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Mobilité quotidienne et accès potentiel aux ressources urbaines : quelles inégalités sociales ?

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1/9 Vallée J, Commenges H, Perchoux C, Kestens Y, Chaix B. 2015 « Mobilité quotidienne et accès potentiel aux ressources urbaines en Île-de-France : quelles inégalités sociales ? » in Mattei MF et Pumain P (dir) Données Urbaines (Volume 7), pp 87-95.

MOBILITE QUOTIDIENNE ET ACCES POTENTIEL AUX RESSOURCES URBAINES EN ÎLE-DE

-FRANCE : QUELLES INEGALITES SOCIALES ?

Julie Vallée, Hadrien Commenges, Camille Perchoux, Yan Kestens et Basile Chaix

Ce texte cherche à approfondir la question des inégalités sociales d’accès à la ville et à ses ressources en analysant conjointement la mobilité quotidienne des Franciliens et le volume d’équipements situés à proximité des lieux où cette mobilité se réalise.

Si la mobilité quotidienne est souvent prise en considération pour identifier des polarités spatiales et pour définir des zonages géographiques (par exemple le Zonage en Aires Urbaines de l’Insee), elle est également utile pour analyser les inégalités dans l’accès effectif ou potentiel des populations aux ressources urbaines (équipements commerciaux, de loisirs, de soins, etc.). En effet, en considérant les lieux fréquentés par les habitants pour leurs activités quotidiennes, il devient possible non seulement d’identifier les ressources urbaines qu’ils ont effectivement utilisées, mais aussi d’estimer les ressources auxquelles ils sont en mesure d’accéder à partir de leurs lieux d’activités (lieux de travail, d’études, de loisirs, etc.).

En ce sens, les notions de mobilité et d’accessibilité sont étroitement liées sans toutefois se confondre (Fol & Gallez, 2013). Certaines populations, en dépit du fait qu’elles sont peu mobiles, disposent d'un nombre important de ressources à proximité de leur lieu de résidence tandis que d'autres populations peuvent souffrir d’un mauvais accès aux ressources urbaines si leur quartier de résidence ainsi que les espaces qu’elles fréquentent quotidiennement ne comportent qu’un nombre limité de ressources (Vallée, Le Roux et al., 2015). En termes d’action publique, il est alors nécessaire d’identifier les populations prioritaires comme celles souffrant d’un faible potentiel d’accès aux ressources à proximité de leurs lieux de résidence et de leurs lieux d’activités quotidiennes (figure 1), plutôt que celles avec une faible mobilité

stricto sensu.

Figure 1. Mobilité et accessibilité aux ressources

Source : Adapté de Vallée, Le Roux et al., 2015

N OM B R E DE R E S S OUR CE S A P R O X IM IT E DE S LIEU X D ' A C TI VITES E levé + ++ +++ (i.e. très bonne accessibilité) M oyen - + ++ Faibl e - - (i.e. très mauvaise accessibilité) - +

Faible Moyen Elevé

NOMBRE DE RESSOURCES A PROXIMITE DU LIEU DE RESIDENCE

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2/9 Depuis plusieurs décennies, la relation entre la densité de ressources et la structure sociale de la population résidente fait l’objet de nombreuses études. De fait, les espaces de résidence des populations les plus riches bénéficient bien souvent d'équipements plus nombreux que ceux des populations plus pauvres, même si cette relation a été nuancée en fonction des types d’équipements considérés (Pinçon-Charlot & Rendu, 1982). En mettant en relation la mobilité des populations avec les caractéristiques des lieux où cette mobilité se réalise, il s’agit ici de mesurer l’accessibilité spatiale aux ressources urbaines sans se restreindre aux seules ressources accessibles depuis le lieu de résidence. L’idée est ainsi de comparer les « champs des possibles » des différents groupes sociaux (Wenglenski, 2004) et d’évaluer les gains d’accessibilité induits par la mobilité quotidienne.

