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2. 3. Le tragique de l homme: péché des origines et rédemption Regard psychanalytique sur deux théologoumènes classiques

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2. 3. Le tragique de l’homme: péché des origines et rédemption Regard psychanalytique sur deux théologoumènes classiques

Si l’on jette un regard en arrière, notre tâche ne consiste pas tant à discuter les prémisses de la conception du monde de la métapsychologie freudienne (une tache qui reste à accomplir à la fin de ce chapître, consacré à l’œuvre de Freud [2.4]). Mais la question se pose bien de savoir quelles nouvelles visions ou ré- flexions offre la critique freudienne de la religion concernant notre thème.

D’abord ce qui suit est évident: Freud peut bien imaginer des mythes des origines très impressionnants, et confirmer leur historicité par une petitio prin- cipii (cercle vicieux); il peut encore spéculer librement sur l’histoire de la reli- gion juive et chrétienne sans avoir pris connaissance sérieusement ne fût-ce que d’un texte biblique1; il peut enfin se lancer dans des théories sur le conflit sexuel œdipien2, les orgies cannibales et les cultures totémiques3, sans que rien de cela ne puisse être vérifié empiriquement – ce qui reste décisif de sa critique de la religion dans notre contexte reste intact et pourrait bien donner une indi- cation que l’on aurait peine à contredire sur la constitution tragique de l’homme. Le désir désespéré de l’homme pour trouver assistance, sécurité et protection, la recherche d’un père qui n’est pas là, mènent toujours à nouveau à un amour malheureux et menacent ainsi de détruire ce à quoi ils s’accrochent. Peut-être cet enchaînement tragique n’est-il nulle part ailleurs aussi manifeste que dans la figure néo-testamentaire de Judas. Judas aime Jé- sus plus profondément que tout autre disciple. C’est précisément pour cela qu’il le trahit, parce que Jésus ne peut apaiser le désir œdipien qu’il éveille en

1 Paul RICOEUR: De l’interpétation. Essai sur Freud, Paris: Seuil 1965, 241: „Freud n’est nullement intéressé par le progrès du sentiment religieux. Rien ne l’intéresse dans la théologie d’un Amos ou d’un Osée, d’un Isaï ou d’un Ézéchiel, ni dans la théologie du Deutéronome, ni dans la relation entre le prophétisme et de la traditi- on cultuelle et sacerdotale, entre le prophétisme et le lévitisme. L’idée du ‚retour du refoulé‘ l’a dispensé d’une herméneutique qui ferait le détour d’une exégèse des textes et l’a précipité dans la voie courte d’une psychologie du croyant, bloquée dès le début sur son modèle névrotique.“

2 Concernant la difficulté de vérifier empiriquement l’existence des structures conflictuelles œdipiennes en dehors de l’édifice théorique de la psychanalyse, cfr. Sidney HOOK (Éd.): Psychoanalysis, Scientific Method and Philosophy, New York (21964).

3 Sur le côté de l’éthnologie, les spéculations de Freud ont été sans exception récusées ou bien ont dé- clenchées une hilarité considérable. Par contre, c’est René Girard qui a souci à la fois critique et sérieux de pénétrer le sens profond de Totem et Tabou: La violence et le sacré, Paris: Bernard Grasset 1972, 282-321.

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son ami.4 Le tragique de l’homme repose ainsi dans sa profonde déchirure: il est d’une part un être de transcendance, dans la mesure où la faim de protec- tion et d’assistance est incommensurable; mais se voit d’autre part mis à de- meure par une nature ou une société humaine, dans lesquelles ce désir ricoche imperturbablement et sans pitié.5 La représentation freudienne du monde se montre ici d’une lucidité impitoyable:

„On serait tenté de dire qu'elle [la perspective pour l’homme d’être ‚heu- reux‘] n'est point entré dans le plan de la « Création » […]. Ce qu'on nomme bonheur, au sens le plus strict, résulte d'une satisfaction plutôt soudaine de besoins ayant atteint une haute tension, et n'est possible de par sa nature que sous forme de phénomène épisodique. Toute persistance d'une situation qu'a fait désirer le principe du plaisir n'engendre qu'un bien-être assez tiède ; nous sommes ainsi faits que seul le contraste est capable de nous dispenser une jouissance intense, alors que l'état lui-même ne nous en procure que très peu. Ainsi nos facultés de bonheur sont déjà limitées par notre constitution.

