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Spécialistes, experts et artisans en Polynésie

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Academic year: 2021

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Systèmes de production et de circulation

Spéc ialis tes ,

a r tis a n s

Spécialistes, experts e t artisans en Polynésie

Hélène Guiot (UMR ArScAn - Ethnologie préhistorique)

Au sein des sociétés polynésiennes, les spécialistes interviennent dans un grand nombre de dom aines, qui vont des productions matérielles (construction des pirogues, confection de nattes), aux dom aines religieux, m édical (tradipraticiens), météorologique, horticole, guerrier...

En fait, tout un chacun est capable de construire une petite pirogue familiale, d'adresser des offrandes aux divinités de son lignage, de soigner une m aladie bénigne, d'anticiper la venue d'un vent fort par l'observation du vol de certains oiseaux, de planter des ignames...

Mais seul un expert saura et pourra réaliser une grande pirogue à double coque, une maison d e réunion, pourra guérir une grave maladie, piloter une pirogue dans un voyage hauturier...

Dans chacun de ces domaines évoqués, les spécialistes interviennent pour des productions ou des activités qui requièrent un haut degré de technicité et/ou qui sont socialem ent ou religieusement valorisées. C'est évidem m ent la société qui crée le spécialiste.

La société polynésienne valorise un certain nombre de productions et d'activités qui sont essentielles dans son système de représentations et pour sa reproduction. Ces productions et activités hautem ent valorisées, généralem ent en rapport avec les divinités (échange avec les dieux ?), ne peuvent être réalisées que par une personne qui possède un certain nombre de caractéristiques, entre autre la connaissance d e savoir-faire appropriés.

H éritage et Apprentissage

Ces savoir-faire, ces connaissances spécialisées, proviennent de deux sources, l'héritage et l'apprentissage :

- l'héritage : la relation aux ancêtres étant une des pierres d'angle de la culture polynésienne, c'est égalem ent ce tte référence aux ancêtres qui est utilisée pour caractériser un expert. Ce dernier hérite des capacités e t des connaissances de ses ancêtres, com m e on hérite de la terre familiale ; c'est en quelque sorte un attribut familial ;

- l'apprentissage : l'individu intègre des savoir-faire spécifiques au sein du groupe de spécialistes a d hoc.

Hiérarchisation

À ia notion de spécialiste est associée celle de hiérarchisation. On peut en effet reconnaître aujourd'hui à Wallis (île de Polynésie occidentale), sur un chantier de construction de pirogues : le maître d'œ u vre ( tufuga), les ouvriers qualifiés et les apprentis. Le premier supervise l'ensemble des étapes de la chaîne opératoire e t possède ses propres outils ; les ouvriers réalisent les diverses opérations de charpenterie sous les ordres du tufuga, e t les apprentis exécutent de menues taches (ramassage des copeaux) et observent les gestes des charpentiers.

Les caractéristiques d'un expert reconnu d e tous Le savoir du tufuga com prend la connaissance :

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Systèmes de production et de circulation

- des ligneux, de leurs qualités intrinsèques, de leurs sources d'approvisionnem ent (impliquant aussi la connaissance du parcellaire, la mémorisation des sites, de leur contenu qualitatif et quantitatif) et d'autres types de m atériaux tels que les produits de c a lfa ta g e ;

- des périodes de l'année ou du mois durant lesquelles doivent s'effectuer certaines phases du travail (périodes liées aux phases de la lune ou aux saisons) ;

- des outils, des gestes et des différentes techniques pour obtenir des pièces aux formes variées (creuses, planes, courbes), pour les assembler en une em barcation marine. N'oublions pas que le travail du tufuga ne s'arrête pas à la construction de la pirogue, il est égalem ent chargé de son entretien (réparation, change m e nt des ligatures et du calfatage, rectification de la forme de certaines pièces...) ;

- des notions de forces et d'équilibre afin d'assembler les multiples pièces de l'em barcation, d e positionner correctem ent le balancier (ou la seconde coque) e t la voilure ;

- des besoins de la société dans laquelle il vit, ainsi que du réseau des relations sociales, pour s'y intégrer harmonieusement afin de mener à bien des moments clés (dem ande d'autorisation d 'a b a tta g e des arbres, passage sur certaines terres...).

Le tufuga était un hom m e qui possédait :

- des qualités particulières d'éloquence, de charisme et la c a p a c ité de mémorisation, importante dans ce tte culture où toute connaissance passe uniquement par l'oeil et la parole.

- la c a p a c ité d'abstraction car aucune représentation de la future pirogue n'est établie avant la construction.

- une certaine stature physique. La tradition orale tahitienne explique que ces hommes étaient pour la plupart robustes et de haute taille, ne portant aucun défaut physique, car les dieux avaient la réputation d e rejeter les hommes chauves, bossus, borgnes...

