L’agriculture, au-delà de sa seule fonction productive, intervient dans les questions de
développe-ment local, de paysage ou d’environnedéveloppe-ment et occupe une place significative dans les projets de
territoire tels que Pays, parcs naturels, intercommunalités…
Décrire et interpréter la répartition, la diversité et les dynamiques des usages agricoles d’un
terri-toire s’avère important pour accompagner de tels projets. La cartographie d’unités
agro-physio-nomiques (UAP), qui repose sur une analyse agronomique et géographique des usages agricoles
d’un territoire, peut y contribuer.
Sciences pour l’Action et le développement (SAD)
Résultats des recherches du département INRA - SAD n°2008/27
Analyser la répartition et la dynamique des usages agricoles dans le territoire
La cartographie d’unités agro-physionomiques
Jean-Pierre Deffontaines, Pascal Thinon
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a cartographie d’unités agro-physionomiques per-met de décrire et d’analyser, à une échelle régio-nale ou locale, la répartition et la dynamique dans l’es-pace des types de culture et des structures et aménagements agricoles (parcellaires, haies …). Elle re-pose sur l’analyse des formes spatiales produites par l’activité agricole et sur l’analyse des structures spa-tiales qui influent sur la répartition des usages agri-coles dans un territoire.La cartographie d’UAP a été développée par un agro-nome et un géographe, dans le but de compléter les méthodes du diagnostic agronomique et de proposer une analyse fonctionnelle des territoires agricoles. L’agronome cherchait à déceler, par l'analyse du pay-sage, des unités spatiales regroupant des parcelles re-lativement homogènes en termes de taille des par-celles, de type de bordures et de système de culture et d’élevage pratiqués. Le géographe cherchait quant à lui à décrire et interpréter les distributions des usages agricoles dans un territoire.
Plusieurs applications de la cartographie d’UAP ont déjà été réalisées :
- au Pays basque, l’approche a contribué aux ré-flexions sur le devenir et la pérennisation de l’agro-pastoralisme ;
- dans le Pays de Bray, (département de l'Oise), elle a
servi de base à la réalisation d’une carte de décou-verte des paysages agricoles ;
- pour les responsables du Parc naturel régional Scarpe-Escaut, il s’agissait au départ de mieux connaî-tre et faire connaîconnaî-tre la diversité de leur agriculture. Une première réalisation concrète a été l’édition d’une carte de randonnée sur fond de paysages agricoles à travers à une cartographie simplifiée des UAP. Pour la révision de la charte du Parc, plusieurs approches thé-matiques ont mobilisé la carte des UAP : pour l’ana-lyse de la diversité et de l’évolution des mises en va-leur agricole du territoire, pour repérer des types d’espace à forte identité paysagère, pour caractériser différents niveaux d’intensification agricole. Les UAP sont désormais connues et reconnues comme une ca-ractérisation pertinente et explicite de l’espace agricole par les professionnels et techniciens agricoles ainsi que par les élus locaux ;
- la carte des UAP a servi à l’élaboration du Schéma de Cohérence Territorial dans la Communauté d’Agglomération de Montpellier. Elle a permis no-tamment de "faire exister" différents espaces agri-coles au sein du projet de territoire de l’agglomé-ration.
- à la Réunion, les cartes d’UAP servent à l’élaboration des chartes communales agricoles.
Les UAP reposent sur l’idée que les usages agricoles et leurs évolutions ne se distribuent pas de façon aléatoire dans l’espace. Cette hypothèse s’appuie sur un grand nombre d’analyses agronomiques du paysage qui ont mis en évidence des terroirs ou des unités agro-pay-sagères, c’est-à-dire des portions d’espace combinant des usages agricoles similaires. Elle trouve également une justification plus théorique dans la notion de champ géographique, définie comme l’aire d’extension ou d’action d’un phénomène dans l’espace.
Plusieurs catégories de champs géographiques s'avè-rent utiles à la compréhension des répartitions dans l'espace des usages agricoles : les champs de distance (distance entre les bâtiments agricoles et les parcelles, dis-tance à un pôle urbain ; situation dans un bassin de col-lecte d’une industrie agro-alimentaire…) ; les champs du milieu physique (pente, altitude, exposition, sols, cli-mat) ; les champs d’aménagements techniques (péri-mètres d’irrigation, de drainage) ; les champs fonciers (remembrement, modes d’appropriation, structures fon-cières…) ; les champs réglementaires et politiques (AOC, périmètres de protection, documents d’urba-nisme, zonages PAC…). Tout point de l’espace est placé dans un ensemble de champs géographiques dont la combinaison en ce lieu influe sur une gamme possible d’usages agricoles. Ainsi, des lieux sous l’influence d’une même combinaison de champs géographiques auront-ils une certaine probabilité de présenter des mises en valeur agricole semblables. Cette influence ne joue pas dans l’absolu mais dans un contexte tech-nique, économique, social et culturel donné.