Pour mener à bien cette analyse des inégalités sociales dans les potentiels d’accès aux ressources urbaines, nous avons rassemblé des données concernant la répartition spatiale d’une vaste gamme d'équipements en Île-de-France, la localisation géographique des lieux d’activités quotidiennes de plus de 5000 Franciliens et les revenus de leurs ménages. A partir de ces données, nous nous proposons d’analyser de quelle manière la mobilité quotidienne des Franciliens varie selon leurs revenus et de discuter du rôle de la mobilité comme vecteur d’accroissement du potentiel d’accès aux équipements. Sans préjuger de l’utilisation effective des équipements par les populations, il s’agit ici de mesurer l’ampleur des inégalités sociales dans l’accès potentiel aux équipements depuis les différents lieux de résidence et d’activités des populations.

1. Méthodologie

1.1 Les lieux d’activités issus d’un questionnaire spatial interactif

Afin d’identifier les lieux d’activités des individus et de calculer leur potentiel d’accès aux équipements depuis leurs différents lieux d’activités, nous utilisons des données spatiales collectées grâce à l’application cartographique VERITAS (Visualization and Evaluation of Regular Individual Travel destinations and Activity Spaces). Cette application propose un support cartographique interactif permettant aux participants d’une enquête de localiser sur une carte leurs différents lieux d’activités. Développée pour les besoins de l’enquête francilienne RECORD (Residential Environment and CORonary heart Disease) par des chercheurs en géographie de la santé et en épidémiologie sociale (Chaix, Kestens et al., 2012), cette application est également utilisée dans des enquêtes de santé au Canada (Montréal), au Royaume-Uni (Londres) et en Nouvelle-Zélande (Auckland et Wellington). Les lieux d'activités des participants, une fois combinés dans un SIG avec d'autres informations spatiales, permettent de qualifier plus précisément les environnements auxquels les participants sont exposés et les équipements auxquels ils peuvent accéder à partir des lieux qu'ils fréquentent au quotidien.

Utilisée dans la deuxième vague de collecte de données de l’enquête RECORD, l’interface cartographique VERITAS a permis de localiser les lieux d’activités de 5489 participants qui vivent dans 10 arrondissements de Paris et 111 communes d’Île-de-France et qui s’étaient rendus entre février 2011 et décembre 2013 à un examen de santé aux centres d’investigations préventives et cliniques de Paris, d’Argenteuil, de Mantes-la-Jolie ou de Trappes (figure 2). Au cours de cette enquête, les participants étaient invités à localiser leur lieu de résidence ainsi que leurs lieux réguliers d’activités professionnelles, domestiques (supermarchés, marchés, boulangeries, boucheries, magasins de fruits et légumes, poissonneries, fromageries, magasins alimentaires spécialisés, bureaux de presse, tabacs, banques, bureaux de poste et coiffeurs) et de loisirs (bars, cinémas, restaurants, centres sportifs, culturels, associatifs, religieux, spirituels et lieux de rencontre de proches). Pour les besoins de certaines analyses,

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3/9 ces trois catégories de lieux d'activités sont regroupées sous la dénomination activités « de tout type » qui inclut aussi les lieux d'activités fréquentés pour accompagner des personnes à charge (les enfants notamment) et ceux correspondant au domicile des proches chez qui on dort au moins une fois par semaine. En se concentrant sur les lieux d'activités situés en Île-de-France et dans les départements limitrophes, notre base de données comporte 68 113 lieux d’activités rapportés, soit une moyenne de 12,4 lieux d’activités par participant.

L’agencement spatial des différents lieux de résidence et d’activités dessine un espace d'activité propre à chaque participant de l’enquête RECORD. Trois indicateurs sont créés afin de décrire cet espace d’activité : (1) le nombre de lieux d'activités par participant ; (2) la distance moyenne entre les lieux d’activités et le lieu de résidence des participants en suivant le réseau routier ; (3) la dispersion spatiale des lieux d’activités et de résidence de chaque participant mesurée à partir de la superficie d'une ellipse de déviation d'un écart type1.

