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Études de communication langages, information, médiations L éducation à l information, aux TIC et aux médias : le temps de la convergence?

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38 | 2012

L’éducation à l’information, aux TIC et aux médias : le temps de la convergence ?

Cultural Literacy, Information Literacy, and Media Literacy: The Time for Convergence?

Vincent Liquète, Éric Delamotte et Françoise Chapron (dir.)

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/edc/3372 DOI : 10.4000/edc.3372

ISSN : 2101-0366 Éditeur

Université de Lille Édition imprimée

Date de publication : 30 juin 2012 ISBN : 978-2-917562-07-9 ISSN : 1270-6841 Référence électronique

Vincent Liquète, Éric Delamotte et Françoise Chapron (dir.), Études de communication, 38 | 2012,

« L’éducation à l’information, aux TIC et aux médias : le temps de la convergence ? » [En ligne], mis en ligne le 30 juin 2014, consulté le 26 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/edc/3372 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edc.3372

Ce document a été généré automatiquement le 26 septembre 2020.

© Tous droits réservés

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Aujourd'hui, le droit à l'information et sa maîtrise sont devenus une préoccupation éducative à l'échelle internationale. Nécessaire à la productivité des entreprises, à l'épanouissement des individus dans la dite "société de l'information" et à la vie démocratique, la maîtrise de l'information n'a pas cessé d'être recommandée par les instances internationales comme nouveau droit de l'homme (UNESCO, IFLA, Conseil de l'Europe).

Mais la problématique de l'Information Literacy ou celle de la Culture informationnelle, expression plutôt privilégiée dans l'espace francophone, s'incarnent dans des réalités et des secteurs observés extrêmement divers. Cette réalité invite à poser la question du territoire de la culture informationnelle, notamment au regard de cultures proches liées au domaine de l'informatique (Computer Literacy) ou celui des médias (Média Literacy). De sorte que l'époque actuelle semble être celle d'un premier aboutissement, mais aussi celle d'une restructuration. Aussi le prochain dossier thématique de la revue articulera les dimensions et enjeux théoriques aux questionnements pratiques, en élargissant les champs d'étude de la Culture informationnelle au concept de "Trans- littéracie informationnelle".

Today, the right to information and the ability to use it have become educational concerns on an international scale. Necessary to the productivity of companies, the advancement of individuals in the “information society” and to democratic life, mastering information continues to be recommended by international agencies as a new human right (UNESCO, IFLA, and Council of Europe). But the problem of information literacy or culture informationnelle, as the expression is formulated in the francophone community, is embedded in extremely diverse realities and sectors. This reality raises questions of the territory of information literacy, in particular with respect to cultural approaches associated with the digital domain (computer literacy) or with the media (media literacy) such that the current era seems to be one of an initial culmination, but also of restructuring. The journal’s next thematic issue will therefore focus on the theoretical dimensions and issues of practical questions while broadening the field of study of cultural literacy to include the concept of

“transliteracy.”

NOTE DE LA RÉDACTION

Comité de lecture du numéro 38 (dossier) : Claude Baltz (Paragraphe - Université Paris 8), Eric Bruillard (STEF - ENS Cachan), Patrice de la Broise (GERiiCO - Université Lille 3), Divina Frau-Meigs (CREW - Université de Paris 3 Nouvelle Sorbonne), Vassilis Komis (Université de Patras - Grèce), Susan Kovacs (GERiiCO - Université Lille 3), Donatella Lombello (Université de Padoue - Italie), Yolande Maury (GERiiCO - Université Lille 3), Daniel Peraya (Université de Genève - Suisse), Jacques Perriault (Université Paris 10), Jacques Piette (Université de Sherbrooke - Canada), Manuel Pinto (Université de Braga - Portugal), Alexandre Serres (URFIST de Rennes - Université de Rennes 2), Thierry de Smedt (Université catholique de Louvain la Neuve - Belgique).

Comité de lecture du numéro 38 (varias) : Thomas Guignard (Paris 13), Annie Lenoble-Bart (Bordeaux 3), Chérifa Boukacem (Lyon 1), Ghislaine Chartron (CNAM), Isabelle Gavillet (Metz), Béatrice Damian-Gaillard (Rennes 1), Gersende Blanchard (Lille 3), Dominique Bessières (Champagne-Ardennes).

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SOMMAIRE

Dossier : L’éducation à l’information, aux TIC et aux médias : le temps de la convergence ?

Introduction

Vincent Liquète, Éric Delamotte et Françoise Chapron

L’appropriation des dispositifs d’écriture numérique : translittératie et capitaux culturel et social

Hélène Bourdeloie

Sociologie de l’appropriation des TICE : peut-on parler d’une culture informationnelle partagée ou de genèse d’usage ?

Dominique Bessières

Les natifs numériques profitent-ils de la convergence ? Constats nuancés et pistes de réflexion pour les éducateurs

Jacques Kerneis, Alexandre Coutant, Henri Assogba et Thomas Stenger

Éducation aux  TIC, cultures informatique et du numérique : quelques repères historiques

Béatrice Drot-Delange et Éric Bruillard

Lesite.tv : un avatar de la convergence ?

Frédéric Marty

Apprendre par les réseaux sociaux, qu’est-ce qui change ?

Michel Arnaud

L’éducation à l’information dans le milieu scolaire révélatrice des enjeux relatifs au changement de paradigme éducatif ?

Isabelle Bréda, Yolande Combès et Laurent Petit

Littératies informationnelles, médiatiques et numériques : de la concurrence à la convergence ?

Olivier Le Deuff

Varis

L’image de mode au service du sujet féminin, vers une nouvelle mascarade ?

Justine Marillonnet

Efficience et économie d’échelle. Une étude sur l’édition de revues en libre accès

Joachim Schöpfel, Hélène Prost et Jan Erik Frantsvåg

Réseaux virtuels, reconstruction du lien social et de l’identité dans la diaspora noire

Alain Kiyindou et Théodora Miéré Pélage

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Notes de lecture

Annette Béguin-Verbrugge, Susan Kovacs (dir.) : Le cahier et l’écran. Culture informationnelle et premiers apprentissages documentaires

Yolande Maury

Philippe Bouquillion, Jacob T. Matthews : Le Web collaboratif. Mutations des industries de la culture et de la communication

Sami Ben Balaïd

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Dossier : L’éducation à l’information, aux TIC et aux médias : le temps de la convergence ?

Special Report. Cultural Literacy, Information Literacy, and Media Literacy: The Time for Convergence?

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Introduction

Vincent Liquète, Éric Delamotte et Françoise Chapron

2010-2020 : la décennie de la convergence ?

1 La question de la convergence entre les éducations à l’information, aux TIC et aux médias est un front de recherche dynamique et émergent. En témoigne les publications récentes au niveau francophone1. Cette vitalité est d’autant plus renforcée que, dans les sociétés des pays les plus riches, les décideurs politiques s’intéressent de plus en plus aux études qui caractérisent les usages professionnels, éducatifs ou sociaux des technologies de l’information et de la communication et des réseaux. Ce questionnement tente de prendre en compte pour se l’approprier les profondes et très actives mutations des industries de la connaissance et culturelles dans le grand tournant de la « convergence numérique ».

Tableau historique

2 Depuis les années 1960, dans beaucoup de pays occidentaux, la sensibilisation à l’information et/ou aux médias est issue d’un mouvement de praticiens pionniers, tout autant enseignants qu’éducateurs. Cette première phase court jusqu’à la fin de la décennie 1970 avec, pour corollaire, la construction d’une nouvelle identité du pédagogue, plus paysagiste des savoirs que transmetteur de ceux-ci2. Les apprentissages visés consistaient principalement alors à découvrir et repérer les diverses offres et techniques disponibles dans les espaces documentaires et dans les sphères mass-médiatiques.