Par ailleurs, les UAP reposent sur l’idée que les systèmes techniques agricoles se regroupent et se combinent de façon particulière dans le territoire et modèlent des types d’unités spatiales ayant une physionomie relative-ment homogène. Ils produisent ainsi un ensemble d'ob-jets visibles et repérables dans le paysage par une ana-lyse physionomique : examen de la forme et de la taille des parcelles, des types de couverts végétaux, des types de bordures des parcelles (haies, fossés)…
Pour construire une carte d’UAP, l'analyse des champs géographiques et l’analyse physionomique sont com-binées. Le passage en revue systématique des champs géographiques permet d’identifier les principaux champs actifs et de formuler des hypothèses quant à leur influence sur les systèmes techniques agricoles. La liste "standard" des champs géographiques évoquée précédemment constitue une sorte de check-list qu’il convient d’adapter aux spécificités du territoire étudié. Cette phase doit être réalisée avec des experts locaux ayant une bonne connaissance de l’agriculture. Des en-quêtes en exploitation agricole sont également néces-saires pour saisir les logiques et les contraintes de lo-calisation des systèmes techniques.
L’analyse physionomique s’appuie sur l'interprétation visuelle de photographies aériennes et permet de re-pérer des zones d’égale apparence en termes de
struc-tures parcellaires, d’usages agricoles, d’aménage-ments. Elle est associée à des lectures agronomiques du paysage sur le terrain qui permettent d’affiner cette interprétation visuelle.
Associer l’analyse des champs géographiques à l’ana-lyse physionomique implique par exemple de recher-cher des auréoles herbagères autour des villages dans les régions d’élevage laitier, des parcelles agricoles en friche au niveau des fronts d’urbanisation, un étage-ment particulier de cultures selon un gradient altitudi-nal, des systèmes de culture spécifiques en fonction de différents types de sol ou de la présence d’un aména-gement hydraulique.
L’identification et le tracé des UAP procèdent d’un va-et-vient entre l’analyse des champs géographiques et l’analyse physionomique. Les différenciations en termes de champs géographiques conduisent, localement, à une recherche des différences physionomiques. En re-tour, celles-ci permettent de mettre en évidence la présence de champs ou de préciser leur influence.
Ré su lta ts d es r ec he rc he s du d ép ar te m en t IN RA - SA D - n° 2008/27 - p. 2
Les fondements des UAP
Construire une carte d'UAP
Figure 1b : Le champ géographique lié à la géologie Figure 1a : Le champ géographique de distance au village
Terrains calcaires du portlandien inférieur,
parcelles de culture
Terrains argileux du kimmèridgien, pâtures et structures bocagères
A la suite d'une opération locale agri-environnementale dans le Pays de Bray, les élus du Syndicat Mixte du Pays de Bray et des agriculteurs ont souhaité engager un tra-vail de caractérisation des paysages agricoles. L’objec-tif était double : produire une analyse de ce territoire comme base de réflexion sur les dynamiques récentes des paysages et des activités agricoles (extension des terres cultivées au détriment des surfaces en herbe, dimi-nution des zones bocagères…), et réaliser une carte "grand public " en vue d’une valorisation touristique des paysages brayons. La démarche des UAP a été utilisée. La figure 1 illustre deux champs géographiques qui in-fluencent significativement l’organisation spatiale des systèmes techniques dans ce territoire. Le champ
"dis-tance au village" (figure 1a) "dessine" des auréoles herbagères autour des villages. Le champ "formations géologiques" influe sur la répartition des différentes cultures : la limite entre deux ensembles géologiques
(figure 1b)sépare une unité spatiale de grande culture (à gauche) d’une zone de bocage (à droite).
La carte des UAP à l’échelle de l’ensemble du territoire
(figure 2) traduit, dans ses grandes lignes, deux grandes influences sur la répartition spatiale des cultures : - l’influence de la distance au village : dans ces zones
d’élevage, de nombreuses prairies (pâturage des vaches laitières notamment) se localisent autour des villages ; - l’influence de l’organisation générale du milieu physique en bandes géologiques successives, orientées nord-ouest / sud-est. Ré su lta ts d es r ec he rc he s du d ép ar te m en t I N RA S AD - n° 2008/27 - p. 3
UAP dans le Pays de Bray
Figure 2 : La carte des UAP d'un territoire en Pays de Bray
Plateau Picard et vallée du Therain
Pays de Thelle Terrasses et fonds du Bray
1. Grande culture de plateau picard 2. Rebords cultivés du plateau picard 3. Tours de villages du plateau picard 4. Prairies des versants du Therain 5. Fonds herbagers du Therain
Haut-Bray
6. Plateau de cultures Ht-Bray 7. Nouveaux espaces de culture 8. Grands parcs du Ht-Bray 9. Bocage dense du Ht-Bray
10. Nationale 31 11. Fonds humides du Bray 12. Ilots de culture des fonds du Bray 13. Terrasse herbagère
14. Terrasse cultivée
15. Petites plaines cultivées de l'est
16. Côte boisée de Bray 17. Plateau cultivé de Thelle
18. Vallons de cultures et d'élevage de Thelle
Au centre de la carte, la "boutonnière du Pays de Bray" fait affleurer une alternance de terrains majoritairement argileux ou sableux qui correspondent aux zones les plus herbagères ou mises en culture récemment. Elles se distinguent nettement des terrains limoneux sur substrats crayeux des plateaux cultivés du nord-est (re-bord du plateau picard) et du sud-ouest (plateau de Thelle).