Or, il nous est beaucoup moins difficile de faire l'expérience du malheur.“6

Là où l’homme cherche à dépasser ces limitations constitutives sous la tension de toutes ses forces, il court le danger d’œuvrer précisément à ce qu’il veut empêcher: „Nous détruisons ce que nous aimons!“, ainsi pourrait parler un oracle de malheur à propos de nos vies. Mais l’inverse est valable également:

« un véritable amour nous coûtera de quelque manière toujours la vie! », puisqu’il promet ce qui ne peut être remis sur terre. L’amour et le sacrifice ne se tiennent donc pas accidentellement si près l’un de l’autre. Freud

4 Par rapport à cette thèse cfr. Bernhard DIECKMANN: Judas als Doppelgänger Jesu? Elemente und Probleme der Judastradition, in: Józef Niewiadomski / Wolfgang Palaver (Éd.): Dramatische Erlösungslehre. Ein Symposion (IThS Bd. 38), Innsbruck-Wien (1992) 227-242.

5 Das Unbehagen in der Kultur [Malaise dans la civilisation], in: StA t. IX, 191-270, ici: 208 s.: „La souffrance nous menace de trois côtés : dans notre propre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d'alarme que constituent la douleur et l'angoisse ; du côté du monde ex- térieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s'acharner contre nous et nous anéantir ; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure peut-être que toute autre ; nous sommes enclins à la considérer comme un acces- soire en quelque sorte superflu, bien qu'elle n'appartienne pas moins à notre sort et soit aussi inévitable que celles dont l'origine est autre.“

6 Ibid. 208. – Dans ce contexte, soit renvoyé à la remarque suivante de Freud dans une lettre, adressée à sa nièce Margit: „J'ai été très heureux d'entendre de votre part et d'autres sources que vous commencez à vous sentir bien, que votre diligence et votre efficacité portent enfin leurs fruits. Acquérir apporte beaucoup plus de plaisir que de posséder.“ (Briefe, 391).

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s’accorderait ici avec la sotériologie classique du christianisme. Mais tout au- trement que la sotériologie, Freud insiste sur ceci que cette proximité est une proximité tragique. Le discours théologique d’une rédemption de l’homme par le sacrifice du Christ est à ses yeux une contradictio in adiecto. Par un sacrifice, personne n’est sauvé, au contraire. Par tout sacrifice, l’impossibilité d’être sau- vé du genre humain ne fait que se compacter, dans la mesure où il contribue à une escalade du sentiment de culpabilité.

Ce n’est pas étonnant si, dans ce contexte, Freud s’accorde en plusieurs points à la doctrine chrétienne du péché originel, bien qu’il se tienne à une dis- tance de celle-ci qui ne peut guère être pensée plus radicale.7 L’annonce pauli- nienne de la rédemption, selon sa thèse, ne fait que voiler ce que la psychana- lyse a mis au jour: „Paul, un juif romain de Tarse, se saisit du sentiment de cul- pabilité et le ramena correctement à sa source historique première. Il le dé- nomma péché originel, un crime contre Dieu qui pouvait être expié seulement par la mort. Avec le péché originel, la mort était venue dans le monde. En vérité, ce crime passible de mort était le meurtre du père originel divinisé ultérieure- ment. Mais au lieu de se souvenir du meurtre même, c’est son expiation qui fut fantasmée, c’est pourquoi ce fantasme pouvait être salué comme annonce de la rédemption (Evangile).“8 Le Nouveau Testament contient ainsi rien de moins qu’un aveu implicite de faute, raison pour laquelle l‘“Evangile“ est en vérité, plutôt que la rédemption par le sacrifice du Christ, le „Dysangile“ du crime de l’homme. La „bonne“ nouvelle de Paul, à savoir que l’humanité est sauvée dans le Christ, présente une illusion, dans la mesure où l’aveu de la faute est encore voilé. Freud réclame d’exprimer pour la première fois sans illusion ce que Paul et le christianisme en son entier n’auraient pu thématiser que sous l’habit de l’illusion : La faute ne peut être expiée par le meurtre sacrificiel de quelque fils

7 Jacob TAUBES: Religion und Psychoanalyse [1957], in: Joachim Scharfenberg / Eckhart Nase (Éd.): Psychoana- lyse und Religion, Darmstadt (1977) 167-175, met en place la théorie suivante: „Jamais depuis l’apôtre Paul et Saint Augustin aucun théologien n’a sotenu une doctrine du péché originel plus radicale que Freud. Per- sonne depuis l’apôtre Paul n’a insisté sur la necéssité urgente d’expier le péché originel comme Freud le fai- sait.“ (ibd 171). Mais au-delà de Taubes, il faut ajouter que personne n’a jamais souligné si fortement l’impossibilité d’une telle expiation que le fondateur de la psychanalyse.