3 La deuxième phase, couvrant à peu près les années 1980, a vu se construire des groupes d’acteurs comprenant aussi des inspecteurs, des responsables culturels et des universitaires, autour du terme « éducation à… » qui commençait à apparaître, notamment dans les textes de l’UNESCO. Nécessaire à la productivité des entreprises, à la survie et à l’épanouissement des individus dans la dite « société de l’information » et à la vie démocratique, la maîtrise de l’information n’a pas cessé d’être recommandée depuis par les instances internationales comme nouveau droit de l’homme3 et comme

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«  élément socle » pour renforcer le caractère démocratique des sociétés contemporaines. Depuis la notion de littératie informationnelle (information literacy) apparue dès 1974 aux États-Unis et qui a été définie notamment en 1989 par l’American Library Association (ALA)4, d’autres littératies ont progressivement émergé. Certaines privilégient des médias particuliers (la télévision au détriment du cinéma, la radio, la presse d’actualité...) d’autres des ressources sémiotiques spécifiques (l’image plutôt que le texte notamment…). En France, déjà, l’objet de la réflexion était plutôt focalisé sur la notion même d’information, rapportée aux conditions d’exercice de la citoyenneté (Gonnet, 1997) à travers principalement l’éducation aux médias5.

4 La troisième phase, couvrant à peu près la décennie 1990, a vu, en Europe, la reconnaissance de l’éducation à l’information et aux médias comme projet éducatif public, visant une forme d’institutionnalisation. On voit dès lors apparaître des dispositifs pédagogiques se centrant sur des visées et préoccupations à dominante info- documentaire.

5 La quatrième phase, couvrant la décennie 2000, est celle d’une intégration accrue de l’éducation à l’information lato sensu pour les uns et d’un nouvel ancrage autour de la dimension culturelle à l’information. Pour les spécialistes elle se décompose en deux moments : une période qui voit l’avènement du Web 1.0, avec la sphère des réseaux avec internet, celle de la communication via la gestion des courriels et de leurs formes dérivées, enfin celle de la recherche d’information par le biais notamment de Google, encore basé sur une approche bidirectionnelle, entre un site et son utilisateur, tout en accordant une place de choix aux stratégies de recherche individuelle d’information. La seconde commence avec Web 2.0 et véritablement vers 2006, avec l’avènement international de réseaux communautaires comme Facebook et Youtube6. Les solutions apportées par les institutions se focalisent sur le renforcement des apprentissages classiques autour de l’alphabétisation (savoir lire, écrire et compter) et autour de certifications comme le B2i et C2i.

6 De sorte que les questionnements autour de l’Information Literacy ou celle de la Culture de l’information, s’incarnent dans des discours, des réalités et des secteurs observés extrêmement divers. Parallèlement, les périmètres scolaire et universitaire français, à travers une approche centrée « Culture informationnelle » tentent de proposer un type de culture de l’information en contexte, visant l’acquisition de compétences, le renforcement de la citoyenneté, tout en se référant aux théories de l’apprentissage ainsi qu’aux épistémologies disciplinaires de référence.

Panorama international

7 Ainsi, les « éducations à » se sont développées autour de variables médiatiques, institutionnelles, scolaires et idéologiques extrêmement diverses, révélant un panorama international riche7. Depuis le début du siècle, les utilisateurs des réseaux numériques recourent à une activité de plus en plus interactive, caractérisée par le téléchargement, les modes généralisés de communication, la mise en ligne de contenus personnels, voire intimes, partagée entre pairs8. Or, les promoteurs publics et privés des services informatiques attendaient du Web une croissance économique des services en ligne consommés par les usagers. Cet écart a entraîné à travers l’Europe un mouvement, soutenu par l’industrie médiatique, en faveur d’initiatives éducatives centrées sur les compétences techniques des usagers et, en ce qui concerne les jeunes,

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la promotion d’un « Internet plus sûr »9, susceptible de rassurer les adultes. L’éducation aux médias, face à cette crainte populaire, prône l’accès compétent des jeunes à l’usage d’Internet, dans un prolongement du modèle de téléspectateur actif et critique. S’étend en Europe la volonté institutionnelle d’une éducation aux médias systématique pour tous, et, dans son sillage, sous l’impulsion de la Commission européenne10, différents centres de recherche tentent de mesurer les niveaux de ce qui tend à s’appeler « littératie médiatique ».

8 Divina Frau-Meigs distingue trois grandes aires culturelles qui s’interrogent et innovent le plus sur la culture de l’information et des médias : le monde latino- américain, le monde anglophone, enfin le monde francophone11.

9 En Amérique latine, tout comme en Espagne, la perspective de l’édu-communication prédomine actuellement après des années centrées sur l’alphabétisation informationnelle12. On considère l’importance de la communication comme médiation et le partage d’information comme moyen de construction du sens et du bien communs. Dans le monde anglophone, que ce soient aux États-Unis, au Canada, en Australie ou au Royaume-Uni, la perspective des cultural studies domine toujours. La communication est alors appréhendée comme une pratique culturelle et l’information comme un moyen de connaissance, de soi comme du monde. La focalisation se fait sur les savoirs pratiques avec une dimension d’empowerment personnel. Toutefois, comme le souligne Yolande Maury (2011), le « renforcement du pouvoir d’action via l’acquisition et l’organisation de ressources ne garantit pas que l’individu sache spontanément se servir de ce pouvoir ». Dans le monde francophone, notamment la France, la Belgique et le Québec, et à un certain degré d’autres pays de l’Europe continentale, la perspective s’ancre prioritairement autour de l’acquisition de savoirs issus des Sciences de l’Information et de la Communication. L’information est vue en tant qu’un ensemble de données liées aux documents et aux médias. La communication est, quant à elle, une activité citoyenne de participation à l’espace public politique et scientifique, héritage des Lumières et des idéaux progressistes13.

L’empreinte du numérique

10 La capacité à appréhender les objets informationnels dans leur dimension technique a crû avec l’émergence des préoccupations éducatives et politiques relatives à la digital literacy et aux compétences numériques. Priorité a été, alors, donnée à l’utilisation de la technologie, aux savoir-faire opérationnels correspondant le plus souvent à des procédures apprises par l’interaction avec les pairs, plus qu’à la compréhension critique de son fonctionnement, des problématiques et des enjeux qui lui sont liés. Ce choix a focalisé l’attention sur les aptitudes liées à l’utilisation opératoire au détriment d’autres compétences numériques (Buckingham, 2009), comme l’illustre la création d’initiatives telles que l’European Computer Driving Licence, ou le B2I et le C2I en France. Depuis 40 ans, de nombreux travaux témoignent d’un débat constant entre deux visions. Ainsi, dans les années 1980, comme le rappelle Georges-Louis Baron14, période où l’Enseignement Assisté par Ordinateur est relativement florissant, en France, l’opposition en éducation concerne l’informatique, soit comme outil d’enseignement soit comme objet d’enseignement. On notera pour le secteur de la documentation un registre d’intentions similaire. Ces débats reflètent aussi l’idée qu’il est inutile d’apprendre à commander les machines ; l’immersion dans le monde dit de

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« l’Intelligence Ambiante » permettant une utilisation adaptée, naturelle et conviviale, s’avèrerait suffisante car les capacités intuitives de l’individu pourraient suffire à construire seul ou en commun du sens et de la compréhension. Si l’idée d’outil semble satisfaire tout le monde, elle est incomplète, voire fausse (Gallezot et Simonnot, 2009, à propos de Google). Face à la rapide évolution des dispositifs techniques, les politiques ont toujours eu de la difficulté à élaborer une vision à long terme, à pointer des objectifs d’apprentissage suffisamment stables et le système éducatif a apporté une série contrastée de réponses à la question de la prise en compte de l’informatique en milieu scolaire.