Encadré 1. Comparaison des données de mobilité recueillies dans le cadre de l’enquête RECORD-VERITAS et des enquêtes ménages déplacements (EMD)

L’enquête RECORD-VERITAS permet – entre autres – d’étudier les pratiques de mobilité quotidienne des Franciliens. Elle se distingue nettement des enquêtes utilisées habituellement dans cet objectif, dites « enquêtes ménages déplacements » (EMD). Les EMDproduisent une information sur tous les déplacements effectués par les enquêtés durant une journée (le jour précédent l’entretien). En Île-de-France, l’EMD est un peu particulière : baptisée Enquête Globale Transport (EGT), elle existe depuis les années 1960 et a connu six éditions. Son échantillon est très important (environ 20 000 individus jusqu’à 2001, 43 000 individus en 2010) et le repérage des lieux d’origine et de destination s’effectue dans un carroyage plus fin que celui des EMD classiques (de 300 mètres de côté jusqu’à 2001 et de 100 mètres de côté en 2010). L’analyse des inégalités sociales d’accès aux ressources pourrait être menée à partir d'une EMD, cependant l'enquête RECORD-VERITAS possède des avantages pour effectuer une telle étude. Les EMD sont très précises quant aux déplacements – leur temporalité, leur mode, leur motif – mais la prise en compte d’un seul jour par enquêté ne permet pas, contrairement à l’enquête RECORD-VERITAS, de connaître les routines dans les déplacements et les lieux régulièrement visités (Chardonnel et al., 2012). En outre, dans les EMD, les lieux d’origine et de destination des déplacements sont repérés dans des zones propres à l’enquête, ce qui limite la possibilité de calculer les distances entre les lieux en suivant le réseau routier et rend les mesures d'accessibilité aux équipements moins précises. Enfin, les EMD permettent de connaître la catégorie socioprofessionnelle des enquêtés mais pas leurs revenus.

1.2 Le potentiel d’accès aux ressources urbaines

Le potentiel d’accès aux ressources urbaines est quantifié à partir de la base permanente des équipements (BPE) qui regroupe l'ensemble des équipements disponibles sur le territoire français. Produite par l’Insee par une compilation de plusieurs répertoires sectoriels, la BPE recense en environ 2,2 millions d’équipements en France, dont 370 000 sont localisés en Île-de-France. Ces équipements sont localisés à l’IRIS (Ilots Regroupés pour l’Information Statistique) avec éventuellement une localisation plus précise à l’adresse. Une variable dite de « gamme » permet de distinguer les équipements de proximité, intermédiaires et supérieurs. Dans le domaine des commerces par exemple, la boulangerie est considérée comme équipement de proximité, le supermarché comme équipement intermédiaire et l’hypermarché comme équipement supérieur. Dans le domaine de l’enseignement la distinction s’applique aux écoles primaires (proximité), collèges (intermédiaire) et lycée (supérieur). Ici, notre travail s’appuie sur les équipements recensés par la BPE 2013 et localisés à l’IRIS puisque l’adresse n’est disponible que pour moins d’un tiers des équipements de cette base.

Le potentiel d’accès aux équipements est calculé à partir d’un modèle gravitaire qui permet de pondérer l’équipement par la distance en donnant plus de poids aux équipements proches et

1

Le tracé de l’ellipse de déviation standard renseigne sur le centre de gravité d’un nuage de points, sur sa forme et sur sa dispersion. Une ellipse de déviation standard d'un écart type regroupe environ 68 % des lieux.