8 Der Mann Moses und die monotheistische Religion [L’homme Moïse et la religion monthéïste], in: StA t. IX, 455-581, ici: 534. Cfr. ibd. 580; Zeitgemäßes über Krieg und Tod (Considérations actuelles sur la guerre et la mort), in: StA t. IX, 32-60, ici 52 s.; Totem und Tabu (Totem et Tabou), in: StA t. IX, 287-444, ici 436 s.

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de Dieu que ce soit. On ne peut faire que l’accepter (la faute)! Est-ce que l’homme, en reconnaissant consciemment son sentiment de culpabilité, peut se libérer de l’esclavage aveugle du destin pulsionnel archaïque ? C’est à l’histoire de le montrer. Freud est à ce sujet, comme nous l’avons vu, plutôt sceptique.

A l’horizon de la compréhension freudienne du « péché originel », l’écrit pro- grammatique de 1927, Die Zukunft einer Illusion (L’avénir d’une illusion), peut être examiné plus précisément. Le philosophe Jacob Taubes a émis l’hypothèse que ce traité „en apparence humaniste et ‘acquis au progrès’, se servirait au contraire de l’interprétation tragique contre L’interprétation eschatologique de l’homme.“9 Alors que la conscience tragique parvient seulement à percevoir la faute originelle, la conscience eschatologique exprime l’espoir d’une réconcilia- tion future. Alors que l’homme tragique peut certes porter le fardeau de sa faute en un geste héroïque, mais « doit par ailleurs pencher la tête sous le coup » que lui assène « les plus hautes puissances »10, l’homme eschatologique dirige tout son désir vers le futur, duquel il attend également la rédemption du passé. Pour Freud pourtant, le futur ne peut que répéter le passé; et dans le meilleur des cas, une certaine conscientisation des mécanismes qui sont à l‘œuvre est seule envisageable. L’homme peut certes tenter de les contourner, mais pas d’en sortir.

Il est impossible de ne pas voir derrière ces thèses l’essai célèbre de 1920, Jenseits des Lustprinzips (Au-delà du principe de plaisir) – un traité important pour nous, dans la mesure où une fois encore, la thématique du sacrifice re- vient de manière nouvelle au centre des préoccupations. Freud postule dans ce texte pour la première fois, l’existence de ce qu’on appelle „pulsion de mort“

(« Todestrieb »), par laquelle sa construction théorique connaît „dans le sens le plus vrai du mot, un réaménagement fondamental“11. Dans la mesure où l’interprétation analytique du narcissisme originaire de la prime enfance, pensé

9 Jacob TAUBES: Religion und Psychoanalyse, op.cit. 173.

10 Briefe, 343 (adressé à Max Halberstadt, 25 janvier 1920).

11 Paul RICOEUR: De l‘interpretation, op. cit. 265. – „Au-delà du principe de plaisir est le moins herméneutique et le plus spéculatif des essais de Freud.“ (ibd. 289). Concernant la génèse de ces spéculations metapsycholo- giques ainsi que de leur critique cfr. ibid. 277-303; 305-307.