Société, Éducation et culture de l’information : quelques constats

11 Dans les rapports entre éducation et société, un certain nombre de caractéristiques principales induisent désormais des accélérations de comportements, voire des changements de valeurs. Nous en retiendrons au moins cinq à savoir :

* L’interactivité et la participation, accrues avec l’architecture décentralisée du Web 2.0, permettent une distribution de l’information par la coordination entre pairs (peer to peer) et le partage des ressources. Pour certains l’intelligence collective prend le pas sur l’intelligence individuelle, notamment par la collaboration entre agents humains et non-humains15.

* Le comportement de l’usager, comme contributeur de contenus et producteur d’information, se focalise sur l’extraction de l’information et son exploitation : l’information devient une pratique en soi et une valeur. Les médias numériques (et analogiques) favorisent d’ailleurs la participation des usagers : ils font partie d’un ensemble d’outils qui promeuvent l’expérience personnelle, l’expressivité et la réflexivité ; comme l’évoquent les 12 compétences du NML (pour New Media Literacies)16.

* Les pratiques «  privées » sont un véritable défi pour l’école, car le mouvement continu d’équipement des ménages – depuis l’arrivée de la radio puis de la télévision jusqu’à l’internet haut débit – fait, qu’aujourd’hui, la plupart de nos utilisations et consommations culturelles se déroulent au sein de l’espace domestique. L’analyse de « l’en deçà » du public est intéressante car elle permet de saisir et de problématiser les façons familières d’être avec les autres, les façons de faire avec les autres, les façons de s’impliquer dans un rapport de proximité aux autres (Thévenot, 2004)17. L’institution scolaire peine à prendre en compte cette réalité, car la culture de l’information a toujours été pensée principalement comme espace public.

* Le partage des écrans entre culture de l’écrit et culture de l’image : la culture alphabétique hégémonique est partiellement déplacée par la culture visuelle. Alan Liu considère d’ailleurs que l’industrie informatique explore à grande vitesse les modalités tactiles, visuelles et auditives, concernent ce que l’on peut appeler les

« attaches sensorielles » de la littératie18.

* L’économie présente deux versants aux frontières floues : les industries culturelles et de communication sont de fait les « infomédiaires » qui pratiquent et contrôlent « le courtage informationnel »19. D’un autre côté, l’utilisation de l’informatique se fait à des fins protestataires, pour accéder à une information gratuite et facilement échangeable, comme le rappellent de célèbres hackers (L. Torvals et Richard Stallman…) ou des collectifs internationaux contestataires (les « Anonymous »…).

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12 Ainsi, comprendre les « translittératies » comme une « idée » générale exige donc une vision large, où l’intérêt porte moins sur les changements particuliers que sur la totalité des interactions en jeu.

Éléments épistémologiques : un triple présupposé anthropologique, techniciste et socio-économique

13 Les définitions relatives à la littératie ont en commun, au fur et à mesure que les enjeux se précisent, d’être orientées vers une vision de plus en plus englobante, exprimant le changement de paradigme en cours : de la « recherche d’information », élargie à la

« culture de la recherche », puis à la « culture de l’information ». Cet élargissement invite également et surtout, à poser la question des territoires partagés entre l’informatique (Computer Literacy), les médias (Média Literacy) et le document. Cette plasticité explique pourquoi des chercheurs remettent en cause l’intérêt du concept l’

Information Literacy pour lui préférer celui, plus générique et transversal de « Translittératie informationnelle ». En optant pour une approche anglo-saxonne, les discours sur la translittératie s’organisent à partir d’une base anthropologique. Sans contestation possible, la littératie implique un lien avec l’écriture, les textes et les documents, c’est-à-dire les rapports que la culture entretient avec la « raison graphique »20. En énonçant la thèse que la culture écrite donne forme à la pensée, Jack Goody fait l’hypothèse de la littératie consiste à considérer l’écriture comme source de modifications des pratiques sociales et des processus cognitifs : ainsi, l’écriture a créé une organisation sociale et bureaucratique complexe ; en même temps, elle a incité à l’accumulation de connaissances et à une attitude plus critique à l’égard du savoir et des croyances. Toutefois, à l’encontre de la position de Goody, selon laquelle l’écrit est appréhendé comme une technologie intellectuelle ayant partout les mêmes effets, les

« New Literacy Studies », dans le sillage de Brian Street, visent à saisir la manière dont l’écriture est toujours prise dans des contextes culturels et des rapports de pouvoir particuliers, interdisant toute généralisation sur ses effets, qu’ils soient cognitifs ou sociaux21 : d’où la centration très forte depuis les années 90 sur l’analyse des pratiques ou des usages. Parallèlement, en quelques années, les théories de l’usage ont négocié un important virage épistémologique, faisant passer l’usager du statut de récepteur exposé au potentiel aliénant des médias, à celui de pratiquant quelquefois non conforme se réappropriant progressivement la technologie à travers ses propres pratiques. Jacques Perriault souligne que la profondeur historique, sociale et symbolique des usages n’est pas à ignorer22.

La culture de l’information comme socle des littératies

14 La culture de l’information s’organise principalement autour de trois dimensions, et se mobilise autant dans des situations où priment les documents physiques quels qu’en soient les supports, que les contenus dynamiques ou les documents numériques en ligne. La première dimension, que nous qualifierons de « structurelle » permet d’appréhender puis de délimiter le monde de l’info-documentation, en tentant en partie de s’extraire des seules pratiques et stratégies des acteurs. Par structurelle, nous entendons que l’assise de cette culture repose sur trois composantes : le document, comme base de l’organisation d’une pensée, processus et produit d’édition ;

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l’information, qui au-delà des analyses de contenus révèle des modes d’échange, de caractérisation de services et de formes de partage des données engagées ; et les médias en tant qu’espaces technologiques difficiles à appréhender car notamment, imbriqués les uns dans les autres depuis l’émergence du web23. Dès lors, les approches autour de la culture de l’information semblent progressivement proposer d’autres grilles de lecture que celles sur le code médiatique en suggérant de réfléchir aux communications numériques, où les communautés d’individus recomposent les espaces médiatiques selon leurs besoins, intentions et volontés de communication. Une seconde dimension de type « stratégico-actionnelle » est orientée plutôt sur les procédures personnelles de traitement des contenus à des fins ultérieures de réutilisation dans de nouvelles situations. Ces registres d’action reposent principalement sur des démarches voire des stratégies plus ou moins conscientisées et exprimées par les acteurs, dont les visées sont celles de tenter de positionner l’individu face à la masse d’informations en circulation notamment sur les réseaux. Enfin, une dernière dimension de nature

« identitaire et culturelle », qui ne peut se limiter à l’assimilation des seules lois à respecter, mais permettre à chacun d’apprendre à se situer, à s’interroger sur sa propre position et plus largement à penser sa relation au monde et à l’économie de l’information.

La translittératie informationnelle comme axiome de la convergence

15 Les approches par schématisation des littératies informationnelles, soulignent la multiplicité des niveaux à considérer et démontrent également l’émiettement face auquel les enseignants et les professionnels de l’information doivent faire face24. Par l’emploi du préfixe « trans- » est visée non seulement la transversalité des démarches et des compétences en action, mais aussi les processus même de transformation des situations par les usages engagés.