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4/9 moins de poids aux équipements plus lointains. À partir de la distinction établie dans la BPE entre les équipements de proximité, intermédiaires et supérieurs, nous appliquons un principe classique en géographie, principe issu de Christaller qui énonce que plus les équipements sont de haut niveau, plus leur aire d'attraction est importante. La taille variable des aires d'attraction dépend de la fonction d'interaction spatiale, fonction qui traduit le frein de la distance. La portée, c’est-à-dire la distance à laquelle le potentiel d'accès tombe à 50 %, est fixée à 200 mètres pour les équipements de proximité, 500 mètres pour les équipements intermédiaires et un kilomètre pour les équipements supérieurs. Finalement, le potentiel d’accès observé en un lieu donné est la somme des trois potentiels correspondant aux équipements de proximité, intermédiaire et supérieur. Globalement, le potentiel d’accès aux équipements dessine une configuration concentrique autour de Paris, mais n’efface pas pour autant des couloirs et des noyaux périphériques avec de bonnes densités de ressources (figure 2). Un potentiel d’accès aux équipements est affecté à chacun des lieux de résidence et d'activités des 5489 participants de l’enquête RECORD.

Figure 2. Potentiel d’accès aux équipements en Île-de-France et lieu de résidence des participants de l’enquête RECORD

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5/9 1.3 Les revenus des ménages

Les inégalités sociales dans la forme de l’espace d’activité et l'accès aux équipements sont analysées à partir des revenus mensuels des ménages, tels que déclarés par les participants de l’enquête RECORD. Une fois rapportés au nombre d'enfants et d'adultes dans le ménage (les Unités de Consommation ou UC), ces revenus sont regroupés par quintiles, dont les seuils intermédiaires sont 870 €/UC, 1290 €/UC, 1830 €/UC et 2600 €/UC.

Notons que la population participant à l'enquête RECORD est légèrement plus défavorisée que l’ensemble de la population francilienne avec des écarts de revenus un peu plus faibles. En effet, le revenu médian mensuel des participants de l'enquête RECORD est de 1750 €/UC avec un rapport inter-décile de 5,8 alors que le revenu médian mensuel pour l'ensemble de la population d'Île-de-France était en 2011 selon l’Insee de 1850 €/UC avec un rapport inter-décile de 7,5.

1.4 Les analyses

Pour chaque quintile de revenu, les valeurs médianes (i) du nombre de lieux d'activités, (ii) des distances moyennes entre les lieux d'activités et le domicile et (iii) de la superficie de l’ellipse de déviation sont calculées. Le test non paramétrique de Kruskal-Wallis est utilisé pour déterminer si les valeurs pour les différents quintiles de revenus ont des distributions similaires (tableau 1). De même, pour chaque quintile de revenu, les valeurs médianes des potentiels d'accès aux équipements (au lieu de résidence et aux différents lieux d’activités) sont calculées et leur différence est évaluée grâce au test de Kruskal-Wallis. Pour quantifier l’ampleur des inégalités sociales dans l'accès potentiel aux équipements, le rapport inter-quintile et le coefficient de variation sont indiqués (tableau 2). Le gain de potentiel d'accès aux équipements induit par la mobilité est également calculé pour les différents quintiles de revenu. Il correspond au taux de variation2 entre les valeurs médianes du potentiel d’accès depuis le lieu de résidence (pris comme référence) et du potentiel d’accès depuis les lieux d’activités (figure 3).

2. Des espaces d’activité socialement différenciés ?

La première étape de cette recherche consiste à analyser l’espace d’activité des Franciliens participant à l’enquête RECORD en fonction de leurs revenus (tableau 1).

L’analyse de la dispersion spatiale des lieux de résidence et d’activités laisse apparaître un gradient social assez net avec une dispersion spatiale maximale pour les populations les plus riches. Une analyse fine par type d’activités révèle également des comportements de mobilité socialement différenciés. Pour les activités domestiques, dont le nombre de lieux reste sensiblement le même quels que soient les revenus des habitants, on constate une plus grande proximité au domicile à mesure que les revenus des ménages s’élèvent. En revanche, une tendance inverse est observée pour les lieux de loisirs : ceux-ci sont plus nombreux et plus éloignés du domicile à mesure que les revenus des ménages s’élèvent. Les populations riches se déplacent donc sur de plus courtes distances que les populations pauvres pour réaliser leurs activités domestiques, mais sur des plus longues distances pour leurs activités de loisirs. Pour les activités professionnelles, on remarque que les distances entre le domicile et le lieu de travail sont maximales pour les populations des quintiles intermédiaires de revenus. Ce

2Pour calculer ces taux de variations, nous avons pris soin de considérer les mêmes échantillons de populations. Par exemple, le taux de variation entre le potentiel d’accès depuis le lieu de résidence et le potentiel d'accès depuis les lieux d’activités professionnelles est calculé pour les participants ayant déclarés au moins un lieu d'activités professionnelles.