La carte distingue une vingtaine d’UAP définies par les usages agricoles, les structures parcellaires, des élé-ments du milieu naturel, de l’histoire agraire, des am-biances paysagères et des éléments de dynamique des usages agricoles. Par exemple, l’unité 7, "Nouveaux es-paces de culture du Haut-Bray" est décrite comme un type d’espace dans lequel les cultures ont remplacé d’anciennes prairies en zone de bocage, principalement le maïs en monoculture ou dans des successions avec des prairies temporaires, les céréales d’hiver ou le colza. Le retournement des prairies permanentes s’est opéré dans des parcelles de taille moyenne, à faible pente et avec des sols relativement portants en pé-riodes humides. Les terrains, souvent argileux, peuvent rendre difficile l’entrée des engins agricoles dans les
parcelles, lors des labours, des semis ou de la récolte du maïs. De leur passé d’arbres et de prairies, ces zones conservent une trame bocagère résiduelle.
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La carte des UAP est un moyen de connaissances "géo-agronomiques" d’un territoire donné : type et dé-limitation d’unités spatiales agronomiques, analyse des champs géographiques influant sur la répartition spa-tiale des systèmes techniques, éléments de dynamique des usages agricoles et de l’extension spatiale des dif-férents types d’unité.
L’apport de ces connaissances est utile dans le cadre de processus de construction d’un projet de territoire. No-tre expérience monNo-tre que la carte d’UAP peut se ré-véler un support d’interactions efficace entre les diffé-rents acteurs d’un tel projet. Elle l'est d’autant plus que ces acteurs participent à son élaboration.
Une carte d’UAP peut être également utilisée comme support pédagogique de découverte des paysages agri-coles d’une région comme le montrent la carte touris-tique des paysages du Pays de Bray ou la carte de ran-donnée du parc naturel régional Scarpe-Escaut.
Ré su lta ts d es r ec he rc he s du d ép ar te m en t I N RA S AD - n° 2008/27 - p.4 Les auteurs :
Jean-Pierre Deffontaines, agronome, décédé le 25 octobre 2006, directeur de l'unité INRA SAD Versailles-Dijon-Mirecourt jusqu'en 1998.
Pascal Thinon, géographe, ingénieur à l'UMR Innovation (SupAgro, INRA SAD, CIRAD), Montpellier. Pour en savoir plus
Deffontaines J.-P., Thinon P. Des entités spatiales significatives pour l'activité agricole et pour les enjeux en-vironnementaux et paysagers : contribution à une agronomie du territoire. Courrier de l’environnement de l’INRA, 2001, 44, 12-38.
Thinon P. Les unités agro-physionomiques : des entités spatiales pour l'analyse des usages agricoles du territoire. In. Prévost, P. (Dir.). Agronomes et territoires. L'Harmattan, Paris (FRA), 2005, 183-198.
Jarrige F., Thinon P., Nougarèdes B., Roubieu N., Augier P. La prise en compte de l'agriculture dans les nouveaux projets de territoires urbains. Exemple d'une recherche en partenariat avec la Communauté d'Agglo-mération de Montpellier Revue d'Economie Régionale et Urbaine, 2006, 3, 393-414.
Deffontaines J.-P., Thinon P. Emergence d'un concept. Un itinéraire entre agronomie et géographie.
In Legay J.-M. (Ed.) L'interdisciplinarité dans les sciences de la vie. INRA Editions, Paris, Coll. Indisciplines, 2006, 45-50.
Edité par le département Sciences pour l’Action et le Développement
Directeur de la publication : Jean-Marc Meynard - Equipe de rédaction : Françoise Maxime, Martine Mignote
Secrétariat de rédaction :Martine Mignote - INRA - UPIC/SAD - BP 87999 - 21079 Dijon cedex Tél : 33 (0)3 80 77 25 92 - Fax : 33 (0)3 80 77 25 74 - e.mail : martine.mignote@enesad.inra.fr
Dépôt légal 1er trim. 2008- Impression ICO - Dijon
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