16 Comme le montreront certaines des contributions de ce numéro, les activités convergentes engagées à travers le courant translittéracique visent également une meilleure adaptation de la part des individus, au cours de leur parcours d’étude ou dans divers contextes de l’activité professionnelle25. En l’état actuel, des chercheurs à l’échelle internationale tentent le rapprochement des diverses littératies informationnelles concernées en procédant notamment sur :

- L’identification de points de convergence dans le domaine du numérique renvoyant à des stratégies stables et des manières de faire très proches les unes des autres ;

- La traduction de diverses intentions, notamment celles des enseignants et des relais de savoir, en objectifs d’apprentissage explicites pouvant à terme donner lieu à la mise en acte d’activités de sensibilisation et de formation ;

- La dénomination et la qualification des composantes de la translittératie informationnelle, en cherchant une forme de stabilisation minimale des représentations des acteurs ;

- Enfin, le repérage de pratiques et de démarches innovantes et/ou émergentes dans le monde social, professionnel et scolaire.

17 Le questionnement autour des convergences revient fondamentalement, nous semble- t-il, à questionner le rapport de l’humain à l’information au niveau des capacités (capacity) à mettre en jeu, au niveau des compétences à mobiliser dans des environnements extrêmement variés, en s’adaptant d’une manière nouvelle et non stéréotypée à des situations inédites d’information et d’exposition médiatique, enfin en

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prenant conscience des représentations individuelles et collectives en tension, engageant la pratique de l’altérité, un rapport aux savoirs et des manières de « voir le monde » et à se situer personnellement par rapport à lui.

Présentation des textes

18 Afin de croiser au mieux la multi-dimensionnalité de la question translittéracique, nous avons organisé le sommaire de ce numéro autour de trois parties.

19 La première regroupe trois textes centrés sur les usages et les études de pratiques informationnelles. Hélène Bourdeloie pointe plus particulièrement la complexification des compétences induite par le développement de l’écriture numérique, souligne les clivages dus aux « capitaux socio-culturels » divers des usagers, qui opposent la fluidité d’expression et la prise de distance visible des plus « aisés », les moins « aisés » utilisant les réseaux par souci d’intégration et de norme sociale, au risque d’une forme d’exclusion de dispositifs orientés vers « l’écriture de soi ». Elle récuse, comme la majorité des contributeurs, l’illusion de la figure de l’usager actif, participatif, et compétent, souligne le déficit de culture technique et la nécessité, même pour les plus

« lettrés » d’une nécessaire formation à mettre en place.

20 Dominique Bessières, en analysant les discours et les représentations des formateurs, acteurs censés promouvoir le développement des compétences liées aux TIC à travers leurs propres usages pédagogiques, aborde la stratégie de diffusion d’une « culture informationnelle partagée » à vocation professionnelle et didactique, destinée aussi à contribuer à une nouvelle professionnalité des enseignants (formant les élèves). Il constate qu’à l’effort d’équipements depuis une décennie, et malgré la mise en place du C2I2E, ne correspond pas une transformation notable des pratiques pédagogiques.

21 Les quatre auteurs de la troisième contribution (Jacques Kerneis et al.) soulignent, eux aussi, les visions réductrices des compétences numériques, liées à l’usage des réseaux sociaux. Par exemple, l’imbrication dans les sites journalistiques des articles et des blogs d’invités et de leurs commentaires, montrent selon eux que la connexion de contenus médiatiques disparates implique des compétences supplémentaires à celles exigées par l’usage de chaque média…

22 Le second groupement aborde plus particulièrement les réflexions suscitées par cette convergence médiatique dans une perspective plus historique. Eric Bruillard et Béatrice Drot-Delange retracent l’évolution de l’éducation aux TIC mettant en valeur les distinctions à opérer entre culture informatique d’abord centrée sur le code et les langages évoluant vers une culture numérique, ciblée sur les usages, sans s’y substituer, cultures souvent confondues. Ils définissent ainsi trois visions possibles de l’informatique : comme démarche intellectuelle, interaction avec les objets, informatique sociale. L’occasion est donnée à Frédéric Marty de retracer pour sa part l’évolution de l’audiovisuel éducatif pour montrer comment dans la continuité de la télévision éducative, la collaboration de La Cinquième et du CNDP en 2003, a pu permettre de mettre en place le «  Site TV », plateforme de téléchargement de vidéos offrant aux enseignants l’occasion de travailler en classe en s’ouvrant vers les contenus des médias actuels.

23 Le dernier ensemble s’intéresse plus nettement aux problématiques de l’apprentissage et de la formation avec des dispositifs complexes, plateformes d’apprentissage en ligne

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ou de ressources numériques. Michel Arnaud partant de l’exemple du diplôme universitaire (DU) « CAFEL » montre les apports de l’usage des réseaux sociaux dans un dispositif d’apprentissage en ligne qui implique la maîtrise des outils du Web 2.0, mais développe aussi par leur usage, un lien social de mutualisation des savoirs, dépassant les usages basiques des environnements numériques de travail. Isabelle Bréda du CRDP de Marseille, Yolande Combes et Laurent Petit du Labsic Paris 13 suivent, quant à eux, depuis 2009, l’évolution de la mise en œuvre de la plateforme de ressources numériques Corrélyce (catalogue ouvert de ressources éditoriales publiques ou privées) proposée aux lycées de la région PACA. Leur contribution met en valeur, à la fois, les aspects positifs de l’accès à des ressources variées, aux côtés des ressources existantes, dans une période d’« entre deux » encore marginale mais qui ne manque pas cependant de poser des problèmes aux élèves sinon aux enseignants, puisque que mettre à disposition comme chercher l’information ne vaut pas appropriation.

L’industrialisation de la formation est-elle compatible avec les nécessités pédagogiques et l’organisation actuelle des enseignements ? La nécessité d’une éducation à l’information ne s’en trouve-t-elle pas renforcée ?

24 Enfin en clôture de ce sommaire, la contribution d’Olivier Le Deuff reprend la problématique en esquissant le passage d’une concurrence à une convergence des littératies, faisant retour sur le concept même de littératie et ses différentes déclinaisons, mises en regard, en soulignant, comme d’autres auteurs, la nécessité d’une culture technique et abordant la mise en cohérence nécessaire des formations jusque là séparées et parcellaires.

BIBLIOGRAPHIE

Buckingham D., (2009), The future of media literacy in the digital age : some challenges for policy and practice, in Patrick Vernier (dir.), Proceedings of Euromeduc : Media literacy in Europe : controversies, challenges and perspectives, Bruxelles, MediaAnimation, pp. 13-24.

Gonnet J., (1997), Éducation et médias, Paris, PUF, (Que sais-je ?).

Maury Y., (2011), Information, pouvoir d’agir, compétences, capacités : autour des mots autonomisation et empowerment, Médiadoc, n°7, décembre, pp. 11-14.

Simonnot B. et Gallezot G. (dir.), (2009), L’entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l’information et de la communication, Caen, C&F Éditions.

NOTES

1. Une partie importante de cette introduction emprunte librement aux travaux des revues suivantes : l’e-dossier de l’INA (2012) (en ligne : http://), quelques thématiques des Cahiers du numériques ou de Recherches en Communication mais aussi les derniers ouvrages sur la question comme « Le cahier et l’écran : culture informationnelle et premiers apprentissages documentaires »,

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dirigé par Annette Béguin-Verbrugge et Susan Kovacs (2011), ou Chapron F. (2012). « Les CDI des lycées et collèges. De l’imprimé au numérique », Paris, PUF.

2. En France, la première circulaire de mission de 1977 qui lance les premières initiations au travail sur documents est guère différente de ce qui se fait à l’époque au Québec qui vise en priorité la connaissance des structures documentaires et de l’accès à l’information.