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6/9 résultat – qui concerne les 3118 (57 %) participants ayant rapporté des lieux d’activités professionnelles – mériterait d'être discuté notamment en le confrontant avec des études portant spécifiquement sur les trajets domicile-travail en Île-de-France (e.g. Baccaïni, 1996). Toutefois, on peut émettre comme hypothèse que les « classes moyennes » connaissent les navettes domicile-travail les plus longues car elles ont une plus grande capacité à se déplacer que les populations les plus pauvres et qu’elles n’ont pas la possibilité, comme les populations les plus riches, de limiter la longueur de leur trajet domicile-travail en déménageant ou en trouvant un emploi plus proche de leur domicile.

Tableau 1. L’espace d’activité des franciliens en fonction de leur revenus

Nombre de lieux d'activités Distance moyenne1 (en km) entre le lieu de

résidence et les lieux d'activités

Superficie de l'ellipse d'un écart type (en km²) (n=5477) de tout type (n=5489) profession-nelles (n=5489) domes-tiques (n=5489) de loisirs (n=5489) de tout type (n=5485) profession-nelles (n=3118) domes-tiques (n=5473) de loisirs (n=4760) Médiane globale 12 1 7 2 2,6 7,387 1,212 3,661 11,9

Médiane par quintile de revenu

Q1 (pauvres) 10 0 7 2 2,566 7,084 1,439 3,424 11,04 Q2 11 1 7 2 2,600 7,115 1,296 3,682 11,87 Q3 11 1 7 2 2,645 7,512 1,199 3,725 12,14 Q4 12 1 7 2 2,603 7,953 1,110 3,727 11,96 Q5 (riches) 11 1 7 3 2,595 7,11 1,021 3,755 12,96 p (Test de Kruskal-Wallis) <0,001 <0,001 >0,05 <0,001 >0,05 0,03 <0,001 0,04 0,05 Rapport inter-quintile(Q5/Q1) 1,10 / 1,00 1,50 1,01 1,00 0,71 1,10 1,17 Coefficient de variation 6 % 56 % 0 % 20 % 1 % 5 % 13 % 4 % 6 %

1 en suivant le réseau routier

Sources : Enquête RECORD-VERITAS (2011-2013); Base Permanente des Equipements - INSEE (2013)

Ces analyses de l’espace d’activité pourraient être approfondies en considérant la localisation du domicile au sein de l’espace francilien ou d’autres variables individuelles comme l’âge, la structure du ménage, la catégorie socioprofessionnelle. Toutefois, en soulignant des différentiations sociales dans la façon dont les Franciliens se déplacent au quotidien, elles constituent une première étape nécessaire à l’étude des inégalités sociales dans l’accès potentiel aux ressources urbaines.

3. Mobilité et inégalités sociales dans les potentiels d'accès aux équipements

La seconde étape de cette recherche consiste à analyser les potentiels d’accès aux équipements des Franciliens. Ceux-ci sont systématiquement plus élevés depuis les lieux d’activités que depuis les lieux de résidence, les plus forts potentiels d’accès aux équipements étant observés depuis les lieux de travail (tableau 2). De fait, les déplacements liés aux activités professionnelles, de loisirs ou domestiques occasionnent des gains d’accessibilité aux équipements qui sont respectivement de 57 %, 53 % et de 33 % (figure 3).