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comme un désir du paradis perdu formé par la dyade mère-enfant, est modi- fiée sous l’hypothèse d’une pulsion de mort bio-physique, la psychanalyse opère un déplacement de sa posture de discipline de pensée scientifique, vers une conception du monde pessimiste romantique. Dans Jenseits des Lustprin- zips (Au-delà du principe de plaisir), Freud dépeint l’ensemble de la réalité psy- chique et physique comme un combat éternel et quasi mythique entre les forces d‘»Eros« et »Thanatos«, où Eros, volonté de vie de conservation et de croissance, n’apparaît que comme un détour compliqué vers la mort:

„Les deux pulsions [sc. la pulsion sexuelle (Eros) et la pulsion de mort (Thana- tos)] se comportent de manière conservatrice au sens le plus strict, car elles tendent à la réhabilitation d’un état perturbé par la formation de la vie. La formation de la vie serait donc la cause de la prolongation de la vie, mais aussi du désir de mort, la vie même un combat et un compromis entre ces deux tendances. La question de l’origine de la vie resterait une question cos- mologique à laquelle, concernant le dessein et le but de la vie, on ne pourrait répondre que de manière dualiste.“12 „Si le principe de constance [c’est-à- dire le principe de la tendance de la vie de se prolonger le plus long possible, thèse postulée par Fechner, un physicien du 19ème] domine la vie“, „la simili- tude d’état entre la pleine satisfaction sexuelle et la mort, le fait que, chez des animaux inférieurs, adviennent ensemble la mort et l’acte d‘engendre- ment », deviennent également compréhensibles. [Freud fait ici allusion au fait étrange que chez des mantes religieuses ainsi que chez quelques espèces d’araignées, la copulation sexuelle et la mort coincident.] Ces êtres meurent de la reproduction, dans la mesure où, après l’extinction de l‘Eros par la satis- faction, la pulsion de mort a les mains libres pour réaliser ses intentions.“13

Comment doit-on évaluer ces thèses qui rendent un son étrangement biolo- gique (pour ne pas dire biologiste), au sein d’une doctrine de la vie de l’âme humaine? – Il apparaît tout d’abord évident que l’on assiste ici au mélange de théories physicalistes et d’une interprétation romantique du jeu de l’amour et de la mort. Dans la mesure où Freud postule l’équivalence du principe du désir et du principe de constance, il veut maintenir la psychanalyse dans la tradition scientifique de Hermann Helmholtz et de Theodor Gustav Fechner, et par là

12 Das Ich und das Es [Le Moi et le Ca], in: StA t. III, 273-330, ici: 307 s.

13 Ibid. 313 s.

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assurer son niveau scientifique. Qu’une telle manière de procéder soit déjà en soi problématique est évident. Mais plus que le caractère problématique de sa méthode, c’est l’interprétation que Freud prête à sa construction psycho- physicaliste qui est intéressante pour notre thème. Car il est manifeste que la thèse d’une équivalence du principe psychique de plaisir et du principe de constance bio-physique comme réalisation supérieure de la pulsion de mort, autorise des interprétations qui sont tout à fait contraires à celles de Freud.

Renvoyons seulement ici à la poésie de printemps de Nicolas Lenau (1802- 1850), un petit chef d’œuvre du romantisme tardif, qui après une description hymnique de la nature en fleur, se termine avec le vers suivant: „Et toute âme enfle et débouche/ au-delà dans le courant sacrificiel [dans le flot des offran- des].“14 Il est évident que le „courant sacrificiel », ce « flot des offrandes » de Lenau, en dépit de toute esthétisation, présente une certaine correspondance avec la pulsion de mort freudienne : la transmission de la vie est le commence- ment de sa propre mort! Alors que Lenau pourtant voit une vitalité enthou- siasmante à l’œuvre dans ce processus, qui va main dans la main avec un tendre dévouement envers les descendants, Freud ne peut voir en ce qui se joue ici (en cela de manière semblable aux observations de Reinhold Schnei- der15) que quelque chose de désespérément sombre. Tout vivant porte en soi le germe de la mort, dans la mesure où il signifie un éloignement toujours plus

14 Nikolaus LENAU: „Liebesfeier“ [„Im Frühling“ / „Au printemps“], dans: Werke und Briefe. Historisch-kritische Gesamtausgabe t. I. Gedichte bis 1834 (Éd. Herbert Zeman / Michael Ritter), Wien (1995) 148:

An ihren bunten Liedern klettert / Die Lerche selig in die Luft;

Ein Jubelchor von Sängern schmettert / Im Walde voller Blüt' und Duft. //

Da sind, so weit die Blicke gleiten, / Altäre festlich aufgebaut, Und all die tausend Herzen läuten / Zur Liebesfeier dringend laut. //

Der Lenz hat Rosen angezündet / An Leuchtern von Smaragd im Dom;

Und jede Seele schwillt und mündet / Hinüber in den Opferstrom.