3. Notamment la Déclaration de Prague de septembre 2003, la Proclamation d’Alexandrie sur la maîtrise de l’information adoptée en novembre 2005 par l’IFLA et l’UNESCO, ou l’Agenda de Paris en juin 2007.

4. La définition d’ALA souligne notamment « Information literacy is a set of abilities requiring individuals to ‘recognize when information is needed and have the ability to locate, evaluate, and use effectively the needed information’ ».

5. En effet, dès avril 1983, fut créé le Centre de Liaison pour les moyens d’information (CLEMI) pour « promouvoir, notamment par des actions de formation, l’utilisation pluraliste des moyens d’information dans l’enseignement afin de favoriser une meilleure compréhension par les élèves du monde qui les entoure tout en développant leur sens critique ».

6. Voir article fondateur de Tim O’Reilly, « What is Web 2.0 » sur le site www.oreilly.com/web2/

archive/what-is-web-20.html ; voir aussi Divina Frau-Meigs, Media Matters in the Cultural Contradictions of the information society, Strasbourg, Council of Europe, 2011.

7. Pour illustration, le collectif de chercheurs et de professionnels EMMILE « European Meeting on Media and Information Literacy Education », en ligne : http://.

8. Cf. la notion d’extimité, au sens d’intimité surexposée (Tisseron, 2001). Voir également Jacques Perriault et la notion d’exposition de soi élargie, dans Michel Arnaud et Louise Merzeau (coord.), Traçabilité et réseaux, Hermès, n° 53, Paris, CNRS, 2009.

9. Par exemple, l’action de la Commission européenne avec le programme « Safer Internet action plan » (1999-2004).

10. L’évaluation des niveaux de littératie médiatique des citoyens européens est devenue une nécessité du fait de l’obligation pour la Commission européenne de faire rapport sur ces niveaux au sein de tous les états membres depuis 2011 (Directive « Services de médias audiovisuels », 2010, art. 33).

11. Ces comparaisons simplifiées sont établies sur la base des interventions présentées dans la section « Recherche en éducation aux médias » de l’AIERI, depuis 2008, sous la direction de Divina Frau-Meigs.

12. Alphabétisation informationnelle baptisée « ALFIN ».

13. La pensée de Célestin Freinet, a été relayée par les travaux de Geneviève Jacquinot, Jacques Gonnet, Jacques Piette ou Thierry de Smedt.

14. Voir Georges-Louis Baron, « L’informatique en éducation : quel(s) objet(s) d’enseignement ? », e- dossier, INA, 2012. En ligne : http://.

15. Henry Jenkins et al., Confronting the Challenges of Participatory Culture : Media Education for the 21st Century, MIT press, 2009.

16. Voir son site : http://.

17. Thévenot L., « Les enjeux d’une pluralité de formats d’informations », in Delamotte E. (dir.), Du partage au marché. Regards croisés sur la circulation des savoirs, Lille, Presse du Septentrion, 2004, pp. 333-347.

18. Liu A., « Translittératies : le Big Bang de la lecture en ligne », e-dossier de l’INA, 2012, (en ligne).

19. Pierre Moeglin, Les industries éducatives, Paris, PUF, 2007, pp. 151-162.

20. Jack Goody, La Raison graphique, la domestication de la pensée sauvage, Paris, Minuit, 1979.

21. Street B., Cross-cultural approaches to literacy, Cambridge (R.-U.), Cambridge University Press, 1993.

22. Jacques Perriault, La logique de l’usage, Essai sur les machines à communiquer, Paris, Flammarion, 1981, (réédition L’Harmattan, 2008).

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23. Nous pensons notamment aux mix-média.

24. Cf. par exemple : http://.

25. Intégration professionnelle dans les équipes, capacités à s’auto-former tout au long de la vie, capacités à s’approprier de nouvelles connaissances émergentes, capacités de surveillance des contextes professionnels, visibilité de l’intégralité de la chaîne de réalisation, positionnement cognitif personnel, capacité à organiser une mémoire de travail, démarche de réduction de fuite de connaissances dans un collectif de travail…

AUTEURS

VINCENT LIQUÈTE Université de Bordeaux 4 ÉRIC DELAMOTTE Université de Rouen FRANÇOISE CHAPRON Université de Rouen

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L’appropriation des dispositifs

d’écriture numérique : translittératie et capitaux culturel et social

The appropriation of digital writing devices: transliteracy and cultural and social capital

Hélène Bourdeloie

1 Les dispositifs d’écriture numérique contiennent un certain nombre de contradictions.

L’une d’entre elles réside notamment dans leur complexité technique et sémiotique d’un côté et leur facilité d’utilisation de l’autre. D’après un projet en cours sur les pratiques d’écriture interactive en Picardie1 et des recherches sur les pratiques numériques et culturelles, nous voudrions montrer que l’appropriation de ces dispositifs remet en question la maitrise de compétences techniques et cognitives que requéraient traditionnellement les technologies de l’information et de la communication (TIC). En s’émancipant de la technique et en se rapprochant des grands médias tout en reposant sur un processus participatif fondé sur un mode scriptural, ces plateformes font appel à des compétences relevant d’une culture plus large qui a affaire aux différents médias qui ici cohabitent. La convergence des supports (téléphonie, photographie, vidéo, ordinateur, etc.) en leur principe rend de plus en plus difficile l’observation des usages et tend à brouiller la distinction entre les compétences requises tant ces TIC imbriquent des pratiques qui jusque-là étaient séparées. Les changements de statut de l’usager que permettent ces dispositifs sont par ailleurs à l’origine de cadres d’interprétation parfois divergents. Certaines recherches mettent effectivement l’accent sur leurs potentialités expressives alors que d’autres attirent davantage l’attention sur les inégalités qu’ils engendrent. En dépit de sa pertinence, le premier modèle nous laisse à penser que ces dispositifs seraient ipso facto à l’origine d’usages innovants, et ce quelle que soit l’appartenance sociale de l’usager. Or si l’analyse de ces dispositifs échappe au modèle bourdieusien de la consommation culturelle, il n’en faut pas moins se départir d’une sociologie dispositionnaliste qui permet de mettre à jour les prérequis nécessaires à l’appropriation ainsi que les

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différences d’usages à la lumière des capitaux social et culturel individuels. En prenant acte du format technique et scriptural propre à ces dispositifs, il s’agit aussi de faire cas des travaux sur la littératie qui nous rappellent d’ailleurs, à la suite du travail de R. Hoggart, le lien qui existe entre le degré d’alphabétisation et l’appropriation d’objets culturels. Prendre en compte le caractère hétérogène de ces dispositifs à la fois techniques, scripturaux, culturels et sociaux, c’est donc comprendre que les compétences qu’ils sollicitent ne peuvent s’actualiser qu’à la condition de posséder les dispositions sociales et culturelles sui generis.