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Tableau 2. Le potentiel d’accès aux équipements des franciliens depuis leurs différents lieux d’activités en fonction de leurs revenus

Potentiel (moyen) d'accès aux équipements depuis les lieux,,, de résidence (n=5489) d'activités de tout type (n=5485) d'activités professionnelles (n=3118) d'activités domestiques (n=5473) d'activités de loisirs (n=4760) Médiane globale 652.9 962,6 1047,5 875,5 1023,5

Médiane par quintile de revenu

Q1 (pauvres) 445,8 743,1 859,8 675,7 725,2 Q2 562,4 876,8 1102,5 766,3 867,1 Q3 635,2 974,5 1047,5 881,3 1040,5 Q4 762,2 1095,1 1047,5 965,6 1111 Q5 (riches) 950,2 1300,3 1170,6 1090,3 1373,4 p (Test de Kruskal-Wallis) <0,001 <0,001 <0,01 <0,001 <0,001 Rapport inter-quintile(Q5/Q1) 2,131 1,750 1,361 1,614 1,894 Coefficient de variation 29 % 21 % 11 % 19 % 24 %

Sources : Enquête RECORD-VERITAS (2011-2013) ; Base Permanente des Equipements - INSEE (2013)

Si les Franciliens interrogés bénéficient d’un meilleur potentiel d'accès aux équipements depuis leurs lieux d'activités que depuis leurs lieux de résidence, le différentiel est cependant plus important chez les pauvres que chez les riches. Par leurs déplacements, les Franciliens du premier quintile de revenu bénéficient d’un accroissement de 67 % de leur potentiel d'accès aux équipements tandis que ce gain n’est que de 36 % pour les Franciliens du dernier quintile de revenus (figure 3).

Figure 3. Le gain d’accessibilité aux équipements induit par la mobilité des Franciliens en fonction de leurs revenus

Lecture de la figure : pour la population du premier quintile de revenus (Q1), le gain d'accessibilité induit par les déplacements vers les lieux d'activités professionnelles est de 90 %. Il correspond au taux de variation entre le potentiel d’accès aux équipements depuis le lieu de résidence (calculé uniquement pour les participants ayant déclaré au moins un lieu d’activité professionnelle) et le potentiel d'accès aux équipements depuis les lieux d’activités professionnelles.

Sources : Enquête RECORD-VERITAS (2011-2013) ; Base Permanente des Equipements - INSEE (2013)

0% 20% 40% 60% 80% 100% Global Q1 (pauvres) Q2 Q3 Q4 Q5 (riches) Activités de tout type Activités professionnelles Activités domestiques Activités de loisirs

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8/9 Notons d’ailleurs que les déplacements professionnels (lorsqu’un lieu de travail a été rapporté3) génèrent des gains d'accessibilité particulièrement plus élevés pour les populations des deux premiers quintiles de revenus, avec des gains respectifs de 90 % et de 109 % (figure 3).

On constate aussi que les potentiels d’accès aux équipements augmentent graduellement à mesure que les revenus s’élèvent (tableau 2). Ces inégalités sociales dans les potentiels d’accès aux équipements se retrouvent aussi bien pour les lieux de résidence que pour les lieux d’activités professionnelles, d’activités domestiques ou de loisirs. De fait, les 20 % les plus riches bénéficient depuis leurs lieux de résidence d’un potentiel d’accès aux équipements 2,1 fois plus élevé que les 20 % les plus pauvres. Ce ratio s’atténue pour passer à 1,7 lorsqu’on considère le potentiel d’accès aux équipements depuis les lieux d’activités (tableau 2). En d’autres termes, on peut dire que la mobilité atténue l’ampleur des inégalités sociales dans l’accessibilité aux équipements mais que celles-ci demeurent importantes. Pour illustrer ce point, on remarque par exemple que le potentiel d’accès depuis les lieux de résidence des plus riches demeure malgré tout plus élevé que le potentiel d’accès depuis les lieux d’activités des plus pauvres.

