• Aucun résultat trouvé

Une année avec Claude Simon

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Une année avec Claude Simon"

Copied!
3
0
0

Texte intégral

(1)

Cahiers Claude Simon 

2 | 2006

Claude Simon, maintenant

Une année avec Claude Simon

Benoît Peeters

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/ccs/500 DOI : 10.4000/ccs.500

ISSN : 2558-782X Éditeur :

Presses universitaires de Rennes, Association des lecteurs de Claude Simon Édition imprimée

Date de publication : 31 décembre 2006 Pagination : 107-108

ISBN : 9782914518895 ISSN : 1774-9425 Référence électronique

Benoît Peeters, « Une année avec Claude Simon », Cahiers Claude Simon [En ligne], 2 | 2006, mis en ligne le 20 septembre 2017, consulté le 15 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ccs/

500

Cahiers Claude Simon

(2)

Une année avec Claude Simon

par Benoît PEETERS

De juin 1975 à l’été qui a suivi‚ il me semble avoir vécu dans une constante intimité avec Claude Simon. J’avais entamé l’écriture d’Omnibus, pastiche en même temps que vie rêvée de cet écrivain qui me donnait le sentiment d’avoir accompli à l’avance, et à la per- fection, ces livres que je n’avais pas commencé d’écrire.

Une année durant, dans ma petite chambre de la rue de l’Estrapade‚ j’ai baigné dans la fascination des œuvres de Simon, transporté par les alluvions que charrient leurs phrases envelop- pantes. J’accompagnais Simon dans la Débâcle de 40, je combattais en Espagne à ses côtés, je plongeais au cœur de provinces perdues, sur les traces de ses ancêtres. Avidement‚ je collectais les anecdotes les plus infimes, les textes les plus oubliés, passant et repassant place Monge, devant l’immeuble qu’il habitait. Je fus bouleversé, un jour, de le voir sortir de chez lui pour acheter Le Monde. Il m’arriva même d’envoyer à L’Express une lettre que je signai de son nom‚ à propos de la prochaine parution de Leçon de choses‚ lettre qu’il aurait sans doute pu signer mais qu’il lui fallut bizarrement démentir‚ quelques semaines plus tard (y a-t-il aujourd’hui prescription ?).

Le début du manuscrit‚ sur lequel j’avais travaillé une bonne par- tie de l’été‚ disparut un soir, sur la route de Versailles à Paris, un cahot l’ayant fait tomber du porte-bagages de mon vélomoteur.

Désespéré, j’arpentai longuement l’avenue avant de me résoudre à la

(3)

CAHIERS CLAUDE SIMON N° 2

108

perte de mon trésor. Rentré dans ma chambre, je réécrivis ces pages de mémoire, presque mot pour mot je crois (d’un tel exploit, faut- il le dire, je serais incapable aujourd’hui). Tout au long de l’année, sitôt les cours terminés, je continuai le texte dans un curieux mélange d’insouciance et de contraintes, sans savoir ce qui advien- drait cinq mots plus loin, à tel point qu’ayant lu un jour le premier chapitre à une amie, lorsqu’elle me demanda de lui raconter la suite, je dus lui avouer que je l’ignorais à peu près autant qu’elle.

Dans les pages d’Omnibus, irrespectueux autant qu’admiratif, j’enivre Claude Simon et je le fais mourir, je lui attribue le prix Nobel qu’il méritait déjà, mais j’écris à sa place son discours et lui retire la paternité de ses livres. Voulant m’arracher à l’emprise de son œuvre‚ je tentais une sorte de pastiche intégral, où j’aurais tout repris, tout remixé: ses thèmes et son style, des morceaux de sa vie et les procédés de ses diverses périodes. Omnibus est comme une réécriture follement accélérée du Nouveau Roman, tel que Jean Ricardou l’avait minutieusement décrit‚ c’est un texte libre et crypté à la fois rempli d’anagrammes et d’acrostiches, d’allusions et de cita- tions cachées. Bien des détails, qui nous semblaient alors évidents (à moi et aux quelques amis qui fréquentaient les colloques de Cerisy), sont devenus des plus opaques. Mais j’espère qu’il reste quelque chose du mélange de ferveur et de jubilation dans lequel ces pages furent écrites.

Ce drôle d’hommage avait tout pour irriter ; et plusieurs pen- saient, lorsque j’achevai Omnibus, que cette biographie plus qu’à moitié imaginaire ne pourrait jamais paraître. Je serai donc toujours reconnaissant à Claude Simon de l’accueil qu’il réserva au manuscrit que je lui avais envoyé, en même temps qu’à Jérôme Lindon.

L’histoire s’acheva de manière plus heureuse : dix ans après la paru- tion d’Omnibus, l’Académie de Stockholm décernait à Claude Simon le Prix Nobel de littérature. Aucun incident ne vint troubler le discours qu’il prononça ce jour-là.

Références

Documents relatifs

Pour faire une brève rétrospective des études simoniennes après les vicissitudes du début des années 1990, plus de trente articles sur Claude Simon sont parus dans la presse et

Entre l'annonce du prix en octobre et sa remise dans les mains du Lauréat par le Roi de Suède le 10 décembre (jour de la mort d'Alfred Nobel), l'événement Nobel passe par

a) Le premier concerne les portraits de personnages qu'ailleurs nous avons appelés collectifs dans la mesure où ils sont présentés presque toujours en groupes compacts

Même ceux qui, à la parution de L'Herbe, défendent le style de Simon, tels André Rousseaux dans Le Figaro littéraire ou Jean Misder dans L'Aurore 2 , se cantonnent dans

Pourtant la relation de la littérature au peuple intéresse les deux hommes : sous la forme d'un discours pour Sartre, sous celle de longues descriptions pour Claude

Non, mais pour le goût qu’il avait, lui, Simon, l’écrivain, pour l’ostentation des choses, celles qui se pressent aux sens, les sollicitent de manière si intense qu’elles met-

En parlant d’un autre, en l’occurrence de Claude Simon, en par- lant avec un autre, le même, l’un et l’autre toujours présents- absents, cela s’appelle un dialogue,

Et jamais, dois-je dire aussi, ce sentiment d’avoir à observer quelqu’un d’autre n’a-t-il été plus grand pour moi chez Shakespeare que devant ces quelque 150 sonnets