L’appropriation des dispositifs d’écriture numérique : compétences et capitaux en questions

Les compétences en questions

2 Les dispositifs d’écriture numérique occupent aujourd’hui une place croissante dans le répertoire des pratiques culturelles, sociales et de loisirs des jeunes, et particulièrement des natifs du numériques pour lesquels ils constituent le ferment de leur univers de loisirs. Toutefois, si la plupart s’adonnent à des pratiques intensives et témoignent de compétences opérationnelles avérées, ils ne semblent guère familiarisés avec le numérique d’un point de vue théorique. Plusieurs études montrent en effet que les jeunes internautes n’appréhendent pas les principes de fonctionnement et d’organisation de l’internet et manquent de culture informationnelle et d’esprit critique face au web (Brotcorne et al., 2009). Le discours ambiant qui envisage une homogénéité dans les comportements de cette catégorie de population semble difficilement résister à l’épreuve du terrain, tant il ne rend ni compte du déficit d’alphabétisation numérique de certains jeunes, ni de la discrimination entre les usages (ibid.). Mais avant de comprendre pourquoi cette conception semble éloignée de la réalité, encore faut-il s’entendre ici sur la notion de « compétence ». Certains travaux sur les TIC distinguent différents niveaux de compétences : les compétences instrumentales qui consistent à manipuler, les compétences informationnelles qui ont affaire à la localisation et à l’évaluation de l’information et enfin les compétences stratégiques qui se rapportent à la capacité à donner du sens à l’information et à sa propre activité (Brotcorne et al., 2010). Les premières constituent toutefois un prérequis à l’acquisition des suivantes qui concernent les plus experts. Il n’en reste pas moins qu’avec les dispositifs d’écriture numérique, les compétences instrumentales sont d’une autre nature. Elles s’éloignent de la culture technique qui s’imposait lorsque l’usage de la micro-informatique nécessitait une alphabétisation minimale. En s’affranchissant partiellement d’un format technique contraignant, ces dispositifs ont en effet introduit une rupture (Jouët, 2011). Proposant des plateformes devenues plus accessibles en termes d’usages (ibid.), ils ont fait l’objet d’une appropriation grand public. La massification de l’usage ne s’est toutefois aucunement accompagnée d’une meilleure connaissance du numérique. Alors que les jeunes sont de plus en plus éduqués aux médias et que certaines filières consacrent une partie de leur enseignement à la culture informationnelle, les jeunes usagers du web, perçus à tort comme des experts avertis, souffrent cruellement d’un déficit de culture numérique – entendue dans le sens d’une compréhension de ses spécificités –, et de culture informationnelle. Les exemples sont légion. Que l’on pense aux pratiques de redocumentarisation d’images de la « culture

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fan » sur support numérique par des adolescents qui, par ignorance du droit, se livrent au plagiat (Tabary-Bolka, 2009, 92) ou aux usagers du remix (Allard, 2009). En fait, nombre de travaux montrent que les usagers – et notamment les natifs du numérique –, font montre d’habiletés pratiques mais qu’ils sont dépourvus de culture de l’information et de regard critique. Nos observations préliminaires abondent dans ce sens. Nous avons d’ailleurs été frappées, au premier abord, par la pauvreté des résultats que nous évaluions probablement au regard d’une idéologie environnante qui présume que les natifs du numérique se livrent ipso facto à des usages sophistiqués. Au contraire, on observe que leur culture numérique parait se limiter à un savoir-faire opératoire alors que leur culture informationnelle semble à peine se circonscrire à la localisation et la gestion de l’information. Peu armés sur un plan de la théorie du numérique, ils ne s’y intéressent guère et témoignent d’une appropriation du dispositif qui s’affranchit d’apprentissages qu’ils ont reçus2 qui, pourtant, pourraient éclairer leurs pratiques (Cailleau et al., 2012).

Rapports aux dispositifs d’écriture numérique et capitaux culturel et social

3 Deux faits importants sont à relever quand on s’intéresse à l’appropriation de ces dispositifs. D’une part, on ne peut indexer le degré de compétence manipulatoire sur le degré de capital culturel individuel et d’autre part, les compétences opérationnelles et informationnelles s’avèrent secondaires dans l’appropriation de ces dispositifs dans le sens où elles sont précédées des ressources en capitaux qui déterminent, à tout le moins en partie, le rapport à ces dispositifs. Il ressort ainsi de nos travaux sur différents terrains que la manière dont les profanes du numérique affichent ou taisent leurs incompétences dépend fortement de leur position sociale. Par exemple, certains lycéens picards socialement privilégiés, dotés d’une culture numérique sommaire et développant peu de pratiques d’écriture numérique, témoignent d’une relation utilitaire à ces dispositifs qu’ils assument. Mais ne serait-ce pas là un moyen de se distinguer ou encore de minorer le rôle de ces dispositifs au sein d’un univers culturel et social suffisamment riche ? La plupart des individus que nous avons interrogés sont membres de Facebook car il faut être à la page mais la différence qui les caractérise concerne bien le rapport entretenu au réseau et à l’usage qui en est fait. Deux grandes catégories d’usagers peuvent être différenciées. Pour les uns, il s’agit d’un moyen d’accéder à la pratique sociale ou culturelle traditionnelle. Son usage ne donne lieu à aucune forme de subjectivation. Faisant montre d’un regard au second degré et plus ou moins atypique par rapport à ce qui est inscrit dans le format technique et sémiotique du dispositif, ceux-là ne tirent pas complètement partie de ses potentialités mais ne s’en soucient guère. C’est d’ailleurs dans cette catégorie que l’on pourrait classer les lurker3, ces individus voyeuristes qui ne s’exposent pas mais observent volontiers les profils des autres, à la manière d’Alia : « Facebook […], c’est pour voir ce que les autres font ». Inversement, d’autres conçoivent cette plateforme comme le sésame de l’intégration sociale. C’est le cas des individus les plus fragilisés socialement, et notamment d’apprenants questionnés dans le cadre d’un EPN4 alors qu’ils assistaient à un atelier consacré aux blogues et aux réseaux socionumériques (Rsn). Ces groupes défavorisés accordent plus d’importance aux dispositifs d’écriture numérique qui constituent le pivot de leurs pratiques sociales et culturelles. Ayant spécifiquement appris à utiliser Facebook dans le cadre d’une formation ad hoc, ils ont foi dans cette

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pratique qu’ils prennent au premier degré. Un tel clivage dans les rapports au dispositif ne peut que traduire une forme d’exclusion sociale. Il s’avère en effet que la pratique des Rsn met en lumière de véritables disparités entre les individus et que cette pratique aurait pour effet « d’exacerber les inégalités sociales et culturelles […] entre ceux qui parviennent à construire un réseau de contacts large et hétérogène et ceux qui restent enfermés dans un espace relationnel réduit et homogène » (Cardon, 2011). Dans ces conditions, on doit comprendre que les compétences ici supposées sont aussi sociales puisque les individus disposant des réseaux les plus larges sont ceux qui, sûrs de leurs attributs sociaux et culturels, n’hésitent pas à s’exposer. Ils investissent pleinement les potentialités du dispositif qui prend ici tout son sens ; appliquant dès lors la règle d’or qui consiste ici à se dévoiler (Casilli, 2010, 213). Les individus qui se distinguent par leur nombre d’amis sont du reste aussi souvent ceux qui présentent les caractéristiques sociales les plus avantageuses. La sociabilité que les individus développent sur les Rsn dépend de leur capital (social) et nous rappelle d’ailleurs, à la suite de F. Héran, qu’elle signifie initialement une capacité à établir des liens sociaux (1988, 18), c’est-à-dire une disposition sociale. Cette logique circulaire tient donc lieu de rappel à l’ordre sur le rôle des variables socioculturelles, en dépit des expressivités et nouvelles formes d’autonomie qu’offrent ces dispositifs. On a en effet tendance à considérer que parce qu’elles permettent à l’individu de s’exprimer, de façonner son identité ou encore de produire des contenus, ces « technologies du soi » (Allard, 2007a ; 2009) s’accommoderaient mal d’une prise en compte des facteurs sociaux, comme si les individus pouvaient se les approprier de manière égale. C’est là peu faire état des disparités d’usages, des non-usages ou des usages « ordinaires » et négliger le fait que seule une minorité participe du tournant culturel lié au web participatif. En réalité, tout nous laisse à penser que l’appropriation de ces dispositifs d’écriture numérique est plus une affaire de ressources culturelles et sociales que de compétences numériques et qu’ici, la logique de cumul qui régit les univers culturels des plus favorisés (Donnat, 1994) exerce aussi son action. Dans la mesure où ces dispositifs tendent à se rapprocher du modèle du broadcasting qui, au demeurant, imprègne de plus en plus le web, les ressources culturelles et sociales traditionnelles – et particulièrement le degré d’alphabétisation à l’écriture (numérique) –, s’avèrent déterminantes dans le processus d’appropriation. Plusieurs cas de figure ont en effet attiré notre attention dans ce sens.