Conclusion

Les populations les plus aisées disposent d’un nombre accru de ressources à proximité de leur domicile et bénéficient de surcroît d'un plus grand nombre de ressources à proximité des lieux qu'elles fréquentent quotidiennement. Même si la mobilité induit un gain d'accessibilité plus important pour les populations pauvres que pour les populations riches et pousse ainsi à une légère réduction de l’ampleur des inégalités sociales dans l’accès aux équipements observées depuis les seuls lieux de résidence, les inégalités sociales d’accès demeurent fortes dans la mesure où les populations pauvres fréquentent quotidiennement des espaces où le potentiel d'accès est bien moindre que celui des espaces fréquentés par les populations plus aisées. Un des apports de cette recherche est de souligner le rôle de la mobilité quotidienne comme vecteur d’accroissement de l’accessibilité des équipements, en particulier pour les fractions les plus défavorisées de la population. De par leurs déplacements quotidiens, les plus pauvres modèrent en effet la mauvaise accessibilité aux équipements à laquelle ils font face dans leur espace de résidence et réduisent, mais dans une très faible mesure seulement, l'ampleur des inégalités sociales d'accès aux équipements.

En terme d'action publique, cette recherche souligne l'intérêt (i) de mettre en place des mesures incitatives pour densifier l’offre d'équipements privés à proximité des lieux de résidence et d'activités des populations pauvres, (ii) de favoriser l'implantation des nouveaux équipements publics dans les espaces de résidence et d’activités des populations pauvres et (iii) d’aider les populations pauvres à se déplacer dans des espaces avec une forte densité d’équipements. Ces interventions s’inscrivent aussi bien dans le champs des politiques urbaines que dans celui des politiques de transports et de déplacements (Chardonnel et al., 2012). Ces mesures ciblées – qui concernent des populations et des espaces prioritaires – nécessitent que les acteurs publics se concertent et articulent leurs territoires respectifs d'action afin que les besoins des différentes populations soient pris en compte qu’elles habitent ou bien fréquentent le territoire sans y résider. Si elles se développaient, de telles mesures pourraient limiter l’ampleur des inégalités sociales d’accès à la ville et à ses

3 Près de 57 % des participants de RECORD ont rapporté au moins un lieu de travail. Cette proportion s’accroît à mesure que les revenus des ménages augmentent passant de 47 % pour le quintile inferieur de revenus à 61 % pour le quintile supérieur de revenus.

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9/9 ressources et, de cette façon, les autres inégalités qui peuvent en résulter, comme par exemple les inégalités sociales de santé (Shareck et al., 2014).

Cette étude concerne les inégalités sociales dans l’accès potentiel aux ressources urbaines. Elle n’analyse pas directement les inégalités sociales dans l’accès effectif aux ressources urbaines ; elle n’intègre pas les contraintes financières, culturelles ou temporelles (i.e. liées aux emplois du temps) qui pèsent sur les marges de manœuvre dont les différents groupes sociaux disposent pour effectivement utiliser les ressources urbaines situées à proximité de leurs lieux d’activités. Pour autant, cette étude intègre indirectement la façon dont les groupes sociaux utilisent effectivement les ressources urbaines dans le cadre de leurs activités quotidiennes puisqu’elle se réfère à leurs lieux d’activité pour évaluer leur potentiel d’accès ultérieur. C’est bien toute la difficulté d’observer à un instant donné les deux processus dynamiques que sont la mobilité dans la ville et l’accessibilité à la ville : en figeant ces processus, on pourrait avoir tendance à oublier que la mobilité détermine l’accès à la ville mais dans le même temps en résulte.

Références bibliographiques

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Fol S., Gallez C., 2013, Mobilité, accessibilité et équité : pour un renouvellement de l’analyse des inégalités sociales d’accès à la ville, Colloque international du Labex Futurs Urbains,

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Figure

Figure 1. Mobilité et accessibilité aux ressources
Figure 2. Potentiel d’accès aux équipements en Île-de-France et lieu de résidence des  participants de l’enquête RECORD
Tableau 1. L’espace d’activité des franciliens en fonction de leur revenus
Figure 3. Le gain d’accessibilité aux équipements induit par la mobilité des Franciliens en  fonction de leurs revenus

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