Enfin (et peut-être surtout), au delà de ces connaissances «techniques», le tufuga d evait être ca p a b le , aux temps de la religion traditionnelle :

- d 'e ffectuer les rituels (prières et offrandes) auprès des divinités des arbres et de la forêt, afin de se les concilier. Il était e n quelque sorte l'intermédiaire entre le m onde « sauvage » des esprits et celui, socialisé, des humains. Ces rituels s'échelonnaient tout au long du processus de construction, jusqu'au lancement. A c e tte étape, qui était dans la plupart des archipels polynésiens l'occasion d'une grande fête, le fufuga consacrait la pirogue par des prières et des chants, lui donnait un nom et la confiait aux dieux ;

- de se préparer, lui, ses coéquipiers e t leurs outils, toujours par l'intermédiaire de rituels appropriés ; - d'interpréter les présages (com portem ent de la sève de l'arbre, des oiseaux et des insectes sur le lieu de travail).

Un grand tufuga avait donc une riche personnalité : habile technicien, meneur d'hommes et intermédiaire entre les esprits et les êtres humains; c'est aussi pourquoi, le statut des grands artisans, notam m ent à Tahiti, confinait à celui de prêtre.

Lorsque l'ensemble des capacités physiques et intellectuelles étaient réunies par un m êm e homme, ce spécialiste éta it en mesure d'effectuer un travail de grande qualité, promettant un résultat incontestable : une pirogue chargée de toute la puissance (m o n o ) du tufuga.

Le travail des experts : d e m a n d e et rém unération

Pour la construction d'une pirogue, les travailleurs sont nourris, parfois logés, et le maître d'œ uvre reçoit des présents à chaque é ta p e cruciale de la chaîne opératoire (a b a tta g e de l'arbre, pose du balancier ou de la seconde coque, lancement). Il s'agit de biens prestigieux : produits naturels et manufacturés ; ils marquent le prestige social du tufuga ; cette disponibilité de biens lui permet à tout moment à son tour d'intégrer les réseaux d'échanges.

Le c o n te x te a rc h é o lo g iq u e

Dans le dom aine du travail du bois, notam m ent de la construction des pirogues, et de la pratique de la navigation, l'identification des spécialistes en contexte archéologique, bien que difficile, reste à réaliser.

Il existe des preuves «indirectes» com m e la présence des populations sur les terres isolées d e l'O céanie : seuls des gens qualifiés ont pu construire des embarcations hauturières suffisamment performantes pour conduire des groupes humains sur des distances de milliers de milles nautiques.

Il existe é galem en t des amers, des repères, des aides à la navigation (alignements de pierres, par exemple) e t qui servaient donc de repères aux maîtres-navigateurs pour diriger leurs em barcations vers telle destination bien précise.

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Systèmes de production et de circulation

Mais c e raisonnement s'avère tautologique : c'est parce que la tradition orale et des enquêtes ethnographiques nous informent de la fonction de ses alignements que nous savons que ces pierres faisaient partie des m éthodes de navigation et donc servaient aux spécialistes de la navigation ! Et si l'archéologue se trouve fa c e à un alignem ent de pierres en bordure de mer, pourra-t-il pour autant en Inférer l'existence d e spécialiste de la navigation ?

En revanche, d'autres informations restent à exploiter. Ainsi, la docum entation ethnohistorique nous apprend que parmi les m a ra e (structure lithique, lieu de culte et de réunion) édifiés à Tahiti, certains étaient destinés aux constructeurs de pirogues. Mais manquent encore un grand nombre de caractéristiques (formelles et fonctionnelles) afin de mieux définir ces structures en regard des autres lieu de culte. Un « travail » spécifique y était vraisem blablem ent réalisé : s'agissait-il d'une é tape particulière ? Et de quel ordre était c e travail : actes purement techniques, religieux ou mêlant les deux ?

La relecture des docum ents et la fouille archéologique perm ettraient de répondre à ces questions et d 'a border alors un dom aine peu exploité par les archéologues océanistes.

Principales références bilbiographiques

Guiot H. 1997. "W a ka et co n stru ctio n n a vale : m obilisation d e l'en viro nne m en t et d e b so c ié té ch e z les a n c ie n s Polynésiens. A p p ro c h e e th n o -a rc h é o lo g iq u e ". D o c to ra t de P réhistoire-E thnologie-A nthropologie, Université d e Paris I- P an th é o n -S o rb o n n e .

Guiot H. 1998. Forêt ta b o u e e t représentations d e l'environnem ent à 'Uvea (Wallis), Journal d e la S o c ié té des O céa nistes, n°107, 1998-2, Musée d e l'Hom m e, Paris, p. 179-198

Guiot H. 2000. C harpenterie de m arine et art d e b na vig ation : des affaires d e familles. In : 'Uvea-Wallis, une île p ê c h é e p a r

les dieux, M usée des beaux-arts de Chartres (c a ta lo g u e d e l'exposition), p. 112-120.

Guiot H. 2001. La c o n stru c tio n n a v a le traditionnelle po lyn ésie nn e : dim ension culturelle d 'u n processus te c h n iq u e . Techniques & Culture 35-36, p. 445-478.

Henry T. 1988 (1962). Tahiti au x tem ps anciens. Publication de b Société des Océanistes, n ° l. Musée d e l'H om m e, Paris. S im utoga P.-C. 1992. T echnologie traditionnelle à Wallis. Essai d e sa u ve g a rd e de la m ém o ire c o lle c tiv e des c h a rp e n tie rs

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