Ainsi, les individus qui ont été formés à l’utilisation des Rsn dans l’EPN possèdent bien, à l’issue de la formation, les compétences exigées mais ne parviennent pas vraiment à les actualiser. À l’inverse, d’autres individus socialement privilégiés et très compétents sur un plan numérique refusent de faire usage des Rsn, par crainte de laisser des traces d’eux-mêmes. Les rares fois où ils y recourent, ils utilisent une autre identité. Il s’agit là d’usagers experts dont le haut degré de culture informationnelle fait obstacle à l’appropriation. En fin de compte, les individus qui s’approprient le dispositif en expérimentant des territoires identitaires et en bricolant des productions constituent une minorité qui, du reste, n’a pas nécessairement conscience des enjeux industriels et marchands sous-jacents. Il ne s’agit donc pas tant de contester le modèle expressiviste que d’insister sur le rôle que jouent divers capitaux dans les modalités d’usage tant il est vrai qu’ils s’insèrent « dans des rapports sociaux qui constituent la matrice de leur production » (Jouët, 2000, 507). Il convient donc de relativiser la figure de l’usager tacticien au principe du modèle expressiviste pour insister sur l’importance des structures sociales et familiales (Granjon et al., 2007). Il faut enfin prendre en compte la forme particulière des Rsn qui, bien que grand public en raison de leur forme qui relève

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de la sphère médiatique, n’en prennent pas moins appui sur l’écriture, acte en soi disqualifiant. Aussi pourrait-on se demander si, du fait de leur dimension scripturale, les nouveaux dispositifs d’écriture numérique ne concourraient pas à exclure un peu plus les moins lettrés.

Les dispositifs d’écriture numérique : nouveaux modes d’apprentissage et enjeux éducationnels

Des usages qui ne tombent pas sous le sens

4 L’enseignement que nous avons tiré des premiers résultats est qu’il faut se départir des idées préconçues et que le terrain offre toujours des possibilités heuristiques. Fort éloignées de la figure de l’usager actif et participatif, les pratiques des jeunes étudiants que nous avons interrogés5 sont loin de faire le lit de l’idéologie du « do it yourself » (Liquète, 2010). Leurs usages tendent surtout à se restreindre à la communication – les sites internet qu’ils parcourent le plus étant Facebook et les messageries –, encore que tous ne se soumettent pas nécessairement à la tendance à la tyrannie de la sociabilité qu’exercent les Rsn. La majorité des individus interrogés est membre de Facebook car il faut se conformer au groupe de pairs. Pour autant, cette adhésion s’accompagne rarement d’une participation assidue. Comme l’indique Clélia « des choses que moi je mets, c’est rare […] il faut vraiment qu’il m’arrive un truc extraordinaire pour que je le mette sur Facebook […]. Je vais voir ce qui se passe […] les potins […]. Mais c’est vrai que niveau utilité, ça ne sert à rien ». Ces premières observations confortent les travaux de D. Boyd à propos de MySpace, réseau très prisé aux États-Unis par les jeunes en vue d’« être à la page », ce qui n’empêche pas « beaucoup d’adolescents se plaindre de s’y ennuyer, affirmant avoir mieux à faire » (2007, 73). Comment dès lors comprendre ce paradoxe consistant à se livrer à des pratiques assidues qui ne tombent pourtant pas sous le sens ? Parfois méprisées et critiquées par les individus eux-mêmes, elles n’en sont pas moins sources de nombreux apprentissages, notamment sur un plan de la production identitaire (ibid.). Le sens de ces pratiques n’est toutefois ni forcément avoué ni déclaré par les enquêtés, lesquels affichent parfois une distance qui doit tant à la dimension normative dont sont investis les objets numériques et leurs usages qu’au sexe et à la catégorie sociale des individus. Ces modalités d’appropriation viennent nous rappeler que l’usage de ces Rsn est comparable à celui de tout objet culturel.

S’agissant des séries télévisées peu légitimes, D. Pasquier avait par exemple montré comment la distance qu’affirment certains adolescents est généralement conditionnée par le sexe et l’origine sociale, qui tendent à favoriser la production d’un discours critique et distancié (2002). Il va sans dire que s’agissant des Rsn, les individus les plus critiques sont ceux-là même qui disposent des capitaux les plus avantageux. Quant à ceux qui refusent d’exister sur les Rsn et de se soumettre à l’injonction de la visibilité (Aubert et Haroche, 2011), ils témoignent d’un comportement déviant par rapport à une norme dominante qui peut être le signe d’une stratégie distinctive ou, a contrario, d’une exclusion. En réalité, la manière dont les individus composent différemment avec cette injonction traduit des modes d’appropriation différenciés qui dépendent souvent des portefeuilles culturels et sociaux individuels.

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Les dispositifs d’écriture numérique : un tournant social et culturel

5 Les Français consacrent aujourd’hui en moyenne 31 heures par semaine aux divers écrans installés à la maison selon la dernière enquête sur les pratiques culturelles des Français (Donnat, 2009). Force est d’admettre que les TIC ont modifié en profondeur les pratiques culturelles. En favorisant la circulation et le partage de la connaissance et de l’information et en rompant avec le modèle auteur-récepteur, les dispositifs expressifs ont changé les règles du jeu de la production culturelle et ébranlé aussi bien l’économie de la culture que le sens des hiérarchies. Ils ont fait évoluer les activités sociales et culturelles, dont les mutations résultent tout autant de transformations sociétales sur le plan de l’individualisation du mode de vie, que de changement des modèles familiaux ou de l’abaissement de la foi dans les valeurs traditionnelles (Donnat, 1994). Il ne faudrait cependant pas interpréter l’élargissement des modes d’accès à la culture et le phénomène de « culture participative » comme une réduction de la fracture sociale ou numérique dans la mesure où les clivages ne renvoient pas tant à l’utilisation qu’aux logiques d’usages. Les dispositifs d’écriture numérique tendraient même à reproduire certaines inégalités puisqu’en requérant des compétences liées à l’écriture, qui laisse des traces et classe les individus dans la hiérarchie sociale, ils favorisent les plus lettrés.

Le mode scriptural dont ils sont empreints, bien que résidant dans celui de la conversation orale, relève d’une forme de culture légitime qui trahit de facto l’appartenance sociale. Il suffit d’observer le degré de participation des individus ainsi que leurs écrits pour identifier très vite les différences d’usages entre ceux qui maîtrisent l’écrit et ceux qui limitent autant que possible l’acte d’écriture. Force est de constater que l’appropriation massive de ces technologies dissimule des clivages dans les usages, encore que ces derniers n’appellent plus les compétences cognitives et techniques qui étaient au cœur de la sociologie de l’appropriation des TIC (Proulx et Millerand, 2010b ; Jouët, 2011). En réalité, la relation entre la possession de compétences autres que manipulatoires et l’appropriation des dispositifs d’écriture numérique ne va pas de soi puisque ce ne sont pas les individus les plus lettrés du numérique qui en font un usage intensif, s’agissant notamment des Rsn. On pourrait même se demander si l’appropriation ne varie pas là en sens inverse de la maîtrise de compétences informationnelles. Autrement dit, l’ignorance de la culture de l’information ne conduirait-elle pas certains de ces publics jeunes à développer des pratiques expressives trouvant précisément leur forme dans la négation de règles éthiques ? Les pratiques créatives des fans de Britney Spears (Allard, 2009), ou encore celles de la « racaille » au moment des émeutes de 2005 qui s’est exprimée sur différents supports d’expression pour réinterpréter le récit médiatique des événements sur un mode critique (Allard et Blondeau, 2007b) traduisent une méconnaissance, voire un mépris, de certaines contraintes juridiques de publication et de propriété intellectuelle. Les usagers qui ignorent les « bonnes pratiques » sont, au demeurant, souvent ceux qui affichent les pratiques les plus subversives. Ainsi l’étude des pratiques de redocumentation d’images de la culture fan par les adolescents montre comment ces derniers font indument leurs des créations numériques en protégeant les images à droits d’auteur qu’ils ont insérées sur le web en leur adjoignant une signature virtuelle (Tabary-Bolka, 2009). Ce genre de pratiques nous invite à nous poser la question de la formation à ces supports numériques, voire de l’éducation aux médias.

