose donc mal dans les faits.

Quelques réserves qu'il faille faire sur le caractère trop vague de l'initiative, on doit admettre, quant au fond, que l'exigence d'une justification du licenciement correspond, dans certaines circonstances, à une aspiration légiti- me des salariés. Dans l'état actuel du marché de l'emploi, un congé donné à la suite d'un mouvement d'humeur ou d'une réaction passionnelle incontrô- lée de l'employeur peut causer des drames aigus dans la vie des salariés, même s'il n'est pas abusif selon l'acception du terme retenue par le Conseil fédéral. N'y aurait-il pas lieu de rechercher des solutions qui, tout en préservant la liberté économique de l'entrepreneur, mettent les salariés à l'abri de caprices qui, pour être rares, n'en sont pas moins inacceptables? On pourrait songer, par exemple, à l'obligation de consulter les représentants du personnel avant tout licenciement ou à l'obligation, à la charge de l'em- ployeur, de verser une indemnité de congé lorsque la résiliation du contrat n'est pas fondée sur des motifs inhérents à la personne du salarié ou dictés par les besoins économiques de l'entreprise.

4. Conclusion

1. D'aucuns combattront non seulement l'initiative, mais aussi le contre- projet indirect du Conseil fëdéral au nom de la liberté. Mais la liberté de qui? Il est certain que la prohibition des licenciements abusifs et la protection des militants syndicaux limite, dans une mesure non négligea- ble, la liberté de l'employeur. Mais c'est pour accroître celle du salarié. Ni les employeurs ni les travailleurs ne peuvent monopoliser la liberté. Ce qui importe aujourd'hui, c'est de trouver un équilibre nouveau, adapté aux circonstances présentes, entre la liberté de l'employeur, qui ne saurait être absolue, et celle des salariés, qui ont aussi le droit de développer leur personnalité et de s'unir pour défendre leurs intérêts. Sans doute la recherche d'un tel équilibre se révélera-t-elle difficile. Ceux qui ne veulent la liberté que pour eux se disqualifient d'emblée.

2. L'élaboration de meilleures règles de fond ne se suffit pas à elle-même.

Encore faut-il pouvoir les appliquer. C'est sans doute le lieu de souligner un phénomène auquel nous nous sommes insensiblement habitués, et dont la gravité croît chaque jour: la dégénérescence de notre organisation

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judiciaire. Malgré les efforts de nombreux juges, qui abattent un travail considérable, ni les tribunaux cantonaux ni le Tribunal fédéral ne font face à leur tâche de manière satisfaisante. Sous-équipés en matériel et en personnel, nos juridictions rendent trop souvent leurs décisions avec un retard choquant qui consacre, en lui-même, une injustice inacceptable. Il ne saurait y avoir de protection véritable des salariés et des employeurs sans l'intervention de tribunaux efficaces. Ne craignons pas de le répéter chaque fois que l'on se propose de changer une loi.

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