Avec ses chants bigarrés l'alouette \ Grimpe avec bonheur dans les airs;

Un allègre chœur de chanteurs s'égosille \ Dans la forêt, emplie de fleurs et de parfums. \\

Là aussi loin que porte le regard, \ sont érigés des autels de fête,

Et tous ces milliers de cœurs carillonnent \ Pour la fête de l'amour, avec insistance et force. \\

Le printemps a enflammé les roses \ Aux lumières d'émeraude de la cathédrale.

Et chaque âme enfle et se jette \ Là-haut, dans le flot des offrandes.

15 Reinhold Schneider, Un Hiver a Vienne. Journal de 1955-56, ###

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lointain de l’Eros immédiat. „Le principe de plaisir semble se tenir pour ainsi dire au service de la pulsion de mort“16. « L’opposition apparemment irréconci- liable entre les pulsions originaires d’Eros et de mort »17 s’effondre ici. La roue qui charrie cette opposition est le cercle absurde d’une nature inconsciente, à la surface de laquelle l’homme fait surface comme un épiphénomène tragique, pour disparaître à un certain moment à nouveau sans bruit. Le pleurer encore serait fondamentalement une exagération.18 Ce n’est pas étonnant dès lors de voir Freud établir „que nous sommes entrés sans le voir dans le port de la phi- losophie de Schopenhauer, pour lequel la mort est ‘le résultat propre’ de la vie et en cette mesure, la finalité même de celle-ci [...].“19

„Le but de toute vie est la mort“20, c’est pourquoi correspond au combat entre Eros et Thanatos sur le plan de la conscience humaine, le combat entre l’illusion désirante (Wunschdenken) et l’abandon au destin (Ananke21). Il est en cette mesure parfaitement conséquent que Freud fasse du concept popularisé par Schopenhauer de „Nirwâna“, le Schibboleth [le mot-cléf] de sa vision du monde pessimiste romantique.22 Le cercle absurde du devenir et de ce qui dis- paraît trouve son expression supérieure et ultime dans le symbole du sacrifice, aussi bien sur le plan cosmique que psycho-culturel, et permet à Freud de re- noncer à tout souhait, et « de considérer au contraire le passage dans le non- être avec une sorte de désir nostalgie.“23

16 Jenseits des Lustprinzips [Au-delà du principe de plaisir], in: StA t. III, 213-272, ici 271.

17 Das Unbehagen in der Kultur [Malaise dans la Culture], in: StA t. IX, 191-270, ici 266.

18 Jenseits des Lustprinzips [Au-delà du principe de plaisir], in: StA t. III, 213-272, ici 253 s.: ‚Nous avions no- tamment supposé […] que tout ce qui vit doit mourir en vertu de causes internes. Et cette supposition, nous l'avions émise en toute naïveté, parce que nous avions cru émettre plus qu'une supposition. C'est là une idée qui nous est familière, une idée qui nous est inculquée par nos poètes. Et si nous l'acceptions, c'est peut-être à titre de croyance consolatrice. Puisqu'on doit mourir et, peut-être avant de mourir soi-même, assister à la mort d'être chers, on trouve une consolation à savoir qu'on est victime, non d'un accident ou d'un hasard qu'on aurait peut-être pu éviter, mais d'une loi implacable de la nature, d'une ἀνάγκη à laquel- le nul vivant ne peut se soustraire. Mais cette croyance à la nécessité interne de la mort n'est peut-être qu'une de ces nombreuses illusions que nous nous sommes créées pour nous rendre « supportable le far- deau de l'existence ». [Schiller, Die Braut von Messina, I. Akt, 8. Szene].“

19 Jenseits des Lustprinzips [Au-delà du principe de plaisir], in: StA t. III, 213-272, ici 259.

20 Ibd. 248.

21 Das ökonomische Problem des Masochismus [Le problème œconomique du masochisme] [1924], in: StA t. III, 329-354, ici 352.

22 Jenseits des Lustprinzips [Au-delà du principe de plaisir], in: StA t. III, 213-272, ici 264. Freud parle ici du

„principe Nirwana“, un terme qu’il emprunte de l’œuvre de Barbara Low: Psycho-Analysis [1920], et qu’il uti- lise de manière analogue au concept de „pulsion de mort“.

23 Briefe, 444.

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