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Les enjeux éducationnels à la translittératie

6 La possession de compétences autres que de nature purement opérationnelle ne représente plus un élément central pour s’approprier ce type de dispositifs. Ainsi en atteste l’usage de jeunes natifs du numérique qui, quoique manquant d’expertise sur un plan de la théorie du numérique ou de la culture informationnelle, ne s’en adonnent pas moins à des pratiques intensives ; les dispositifs étant souvent utilisés tel un terminal de diffusion comme en témoigne la pratique du streaming. Entre formes de consommation qui évoquent le modèle de la diffusion et figures d’usage subjectives s’inscrivant dans le modèle de la participation au principe des dispositifs d’écriture numérique, l’appropriation reste ici complexe à penser. Ainsi, les propriétés du numérique (hypertexte p. ex.) peuvent tantôt être perçues comme un handicap, notamment pour ce qui concernerait une lecture concentrée, tantôt comme un bénéfice dès lors qu’on y voit une possibilité de développer la créativité des individus.

C’est parce que les informations ou les savoirs ne sont plus hiérarchisés de manière conventionnelle que les individus peuvent s’en saisir à des fins inventives. Mais la créativité se réduirait-elle aux pratiques expressives ? En réalité, le paradigme

« expressiviste » ne permet pas de rendre compte des pratiques d’une majorité qui méconnait le droit et les enjeux industriels propres à ces dispositifs. Les jeunes internautes ont rarement conscience que les contenus personnels qu’ils agrègent constituent une valeur économique de premier plan pour ces industries. Ces divers aspects marchands doivent être enseignés au même titre que les compétences techniques, éthiques ou documentaires. En fait, il reste difficile de s’atteler à une éducation de ces dispositifs empreints de nombreux paradoxes : bien qu’intuitifs, ils nécessitent des apprentissages particuliers, et ce d’autant plus qu’ils sont à l’origine de modalités de connaissance informelles qui concurrencent de plus en plus les instances de transmission traditionnelles. C’est pourquoi nous plaidons pour que les formations actuelles ne se restreignent pas à l’enseignement des savoir-faire procéduraux mais qu’elles s’étendent à des savoirs théoriques sur les fondamentaux du numérique en vue de développer des usages maîtrisés. C’est dans ce sens qu’abondent le projet PRECIP ainsi que certains auteurs qui défendent l’idée que les formations informationnelles intègrent une culture technique critique et créative (Le Deuff, 2007 ; Saemmer, 2011).

Ces formations devraient aussi faire le rapprochement avec l’éducation aux médias car il faut aujourd’hui penser ces dispositifs comme un média. Ces derniers n’appellent effectivement pas seulement des compétences en termes de littératie numérique – ce qui nous conduirait à réduire le dispositif à ses seules propriétés scripturales et numériques – mais aussi en termes de translittératie, concept récent sans doute plus approprié pour désigner une culture globale renvoyant à la culture informatique, la formation aux TIC, la culture des médias, l’éducation aux médias et la culture de l’information-documentation (Serres, 2008a). Cette notion permet d’englober un ensemble de compétences « méta » qui ne sont plus seulement d’ordre opérationnel proprement dit mais qui relèvent aussi de la lecture et de l’écriture numériques, de la culture des médias, de la culture de l’information et de la culture informatique, etc. Les enjeux éducatifs à ces dispositifs restent de taille compte tenu du rôle qu’ils jouent en tant que modalités informelles de transmission du savoir. En prendre acte représente un défi auquel semble confrontée aujourd’hui l’institution scolaire qui doit réduire le fossé qui s’est formé entre la culture légitime qu’elle incarne et la culture numérique dont les jeunes générations sont les tenantes (Serres, 2008b). Se référant aux travaux de

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C. Dioni, A. Serres rappelle d’ailleurs à quel point cette nouvelle culture adolescente pose question aux enseignants dont le rôle de spécialiste semble remis en cause (ibid.).

Les autorités traditionnelles sont en effet de plus en plus discréditées par les jeunes qui rejettent les valeurs associées à la culture académique. Aussi, le défi qui se pose à l’école consiste-t-il à articuler la culture qu’elle promeut habituellement à la culture numérique à l’origine de nouveaux instruments de savoir (Gautier, 2009).

7 Si l’éducation à ces dispositifs doit continuer de faire appel à des méthodes chargées de prescrire les « bonnes pratiques » – qu’il s’agisse de mettre en garde les jeunes individus contre les risques potentiels liés à la pratique des Rsn ou de leur enseigner des compétences informationnelles et critiques –, ne devrait-on pas intégrer ces derniers dans les processus formels de formation au numérique et d’éducation aux médias ? Alors qu’ils sont souvent honnis par le corps enseignant et l’institution scolaire (p. ex. Facebook ou Wikipédia), ils pourraient faire l’objet d’un enseignement à des fins pédagogiques et donner lieu à une culture numérique lettrée (Gautier, 2009).

Les intégrer dans les formations au numérique aurait aussi pour effet de déjouer la disqualification que subissent les laissés-pour-compte, en appréciant le rôle qu’exercent ces dispositifs d’un point de vue de la connaissance et de la construction de soi.

8 En définitive, l’appropriation des dispositifs d’écriture numérique est complexe à étudier car leur nature composite appelle différents cadres d’analyse. Le champ de la littératie numérique constitue certes un cadre de travail utile pour rappeler l’importance de certaines compétences en vue de s’approprier ces dispositifs. Il faut néanmoins avoir à l’esprit que celles-ci sont généralement le fruit des capitaux détenus par les individus dans la mesure où il existe bien un continuum entre leurs univers culturel et social traditionnel et leurs pratiques numériques. Ces compétences ont par ailleurs peu affaire à quelque habilité technique dans la mesure où ces dispositifs sont devenus plus proches de l’« objet culturel et social » que de l’« objet technique » stricto sensu. Il n’en demeure pas moins qu’à l’aune des dispositifs participatifs, l’appropriation ne peut plus s’analyser de la même façon. L’évolution du web nous laisse penser que le modèle de broadcasting prend de l’ampleur et que les individus ne pourront adopter une démarche critique et autonome vis-à-vis des dispositifs d’écriture numérique que s’ils sont formés à leurs spécificités et sensibilisés aux enjeux économiques qui les sous- tendent. La formation s’impose d’autant plus que ces dispositifs constituent des instances de transmission de savoirs de premier plan et que leurs spécificités appellent des compétences transversales dont permet de rendre compte la notion de translittératie.

BIBLIOGRAPHIE

Allard L., (2009), Britney Remix : singularité, expressivité, remixabilité à l’heure des industries créatives.

Vers un troisième âge de la culture ?, in Poli, n°1.

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